Je voudrais tout d'abord en votre nom à tous, souhaiter la bienvenue à notre collègue Brigitte Devésa, sénatrice des Bouches du Rhône, en remplacement de Patrick Boré. Je lui souhaite de fructueux travaux parmi nous.
Nous entendons ce matin, en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, le Professeur Jacques-Olivier Bay, candidat à la présidence du conseil d'administration de l'agence de la biomédecine.
Comme vous le savez, l'agence de la biomédecine intervient dans les domaines directement liés aux sujets couverts par la loi de bioéthique : les greffes, l'aide médicale à la procréation (AMP), la génétique dite « médicale » ou encore la recherche sur l'embryon et les cellules souches.
La récente révision de la loi de bioéthique se traduit par des changements importants de la législation dans ces domaines qu'il s'agisse de l'encadrement de la recherche ou de l'accès à l'AMP, avec des enjeux éthiques cruciaux.
Monsieur le Professeur, vous avez la parole pour présenter votre parcours et les orientations que vous souhaitez donner à ce mandat avant que je ne la donne aux collègues qui souhaitent vous interroger.
C'est un grand honneur d'avoir été proposé par le Gouvernement à cette présidence et de me présenter devant votre commission. Les missions de l'agence sont vastes, bien au-delà des spécialités de chacun des membres du conseil d'administration.
J'ai 56 ans, ma carrière de médecin a été une vocation de longue date, sans antécédent de médecins dans ma famille ; je me suis intéressé à la cancérologie, apparaissant comme une spécialité large, puis je me suis tourné vers l'onco-cancérologie. J'ai fait une thèse à l'Université de Californie et j'ai passé trois ans à Montréal, au Canada, ayant obtenu les équivalences pour exercer en Amérique du Nord. J'ai été alors confronté au choix de rester ou de revenir - et je suis revenu du fait de mes convictions au regard de la pratique de la médecine et de son financement. Je suis rentré et j'ai travaillé, à partir de 1995, comme chef de clinique au centre Jean-Perrin de Clermont-Ferrand, j'ai repris la partie greffe de cette institution, puis j'ai intégré le CHU de cette ville en 2006, pour y réorganiser l'hématologie - j'ai été chef du service, que j'ai fait passer de 8 à 45 lits et à 16 praticiens ; nous avons créé le service d'oncologie médicale, qui manquait à la coordination des soins. Les activités de thérapie cellulaire m'ont passionné, je m'intéresse aux cellules génétiquement modifiées, qui émergent comme nouveauté thérapeutique.
Je me suis orienté vers des structures fédératives, notamment des sociétés savantes, j'ai travaillé à la Société française d'hématologie, avec la Société française du cancer et la Société francophone de greffe de moelle et des thérapies cellulaires, que j'ai présidée de 2017 à 2021, j'ai aussi intégré le groupe en hématologie de l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM), pour lequel j'ai une activité relativement fréquente, je suis également expert auprès de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé, j'ai accepté récemment un poste de conseiller sur les activités de thérapie cellulaire à l'ANSM et je suis le rédacteur en chef du Bulletin du cancer, revue officielle de la Société française du cancer. J'ai aussi quelques fonctions administratives, en tant que chef de service mais aussi responsable du pôle qui inclut le service de thérapie cellulaire et d'hématologie clinique adultes et je suis membre élu du conseil de gestion de notre faculté de médecine, en étant assesseur auprès de notre doyen.
J'ai toujours souhaité une grande indépendance dans mes activités, notamment vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique, je n'ai aucun conflit d'intérêt, je n'ai jamais participé à une réunion sur la commercialisation d'une molécule - je ne mets pas en cause le principe de telles réunions, mais je souligne que ma carrière a été purement académique, mes recherches ont été soutenues par la Ligue contre le cancer ou par l'État. Ensuite, je suis très attaché à travailler en réseau, venant d'un territoire qui manque de médecins, j'ai présidé le réseau OncAuvergne, pour mettre en réseau les professionnels de l'oncologie en Auvergne, c'est très dynamique et, même, nécessaire pour faire face aux besoins.
Je connais bien l'agence de biomédecine, pour avoir entretenu des relations étroites avec elle notamment lors de mon activité à la Société francophone de greffe. Je suis au conseil médico-scientifique de l'agence depuis 2004, et à son conseil d'administration depuis 2018. J'ai souhaité renouveler ma participation, j'ai toujours eu beaucoup de respect pour ses membres, ils exercent leurs missions diverses avec beaucoup de professionnalisme. Créée par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, l'agence de biomédecine fait suite à l'établissement français des greffes, qui était compétent pour les greffes d'organes, les greffes de tissus et les greffes de cellules ; l'agence de la biomédecine s'est vu confier des missions complémentaires telles que la procréation, l'embryologie et la génétique humaine. Elle couvre des domaines thérapeutiques qui utilisent les éléments du corps humain, à l'exception du sang dont les prélèvements sont réservés à une autre structure. L'agence de la biomédecine a également des compétences en matière de recherche sur les embryons et sur les cellules souches embryonnaires, elle encadre les prélèvements de tissus, de cellules, mais également l'AMP, le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire, elle gère de nombreux registres, par exemple les registres d'opposition au don, les registres de greffe de moelle et de cellules souches hématopoïétiques, et elle devrait être chargée du registre des donneurs dans le cadre de la loi de bioéthique. L'agence autorise les centres de diagnostic préimplantatoire, les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, la recherche sur les cellules embryonnaires et les embryons, elle assure un rôle important de vigilance, mais également de biovigilance, elle donne des avis sur les bonnes pratiques, ce qui est très important dans nos thématiques très spécialisées. L'agence est en relation étroite avec les agences régionales de santé (ARS) pour les régimes d'autorisation, en particulier pour les greffes, elle s'est vue confier de nouvelles missions en matière de procréation et d'embryologie.
Les compétences de l'agence de biomédecine sont donc très larges, elle fait appel à des expertises médicales mais également scientifiques, juridiques et éthiques de haut niveau ; elle s'appuie sur un conseil médical et scientifique à deux branches, une branche greffe et une branche correspondant à la procréation. Elle s'intéresse de très près à la loi de bioéthique, elle veille notamment aux principes fondamentaux d'équité, d'éthique, de solidarité, de sécurité et de gratuité. La présidence de l'agence est non exécutive puisque c'est la direction générale qui a le rôle exécutif.
Cette année est charnière, puisque nous sommes à la fin des trois précédents plans stratégiques ministériels concernant les greffes, la procréation, l'embryologie et la génétique humaine, dont les nouvelles versions sont en cours de rédaction pour les années 2021 à 2025. L'agence travaille à accroître l'accès à la greffe d'organes, de tissus et de souches hématopoïétiques, ainsi que l'AMP - et elle suit des axes transversaux comme la promotion de la recherche, la communication avec le public, la formation des personnels de santé, le renforcement des relations institutionnelles et la présence territoriale en essayant d'assurer une équité d'accessibilité aux soins. Enfin, l'application de la loi de bioéthique représente un chantier très important de l'année à venir.
Je suis vraiment très motivé pour la présidence de ce conseil d'administration, les mots-clés de l'agence me semblent l'équité, la transparence éthique, la solidarité, la neutralité de l'expertise. J'espère vous avoir montré mes convictions, mon indépendance et mon respect profond des institutions ; mes connaissances et mon expérience seront bien sûr au service de l'agence.
La loi de bioéthique a complété les compétences de l'agence, en particulier en matière d'AMP, vous évoquez le contrat d'objectifs et de performance qui arrive à échéance : comment abordez-vous les négociations avec l'État ? Dans quels domaines stratégiques l'Agence demandera-t-elle des moyens supplémentaires, en particulier dans le PFLSS ?
Ensuite, quelle sera votre stratégie pour développer le don d'organes, de gamètes et d'embryon ? Comment mieux accompagner la collecte à partir de donneurs vivants ?
Comment l'agence devra-t-elle s'organiser pour contrôler le respect des règles de bioéthique dans la recherche sur l'embryon et les cellules souches, dès lors que cette recherche ne relèvera plus que d'une déclaration préalable ? Pensez-vous renforcer la veille en la matière, en collaboration avec d'autres agences européennes et internationales ?
Enfin, l'Assemblée nationale a maintenu des missions dans des champs différents, en particulier le suivi des techniques en neurosciences, alors que l'agence nous a dit manquer de moyens en la matière : nous confirmez-vous que vous devrez faire l'impasse sur le sujet ?
Les protocoles de recherche sur les cellules souches ont valu beaucoup de contentieux et de difficultés à l'agence, estimez-vous que le cadre législatif tel que modifié les éviterait, ou bien qu'il y a encore des failles ?
Ensuite, beaucoup a été dit sur le délai dans lequel des femmes seules ou des couples de femmes pourraient accéder à l'AMP. Il peut y avoir une file d'attente, quel délai vous parait-il raisonnable pour une entrée effective dans le processus ?
Dans la présentation de votre parcours, vous dites que votre choix de revenir en France depuis l'Amérique du Nord, était motivé par des raisons éthiques, d'organisation et de financement du système de santé. Dans la loi de bioéthique, nous avons cherché l'équilibre entre l'encadrement de la recherche et la préservation d'un haut niveau de recherche : pensez-vous que nous y soyons parvenus ? Allons-nous, avec nos règles, pouvoir maintenir un haut niveau de recherche, par rapport à ce qui se passe outre-Atlantique ou en Asie ?
Vous dites que vous n'avez pas souhaité faire carrière aux États-Unis pour des raisons de financement de la santé. Notre budget de la Sécurité sociale étant structurellement déficitaire, quelles seraient vos propositions pour parvenir à l'équilibre ?
Vaste question, qui recouvre un véritable sujet de société, on le voit par exemple pour les traitements qui recourent à des cellules génétiquement modifiées, dont le coût peut atteindre 450 000 euros l'injection, nous sommes inféodés à l'industrie pharmaceutique qui va jusqu'à faire des contrôles de qualité dans nos hôpitaux. J'aurais voulu vous donner des pistes, mais le sujet est bien complexe - je suis pour le maintien de notre modèle, nous avons probablement des marges de progrès dans l'organisation des agences, et dans les relations avec l'industrie pharmaceutique sur la recherche. Au quotidien, il y a des choses à faire, pour des fonctionnements plus transparents.
Les neurosciences sont effectivement éloignées des missions de l'agence, nous n'en avons pas les moyens d'expertise, il faudra que l'État précise sa position sur le sujet dans la convention d'objectifs - je ne vous cache pas que l'agence est en difficulté sur certains financements. Nous pouvons aussi discuter de la façon dont on construit la qualité, les médecins ne sont pas toujours bon techniciens pour cela, il faut beaucoup de travail en particulier d'accréditation. Nous devrons discuter du développement des registres, il faut améliorer leur qualité.
Nous avons beaucoup à faire sur le don en général, et sur le don de gamètes et d'organes en particulier : notre société est favorable aux principes d'équité et de gratuité du don, c'est un principe fondamental à maintenir, alors que d'autres pays n'ont pas fait ce choix et qu'ils ont des registres bien plus importants que les nôtres. Nous devons faire de la publicité pour le don, nous visons à atteindre 7 800 greffes d'organes, alors que nous en sommes à 4500-5000 et qu'il y a 27 000 patients en attente de greffe ; les pratiques de Maastricht 3 ont amélioré les choses, mais nous avons beaucoup à faire. Nous pourrions imaginer un registre d'acceptation, mais il est difficile à mettre en place.
La recherche sur embryons et cellules souches est très importante. Jusqu'à la nouvelle loi de bioéthique, notre activité de conseil et d'autorisation était mal encadrée, les principes que vous avez adoptés me semblent justes et ils vont aider l'agence à la prise de décision. Le conseil médico scientifique de l'agence a une branche procréation, il faudra une autre branche sur les aspects « embryonnaires ».
Le maintien d'une recherche à haut niveau pose des questions très complexes, nous avons moins d'argent que dans les pays à moindre régulation - mais nous avons des valeurs que je n'ai pas trouvées outre-Atlantique, de vie en société, de communauté d'esprit qui nous rapproche. Nous sommes peut-être moins performants que des pays plus rapides parce que la recherche y est moins encadrée, mais je pense que nos règles de société qui nous unissent doivent être maintenues pour passer le cap, je m'attacherai à maintenir ce cap.
La loi de bioéthique ouvre les droits à l'AMP pour les couples de femmes et les femmes seules, les attentes sont importantes : comment l'agence pourra-t-elle s'organiser pour la mise en oeuvre ? La crise sanitaire a déprogrammé des soins, en particulier dans la PMA, avez-vous des éléments chiffrés ? Enfin, avez-vous des éléments sur les effets du Covid-19 sur la fertilité ?
Merci de promouvoir ces valeurs, les missions de cette agence qui sont trop méconnues, un effort de communication serait utile. Nous avons vu dans nos débats combien les informations étaient tronquées, c'est nécessaire de les corriger pour prendre les décisions politiques elles-mêmes. Dans le débat, il a été dit que l'accès à l'identité du donneur, dissuaderait les donneurs : qu'en pensez-vous ? Que s'est-il passé dans les autres pays qui l'ont fait ? La crise sanitaire a sans doute mobilisé les soignants au détriment de greffes programmées, connaissez-vous les retards ? Avez-vous des suggestions pour qu'elles puissent se faire concomitamment à l'effort pour lutter contre le Covid-19 ?
Comment comptez-vous élargir l'accès à l'oncogénétique ? Pour élargir l'accès aux greffes de moelle osseuse en cas de drépanocytose ? Quelle dynamique face aux maladies orphelines ?
J'ai été confrontée, dans mon entourage, à une tentative de prélèvement d'organe malgré un refus exprimé mais connu de la famille seulement, la gestion du registre du refus pose de grandes difficultés : comment améliorer les choses ? Et comment mieux faire connaître votre agence ?
Oui, il faut communiquer, nous avons un problème de publicité sur les questions difficiles posées par la biomédecine, d'autant que ces matières sont complexes, très spécialisées. Pour les dons d'organes, c'est indispensable, il y a des campagnes d'appel aux dons, il faut les développer mais elles coûtent cher, la meilleure qualité n'est pas toujours au rendez-vous.
La crise sanitaire a eu un impact sur la greffe d'organes, lié pour beaucoup aux difficultés d'organisation des hôpitaux, à l'utilisation des plateaux techniques, à la réanimation. Je ne saurais pas vous dire l'impact en surmortalité. L'impact a été moindre sur les greffes de cellules souches, les services n'ont pas été mobilisés, des contacts étroits avec les sociétés savantes ont permis de retarder le moins possible les greffes prévues. L'effet a existé aussi sur les dons de gamètes, et sur les fécondations in vitro (FIV), du fait du confinement.
La drépanocytose touche beaucoup de patients, c'est une maladie guérissable grâce à la greffe. Les registres de sang de cordon sont discutés, nous pouvons faire des greffes avec des donneurs apparentés, ce qui permet d'avoir un donneur pour chaque malade ; nous devrons en discuter pour la drépanocytose, pour savoir si nous devons étendre les banques actuelles.
Les activités d'oncogénétique dépassent le champ de l'agence, vous parlez des prédispositions génétiques au cancer, l'agence va se focaliser sur les laboratoires habilités - il vaut mieux être prédictif, la prévention est essentielle.
Sur les maladies orphelines, j'aurai du mal à vous répondre, nous continuerons d'assumer les missions de l'agence, je regarderai plus dans le détail et vous en rapporterai.
Je ne connais pas l'incidence du Covid-19 sur la fertilité. L'agence a un rôle par rapport à la vaccination, beaucoup de choses se disent sur l'ARN messager, sur les complications qui seraient liées à son injection, il y a beaucoup de fausses informations et il faudra que l'agence dédramatise ce qui concerne la génétique, pour démystifier certains propos. Le conseil médical et scientifique devrait s'y pencher.
La PMA est accessible aux couples de femmes et aux femmes seules, l'agence va organiser les registres, les enfants auront accès aux identités des tiers donneurs, une commission statuera et donnera son avis à l'agence qui délivrera les informations. Quant au délai, je ne saurais vous répondre précisément.
La loi va inciter les dons intrafamiliaux, c'est très important pour nous, en particulier les dons d'un enfant pour ses parents.
Merci pour ces réponses. En matière de dons, les principes sont simples mais l'application l'est moins, les familles doivent être bien informées. Nous vous souhaitons bonne chance dans vos nouvelles fonctions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La commission désigne M. Jean-Marie Vanlerenberghe rapporteur de la proposition de loi n° 783 (2020-2021), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
La commission désigne Mme Corinne Imbert rapporteure de la proposition de loi n° 543 (2020-2021), tendant à créer un droit de visite pour les malades, les personnes âgées et handicapées qui séjournent en établissement.
Sous réserve de la transmission du texte, je propose que notre commission se saisisse pour avis et désigne un rapporteur sur le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire.
Sur ce texte, nous avons une délégation au fond de la commission des lois sur les articles 5 à 11. J'ai reçu la candidature de Mme Chantal Deseyne, que je vous propose de ratifier.
La commission désigne Mme Chantal Deseyne rapporteur pour avis sur le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire sous réserve de sa transmission.
La réunion est close à 12 heures.