Sur la mission « Économie », nous écoutons successivement nos trois rapporteurs pour avis Élisabeth Lamure, Anne-Catherine Loisier et Martial Bourquin.
Selon les documents budgétaires, la mission « Économie » affiche, à périmètre constant, un montant de crédits de paiement en augmentation cette année de 6,09 % par rapport à 2018, mais cela n'est dû qu'aux crédits déployés pour la mise en oeuvre des réseaux d'initiative publique, dans le cadre du programme « France très haut débit ». Si l'on excepte cet effort ponctuel - effectivement important - le reste des crédits baisse de 7,3 %, à la faveur, comme l'indiquent pudiquement les documents budgétaires, « d'une rationalisation des aides aux entreprises ». Comme c'est bien dit ! Ce mouvement s'accompagne d'une baisse du plafond d'emplois de 325 équivalents temps plein travaillé (ETPT), pour s'établir à 11 693 ETPT pour 2019.
Par rapport à l'année passée, le suivi budgétaire du programme 134 « Développement des entreprises et régulation » est d'ailleurs rendu très malaisé par le regroupement de diverses actions. L'administration explique cette évolution par un souci de lisibilité et de rationalisation de présentation, compte tenu notamment de la faible dotation de certaines actions. Au total, le programme connaît une baisse de 13,2 % de ses autorisations d'engagement, et de 7,8 % de ses crédits de paiement. Mais, si elles avaient été conservées, ces actions auraient montré une baisse considérable du montant de leurs autorisations d'engagement depuis 2013 : - 86 % pour l'action n° 2 « Commerce, artisanat, services », -76 % pour l'action n° 3 « Entreprises industrielles » et - 90 % pour l'action n° 21 « Tourisme »...
Au final, le budget de la mission - et plus particulièrement son programme 134 - témoigne, incontestablement, d'un désengagement financier de l'État dans son rôle d'appui aux acteurs économiques, sur lequel je reviendrai. Je souligne néanmoins dès maintenant qu'il est concomitant au désengagement forcé d'autres acteurs de l'accompagnement des entreprises que sont les chambres de commerce et d'industrie (CCI), auxquelles est assignée une nouvelle trajectoire de baisse 400 millions d'euros sur quatre ans, alors que le montant de la taxe affecté a diminué de 46 % depuis 2012 et que l'an dernier, après une nouvelle baisse de 150 millions d'euros, le Gouvernement s'était engagé à garantir la stabilité des ressources des CCI en 2019-2022... C'est une promesse non tenue. Il est certes indispensable que le réseau consulaire évolue, mais il faut lui laisser le temps de se réorganiser. Or, cette trajectoire financière n'est pas compatible avec cette réorganisation : une baisse de 100 millions d'euros implique en effet des suppressions d'emplois à hauteur de 1 000 ETPT qui, elles-mêmes, génèrent 100 millions d'indemnités qui devront être intégralement prises en charge par les CCI... En outre, elle remet en cause les projets très pertinents, et pourtant soutenus par l'État, en matière d'appui à l'export et de mutualisation avec Business France. Faut-il penser que l'objectif du Gouvernement est purement et simplement de faire disparaître le réseau ?
J'entends déposer un amendement à titre personnel, puisqu'il s'agit d'une disposition relevant de la première partie du PLF - mais vos signatures restent bienvenues - établissant un moratoire d'un an sur la baisse annoncée du plafond de la taxe pour frais de chambre.
Au total, les dépenses d'intervention du programme 134 s'élèvent à 289,3 millions d'euros en crédits de paiement et 278,7 millions en autorisations d'engagement, soit une baisse respective de 17,8 % et 21,2 %. Ces dépenses sont concentrées sur deux mesures qui représentent à elles seules 72 % du total : la compensation au titre de la mission de service public de transport postal pour 103,8 millions d'euros et la compensation carbone au profit des entreprises électro-intensives pour 106,7 millions d'euros.
Les autres dépenses sont très émiettées et diverses : 6,1 millions d'euros pour le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), 7,6 millions pour l'Association française de normalisation (Afnor), 8,9 millions pour les centres techniques industriels, 14 millions pour les pôles de compétitivité, 8,3 millions pour des actions en faveur du numérique...
Le programme 220 « Statistiques et études économiques », qui assure le financement exclusif de l'Insee, voit ses autorisations d'engagement baisser de 4,3 % et ses crédits de paiement de 2,7 %. Les crédits du programme 305 « Stratégie économique et fiscale » baissent de 2 % en crédits de paiements et en autorisations d'engagement. Enfin, le programme temporaire 343 « Plan France très haut débit » dispose pour la première fois de crédits de paiement à hauteur de 175,8 millions d'euros, ce qui permet de financer effectivement les réseaux d'initiative publique déjà validés, mais les autorisations d'engagement tombent à 5 millions d'euros.
J'en viens maintenant à l'examen de trois points particuliers. Après des années de baisse, le projet de loi pour 2019 sonne le glas du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), placé en « gestion extinctive ». Ce fonds serait uniquement doté de crédits de paiement pour un montant de 6,10 millions d'euros, cette somme ayant pour seule ambition d'assurer le paiement d'opérations territoriales ayant fait déjà l'objet de décisions d'octroi de subvention. Mais il n'y aura pas de financement de nouveaux projets en 2019.
Cette extinction est d'autant moins compréhensible qu'elle intervient alors que le Gouvernement a diffusé le 30 mai 2018 un nouvel appel à projets pour bénéficier des sommes du fonds et qu'il présentait jusqu'alors le Fisac comme l'un des instruments financiers au soutien de son plan « Action coeur de ville ».
Certes, en 2019, des crédits non utilisés, initialement affectés à d'anciennes opérations dont le financement s'est finalement avéré moins élevé que prévu, seront mobilisés, ce qui fait qu'au total, les montants réellement disponibles en 2019 pour financer les actions engagées préalablement devraient être de l'ordre de 16 à 18 millions d'euros.
Mais cet arrêt définitif du Fisac est d'autant moins acceptable que le Sénat avait au contraire souhaité en faire l'un des éléments de la reconquête commerciale des centres villes. La proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres villes et centres bourgs, adoptée le 14 juin dernier - à l'unanimité - prévoyait en effet d'élargir l'objet du fonds tout en fléchant prioritairement ses crédits vers les communes ayant adhéré à une opération de revitalisation locale.
Certes, la compétence économique des régions fait de ces dernières les premiers acteurs du développement local et, le cas échéant, de la redynamisation artisanale ou commerciale. Mais l'État ne doit pas pour autant se priver d'un outil d'intervention qui peut permettre d'assurer des aides ponctuelles et ciblées dans un objectif de complémentarité, voire de rééquilibrage, d'une action locale défaillante faute de crédits disponibles.
Lors de leur audition, les représentants de la direction générale des entreprises ont soutenu que l'extinction du Fisac ne remettrait pas en cause le bon achèvement du plan « Action coeur de ville », qui compte 5 milliards d'euros mobilisés sur 5 ans. C'est évident. Cependant, par nature, l'opération « Action coeur de ville » ne bénéficiera pas à l'ensemble des villes moyennes ni surtout aux centres bourgs qui peuvent être dans une situation de dévitalisation commerciale avancée.
C'est donc pour ces territoires fragiles, où le maintien parfois d'un unique commerce permet d'assurer l'animation du bourg ou du village, que le Fisac s'avère un instrument essentiel. Il est d'autant plus important qu'il puisse être maintenu qu'il n'est pas acquis que les collectivités territoriales concernées puissent compenser la suppression des crédits de ce fonds par une augmentation à due concurrence de leurs propres subventions.
Dans ces conditions, je vous proposerai un amendement afin d'ouvrir des crédits d'engagement pour 2019, destiné à assurer la pérennité du Fisac en le dotant de 30 millions d'euros, tant en crédits de paiement qu'en autorisation d'engagement - amendement identique à celui que la commission des finances a adopté la semaine dernière. Il prélève les sommes nécessaires à égalité sur les programmes 220 « Statistiques et études économiques » et 305 « Stratégie économique et fiscale », en fléchant 5 millions d'euros pour les petites stations-services.
Deuxième point, l'évolution des missions économiques des directions régionales des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). Le projet annuel de performance indique que leurs « missions de développement économique seront recentrées en 2019 sur un nombre plus ciblé de priorités, en cohérence avec les compétences exercées par les régions. » Il s'agirait de : l'accompagnement des difficultés des entreprises ; l'accompagnement des filières stratégiques, notamment dans la mise en oeuvre des contrats de filière ; la participation à la politique d'innovation par le suivi en particulier des pôles de compétitivités, des sociétés d'accélération de transfert de technologie (SATT) et des instituts de recherche technologique (IRT) ; l'information stratégique et la sécurité économique ; et la médiation aux entreprises et l'information sur l'investissement.
Le personnel des Direccte affecté aux missions économiques devrait donc être considérablement réduit. Lors de son audition, Bruno Le Maire a ainsi évoqué une baisse des effectifs du ministère dans ces directions régionales de 400 ETPT à 120 ETPT, pour parvenir ainsi à une dizaine d'ETPT par région seulement.
Une évolution du rôle économique des Direccte est effectivement devenue nécessaire du fait de trois évolutions récentes majeures : la montée en puissance de la compétence économique des régions, matérialisée par l'édiction des schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), le rôle joué par les opérateurs spécialisés de l'État, à commencer par Bpifrance et Business France, et la forte baisse au cours des dernières années des moyens humains et financiers de l'État dans les territoires.
Pour autant, il est important que cette évolution n'aboutisse pas à un abandon pur et simple de toute action micro-économique de la part de l'État ; il faut au contraire qu'elle assure un recentrage de l'action de l'État fondé sur des principes de subsidiarité et de garantie des équilibres économiques nationaux, car l'État est seul à même d'avoir une vision du développement économique qui dépasse l'échelle régionale. Sur ce point, je rejoins d'ailleurs les préconisations formulées dans le rapport de nos collègues Martial Bourquin et Alain Chatillon à l'occasion de la mission d'information du Sénat sur Alstom et la stratégie industrielle du pays, en élargissant le propos au-delà du seul secteur de l'industrie.
Il faut donc d'abord que ce recentrage permette véritablement à l'État déconcentré de jouer le rôle de coordinateur des acteurs publics et parapublics dans la mise en oeuvre d'une stratégie d'équilibre économique des territoires, en favorisant les synergies entre les acteurs. Dans ce cadre, les services déconcentrés doivent renforcer leur capacité d'initiative ou d'animation afin de relayer les priorités nationales, dans le respect des compétences des différents intervenants de la politique économique dans les territoires régionaux.
Les services déconcentrés de l'État doivent également favoriser l'information et le cas échéant, l'accès des entrepreneurs locaux aux offres émanant des acteurs privés d'aide à la création et d'accompagnement d'entreprises : entre autres, l'association pour le droit à l'initiative économique (Adie), les Boutiques de gestion, Positive planète, France active, Initiative France, Fondation Entreprendre, Association 100 000 entrepreneurs, Association Tous repreneurs, Réseau Groupement de créateurs...
Ce rôle apparaît d'autant plus important que le Gouvernement a décidé l'absorption au 1er janvier 2019 de l'Agence France entrepreneur (AFE) par Bpifrance et le recentrage de ses missions - jusqu'alors généralistes - aux seules créations d'entreprises dans les quartiers, comme on dit. Les Direccte doivent donc assurer une interface au niveau local, le cas échéant en lien avec les services compétents des régions, avec les entrepreneurs des territoires qui ne seraient pas dans les quartiers ou territoires fragiles.
Ensuite, malgré ce recentrage, il faut conserver des capacités d'intervention ponctuelles ciblées, complémentaires de celles des autres acteurs. Dans ce cadre, il est donc souhaitable que, dans l'évolution envisagée par le Gouvernement, l'administration centrale s'appuie davantage sur ces services pour impulser des actions efficaces et ciblées en faveur des entreprises.
Parmi ces actions, outre le Fisac, le programme 134 prévoyait jusqu'alors des actions collectives, en particulier dans le domaine de l'industrie, d'un montant fort réduit avec 3,3 millions d'euros en autorisations d'engagement et 4,4 millions en crédits de paiement en 2018, visant à favoriser la compétitivité des entreprises. Pourtant, à l'instar du Fisac, ces actions collectives sont mises en extinction. On ne peut que déplorer cette suppression d'un instrument d'un coût budgétaire modique, qui peut pourtant s'avérer efficace pour assurer des actions d'accompagnement ponctuelles des entreprises, complémentaires à celles pouvant être menées par les autres acteurs publics et parapublics.
Plus largement, il est indispensable de réallouer les moyens financiers aux besoins des politiques d'équilibre des territoires. Lors de son audition devant la commission, le ministre de l'économie et des finances a évoqué l'inutilité du « saupoudrage » des crédits. On peut en prendre acte. Mais cela ne doit pas conduire à tout supprimer, mais plutôt à les cibler sur des projets et vers les territoires où elles peuvent s'avérer les plus efficaces.
Troisième sujet : l'organisation des acteurs du monde consumériste, que j'avais déjà abordée lors du projet de loi de finances pour 2018. Après avoir diminué de l'ordre de 5 % par rapport à 2017, les crédits d'intervention destinés aux acteurs du monde de la consommation - associations de consommateurs, institut national de la consommation, notamment - baissent à nouveau de 10,8 % en 2019 par rapport à 2018 pour s'établir à 7,5 millions d'euros.
Dans le même temps, le projet annuel de performance annonce une évolution de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui « permettra un recentrage sur les missions les plus stratégiques - la protection des consommateurs et des entreprises vertueuses - et une organisation territoriale plus fluide et plus efficiente ».
Dans ce cadre, la DGCCRF entend concentrer sa mission de contrôle sur les enquêtes les plus complexes, de niveau national ou exercées sur plaintes. Parallèlement, une réflexion serait en cours pour faire externaliser les contrôles dits à faible valeur ajoutée, tels que ceux effectués, notamment dans les restaurants, sur les produits en remise directe. Cette réflexion est le corollaire, sinon la conséquence, du redimensionnement des effectifs de la DGCCRF depuis plusieurs années, qui devrait se poursuivre en 2019 du fait d'une nouvelle réduction du plafond d'emplois de 45 ETPT.
Du point de vue de l'organisation territoriale, la DGCCRF explore la piste de l'interdépartementalité afin de mutualiser les compétences présentes dans les départements, dès lors que certains d'entre eux disposent déjà de moins de dix agents. Une adaptation des modèles d'organisation au sein des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations est également à l'étude, afin de renforcer les synergies avec les personnels relevant d'autres administrations et de les adapter aux besoins des territoires.
La modicité et la réduction constante des moyens financiers mis en oeuvre par l'État en faveur de la protection du consommateur doivent incontestablement conduire à une réflexion d'ensemble sur l'architecture du système de protection des consommateurs. Je regrette que, plutôt que de s'engager dans une telle voie, le Gouvernement ait retenu une politique de rabot continu qui paralyse progressivement l'action des acteurs sans les engager dans un modèle d'organisation alternatif.
Or cette réflexion devrait porter sur deux axes ; d'abord sur une clarification des rôles respectifs des acteurs. Trois catégories d'acteurs sont aujourd'hui en charge de l'information et de la protection des consommateurs : la DGCCRF, l'Institut national de la consommation (INC) et les treize centres techniques régionaux de la consommation (CTRC), ainsi que les quinze associations de consommateurs agréées. Or la complémentarité des actions de la DGCCRF et de l'INC suscite aujourd'hui des interrogations, notamment en matière d'information générale des consommateurs. Face à la raréfaction des moyens budgétaires, le temps n'est plus à l'émiettement des actions de communication publique. À ce stade, deux schémas alternatifs peuvent être envisagés : le premier consisterait en un recentrage de la mission d'information générale des consommateurs sur l'INC, mission première de l'établissement, afin que la DGCCRF ne conserve elle-même qu'une mission de communication de crise, corollaire indispensable de ses missions régaliennes ; le second schéma conduirait à l'inverse à soustraire à l'INC sa mission d'information générale, pour laisser à la DGCCRF le soin d'exercer seule cette mission, ce qui conduirait alors à s'interroger sur le maintien même de l'INC.
Quelle que soit la solution retenue, l'écosystème de la consommation devra au moins trouver des synergies plus efficaces, d'abord entre les services de l'administration. L'affaire Lactalis a montré que les contrôles en matière de sécurité des consommateurs dans le domaine alimentaire devaient être renforcés, et que la dispersion des responsabilités dans la chaîne de contrôle entre diverses administrations est préjudiciable à l'efficacité des contrôles et peut créer des difficultés de communication à l'occasion notamment de la mise en oeuvre des procédures de retrait et de rappel des produits.
Ensuite, il faut renforcer les synergies entre la DGCCRF et l'INC. Au cours de son audition, l'INC a souligné l'absence en 2018 de lettre de mission du ministre chargé de la consommation, et le fait que les discussions en vue de la conclusion d'un nouveau contrat d'objectif et de performance pour 2019 n'avaient toujours pas été engagées avec la DGCCRF... Cette situation illustre un certain dysfonctionnement dans la gouvernance de l'écosystème consumériste et dans les relations entre ses principaux acteurs. Il faudrait trouver des synergies également entre l'INC - et le réseau des treize centres techniques régionaux de la consommation qu'il est chargé d'animer - et les associations de consommateurs agréées.
En tout état de cause, il faut fortifier l'intervention des acteurs. Pour ce faire, il est essentiel qu'un financement suffisant soit garanti aux opérateurs publics pour qu'ils exercent convenablement leur mission. Par ailleurs, si l'on souhaite que les associations de consommateurs renforcent dans les territoires leur rôle de relais pour l'information et l'aide individuelles aux consommateurs, il leur faut un financement public effectif. Dans ce cadre, une plus grande modulation de la subvention versée aux associations peut être une piste de réflexion, à la condition qu'elle repose sur des critères clairs et objectifs, en ayant pour but premier d'appuyer des associations disposant d'un maillage dans les territoires à même de fournir aux consommateurs l'information nécessaire sur l'exercice de leurs droits.
En outre, même s'il est important de maintenir et de favoriser le pluralisme associatif, il y a lieu de s'interroger sur la viabilité des plus petites associations qui dépendent très fortement des subventions publiques ou qui disposent d'un faible maillage local. Il faut donc examiner dans quelle mesure des alliances ou des regroupements peuvent intervenir entre certaines des associations agréées. Sur ce point, au cours des auditions a d'ailleurs été évoquée une volonté de regroupement de trois petites associations agréées, qui devrait intervenir dans les prochains mois.
Vous le voyez, une réflexion globale est essentielle mais le Gouvernement ne semble pas encore enclin à s'y prêter. Dans ces conditions, je suggère que notre commission se saisisse de cette question, en entamant des travaux d'auditions plus larges afin de réfléchir au positionnement des différents acteurs et de proposer des pistes d'évolution.
Dans l'attente de nos conclusions, je vous propose de maintenir les crédits d'intervention au monde de la consommation à leur niveau actuel, soit 8,5 millions d'euros. Je vous soumets en conséquence un amendement abondant l'action n° 24 de 1 million d'euros en autorisations d'engagement et en moyens de paiement, prélevés sur le programme 305.
Je pensais dans un premier temps qu'il fallait rejeter les crédits de la mission. Mais si nous adoptons les amendements qui nous font revenir à plus de raison, je vous suggère que nous donnions un avis favorable.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 29 - Etat B
L'amendement AFFECO.1 abonde les crédits du FISAC de 30 millions d'euros en autorisations d'engagement, dont 5 seraient fléchés vers les stations-services de proximité.
Je ne conteste pas le bien-fondé de votre amendement : le Fisac a bien besoin de ces crédits. Mais quelles en seraient les conséquences pour les programmes où vous effectuez les prélèvements, « Statistiques et études économiques » et « Stratégie économique et fiscale ». Ce sont des sujets éminemment importants... Je pense à la stratégie industrielle par exemple.
Les crédits sont prélevés pour moitié sur les crédits de l'Insee et du Trésor, donc jamais sur des dépenses d'intervention. Cela n'a rien à voir en tout cas avec la stratégie industrielle.
L'Insee produit des statistiques de très grande qualité et de manière plutôt indépendante...
Certes, mais si nous voulons abonder le Fisac, il faut faire des choix...
Comme toujours, les amendements budgétaires sont un exercice difficile, puisqu'ils consistent à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Nous voterons les amendements : il faut envoyer un signal fort sur le Fisac. On peut toujours discuter du choix du gage, l'Insee produit certainement des statiques utiles, y compris pour les décisions locales, mais y aurait-il d'autres gages disponibles ?
Le budget de l'Insee est de 463 millions d'euros, c'est conséquent. Nous en prélevons 15 millions.
Je voterai contre. Comme l'a dit Cécile Cukierman, il est toujours difficile de déshabiller Paul pour habiller Jacques. Je sais que l'Insee et le Fisac font du bon travail. Mais il y a en France 1 224 agences qui nous coutent 15 milliards d'euros de fonctionnement. Certains organismes, utiles autrefois, le sont moins ; d'autres auraient besoin de plus de crédits aujourd'hui. La commission pourrait mener un travail sur ce sujet.
Je rejoins les collègues qui alertent sur l'extinction du Fisac, qui, même réduit, reste utile. Il est toujours compliqué d'aller chercher des crédits sur d'autres programmes... mais il s'agit ici d'alerter le Gouvernement.
L'un des rôles majeurs du Fisac pour le plan « Action coeur de ville » était l'ingénierie, l'aide au démarrage, bref des dépenses de fonctionnement. On ne fait pas tout cela avec des prêts de la Caisse des dépôts et consignation. Attention aux fausses bonnes idées ! Il faut marcher sur deux jambes, l'investissement et le fonctionnement.
Je n'ai pas apprécié que le Gouvernement se défausse sur les collectivités, et en particulier sur les régions, lorsqu'il a voulu éteindre le Fisac. Il faut bien entendu le maintenir.
Non seulement le Fisac aide les petits commerces en milieu rural, mais il permet surtout d'obtenir des financements européens Leader (Liaison entre actions de développement de l'économie rurale). Ces aides avaient un effet de levier considérable.
L'amendement n° AFFECO.1 est adopté.
L'amendement AFFECO.2 prélève un million d'euros sur le Trésor au bénéfice du programme « Développement des entreprises et régulation. » pour maintenir le niveau des crédits d'intervention en faveur du monde de la consommation.
L'amendement n° AFFECO.2 est adopté.
Je commenterai, pour ma part, le volet « Numérique et postes » de la mission « Économie », en commençant par les crédits « Numérique et postes » du programme 134.
Comme l'année dernière, les modalités de définition de la dotation versée par l'État à la Poste pour compenser sa mission de transport de la presse restent discutables. L'État et la Poste ont défini une trajectoire d'évolution de cette dotation à la baisse dans le contrat d'entreprise de la Poste pour la période 2018 à 2022 sans associer les représentants de la presse, contrairement à la méthode adoptée entre 2008 et 2015. Par ailleurs, cette dotation de compensation trouverait davantage sa place au sein du programme 180, qui traite des aides à la presse. C'est, au demeurant, ce que souhaitent les professionnels.
La subvention versée à l'Agence nationale des fréquences (ANFr) augmente pour absorber une nouvelle mission et compenser la suppression d'une taxe affectée. A champ constant, elle augmente légèrement pour atteindre 32,2 millions d'euros. A ce montant s'ajoutent d'abord 5 millions d'euros de crédits de paiement en vue d'assurer sa nouvelle mission de gestion de la diffusion du temps légal français à partir du site d'Allouis, mission qui lui est confiée par le projet de loi dite ELAN.
S'y ajoutent également 2,5 millions d'euros qui viennent compenser la suppression de la taxe additionnelle à l'IFER « mobile » par le présent projet de loi de finances. Cette recette était affectée au financement du dispositif national de surveillance et de mesure de l'exposition aux ondes créé par la loi « Grenelle » de 2009. Le remplacement de cette recette fiscale dynamique par des crédits budgétaires induit des risques pour le financement de ce dispositif, qui permet à chacun d'obtenir une mesure des ondes auxquelles chaque demandeur est exposé. Si, à ce jour, ce dispositif est très largement financé, on ne peut totalement écarter l'hypothèse d'une hausse du nombre de saisines, avec le déploiement du compteur Linky et de la 5G. Il conviendra donc d'être vigilant à l'avenir.
Plus globalement, sur le sujet de l'exposition aux ondes, il me semble qu'un travail renforcé de pédagogie à destination du grand public serait utile, au-delà des six bonnes pratiques déjà identifiées par l'État dans le cadre d'une campagne de sensibilisation effectuée en novembre 2017.
Le financement de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), à hauteur de 22,6 millions d'euros en crédits de paiement, apparaît satisfaisant, mais celle-ci se voit régulièrement confier de nouvelles missions. Il convient de souligner que les efforts effectués par l'Autorité pour contenir l'évolution de sa masse salariale ont été salués par la Cour des comptes en décembre dernier.
J'en viens maintenant au programme 343, qui est depuis 2015 le véhicule budgétaire du plan « France très haut débit ». L'année 2018 se distingue par une accélération des déploiements en fibre optique sur l'ensemble du territoire, de l'ordre de 50 % d'augmentation pour les réseaux d'initiative publique. En conséquence, le budget 2019 prévoit, pour la première fois, l'ouverture de crédits de paiement pour financer les engagements de financement pris par l'État auprès des collectivités locales.
En zone moins dense d'initiative privée, l'État est parvenu cette année à obtenir de nouveaux engagements de déploiement de la part d'Orange et de SFR. Ce sont de bonnes nouvelles. Il convient néanmoins de ne pas s'en satisfaire car, afin d'atteindre l'objectif de 80 % de la population éligibles à la fibre optique en 2022, il faudra accélérer le rythme des déploiements : celui-ci serait d'environ 3 millions de prises en 2018, il devra être de l'ordre de 3,5 à 4 millions pour atteindre les objectifs. Ces futures prises étant principalement situées dans les zones à moindre densité de population, il convient de ne pas sous-estimer le défi à relever.
Dans le même temps, la question de l'après 2022 se pose d'ores et déjà, alors que l'Europe a fixé un objectif commun aux États membres de « société du gigabit » d'ici 2025. À ce jour, le guichet « France très haut débit » est suspendu, dans l'attente des résultats des appels à manifestation d'engagement locaux (Amel). Cette dernière initiative lancée par le Gouvernement fin 2017 afin de confier aux opérateurs privés la charge de déployer sur leurs fonds propres dans des zones d'initiative publique est mitigée, et traîne en longueur. Afin de donner de la visibilité à l'ensemble des acteurs des infrastructures numériques, il convient de solder ce processus dès 2019 pour de premières orientations sur le financement des réseaux d'initiative publique après 2022.
Parallèlement au déploiement de la fibre, le réseau en cuivre de l'opérateur historique ne doit pas être oublié. C'est pourquoi la mise en demeure adressée par l'Arcep à l'opérateur historique afin qu'il respecte ses obligations de qualité de service en tant qu'opérateur du service universel est bienvenue.
Désormais, les technologies alternatives à la fibre seront accompagnées par l'État selon des modalités améliorées dans le cadre du « guichet cohésion numérique » en cours de mise en place. Ce guichet vise à permettre à deux millions de locaux de bénéficier d'un « bon haut débit » (8 mégabits par seconde) en 2020. Au-delà de 2020, ces technologies alternatives, c'est-à-dire le hertzien terrestre et spatial, devraient être mobilisées sur 15 % des locaux de la zone moins dense d'initiative publique en 2022 (30 mégabits par seconde).
Ayant plaidé pour une prise en compte améliorée de ces solutions, et notamment du satellite, je me réjouis de la mise en place de ce guichet. Afin de renforcer son efficacité, il conviendrait que l'aide financière de 150 euros soit articulée avec les aides octroyées par les collectivités territoriales et que ces dernières fassent l'objet d'une forme d'harmonisation au niveau national.
Après ce bref exposé d'analyse des crédits, je vous proposerai d'émettre un avis favorable sur le volet « Numérique et postes » des crédits de la mission économie pour 2019.
J'en viens maintenant aux considérations d'ordre fiscal, qui me permettront d'évoquer avec vous le New Deal mobile conclu entre l'État et les opérateurs au début de cette année, qui vise à accélérer substantiellement le déploiement des infrastructures de téléphonie et d'internet mobiles sur le territoire. Dans ce cadre, l'État renonce à percevoir des ressources financières importantes lors de l'attribution des ressources rares que constituent les fréquences et, en contrepartie, les opérateurs voient leurs obligations de déploiement substantiellement renforcées. Ces derniers se sont ainsi engagés à déployer 5 000 nouveaux sites 4G dans le cadre d'un dispositif de couverture ciblée, sur des zones identifiées au niveau local en lien avec les collectivités, à généraliser la couverture en 4G en équipant tous leurs sites existants et tous les nouveaux sites, et à renforcer la couverture des axes routiers et ferroviaires et, enfin, à généraliser la couverture téléphonique à l'intérieur des bâtiments, à travers la voix sur wifi.
En contrepartie, le Gouvernement s'était engagé à procéder à des simplifications normatives. Le volet législatif de cet engagement a été mis en oeuvre dans la loi dite ELAN et substantiellement renforcé par le Sénat. Le Gouvernement se serait également engagé à mettre en place une fiscalité incitative aux déploiements, en exonérant d'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER) mobile les déploiements mis en place dans le cadre du New Deal. C'est finalement à travers un amendement du rapporteur général que l'Assemblée nationale devrait exonérer d'IFER mobile les déploiements effectués dans le cadre du dispositif de couverture ciblée, qui concerne les 5 000 nouveaux sites par opérateur. Cette disposition paraît bienvenue car de nature à accompagner l'accélération des déploiements à laquelle les opérateurs se sont engagés.
Il m'a paru intéressant de procéder à un rapide zoom sur l'agence du numérique, qui doit être absorbée par la nouvelle agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) - puisque le Gouvernement n'a pas jugé utile de procéder à une évaluation. Créée en 2015, elle réunit trois services créés entre 2003 et 2013, avec trois missions différentes. Il s'agit d'abord de son coeur de métier, c'est-à-dire la gestion du plan France Très haut débit, ensuite, de la coordination des divers dispositifs de soutien aux jeunes pousses rassemblés derrière la marque « la French Tech », enfin, d'une mission « société numérique » qui oeuvre pour l'inclusion numérique en France.
Globalement, on peut estimer que l'agence a su mener à bien des missions très diverses et particulièrement évolutives. Si les synergies entre les missions sont difficiles à estimer, les méthodes de chaque pôle sont proches : il s'agit de missions à dominante opérationnelle en soutien à des écosystèmes locaux.
J'insisterai ici plus particulièrement sur les actions de l'agence en matière d'inclusion numérique. Le pôle de l'agence en charge de l'inclusion numérique vise à développer la culture numérique de tous les citoyens et leur capacité d'agir dans la société numérique. Malheureusement, il ne dispose pas des moyens de ses ambitions. Constitué de cinq personnes, il est doté de crédits budgétaires de l'ordre de 400 000 euros chaque année. Créé en novembre 2016, ce pôle a d'abord connu une activité relativement modeste. Il est dorénavant en charge du pilotage opérationnel du plan national pour un numérique inclusif présenté en septembre dernier, et qui résulte très largement des constats d'une phase de réflexion organisée depuis décembre 2017 par le pôle.
Ce plan peu ambitieux comprend des mesures disparates et, pour l'essentiel, déjà mises en oeuvre. Deux mesures apparaissent plus significatives et tendent à démontrer que l'État s'intéresse à ce sujet et est prêt à y attribuer des moyens plus substantiels.
Ces deux mesures se situent dans la lignée des actions amorcées par l'Agence du numérique depuis deux ans. Il s'agit, d'abord, de généraliser le « pass numérique », en mobilisant 10 millions d'euros de financements publics. Ce « pass », expérimenté depuis plusieurs années avec l'aide de l'Agence du numérique, est un instrument permettant de financer des actions d'accompagnement et de formation de la population au numérique dans des lieux labellisés. Les 10 millions d'euros en provenance de l'État ont vocation à mobiliser 40 millions d'euros complémentaires.
La deuxième mesure consiste à tenter de structurer les instances de la médiation numérique en région en une dizaine de hubs, en s'appuyant sur cinq millions d'euros mobilisés par la Caisse des dépôts et consignations. Il s'agit d'une énième tentative de structuration du secteur depuis les années 2000. Rappelez-vous les « espaces publics numériques », qui se sont développés à partir de 1999 !
Malgré ces financements supplémentaires, qui démontrent que le Gouvernement fait un effort en matière d'inclusion numérique, je reste dubitative quant à la capacité de ces dispositifs à véritablement sensibiliser au numérique les personnes qui en sont éloignées et ne ressentent pas la nécessité de s'y intéresser.
S'agissant de l'intégration de l'agence du numérique à l'ANCT, je rappelle le schéma retenu : les pôles en charge de la gestion du plan France Très haut débit et de l'inclusion numérique seraient transférés, avec le personnel, à l'ANCT. Seul le pôle « French Tech » resterait à Bercy. La plus-value à attendre de cette intégration reste à démontrer. On peut imaginer que l'ANCT pourra donner plus de visibilité et permettra d'affecter davantage de moyens humains au plan France Très haut débit et à l'inclusion numérique.
Néanmoins, j'identifie plusieurs points de vigilance : l'agence du numérique disposait de très petites équipes (35 personnes en tout), ce qui permettait une certaine agilité et une grande réactivité - il conviendra de préserver ces qualités à l'avenir ; une cotutelle devra être organisée entre le ministère de la cohésion des territoires et les ministères économiques et financiers ; il conviendra également d'apporter le plus grand soin à la mise en oeuvre de l'intégration des équipes de l'agence à l'ANCT, afin de ne pas ralentir les actions en cours concernant le déploiement des infrastructures numériques et l'inclusion numérique. Deux écueils sont à éviter : les pertes de connaissances et la démobilisation des agents, qui seraient fort dommageables au vu de l'importance du sujet.
Dans la résorption des zones blanches, les opérateurs jouent le jeu, mais ils continuent à installer de la 3G dans des territoires ruraux où il n'y a pas la trace de haut débit. Il faut leur imposer de mettre de la 4G ! L'autorité doit faire son travail avec autorité, justement. On se moque des ruraux, dans cette affaire !
C'est justement l'objectif du New Deal : les opérateurs doivent installer de nouveaux pylônes avec la 4G.
Le dispositif est en train d'être mis en place. Prenez contact avec les représentants de l'agence du numérique dans le département, qui sont en train d'identifier les manques. Encore faut-il que le département se saisisse de la question... La loi ELAN renforce les sanctions prononçables par l'Arcep. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase. Il ne faut pas hésiter à se saisir des nouveaux outils disponibles.
Le président de l'Arcep, à qui j'ai posé cette question la semaine dernière, m'a dit : on ne peut rien exiger des opérateurs avant 2022. Devons-nous faire quelque chose pour changer cela ?
Les 5 000 points sont ouverts. La discussion est ouverte entre les territoires et les opérateurs au sein d'équipes-projets organisées au niveau départemental. Il faut saisir le département, interlocuteur naturel de l'agence des points sensibles, de ceux où les opérateurs continuent à installer de la 3G...
L'Arcep menace aujourd'hui Orange d'une amende de 1,5 milliard d'euros si elle ne fait pas son travail. C'est largement grâce aux remontées des élus. Il y a un vrai changement... et donc un espoir de voir l'itinérance implantée sur notre territoire.
Vous voulez parler d'itinérance téléphonique, j'imagine... (sourires) En effet. Le New Deal fournit des contreparties aux opérateurs : ils acquièrent des fréquences à bon prix ; nous avons donc le droit de leur demander d'agir.
Nous en sommes tous persuadés. Il est temps maintenant de veiller à la bonne mise en oeuvre des engagements des opérateurs.
Nous faisons tous ce constat. Mais il faut saluer le Gouvernement qui s'est lancé depuis le 1er janvier dans un nouveau partenariat qui doit maintenant se déployer. Pour cela, il faut s'approprier le dispositif. Les opérateurs doivent déployer la 4G là où l'État leur dit de la déployer.
L'industrie - dont je vais vous parler - va mieux. L'année 2018 a confirmé la reprise de la production industrielle, qui avait durablement souffert des conséquences de la crise économique entre 2008 et 2013. Elle bénéficie désormais d'un « haut de cycle » favorable, portée par une demande en hausse et par le dynamisme des échanges commerciaux.
Toutefois, les entreprises industrielles françaises restent fragilisées. Si la production et l'investissement ont repris, si les taux de marges ont augmenté et que le creusement du déficit commercial semble ralentir, les chiffres ne cachent pas que l'industrie française ne tire pas autant profit que ses voisins européens de la conjoncture favorable. Il faut donc continuer à soutenir la transformation de notre industrie. Un engagement renouvelé de l'État est nécessaire, afin de permettre aux entreprises un meilleur accès au financement, à la transformation technologique et aux marchés internationaux. C'est dans cette perspective que j'ai examiné le projet de loi de finances pour l'année 2019.
À la lecture du projet de loi, le constat est tout d'abord celui d'une mission « Économie » aux moyens limités, et à vocation généraliste. Les crédits de paiement sont en légère hausse, mais les autorisations d'engagement chutent de 17 % par rapport à 2018. Près de la moitié des crédits est désormais consacrée à des dépenses de personnel, alors que moins d'un euro sur trois est réellement dédié à des dépenses d'intervention. Je crains que ces chiffres ne réduisent la capacité de l'administration et des opérateurs à mener des actions de long-terme auprès des entreprises. Il semble que le Gouvernement, avec l'amélioration de la conjoncture, soit tenté de moins intervenir.
Il me semble nécessaire de ne pas précipiter l'extinction des dispositifs nationaux, alors que la stratégie économique des régions est encore dans une phase de montée en puissance. Nous avons besoin d'un État qui intervient à côté des régions.
Par exemple, le budget de l'année 2019 éteint les actions menées par le ministère de l'Économie en administration centrale au profit des filières et des PME, bien qu'il maintienne les actions déconcentrées pilotées par les Direccte. Si le choix d'une mise en oeuvre plus territorialisée est louable, j'estime qu'il est nécessaire de conserver a minima une enveloppe globale de crédits identique. Je vous proposerai donc d'adopter un amendement visant à maintenir le niveau actuel de dotation globale pour les actions de soutien à la compétitivité des entreprises : 3,2 millions d'euros de dotation seront préservés, et alimenteront les actions à destination des pôles de compétitivité, qui tirent la langue, alors qu'on a besoin d'eux pour instiller l'innovation dans les territoires.
Le programme 134 « Développement des entreprises et régulation » de la mission « Économie », qui porte la plupart des crédits d'intervention, rassemble des actions très diverses, allant des prestations de soutien à l'export de Business France aux travaux relatifs aux normes industrielles. Pour 2019, la lisibilité de ces crédits est rendue encore plus complexe : pas moins de sept actions sont éteintes, alors que deux actions nouvelles au périmètre très large sont créées. L'ancienne « Action en faveur des entreprises industrielles » est supprimée - comme ça ! Une nouvelle action 23 « Industrie et services » rassemble désormais tous les crédits relatifs à l'industrie, à l'artisanat, au commerce, et aux divers services. Cette profonde refonte n'a pas été justifiée, et complique considérablement le travail de contrôle du Parlement. Est-ce volontaire ?
Cette refonte révèle en réalité une baisse des crédits dédiés à l'industrie et aux services, qui seront inférieurs de 19 % à la somme des actions éteintes. Les dépenses d'intervention baisseront de plus d'un tiers. Il faut s'en alarmer : quel est l'intérêt du changement de structure, si une proportion plus faible des dépenses est effectivement dirigée vers les entreprises et les collectivités ? Ce qui compte, c'est l'intervention, c'est d'avoir les moyens d'intervenir lorsqu'il y a un projet économique.
En 2019, les dépenses fiscales restent l'outil principal de conduite de la politique économique, mais l'industrie n'en bénéficie que très peu. Celles qui se rattachent à la mission « Économie » atteindront plus de 28,2 milliards d'euros, c'est-à-dire plus de trente fois le total des crédits du programme dédié au développement des entreprises. Les trois quarts de ce montant sont dédiés au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui basculera à compter de cette année sur une baisse pérenne de cotisations de charges sociales.
Le reste consiste en une multitude de micro-dépenses fiscales. Je constate donc un manque de ciblage des efforts fiscaux, qui s'assimile, hors CICE, à un saupoudrage. Par ailleurs, seul le tarif réduit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les industries électro-intensives vise spécifiquement l'industrie, qui est donc la grande absente de la stratégie fiscale du Gouvernement.
Cela étant, il y a lieu de nous féliciter de l'adoption à l'Assemblée nationale du dispositif de « suramortissement » qui permettra aux PME de déduire de leur bénéfice imposable 40 % de la valeur de leurs investissements dans des biens robotiques, informatiques ou digitaux jusqu'à fin 2020. Cette mesure avait été adoptée à l'unanimité par le Sénat puis supprimée par l'Assemblée nationale dans le projet de loi de finances pour 2018. Je me réjouis de ce revirement. Il s'agit d'une grande avancée, qui accompagnera notre tissu productif dans son virage vers l'industrie du futur.
Je regrette toutefois la dispersion des crédits relatifs à l'industrie au sein de plusieurs programmes, voire de missions. Je relève une tendance à la débudgétisation. Ainsi, dans le dernier programme d'investissements d'avenir (PIA), au titre du programme « Accélération de la modernisation des entreprises », aucune dépense n'a encore été effectuée sur certains postes, comme les actions « Grands défis » ou « Industrie du futur ». D'autres politiques, telles que l'accompagnement et la transformation des filières, relèvent désormais du Secrétariat général pour l'investissement. Une telle multiplication des acteurs est nuisible au suivi et à l'évaluation de ces dépenses. Qui pilote la politique industrielle de notre pays ? Où sont les évaluations des premier et second PIA ? J'interrogerai le Gouvernement sur ces points.
Je note tout de même avec satisfaction que le Gouvernement prévoit une multiplication par neuf des moyens dédiés à la constitution et au développement des filières au titre du troisième PIA. La stratégie de filière sera structurante pour notre industrie.
L'effort en faveur de l'innovation reste élevé. J'avais identifié, dans l'avis budgétaire de l'année dernière, l'impact positif des projets Nouvelle France industrielle et Industrie du futur, des dispositifs successifs de suramortissement et du crédit d'impôt recherche (CIR). La France est désormais une terre attractive pour la recherche et le développement. Le projet de loi de finances pour 2019 prévoit judicieusement une réforme du régime fiscal s'appliquant aux brevets, afin de conditionner les avantages fiscaux à l'exécution de dépenses de recherche et développement sur le territoire français.
La condition sine qua non du maintien de l'emploi industriel est la modernisation de l'activité de production. C'est grâce à la transformation de l'outil industriel que les entreprises tireront profit du gain de compétitivité engendré par l'innovation. C'est tout l'enjeu de la mesure de suramortissement. Une étude récente de France Stratégie déplore d'ailleurs le retard de l'industrie française en matière d'investissement dans la machinerie, les entreprises préférant investir dans les actifs incorporels comme les logiciels. L'effort de l'État envers l'industrie doit donc bénéficier aux différents secteurs et ne pas se concentrer sur les entreprises les plus innovantes.
Cependant, l'avantage comparatif tiré de l'innovation est réduit par le poids élevé de la fiscalité. L'industrie est l'un des principaux contributeurs aux recettes fiscales de l'État et des collectivités. Alors que l'impôt sur les sociétés est en baisse, et que le désavantage de la France en termes de coût de la main-d'oeuvre est presque comblé, le véritable enjeu de compétitivité est désormais la fiscalité de production, qui pèse de façon disproportionnée sur l'industrie. La qualification de local industriel en matière foncière a un impact important sur nos entreprises industrielles. Le ministre de l'économie a souligné devant notre commission l'intérêt d'une réflexion sur l'allégement des impôts de production. Celle-ci ne saurait en aucun cas conduire à une diminution des ressources des collectivités territoriales, qui ont déjà largement été mises à contribution ces dernières années. Le débat est juste, mais biaisé pour nos collectivités.
Par ailleurs, le projet de loi de finances durcit sensiblement la fiscalité énergétique. L'enjeu est double pour les entreprises industrielles : leurs marges seront réduites, et la demande des consommateurs changera. La suppression des taux réduits de TICPE sur le gazole non routier (GNR) et la hausse du prix des carburants représententeront en 2019 2 milliards d'euros de taxes supplémentaires sur les entreprises. L'industrie extractive fera les frais de cette politique. En séance publique, je déposerai donc un amendement visant à repousser l'entrée en vigueur de cette suppression, afin de laisser aux entreprises industrielles le délai nécessaire pour adapter leurs équipements.
Enfin, le Gouvernement entend tirer parti du dynamisme des taxes affectées qui financent, entre autres, les centres techniques industriels (CTI) chargés de diffuser les progrès techniques aux PME de leurs secteurs et de les soutenir à l'export. Le projet de loi de finances pour 2019 réduit de 10 % la dotation de l'État et baisse le plafond des taxes affectées, afin de reverser à l'État les surplus. J'y suis opposé, à l'heure où le Gouvernement déclare que la transformation technologique et l'innovation sont des priorités. Les prélèvements sur les entreprises industrielles doivent continuer à financer les CTI et non abonder le budget de l'État. Je vous proposerai d'adopter un amendement visant à maintenir le niveau de dotation budgétaire actuel des CTI et, en séance publique, un amendement supprimant la baisse des plafonds des taxes affectées aux CTI.
La fiscalité pèse toujours plus sur les entreprises industrielles. Si l'on exclut l'effet de la « double année » de bascule du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), une hausse de 1,6 milliard d'euros de prélèvements sur les entreprises se dessine en 2019.
J'en viens au volet thématique de mon avis budgétaire : la transformation de la filière automobile, qui est, avec plus de 213 000 emplois directs et 2 millions d'emplois induits, le premier secteur industriel du pays. PSA et Renault génèrent près de 124 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel. Un contrat de filière a été signé le 22 mai 2018, sous l'impulsion du Conseil national de l'industrie. Au sein de cette filière, les grands constructeurs et les équipementiers de rang mondial jouent un rôle d'avant-garde innovante, consacrant en moyenne 16 % de la valeur ajoutée produite à l'investissement. Chez les équipementiers de rang 2 et 3, l'enjeu est davantage la transformation de l'outil productif.
Avec la hausse de la fiscalité énergétique et les incitations à la transition rapide vers des énergies propres, jusqu'à 30 % de la filière serait fragilisée. L'évolution technologique est donc une priorité pour tous les échelons de la chaîne de valeur.
Tout d'abord, il est essentiel que les politiques publiques respectent une neutralité technologique qui permette la diversification de l'industrie et ne bride pas l'innovation dans tous les domaines. La voiture à hydrogène, par exemple, est en pointe au Japon. Ne retombons pas dans les travers du tout-diesel avec un tout-électrique dont on ne mesure pas tous les enjeux.
Ensuite, la stratégie de filière et les pôles de compétitivité doivent être encouragés, afin de partager les bénéfices de l'innovation et de la compétitivité.
Par ailleurs, l'investissement dans la transformation des équipements et des outils de production doit rester la priorité. Nos entreprises industrielles ne peuvent pas manquer le virage de l'industrie du futur. Le suramortissement ou l'accompagnement par l'Alliance Industrie du Futur, par exemple, sont à cet égard essentiels.
En outre, la fiscalité pesant sur l'industrie doit être repensée, sans pour autant remettre en cause l'autonomie des collectivités territoriales. La fiscalité de production ne saurait réduire la compétitivité durement acquise en matière d'innovation ou de coût de la main-d'oeuvre.
Enfin, il faut refaire de l'industrie une fierté nationale. Celle-ci souffre d'un déficit d'image qui réduit son attractivité et contribue au manque main d'oeuvre qualifiée. Pourtant, l'industrie est notre avenir.
Pour conclure, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2019 est loin d'apporter toutes les solutions aux problèmes structurels de l'industrie française. Il met trop fortement à contribution la mission « Économie » et ne remédie pas à la dispersion des crédits de la politique industrielle, sans alléger la pression fiscale sur les entreprises industrielles. Cependant, il introduit plusieurs mesures très attendues. Nos amendements permettront, je l'espère, de corriger sensiblement l'orientation proposée par le Gouvernement.
Je voudrais souligner que l'imposition de la production est moitié moindre en Allemagne qu'en France, où elle s'élève à 83 milliards d'euros.
S'agissant des subventions, je suggère des économies en obligeant les entreprises bénéficiaires du crédit d'impôt recherche à rester en France pendant cinq ans.
Enfin, je suis attaché à la création d'un plan d'épargne en actions (PEA) défiscalisé au bout de dix ans dédié aux investissements à risque dans les PME, PMI, ETI : 1 % de l'assurance-vie, ce sont 17 milliards d'euros qui permettraient aux salariés et aux chefs d'entreprises d'investir. En Allemagne, les fondations sont totalement défiscalisées. Le ministre de l'économie et des finances y était favorable, mais les lobbies l'en ont curieusement dissuadé. Raisonnons donc différemment, au-delà du seul budget de l'État.
Je ne sais pas si l'industrie va mieux lorsque je regarde notre balance commerciale, dont le déficit est estimé à 70 milliards d'euros en 2019, notre 24e rang européen en matière de chômage. Les experts s'attendent à un ralentissement de l'économie mondiale. Or la France souffre d'un manque de compétitivité.
Si le président de l'Alliance pour l'industrie du futur, Bruno Grandjean, reste optimiste, il constate que 16 usines ont été construites depuis 2009, quand 576 ont disparu. Il cite aussi les difficultés de recrutement rencontrées par les chefs d'entreprises, les artisans, les restaurateurs. Quand allons-nous nous saisir de cette question ?
Enfin, il souligne que le Gouvernement n'a pas pris la mesure du problème concernant la fiscalité. Nous débattons du projet de loi de finances, il faut trouver des solutions pour favoriser les usines françaises, l'emploi, la balance commerciale et l'intérêt des Français.
Je salue l'analyse de Martial Bourquin et je rejoins les considérations de notre collègue Duplomb. Évidemment, on peut toujours voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, mais il faut tout de même s'alerter sur certains sujets.
Il convient de définir une stratégie industrielle déployée dans les territoires. Les entreprises, les filières sont prêtes à s'engager, mais doivent être accompagnées, notamment dans les pôles de compétitivité.
Je voudrais citer le cas d'Ascoval, cette coentreprise détenue par Ascometal et Vallourec, qui est en difficulté. Il s'agit d'une filière d'acier spécial extrêmement compétitive, qui émet 210 kilos de CO2 par tonne, contre 1,6 tonne de CO2 par tonne chez HKM. Altifort est un repreneur solide, reconnu, après une étude commandée par le Gouvernement. Qui est autour de la table ? Quelques 12 millions d'euros sont proposés par la région, 10 millions d'euros par la communauté d'agglomération pour soutenir un projet de restructuration qui demanderait 180 millions d'euros. Ce projet est bloqué par le peu de moyens : il faut les mobiliser via la BPI, l'État et le passif social que Vallourec doit honorer.
L'État stratège doit être au rendez-vous pour actionner tous les leviers nécessaires au bouclage du cofinancement. Bruno Le Maire s'y emploie, mais il a besoin de moyens. Or le fonds de développement économique et social (FDES) diminue de 50 millions d'euros, autant de prêts en moins pour accompagner les projets de restructuration industrielle.
Pour ce qui est de la filière acier, arrêtons de tergiverser ! (Applaudissements.)
Je salue à mon tour l'engagement de Martial Bourquin. J'aimerais obtenir plus de précisions sur l'avenir des pôles de compétitivité.
Je partage l'avis de Laurent Duplomb. Au moment où la production cesse de diminuer, il faut justement investir dans l'industrie. Transformer le CICE en baisses de charges ne suffit pas. Les besoins d'accompagnement à l'export et à l'innovation sont lourds pour les PME-TPE.
Les pôles de compétitivité, indispensables, sont en danger si l'État continue à se désengager. Celui de Toulouse, que nous avons visité, ne pouvait pas tenir plus de quatre ans. Nous veillons à ne pas baisser la garde sur l'industrie.
Sur Ascoval, l'État aurait dû être exemplaire : il s'agit de l'industrie du XXIe siècle. J'ai été surpris que le Gouvernement attende des investisseurs privés. Alstom a été sauvée à plusieurs reprises. L'État doit être pilote.
Je m'associe aux propos qui ont été tenus, notamment sur Ascoval. Si cette entreprise ferme, ce sont également des sous-traitants et des emplois qui disparaissent. Il faut sauver les entreprises innovantes. Notre pays manque d'une réelle stratégie industrielle.
Je m'interroge sur la notion d'État stratège. L'économiste Pierre-Noël Giraud a attiré notre attention sur la composition des chaînes de valeur. Les grands pays créent de la valeur, non pas tant dans la production industrielle, située pour l'essentiel dans les pays à bas coût, mais à l'aval de la filière, dans la relation avec le consommateur.
Dans un contexte de globalisation et de transports à bas coûts, quelle est la stratégie de la France en Europe, échelon indispensable quant à notre avenir industriel ? Cette question n'est pas traitée.
Les start-ups sont importantes, mais aussi notre industrie traditionnelle ; il faut penser les deux. Nous avons besoin d'une vraie politique industrielle.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 39
ÉTAT B
L'amendement AFFECO.3 a pour objet de maintenir le niveau actuel de l'enveloppe globale des dotations budgétaires dédiées au soutien à la compétitivité des entreprises industrielles. En 2018, ces politiques industrielles de soutien se composaient des actions pilotées par l'administration centrale et des actions pilotées de manière décentralisée par les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi (Direccte), en partenariat avec les régions. Le projet de loi de finances pour 2019 éteint les actions pilotées en centrale.
L'enjeu des pôles de compétitivité est essentiel. Cet amendement propose donc d'augmenter la dotation budgétaire consacrée aux actions pilotées de manière décentralisée du montant des autorisations d'engagement ouvertes en 2018 au titre des actions pilotées en centrale. L'enveloppe globale des actions menées restera ainsi au même niveau en 2018 et en 2019.
L'amendement AFFECO.3 est adopté.
L'amendement AFFECO.4 a pour objet de maintenir le niveau actuel de dotation budgétaire des CTI et organismes assimilés.
Le projet de loi de finances pour 2019 réduit d'un million d'euros la dotation budgétaire des centres, ce qui représente une baisse de 10 % entre 2018 et 2019, et de 40 % depuis 2017. L'article 29 abaisse de surcroît les plafonds des taxes affectées sectorielles. Nous proposons de restaurer le niveau de dotation budgétaire au CTI. Cet amendement est complémentaire de celui que je proposerai sur la première partie du texte en séance, afin de supprimer la baisse des plafonds des taxes affectées aux CTI.
Je soutiens cet amendement, en indiquant que cette nouvelle baisse constitue un véritable hold-up sur les taxes affectées de la part du Gouvernement.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Économie » sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Nous examinons à présent le rapport pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».
EXAMEN DU RAPPORT
L'examen des crédits « Énergie » du projet de loi de finances s'inscrit cette année dans le contexte particulier de la hausse des taxes sur l'énergie et de ses conséquences sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens et la compétitivité de nos entreprises. Si la mobilisation sur le sujet est nouvelle, je veux rappeler que nous n'avons pas attendu cette année pour tirer le signal d'alarme : depuis le vote fin 2015 du premier relèvement de la trajectoire carbone programmé pour 2017, notre commission dénonce l'absence de véritables mesures de compensation ; l'an dernier, avec la double accélération décidée par le Gouvernement, qui portait à la fois sur la taxe carbone et la convergence essence-diesel, nous avions encore alerté sur l'explosion de la fiscalité énergétique et prédit que les Français n'en mesureraient les effets que lorsque les prix de l'énergie remonteraient. Nous y sommes, et sans doute pour longtemps, car malgré les baisses de ces dernières semaines, tout indique que nous entrons dans une période durable de pétrole cher. C'est heureux pour la planète, car un pétrole cher incite à la modération, mais, avec la hausse de la taxe carbone, c'est la double peine !
Face à la colère légitime des Français, que répondent le Président de la République, le Gouvernement et la majorité ? D'abord, que ce ne serait pas la faute de l'exécutif : la hausse des prix viendrait, pour environ deux tiers, de l'évolution des cours mondiaux et pour un tiers seulement de la hausse des taxes. C'est exact, mais cela n'empêche pas d'agir sur ce tiers et je rappelle au passage que les taxes comptent déjà pour les deux tiers du prix à la pompe. Ils nous disent ensuite que tous les candidats à l'élection présidentielle de 2007 avaient accepté le principe d'une taxe carbone et que c'est le Gouvernement précédent qui, le premier, l'avait mise en oeuvre. Certes, mais ce n'était ni dans les mêmes proportions ni dans les mêmes conditions de compensation - les quatre premiers milliards de taxe carbone avaient ainsi été compensés par le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et par des taux réduits de TVA. Le Sénat lui-même avait fait adopter, dans la loi de transition énergétique, le principe d'une trajectoire carbone jusqu'en 2030, mais plus progressive et surtout conditionnée à l'exigence d'une stricte compensation par la baisse d'autres taxes.
C'est donc bien le Gouvernement actuel qui a décidé l'accélération très puissante de la trajectoire l'an dernier, et qui annonce des mesures de compensation insuffisantes, quand il ne présente pas la baisse des cotisations ou celle de la taxe d'habitation comme la contrepartie de ces hausses. Au total, selon une étude récente, la politique fiscale du Gouvernement fera au moins deux catégories de perdants : les 20 % de ménages les plus modestes et les retraités des deux derniers déciles, sans compter les classes moyennes rurales ou périurbaines dont les dépenses de carburant sont plus élevées que la moyenne, voire les fonctionnaires qui ne gagneront pas à la baisse des cotisations.
Pour mesurer l'ampleur du phénomène, on peut bien sûr évoquer les grandes masses : d'ici à 2022, ce sont 46 milliards d'euros supplémentaires de fiscalité énergétique qui seront prélevés sur la richesse nationale, soit en moyenne 9,2 milliards d'euros par an, sans compter le milliard supplémentaire lié à la suppression du taux réduit du gazole non (GNR) prévue cette année. Mais au-delà de ces chiffres toujours un peu abstraits, il y a surtout des réalités très concrètes : en 2018, 30 % des Français ont restreint leur consommation de chauffage pour limiter leurs dépenses énergétiques ; depuis le début de l'année, le tarif réglementé du gaz a progressé de 24 % pour les ménages chauffés au gaz, avec une taxe en hausse de 44 % ; le prix du fioul a augmenté dans les mêmes proportions. Pour un ménage consommant 45 litres de carburant par semaine, la hausse intervenue en deux ans équivaut à environ un Smic à l'année.
On voudrait parfois réduire l'affaire à une question de ressenti, mais les chiffres sont là. Il serait commode de n'y voir, de Paris, que le mécontentement d'une France périphérique et rurale peuplée d'adeptes forcenés du diesel, insensibles aux enjeux environnementaux ou sanitaires. Nous savons qu'il n'en est rien, car lorsqu'on leur propose des alternatives crédibles, les Français s'en saisissent : le succès massif de la prime à la conversion le prouve.
Cette fiscalité est d'autant plus perçue comme injuste que son produit n'est que partiellement destiné au financement de la transition énergétique : sur les 37 milliards de TICPE attendus en 2019, 7 milliards financeront directement les énergies renouvelables et un peu plus d'1 milliard les infrastructures de transport. Sur les plus de 7 milliards de hausse intervenus depuis 2017, 82 % iront au budget de l'État tandis que la part transférée aux collectivités locales restera globalement stable. Nous serons nombreux à soutenir la proposition, déjà adoptée par le Sénat l'an dernier, d'affecter une part de taxe carbone aux collectivités locales ; encore faudra-t-il s'assurer qu'elle est bien destinée à financer des actions de transition énergétique, pour ne pas suivre le mauvais exemple donné par l'État.
L'an dernier, le Gouvernement n'avait pas caché son « objectif de rendement budgétaire » et n'avait présenté comme mesures de compensation que le renforcement de la prime à la conversion et la généralisation du chèque énergie. Dans leur périmètre actuel, ces mesures laisseraient à la charge des Français 3,1 milliards de pression fiscale supplémentaire au titre de leurs dépenses d'énergie en 2018, et près de 5,9 milliards sur 2018 et 2019.
Cette année, le Gouvernement a d'abord revu sa communication, en insistant tantôt sur l'objectif de lutte contre le changement climatique, tantôt sur l'enjeu de santé publique, puis en rapportant ces hausses à d'autres grandes masses : parfois à l'ensemble des baisses décidées par ailleurs, d'autres fois à l'ensemble des mesures de soutien à la transition, y compris celles qui préexistaient ou dont le Gouvernement a réduit la voilure, comme le crédit d'impôt transition énergétique (CITE). Constatant que ces explications étaient sans effet sur l'opinion, l'exécutif a fini par envisager des mesures de compensation nouvelles dont le détail s'est fait attendre et dont on sait un peu plus depuis ce matin. Il est désormais question d'une surprime à la conversion de 4 000 euros pour les 20 % de Français les plus modestes, d'un élargissement de l'indemnité kilométrique aux petites cylindrées, d'une extension du chèque énergie à 2 millions de personnes supplémentaires, d'un renforcement de la prime à la conversion des chaudières fioul ou encore de défiscaliser les aides des collectivités ou d'accélérer la mise en place du forfait mobilité versé par les employeurs.
Si l'analyse méritera d'être affinée, je pense que la surprime à la conversion et l'extension du chèque énergie vont dans le bon sens, mais que ces mesures, dont le coût budgétaire annoncé est de 500 millions d'euros, restent loin de couvrir l'explosion des taxes, qui se poursuivrait du reste l'an prochain. J'ajoute que certaines des mesures annoncées consistent à faire payer par d'autres l'effet des décisions prises par l'État : ce sera le cas de la prime renforcée à la conversion des chaudières fioul, qui renvoie en fait au dispositif des coups de pouce liés aux certificats d'économies d'énergie (C2E) financés par les vendeurs d'énergie, et qui sont d'une façon ou d'autre répercutés sur les consommateurs, mais aussi des aides des collectivités ou du forfait mobilité. Quant à l'indemnité kilométrique, son effet restera modeste.
Je déborde sans doute du cadre budgétaire, mais en répondant de façon trop timide à la colère des Français, le Gouvernement prend deux risques : un risque économique - les hausses de taxes auront des conséquences sur le moral des ménages, et donc sur la croissance - et un risque politique, lié à la montée des tensions dans le pays et aux tentatives de récupération du mouvement de contestation par les extrêmes.
Les choses ne sont d'ailleurs pas aussi simples que le Gouvernement le dit sur deux points. Lorsqu'il affirme vouloir taxer la pollution plutôt que le travail, il oublie que les Français ne se déplacent pas pour le plaisir de polluer, mais, notamment, pour se rendre au travail ; avec ces taxes supplémentaires, le travail paie donc moins. En outre, le bénéfice environnemental de cette politique n'est pas avéré : se fonde-t-on sur l'analyse du coût environnemental complet du remplacement d'un véhicule déjà amorti par un nouveau, sans compter qu'un ancien diesel consomme généralement moins qu'une essence, même récente ? Compare-t-on les coûts complets du thermique et de l'électrique sur l'ensemble du cycle de vie, de la fabrication au recyclage ? Les réponses apportées par le Gouvernement me permettent d'en douter.
Que pouvons-nous faire de notre côté ? Il ne s'agit pas de revenir sur le principe même de la taxe carbone, qui est bon, mais de constater que le signal prix est déjà suffisant pour faire changer les comportements quand on dispose d'alternatives ; je rappelle d'ailleurs qu'avec la hausse accélérée appliquée cette année, le prix de la tonne de carbone est déjà en 2018, à peu de choses près, celui qui était prévu pour 2019. L'enjeu n'est donc pas de revenir sur les hausses déjà appliquées, mais de geler, compte tenu de la hausse des cours mondiaux, la fiscalité énergétique à son niveau de 2018. Sans cela, 6,5 centimes supplémentaires par litre de gazole et 2,9 centimes par litre d'essence s'appliqueront au 1er janvier prochain.
Tel est le sens de l'amendement que je présenterai en première partie, en mon nom puisque la commission n'en est pas saisie pour avis, sachant que le rapporteur général de la commission des finances devrait défendre la même position. Je proposerai aussi le maintien du taux réduit pour le GNR, car sa disparition alourdirait de près d'1 milliard les charges de secteurs tels que l'industrie extractive ou le BTP, qui n'ont à ce jour que peu ou pas d'alternative ; du reste, s'ils parviennent à les répercuter dans leurs prix, ce sont leurs clients, dont les collectivités publiques, qui en souffriront. En lien avec le poids croissant de la fiscalité énergétique, je vous proposerai aussi plusieurs mesures d'accompagnement et d'aide à la transition pour nos concitoyens, pour les secteurs économiques et les territoires les plus impactés.
J'en viens aux crédits « Énergie ». Je rappellerai d'abord que le budget n'épuise pas les sujets énergétiques. En dépit de la budgétisation de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) votée fin 2015, il reste des dispositifs extrabudgétaires, à commencer par les C2E, qui représenteront 9 milliards d'euros entre 2018 et 2020 et se retrouvent dans les prix - ils comptent déjà, par exemple, pour 3 centimes par litre de carburant. Ensuite, les outils de programmation qui déclinent les objectifs fixés par la loi ne relèvent pas du législateur et se déploient aussi au niveau local, en particulier au travers des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), voire des zones à faible émission (ZFE) que les collectivités peuvent décider de mettre en place. Le bannissement des vieilles voitures annoncé dans le Grand Paris en témoigne. Enfin, des mesures énergétiques sont disséminées au gré des textes législatifs.
En 2019, les dépenses de soutien aux énergies renouvelables (EnR) continueront de progresser fortement, avec une hausse de 7,8 %, pour atteindre environ 7,3 milliards d'euros ; 5,2 milliards seront consacrés aux EnR électriques et 1,8 milliard au remboursement de la dette de CSPE vis-à-vis d'EDF, pour financer ces énergies. Cette progression tiendra bien sûr à la poursuite du développement des filières mais aussi au poids des engagements passés : l'an dernier, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) avait calculé que les deux tiers du soutien public actuel résultaient de décisions prises avant 2011, en particulier avant le moratoire sur le photovoltaïque. Cette année, elle estime que les engagements pris jusqu'à la fin 2017 représenteront 121 milliards d'euros, en euros courants, entre 2018 et l'échéance des contrats ; sans engagements nouveaux, la charge annuelle culminera en 2025 et ne baissera significativement qu'après 2030, pour s'éteindre à l'horizon 2045.
Je veux dire un mot sur le biométhane injecté : même si les volumes sont encore modestes - moins de 1 % du gaz consommé en 2017 -, ils ont été multipliés par dix depuis 2015 et les soutiens devraient encore doubler en 2019 pour atteindre environ 130 millions d'euros. Quant aux dépenses de cogénération, elles continueront également de progresser et atteindront 725 millions d'euros en 2019, du fait de nouvelles capacités installées et des hausses de taxes sur le gaz et des prix de marché.
Il reste que, malgré les investissements consentis et le développement très significatif observé au cours des dernières années, la part des ENR dans la consommation d'énergie, passée de 9,6 % à 16 % entre 2005 et 2016, reste en deçà de la trajectoire requise pour atteindre la cible de 23 % fixée pour 2020, qui ne sera probablement pas atteinte.
Sur le plan industriel, le bilan ne paraît pas non plus à la hauteur des subventions versées, comme la Cour des comptes l'a récemment souligné. Si les EnR ont des retombées économiques réelles - 21,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2016, toutes activités confondues, en incluant le soutien public -, la valeur des investissements français dans les équipements fabriqués en France n'était que de 1,4 milliard d'euros en 2016, soit 6,6 % du chiffre d'affaires total. Dans les EnR électriques, les industries françaises couvrent moins de la moitié de la valeur ajoutée des investissements et moins de 25 % de la fabrication.
En 2016, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) évaluait le nombre d'emplois directs liés aux EnR, hors biocarburants, à 79 000, dont 35 % à 45 % pour la maintenance et l'exploitation, 25 % à 30 % pour l'installation et 15 % seulement pour la fabrication et l'assemblage. Ces emplois étaient répartis à 42 % dans les EnR électriques et à 58 % dans les EnR thermiques.
Pour repositionner la France dans la chaîne de valeur, plusieurs pistes doivent à mon sens être explorées : dans les filières existantes, les soutiens publics devraient être rééquilibrés au profit des énergies renouvelables thermiques qui, outre le fait qu'elles sont globalement plus pourvoyeuses en emplois, ont de plus le mérite d'être pilotables, d'exploiter la forêt française pour le bois-énergie ou de générer des revenus complémentaires pour les agriculteurs au travers de la méthanisation. Je vous proposerai d'ailleurs d'augmenter le Fonds chaleur de l'Ademe et de réduire la TVA sur le bois-énergie de qualité. Dans les filières innovantes, la France a une carte à jouer à la fois dans les technologies de rupture, notamment en matière de stockage ou de gestion intelligente de l'énergie, et dans l'éolien flottant, même s'il importera d'en maîtriser les coûts.
Plus généralement, les critères environnementaux, tels que le bilan carbone des panneaux photovoltaïques, devraient être renforcés dans les appels d'offres, voire étendus aux arrêtés tarifaires, parce qu'ils permettent de déployer des technologies plus respectueuses de l'environnement tout en favorisant, indirectement, les industries françaises et européennes.
Pour conclure cette partie sur les EnR, je rappelle que les mécanismes actuels d'autorisation budgétaire ne permettent pas au Parlement de consentir à l'impôt de façon éclairée ; sans loi de programmation, nous en sommes réduits à approuver, sans pouvoir l'influencer, la tranche annuelle d'engagements pluriannuels qui résultent d'un décret portant programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), à l'élaboration duquel le Parlement est très peu associé.
J'en arrive aux dépenses de solidarité en direction, à la fois, des bénéficiaires du régime de l'après-mines, des zones non interconnectées (ZNI) ou des consommateurs en situation de précarité énergétique. Je ne dirai qu'un mot de l'après-mines, dont l'enveloppe, fixée à 360 millions d'euros en 2019, décline logiquement, avec une baisse de 7,8 %, à mesure de la disparition progressive des anciens mineurs et de leurs ayants droit.
Les dépenses liées à la péréquation tarifaire pour les ZNI sont très dynamiques : entre 2017 et 2019, elles devraient progresser de 11,8 % et atteindre près de 1,6 milliard d'euros, du fait de la hausse des prix des matières premières et des quotas de dioxyde de carbone (CO2), de la mise en service de nouveaux moyens de production renouvelable et d'une augmentation de la consommation dans certains territoires. En raison des investissements prévus par les PPE de ces territoires, les dépenses devraient rester durablement orientées à la hausse, d'où l'appel à la vigilance du régulateur pour éviter d'éventuelles surcapacités.
Les dépenses de protection des consommateurs précaires, après avoir connu une hausse de près de 60 % l'an dernier, liée à la généralisation du chèque énergie, se stabiliseraient à 740 millions d'euros en crédits de paiement, compte non tenu de l'extension annoncée ce matin, qu'il nous faudra chiffrer ; la revalorisation du montant moyen du chèque à hauteur de 50 euros serait compensée sur l'année par l'extinction des tarifs sociaux, même si l'évaluation des coûts est en réalité très dépendante du taux d'utilisation effectif du chèque énergie.
Ainsi, selon les hypothèses optimistes d'utilisation du chèque énergie retenues par le Gouvernement - 90 % en 2018 et 95 % en 2019, contre moins de 78 % lors de l'expérimentation -, le chèque énergie représenterait, dans son périmètre actuel, un surcoût par rapport aux tarifs sociaux de l'ordre de 60 millions d'euros en 2018 et de 260 millions en 2019, le tout pour un montant d'aides moyen supérieur, bien qu'il y ait des perdants, principalement les ménages chauffés au gaz. Le nombre de bénéficiaires supplémentaires resterait faible, même en retenant ces hypothèses favorables - 3,3 millions en 2018, soit autant que les tarifs sociaux avant leur disparition, et 3,5 millions en 2019 -, et encore ne retient-on pas le chiffre de 560 000 personnes n'encaissant pas le chèque évoqué par le ministre chargé du budget lui-même, soit un taux d'utilisation de 85 %. L'extension annoncée à 2 millions de personnes supplémentaires paraît donc plus que nécessaire...
Au-delà des difficultés d'appropriation par les ménages, le chèque énergie comporte un autre écueil, celui de ne pas aider au financement de travaux de rénovation énergétique : durant l'expérimentation, sur les 170 000 chèques distribués, moins d'une centaine avaient été utilisés à cette fin. Il est très probable qu'il en sera de même à l'échelle de tout le territoire, car le montant du chèque, même cumulable sur trois ans, reste trop faible pour déclencher, à lui seul, une opération de rénovation. C'est pourquoi je vous proposerai de doubler le montant du chèque énergie pour travaux.
Je signale par ailleurs l'absence très dommageable de deux dispositifs d'aide. Le premier, les afficheurs déportés, devrait pourtant être en vigueur depuis le 1er janvier dernier, mais aucun n'a été déployé à ce jour, faute de décision du Gouvernement sur les modalités de compensation des fournisseurs. Le second, sur lequel le Gouvernement n'a même pas remis le rapport demandé par le Sénat, vise les ménages précaires dont la chaudière ne pourra être adaptée au changement de gaz distribué dans le nord de la France ; là aussi, je vous proposerai un amendement pour y remédier.
L'année 2019 sera aussi marquée par un premier décaissement de 91 millions d'euros pour couvrir les coûts de la fermeture de Fessenheim, sur les 446 millions d'euros déjà budgétés mais non encore dépensés. Plus la fermeture sera retardée, moins l'État aura à dépenser pour compenser le manque à gagner pour EDF. Le projet de loi de finances crée par ailleurs un fonds de compensation des pertes fiscales liées aux fermetures de centrales nucléaires et thermiques, qui organise en réalité une péréquation entre collectivités ayant de telles centrales sur leur territoire. En d'autres termes, celles qui les conservent paieront pour celles qui les perdent, et aucune aide supplémentaire de l'État n'est prévue par rapport au mécanisme de perte de base actuel.
De plus, alors que les quatre dernières centrales à charbon fermeront d'ici à 2022, aucune ligne budgétaire comparable à celle prévue pour Fessenheim n'existe aujourd'hui pour indemniser et accompagner ces fermetures, alors que les projets de revitalisation industrielle des sites doivent se penser dès maintenant ; je vous proposerai donc de la créer.
Quant aux dépenses fiscales, elles devraient théoriquement refluer en 2019 pour atteindre environ 2 milliards d'euros, en raison du resserrement du CITE décidé l'an dernier. En réalité, le surcroît de commandes de fenêtres observé jusqu'à la suppression du crédit d'impôt augmentera la dépense d'au moins 400 millions d'euros en 2018 et en 2019. Quant à la transformation, promise l'an dernier, du CITE en prime, elle est désormais reportée à 2020 et, surtout, contrairement à l'engagement présidentiel, elle ne devrait concerner que les ménages les plus modestes, sans doute sous la forme d'une bonification des aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Les autres ménages devraient toujours faire l'avance des frais, le tout prenant la forme de montants forfaitaires selon les économies réalisées ; la réforme s'annonce donc bien complexe...
Pour 2019, le Gouvernement dit toujours travailler à plusieurs pistes, dont on attend toujours la concrétisation et qui n'ont pas toutes été abordées ce matin : il envisage de rendre éligibles la dépose des cuves à fioul et la main d'oeuvre pour les installations de chaleur renouvelable ou de porter à 50 % le taux du crédit d'impôt pour les audits énergétiques, le tout pour une dépense supplémentaire inférieure à 100 millions d'euros, voire de réintroduire les fenêtres dans le dispositif en cas de remplacement d'un simple vitrage, ce que le Sénat avait proposé l'an dernier et que le Gouvernement avait à l'époque refusé...
Je veux dire quelques mots pour finir des dispositifs de soutien aux industries intensives en énergie ; ceux-ci excèdent largement les seuls tarifs réduits de taxes intérieures de consommation financés par la mission à hauteur de 634 millions d'euros. Ils représenteraient près de 2,4 milliards d'aides sous des formes diverses. Je signale qu'un tarif réduit pour l'électricité consommée par les data centers a été ajouté à l'Assemblée et j'en profite pour alerter sur la situation particulière d'un secteur de niche, celui de la déshydratation de légumes, qui concerne quatre entreprises et au moins un millier d'emplois en France. Bien qu'étant intensif en énergie et exposé à un risque de fuite de carbone, ce secteur ne bénéficie aujourd'hui d'aucun tarif réduit, faute d'être inscrit sur la liste européenne des secteurs protégés. Or, sans gel de leur taxation au niveau de 2018, plusieurs des entreprises concernées sont condamnées à très brève échéance. Je déposerai donc un amendement pour les défendre.
Sous la réserve, forte, de l'adoption du gel de la fiscalité énergétique et de ces mesures de compensation supplémentaires, je vous propose d'adopter les crédits de la mission.
Je constate la stabilité générale des crédits et quelques légères hausses. Compte tenu de la tragédie écologique à laquelle nous commençons d'assister, on aurait pu s'attendre à un budget plus ambitieux.
La fiscalité écologique est nécessaire à la transition, mais je déplore l'insuffisance des mesures de compensation pour les ménages ne pouvant se passer de voiture ou de chauffage par énergie fossile. La transition énergétique doit être socialement inclusive. Nous déposerons un amendement tendant à instaurer une TICPE flottante pour compenser la hausse du cours du pétrole, et un amendement visant à rendre le chèque énergie plus consistant. Sous la pression des événements, le Gouvernement a proposé des mesures que le Sénat suggérait voilà quelques semaines. Cela dit, malgré ces annonces, le compte n'y est pas.
Je m'interroge sur l'utilisation des prélèvements écologiques supplémentaires. Même s'il ne s'agit pas de taxes affectées, il serait logique que ces crédits soient fléchés vers l'environnement et la transition plutôt que vers le budget général.
L'augmentation du Fonds chaleur de l'Ademe a été annoncée ; confirmez-vous cette annonce, monsieur le rapporteur ? Si c'est le cas, j'espère que cela ne se fera pas au détriment des autres fonds de l'Ademe. Pouvez-vous me rassurer à cet égard ?
La hausse des crédits relatifs à la qualité de l'air ne nous permettra pas d'atteindre nos objectifs, alors que de nombreux citoyens meurent prématurément à cause de cela.
Je regrette aussi l'inéligibilité au CITE des portes, fenêtres et volets isolants, ainsi que l'absence de transformation de ce crédit d'impôt en prime, qui aurait permis aux ménages modestes de rénover leur logement. Il y a huit millions de logements passoires aujourd'hui ; flécher les recettes de la taxation du carbone vers un CITE pour tous n'aurait été que justice.
Si l'autoconsommation se développe fortement, il faudra réformer le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE), en augmentant la part puissance et en diminuant la part énergie, faute de quoi la charge sera trop élevée pour ceux qui utiliseront uniquement l'électricité du réseau. Attention, à cet égard, à ne pas tuer la péréquation et la solidarité entre territoires, quand certains rêvent d'autarcie énergétique.
Autre déception, la diminution des soutiens publics à la recherche sur le stockage de l'électricité. Je souhaite aussi que le Parlement contrôle la mise en oeuvre des certificats d'économie d'énergie et le suivi des dépenses induites. Enfin, pourquoi ne pas inviter le Gouvernement à lancer un nouvel appel à projets de territoires à énergie positive, puisque le précédent a montré son efficacité ?
La situation que nous connaissons est prévue depuis plus de vingt ans. De nombreuses personnes ont tiré la sonnette d'alarme sur le tout-voiture, le tout-diesel. Nous sommes en situation d'urgence sociétale. Je m'inquiète du mouvement de samedi prochain, de ce soulèvement populaire.
Le Gouvernement annonce d'autres mesures complémentaires. La fiscalité carbone est nécessaire et elle ne diminuera pas. La consommation des énergies fossiles doit baisser drastiquement et rapidement, c'est une nécessité vitale pour tous. Je suis effaré de la quantité de publicités pour les voitures ; pourquoi ne pas taxer ces publicités ?
Par ailleurs, il faut envoyer des signaux de justice aux gens qui souffrent. On ne parle pas du kérosène, qui concerne les déplacements des classes aisées ; toute une partie de la population ne prendra jamais l'avion, pourquoi ne pas taxer le kérosène ?
Il en va de même avec le fioul lourd des bateaux de croisière et des porte-conteneurs. On se dirige vers une relocalisation de l'économie, donc taxer le fioul lourd serait une bonne mesure. De même, la question des fenêtres touche beaucoup la population.
Notre système purement français d'écologie punitive monte les gens les uns contre les autres, et, maintenant, on a peur que cela déborde. Il faut avoir une politique juste et de long terme. Comment expliquer que l'on taxe plus le diesel aujourd'hui alors qu'on a encouragé pendant des années à acheter des voitures diesel ? Comment expliquer qu'une si faible part des taxes perçues aille vers la transition énergétique ? Comment expliquer que la moitié des aides à la transition énergétique aient été supprimées ?
Je le rappelle : la France est responsable de 0,9 % des émissions de CO2 sur la planète, et ses émissions ont baissé de 14 % entre 1990 et 2015. La Chine émet 29,7 % du CO2 de la planète et ses émissions ont augmenté de 355 % sur la même période.
Enfin, dernier chiffre, sur le continent asiatique, on enregistre 2,58 naissances à la seconde. Alors, montons-nous les uns contre les autres, n'écoutons pas la colère des Français, et on aboutira à une situation bien pire.
La fiscalité écologique cible toujours les mêmes et je suis d'accord avec M. Labbé sur la fiscalité du kérosène et du fioul lourd. Pourquoi les activités portuaires et aéroportuaires ne participent-elles pas à l'effort de fiscalité écologique ? Les ressources considérables induites permettraient d'aider les particuliers, en particulier pour se rendre au travail. Par ailleurs, l'indexation du prix du gaz sur le pétrole est-elle toujours pertinente ?
Monsieur Duplomb, vous parlez de monter les Français les uns contre les autres, mais je vous renvoie à votre intervention d'hier dans l'hémicycle réclamant plus de crédits pour les pompiers volontaires. Vous demandez plus d'argent alors que l'on sait que le principal problème de notre pays réside dans ses finances. Je regrette que l'on demande toujours plus d'argent à tout sujet. Que l'on ait des différences d'approche, certes, mais il faut arrêter de jeter l'opprobre en affirmant que tel ou tel a complètement tort ; la vérité est toujours relative et éphémère. Nous devons construire un objectif commun pour notre pays. Je demande donc de la modération dans les interventions.
Je veux réagir à ce que vient de dire M. Navarro. Pour moi, ce budget éclaire les choix politiques du Gouvernement. On ne peut pas dire que l'on manque d'argent quand on tape les familles populaires d'une fiscalité maquillée en vert. Moins de 20 % seulement de la fiscalité est consacrée à l'écologie. Je ne déconnecte pas cette mission du reste du budget, partie recettes comprise. Sous prétexte de transition énergétique - le Gouvernement se moque bien de l'écologie -, on taxe l'essence, le gaz, le fioul domestique. Je le rappelle, 13 % de personnes sont en difficulté énergétique ; augmenter le prix du gaz va les mettre encore plus dans l'embarras. Je suis d'accord, on doit taxer davantage le kérosène, les croisiéristes, Total. Ce sont des choix de société.
18 millions de citoyens vivent en zone blanche de transport public, non seulement dans les territoires ruraux mais aussi en Seine-Saint-Denis. On a fait le choix politique de ne pas développer les transports publics ; le pacte ferroviaire a conduit à la fermeture de petites gares. Certains collègues l'ont soutenu mais ont défendu dans leur territoire le maintien du guichet dans leur petite gare. Il faut être cohérent...
On doit raisonner à l'échelle européenne sur la fiscalité pour ne pas mettre la France en difficulté par rapport à ses voisins européens.
Sur le Fonds chaleur de l'Ademe, je suis d'accord avec M. Courteau, il ne faut pas que l'abondement du fonds se fasse par le recyclage d'autres moyens. C'est précisément la raison pour laquelle je vous propose d'abonder le budget de l'Ademe de 100 millions d'euros supplémentaires.
Il me semble que notre commission, notamment lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, a été visionnaire sur la stratégie énergétique et sur les attentes de nos concitoyens, notamment sur la rénovation énergétique des logements.
Sur l'autoconsommation, je suis là aussi parfaitement d'accord. Si l'on s'engouffre dans cette pratique sans l'encadrer, c'est la solidarité territoriale qui sera menacée, alors qu'elle est exemplaire et précieuse - où que l'on se trouve sur le territoire, on bénéficie du même tarif - et qu'il faut la préserver. Il faudra sans doute en passer par une réforme du TURPE.
Sur l'idée consistant à relancer un appel à projets de territoires à énergie positive, soyons prudents et faisons déjà en sorte que les projets déjà engagés soient bien financés. L'an dernier, nous n'avions pas cette certitude...
Monsieur Labbé, il faut faire attention à ne pas se faire trop plaisir. On peut faire baisser le budget carbone en France mais si c'est au prix d'une explosion du carbone importé, ce sera un jeu de dupes.
Monsieur Duplomb, je suis d'accord, prenons garde à cette écologie punitive.
Madame Loisier, la question de la taxation du kérosène est stratégique mais elle ne peut être abordée qu'à l'échelon mondial. Il ne faudrait pas détourner le trafic aérien du territoire français. Ayons au moins une réflexion européenne.
Monsieur Gay, je partage votre constat. L'énergie est un tout. Elle influe sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens et sur la performance économique du pays. Derrière le dossier énergétique, il y a la balance commerciale et l'emploi. Et je rappelle que beaucoup de personnes n'ont aujourd'hui pas d'autre choix que le véhicule individuel pour se déplacer et pour aller travailler, y compris en milieu urbain. Pensons aussi à eux.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 39
ÉTAT B
L'amendement AFFECO.1 propose d'augmenter de 100 millions d'euros le budget du Fonds chaleur de l'Ademe, ce qui le porterait à 315 millions en 2019.
L'amendement AFFECO.2 est relatif aux fermetures de centrales thermiques ; quatre d'entre elles fermeront très prochainement. Je propose de créer une ligne relative à l'accompagnement de ces fermetures, dotée de 40 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 2 millions d'euros en crédits de paiement pour 2019, afin d'engager la reconversion de ces sites dès maintenant.
e. - Ces crédits sont très importants ; pour l'avoir vécu, je peux dire que ces fermetures représentent des drames territoriaux.
L'amendement AFFECO.2 est adopté.
L'amendement AFFECO.3 concerne le nord de la France, où les chaudières des gaz datant d'avant 1993 doivent être remplacées, car elles ne seront plus compatibles avec le gaz fourni - c'était jusqu'à présent du gaz venu des Pays-Bas qui était distribué. Je vous propose de prévoir 26 millions d'euros de crédits supplémentaires pour aider les ménages en situation de précarité énergétique à remplacer les appareils non adaptables.
L'amendement AFFECO.3 est adopté.
Enfin, l'amendement AFFECO.4 entend doubler le montant du chèque énergie lorsqu'il est utilisé pour financer des travaux, ce qui, cumulé sur trois ans et sur la base de son montant moyen, le porterait à 1 200 euros. Le chèque est en effet très peu consommé aujourd'hui pour cet usage, car son montant est trop faible par rapport au coût des travaux.
Nous voterons pour cet amendement. Nous proposerons un amendement procédant de la même démarche mais allant un peu plus loin. Nous pensons que le seuil d'éligibilité est trop faible ; il faut l'augmenter.
Votre demande devrait être satisfaite, puisque le Gouvernement a proposé ce matin d'élargir l'accès au chèque énergie. On devrait ainsi atteindre 2 millions de bénéficiaires supplémentaires.
L'amendement AFFECO.4 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Je rappelle que notre commission n'est saisie pour avis et ne peut amender que la deuxième partie du projet de loi de finances. Je déposerai des amendements sur la première partie en mon nom propre et proposerai bien entendu à ceux qui le souhaitent de les cosigner. Il s'agira en particulier du gel des taxes en 2019 et du maintien du taux réduit sur le GNR.
La réunion est close à 12 h 30.