Délégation aux entreprises

Réunion du 8 avril 2021 à 9h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • modèle

La réunion

Source

La séance est ouverte à 9 heures 45.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Babary

Mesdames et Messieurs, mes chers collègues, dans le cadre de nos auditions sur les nouveaux modes de travail et de management, je suis heureux d'accueillir Madame Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France.

Madame Rabot, vous êtes à la tête de cette entreprise depuis octobre 2020, mais dans l'entreprise depuis cinq ans. Just Eat France s'est tout d'abord lancée dans la mise en relation entre clients et restaurateurs ; puis elle a proposé un service de livraison assuré par Stuart - une filiale du groupe La Poste - composée de livreurs à vélo « indépendants ». Aujourd'hui, vous avez fait le choix de constituer votre propre flotte de livreurs et déclaré souhaiter professionnaliser le métier de livreur ainsi que le sécuriser. Pouvez-vous nous expliquer votre choix, ses modalités, son mode de financement, et en quoi il vous différencie d'autres entreprises de même nature ?

Pourriez-vous aussi nous préciser comment vous alliez salariat classique et flexibilité de la livraison ? Plus généralement, nous sommes intéressés par votre analyse et vos propositions sur l'évolution des travailleurs dits « des plateformes », en France et à l'étranger.

Je vous propose dans un premier temps de livrer votre analyse pendant 15 minutes environ. Je donnerai ensuite la parole aux rapporteurs de notre Délégation, Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay, puis à nos autres collègues.

Je rappelle que notre réunion est mixte, avec certains des sénateurs membres de la Délégation aux entreprises présents à mes côtés au Sénat, et d'autres en visioconférence.

Cette audition sera diffusée en direct sur notre site internet puis disponible en vidéo à la demande.

Je demanderai à chacun d'être bref pour que nous puissions tous nous exprimer. Madame, je vous remercie et vous cède la parole.

Debut de section - Permalien
Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci pour votre invitation. Je suis accompagnée de Laurence Crevel, notre DRH pour l'entité de livraison, et de Victor Ennouchi, notre directeur des opérations de livraison, qui compléteront mon analyse.

Just Eat France est un acteur historique de la livraison de nourriture. Il existe depuis 22 ans et s'appelait précédemment Allo Resto. Il a rejoint en 2012 le groupe anglais Just Eat qui a fusionné avec le groupe Takeaway.com en 2020. Celui-ci est aujourd'hui leader mondial de la livraison hors Chine, et présent dans 23 pays.

Just Eat repose sur un modèle hybride. Nous travaillions initialement sur une marketplace qui mettait en relation clients et restaurateurs effectuant eux-mêmes leurs livraisons. Nous avons débuté, il y a un an, une entreprise de livraison, d'abord avec Stuart, filiale de La Poste, reposant sur des livreurs indépendants. En novembre, nous avons lancé notre propre service de livraison dans lequel les livreurs sont 100 % salariés et tous en CDI. Ce modèle a d'abord été déployé à Paris, Lyon, Bordeaux, Toulouse et depuis hier, à Lille. Dans une trentaine de villes en France, notre modèle précédent sera progressivement remplacé par celui-ci.

Ce modèle vise à sécuriser et professionnaliser le métier de livreur. Nous souhaitons maîtriser toute la chaîne, de la commande jusqu'à sa remise, pour nous assurer de la qualité du service mais surtout de la sécurisation du travail de nos livreurs qui bénéficient de tous les avantages du salariat en France. Ce n'est pas un nouveau modèle dans le groupe, il existe depuis cinq ans et s'est d'abord déployé aux Pays-Bas. Il est présent aujourd'hui dans 12 pays, 140 villes, et emploie 22 000 livreurs en Europe. Nous souhaitons recruter 4 500 livreurs en France d'ici la fin de l'année, dont 1 400 sont déjà embauchés. Les bénéfices dégagés sur l'activité de marketplace permettent de financer la livraison par des collaborateurs salariés. Je laisse la parole à Victor Ennouchi quant à l'articulation entre salariat et flexibilité.

Debut de section - Permalien
Victor Ennouchi

Les personnes que nous recrutons actuellement demandent pour certains des contrats courts et pour d'autres des contrats longs. Nous proposons des contrats de 10, 15, 24 et 35 heures. Un peu plus de la moitié des profils sont étudiants et recherchent principalement des contrats courts. Des micro-entrepreneurs ou des personnes en formation souhaitent des contrats entre 15 et 20 heures, voire 24 heures. D'autres préfèrent des contrats à temps plein.

Notre activité connaît des pics durant les déjeuners et les soirées mais les livreurs eux-mêmes peuvent souhaiter de la flexibilité. Nous observons le bien-être des livreurs par la durée durant laquelle ils restent dans notre entreprise. La flexibilité réside dans la correspondance entre notre demande et leurs besoins. Nos livreurs nous indiquent une disponibilité un peu supérieure à la durée du contrat pour qu'elle coïncide avec nos besoins. Nous établissons le planning et le communiquons trois ou quatre jours à l'avance.

Debut de section - Permalien
Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France

Nous travaillons avec des contrats de durées différentes mais toujours des CDI, ce qui rend possible cette flexibilité. Des algorithmes puissants gèrent la planification, en correspondance avec une demande prévue à l'avance. Nous ne pouvons pas nous adapter en temps réel à un pic de demande. La météo exerce un effet important sur la demande de livraison. Si, par exemple, nous n'avons pas anticipé une chute de neige, nous ne pouvons pas appeler en dernière minute un pool de livreurs, comme c'est le cas chez d'autres acteurs du marché. Nous planifions un peu plus que le besoin prévu mais il demeure cette contrainte supplémentaire par rapport à des acteurs qui ne salarient pas les livreurs. Nous éprouvons ce modèle au sein du groupe depuis plusieurs années. Laurence Crevel va intervenir sur des éléments spécifiques à l'adaptation de ce système en France.

Debut de section - Permalien
Laurence Crevel

Bonjour. Nous avons mis en place en amont un accord d'entreprise d'annualisation du temps de travail en vue d'une flexibilité plus importante que celle prévue par le code du travail. Cette annualisation permet à nos livreurs d'effectuer des heures supplémentaires en cas de pic d'activité inattendu. Certaines contraintes n'ont pas pu être levées, comme la limite minimale de 24 heures pour tout contrat à temps partiel dont les exceptions ne sont pas toujours adaptées à notre situation.

Debut de section - Permalien
Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France

Les contrats inférieurs à 24 heures sont réservés aux jeunes et aux étudiants. Beaucoup de Français en dehors de ces exceptions cherchent un complément de revenu et ne peuvent pas bénéficier du statut de salarié pour des contrats inférieurs à 24 heures car nous dépendons de la convention collective du transport. Négociée pour les acteurs historiques du transport, elle n'est pas adaptée à notre activité de livraison de nourriture à vélo.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Babary

Merci pour ces premières précisions. Je passe la parole aux rapporteurs de notre Délégation en commençant par Fabien Gay.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Merci, Monsieur Le Président, je serai concis. Il est judicieux de votre part d'aller à rebours du fonctionnement des autres plateformes numériques car vous anticipez la prévisible vague de requalifications en contrat de travail. Il y a un lien de subordination entre ces plateformes et ces travailleurs qui ne sont pas indépendants puisqu'ils ne choisissent ni leurs tarifs ni leurs courses et doivent répondre aux attentes de la plateforme. Les requalifications se multiplient cependant, en Espagne, en Angleterre, aux États-Unis et même en France.

Votre fonctionnement change le modèle économique. Ces travailleurs sont en effet habituellement payés à des tarifs très bas mais, en tant que salariés en CDI, ils reçoivent une rémunération au moins égale au SMIC. Pouvez-vous nous expliquer votre modèle économique ? Pouvez-vous également nous indiquer le nombre approximatif de personnes en CDI à temps plein ? Nous entendons les difficultés liées à la convention collective. Je rappelle cependant qu'elles sont là pour protéger les salariés et qu'il ne faut les modifier qu'avec précaution.

Debut de section - Permalien
Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France

Nous ne souhaitons pas modifier la convention collective du transport qui, en effet, protège les salariés, mais avoir une convention spécifique aux nouveaux modes de travail. Quant à notre modèle économique, nos collaborateurs sont rémunérés au minimum à hauteur de 10,30 euros par heure, même s'ils ne reçoivent pas de commande. Cette situation reste rare puisque nous établissons les plannings en fonction de la demande des clients. Généralement, la rémunération s'établit au-delà de ce minimum, chaque commande générant un bonus de quelques centimes. Le salaire mensuel s'élève ordinairement à 1 400 euros, et jusqu'à 1 600 euros pour les niveaux de responsabilité supérieurs de nos « livreurs capitaines ».

Ce fonctionnement a un coût mais travailler avec Stuart en avait un également. C'est un coût différent. Ces charges sont absorbées par notre marketplace qui dégage des bénéfices. Les restaurateurs de la plateforme qui livrent eux-mêmes supportent aussi des coûts. Ceux-ci représentaient, il y a quelques années, 7,58 euros par livraison. Nous essayons d'atteindre ce montant, il est même inférieur dans certains pays, afin qu'à terme l'activité de livraison ne soit pas déficitaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

Sur la marketplace, vous ne vendez que des produits alimentaires ?

Debut de section - Permalien
Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France

Uniquement alimentaires, nous ne proposons que de la restauration livrée. Nous sommes des intermédiaires entre les restaurateurs et les clients.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

Comment parvenez-vous à organiser une journée de 8 heures de travail alors que les plages d'activité se situent aux heures des repas ? Vous avez évoqué les contraintes relatives aux contrats courts ; en rencontrez-vous d'autres qui freinent votre développement ?

Debut de section - Permalien
Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France

Les contraintes liées à la convention collective ont été partiellement levées par un accord d'entreprise, même si nous souhaitons poursuivre la discussion sur l'accord collectif. Quant à votre deuxième question, l'émission de bruit et de pollution par les scooters thermiques a été évoquée lors de la précédente audition. La majorité des livreurs des plateformes ne disposent pas de la capacité professionnelle de transport pour un véhicule motorisé. Nos livraisons sont aujourd'hui entièrement réalisées à vélo, qu'il appartienne au collaborateur ou que nous le fournissions. Nous étudions la possibilité de travailler avec des scooters électriques, ce qui nécessite d'être titulaire d'une capacité de transport. Deux questions se posent : comment pourrions-nous obtenir la capacité de transport et comment pourrions-nous la déléguer à nos collaborateurs ? Victor Ennouchi et Laurence Crevel pourront nous en dire davantage.

Debut de section - Permalien
Victor Ennouchi

Nous nous trouvons en compétition avec les acteurs du marché qui utilisent des scooters. Nous avons longtemps repoussé cette possibilité mais nous souhaitons y travailler désormais.

Je précise par ailleurs que les contrats à 35 heures représentent 10 à 15 % de nos effectifs. En ce qui concerne l'organisation de nos journées de travail, nous anticipons l'activité et nous sommes obligés de prévoir 5 à 10 % de livreurs supplémentaires, ce qui représente un coût et ne nous permet pas d'optimiser notre modèle économique.

Debut de section - Permalien
Laurence Crevel

Les plages horaires de repas peuvent être étendues. Nous livrons de 11 à 16 heures et de 18 à 23 heures ; il n'est donc pas difficile de planifier des temps de travail de 35 heures.

Debut de section - Permalien
Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France

Nous proposons des plages de travail plus larges que la demande de clients. Il y a, bien sûr plus de commandes à 12 h 30 qu'à 16 heures. La rémunération horaire permet de préserver la motivation de nos collaborateurs. Dans le cadre du lancement de notre service dans certaines villes, il peut y avoir des missions supplémentaires comme la prise de contact avec les restaurateurs pour les informer de notre fonctionnement ou la distribution de prospectus auprès des clients, même si la livraison reste l'activité principale de nos collaborateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Berthet

Merci Monsieur le Président. Merci, Mesdames et Monsieur, pour vos explications. Vous nous indiquiez que la planification n'était pas compliquée pour des temps pleins mais, parmi les 5 000 emplois que vous envisagez de créer, la multitude de petits contrats implique une importante organisation des temps de travail ou de congé. Quel est votre mode de management ? Comment avez-vous organisé la santé au travail pour ces nombreux petits contrats ?

Debut de section - Permalien
Victor Ennouchi

Notre organisation sera présente sur 30 villes en 2021 et recrutera de 4 500 à 5 000 livreurs. Nous sommes organisés autour d'une équipe basée à Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux et Lille notamment, qui gère des managers. Ces derniers sont responsables de livreurs capitaines qui nous informent de ce qui se passe sur le terrain. Ils forment et accompagnent les livreurs. Nous mettons en oeuvre un management bienveillant. Comme toute entreprise, nous avons des prérogatives et des limites que nous partageons avec nos livreurs. Il s'agit de règles classiques de ponctualité ou de présence effective. La partie centrale, basée à Paris, répond aux interrogations relatives à l'organisation des temps de travail et de repos, ou aux questions administratives et de ressources humaines. Nous mettons l'accent sur la santé et la sécurité. Un équipement complet est fourni aux livreurs, vêtements et casque compris, et la maintenance des vélos que nous fournissons est effectuée tous les mois. Nous avons recruté une responsable de la santé et de la sécurité qui sera l'interlocutrice de notre équipe.

Debut de section - Permalien
Laurence Crevel

Santé et sécurité sont au centre de nos préoccupations. Nous formons les livreurs aux questions de la sécurité routière et les livreurs capitaines présents sur le terrain relaient cette priorité. Nous rappelons à nos collaborateurs que leur rémunération horaire doit les dissuader de prendre des risques pour livrer plus rapidement.

Debut de section - Permalien
Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France

Non. L'équipe a complètement répondu.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Babary

Comment recrutez-vous ? Avez-vous un accord avec Pôle emploi et est-ce efficace ? Le recrutement de milliers de livreurs doit être complexe. Les contrats que vous passez avec vos livreurs sont-ils exclusifs ?

Debut de section - Permalien
Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France

Il n'y a pas d'exclusivité. Certains de nos livreurs, notamment ceux ayant un contrat court, exercent aussi en micro-entreprise. Nous leur demandons seulement, sur leur durée de travail avec nous, de ne livrer que nos clients. Pour nos recrutements, nous collaborons avec Pôle Emploi et le portail Un jeune, une solution. Les candidats peuvent postuler directement sur notre site, suivant des procédures sur lesquelles Victor Ennouchi a travaillé en Allemagne.

Debut de section - Permalien
Laurence Crevel

Outre notre travail avec Pôle Emploi, nous développons localement des partenariats avec les missions locales et d'autres acteurs. Nous utilisons également les classiques petites annonces.

Debut de section - Permalien
Victor Ennouchi

Après avoir recruté en Allemagne et dans d'autres pays, j'ai été agréablement surpris par le nombre important de candidatures en France. Nous recherchons aussi des collaborations avec Pôle Emploi et des structures d'insertion.

Debut de section - Permalien
Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France

Nous pourrions en reparler ultérieurement. Nous avons, pour le moment, concentré nos efforts sur de très grandes villes aux populations jeunes et estudiantines nombreuses. Quand nous déploierons notre activité dans de plus petites villes, dans quelques mois, nous aurons peut-être davantage besoin des acteurs locaux de l'emploi et de l'insertion. Aujourd'hui, de nombreuses personnes postulent pour nous rejoindre.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Babary

Merci. Avez-vous connaissance de dispositions plus adaptées à votre activité dans d'autres pays ?

Debut de section - Permalien
Meleyne Rabot, directrice générale de Just Eat France

Je n'ai pas la réponse. Nous observons les pratiques à l'étranger mais déterminer ce qui est transposable est difficile en raison des différences de réglementation du travail. Notre modèle a été déployé dans 12 pays. Il est en cours en Angleterre et en Italie. Chaque pays adapte son fonctionnement au droit local. Nous pourrons évoquer de nouveau ce point mais nous considérons que le droit français a ses spécificités et que nous n'essaierons pas de les modifier.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Babary

Merci pour cet intéressant témoignage sur votre choix du statut du salariat dans un secteur où il paraissait en recul, sinon abandonné. Je vous remercie ainsi que votre équipe.

La séance est levée à 10 h 25.