Nous examinons cet après-midi, en nouvelle lecture, la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire. À la suite de l'échec de la commission mixte paritaire (CMP) organisée avec nos collègues députés le 1er février dernier, il nous appartient d'entendre le nouveau rapport établi par notre collègue Olivier Paccaud sur le sujet et de procéder à l'élaboration d'un nouveau texte de commission ou à l'adoption d'une motion de procédure.
Je souhaite avant tout exprimer un regret : l'échec de la commission mixte paritaire sur ce texte, malgré notre volonté commune de faire reculer le harcèlement scolaire. Nous avions fortement contribué à l'enrichissement de ce texte en première lecture. Je pense à l'insertion du cyberharcèlement ; au renforcement de la formation de l'ensemble des acteurs ; à la prise en compte du harcèlement scolaire par le réseau des établissements français à l'étranger - amendement de Samantha Cazebonne ; à l'assouplissement de la carte scolaire et des conditions de recours à l'instruction en famille - amendements de Bruno Retailleau, Max Brisson et Pierre-Antoine Levi ; à une meilleure prise en compte du harcèlement lors des visites médicales scolaires - amendement de Céline Brulin ; à la possibilité de recruter les assistants d'éducation en contrat à durée indéterminée (CDI) au bout de six ans - amendement de Toine Bourrat ; ou encore à l'obligation pour les réseaux sociaux de mieux sensibiliser leurs utilisateurs contre le cyberharcèlement - Céline Boulay-Espéronnier s'était battue pour faire adopter un amendement en ce sens.
Sur le titre II, le Sénat a souhaité s'assurer d'une réponse pénale cohérente face au harcèlement scolaire. Nous avons privilégié l'instauration d'une circonstance aggravante au délit de harcèlement existant plutôt que la création d'un délit spécifique. Ce dernier pose de nombreuses questions quant à son applicabilité et les risques de rupture d'égalité qu'il fait peser, mais j'y reviendrai.
Deux « points durs » expliquent l'échec de la CMP.
Le premier concerne la définition du harcèlement scolaire dans le code de l'éducation. Les députés souhaitent y inclure les adultes. Pour moi et pour la plupart d'entre nous, il s'agit d'un mauvais signal envoyé aux personnels de l'éducation nationale qui contribue à la déconstruction de l'autorité du professeur. D'ailleurs, je regrette vivement le revirement de position du Gouvernement et du ministre sur ce point en moins de deux ans. Dans le contexte actuel de défiance envers l'institution scolaire, les personnels de l'éducation nationale sont en droit d'attendre un soutien plus marqué de la part de leur ministère et de leur ministre.
Le second point concerne la création d'un délit spécifique de harcèlement scolaire. Cette disposition introduit une incohérence entre les peines applicables pour des faits similaires. Je citerai un exemple : le texte punit de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende lorsque les faits de harcèlement scolaire ont conduit la victime à se suicider ou tenter de se suicider. En « droit commun », l'incitation au suicide tout comme l'homicide involontaire sont actuellement punis de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. En outre, ce nouveau délit conduit à augmenter le quantum de peine dans de très nombreuses situations. Au final, ce délit semble peu opérant. Quelles significations ont des peines aussi élevées qui ne seront sans doute pas appliquées dans les faits ?
La solution proposée par nos collègues sénateurs de la commission des lois, visant à créer une circonstance aggravante au délit de harcèlement, permettait de répondre au double objectif souhaité par le rapporteur de l'Assemblée nationale : d'une part, un délit identifié, pour des raisons pédagogiques auprès des jeunes, et, d'autre part, un meilleur suivi statistique par le ministère de la justice. Malheureusement, nos collègues députés n'étaient prêts à aucun compromis, que ce soit sur la définition du harcèlement scolaire ou sur la création d'un délit spécifique.
Le texte a été examiné en nouvelle lecture jeudi dernier à l'Assemblée nationale. Que reste-t-il de nos apports dans cette nouvelle version du texte ? Trop peu de choses.
Bien évidemment, l'Assemblée nationale a rétabli sa définition du harcèlement scolaire, ainsi que la création d'un délit pénal spécifique. Elle acte ses positions divergentes sur ces deux points essentiels pour le Sénat.
L'Assemblée nationale a également rejeté de très nombreuses dispositions que nous avions introduites. Tel est notamment le cas du cyberharcèlement, qui disparaît de la formation et des actions de prévention et de lutte à prendre par les établissements. Sa mention ne devient plus obligatoire dans les règlements intérieurs des écoles et établissements. Il me semble pourtant essentiel que le cyberharcèlement soit mentionné explicitement, conjointement avec le harcèlement scolaire.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a refusé toute possibilité d'assouplissement de dérogation à la carte scolaire ou au recours à l'instruction en famille pour l'élève harcelé.
Elle a supprimé des personnes bénéficiant d'une formation initiale et continue à la prévention et à la lutte contre le harcèlement scolaire les titulaires des contrats d'engagement associatif. Une telle mention aurait pourtant encouragé à la création d'un module dédié à cette thématique dans la préparation au brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA).
Enfin, l'Assemblée nationale n'a pas entendu notre alerte quant à la création d'une nouvelle mission pour le réseau des oeuvres universitaires - Pierre Ouzoulias y est particulièrement attentif. Faute de financement pérenne, cette nouvelle mission risque de se transformer très rapidement en nouvelle charge financière.
Compte tenu de ces désaccords persistants, il n'apparaît pas utile de rétablir en nouvelle lecture les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture. Nous sommes arrivés au terme de ce que nous pouvions attendre de la navette sur ce texte. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi.
Je souhaite à nouveau féliciter le rapporteur. Je regrette néanmoins que cette CMP ne soit pas conclusive, alors que nous aurions pu trouver un accord transpartisan sur ces questions de société et de réglementation de bon sens. Nous nous heurtons à une posture très difficilement compréhensible dans nos territoires au sein desquels ce texte est très attendu. J'ai moi-même reçu vendredi dernier des parents concernés par le harcèlement scolaire. Nous sommes déçus que les idées portées par le Sénat n'aient pas été retenues, en dépit des nombreuses auditions et des précisions apportées. Cette définition du harcèlement est trop large. Or quand on veut ratisser large, on ratisse mal...
On ne peut parler du harcèlement sans évoquer le cyberharcèlement, l'une des composantes majeures d'aggravation du harcèlement. Sur la carte scolaire, la proposition des sénateurs était frappée au coin du bon sens : en cas de harcèlement, il faut pouvoir proposer des solutions, peut-être innovantes par rapport à un carcan existant, mais qui sont pragmatiques.
Le groupe Union Centriste se félicite donc des propositions du Sénat, qui mériteront d'être portées ultérieurement de manière différente. Le travail préalable qui avait été mené par la mission d'information sénatoriale ne peut être rayé ainsi. Le rapporteur a tenu bon malgré l'échec de la CMP, et nous suivrons sa position.
Je félicite à mon tour le rapporteur pour la qualité de son travail. Nous n'étions pas d'accord avec la totalité de la version sénatoriale de la proposition de loi, mais il aurait été possible de conjuguer les apports positifs des députés et ceux des sénateurs. La majorité de l'Assemblée nationale, dans une attitude dogmatique, n'a pas souhaité avancer vers des solutions pragmatiques de compromis. En outre, le Gouvernement a fait peu de cas des 35 propositions figurant dans le rapport de la mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement. Cette absence de prise en compte nous fait perdre un temps précieux, alors qu'il y a urgence !
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable, notamment parce qu'il y est opposé par principe. En outre, sur ce sujet qui concerne le bien-être de nos enfants, nous aurions préféré pouvoir débattre et voter en faveur du texte de l'Assemblée nationale. Malgré sa frilosité et son aspect abusivement répressif, cet outil constituait néanmoins un moyen de mobilisation pour l'ensemble de la société. Il s'agissait donc d'une avancée pour lutter contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement.
Mes propos s'inscrivent dans le droit fil de ma collègue Sabine Van Heghe. Il est regrettable qu'un consensus n'ait pas été dégagé. En réalité, le Gouvernement, dans une posture dogmatique particulière, fait plus d'affichage que d'action concrète. Nous estimons, pour notre part, que le nouveau délit est peu adapté à la situation. Toutefois, nous ne voterons pas la motion, car nous aurions voulu rouvrir le débat au Sénat. Les associations de victimes de harcèlement ne comprennent pas forcément la position de rejet du Sénat, et il aurait été utile de pouvoir lever des malentendus.
J'ai un grand respect pour le monde enseignant, qu'il ne faut pas stigmatiser. Personnellement, je ne trouve pas du tout choquant que l'élargissement du périmètre inclue les adultes. J'ai fait partie du conseil d'administration d'un collège où le principal avait été condamné pour exhibitionnisme sans que cela figure sur son casier judiciaire. Il est revenu et a réitéré ses agissements. Une partie de la population ne comprendrait pas qu'un harceleur puisse bénéficier de l'absence de telles mentions.
Pour ce qui est de la question préalable, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a toujours confiance en notre capacité à débattre et à faire évoluer les mentalités.
Nous avions eu l'occasion de faire part de notre scepticisme concernant ce texte. Mais le Sénat avait pris en considération un certain nombre d'apports de la mission d'information pour que ce texte soit opérant - j'en remercie le rapporteur. Personne ne doute que le combat contre le harcèlement et le cyberharcèlement soit une priorité majeure. Néanmoins, cela suppose de se donner des moyens concrets. Les mesures prises ne seront pas opérantes, comme l'a exposé le rapporteur. J'entends que, dans cette période particulière, l'état d'esprit politicien gagne certains, notamment du côté du Gouvernement, mais sur un tel sujet, nous aurions pu trouver les moyens d'avancer. Ce n'est pas le cas.
Nous voterons la motion, car nous sommes choqués que le Gouvernement et sa majorité à l'Assemblée nationale se comportent de la sorte sur une question qui devrait faire consensus.
Je partage amplement tout ce qui vient d'être dit, et me félicite du quasi-consensus autour de la proposition du rapporteur. Il est des moments où la politique politicienne n'a pas sa place. Au sein de la commission, nous avons décidé que l'intérêt de l'enfant, en particulier sa mise en danger, devait être au centre des débats. C'est tout le sens de l'excellent travail des rapporteurs, tant au fond que pour avis. Le Sénat, fidèle à sa mission, avait fait évoluer le texte en prenant en compte non seulement les enfants, mais aussi les enseignants, en leur donnant des outils. Je regrette l'absence d'accord, qui n'est pas à la hauteur des enjeux. Je souligne que la mission d'information avait suggéré 35 propositions très intéressantes. Il est regrettable que le texte initial en ait pris si peu acte. Nous suivrons la position du rapporteur, tout en prenant date sur un sujet ô combien important à l'ère des réseaux sociaux et des dangers qu'ils représentent.
J'ai oublié de citer les travaux de la mission d'information, qui m'ont été très précieux. Je tiens à saluer sa rapporteure, Colette Mélot, sa présidente, Sabine Van Heghe, et tous ceux d'entre vous qui en ont fait partie.
Monsieur Fialaire, l'élargissement de la notion de harcèlement scolaire est un point clé. Comme l'avait très bien dit M. Jean-Michel Blanquer en 2019, quand un adulte commet des actes délictueux envers un jeune, il s'agit non pas de harcèlement scolaire, mais de harcèlement. Cet acte est condamnable, et la loi permet déjà aujourd'hui de le réprimer très sévèrement. Toutefois, vouloir mettre sur le même plan un adulte et un élève reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore...
Nombre d'entre vous ont été enseignants. Ils ont pu être confrontés à une attitude hostile de certains parents qui refusent l'autorité professorale. Tel qu'il est rédigé, le texte donne prise à une plainte pour harcèlement scolaire contre un enseignant qui aura mis à plusieurs reprises de mauvaises notes à un élève. Or, parce que le travail de l'élève est médiocre, ces mauvaises notes sont justifiées. Même si le juge du fond a un pouvoir d'appréciation souverain, il est dangereux d'ouvrir la voie en ce sens. Aujourd'hui, ce refus de toute forme d'autorité, y compris lorsqu'il s'agit d'une simple réprimande de l'élève, est de plus en plus fréquent, notamment au sein d'écoles primaires. Il me semble très injuste d'avoir stigmatisé ainsi les enseignants.
Enfin, il ne s'agissait pas de lever des malentendus avec nos collègues de l'Assemblée nationale ; nous nous trouvions face à un refus d'écoute pur et simple. Face à une porte barricadée, que peut-on faire avec un bélier de papier ?
Le fait de ne pas parvenir à un accord fait partie de la vie parlementaire, mais la recherche d'un accord est importante. Or cette CMP n'a donné lieu à aucun dialogue, avec, pour conséquence, l'affaiblissement du travail parlementaire. Cela est d'autant plus regrettable qu'une volonté assez partagée semblait se dégager de part et d'autre. Malheureusement, le rapporteur de l'Assemblée nationale n'était pas sur la même ligne.
« Les absents ont toujours tort », dit-on. Dans le cadre de la négociation entre le rapporteur Erwan Balanant et moi-même qui s'est déroulée de façon très cordiale, l'absence du ministère, sollicité, s'est révélée très problématique.
J'ai eu un sentiment de malaise lors de la CMP. Même lorsque ces réunions ne sont pas conclusives, on constate d'habitude de l'écoute et de l'entente. En l'espèce, on a vraiment eu l'impression que le texte était à prendre ou à laisser !
Sur le fond, on entre dans un nouveau champ que les professeurs vont expérimenter. Les textes actuels punissent déjà sévèrement tout acte inapproprié et malveillant d'un fonctionnaire. Des fonctionnaires d'État seront exposés au détournement du délit de harcèlement scolaire par des parents, en tant qu'usagers du service public de l'éducation, à des fins très éloignées de son objectif. Je me demande si d'autres fonctionnaires, par exemple ceux du Trésor public, pourront être poursuivis pour harcèlement par des usagers...
EXAMEN D'UNE MOTION
La motion COM-1 est adoptée. La commission décide donc de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire. En conséquence, elle n'a pas adopté de texte. Dès lors, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Mes chers collègues, je vous informe qu'aucun amendement n'a été déposé sur le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites. La discussion du texte en séance publique devrait avoir lieu vers 18 heures ou 19 heures.
La réunion est close à 14 h 25.