Je vous remercie, Madame la présidente, d'avoir accepté cet échange que j'ai sollicité en vue d'une restitution sur « l'état des volontés » des territoires d'outre-mer en ce qui concerne l'organisation et les modalités de leur libre administration locale. Je vous en sais d'autant plus gré que je suis conscient que vous avez dégagé un temps précieux dans un agenda très chargé en cette période.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, a en effet initié un groupe de travail sur la décentralisation avec l'ambition - selon ses termes - de « repenser en profondeur l'organisation des pouvoirs locaux » et de formuler des propositions en ce sens. Il a aussi été sollicité par le Président de la République. Gérard Larcher m'a donc fait l'honneur de me charger du volet outre-mer en ma qualité de président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer. C'est donc dans cette optique que j'ai souhaité entendre chacun des exécutifs des assemblées territoriales en vue d'une restitution des orientations reflétant aussi fidèlement que possible la diversité des visions institutionnelles ultramarines.
J'espère, sans trahir cette riche hétérogénéité, que des grands axes se dégageront de ces échanges constituant des articulations autour desquelles pourront se construire chaque projet et concrétiser chaque volonté locale. J'ai lu avec grande attention la résolution des élus de la Guadeloupe du 29 décembre 2019 qui dresse assez nettement les grands principes et les objectifs qui devront présider à la création d'un statut différencié. Je suis également très heureux de pouvoir discuter avec-vous de votre proposition d'un article 971 de la Constitution, dont je comprends que nous nous rejoignons sur le principe.
Ma conviction personnelle est que les outre-mer sont à la fois un laboratoire et une preuve de la capacité de la République à faire oeuvre de créativité institutionnelle sans pour autant que son indivisibilité soit atteinte. C'est pourquoi j'avais formulé une déclinaison de la différenciation autour d'un triptyque : unité, différenciation et participation. Il est grand temps en effet que chaque territoire ultramarin trouve l'organisation qui lui ressemble et qui puisse être un levier de développement grâce à la définition et au déploiement de politiques publiques en concordance avec les réalités locales.
J'ai souhaité associer mes collègues sénateurs et ai invité pour la Guadeloupe la sénatrice Victoire Jasmin et les sénateurs Victorin Lurel et Dominique Théophile dont je salue la présence. Je vous indique aussi que j'ai déjà auditionné le président de région.
Avant d'entamer notre échange, permettez-moi une parenthèse pratique. Je vous ai proposé une trame de questions ; je propose qu'elle guide nos échanges. L'idée est d'explorer avec vous ce qui vous semble constituer la meilleure organisation des relations entre les différents échelons de pouvoir pour répondre au mieux aux enjeux de la conduite de la destinée de votre territoire.
Je tiens d'abord à vous remercier, Monsieur le président, d'avoir pris l'initiative de cette audition qui s'inscrit dans les réflexions en cours sur la décentralisation dans l'optique du renforcement des libertés et des responsabilités locales. Je fais partie de l'école de pensée qui estime qu'il ne peut y avoir de liberté sans responsabilité. Vous avez tenu à ce que nous puissions, exécutif et élus des outre-mer, participer à ces réflexions et faire entendre nos attentes, nos spécificités et nos propositions sur ces matières importantes. Je souhaite saluer cette démarche qui correspond bien à l'homme de dialogue que vous êtes.
Je me réjouis de pouvoir échanger avec vous sur ces questions liées à la décentralisation. J'ai été à l'initiative de la relance du débat sur les enjeux de la gouvernance, sujet qui avait fortement divisé la Guadeloupe ces deux dernières décennies. Ce sujet est d'ailleurs encore très chargé idéologiquement, politiquement et émotionnellement, car il a structuré pendant longtemps les forces et les équilibres politiques. Il est encore regardé avec beaucoup de méfiance par notre population. J'ai cependant estimé qu'il était temps, six ans après la dernière tentative, de reparler de la Guadeloupe ensemble. J'ai considéré que les termes des débats à l'occasion desquels nous nous étions divisés par le passé avaient changé, et que nous étions prêts à imaginer d'autres chemins que ceux qui avaient été envisagées au début des années 2000. J'ai donc organisé un congrès des élus départementaux et régionaux au premier semestre 2019 au terme duquel, pour la première fois depuis longtemps, les élus guadeloupéens ont parlé d'une seule voix pour affirmer la nécessité de faire évoluer la gouvernance de notre territoire vers une plus grande différenciation territoriale. Nous l'avons fait en ayant à l'esprit le fait que le Président de la République ait annoncé son intention de réviser la Constitution, ce qui présentait une opportunité à saisir pour mettre en oeuvre autrement la différenciation territoriale, qui ne s'envisageait jusqu'à présent, pour les outre-mer, que dans les sentiers très balisés des articles 73 et 74. Or le premier présente aujourd'hui des limites qui paraissent entraver notre aspiration à davantage de différenciation. L'article 74 présente quant à lui des incertitudes et des risques, qui n'en font pas une option attractive.
Pour l'heure, ce projet de révision constitutionnelle n'est pas allé au-delà de l'intention, quand bien même un avant-projet de loi a été présenté. Cette perspective, plusieurs fois repoussée, paraît être encore davantage éloignée à la suite de la crise sanitaire. Pour autant, nous avons poursuivi nos réflexions. Au second semestre, mon homologue de la région a organisé à son tour un congrès, qui nous a permis d'approfondir nos réflexions et de présenter la voie dans laquelle nous souhaitons aller : résolument guadeloupéenne, ne correspondant ni à l'article 73, ni à l'article 74, mais un article 97-1, qui permettrait de doter la Guadeloupe d'une loi organique dont le contenu serait à discuter par l'ensemble des forces vives du territoire avant d'être négociée avec l'État. Cette loi organique déterminerait une nouvelle répartition des compétences entre l'État et l'échelon local. Celui-ci serait doté de pouvoirs normatifs dans un certain nombre de domaines à déterminer et permettrait de choisir une nouvelle organisation territoriale pour mettre en oeuvre les politiques publiques locales. Cette loi organique serait enfin soumise au consentement de la population par une consultation de type référendaire.
Nos réflexions communes ont été perturbées par la crise sanitaire. Depuis lors, le Gouvernement a mis sur la table un nouveau véhicule législatif, le projet de loi 3D (décentralisation, différenciation, déconcentration), qui n'est pas celui qui nous permettrait d'avancer vers cet article 97-1 que nous appelons de nos voeux. Il constitue néanmoins une autre possibilité pour la Guadeloupe de se pencher sur les conditions d'exercice des missions et compétences de ses collectivités locales et de son rapport avec l'État central.
J'ai à mes côtés mon directeur de cabinet, Olivier Nicolas et mon directeur général des services, Henri Laventure. Je souhaite qu'ils puissent apporter leur éclairage sur certains points.
Je vous propose de commencer par évoquer la décentralisation dans son état actuel et la répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Tout d'abord, vous paraissent-elles adaptées à la situation du territoire, ou certaines compétences seraient-elles mieux exercées par les collectivités ou à l'inverse, par l'État ?
Ce n'est pas tant la répartition des compétences qui mérite réflexion que les points de chevauchement, qui demeurent une source de confusion et de manque d'efficacité et de lisibilité pour les acteurs des politiques publiques. Ces points de chevauchement s'observent à la fois entre l'État et les collectivités territoriales, mais aussi entre les collectivités elles-mêmes. Dans le cadre des travaux de nos congrès, nous avons commencé à étudier deux pistes. La première est la constitution de blocs de compétences plus homogènes, pour clarifier des compétences aujourd'hui partagées. Concernant par exemple la compétence scolaire, les maires gèrent les écoles primaires, les bâtiments étant sous la responsabilité du département et les lycées sous la responsabilité de la région. Nous pourrions imaginer regrouper les collèges et lycées sous la compétence du département. Les maires pourraient lui confier les écoles élémentaires, puisque c'est dès le plus jeune âge que les déséquilibres se manifestent.
Une évolution régalienne est en effet nécessaire pour autoriser ces regroupements de compétences homogènes. S'agissant des compétences qui pourraient être mieux exercées par les collectivités, nous constatons aujourd'hui que l'État a des compétences de contrôle et de police qui peuvent gêner la mise en oeuvre des prérogatives des collectivités, ce contrôle ne prenant pas toujours en compte les réalités de terrain. Une évolution envisageable résiderait dans le fait d'accompagner les compétences destinées à l'exercice des missions des collectivités de prérogatives qui sont aujourd'hui confiées à l'État. En effet, certaines commissions constituent un frein au développement territorial du fait d'exigences de nature à rendre quasi impossibles des projets de développement. Il conviendrait donc de donner aux collectivités la latitude de gérer les territoires, en leur accordant une confiance leur permettant de décider du cadre à partir duquel leurs missions peuvent être accomplies sans dommages pour l'intérêt général.
Des pistes avaient été tracées par le congrès de décembre, dans le sens de pouvoirs et de responsabilités accrus au niveau local, avec la possibilité de fixer des normes notamment. Les élus du congrès avaient identifié les champs de la politique publique de l'emploi, du développement économique et humain, de la fiscalité, de l'urbanisme et de l'environnement. Des débats restent en outre à trancher sur la question des mécanismes à mettre en place en matière d'emploi, en vue de favoriser, de manière dérogatoire au droit commun et sur des territoires affichant un fort chômage, une préférence territoriale à l'emploi. Ces propositions ont été évoquées à la fois par les forces politiques et les élus.
Concernant le revenu de solidarité active (RSA), nous réfléchissons à une renationalisation de cette mesure afin de permettre au département de ne pas être contraint de compléter la dotation.
Dans le cadre de votre proposition de loi organique, vous incluez donc une demande de transfert de compétence normative dans un certain nombre de domaines.
Absolument.
Vous avez évoqué la relation avec les communes. Lorsque j'auditionne la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie, celles-ci vont jusqu'à évoquer une différenciation interne, entre les trois provinces de la Nouvelle-Calédonie ou entre le gouvernement de Polynésie et ses nombreuses communes.
Vous avez en outre soulevé l'idée du regroupement des collèges, lycées et de l'école élémentaire pour une meilleure gestion interne. Certains territoires, comme la Polynésie, soutiennent que leurs enfants ne peuvent suivre un cursus sans avoir appris leur histoire et leur culture. Le gouvernement polynésien intervient ainsi dans les programmes du primaire et passe le relais à l'État pour le secondaire. Quelles sont vos hypothèses en la matière ?
Nous devons préparer les enfants concernant l'histoire et la géographie de notre territoire. L'histoire de la Guadeloupe doit impérativement être apprise pour mieux les préparer à affronter le monde.
Nous ne pouvons éluder notre implantation dans un environnement régional. J'ai personnellement fait des propositions sur le bilinguisme, estimant qu'un Antillais doit aussi parler anglais. J'avais proposé la généralisation en Guadeloupe et en Martinique d'un enseignement dérogeant aux programmes nationaux afin d'atteindre l'objectif du bilinguisme.
Je vous rejoins. Nous répétons à longueur de temps que nous devons être en mesure d'échanger entre États de la Caraïbe et de permettre à nos jeunes d'étudier dans les différentes îles qui nous entourent. Ne pas maîtriser l'anglais ou l'espagnol est un handicap.
Concernant les habilitations, il était auparavant nécessaire de préparer un dossier pour obtenir une habilitation pour deux ans. Lors des dernières réunions de la Conférence des territoires, le Premier ministre avait évoqué la certification des habilitations. Or celles-ci restent limitées dans le temps et expérimentales. Il se pose à mon sens un problème de moyens. Quel est votre sentiment sur l'habilitation telle qu'elle existe aujourd'hui ? Répond-elle mieux aux besoins des collectivités que la notion de transfert de compétences et de moyens ?
Avec Victorin Lurel, nous avons obtenu deux habilitations : la réglementation thermique des bâtiments et la formation professionnelle pour créer l'établissement public administratif guadeloupéen de formation. Ce processus est long, car il suppose de s'entourer d'une expertise technique et juridique que les collectivités n'ont pas. Nous devons systématiquement faire appel à des compétences extérieures à nos collectivités. Cette démarche s'avère dès lors être très onéreuse. La Guadeloupe et la Martinique étaient en relation, pendant un temps, pour l'habilitation sur les transports. Cette démarche n'a pas abouti. Il me semble nécessaire d'aller beaucoup plus loin en la matière.
Depuis 2011, le législateur a souhaité que cette habilitation soit accordée pour un temps plus long. Vous évoquez la nécessité de solliciter des ressources en expertise. L'exercice complet de la compétence n'est-il pas la solution ? En effet lors du transfert d'une compétence, la collectivité a la possibilité de modifier les normes et donc de les établir, ce qui revient à introduire de la spécialité normative ou législative.
Dans les demandes d'habilitation et de transfert de compétences, quelle place accordez-vous à la démocratie locale ? Une habilitation doit-elle passer par une consultation populaire ?
Pas nécessairement pour tous les sujets. Elle peut être gérée en interne, entre la région et le département. Nous l'avons fait pour le domaine des transports. Certains pans de notre fonctionnement peuvent ne pas être systématiquement soumis au peuple.
Si la Guadeloupe estimait que les problèmes d'environnement lui étaient singuliers et souhaitait les piloter elle-même, une compétence de ce type pourrait-elle être décidée exclusivement par les élus ?
Oui, absolument, sous réserve des moyens nécessaires. Les élus que nous sommes doivent oser prendre leurs responsabilités et les assumer. Si le RSA était suffisamment financé, nous aurions pu exercer cette compétence avec la sensibilité qui est celle de notre conseil départemental. Ceci n'est cependant pas le cas, et nous sommes contraints de nous substituer à l'État sur nos fonds propres. Lorsque nous pouvons prendre en charge une compétence et être accompagnés à l'euro près, j'estime que nous devons le faire.
L'État a d'ailleurs prévu, lorsque vous demandez l'habilitation à exercer une compétence et fixez de nouvelles dispositions qui ont un caractère législatif, que celles-ci soient présentées dans un deuxième temps au Parlement, qui les adopte afin qu'elles acquièrent force de loi.
Quel est votre projet en matière de différenciation territoriale ? Quels en sont les enjeux ?
Notre projet de différenciation consisterait à donner au département de la Guadeloupe non seulement la compétence de coordonner les politiques sociales, mais de participer à leur définition. Nous avons obtenu, dans le Livre bleu, la possibilité de créer à titre expérimental une conférence territoriale de l'action sociale et de la famille. L'objectif est de réunir la CAF, la CFSS, les communes, les EPCI, le rectorat et la région. Nous avons mis en place cette instance, qui reste expérimentale. Il me semble nécessaire d'aller beaucoup plus loin en la matière.
Nous nous sommes interrogés sur le fait de savoir si cette question portait sur le projet porté par le département, à savoir de voir mieux affirmé dans le droit commun le fait que les départements sont les chefs de file des politiques sociales territoriales. Tous les départements se plaignent aujourd'hui de ne pas disposer des moyens financiers nécessaires ou de la complétude des leviers en la matière, et surtout d'une instance de coordination au niveau local. Au niveau des régions, la conférence territoriale de l'action publique gère les compétences croisées des collectivités sur des champs relevant plutôt de l'aménagement des territoires et des grandes compétences des régions et des EPCI. Les politiques sociales sont totalement absentes de ces questions. Le premier travail que nous avons conduit à la demande de la présidente consistait à trouver une façon d'affirmer au niveau local l'autorité du conseil départemental sur ces politiques, afin que nous puissions coordonner les politiques existantes. Nous pourrions alors rechercher la capacité du département à définir les politiques sociales et les adapter aux spécificités locales. Il peut également s'agir de créer localement des dispositifs qui n'existent pas par ailleurs. Nous avons suivi les travaux conduits par d'autres départements, sur la création d'un revenu de base universel qui aurait pour mérite de faire fusionner un certain nombre de prestations sociales aujourd'hui éclatées. L'objectif de ce travail, conduit notamment sous l'égide de l'ancien gouvernement, était de permettre une meilleure lisibilité de toutes les prestations sociales disponibles. Cette démarche peut aussi viser la rationalisation des guichets dans les communes.
Le projet du territoire est conduit dans le cadre du congrès des élus départementaux et régionaux, notamment via le travail sur la répartition des compétences.
Le président du conseil régional, Ary Chalus a regretté que l'État, lorsqu'il doit prendre des décisions sur nos territoires, n'affiche pas cette volonté de communication et de concertation. L'État vous semble-t-il prêt à vous soutenir de ce point de vue ? Par ailleurs, le cadre constitutionnel actuel permettrait-il d'aller aussi loin que vous le souhaitez ?
La conférence des exécutifs (présidents de région et du conseil départemental, le préfet et les services) se réunissait régulièrement. Elle ne s'est pas encore réunie avec le nouveau préfet et les services. Il me semble nécessaire de revenir à ce mode d'organisation qui permettait à chacun d'être au même niveau d'information pour faire fonctionner nos institutions qui permettrait à chacun d'^tre au même niveau d'informations pour faire fonctionner nos institutions. Le sentiment que l'État prend trop de place en Guadeloupe est probablement lié à la personnalité du préfet actuel.
Dans les territoires du Pacifique, le représentant de l'État actuel n'a pris aucune décision pendant la dernière crise sanitaire qui ne soit concertée avec le président du gouvernement du territoire.
La loi actuelle permettra-t-elle d'aller aussi loin que vous le souhaitez ?
Je le pense, oui.
Concernant la déconcentration des services de l'État, depuis la loi de décentralisation de 1982, l'État s'est réorganisé sous une forme différente, à travers des agences et des directions régionales et départementales dans tous les secteurs. Les acteurs se renvoient les sujets entre eux. Cette déconcentration des services de l'État s'est améliorée depuis, mais des distinctions fortes persistent, par exemple entre l'ARS et le préfet de région. Que pensez-vous de la déconcentration des services de l'État 40 ans après la décentralisation ?
Aujourd'hui encore, l'État reste en charge de compétences qui pourraient parfaitement être exercées par les collectivités. Celles-ci d'ailleurs sont dites « majeures », dans des domaines tels que l'exercice de certains pouvoirs de police, dans le domaine de l'environnement, de la gestion de l'eau, etc. La population s'étonne de constater que ces compétences ne sont pas exercées par les élus qu'elle a choisis. Nous constatons les freins que représentent la lenteur et les oppositions non exprimées mais que nous ressentons sur le terrain.
La déconcentration ne doit pas être interne à l'État mais déboucher sur une situation dans laquelle les services déconcentrés de l'État seraient moins pesants pour la mise en oeuvre des décisions des élus en charge de l'aménagement et du développement des territoires.
À l'occasion de la reconstruction post-Irma et alors que deux fonctionnaires avaient été dépêchés à Saint-Martin, des décisions étaient prises, dont nous avons souligné qu'elles risquaient de conduire les habitants dans la rue. Le Gouvernement a ainsi été contraint de nommer un ancien préfet pour conduire une concertation. Les réalités locales ne sont parfois pas à la portée de fonctionnaires qui connaissent la loi mais ne la replacent pas dans le contexte local.
Dans le cadre de la simplification de l'État et la réduction des dépenses publiques, je suis partisan d'une réorganisation de la représentation de l'État sous la forme d' « un guichet unique », autour d'un chef de service capable de prendre des décisions sans multiplier les directions, agences et personnes à consulter. Que pensez-vous de cette idée de « guichet unique » ?
Vous décrivez la situation actuelle en Guadeloupe. Si nous souhaitons que les élus retrouvent cette possibilité de rendre compte à la population, nous avons besoin de ce guichet unique. L'action de l'État doit être plus visible, et ne doit pas être directive.
Cette réflexion nous amène à la troisième partie de notre réflexion. L'État a vocation à accompagner les collectivités et leur faire bénéficier de son expertise, mais pas à bloquer les politiques que les élus décident.
S'agit-il de passer à la phase suivante de la décentralisation ou le moment est-il venu de considérer que la Guadeloupe est prête pour sa propre loi organique, dans laquelle elle définirait son statut ou son régime législatif ?
Lors du congrès, nous avons montré que la Guadeloupe d'aujourd'hui différait de celle d'il y a 20 ans, et qu'il était temps que nous puissions proposer autre chose à nos concitoyens. En 2003 et en 2013, la question posée à la population était celle de l'assemblée unique, dans le cadre d'une fusion entre le conseil départemental et le conseil régional. Nous avons vu que les questions posées ne correspondaient pas à ce que nos concitoyens souhaitaient entendre. Nous savons qu'une fusion région/département, par exemple en matière de gestion de l'eau, n'aurait pas beaucoup d'impacts. Une fusion entre les deux collectivités ne permettrait pas davantage de gérer les déchets ou les transports. Il faut donc obligatoirement proposer autre chose, et aboutir à cet article 97-1, qui correspondrait à notre réalité et à ce que nous souhaitons pour notre Guadeloupe. L'article 73, comme je l'ai indiqué, ne correspond plus à la réalité, et l'article 74 pose quelques inquiétudes. Il nous faut absolument aller plus loin.
Actuellement, nous comptons la Guadeloupe et La Réunion, qui sont des DROM, la collectivité de Martinique, la collectivité de Guyane, la collectivité départementale de Mayotte, les collectivités de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna , la Nouvelle-Calédonie qui dispose de son propre titre dans la Constitution, et la Polynésie qui se considère comme un pays.
Le moment n'est-il pas venu de parler des outre-mer sous une seule terminologie, pour simplifier ? Concernant les articles 73 et 74, j'entends vos inquiétudes. Les propos du président de la collectivité de la Guyane, Rodolphe Alexandre m'amènent à m'interroger sur la différence entre le statut de Saint-Barthélemy et celui qu'il demande, à savoir un statut de collectivité sui generis. L'article 74 ne prévoit la spécialité législative que pour les seules compétences que nous demandons à exercer. Dès lors qu'une compétence est transférée à une collectivité, celle-ci devient autonome dans ce domaine et ne rentre donc plus dans le champ d'application de l'article 73. Je pense donc qu'il faut bannir ces notions au profit de celle de subsidiarité, selon laquelle la compétence doit être exercée à l'échelon et au niveau le plus approprié à son exercice.
C'est l'option que je défends. C'est la raison pour laquelle nous sommes arrivés à cet article que j'ai baptisé 97-1, qui a vocation à correspondre le plus possible à la réalité du terrain. Il nous faut officialiser la possibilité d'un statut « à la carte » des territoires, qui disposeraient chacun d'une loi organique définissant notamment les compétences dévolues au niveau local et l'organisation territoriale à retenir.
L'idée de l'article 97-1 s'inscrivait dans celle d'une fusion des articles 73 et 74. Au sein de cet article, plusieurs articles successifs pourraient viser chaque territoire, qui devrait déterminer le niveau d'autonomie qu'il veut se voir appliquer.
Quelle place donnez-vous à la consultation populaire ? La loi prévoit une consultation du peuple à l'occasion des changements de statut. En matière d'acquisition des compétences, jusqu'où estimez-vous que les élus doivent consulter la population de leurs territoires ?
Lors du congrès, nous avons insisté sur la nécessité de consulter la population par voie référendaire.
Certains élus considèrent qu'il n'est pas possible de procéder à une consultation à l'occasion de chaque changement de compétence, ce qui aurait pour effet de multiplier les consultations.
La loi organique devrait être soumise à la consultation.
La loi organique fait effectivement partie des points sur lesquels la population doit être consultée. La fusion des articles 73 et 74 pose une difficulté : l'article 73 renferme des dispositions sur les verrous démocratiques. Il prévoit la consultation de la population sur le passage d'un statut à un autre ou sur une nouvelle organisation institutionnelle. Mais en passant à une logique plus nuancée, il s'agira de la consulter sur les transferts de compétences. Lors de la mise en oeuvre d'une loi organique globale, la consultation sur les compétences transférées se fera naturellement. Par la suite, faut-il prévoir une consultation à chaque transfert de compétence ?
Cette question a surgi à plusieurs reprises lors de la préparation des congrès. Nous tirons en l'occurrence leçon du passé. Les consultations ont toujours été polluées par le fait que nous soumettions à la population le principe du passage d'un régime à l'autre, en renvoyant à une loi organique le détail de ce projet. Soumettre la loi organique au référendum permettrait de donner à la population une idée précise du détail du projet.
La Corse sera probablement intégrée dans l'article 72, et une déclinaison sera opérée par loi organique. Je ne sais pas si celle-ci sera soumise à consultation. Un ministre de l'intérieur avait soumis une loi organique avec 17 articles que la population corse avait rejetés. Cette loi organique pourrait, quoi qu'il en soit, figurer dans l'article 72. Il s'agit d'une possibilité constitutionnelle.
La consultation est effectivement obligatoire en cas de changement de statut ou d'organisation administrative. La mise en place d'une assemblée délibérante commune ou un passage de l'article 73 à l'article 74 suppose ainsi une consultation. Nous entrons ici dans le champ des compétences, dans lequel une mécanique reste à trouver. Cela suppose à mon sens de modifier la Constitution, soit en revoyant la rédaction de l'article 73, et notamment la notion d'adaptation, qui est trop restrictive dans son interprétation par le Conseil constitutionnel. Certains professeurs ont suggéré de fusionner les articles 73 et 74, ce qui s'avère être compliqué. Le député de la Guyane a émis une proposition en ce sens. Aujourd'hui, le projet de révision de la Constitution du Gouvernement me semble être à l'arrêt. Ce déverrouillage des compétences reste néanmoins une nécessité. Une autre possibilité consiste à conduire une consultation populaire pour recueillir le consentement préalable, puis la décliner en loi organique, qui n'a pas nécessairement à faire l'objet d'une consultation. La présidente suggère de soumettre l'ensemble de la loi organique à la consultation. Deux consultations seraient alors nécessaires, la première pour changer le régime législatif. J'avais émis une proposition consistant à réunir le congrès, en lui octroyant un véritable pouvoir, en incluant les maires et les conseillers municipaux, et, dans l'hypothèse où la majorité approuvait le changement de régime, à permettre au Parlement, fort d'un avis circonstancié, de légiférer.
Cette solution me paraît plus simple. Lorsque nous proposons à la population d'être consultée sur un projet trop abouti, elle est en difficulté. À Wallis-et-Futuna, plusieurs tentatives de changement du statut de gestion directe par l'État se sont heurtées à des refus. Une première consultation de principe est nécessaire, suivie d'une consultation approfondie.
Madame la présidente, souhaitez-vous ajouter un point ?
Non, il s'agissait d'un bel échange, qui en est à ses débuts. Après les élections municipales, nous continuerons à alimenter votre réflexion car nous voudrions parvenir à une consultation de la population.
Je vous remercie d'avoir contribué à ces échanges. Je traduirai aussi fidèlement que possible l'avis que je recueille auprès de l'ensemble des collectivités.
Présidence de M. Michel Magras, président -
Monsieur le président, je vous remercie d'avoir accepté cet échange que j'ai sollicité pour me permettre de restituer l'état des volontés des territoires d'outre-mer en ce qui concerne leur organisation et leur libre administration locale. Je suis bien conscient que vous avez dégagé un temps précieux, je vous en remercie du fond du coeur.
Le président du Sénat, M. Gérard Larcher, a initié un groupe de travail sur la décentralisation avec pour ambition - je reprends ses termes - « de repenser en profondeur l'organisation des pouvoirs locaux » et de formuler des propositions en ce sens. Ce groupe est très large puisqu'il comprend le président de la délégation aux collectivités territoriales, co-rapporteur avec le président de la commission des lois, les présidents de tous les groupes, et moi-même en qualité de président de la délégation aux outre-mer.
Il m'a fait l'honneur de me charger du volet outre-mer et c'est dans cette optique que j'ai souhaité entendre chacun des exécutifs des grandes assemblées territoriales afin de restituer aussi fidèlement que possible les orientations reflétant la diversité des visions institutionnelles. Initialement, vous vous en souvenez, j'avais pris l'initiative d'une réunion à Paris en collaboration avec l'association des juristes d'outre-mer mais la crise sanitaire en a décidé autrement. Je me limite donc à entendre l'ensemble des collectivités par visioconférence, ce qui se passe très bien. J'ai d'ores et déjà auditionné l'ensemble des collectivités du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française. J'ai également auditionné la Guyane et les deux assemblées de la Guadeloupe. Aujourd'hui, outre vous-même, j'entendrai les représentants du conseil régional de La Réunion et le président de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Ma conviction est que l'outre-mer est à la fois un laboratoire et la démonstration de la capacité de la République à faire preuve de créativité institutionnelle sans pour autant que son intégrité ne soit atteinte. C'est pourquoi j'avais dégagé la nécessité de penser la différenciation autour d'un triptyque unité/différenciation/participation. Je crois qu'il est grand temps que chaque territoire ultramarin trouve l'organisation qui lui ressemble et qui, sans être une panacée, constitue un levier de développement, grâce à la définition et au déploiement de politiques publiques en concordance avec les réalités locales.
Après ces quelques mots d'introduction, je vous propose que nous suivions la trame de questions divisées en quatre points que je vous ai adressée. Bien que sachant que la Martinique ayant déjà fait des choix plus « avancés » que ceux de la Guadeloupe ou La Réunion, peut-être aurez-vous des points et des problématiques à soulever et à mettre en exergue à cet égard.
Je vous remercie, Monsieur le président. Je crois que nous sommes déjà entrés dans le vif du sujet et je pense que vous connaissez mes positions - qui ne datent pas d'aujourd'hui.
D'une manière générale, la recentralisation n'est pour moi pas envisageable dans quelque domaine que ce soit. Je m'inscris donc contre la tendance actuelle du Gouvernement à recentraliser. Nous sommes en effet des laboratoires, qui avons avancé sur le chemin de la décentralisation, et nous devons y rester. Il faut plutôt permettre des adaptations appropriées à chaque territoire.
En dépit de nos excellentes relations avec la Guadeloupe, la Polynésie française, La Réunion et toutes les autres collectivités d'outre-mer, nous ne pouvons pas dire que nos réalités sont identiques. Le souhait de la Martinique peut ne pas correspondre à celui de la Guadeloupe, idem pour la Guyane, etc. J'insiste sur la nécessité d'une adaptation appropriée à nos situations et laissée à notre choix.
Je tiens à rappeler que le champ de décision des préfets me semble trop large à certains égards. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de m'en ouvrir au Président de la République et au préfet de la Martinique lui-même. Les préfets sont nommés, alors que le président du conseil exécutif de la collectivité a été élu. Je considère dès lors que la démocratie est ce qui nous sépare en dépit de tout le respect que j'ai pour les préfets. Je plaide donc pour un travail en harmonie avec la collectivité afin de susciter l'adhésion. Or il m'est arrivé d'avoir à déplorer que ce ne soit pas toujours le cas. Je suis favorable à ce que les décisions soient prises avec davantage de concertation entre les services déconcentrés et l'assemblée territoriale qui doivent travailler « main dans la main » au service du territoire.
Les outre-mer contribuent au rayonnement de la France, il est temps de les voir comme un apport essentiel et pas seulement comme un coût. Cela fera, j'en suis convaincu, de la France un État plus fort, au niveau international.
Une autre de mes convictions est que l'élection confère la légitimité pour adapter la législation chemin faisant. En revanche, aucune modification de portée institutionnelle ou statutaire ne peut avoir lieu sans consultation de la population et l'évolution pour chaque collectivité doit être « à la carte ».
La fusion des articles 73 et 74 est une proposition que je partage, car elle peut être une solution pour approfondir les compétences locales. Ce serait de plus une mesure de simplification permettant à chaque territoire de décider d'aller plus avant dans son évolution statutaire s'il le souhaite. L'enjeu est celui de l'adaptation et non de la dilution.
L'organisation spécifique dont nous disposons doit être améliorée pour permettre au territoire d'avancer davantage vers son développement. Prenons l'exemple de l'octroi de mer qui subit actuellement des assauts débridés. Il s'agit d'un dispositif historique qui remonte à Mathusalem tant il est en vigueur depuis longtemps ! Ce droit d'octroi de mer avait initialement été instauré pour protéger les intérêts de l'État. Il a par la suite évolué pour devenir à la fois une ressource pour les collectivités et un mécanisme de développement endogène. Remettre en cause cette taxe s'apparenterait à un coup mortel.
Je vous remercie de cette présentation et de votre franchise, je connais vos engagements pour la Martinique et soyez assuré que je les respecte.
Permettez-moi d'ajouter que je suis résolument favorable au régionalisme caribéen, c'est un plus pour nous tous.
Comme vous le savez, il n'existe plus de département en Martinique. Avant la mise en place de la collectivité de Martinique, j'étais allé rencontrer plusieurs départements ultramarins en vue d'une démarche commune.
Notre statut permet d'apporter un nouveau regard sur la France, et pour la France.
Revenons si vous le voulez bien à la déconcentration. En effet, au cours des auditions, les présidents des gouvernements de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française se sont dits satisfaits de la coordination de la gestion de la crise sanitaire avec le représentant de l'État dans leurs territoires respectifs. En Nouvelle-Calédonie, des arrêtés conjoints ont été pris. Mais dans les autres territoires, la relation avec les services de l'État nous est présentée comme variant selon la personnalité du préfet. Pensez-vous que cette relation est en phase avec l'organisation institutionnelle choisie par la Martinique ? La répartition des compétences entre la collectivité et l'État est-elle adaptée ? Souhaiteriez-vous récupérer des compétences actuellement exercées par l'État ou, au contraire, en recentraliser certaines ?
Les préfets doivent être davantage à l'écoute ; leur rôle n'est pas d'imposer des décisions, sauf cas de force majeure !
En un mot comme en mille, tout ce qui peut permettre d'aller vers une amélioration du fonctionnement des institutions territoriales doit être mis en oeuvre.
Les lois et les règlements vous semblent-ils suffisamment adaptés en général et compte tenu de la nouvelle organisation de la Martinique en particulier ?
L'adaptation permanente doit être la règle, le consensus également.
La procédure d'habilitation est-elle utilisée et prévoyez-vous d'y avoir recours en vue de disposer de davantage de moyens d'action ?
Les compétences doivent être transférées avec les moyens d'agir. Par principe, je suis favorable à tout accroissement de ces compétences mais je m'oppose à ce que nous soyons « dépossédés » de celles dont nous disposons déjà.
Cette procédure me semble « incompréhensible », elle ne va pas dans le sens de ce que je souhaite. Il s'agit d'un habillage.
Vous vous prononcez donc en faveur de transferts de compétences pleines et entières.
C'est l'évidence même.
Avez-vous listé les domaines dans lesquels ces transferts sont souhaitables ?
Ce serait par exemple la santé car la collectivité dépense des sommes conséquentes en ce domaine.
La demande de recentralisation du revenu de solidarité active (RSA) a été approuvée en plénière du conseil territorial. C'est une dépense qui n'est pas totalement compensée par l'État. De plus, je n'ai jamais été favorable aux contrats aidés. À la limite, c'est un leurre coûteux pour les collectivités.
De nombreuses collectivités se plaignent de la compensation imparfaite du RSA par l'État et ce n'est pas nouveau.
Abordons si vous le voulez bien la démocratie participative locale. Dans le cadre d'un changement important pour la Martinique tel que l'acquisition d'une compétence, concevez-vous qu'il doive passer par une consultation locale ou être portés par les élus locaux ?
Chaque changement d'envergure doit être précédé d'une consultation populaire.
Une réflexion est-elle en cours pour la définition d'un projet de différenciation territoriale pour la Martinique ? Ou la détermination de domaines dans lesquels l'adaptation par la collectivité est souhaitable et souhaitée ?
En matière sanitaire, fiscale, alimentaire ou encore énergétique, nous avons fait plusieurs propositions mais elles n'ont pas abouti dans le cadre actuel.
Par exemple, dans le cadre du plan d'aménagement et de développement durable de la Martinique, le PADMA, nous avions demandé à l'État l'autorisation d'utilisation des eaux qui vont de Bellefontaine au carbet Saint-Pierre. Leur profondeur et leur gradient géothermique nous permettait en effet de doter la Martinique d'électricité permanente. Elle aurait déjà pu être indépendante à ce niveau. Mais l'installation qui préfigurait ce projet n'a pas été homologuée.
La problématique de la décision est donc centrale si l'on veut mettre en oeuvre des projets adaptés à notre réalité.
Pensez-vous que la Constitution permette en l'état de mettre en oeuvre le projet le plus à même de répondre à toutes les préoccupations de la Martinique en matière d'adaptation ?
Je pense que la Constitution doit s'adapter aux aspirations des collectivités ultramarines. La coexistence des articles 73 et 74 est source de confusion. Or l'article 74 englobe le 73 - puisqu'un statut régi par les régimes de l'identité et de la spécialité législative est possible. Partant de ce raisonnement, une « suppression » de l'article 73 est même envisageable.
Ma conviction est que les statuts relevant de l'article 74 devraient être généralisés aux outre-mer qui par ce biais disposeraient de davantage de possibilités d'agir concrètement et valablement. Parfois, alors même que nous payons, nos décisions ne sont pas appliquées. Et qui en pâtit ?
Je précise que je ne suis pas dans une attitude de défiance à l'égard de l'État mais ce manque de réalisme est dommageable.
L'octroi de mer est à cet égard une erreur monumentale en donnant à certains territoires des taux différenciés d'octroi de mer qui ont induit une concurrence entre territoires.
Selon vous, l'article 74 de la Constitution devrait être le seul à être conserver. Que pensez-vous d'une réunion des articles et de la généralisation de l'appellation « collectivité territoriale » à l'ensemble des outre-mer ?
Je souscris à cette démarche d'harmonisation et de simplification dès lors qu'elle va dans le sens d'une différenciation et d'une adaptation. Par conviction, je pense que les aspirations doivent pouvoir s'exprimer, à condition bien sûr que la population soit consultée.
Il m'importe de savoir si l'évolution institutionnelle de la Martinique est satisfaisante ou si des améliorations doivent être apportées. Je suis pour ma part persuadé de la nécessité de simplifier l'écriture de la place des outre-mer dans la Constitution au sein d'un article unique, en les unifiant sous le terme de « collectivités d'outre-mer », chacun disposant d'une loi organique traduisant le projet approuvé par la population locale. Il s'agirait de statuts dont l'évolution serait bien conditionnée à l'assentiment de la population. Ni la Polynésie, ni Saint-Barthélemy ne souhaitent du reste revenir en arrière. Pensez-vous que la population de la Martinique veuille aller vers une évolution statutaire ?
Je suis tout à fait favorable à une réforme de la Constitution pour qu'elle s'adapte à nos besoins. La cohabitation des articles 73 et 74 n'a pas de sens à mon avis. Et je note qu'aucune des collectivités qui relèvent de l'article 74 ne le regrette. La condition non négociable est la consultation des populations en cas d'évolution. La démocratie doit être intouchable !
Nous arrivons au terme de notre audition, j'ai été très heureux de cet échange et je vous en remercie.
Je vous transmettrai les éléments que j'avais fait parvenir au Gouvernement.
Je tiendrai naturellement compte de toutes les informations que vous voudrez bien me transmettre et vous remercie de nouveau. Je souhaite rendre compte le plus fidèlement de nos échanges.
C'est une vraie question qui se pose. Nous sommes d'accord sur l'essentiel, les spécificités des collectivités doivent être préservées.
Je partage totalement votre position. Nous devons sortir de la logique binaire dans laquelle nous sommes enfermés. On a tendance à classer selon cette même logique, soit on est dans le 74 et donc la spécialité ou le 73 et l'identité, soit on est au paradis, soit on est en enfer. On ne raisonne que sur ce mode binaire et je souhaite qu'on aille vers une logique de subsidiarité.
Il faut que nous ayons, je le répète, des statuts adaptés à chaque territoire. Ces statuts doivent être évolutifs. La Guyane est un territoire grand comme le Portugal ! Les outre-mer sont une chance pour la France qui est une puissance grâce à nous.