Je souhaite tout d'abord la bienvenue à M. Pascal Martin, qui rejoint notre commission en remplacement de M. Charles Revet. M. Martin est normand, et appartient au groupe Union centriste (UC).
En application de l'article 8 ter du Règlement du Sénat, nous sommes aujourd'hui réunis pour désigner un rapporteur et examiner la proposition de résolution, déposée par tous les présidents de groupe et tous les présidents de commission, tendant à la création d'une commission d'enquête dans le cadre de l'incendie de l'usine Lubrizol. Cette proposition sera examinée jeudi matin par le Sénat en séance publique, dans la version que nous adopterons aujourd'hui, selon une procédure très simplifiée puisque, l'ordre du jour étant cette semaine fixé par le Gouvernement, nous n'avons obtenu qu'une courte plage de temps : chaque groupe politique aura deux minutes et trente secondes pour s'exprimer. Je me porte candidat pour être rapporteur.
La commission désigne M. Hervé Maurey rapporteur sur la proposition de résolution n° 20 (2019-2020) tendant à la création d'une commission d'enquête dans le cadre de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen.
Cette proposition de résolution vise à « évaluer l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen », à « recueillir des éléments d'information sur les conditions dans lesquelles les services de l'État contrôlent l'application des règles relatives aux installations classées et prennent en charge les accidents qui y surviennent ainsi que leurs conséquences » et à « tirer les enseignements sur la prévention des risques technologiques ». Sa recevabilité juridique au regard de l'ordonnance de 1958 doit encore être examinée par la commission des lois, qui se réunira demain.
Un incendie s'est déclaré dans la nuit du 25 au 26 septembre dans l'enceinte de l'usine Lubrizol, située à proximité immédiate du centre-ville de Rouen. En raison de la nature des substances stockées sur le site - l'usine produit des additifs pour les lubrifiants industriels et pour l'essence et le carburant diesel - l'incendie a provoqué une fumée noire, dont nous avons tous en tête les images, et qui a, par la suite, causé d'importantes retombées de suie. Grâce à l'intervention des sapeurs-pompiers et des forces de l'ordre, le feu a été maîtrisé dans la journée du 26 septembre.
Cet accident a plongé la population dans un profond désarroi, d'autant plus important que les communications successives du Gouvernement et des services de l'État, à grand renfort de conférences de presse quotidiennes, ont pu donner le sentiment d'une information confuse et peu transparente.
La proposition de résolution vise donc à créer une commission d'enquête pour faire toute la lumière sur les modalités d'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences de cet accident.
Ces conséquences sont de plusieurs ordres. Il s'agit d'abord de dégâts environnementaux : les fumées ainsi que les retombées de suie ont sans doute pollué l'air, les sols et l'eau. Il s'agit également de dégâts sanitaires, car il est tout de même question de l'incendie de plus de 5 000 tonnes de produits chimiques, voire de 10 000 tonnes, puisque l'on apprend aujourd'hui qu'il y en avait autant dans l'usine voisine Normandie Logistique. D'une part, certaines sources rapportent que plusieurs des sapeurs-pompiers, policiers et gendarmes n'auraient pas disposé d'équipements de protection suffisants. D'autre part, de nombreux habitants se sont plaints de maux de tête ou de difficultés respiratoires après avoir inhalé les fumées. Pour être allé hier à Rouen, je confirme que l'on sent une odeur inhabituelle. Les conséquences sont enfin économiques pour le territoire et ses nombreuses activités, au premier rang desquelles l'agriculture.
Or, malgré les inquiétudes et la colère légitimes des habitants de la région, les informations diffusées par le Gouvernement et les différents services de l'État n'ont pas convaincu.
Plusieurs ministres se sont ainsi succédé à Rouen, dans l'espoir de rassurer. Le Premier ministre a indiqué que les odeurs étaient « gênantes », mais « pas nocives », précisant, par ailleurs, que les premières analyses de la qualité de l'air n'avaient pas mesuré de « toxicité aiguë de l'air », alors même que la ministre de la santé annonçait quelques jours plus tard que personne ne savait « ce que donnent ces produits mélangés quand ils brûlent » et que la liste des produits stockés dans l'usine n'avait pas encore été publiée. Dans le même temps, le préfet a pris des mesures conservatoires sur les productions agricoles environnantes et l'agence régionale de santé de Normandie invitait à éviter tout contact avec les suies.
Ces indications peu coordonnées, parfois contradictoires, loin de rassurer les populations, ont conduit à accroître la suspicion quant à la véracité et la crédibilité des informations communiquées par les services de l'État. Plusieurs milliers de personnes ont ainsi manifesté dans la ville de Rouen, notamment devant la préfecture, pour réclamer « la vérité sur l'incendie ». De nombreuses fausses informations ont en outre été diffusées sur les réseaux sociaux. À la catastrophe industrielle a donc succédé une cacophonie médiatique. Si le Gouvernement, ainsi que la préfecture, ont prôné la transparence - le Premier ministre a d'ailleurs évoqué devant le Sénat « l'engagement absolu du Gouvernement à la transparence » -, la communication autour de l'incident et de ses conséquences a été chaotique.
Concernant les fermetures d'écoles, par exemple, l'information des directeurs a été clairement défaillante : plusieurs d'entre eux, mais aussi de nombreux élèves, se sont présentés dans leurs établissements sans avoir été informés de leur fermeture. Quelques jours plus tard, la réouverture des écoles après leur nettoyage n'a pas mis fin aux inquiétudes des familles et des enseignants. Plusieurs d'entre eux ont d'ailleurs décidé d'exercer leur droit de retrait, estimant que les conditions sanitaires n'étaient pas réunies pour accueillir les élèves. L'information des élus a, elle aussi, été lacunaire. Plusieurs maires des communes proches ont été informés très tardivement par les services de l'État. Certains ont eu connaissance des faits par les médias ou les réseaux sociaux bien avant d'être contactés par la préfecture. Dans ces conditions, comment pouvaient-ils informer la population ? Enfin, la publication, plus d'une semaine après l'accident, de la liste des produits stockés dans les enceintes de l'usine, a créé un nouveau sentiment de confusion. Comment se satisfaire de documents totalement inexploitables pour le plus grand nombre d'entre eux ? Je parle ici de tableaux de plusieurs milliers de colonnes et de plusieurs centaines de fiches de sécurité portant chacune sur une substance...
Cette réflexion, visant à évaluer les modalités d'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences d'un tel événement, doit se doubler d'une enquête sur les règles relatives aux installations classées et sur leur contrôle par les services de l'État. Cela doit constituer un autre volet de réflexion de cette commission d'enquête. D'emblée, cet accident industriel, qui est l'un des pires que la France ait connus depuis l'explosion de l'usine AZF en 2001, pose la question de possibles insuffisances de ces règles et de leur contrôle par les services de l'État.
En l'espèce, le site de Lubrizol est classé « Seveso seuil haut », en référence à la directive européenne « Seveso 3 » de 2012, qui concerne la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses. Concrètement, les sites Seveso, et a fortiori les sites Seveso seuil haut, correspondent à des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) particulièrement sensibles en raison de la dangerosité des substances qui y sont utilisées pour l'homme et son environnement. Le fait, pour une installation, de relever de cette nomenclature, emporte plusieurs obligations, notamment la réalisation d'une étude de dangers présentant plusieurs scénarios d'accidents possibles, ou encore la mise à disposition d'informations à destination des riverains. À cela s'ajoute un outil créé par la loi de 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, à savoir les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) visant à limiter les effets d'accidents susceptibles de survenir dans de telles installations et approuvés par arrêté préfectoral.
Le cas de Lubrizol nous conduit, collectivement, à nous poser la question plus générale de la bonne application des règles relatives aux installations dangereuses - notamment celles qui sont proches de lieux d'habitation - et des conditions du contrôle de leur application par les services de l'État. En 2018, le ministère de la transition écologique et solidaire recensait 1 312 sites Seveso, dont 705 sites seuil haut. Plusieurs questions se posent. Une telle catastrophe pourrait-elle se produire sur un autre de ces sites ? Les règles actuelles sont-elles suffisantes pour assurer la protection de nos concitoyens et prévenir les risques ? Leur application est-elle correctement contrôlée par les services de l'État ? Ce cas précis nous conduit à nous interroger en outre sur la réduction du champ des projets soumis à évaluation environnementale, réduction souhaitée par le Gouvernement - nous interrogerons tout à l'heure la ministre sur ce point.
Au total, la création d'une commission d'enquête doit renforcer le cadre juridique et améliorer les dispositifs existants, afin d'assurer la protection des populations et la préservation de l'environnement.
Pour toutes ces raisons, l'ensemble des groupes politiques du Sénat a jugé indispensable la création d'une commission d'enquête. Celle-ci aurait deux objectifs principaux.
D'une part, il s'agit de questionner la gestion par les services de l'État des conséquences de cette catastrophe, qu'elles soient de nature environnementale, sanitaire ou économique. En réponse aux différentes lacunes identifiées en matière de transmission de l'information, nous devons nous poser la question de la manière dont ces accidents sont pris en charge par les services de l'État, pour en tirer des leçons pour l'avenir.
D'autre part, il est essentiel de faire la lumière sur les conditions dans lesquelles les services de l'État ont été en capacité de contrôler l'application des règles en vigueur en matière d'installations classées, ce qui sera l'occasion de questionner le cadre juridique existant et de renforcer la prévention de tels risques.
La commission d'enquête devra aussi s'interroger sur la culture du risque dans les territoires et sur le rôle des collectivités territoriales à cet égard. Après l'épisode du nuage toxique en 1987, celles du pays de Nantes ont poussé à la création d'un outil commun, au sein de l'établissement public de coopération intercommunale, pour gérer l'alerte à destination des populations que l'État couvre mal. Il faudrait regarder les différentes cultures territoriales de gestion de ce type de crise.
Merci de votre accueil chaleureux. Étant pour quelques jours encore président du conseil départemental de la Seine-Maritime, je souhaite rappeler que, avec les Bouches-du-Rhône, c'est le département qui compte le plus de sites Seveso - une soixantaine environ.
J'étais sur les lieux du sinistre dès onze heures du matin. Près de 250 pompiers sont intervenus, six services départementaux d'incendie et de secours ont été mobilisés, ainsi que la compagnie de sapeurs-pompiers de Paris. L'extinction des feux d'hydrocarbures nécessite de les recouvrir de mousse, et il a fallu attendre midi pour disposer d'émulseurs en quantité suffisante. Je souligne qu'il n'y a eu ni morts ni blessés. Et les sapeurs-pompiers ont su faire la part du feu : le risque majeur était un effet domino et la contagion du feu aux autres sites Seveso situés à proximité.
La culture du risque est insuffisante en Seine-Maritime. Les habitants ne savaient guère à quoi correspondait la sirène qui a été actionnée à 8 h 30. Le préfet a décidé un confinement dans un rayon de 500 mètres pour les personnes atteintes de déficience respiratoire et les jeunes enfants. Mais le premier objectif était d'éteindre cet incendie d'une violence inouïe.
Il y a certainement eu une pollution par les eaux d'extinction - au plus fort de l'incendie, 25 000 litres étaient extraits de la Seine par minute. Le panache de fumée, long de vingt kilomètres et large de six, a atteint la Belgique, et des suies sont retombées.
L'information par les services de l'État a été insuffisante, pour la population comme pour les maires. Le vrai problème est la défiance envers la parole publique : si l'on dit que les analyses disponibles montrent que le risque n'est pas avéré, on nous accuse de mensonge !
Toute notre réglementation relative aux incendies est la conséquence de sinistres conséquents. Celle qui concerne les établissements recevant du public découle de l'incendie du « 5-7 » et de l'incendie de 1976 à Seveso en Italie. Il sera donc bon de tirer les conséquences de ce sinistre pour faire évaluer notre réglementation, notamment sur l'information du public. Toutefois, c'est facile de critiquer après coup ; sur le moment, la priorité était d'éteindre le feu.
Outre les sites industriels en activité, il en est d'anciens qui renferment nombre de produits chimiques dangereux dans leur sol ou dans l'air et l'eau. Dans mon département, on a retrouvé des dioxines dans l'alimentation humaine, ce qui révèle des manquements sérieux de l'État.
Cet événement dramatique doit nous conduire à réfléchir à l'occupation du foncier. Ce site a-t-il été implanté après les habitations ? Quid des exploitations agricoles ? Il faut réfléchir à de telles implantations en amont.
Bas-Normand, j'ai à connaître des sites nucléaires, pour lesquels existent les commissions locales d'information. Sur les 58 qui fonctionnent en France, 38 concernent les sites nucléaires. Elles font un véritable travail partenarial avec les associations environnementales, et jouent un rôle important dans la diffusion de l'information et de la culture du risque auprès des élus. Pourquoi n'y en a-t-il pas pour chaque site d'industrie chimique ?
Il faudra en effet que nous travaillions sur la culture du risque, car nous sommes mauvais en ce domaine - je l'avais constaté lors des inondations de 2015 dans le sud de la France. Je m'étais alors rendu sur place avec M. Nègre, et nous avions compris que les systèmes d'alerte de Météo France n'étaient pas toujours assez fins en cas de catastrophe naturelle, et que nos concitoyens n'étaient pas assez formés aux réactions à avoir : certains étaient descendus dans les sous-sols... À Rouen, heureusement que le drame s'est produit un week-end ! Sinon, les gens auraient pris leur voiture pour aller chercher leurs enfants à l'école. Il y a un vrai problème d'éducation aux risques de catastrophe naturelle ou industrielle.
L'occupation du foncier est aussi un sujet. On a tendance à oublier - ou négliger - les risques pour s'installer toujours plus près... On a notamment appris qu'un écoquartier était en construction à proximité du site de Lubrizol !
Pour nos sites Seveso, nous avons des plans de sauvegarde. Tout le monde est informé : il est interdit d'aller chercher les enfants à l'école, chacun doit rester confiné. Les déchets nucléaires sont enfouis loin des habitations, mais celles-ci, petit à petit, se rapprochent : peut-être en a-t-il été de même pour ce site ! Désormais, l'installation de sites dangereux est généralement bien pensée par les élus.
Je vous propose de mettre aux voix la proposition de résolution qui fera ensuite, sous réserve de sa recevabilité juridique, l'objet d'un vote du Sénat.
La commission adopte la proposition de résolution sans modification.
La commission d'enquête comptera 21 membres, dont neuf sont issus du groupe Les Républicains, quatre du groupe Socialiste et républicain, trois du groupe Union centriste, deux du groupe La République en Marche, un du groupe Rassemblement démocratique et social européen, un du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste et un du groupe Les Indépendants - République et Territoires.
Mes chers collègues, nous poursuivons notre réunion avec l'audition de la ministre de la transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne, au sujet de l'accident de l'usine Lubrizol de Rouen. Nous vous remercions, madame la ministre, d'avoir accepté cette demande d'audition.
L'incendie qui s'est déclaré le 26 septembre dernier dans l'usine Lubrizol, classée Seveso seuil haut, et l'épais panache de fumée noire qu'il a provoqué ont suscité beaucoup d'inquiétudes et d'interrogations à Rouen, sachant que le site est situé à trois kilomètres à peine du centre-ville, dans une zone assez densément peuplée. Les informations qui ont été diffusées par le Gouvernement et la préfecture dans les jours qui ont suivi ont parfois été confuses pour nos concitoyens.
Le Sénat souhaite donc la création d'une commission d'enquête afin de faire toute la lumière, d'une part, sur les conditions dans lesquelles les services de l'État sont intervenus dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de cet accident, et, d'autre part, sur la manière dont ces services contrôlent l'application des règles en vigueur concernant les installations classées et prennent en charge les accidents qui y surviennent. Au-delà, nous souhaitons engager une réflexion sur les règles applicables à ces sites afin d'éviter un nouvel accident et de faire en sorte que les réactions, en cas d'accident, soient plus appropriées.
Ma première question porte sur la gestion globale de cet accident. Estimez-vous réellement que « toutes les mesures de précaution nécessaires ont été prises par le préfet afin de protéger les populations et l'environnement » ? Alors que plusieurs membres des forces de l'ordre ont déploré le manque d'équipements de protection lors de leur intervention, que de nombreux enseignants ont exercé leur droit de retrait, et que des milliers de riverains s'inquiètent des possibles effets sur leur santé, nous sommes en droit de nous interroger.
Nous souhaiterions également vous entendre sur la gestion des conséquences potentielles de cet accident. La préfecture a publié il y a quelques jours la liste des produits stockés sur le site de l'usine Lubrizol. Pour rappel, ce sont plus de 5 000 tonnes de substances chimiques qui ont été détruites dans cet incendie, auxquelles il faut sans doute ajouter les produits chimiques de l'usine voisine, Normandie Logistique, soit potentiellement un total de 10 000 tonnes. La ministre de la santé a indiqué que « personne ne sait ce que donnent ces produits mélangés quand ils brûlent ». Pensez-vous que la publication en fin de semaine dernière de tableaux comportant des milliers de lignes, et de centaines de pages de documents - au demeurant inexploitables - constitue une réponse suffisante ? Un suivi épidémiologique de la population est-il prévu ?
Je souhaiterais également vous interroger sur le cadre applicable en matière d'installations classées. La France compte plus de 1 300 sites Seveso, dont 705 sites Seveso seuil haut. L'accident de Rouen inquiète nos concitoyens quant à la mise en oeuvre effective des mesures préventives. En effet, l'usine de Lubrizol a déjà connu plusieurs incidents par le passé, ce qui suscite des interrogations sur l'efficacité des contrôles réalisés par les services de l'État. Par ailleurs, et c'est extrêmement préoccupant, nous avons lu dans la presse que l'usine de Lubrizol aurait bénéficié de deux arrêtés autorisant l'augmentation du stockage des produits dangereux sur le site, en janvier et en juin 2019, et que ces mesures n'auraient pas fait l'objet d'une évaluation environnementale depuis qu'un décret de 2018 a restreint le champ de cette évaluation. Confirmez-vous cette information ?
Enfin, nous venons d'apprendre que l'usine Normandie Logistique contenait autant de substances chimiques que celle de Lubrizol, et qu'elle aurait dû à ce titre être soumise au régime de l'enregistrement et non au régime de déclaration. Comment est-il possible que les services de l'État n'aient pas veillé à ce que cette usine se soumette à enregistrement ?
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui pour évoquer la catastrophe industrielle qui touche depuis jeudi 26 septembre les habitants de Rouen, de la Seine-Maritime et au-delà.
Cette catastrophe résulte de l'incendie qui a pour origine deux sites industriels, les entreprises Lubrizol et Normandie Logistique. En préambule, je tiens à dire combien nous comprenons l'émotion et l'inquiétude de tous les habitants touchés par cette catastrophe. Il est bien sûr de notre devoir d'y répondre. Le Premier ministre, devant la représentation nationale, a pris l'engagement de faire preuve d'une transparence absolue. Je le redis : notre rôle est non pas de rassurer coûte que coûte, mais de dire la vérité. Toutes les informations, toutes les données scientifiques sont rendues publiques au fur et à mesure que nous en disposons. Cette audition participe aussi de cette volonté de transparence.
Je tiens également à souligner la très grande mobilisation du Gouvernement et de l'ensemble des services de l'État pour faire face à cette crise et être aux côtés des Rouennais. Je pense au ministère de l'intérieur, chargé de la gestion de crise, au ministère de la santé, s'agissant des effets sanitaires, au ministère de l'agriculture pour les impacts sur les productions agricoles, au ministère de l'éducation nationale pour les écoles, au ministère du travail s'agissant de la protection des travailleurs, en particulier ceux qui interviennent sur le site, et, bien sûr, à mon ministère.
Sur de telles installations, le ministère de la transition écologique et solidaire est plus particulièrement chargé de la prévention des risques industriels. En cas d'accident, il est chargé de prévenir tout risque de sur-accident, de contrôler la réalisation par l'exploitant des opérations de dépollution et de superviser l'évaluation à court, moyen et long terme de l'impact environnemental. Le ministère remplit ses missions en s'appuyant sur l'expertise des agences de l'État spécialisées. Je pense notamment à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Il s'assure également que les industriels assument toutes leurs responsabilités.
La mobilisation du Gouvernement s'est traduite dès le début de ce très grave incendie pour prévenir tout risque pour les populations pendant la crise.
Je rappelle les faits : l'incendie s'est déclaré aux alentours de deux heures quarante le jeudi 26 septembre à Rouen, au sein de deux entreprises. L'entreprise Lubrizol, qui est classée Seveso seuil haut, produit des additifs pour lubrifiants. Dès le début de l'incendie, les sapeurs-pompiers sont intervenus et ont mobilisé des moyens très importants. Au total, 200 sapeurs-pompiers, 200 véhicules venus de six départements, renforcés par des moyens nationaux de la sécurité civile, ont pris part aux opérations. Ils ont par ailleurs bénéficié de moyens d'extinction supplémentaires, mis à leur disposition par les principaux exploitants de sites Seveso du département.
Je tiens à saluer l'engagement sans faille des services de secours, dont le grand professionnalisme a permis, malgré les risques, de maîtriser le sinistre dès le début d'après-midi et surtout d'écarter tout risque de sur-accident. Je tiens également à rendre hommage aux équipes de mon ministère, en particulier à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie (Dreal), qui est mobilisée jour et nuit depuis la survenue de ce sinistre.
En complément, des moyens exceptionnels, notamment issus du plan Polmar (POLlution MARitime), ont été mobilisés pour écarter les risques de pollution de la Seine par les débordements des eaux fortement polluées d'extinction du site. Des barrages flottants ont permis de confiner ces eaux avant qu'elles ne soient pompées. La protection des populations a immédiatement été au coeur de l'attention des services de l'État. Très vite, et par précaution, un périmètre de sécurité a été mis en place dans un rayon de 500 mètres autour du site. Les établissements scolaires ont été fermés pour permettre leur nettoyage dans douze communes situées sous les fumées. Des consignes ont été passées afin d'inviter chacun à limiter ses déplacements.
Ces mesures de précaution ont aussi consisté à mesurer en urgence la qualité de l'air. Des prélèvements ont été réalisés en grand nombre par les services de secours tôt le matin du jeudi 26. Ils ont porté sur différents polluants : sulfure d'hydrogène, dioxyde de soufre, dioxyde d'azote et monoxyde de carbone, ces substances étant habituellement produites lors de ce type d'incendie. Ces analyses ont été complétées par des mesures exceptionnelles réalisées par une association indépendante et agréée de surveillance de la qualité de l'air, Atmo Normandie. Les résultats de ces prélèvements ont été mis en ligne le vendredi 27, puis le samedi 28. Tous les autres résultats étaient inférieurs aux seuils mesurables, sauf sur le site de l'usine pour ce qui concerne certains composés organiques volatils et des composés soufrés.
Le toit de l'entrepôt étant amianté, des analyses ont été réalisées dans un rayon de 300 mètres autour de l'usine, lequel a été élargi à 800 mètres, puis à plusieurs kilomètres. Selon les derniers résultats mis en ligne hier soir, aucune fibre n'a été détectée dans les prélèvements de surface réalisés dans un rayon de 300 mètres autour du site. Dans l'air, les concentrations sont inférieures au seuil de recherche dans les bâtiments. On peut donc considérer que l'incendie n'a pas généré autour du site des niveaux inhabituels ou préoccupants de fibres d'amiante dans l'air.
En ce qui concerne les suies, des préconisations ont été formulées par les autorités sanitaires sans attendre les résultats des analyses. Il a notamment été demandé de les manipuler avec des gants et de procéder au nettoyage des surfaces touchées. Ces analyses ont immédiatement été réalisées pour rechercher les polluants dangereux habituellement produits par ce type d'incendie, des métaux et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Ces analyses, mises en ligne samedi 28, ne mettent pas en évidence de pollution particulière, hormis la présence de plomb, qu'il n'est pas possible de différencier de la pollution de fond ou d'imputer à l'accident, l'usine n'utilisant pas particulièrement de plomb.
Une attention particulière est portée à la recherche de dioxines dans les retombées, mais aussi dans les productions agricoles. À cet égard, j'indique que l'analyse de ces polluants prend du temps, ce qui explique que les premiers résultats n'aient été connus qu'en fin de semaine dernière. Les résultats dont nous disposons montrent que les teneurs en dioxines sont inférieures aux seuils existants pour les produits agricoles. Plusieurs campagnes seront nécessaires pour nous prononcer, car les dioxines peuvent s'accumuler dans les animaux et les végétaux. La surveillance se poursuit en liaison étroite avec l'Anses.
Les analyses ont été réalisées le plus précocement possible pour éclairer les impacts environnementaux et sanitaires de cet accident. Par exemple, lors du précédent incident de 2013, les services de secours ne disposaient pas du tout d'outils de mesure tels que ceux qu'ils ont utilisés immédiatement pendant l'incendie. C'est la première fois que nous réalisons sur un incendie des analyses aussi rapides, sur un spectre aussi large. Des prélèvements continueront d'être effectués aussi longtemps qu'ils seront nécessaires.
Aujourd'hui, les odeurs persistantes sur place inquiètent beaucoup les Rouennais. Nous avons conscience de la gêne et de l'inquiétude qu'elles suscitent. Les services de l'État ont fixé deux priorités claires à l'exploitant, dès l'extinction du sinistre : mettre en sécurité le site pour éviter un sur-accident et traiter les sources d'odeurs. Cela implique le nettoyage des résidus de combustion sur le site et l'évacuation de 1 000 fûts, dont 160 peuvent être à l'origine d'émanations. Depuis hier, un espace de confinement est en cours d'installation sur les fûts. Il permettra leur manipulation, leur neutralisation et leur évacuation, tout en limitant les risques de mauvaises odeurs. En parallèle, nous avons demandé aux exploitants des deux sites d'accélérer le nettoyage des résidus de combustion et le pompage des eaux d'extinction, qui peuvent également être source de mauvaises odeurs. Les principales opérations devraient être finalisées avant la fin de la semaine.
Nous conserverons lors de la phase post-accidentelle le même niveau d'exigence et de transparence. L'objectif est de procéder à l'évaluation précise des conséquences de cette catastrophe dans la durée, sur l'environnement et la santé. Pour cela, les services appliquent un protocole très clair. Il faut d'abord affiner la liste des substances susceptibles d'avoir été émises dans l'environnement. Nous avons ciblé lors de la phase de crise les principaux polluants ; nous recherchons à présent ceux qui pourraient avoir des effets potentiels à moyen et à long terme.
Comme nous nous y étions engagés, les listes des substances qui étaient stockées sur les sites ont été rendues publiques. Je reconnais que les listes fournies par les exploitants ne sont pas facilement exploitables, mais nous les avons transmises à l'Ineris et à l'Anses afin qu'ils nous aident à identifier d'éventuels polluants complémentaires, qu'il serait pertinent de rechercher dans le cadre de la surveillance de l'environnement. Les premiers retours partiels dont nous disposons montrent la pertinence des substances recherchées dans les premiers prélèvements. L'analyse de quelques paramètres complémentaires est préconisée pour les denrées alimentaires, notamment des phtalates et du zinc, mais il n'est pas demandé de rechercher des produits complémentaires, notamment dans l'air.
Ces données nous permettront d'alimenter la surveillance approfondie de l'ensemble des impacts environnementaux dans l'eau, dans l'air, dans les sols et dans les produits agricoles. Cette surveillance a été prescrite à l'exploitant Lubrizol. Les résultats des analyses qui ont d'ores et déjà été effectuées seront versés à cette surveillance. Enfin, cette cartographie de la pollution de l'environnement permettra la réalisation d'une étude de risques sanitaires, à la demande des autorités sanitaires. Le Gouvernement a indiqué qu'il était favorable à la mise en place d'un suivi épidémiologique de long terme par les autorités sanitaires locales.
Nous portons également une attention très forte au transfert de contaminants vers la chaîne alimentaire. À cet égard, les préfets et le ministère de l'agriculture ont pris des mesures de précaution très rapidement et édicté des mesures de confinement des productions agricoles, dans l'attente du résultat des analyses, concernant notamment les dioxines. Je suis bien consciente, tout comme le ministre de l'agriculture, que c'est une épreuve difficile pour les éleveurs et les agriculteurs, mais je sais aussi qu'ils sont très attachés à la qualité sanitaire de leurs produits. Nous prenons clairement l'engagement de bien les accompagner afin de compenser leurs pertes d'exploitation.
Agnès Buzyn, Didier Guillaume et moi-même, nous installerons vendredi prochain un comité de suivi pour assurer, dans la durée, la totale transparence sur les conséquences environnementales et sanitaires de cet accident. Ce comité rassemblera les collectivités, les associations de protection de l'environnement, les professionnels de santé, les représentants des riverains et des professionnels impactés. Nous sommes déterminés à faire la pleine lumière sur les conséquences de ce grave accident dans la durée.
Au-delà des conséquences directement perceptibles, il faudra aussi assurer la pleine transparence sur les causes de cet accident. Dès jeudi 26, j'ai annoncé le lancement d'une enquête administrative, qui complétera l'enquête pénale en cours. Aujourd'hui, de nombreuses zones d'ombre demeurent, à commencer par l'origine même de l'incendie, alors que le site faisait l'objet d'une surveillance rigoureuse par le service de l'inspection des installations classées de la Dreal.
Depuis le précédent accident, survenu en 2013, 39 inspections ont été réalisées sur ce site, les dernières datant de juin et de septembre. Un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) a été approuvé en 2014. Nous ne disposerons d'une analyse plus précise des causes que d'ici quelques semaines, mais j'ai d'ores et déjà saisi l'ensemble des préfets afin qu'ils demandent aux exploitants des sites Seveso de renforcer leur vigilance et d'interroger leurs propres systèmes et procédures de gestion des risques, au regard de cet incendie.
Vous le constatez, le Gouvernement et les services de l'État sont depuis les premières heures pleinement mobilisés pour protéger les Français. Nous continuerons de le faire et nous serons pleinement transparents, y compris sur les causes de l'accident. Nous le devons aux Français et à la représentation nationale.
Sachant que 39 contrôles ont été effectués dans cette usine ces dernières années, trop de contrôles ne tuent-ils pas le contrôle ?
Le Gouvernement envisage-t-il aujourd'hui une évolution des normes Seveso ?
Le fonds d'indemnisation des agriculteurs a estimé que les pertes agricoles s'élevaient à 400 000 euros par jour depuis la survenue de l'accident. Pouvez-vous nous garantir que le principe du pollueur-payeur s'appliquera intégralement, et que Lubrizol indemnisera les agriculteurs et prendra à sa charge tous les coûts annexes tels que les frais d'analyse ou le nettoyage des écoles ?
Enfin, comment expliquer que Normandie Logistique, l'entreprise mitoyenne de Lubrizol, ne soit pas classée Seveso seuil haut et qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une surveillance particulière alors qu'elle stockait plus de 4 000 tonnes de produits chimiques ? Plus globalement, comment expliquer de telles lacunes dans le processus de contrôle des sites industriels ?
Les 39 contrôles n'ont manifestement pas permis d'empêcher cet incendie, qui, à ce stade, n'est pas expliqué. L'entrepôt était protégé par un système de sprinkler, dimensionné pour éteindre un incendie, mais qui n'a pas permis d'empêcher l'incendie. L'enquête judiciaire et l'enquête administrative nous éclaireront sur ce qui s'est passé.
Une catastrophe de cette ampleur doit forcément nous amener à réfléchir aux normes et aux procédures en vigueur. Les PPRT ont été mis en place à la suite de la catastrophe d'AZF. De la même façon, des enseignements devront être tirés après cet incendie, mais ses causes doivent au préalable être éclaircies. Pour l'heure, les deux industriels se renvoient un peu la balle. Pour ma part, ne disposant d'aucun élément à ce stade, je reste prudente.
Je vous confirme que le principe du pollueur-payeur s'appliquera et que les opérations de dépollution et de nettoyage, ainsi que les analyses, seront bien à la charge de l'exploitant. Par ailleurs, ce dernier devra réaliser un suivi environnemental dans la durée. Le plan de surveillance qu'il nous a remis vendredi dernier ne nous semble pas suffisant, le préfet le lui a écrit. Il doit nous remettre un tel plan, que nous devrons valider. Enfin, l'industriel devra indemniser les préjudices, notamment ceux des agriculteurs.
J'ai dit au PDG de Lubrizol, que j'ai rencontré, que je considérais que son entreprise n'avait pas été à la hauteur lors de la crise, en particulier parce qu'elle a mis du temps à fournir les listes des produits stockés. Même si ces listes ne sont pas parfaitement lisibles, j'en conviens, nous les avons rendues publiques, car elles permettent de faire toute la transparence sur les produits impliqués dans l'incendie.
Comme l'a souligné Agnès Buzyn, il peut être compliqué de déterminer les polluants potentiels produits lors de ce type d'incendie. C'est la raison pour laquelle nous avons saisi l'Ineris et l'Anses afin de savoir s'il était nécessaire de faire des prélèvements et des analyses complémentaires pour rechercher d'autres substances. Les prélèvements qui ont été réalisés, notamment dans l'air et sur les suies, ont été validés. Il nous a juste été demandé, je l'ai dit, d'étendre les recherches sur les produits agricoles.
Sur la situation de Normandie Logistique, je serai très prudente, dans l'attente de l'enquête administrative. Ce site a été construit dans les années 50, antérieurement à la législation sur les ICPE. De fait, les exploitants bénéficient dans ce cas d'un régime d'antériorité et ont le droit de poursuivre leur activité. Le site a ensuite été agrandi, la législation ICPE a évolué dans le même temps, un régime d'enregistrement et d'autorisation ayant été instauré pour certains entrepôts. Dans ce cas, l'exploitant a l'obligation de signaler si un nouveau régime s'applique à sa situation.
L'enquête administrative dira si l'entreprise n'a pas fait les déclarations qu'elle aurait dû faire et nous éclairera peut-être sur la façon de nous assurer à l'avenir que ces déclarations sont mieux faites.
Des pollutions supplémentaires sont-elles à craindre, à en juger par la liste remise par l'industriel ?
Vous exigez un auto-contrôle renforcé des 1 312 sites classés Seveso, madame la ministre. Pensez-vous que cela sera suffisant ?
Le site de Normandie Logistique n'est pas classé Seveso et n'est donc pas soumis aux mêmes obligations que celui de Lubrizol.
Normandie Logistique nous a fourni des listes des produits présents sur son site au moment de l'incendie, mais n'a pas été en mesure de nous indiquer quels produits ont brûlé, deux de ses trois entrepôts ayant été partiellement détruits, le troisième l'ayant été totalement. Nous avons néanmoins rendu publique la liste des produits et demandé à l'Ineris d'actualiser ses recommandations sur la base des produits présents sur le site de Normandie Logistique - de la gomme arabique, de la magnésie et de la bauxite, ainsi que des asphaltes stockés pour le compte de Total implanté à proximité - et de Lubrizol - des matières premières et des produits finis. Par ailleurs, Lubrizol nous a indiqué avoir fait appel à Normandie Logistique pour le stockage de produits non dangereux. Nous sommes là aussi en train d'analyser la liste qui nous a été transmise. Il faudra vérifier que les produits se trouvaient bien sur ce site.
Madame la ministre, vous avez demandé au PDG de l'entreprise Lubrizol d'assumer pleinement toutes ses obligations légales et réglementaires, en matière de transparence, de mise en sécurité du site, de dépollution ou de suivi des conséquences à moyen et à long terme de cet incendie, en application du principe du pollueur-payeur. Dès lors, comment expliquer que le préfet de Seine-Maritime ait refusé toute expertise indépendante et contradictoire - expertise que vient d'accorder le tribunal administratif à l'association Respire -, alors que vous aviez déclaré vouloir faire preuve de transparence ?
La transparence doit prévaloir et le principe du pollueur-payeur doit être appliqué, dans cette affaire comme dans d'autres. Je pense au cas de l'ancienne usine Saft, près d'Angoulême, dont le site, exploité pendant cinquante ans, n'a jamais fait l'objet d'une quelconque dépollution. Alors que les sols et la nappe phréatique sont pollués, les riverains sinistrés se voient refuser une étude indépendante, contradictoire et exhaustive. Dans cette affaire, l'action combinée de l'État et du département de la Charente aboutit à un renversement des responsabilités : c'est le pollué qui paie !
L'État envisage-t-il de changer sa doctrine, qui consiste manifestement à refuser systématiquement les demandes d'expertises indépendantes dans ce type de dossier ? Cette position n'est plus tenable, car elle peut donner à penser que l'État à quelque chose à cacher et qu'il couvre les responsables de la situation.
Le principe du pollueur-payeur doit s'appliquer, à Rouen comme ailleurs. L'État dispose des pouvoirs de le faire respecter. Quelles mesures envisagez-vous de prendre à cet égard, madame la ministre ?
J'ai effectivement rencontré le PDG de Lubrizol et je lui ai demandé d'assumer toutes ses responsabilités, sans même attendre les décisions au civil en matière d'indemnisation. L'entreprise nous a indiqué qu'elle travaillait en ce sens.
La surveillance à moyen et long terme de l'environnement relève de la responsabilité de l'exploitant du site, en l'occurrence Lubrizol. Notre responsabilité, à nous, est de veiller à ce qu'il mette en place cette surveillance environnementale, conformément aux meilleurs standards ; nous nous y employons. C'est la raison pour laquelle nous avons retoqué sa copie pour l'instant.
Je suis pleinement consciente que la parole publique n'est pas crue. Celle d'autres experts le sera-t-elle ? Je ne le sais pas.
Les analyses sont réalisées par des bureaux d'études compétents, puis sont revues notamment par l'Ineris, qui est sans doute la structure la plus experte sur ces sujets. Il est dommage qu'on ne leur fasse pas confiance. Si d'autres analyses permettent de rendre crédible leur expertise, j'en prends acte.
Nous devons réfléchir à la question des friches industrielles, sachant en outre qu'il faut éviter l'artificialisation des sols. Aujourd'hui, lorsqu'un industriel quitte un site classé pour la protection de l'environnement, il a l'obligation de le mettre en sécurité, de le dépolluer pour un usage industriel et de s'assurer de l'absence d'impact sur les riverains. Je n'ai pas précisément en tête le dossier que vous évoquez, mais nous pourrons réfléchir à des évolutions de ces obligations ultérieurement.
Depuis trois ans, on note une augmentation des accidents sur les sites classés. Dès lors, on peut s'interroger sur la réglementation.
Le Gouvernement ne cesse en effet de réduire le périmètre d'intervention de l'autorité environnementale, que ce soit dans la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance ou dans la loi relative à l'énergie et au climat actuellement en fin de navette parlementaire, pour confier plus de compétences au préfet. L'établissement Lubrizol a demandé à deux reprises l'autorisation d'augmenter les quantités de substances dangereuses qu'il stockait. Dans les deux cas, le préfet a considéré qu'il n'y avait pas lieu de demander une évaluation environnementale.
Dans la même logique, le Gouvernement annonce un élargissement du régime d'enregistrement. Le 23 septembre, trois jours avant l'incendie, Édouard Philippe a annoncé un grand chantier de simplification pour accélérer les projets industriels. Il est ainsi prévu d'autoriser le démarrage d'une partie des travaux sans attendre l'autorisation environnementale.
Le Gouvernement a-t-il désormais pris conscience que les intérêts industriels ne sont pas compatibles avec la sauvegarde des populations et de l'environnement ? Va-t-il tirer les conséquences de ce terrible événement et revenir sur la réglementation, devenue trop laxiste ?
J'en profite, madame la ministre, pour vous inviter au colloque que nous organisons ici le 29 novembre prochain sur la démocratie environnementale.
Je vous remercie, monsieur Gontard, de rappeler la question, à laquelle je n'ai pas obtenu de réponse, sur l'augmentation du stockage de produits dangereux qui aurait été décidée au début de l'année 2019.
Concernant l'augmentation des accidents, je ne dispose pas d'informations. Je puis, en revanche, vous assurer que le nombre de sanctions administrées aux exploitants a augmenté, ce qui témoigne que les inspecteurs sont présents sur les sites classés et que la vigilance est importante. En 2018, environ 400 sanctions ont ainsi été prononcées, contre un peu plus de 300 en 2016. S'agissant du site de Lubrizol, 39 contrôles ont été menés depuis 2013.
Vous avez également mentionné les mesures de simplification adoptées. Sachez que le temps consacré aux dossiers par les inspecteurs étant plus long qu'auparavant - les dossiers sont plus riches et plus compliqués -, celui qui est passé sur les sites s'en trouve d'autant réduit. Les démarches de simplification administrative ne doivent pas conduire à baisser la garde en termes de sécurité. Pour mémoire, la sécurité concerne l'étude de danger ; elle diffère de l'évaluation environnementale réalisée via l'étude d'impact de l'autorité compétente. Sans, bien entendu, me désintéresser de l'évaluation environnementale, je tiens à rappeler que les études de danger doivent être réalisées systématiquement dans les sites à risque. La remise à plat nécessitée par la catastrophe de Lubrizol doit être l'occasion de s'assurer que les simplifications administratives, dont je défends le principe, ne réduisent pas les garanties en matière de sécurité des sites. Votre commission d'enquête, la mission d'information de l'Assemblée nationale et les enquêtes administratives permettront de le vérifier et de s'assurer de l'équilibre entre l'étude des dossiers et les contrôles sur site.
Le site de Lubrizol a fait l'objet de deux arrêtés : le premier mettait à jour des prescriptions techniques pour une unité sans rapport avec l'endroit où s'est produit l'incendie - il autorisait une nouvelle gamme de produits et une augmentation du stockage - et le second augmentait la capacité de stockage possible sur le site, mais il n'a jamais été mis en oeuvre. En conséquence, ces arrêtés n'ont pas de lien avec l'accident. Quoi qu'il en soit, il me semble essentiel que les études de danger couvrent l'ensemble des situations et des évolutions proposées par l'exploitant ; elles doivent donc être régulièrement actualisées.
L'accident de l'usine Lubrizol nous inquiète tous, et nous souhaitons obtenir des explications. Parmi les sites Seveso, 705 sont classés seuil haut, dont un qui est situé dans ma commune : le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (Siaap) chargé de la dépollution des eaux de la région d'Île-de-France. Un accident est survenu début 2018, puis un second à l'été 2019. Nous avons eu quelque inquiétude à la vue de la fumée noire qui s'échappait de l'usine. Le préfet a immédiatement pris en charge l'incident et a pu heureusement nous rassurer quant à l'absence de chlorure ferrique. Au regard de cet incident et de la catastrophe de Lubrizol, pensez-vous que notre chaîne de contrôle et notre politique de prévention fonctionnent correctement ?
Je comprends et je partage l'émotion et l'inquiétude des habitants de Rouen ainsi que des acteurs économiques de la région. Il convient cependant de rappeler que l'incendie a été maîtrisé sans sur-accident et que les résultats des analyses dont nous disposons sur l'air, l'eau et les sols, ainsi que les premières mesures réalisées sur les végétaux, n'indiquent aucune anormalité, même si les fumées étaient impressionnantes.
La France bénéficie de la législation la plus la plus protectrice d'Europe : nous appliquons la directive dite Seveso dans sa dernière révision, doublée d'une réglementation nationale mise en oeuvre à la suite à l'accident d'AZF, avec les PPRT, qui ont pour objet de réduire le risque à la source. Des mesures sont prises, dans ce cadre, pour la protection des riverains et des activités à proximité du site qui peuvent aller jusqu'à l'expropriation et au droit de délaissement. La grande majorité des PPRT - 98 % d'entre eux - est réalisée, mais les mesures qu'ils impliquent se mettent en oeuvre trop lentement, notamment les travaux chez les particuliers, pourtant pris en charge.
Les sites Seveso sont astreints à des fréquences minimales de contrôle. Ils sont inspectés régulièrement, mais peut-être convient-il, après l'accident de Lubrizol, de renforcer certains aspects du contrôle. J'estime, en particulier, anormal qu'il faille autant attendre pour disposer d'une liste de produits. J'ai interpellé le préfet sur ce sujet. Nous aurons également à réfléchir, s'agissant de Normandie Logistique, aux sites qui existaient antérieurement à la législation sur les installations classées et qui peuvent changer de catégorie en fonction des évolutions de la réglementation.
Il y a plus de quarante ans avait lieu la catastrophe industrielle de Seveso, avec une pollution à la dioxine qui a provoqué un véritable électrochoc. À Rouen, les pompiers ont oeuvré pour éviter un sur-accident, mais nous avons eu à déplorer l'absence d'un plan d'urgence et des lacunes concernant la protection des populations. Quel est alors le bénéfice du classement Seveso ? Selon des témoignages, certains habitants n'ont pas entendu de sirènes ; des enseignants et des élèves se sont rendus dans les établissements scolaires malgré les consignes de confinement. L'incendie s'est déclaré en pleine nuit et, à huit heures du matin, des habitants se promenaient dans le périmètre affecté : cela pose question en matière de protection des populations. Je m'interroge également sur la liste des produits et des molécules qu'ils contiennent. Un industriel connaît évidemment le résultat de la combustion des produits qu'il stocke ! Dans le cadre de la réglementation des sites Seveso, cette liste devrait être obligatoire. Je doute enfin de la pertinence du périmètre de 500 mètres : le panache de fumée sortant de l'usine Lubrizol a largement franchi cette limite. À ce stade, la dioxine n'a pas été détectée, mais la quantité de produits concernée par l'incendie laisse à craindre le pire à plus long terme... Souvenez-vous qu'à Seveso il avait fallu dépolluer la terre sur une large épaisseur.
Le classement Seveso emporte un certain nombre de conséquences, notamment des études de danger permettant de connaître les polluants à rechercher. Cette réglementation est issue de la catastrophe de Seveso ; elle a ensuite été complétée après la catastrophe d'AZF qui fit 31 morts, plus de 2 000 blessés et endommagea 26 000 logements. Elle vise prioritairement le traitement du risque immédiat que constituent les polluants comme le sulfure d'hydrogène pour la santé et pour l'environnement, mais ne traite peut-être pas suffisamment les risques de moyen et long termes. Nous avons donc interrogé l'Ineris et l'Anses dans la perspective du plan de suivi à moyen et long terme des conséquences sur l'environnement et la santé. L'Ineris nous a confirmé que la liste des produits recherchés était conforme à ce que pouvait produire un tel incendie.
Le classement en Seveso offre également d'importants moyens d'extinction, notamment des dispositifs sprinkler, qui n'ont hélas pas permis de prévenir l'incendie de Lubrizol. Enfin, il rend obligatoire un plan d'opération interne (POI) de l'exploitant, mis en oeuvre en cas d'incident, ainsi qu'un plan particulier d'intervention (PPI) déclenché par le préfet pour mobiliser les moyens nécessaires. Ces éléments ont permis de contenir l'incendie, limitant son périmètre à 15 % du site, et d'éviter les sur-accidents.
Les différentes procédures en cours permettront de faire la lumière sur ce qui s'est produit et sur les conséquences pour l'environnement et pour les populations. La gestion de l'accident de Lubrizol traduit l'absence totale de culture du risque et d'action de prévention en direction des populations et symbolise la défiance de nos concitoyens vis-à-vis de la parole publique. Nous le vivons depuis longtemps en tant qu'élus locaux et parlementaires... Il aurait, dès lors, été préférable que la communication de l'État s'incarne en un interlocuteur unique, au lieu des multiples interventions auxquelles nous avons assisté. Vous avez évoqué les PPRT, dont la mise en oeuvre de certaines mesures tarde. Disposez-vous d'un état des lieux précis du nombre de communes engagées dans un plan communal de sauvegarde (PCS) et disposant d'un dossier d'information communal sur les risques majeurs (Dicrim) ?
Votre question sort quelque peu du champ de responsabilité de mon ministère. Nous tirerons, avec les ministères de l'intérieur et de la santé, les enseignements de l'accident s'agissant de la gestion de crise, notamment en matière d'information des citoyens. Des sirènes ont été activées, mais leur rôle en cas de risque industriel n'est peut-être pas suffisamment connu. Par ailleurs, les informations doivent être plus rapidement transmises aux professionnels de santé.
La culture du risque doit évidemment être améliorée. L'application effective des PPRT interroge, de même que le rôle des enquêtes publiques auxquelles sont soumises les études de danger et les études d'impact environnemental des sites Seveso. Il existe également, en cas de risque industriel particulier, des commissions de suivi de sites (CSS) qui doivent permettre d'associer les riverains et de les informer régulièrement des dispositions qui sont prises sur les sites. Par ailleurs, l'État fournit une information sur les Dicrim, qui doit donner lieu à des PCS. Si des progrès ont été réalisés en matière de culture du risque industriel, ils demeurent insuffisants. C'est également vrai pour les risques naturels : certains partent par tempête en pleine mer, alors que les alertes ont été données ! Cela peut avoir des conséquences dramatiques, y compris sur la crédibilité de la parole publique. Peut-être devrions-nous envisager des expertises indépendantes et le développement de comités du type de celui que j'installerai prochainement avec Didier Guillaume, qui pourraient notamment prescrire des analyses.
L'incendie de Lubrizol s'est déclaré à 3 heures du matin et je me suis rendu sur place à 11 heures, alors que le panache de fumée commençait à passer au-dessus de l'hôtel du département. Les villes se sont construites autour de ces entreprises, venues s'installer en Seine-Maritime pour profiter de l'axe privilégié de la Seine. À quelques centaines de mètres de Lubrizol se construit l'écoquartier Flaubert : est-il raisonnable d'autoriser de telles implantations près d'entreprises qui, par ailleurs, participent au développement économique de la métropole Rouen Normandie et du département de la Seine-Maritime ? La question des autorisations d'urbanisme est accrue par cet accident majeur.
Par ailleurs, le fait d'actionner les sirènes à 4 heures du matin n'aurait interpellé personne. Hormis, progressivement, dans les établissements scolaires, la culture du risque n'est pas partagée. Après l'incendie, l'information des populations doit être reprise de zéro.
La réglementation en matière de lutte contre les incendies s'est construite après des drames comme celui de Seveso, en Italie, en 1976. Au-delà des politiques de prévention, il faut désormais améliorer la prévision, partant du postulat que, sur ces sites, le risque zéro n'existe pas, et imaginer des moyens adaptés pour faire face aux incendies. De fait, plus un incendie est maîtrisé rapidement, moins il cause de dégâts. Il convient, dans ce cadre, de renforcer les équipes de sécurité en interne, comme il en existe chez Lubrizol. Outre les moyens d'extinction comme les sprinklers, les moyens humains demeurent indispensables. La coopération entre les différents établissements Seveso implantés sur la métropole Rouen Normandie mérite aussi d'être développée.
Nous devons effectivement trouver des moyens efficaces d'informer la population, ce qui suppose que chacun soit convenablement tenu au courant des risques et des actions à mener s'ils venaient à se concrétiser. En matière d'urbanisme, les PPRT ont instauré des périmètres autour des entreprises à risque dans lesquels les habitations, voire toute autre installation, sont interdites. Faut-il aller au-delà ? Je vous rappelle que les PPRT sont déjà, bien souvent, considérés comme très contraignants par les collectivités territoriales. C'est également le cas des périmètres fixés par les plans de prévention du risque inondation (PPRI). Les analyses réalisées depuis l'incendie sont rassurantes puisqu'aucun polluant anormal n'a été constaté dans les communes sous panache de fumée, mais ledit panache a eu des retombées jusqu'à Valenciennes. Cela pose la question du périmètre à une échelle bien différente, s'il s'agissait de prendre en compte la pollution diffuse à moyen terme. Dans le cas de Lubrizol, la mutualisation des dispositifs d'intervention que vous évoquez entre les sites de Seine-Maritime a bien fonctionné et nous encourageons sa diffusion sur d'autres territoires.
Je vais m'exprimer en lien avec notre collègue Nelly Tocqueville, retenue en Seine-Maritime. Je partage l'analyse de Didier Mandelli sur l'incohérence de la communication gouvernementale concernant l'incendie : cela a sans doute contribué à susciter des peurs ou, du moins, à les accentuer. La crise n'est pas terminée, car les habitants de Seine-Maritime vivent toujours dans le doute. Nous aurions gagné en temps et en sérénité si cette communication avait été concertée et coordonnée. Nos concitoyens veulent connaître la vérité. Ils s'interrogent sur les dysfonctionnements ayant marqué le début de la crise : ils ont respiré les substances issues de la combustion et certains agents ont nettoyé des locaux scolaires alors que des parents d'élèves recevaient des consignes de confinement. Nelly Tocqueville nous disait, par exemple, que, le 3 octobre, dans sa commune située à quinze kilomètres à l'ouest de Rouen, dans une zone qui n'aurait pas dû être concernée par le panache de fumée, les habitants avaient senti des odeurs et des picotements à la gorge. En outre, des gens du voyage, qui occupent une aire située à 400 mètres de l'usine, n'ont reçu aucune information et n'ont eu droit à aucune protection. L'inquiétude demeure également chez les acteurs économiques. Comment redonner de la confiance à la population ? Les habitants sont désemparés et ne savent pas quel comportement adopter. Les commissions d'information, comprenant des élus, des syndicalistes, des représentants d'associations, des experts et des exploitants de sites, sont compétentes en matière d'information sur la santé et la sécurité des riverains ; elles contribuent à diffuser une culture de sécurité et sont de nature à rassurer les populations en cas d'incident. Hélas, la France n'en compte que cinquante-trois, dont trente-huit sur des sites nucléaires.
Sauf erreur de ma part, les CSS doivent exister sur tous les sites Seveso de seuil haut. C'est une obligation réglementaire. S'agissant de la gestion de la crise, le préfet a rapidement mis en oeuvre, conformément au plan particulier d'intervention, des mesures sur la pollution de l'air qui n'ont pas mis en évidence de concentrations anormales de polluants, ainsi qu'un périmètre de protection de 500 mètres autour du site. Je comprends toutefois les inquiétudes exprimées. Nous allons d'ailleurs diffuser les résultats des prélèvements et des analyses réalisés par l'exploitant, par les pompiers, par les services de l'État et par des experts indépendants, afin de convaincre les populations que les teneurs en polluants demeurent en dessous des seuils d'alerte.
Par ailleurs, Agnès Buzyn a confirmé qu'une étude épidémiologique de long terme serait mise en place, à l'instar de celle qui avait été menée après l'incident de 2013, laquelle n'avait montré aucune conséquence sur la santé.
L'explosion d'une partie de l'usine Lubrizol est une véritable catastrophe industrielle, avec des impacts économiques, humains et agricoles. L'agriculture représente un secteur en crise. Dans le département de la Seine-Maritime, les exploitations sont spécialisées dans la production de lait et dans certaines cultures. L'industrie agro-alimentaire est également bien implantée. Quels sont les risques de séquestre des productions agricoles et de stockage de la production laitière ? Les industriels peuvent-ils exploiter ces produits ? Les interrogations et les inquiétudes de la filière agricole et agro-alimentaire sont nombreuses.
Le principe est celui du pollueur-payeur : c'est l'exploitant à l'origine du risque de pollution qui paiera. Une réunion était organisée aujourd'hui au ministère de l'agriculture pour étudier quels mécanismes pourraient être mis en place rapidement, sans attendre les décisions d'un tribunal. Dans l'attente du remboursement, l'interprofession laitière a par exemple annoncé qu'elle assurerait la gestion en temps réel. Mais le ministère de l'agriculture travaille avec l'exploitant, Lubrizol, à ce que les agriculteurs soient indemnisés rapidement.
Pour ce qui concerne la consignation des productions agricoles, les premiers résultats sont rassurants, mais la surveillance doit se poursuivre, la contamination du lait par le fourrage pollué n'étant, par exemple, pas instantanée. Le ministre de l'agriculture avait invité les industriels à assurer la collecte ; certains le font, d'autres pas. S'agissant de produits périssables, une perte de production sera inévitablement constatée ; elle devra être indemnisée - nous mettons la pression sur l'industriel pour que le principe du pollueur-payeur soit respecté.
Je suis élu de la Somme, une zone riveraine de celle de la catastrophe. Le nuage est passé au-dessus de chez moi, sur une quarantaine de kilomètres ; je n'ai pas mangé de framboises ce week-end, principe de précaution oblige.
Les agriculteurs sont fragiles financièrement ; il faut évidemment les indemniser le plus vite possible. Les déclarations ne suffisent pas. On ne peut pas les laisser se débrouiller seuls, sachant que le lait, par exemple, représente le salaire des petits agriculteurs - toutes les fermes, dans la Somme, n'ont pas mille vaches ! La même chose est vraie, d'ailleurs, pour nos voisins et amis normands, de l'autre côté de la vallée de la Bresle ; nous sommes tous solidaires les uns des autres.
Je voudrais évoquer, par ailleurs, le doute qui habite un certain nombre d'élus et de producteurs locaux. À tel endroit, nous dit-on, le lait des vaches n'est pas propre à la consommation ; à tel autre endroit voisin, nous dit-on aussi, il l'est. On interdit à un agriculteur d'ensiler à tel endroit ; sur la terre voisine, on l'y autorise. Où sont la cohérence et la crédibilité des décisions prises ?
Je serais partisan d'une vision un peu plus globale du problème. Trente-neuf communes, dans la Somme, figurent sur la liste. Or, en termes de cohérence géographique, eu égard au mitage qui caractérise la région, il me paraît invraisemblable de traiter différemment des territoires mitoyens. C'est la fameuse histoire du nuage de Tchernobyl qui se répète : le nuage ne s'est pas arrêté sur le Rhin !
S'agissant des framboises et autres productions naturelles, j'ai saisi l'Office national des forêts (ONF), l'Agence française pour la biodiversité (AFB) et les agences de l'eau pour qu'elles participent au suivi environnemental de moyen et long terme.
Les préfets ont invité les forces de l'ordre, les collectivités, les agriculteurs, à signaler les retombées de suie constatées ; c'est sur la base de ces signalements que les communes ont été classées dans la liste de celles dans lesquelles les productions agricoles sont consignées. N'aurait-il pas été excessif de consigner toute production dans toutes les communes situées entre Rouen et Valenciennes ?
Peut-être pourrons-nous réfléchir à une méthode plus scientifique, et j'ai bien noté votre préoccupation. Didier Guillaume est totalement mobilisé pour que le préjudice important subi par les agriculteurs soit rapidement pris en charge par Lubrizol.
S'agissant de la défiance du public à l'égard des informations transmises, force est de constater que, aujourd'hui, si c'est l'entreprise qui informe, elle est, en tant que partie prenante, peu crédible ; si ce sont les scientifiques, on leur reprochera d'être à la botte d'un lobby ; si c'est le Gouvernement, il sera accusé de vouloir étouffer l'affaire. Même si l'information est transparente, la théorie du complot fera jouer ses effets, à grand renfort de réseaux sociaux.
L'attente du grand public est néanmoins légitime. Je m'interroge sur les procédures actuelles. Elles doivent être revues ; surtout, l'enjeu doit être d'inculquer à nos concitoyens la culture du risque. Tout le processus doit s'assortir de la plus grande transparence, dès le dossier de création, au-delà de la seule enquête publique. Un suivi régulier et obligatoire doit être instauré pour toute activité pouvant comporter un danger, autour d'une instance associant l'ensemble des parties prenantes.
Sur la méfiance des citoyens, je partage votre constat.
L'information régulière des populations est du ressort des CSS. Manifestement, la circulation de l'information est insuffisante ; comment l'améliorer ? La question est posée. Il faut aussi étudier la façon dont les plans communaux de sauvegarde (PCS) sont mis en oeuvre au plus près des citoyens.
Est-il possible que, à la faveur des assouplissements qui ont été évoqués, des entreprises dépassent les seuils autorisés, en l'occurrence les seuils Seveso haut ? Un certain nombre d'articles apparemment très bien renseignés laissent entendre que les seuils auraient été dépassés pour au moins deux produits. Est-ce le cas ?
Vous avez indiqué que vous disposiez désormais de la liste des produits stockés dans l'entreprise qui jouxte Lubrizol, Normandie Logistique. Le préfet, il y a quelques heures encore, faisait état de difficultés à obtenir cette liste. Ces difficultés sont-elles levées ? Le problème est-il désormais simplement de savoir quels produits, parmi ceux de la liste, ont brûlé ?
Vous dites que l'entreprise Normandie Logistique s'est installée antérieurement à la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement ; mais c'est le cas pour la quasi-totalité des entreprises. L'usine Lubrizol est en service depuis 1954 ; la réglementation n'était évidemment pas celle qui est aujourd'hui en vigueur.
Lorsqu'une entreprise de stockage jouxte une usine Seveso, il est impératif que l'on sache quels effets cocktail sont susceptibles de se produire.
S'agissant de la collecte du lait, au-delà des difficultés économiques que représente pour les agriculteurs la nécessité de jeter leurs productions - c'est un véritable crève-coeur pour eux -, des engagements ont été pris par le ministre de l'agriculture pour que les coopératives viennent collecter le lait. Ces engagements ne sont pas respectés. Les producteurs doivent jeter eux-mêmes leur lait dans la fosse à purin, pour ne pas dire n'importe où ! Vos propos se veulent rassurants ; mais, si d'aventure le lait était pollué, l'absence de collecte aurait forcément un impact environnemental.
Vous évoquez des pistes sur les plans de prévention des risques technologiques. L'État offre des crédits d'impôt pour aider à la réalisation des travaux nécessaires ; mais, dans certains endroits, les collectivités sont forcées d'avancer la dépense.
En matière de système d'information et d'alerte, les maires sont des vecteurs d'information essentiels. Il est regrettable qu'ils n'aient pas été saisis par le préfet comme ils auraient pu l'être ; ils auraient été des relais d'information extrêmement efficaces.
Pour ce qui concerne la collecte ou la non-collecte du lait, attendons les analyses. S'il existe un seuil applicable à la quantité de dioxines présente dans les produits alimentaires, il n'existe pas vraiment, en revanche, de norme de référence pour la quantité présente dans l'environnement. Reste que les taux constatés dans l'environnement se situent dans la fourchette habituelle du prélèvement de référence. Personne ne souhaite que l'on doive détruire du lait ; pour autant, il faut se donner le temps de conduire toutes les analyses nécessaires.
S'agissant des maires, l'esprit des plans communaux de sauvegarde est justement de les mettre au coeur de l'information des citoyens sur les risques. C'est bien là le principe du Dicrim élaboré par les préfets. Sans empiéter sur les compétences de mon collègue ministre de l'intérieur, je constate que les douze maires concernés par le panache de fumée ont été prévenus par le préfet ; mais sans doute aurons-nous à tirer des leçons de cette expérience.
Quant aux travaux préconisés dans le cadre des PPRT, aucun problème de financement, à ma connaissance, n'en retarde la mise en oeuvre. Un dispositif d'avance sera instauré à partir de 2020.
Je reviens sur votre première question : quid des produits stockés sur le site de Normandie Logistique ? Compte tenu du caractère erratique des informations qui nous ont été données, je préfère laisser le temps à l'enquête administrative de remettre à plat les listes qui ont été mises en ligne. Il n'existe aucune contradiction entre mes propos et ceux du préfet : la liste que nous avons rendue publique est celle de l'ensemble des produits stockés sur le site, et le préfet essaie d'obtenir de l'exploitant la liste de ceux qui ont brûlé dans les entrepôts détruits.
Cet accident, bien que grave, n'est pas le premier du genre. J'entends dans vos propos la volonté de gérer l'avenir ; je reconnais là la préfète de région que j'ai connue en Poitou-Charentes.
L'administration contrôle les entreprises ; quelle est la fréquence de ces contrôles ? Quel est le nombre d'inspecteurs affectés à ces contrôles ?
Cela a été dit, il est difficile de faire parvenir l'information aux citoyens. J'habite à côté de la centrale nucléaire de Civaux ; je suis pour le nucléaire et n'ai pas hésité à faire construire ma maison à cinq kilomètres de la centrale. Un bruit assourdissant a retenti il y a trois semaines, en pleine nuit ; on a pu constater combien il était difficile pour EDF d'informer la population. Ce n'était rien du tout, mais les gens ont eu peur. Je sais que le Gouvernement y travaille, et les progrès technologiques permettront sans doute d'améliorer l'information - c'est plus facile en centre-ville.
Les inspecteurs des sites classés sont au nombre de 1 600, représentant 1 300 équivalents temps plein. Ces effectifs ont progressé depuis les années 2000 ; ils sont relativement stables et ne diminueront pas l'an prochain. La fréquence des contrôles est très précisément encadrée pour les sites Seveso : ceux-ci doivent être inspectés au moins une fois par an, et, de fait, ils le sont bien davantage.
En matière d'information, il est impératif de réfléchir à des moyens autres que les sirènes - je pense aux SMS par exemple, même si les expérimentations menées sur le risque terroriste n'ont pas totalement fait leurs preuves. À l'échelle d'une commune, il serait bon que le maire puisse diffuser des informations plus éclairées que ne l'est une simple sirène.
Sous réserve que le territoire en question dispose d'une couverture en téléphonie mobile.
Des assouplissements sont possibles depuis août 2018 ; l'usine en question en a bénéficié. J'entends ce que vous dites - les entrepôts concernés par les assouplissements ne sont pas ceux qui ont pris feu. Néanmoins, il est logique de considérer cet assouplissement comme un facteur d'aggravation du risque pour les sites dangereux. L'État est-il en mesure de nous dire quels autres sites ont bénéficié de ces assouplissements réglementaires ?
Je suis sénatrice du Nord, où le nuage est arrivé : là aussi, pas de lait, pas d'oeufs, pas de fruits. Les études d'impact ont-elles été menées, dans ce département, comme elles l'ont été dans la région rouennaise ? Il faut s'assurer, en outre, du caractère rigoureux et scientifique de ces études.
L'ancienne région Nord-Pas-de-Calais, qui compte 68 sites Seveso, est concernée au premier chef par les PPRT. Or les mairies se sentent bien seules dans l'exécution de ces plans, en particulier pour ce qui concerne les bâtiments publics : elles n'ont pas les moyens financiers de mettre en oeuvre cette réglementation.
La règle générale est celle d'un financement en trois tiers, État, exploitant, collectivité. Peut-être pouvons-nous réfléchir à un mécanisme permettant de lisser les dépenses qui seraient trop importantes pour les collectivités.
Des prélèvements ont bien été effectués par les services du ministère de l'agriculture sur l'ensemble de la zone impactée par les retombées. Nous aurons une conception extensive du suivi à moyen et long terme des conséquences de la catastrophe sur l'environnement et sur la santé. C'est d'ailleurs dans cet esprit que j'ai saisi l'AFB, l'ONF et les deux agences de l'eau concernées, Artois-Picardie et Seine-Normandie, bien au-delà de la seule métropole rouennaise.
Quant aux sites qui ont bénéficié des assouplissements, je ne suis pas, pour le moment, en mesure de vous en fournir la liste ; nos services y travaillent.
L'émotionnel n'est pas rationnel ; dès lors que les premières minutes de communication sont ratées, c'est fichu !
Mon assureur m'envoie des SMS à la moindre tempête - quoi de mieux pour faire paniquer les personnes âgées ? Malgré tout, si un assureur peut le faire, ce devrait être dans les cordes de l'État et des élus locaux.
S'agissant de la dimension juridique du problème, des jugements ont été rendus, en France, au fil des catastrophes, où le principe du pollueur-payeur s'est vu appliqué - je pense à l'arrêt « Erika » de 2012. Le législateur, de son côté, a fait son travail ; Bruno Retailleau a, par exemple, déposé une proposition de loi sur le préjudice écologique, qui a été adoptée à l'unanimité et dont le contenu a ensuite été intégré à la loi biodiversité du 8 août 2016, à l'initiative du Sénat. Les entreprises en viennent-elles ou non à considérer qu'il vaut mieux une juste réparation qu'un mauvais procès ?
Sans préjuger de la concrétisation des engagements annoncés par l'entreprise, je pense qu'elle a bien compris où était son intérêt, sachant qu'elle a une réputation mondiale.
C'était le cas de Total à l'époque ! Ses dirigeants avaient préféré attendre le procès.
Sous réserve, donc, de la concrétisation des bonnes intentions qui ont été annoncées, je pense que Lubrizol a une image à défendre dans de nombreux pays. Son président me disait qu'il était aussi interpellé par ses homologues d'autres entreprises chimiques, et je l'ai moi-même sensibilisé sur les délibérations prises par certains maires, qui commencent à demander que les sites Seveso accueillis par leurs communes déménagent. Chacun a bien en tête qu'un comportement exemplaire est une condition de l'acceptabilité de ce genre d'installations industrielles.
On peut espérer qu'ils s'intéressent à l'image de leur entreprise sur le long terme.
Le comité de suivi est une pièce centrale du dispositif d'information. Quel est son périmètre ? Il aura à rassurer les citoyens sur le fait que les engagements pris seront bien tenus sur le long terme ; quelle sera donc sa longévité ? Quel accompagnement sera mis en oeuvre à l'horizon de dix ou quinze ans ?
L'objectif de ce comité est d'associer tous les acteurs concernés, parlementaires, collectivités, agriculteurs, associations de protection de l'environnement, riverains, professionnels de santé, au suivi des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de cette catastrophe, à moyen et long terme.
Ce comité a donc vocation à se réunir dans la durée. Il se réunira fréquemment au début - la transparence la plus totale est indispensable -, puis, dans la durée, autant que nécessaire. L'enjeu est vraiment de rassurer ; on peut espérer que, au fil du temps, en fournissant l'information de façon transparente et régulière, les populations soient informées et, si les résultats des analyses continuent à le justifier, rassurées.
Une augmentation des taux de dioxines dans l'air vient d'être annoncée par Atmo Normandie, ce qui ne rassurera probablement pas la population.
J'étais vice-président de Nantes Métropole chargé du risque au moment de la catastrophe d'AZF. Les débats que nous avons aujourd'hui sont pour partie les mêmes que ceux que nous avions alors. Deux problèmes, en particulier, restent pendants. Le premier est celui de l'effet domino. Dans le cas présent, on ne sait pas d'où est parti l'incendie ; si les inspections sont fréquentes sur les sites Seveso, l'effet domino n'est pas vraiment pris en compte, sachant que le traitement de cette question nécessite beaucoup de temps et de moyens humains.
En matière d'alerte, nous sommes, en France, très mauvais. Nous avions, à Nantes, établi un Dicrim. Mais notre pays n'a aucune culture du risque. Nous ne sommes mobilisés que sur le risque zéro : nous nous contentons de nous demander comment il se fait qu'un incendie soit possible.
Il faut en particulier des réponses communes pour le risque technologique, pour le risque climatique et pour le risque sanitaire. De ce point de vue, madame la ministre, une partie de vos réponses expriment la segmentation de l'État entre ce qui relève du ministère de l'intérieur, du ministère de la santé, du ministère de l'environnement, du ministère de l'agriculture, etc. Si l'on ne casse pas cette logique de silos, on ne peut créer aucune culture du risque. Et je pense vraiment que vous devez, en tant que ministre de l'environnement, être pilote en la matière.
Une méthodologie affinée doit notamment être instaurée, fondée sur le cumul des alertes. Tous les leviers doivent être actionnés en même temps ; aucun ne suffit à lui seul, qu'il s'agisse de la sirène, du message téléphonique ou du message radio. Ce travail doit être mené en liaison avec les réseaux de collectivités territoriales, qui ont une vraie expertise, en partant des bons exemples - je pense à celui du centre de gestion des crises de Nantes.
Si nous ne sortons pas de cette catastrophe armés d'une méthodologie renforcée, les mêmes problèmes se poseront la prochaine fois. Il nous incombe de ne pas rater l'opportunité qui suit, hélas, chaque catastrophe.
Nous avons forcément des leçons à tirer de la façon dont l'information a circulé. Sans me défausser, et en tant qu'ancienne préfète, j'ai tendance à penser que c'est le rôle du préfet d'assembler les différents silos sur le terrain. Et, en l'occurrence, c'est bien le préfet qui a eu à gérer la crise avec l'ensemble des services de l'État.
Mon ministère se sent évidemment concerné par la culture du risque. La réflexion sur une meilleure prise en compte des risques naturels ou technologiques est sans aucun doute indispensable. Ma longue expérience en matière de gestion des catastrophes me montre que nos concitoyens considèrent aujourd'hui qu'ils sont protégés en toute heure et en tous lieux. Sans affoler tout le monde par des messages intempestifs, il faut que chacun se sente davantage concerné par les comportements à adopter lorsqu'un risque se concrétise.
Quant aux effets domino, en toute logique, ils doivent être pris en compte dans les études de danger réalisées sur les sites Seveso - là encore, un retour d'expérience devra être fait sur ce sujet.
Tout a été dit sur la gestion de la crise ; je n'y reviendrai pas.
J'évoquerai la culture de crise, qui n'en est, en France, qu'à ses balbutiements, et reste en particulier très compartimentée - risque industriel, risque d'inondation, risque minier, etc. Les règles d'urbanisme, en outre, tardent à s'adapter : on a construit sur des remblais ou des zones inondables, ce qui crée des zones de fragilité. Quant aux friches industrielles, certaines n'ont pu être réhabilitées ; lorsque l'ancien propriétaire se déclare en faillite, il peut s'écouler une vingtaine d'années avant que le site ne soit déclaré orphelin et pris en charge par l'État.
En matière de gestion du risque, il existe une véritable ingénierie au niveau des collectivités territoriales. J'ai moi-même eu l'occasion d'établir un plan communal de sauvegarde, ma commune étant située le long de la Loire. Je peux vous dire qu'il a fallu, pour y parvenir, faire oeuvre de pédagogie auprès de l'intercommunalité, sachant qu'une inondation ne s'arrête pas aux limites d'une commune.
Le bricolage doit cesser d'être la règle ; cette culture du risque balbutiante doit être structurée et rationalisée, en direction tant des élus que des populations. Certains pensaient ne pas avoir besoin de plan communal de sauvegarde au motif que la Loire n'avait pas débordé depuis vingt ans ! Il faut donc insister sur la pédagogie dans sa dimension pluridisciplinaire. C'est un vaste chantier ; comment comptez-vous l'aborder ?
Nous avons à progresser, en effet, en matière de culture du risque, ce qui n'est pas exclusif de l'effort réalisé pour sensibiliser les collectivités - nous avons tous en tête des catastrophes qui auraient pu être évitées si l'on n'avait pas construit dans des zones où nos anciens savaient qu'il ne fallait pas construire.
Quand on veut élaborer des documents protecteurs, qui, comme tels, restreignent les possibilités d'urbanisation, les PPRT par exemple, on se heurte à des réticences. Vous avez donc raison de dire qu'il faut sensibiliser, y compris certains élus.
Nous devons, Christophe Castaner et moi, identifier les bonnes pratiques en matière de PCS. Cela permettra d'éviter que chacun ne reparte de zéro et d'accélérer la mise en oeuvre de plans efficaces.
Merci, madame la ministre, pour vos réponses. La commission d'enquête que nous allons mettre en place essaiera de faire la lumière sur ce qui s'est passé et sur les règles qu'il conviendrait de modifier pour l'avenir.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 20 h 05.