La réunion est ouverte à 16 h 30.
Comme vous le savez, les auditions de notre mission, créée au titre du droit de tirage du groupe Les Indépendants-République et Territoires, sont consacrées au harcèlement en milieu scolaire, et notamment à sa dimension « cyber ».
Au terme de cinq semaines intenses d'auditions et de deux déplacements sur le terrain, nous avons souhaité vous entendre sur un sujet qui constitue une priorité de votre ministère et plus généralement doit guider l'ensemble de l'action publique.
La prise de conscience de l'ampleur de ce fléau remonte à déjà près d'une décennie lorsque l'un de vos prédécesseurs, Luc Chatel, en fit l'objet d'une action déterminée de la part du ministère.
Dix ans après, si les outils existent indéniablement, comment faire pour que ceux-ci soient utilisés efficacement par l'ensemble de la communauté éducative et ses partenaires ? Nos travaux l'ont montré, leur connaissance n'est pas parfaite, tant s'en faut. Si la préoccupation de lutter contre le harcèlement semble largement partagée, on note trop souvent encore un manque de temps des personnels enseignants pour libérer la parole, développer l'empathie vers les victimes à l'image de ce que les pays anglo-saxons et nordiques pratiquent.
N'y a-t-il pas là matière à faire évoluer nos modes d'éducation, nos pratiques d'apprentissage ? Même si cela tend à diminuer, on note encore trop souvent des réticences sociologiques ou culturelles à évoquer frontalement ce fléau, à le nommer pour pouvoir le combattre plus efficacement encore. Aussi ne pensez-vous pas, par exemple, qu'il faudrait extraire la question du harcèlement et sa version « cyber » des critères de notation des établissements pour véritablement libérer les freins et lever tout obstacle à une parole libérée ?
Nous avons également été informés que certains chefs d'établissement ne donnent pas suite à certaines affaires de harcèlement à partir du moment où la famille a porté plainte, estimant que l'affaire relève désormais de la police et de la justice. Or, réponse pénale et réponse scolaire sont deux choses différentes et ne s'inscrivent pas dans la même temporalité.
De même, certaines affaires de cyberharcèlement, qui commencent dans l'enceinte scolaire, sont encore parfois traitées comme des affaires extérieures à l'école, et donc ne relevant pas de la compétence de l'école.
Vous l'avez compris, nos interrogations sont multiples et visent à accompagner les décideurs publics dans leur combat contre cette violence non seulement inadmissible, mais surtout illégale. Surtout quand elle se répand dans l'espace cyber et crée ce continuum qui peut irrémédiablement briser et occasionner de lourds et durables préjudices aux enfants. D'autant plus qu'elle tend à stigmatiser toutes les différences et à accroître les préjugés, notamment sexistes, sexuels ou racistes.
Nul doute donc que la lutte contre le harcèlement scolaire sous toutes ses formes mériterait largement de devenir une grande cause nationale pour que tous nos concitoyens et en premier lieu les acteurs du monde éducatif y soient pleinement associés.
Je suis très heureux d'être auditionné devant votre mission. Je serai très attentif à vos conclusions, car ce sujet réclame de la créativité, du volontarisme. Nous voulons tous aller de l'avant. Le harcèlement est une question que je prends très au sérieux, dans la continuité d'une action engagée par le ministère depuis une dizaine d'années, qui a donné des résultats, même s'il convient maintenant d'aller plus loin.
Il s'agit d'un phénomène mondial. Nous pouvons donc l'analyser sous un angle sociologique ou anthropologique, mais aussi, paradoxalement, nourrir un certain optimisme, car certains pays parviennent à le combattre avec succès, de même que certains établissements. Il est donc possible de l'endiguer.
Je pense à Marjorie, Alisha, Marion et à toutes les victimes. Aucune forme de violence ne doit être tolérée à l'école ; celle-ci doit être un lieu de fraternité. Ce qui s'y joue n'est rien d'autre que l'avenir de notre contrat social. Le verdict dans l'affaire Mila marque un jalon. Nous ne voulons pas laisser le cyberharcèlement impuni.
En 2019, j'ai souhaité porter la question du cyberharcèlement à un niveau mondial, car la problématique posée par les réseaux sociaux est planétaire. Mme Brigitte Macron s'est fortement impliquée sur ce sujet et nous avons lancé un appel lors du G7 éducation contre le harcèlement à l'école. J'ai renouvelé cet appel en 2020 à l'Unesco, lors de la conférence internationale sur la lutte contre le harcèlement entre élèves, qui s'est tenue, hasard du calendrier, quelques jours après l'assassinat de Samuel Paty.
Nous avons commencé à faire reculer le harcèlement, mais le cyberharcèlement s'est fortement développé avec le confinement. Nous devons donc passer à une nouvelle étape, et vos travaux seront précieux dans cette optique. Nous avons renforcé le cadre juridique. L'article 5 de la loi pour une école de la confiance est ainsi rédigé : « Aucun élève ne doit subir, de la part d'autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d'apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d'altérer sa santé physique ou mentale. »
L'interdiction du téléphone portable en 2017 dans l'enceinte des collèges, en plus des écoles, a constitué un progrès incontestable. En 2018, nous avons nommé 335 référents académiques et départementaux et créé des ambassadeurs collégiens - on responsabilise ainsi les adultes comme les élèves pour inverser la dynamique et passer d'une logique de persécution du faible à la stigmatisation du harceleur. En 2019, nous avons lancé un plan national, avec dix mesures : formation systématique des professeurs et des familles ; création d'un comité national d'experts pour travailler sur les contenus pédagogiques et scientifiques ; création du prix « Non au harcèlement », auquel ont participé 40 000 élèves cette année, etc. Nous serons aussi très vigilants sur le harcèlement des élèves atteints de handicap. Nous avons ouvert un numéro gratuit, le 30 20, numéro d'écoute et de prise en charge des familles, tandis que le 30 18 permet de signaler les contenus indésirables sur les réseaux sociaux.
À la rentrée, nous généraliserons à toutes les académies le programme pHARe de prévention du harcèlement, que nous avons expérimenté dans six académies pendant deux ans, et qui s'inspire des programmes qui ont réussi ailleurs, comme en Finlande par exemple. Plusieurs membres du personnel seront formés, dans chaque établissement, au repérage et au traitement des cas de harcèlement. Des parcours pédagogiques sont créés, avec dix heures d'apprentissage annuel du CP à la troisième - ce n'est pas une brique de plus dans les programmes, car il me semble que cela fait partie de l'éducation morale et civique. La loi confortant le respect des principes de la République étend le « permis Internet » à la fin du primaire. Les équipes mobiles de sécurité de l'éducation nationale pourront aussi suivre des formations sur ces enjeux. Cette action va de pair avec le renforcement de la lutte contre les bandes. Le plan de lutte contre les violences en milieu scolaire prévoit la désignation d'un référent dans chaque département pour animer une cellule de lutte contre les violences en milieu scolaire.
Tout cela vient s'insérer dans le « carré régalien » qui sera mis en place à la rentrée et qui s'articule autour de quatre dimensions : valeurs de la République et laïcité ; instruction en famille et écoles hors contrat ; drogue, violences, bandes ; harcèlement. Dans les quatre cas, il s'agit de s'assurer du respect de la loi et des valeurs de la République. Des équipes dédiées, à l'image des équipes académiques « Valeurs de la République » qui existent déjà, seront créées, afin d'intervenir sur le terrain pour mener des actions de formation, en amont, ou bien pour aider les intervenants locaux à gérer des situations complexes, en aval. Notre objectif est que les quatre sujets soient bien traités dans toutes les académies, avec les moyens en ressources humaines nécessaires. Je veillerai à ce que les 30 rectorats soient prêts à la rentrée.
Ainsi, notre système éducatif s'organise progressivement pour faire face à tous ces défis. Nous cherchons à diversifier les angles d'attaques, à avoir une vision à 360°, en mobilisant tous les acteurs, y compris les élèves. Vous posez la question de la notation dans les établissements : l'installation du conseil d'évaluation de l'école en septembre va dans ce sens. L'idée est d'évaluer tous les établissements de France en cinq ans. Nous en avons déjà évalué 15 % cette année. L'évaluation commence par une auto-évaluation, puis se poursuit par l'intervention d'une équipe pluridisciplinaire extérieure. Le climat scolaire et la politique de lutte contre le harcèlement font partie des critères.
Nous comptons beaucoup sur la responsabilisation de tous les acteurs. Nous aurons certainement à prendre d'autres mesures sur le cyberharcèlement. Le sujet dépasse le cadre de l'école et constitue une question de société, à l'échelle nationale et internationale, mais nous ne devons pas nous laisser déborder.
Je vous remercie pour ce premier tour d'horizon que votre présentation nous a proposé et qui constitue une très utile contribution à notre réflexion. Permettez-moi de prolonger ce premier échange en vous faisant part de plusieurs de mes interrogations.
Nous avons, il y a quinze jours, auditionné les représentants des réseaux sociaux, et de nombreuses contradictions sont apparues entre plusieurs principes : entre la protection des personnes et le secret des correspondances, entre la protection de la liberté individuelle et la communication de données personnelles aux réseaux sociaux pour faciliter la reconnaissance d'éventuels harceleurs anonymes, etc. Comment dès lors opérer une conciliation entre des objectifs variés ? Existe-t-il une différence juridique d'approche entre pays européens, car, d'évidence, la lutte contre le cyberharcèlement ne peut se concevoir dans un seul pays ?
Un grand nombre de nos interlocuteurs, notamment sur le terrain, ont attiré notre attention sur le développement dramatique du sexting et du revenge porn. Ainsi l'ensemble de la communauté éducative et des partenaires de l'éducation nationale rencontrés la semaine dernière dans le Pas-de-Calais soulignaient les dangers du cyberharcèlement, et la difficulté de lutter contre.
Quel regard portez-vous sur ce phénomène ? Comment agir pour supprimer définitivement d'internet des photos qui n'ont pas à y être ? Quelles relations entretenez-vous avec les réseaux sociaux afin qu'ils sortent clairement de l'ambiguïté actuelle et cessent de se réfugier derrière le respect formel de leurs obligations ? Bref, qu'ils soient enfin proactifs et participent à la sensibilisation et à la formation des utilisateurs.
Ainsi que nous l'a rappelé M. Éric Debarbieux la semaine dernière, l'obligation d'agir contre le harcèlement dans les établissements scolaires est déjà largement inscrite dans le droit. Nous avons tous les textes qu'il faut, et comme nous l'a confirmé la Défenseure des droits, le problème qui se pose est celui de leur application. Comment, par conséquent, faire du travail d'équipe entre les membres de la communauté éducative une réalité pour mieux lutter contre ces phénomènes ?
Si la question des moyens ne saurait tout expliquer, ceux-ci permettent d'améliorer bien des situations : nous l'avons constaté lors de notre déplacement dans un établissement REP + à Melun, où des temps sont dédiés à ce travail d'équipe grâce à une dotation supplémentaire et où les moyens existent pour former efficacement tous les personnels, grâce aussi à la labellisation du territoire comme « Cité éducative ».
Enfin, et sans empiéter sur le contenu des programmes scolaires, nous avons constaté une déficience en matière d'éducation au droit, tant des enfants que des parents au demeurant. N'est-ce pas l'occasion de faire évoluer les programmes pour mieux éduquer les enfants aux risques bien réels du monde virtuel ?
Je partage vos constats sur le développement du sexting et du revenge porn, qui constitue un phénomène mondial, et la difficulté de lutter contre ces pratiques. Plusieurs principes s'opposent, en effet, comme sur bien des sujets : entre la liberté d'expression et la protection des personnes, nous devons trouver le bon équilibre. Si la liberté d'expression doit être totale dans le domaine des idées, il faut prohiber les insultes, la diffamation, les violences. Le droit pénal n'est pas harmonisé au niveau européen, mais le règlement général sur la protection des données (RGPD) fournit un cadre d'action commun et permet de faire retirer certains contenus des réseaux sociaux. Les plateformes n'ont pas toutes les mêmes politiques. Il est évident que nous devons les responsabiliser davantage. Il faut parvenir à une harmonisation vers le haut. Les plateformes ne sont pas de simples tuyaux, elles ont une responsabilité quant aux contenus. Je défendrai cette idée et plaiderai pour un pouvoir d'injonction accru.
Parmi les moyens d'action, le 30 18 et le 30 20 sont de bonnes réponses, qui ont fait leurs preuves auprès des victimes de harcèlement. Quant à l'appui aux établissements, la généralisation du programme pHARe va donner un accès bien plus large aux formations dédiées, comme cela se passe déjà dans l'établissement de Melun que vous avez visité.
Je vous avais interrogé lors de votre prise de fonctions sur les moyens de lutter contre le harcèlement et le cyberharcèlement, vous m'aviez déjà donné l'impression d'être déterminé, Brigitte Macron avait fait de ce sujet une cause nationale. Cependant, trois ans après, je dois constater que les mesures s'empilent et sont qu'un cautère sur une jambe de bois - je pourrais aussi dire que nous sommes encore devant le tonneau des Danaïdes, surtout avec le cyberharcèlement qui progresse de manière exponentielle : n'est-ce pas le signe inquiétant que le harcèlement classique se transforme en un cyberharcèlement plus large ?
Le climat de la classe est important, vous évoquez les ambassadeurs collégiens, on sait l'importance qu'ont les pairs pour résoudre les problèmes : est-ce que les délégués de classe sont encore élus par leur pairs et pensez-vous qu'ils puissent avoir un rôle dans cette action contre le cyberharcèlement ?
Nous manquons d'évaluation nationale sur le harcèlement et en particulier sur l'efficacité des outils comme les deux numéros de téléphone gratuits 30 18 et 30 20 : quels sont leurs résultats ?
Enfin, vous soulignez l'importance de la liberté d'expression, un concept dont la compréhension varie selon les pays et qui est différente des deux côtés de l'Atlantique, certains vont jusqu'à y inclure la possibilité d'insulter, ce que les enfants ne peuvent évidemment pas comprendre comme les adultes : quelle action pensez-vous pertinente, en particulier sur le plan interministériel ?
Je dirais que les mesures s'articulent plutôt qu'elles ne s'empilent, elles forment un tout cohérent qui renforce l'action, c'est le but en particulier du carré régalien. Notre vision n'est pas stratosphérique ni détachée du terrain, je vous trouve injuste d'y voir un cautère sur une jambe de bois, en particulier envers tous ceux qui agissent depuis le terrain en appui aux établissements. Ces mesures ne sont pas vaines, nous constatons un recul du harcèlement pour la première fois, c'est une réalité encourageante. De même, le programme expérimental pHARe a donné des résultats probants, d'où sa généralisation. Que nous soyons critiques, oui, pour aller plus loin, mais nous devons éviter un discours d'impuissance car il n'y a pas d'impuissance, nous agissons en recherchant les idées les plus opérationnelles.
L'évaluation est une dimension importante, je l'ai demandée à mes services ; les chiffres attestent d'une baisse de 5,6 % des signalements en 2018, alors que le phénomène progressait jusque-là.
La compréhension de la liberté d'expression change selon les pays, c'est une réalité qui rend plus importante la recherche d'une référence commune sur le plan européen, nous y travaillons, de même que nous le faisons dans le cadre de l'Unesco et dans celui de la francophonie.
Les délégués de classes continuent d'être élus dans les classes, nous y avons ajouté quelque 250 000 éco-délégués qui visent les objectifs de développement durable, incluant les sujets de bonne vie en commun - j'ai vu des éco-délégués être ambassadeurs contre le harcèlement, le plus efficace est de responsabiliser les élèves, nous les mobilisons par le programme pHARe.
Le cyberharcèlement témoigne d'une montée de l'insécurité, appelant une réponse sécuritaire mais aussi éducative. Il faut y associer davantage les parents d'élèves : quelles propositions avez-vous en la matière ? Des parents d'enfants victimes de harcèlement nous disent le manque d'écoute des enseignants et de l'administration, ils ressentent que les faits sont minimisés : quelles réponses leur apportez-vous - en particulier dans les petites écoles, où tout le monde se connaît ?
Enfin, nous avons besoin de données, à quand une grande étude de victimisation ? Nous avons besoin d'un état très clair. Même chose pour les retours d'expériences et les initiatives des établissements : prévoyez-vous de telles études ?
Le cyberharcèlement est un phénomène mondial, des bonnes pratiques existent dans d'autres pays, il faut s'en inspirer. Je sais votre engagement, vous avez fait une visio-conférence très bien perçue par les établissements. Vous soulignez l'importance de l'ambiance de l'établissement, la confiance que les membres de la communauté éducative y cultivent les uns envers les autres, nous entendons à cet égard que les pratiques de sanctions et d'exclusion des élèves varient entre établissements : est-ce le cas ? Ce serait un mauvais signe.
Je crois important de développer le plus grand nombre d'outils de prévention, car plus l'intervention est précoce, moins le problème prend de l'importance. Je me souviens que dans la méthode Freinet, on incitait l'enfant en colère contre un congénère à écrire la vengeance qu'il entendait lui faire subir et à placer cet écrit dans une petite boîte ; le simple fait de l'écrire permettait de l'atténuer voire d'en faire disparaître le projet. Nous savons aussi que les enfants ont du mal à s'ouvrir aux parents des violences qu'ils subissent, et que les parents apprennent en dernier ce qui se passe pour leur enfant : comment libérer et faire entendre la parole ? Les parents d'enfants harceleurs ont également du mal à reconnaître le comportement violent de leur enfant : comment mieux les responsabiliser ? Pensez-vous qu'il y ait une solution juridique ?
Enfin, la Défenseure des droits nous a dit vous avoir sensibilisé sur l'importance de l'action de votre administration sur le harcèlement : peut-on imaginer que les correspondants de la Défenseure des droits soient davantage partie prenante de l'école ? Comment faire, également, qu'à travers des moments peut-être plus solennels, dans l'établissement, dans les classes, chacun perçoive que l'école protège ?
Comment associer mieux les parents d'élèves ? La question est très importante, d'autant que leur prise en compte n'a pas toujours été le point fort de notre école - même si l'on peut aussi considérer, en renversant la perspective, que les professeurs ne sont pas toujours respectés par tous les parents, de même que, comme vous l'avez dit, des parents peuvent avoir des difficultés à percevoir ce que le comportement de leur enfant peut avoir de violent. Nous avons inscrit dans la loi sur l'école de la confiance le principe que le respect du professeur est dû, et nous l'avons assorti d'une sanction - au-delà, notre objectif est que les relations soient fluides entre les parents et l'école. Pour avancer, nous avons la mallette des parents, les établissements travaillent avec de petits groupes de parents pour leur faire mieux prendre conscience des règles du jeu de l'école, mais aussi pour leur dire qu'ils sont bienvenus à l'école - leur présence peut être un atout mais aussi un problème quand les relations sont dégradées. En tout état de cause, il faut monter que la force est du côté du droit et non pas des muscles que sortent certaines familles dans des situations conflictuelles.
Nous travaillons sur le recueil de données et l'évaluation, en particulier avec le Conseil de l'évaluation de l'école. Nous constatons une baisse du harcèlement, à l'école comme au collège.
L'exclusion des élèves est une problématique plus large que celle du harcèlement, nous avons pris des mesures pour systématiser les signalements, je tiens à faire passer ce message très clairement : quoi que certains en disent, nos consignes ne sont pas celles du « pas de vagues », j'ai demandé explicitement à ce que tous les signalements soient faits et recueillis, je précise aussi que le fait d'avoir de nombreux signalements ne joue pas contre le chef d'établissement. S'il y a eu, par le passé, une attitude qui a pu prêter à la critique de ce point de vue, les consignes sont très claires depuis 2017, nous avons demandé le signalement systématique et une réaction qui soit elle aussi systématique et proportionnée, il faut faire attention, dans le commentaire, à tenir compte du présent, ou bien on risque de faire perdurer des comportements qui ne sont plus censés avoir cours.
L'exclusion n'est jamais souhaitable en soi, mais elle peut se justifier et quand des élèves sont exclus successivement de plusieurs établissements, alors nous les accueillons dans des structures dédiées. Je crois qu'avec les consignes et les actions que nous conduisons, nous parvenons à action plus homogène. Du reste, je partage ce constat que plus tôt on intervient, mieux c'est, les initiatives pédagogiques sont nombreuses pour détecter et résoudre les problèmes. L'école apprend à lire, écrire, compter, mais aussi à respecter autrui, ces piliers vont de pair. C'est pourquoi nous encourageons aussi l'engagement des élèves. De fait, nos sociétés sécularisées n'ont plus guère de rituel pour ce passage initiatique qu'est l'adolescence, le moment correspond à l'entrée au collège et le défaut de rituel peut encourager l'entrée dans des bandes de pairs, avec le risque de dérives que l'on connaît, dans la violence ou les drogues. Je crois que nous devons encourager l'engagement, par exemple dans le secourisme, nous le faisons par des partenariats avec la gendarmerie, la police, les pompiers, dès le collège et avec la perspective du service national universel - ceux qui s'engagent dans de telles actions ont peu de risque de devenir des harceleurs. Il faut donc avoir une vision systémique du sujet.
Le constat est du même ordre pour l'objectif de libérer la parole des enfants. En réalité, les parents comme les enfants ont du mal à percevoir même qu'ils peuvent harceler, les harceleurs peuvent ne pas avoir conscience de toute la portée de leur comportement, il faut travailler sur leur parole, sur celle de leurs parents, je crois que la mallette des parents est un bon outil.
J'entends vos propos sur la coopération avec la Défenseure des droits, ses correspondants travaillent déjà avec la Médiatrice de l'éducation nationale, Catherine Becchetti-Bizot, les relations sont déjà étroites et nous travaillons avec les mêmes objectifs. Nous développons également les formations à la médiation, c'est l'une des clés pour résoudre les conflits et installer de la paix dans les établissements.
La question des données revient souvent, vous l'avez reconnu pour les atteintes à la laïcité. Prévoyez-vous de rendre publics les signalements, peut-être pas par établissement, mais par académie ? Comment faire mieux connaître les bonnes pratiques ? Ensuite, dans quelle mesure la médecine scolaire peut-elle accompagner les victimes ? Nous savons aussi que pour limiter le sentiment d'impunité, il faut réduire le délai entre le signalement et l'action ; or, le dispositif n'est pas toujours clair, les victimes de harcèlement et leurs parents ne savent pas toujours où s'adresser : ne pensez-vous pas qu'il faudrait simplifier l'ensemble, pour agir plus vite ?
Enfin, sur les réseaux sociaux, au-delà de l'interdiction du téléphone, il y a un besoin de formation. Les élèves sont autodidactes, peut-être faudrait-il une formation aux réseaux sociaux au collège et à l'école ?
Ne serait-il pas possible de faire connaître à tous les collégiens les applications existantes, comme Bodyguard, qui fonctionne bien ? Quand on achète un ordinateur, on installe bien des pare-feu et des antivirus...
Merci beaucoup, Monsieur le ministre, pour les propos que vous avez tenus hier à Montpellier, dans mon département, et dont j'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt dans le journal local Le Midi Libre.
Pour le carré régalien que vous voulez mettre en place à la rentrée prochaine, avez-vous prévu des personnels dédiés, ou cela se fera-t-il à moyens constants, en redéployant des effectifs qui existent déjà ? Actuellement, dans les rectorats et les inspections d'académie, on travaille déjà à flux tendu. Si vous assignez de nouvelles missions sans donner les moyens humains de les accomplir, cela ne fonctionnera guère...
Nous avons auditionné des représentants des réseaux sociaux : Facebook, Snapchat, TikTok et quelques autres. J'ai senti chez eux une attitude de minoration de leurs responsabilités et une tendance à se défausser lorsqu'on leur parlait de la gravité de la situation et de son ampleur. Dans leur stratégie de réponse, et même de défense, ils utilisaient le fait que vous aviez participé à des après-midi de tchat réunissant 500 jeunes. Je n'ai certes rien contre les séances de tchat qui réunissent quelques centaines de personnes mais, lorsque ce sont des centaines de milliers de jeunes dans notre pays qui sont confrontés à ce risque, 500 ou 600 jeunes qui participent à une après-midi de chat avec le ministre ne représentent pas grand-chose... Je ne voudrais pas que les réseaux sociaux utilisent votre participation pour essayer de nous prouver qu'ils font le maximum et qu'ils ont la bénédiction du ministre et du ministère pour ne pas aller au-delà de ce qu'ils font, parce que j'ai le sentiment qu'ils font le service minimum.
Vous m'interrogez sur la transparence des données. Nous allons accroître le volume de données concernées, notamment grâce à la systématicité des enquêtes. À l'échelle des établissements, ce sera le climat scolaire et, à l'échelle d'une académie, l'évolution globale de la situation. Le carré régalien permettra d'ailleurs une meilleure collecte des données. Sur le sujet des violences, nous avons fait des progrès très importants, comme sur la laïcité, puisque nous publions désormais des données transparentes chaque trimestre.
Sur l'accompagnement des victimes, vous avez fait référence à juste titre à la médecine scolaire, pour laquelle nous prendrons aussi des initiatives, car elle est parfois sous-calibrée par rapport à tous les enjeux, a fortiori dans la crise que nous venons de traverser. Et nous savons que les infirmières scolaires, comme les médecins, jouent un rôle important au quotidien pour recevoir les élèves, être à l'écoute et en tirer des conséquences, comme d'ailleurs les psychologues, les assistantes sociales, et même les professeurs.
Sur la question de l'impunité, vous avez raison de dire qu'il faut qu'on limite le temps entre le signalement et la réaction de l'institution. De nouveau, le carré régalien est là pour ça : chaque soir, sur le bureau du recteur, figureront les signalements de la journée ; chaque semaine, se tiendront les réunions appropriées, et des réactions immédiates seront prises par l'institution pour venir en appui de l'établissement ou, au moins, l'interroger sur ce qui se passe et sur les réponses apportées. Là encore, et comme pour les statistiques, la remontée d'information est cruciale.
Les formations pour maîtriser Internet sont un enjeu important. Cela fait partie du programme pHARe, qui d'ailleurs comporte un volet famille dans chaque établissement. Désormais, aussi bien dans la formation des futurs professeurs que dans la formation continue des professeurs et des personnels, ou dans la formation des élèves eux-mêmes, la lutte contre le harcèlement fait partie de la stratégie.
Au sujet du carré régalien, il y aura bien des personnels dédiés, sur les quatre points. Sur certains, comme les sujets d'instruction en famille, je me suis engagé devant les parlementaires à étoffer les équipes : il faut des ressources humaines pour effectuer les contrôles nécessaires. La réunion d'hier à Montpellier était assez significative de ce point de vue. Des sujets qui étaient auparavant épars et, partant, peu ou mal traités, sont désormais, grâce au carré régalien, rassemblés et articulés entre eux. Ils font l'objet, pour chacun des quatre points, d'une capacité d'intervention de l'institution et d'une vision du sujet en termes de ressources humaines : lorsqu'on se rend compte qu'il y a des faiblesses dans un endroit, on regarde qui s'en occupe, si les effectifs sont assez nombreux, assez formés, etc.
Sur les réseaux sociaux, je ferai attention à ne pas servir de caution d'une quelconque manière. Il est important qu'en tant qu'institution nous sachions bien utiliser les réseaux sociaux, pour relayer des messages positifs vis-à-vis des élèves. Vous dites que les responsables des réseaux sociaux se défaussent sur la question du cyberharcèlement. Je crains que vous n'ayez raison. J'ai donc bien l'intention de prendre de nouvelles initiatives en la matière, de façon à ce que les responsables de réseaux sociaux ne se considèrent pas simplement comme des responsables de tuyaux. Si on est capable de censurer Donald Trump, on doit être capable de censurer le harceleur !
Je reviens sur ma question, pratico- pratique : est-ce difficile de donner aux élèves des outils qui existent et qui permettent de les protéger dès qu'ils s'en servent ? Autre question : ne faudrait-il pas prévoir un délit spécifique de harcèlement scolaire, ne serait-ce que pour afficher clairement un interdit sociétal ?
Nous avons inscrit dans la loi pour l'école de la confiance un droit à ne pas être harcelé, dont la conséquence est que quelqu'un qui harcèle doit être poursuivi. Un arsenal juridique existe, comme le montre le procès Mila sur la question du cyberharcèlement : il y a des outils juridiques pour lutter contre l'attaque en meute. S'il y avait de nouvelles mesures à prendre sur le plan juridique, j'en serais évidemment partisan.
Sur les outils que l'on pourrait diffuser, je ne peux vous répondre de but en blanc, sans une analyse préalable. Le programme pHARe peut servir à cela, car il est évolutif, et nous continuons à regarder les bonnes pratiques mondiales.
Ce programme peut-il être l'occasion, en début d'année scolaire, de présenter à l'ensemble de la communauté scolaire les différentes mesures existantes ? Ce serait le bon moment pour sensibiliser à la fois les personnels et les familles, ainsi que les élèves. On pourrait même faire signer un contrat aux parents ; il faut du pragmatisme !
La généralisation du programme pHARe va dans ce sens, puisqu'il implique, en début d'année, l'exposé de la stratégie de l'établissement, avec une adaptabilité établissement par établissement. La signature du règlement de l'établissement ou d'une charte décrivant la stratégie de lutte contre le harcèlement est tout à fait faisable à l'échelle de chaque établissement. La généralisation de pHARe à la rentrée prochaine est un événement extrêmement important. Ce sera un outil de prise de conscience très fort.
Merci, Monsieur le Ministre, d'être venu devant nous, pour cette dernière audition avant la rédaction de notre rapport : celui-ci sera achevé en septembre, au moment de la rentrée.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 45.