Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête en recevant ce jour M. Gilles Pélisson.
Je rappelle que cette commission d'enquête a été constituée à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et a pour rapporteur David Assouline.
Monsieur Pélisson, vous êtes président-directeur général du groupe TF1 depuis 2016. Le projet de fusion avec le groupe M6 est au coeur des préoccupations de notre commission, et plus largement, des pouvoirs publics. Nous avons ainsi entendu Nicolas de Tavernost le 28 janvier et nous entendrons Martin Bouygues en fin de semaine sur ce sujet. Olivier Roussat avait par ailleurs également été auditionné le 1er décembre par les commissions de la culture et de l'économie.
Il s'agit d'un sujet important, qui ne trouvera cependant son issue qu'à l'automne prochain avec la décision de l'Autorité de la concurrence. Je ne voudrais pour autant pas limiter nos échanges à cette fusion. Vous êtes à la tête de la première chaîne française, avec une rédaction importante, d'une chaîne d'information en continu, LCI, ainsi que d'un producteur important, Newen. Le groupe est donc placé au coeur du système audiovisuel français, présent sur tous les fronts. C'est pourquoi nous sommes impatients de vous entendre cet après-midi.
Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêt ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M Gilles Pélisson prête serment.
Je dirige le groupe TF1 depuis six ans ; je le connaissais bien puisque dès 2009, Martin Bouygues m'avait demandé de siéger à son conseil d'administration. J'ai dirigé auparavant d'autres grandes entreprises telles que Disneyland Paris, Bouygues Telecom et Accor.
Le groupe TF1 réunit plus de 3 600 collaborateurs dans neuf pays. Nos investissements annuels dépassent 400 millions d'euros par an dans la création, environ 60 millions d'euros dans le sport et environ 135 millions d'euros dans l'information. Le coût total de la grille est d'un milliard d'euros.
Nos résultats 2021, très bons, sont le fruit d'une transformation continue de notre modèle économique ces cinq dernières années, dans un monde où la consommation des contenus évolue chaque jour. Nous essayons de rassembler les Français, de créer du lien social tout en gardant notre identité.
En traitant des enjeux de notre société, en proposant des divertissements familiaux, nous avons créé des rendez-vous populaires et même contribué à replacer la fiction française au sein des meilleures audiences de l'année. Nos antennes proposent également de grands rendez-vous sportifs féminins, avec l'Euro de football en juillet ou la Coupe du monde de rugby en fin d'année, et masculins, avec la Coupe du monde de football en fin d'année et la Coupe du monde de rugby en 2023.
Pour ce qui est de l'information, nos rédactions professionnelles indépendantes proposent des grands rendez-vous très variés, avec les JT du 13 heures et du 20 heures, des magazines et l'information en continu sur LCI. Nous dédions une équipe à la lutte contre les fake news, notamment à destination des jeunes.
Nous devons nos très bons résultats d'audience, face à la montée des réseaux sociaux, à nos plus de 430 journalistes qui travaillent sur nos contenus, désormais disponibles en replay sur MYTF1, notre plateforme de streaming. Avec 27 millions d'inscrits et 2,7 milliards de vidéos vues, c'est la première plateforme de replay en France, aux côtés de Salto, que nous partageons avec France Télévisions et M6.
Je souhaite enfin saluer le succès de Newen Studios, notre filiale de production, qui emploie plus de 600 salariés dans neuf pays.
C'est dans ce contexte que nous avons annoncé l'an dernier le projet de fusion des groupes TF1 et M6, opération inédite à l'aune des mutations de notre secteur, car les Français n'ont jamais bénéficié d'une offre aussi large.
Les investissements des plateformes, accessibles en un seul clic sur les télécommandes, donnent le vertige. Les huit premiers groupes américains investissent 115 milliards de dollars de dépenses pour les films et les émissions de télévision sur l'année qui vient. Aussi, les acteurs nationaux doivent défendre des projets ambitieux pour préserver un modèle garantissant notre souveraineté culturelle. Ce projet de fusion en est un. La mise en vente du groupe M6 est une opportunité historique. Depuis quelques années, nous étions convaincus, avec Nicolas de Tavernost, de la nécessité de consolider notre secteur. Je suis fier que le groupe TF1, soutenu par son actionnaire Bouygues, soit l'initiateur d'une telle opération, car ma responsabilité de chef d'entreprise est d'intégrer les ruptures qui pourraient affecter la pérennité de notre modèle.
L'évolution des modes de consommation des contenus fait baisser nos audiences. La durée d'écoute individuelle (DEI) par jour baisse de manière continue : elle est de moins de trois heures pour les 25-49 ans, quand les autres usages comme la SVOD, à 46 minutes, ne cessent de progresser.
Les plateformes internationales, avec leurs capacités financières presque illimitées, créent une spirale inflationniste. Elles mettent en place des stratégies locales en réservant les talents et en verrouillant les droits. Elles ont récemment investi de nouveaux territoires, tels que le sport et le spectacle vivant.
Dans le digital, les investissements technologiques sont capitaux. Puisque l'expérience du consommateur est la clé de sa satisfaction, la connaissance de ses goûts et de ses comportements par l'intelligence artificielle est cruciale.
Les acteurs locaux ont besoin de plus de moyens pour rester compétitifs dans la création comme dans la technologie.
J'entends certains dire que notre projet serait défensif, car nous serions trop petits face aux géants américains. Leurs investissements dans la création française, d'environ 300 millions d'euros, seront inférieurs à ceux de TF1 et de M6 cumulés. C'est bien sur les contenus locaux que nous voulons les concurrencer. Par ailleurs, nous resterons les principaux partenaires de la création française.
Pour d'autres, nous serions trop gros. Côté publicité, les annonceurs souhaitent-ils une alternative réelle aux Gafam et à leurs trois grandes régies publicitaires qui dominent la publicité digitale mondiale ? Côté producteurs, après une grande concentration, Mediawan regroupe plus de vingt sociétés de fiction française. Le groupe Banijay Endemol Shine, dans le divertissement, s'est lui aussi consolidé.
Enfin, je tiens à rappeler que le futur groupe sera plus petit que France Télévisions. On est très loin du géant décrit.
TF1 est une entreprise unique en Europe. C'est ce qui pousse le groupe Bouygues à réinvestir. Nous pensons sincèrement que l'intérêt du public est d'avoir, aux côtés d'un service public puissant, un groupe audiovisuel capable de continuer à faire vivre la marque de fabrique française dans le monde de la création culturelle.
Nous faisons entièrement confiance aux autorités qui analysent notre dossier.
Monsieur Pélisson, je suis très heureux de vous auditionner. Vous dirigez un très grand groupe audiovisuel depuis de nombreuses années et vous avez toujours répondu au Sénat.
Vous plaidez pour une concentration particulière. Vous dites avoir confiance dans les autorités chargées de décider de la fusion entre TF1 et M6. Nous n'avons ni cette compétence ni cette prétention, mais la commission d'enquête a pour objet d'éclairer le débat public sur ce sujet.
Vous décrivez le changement global de dimension de vos concurrents et dites qu'il faut consolider l'audiovisuel public français pour y faire face. Après cette fusion, vous resterez très petits face aux grandes plateformes, la différence d'échelle étant énorme. En revanche, sur le marché français, vous serez très dominant, avec un audimat de plus de 40 %, même s'il faut le moduler selon les catégories. Le législateur fixe des limites ; aussi, il doit savoir de quoi on parle.
Cette fusion n'est-elle pas trop grosse pour le marché français et trop petite pour le marché mondial ?
Avec 27 millions d'inscrits sur MYTF1 et environ 20 millions d'inscrits sur 6play, nous pouvons être un acteur crédible à l'échelle de la France. Google ou Amazon comptent environ 30 millions d'inscrits en France.
Le vrai problème, c'est l'effet de ciseau dans lequel nous sommes pris. Les plateformes font monter les prix et nous pénalisent sur les contenus - c'est pourquoi la mutualisation de moyens est donc absolument essentielle. En parallèle, la domination de Google et de Facebook, rejoints par Amazon, a pour effet de diriger l'essentiel du marché publicitaire vers le digital.
Comment intervenir pertinemment sur ces marchés en étant suffisamment crédibles ? Tel est notre enjeu.
Notre territoire est la France et la francophonie, et nous y réussissons bien. Avec nos 3 600 collaborateurs, nous avons la capacité extraordinaire de rassembler les Français. C'est fantastique. En capitalisant là-dessus, nous pouvons créer un champion national capable d'exporter son savoir-faire. À titre d'exemple, Newen vient de vendre notre série HPI, avec Audrey Fleurot, dans 68 pays. La Rai Uno, en Italie, l'a programmée en prime time.
La bataille n'est pas perdue. Nous ne serons jamais de la taille des Gafam, mais nous pouvons peser à l'échelle nationale.
Qu'en est-il de votre position dominante sur le marché français, qui suscite des craintes ? Elle est inédite.
En quoi est-elle inédite ? Si la fusion est réalisée, il y aura d'abord le groupe public, qui sera le plus important, puis deux autres.
On peut refaire l'histoire de la privatisation, avec Francis Bouygues.
Ce qui est important, c'est que le service public représente plus de 30 % de l'audience, sur la fiction, le sport ou l'information, avec plus de 1 000 journalistes contre 600 pour nous en cas de fusion. Nous ne sommes pas du tout à la même échelle.
Le service public deviendra le deuxième groupe. C'est le cas dans la plupart des pays d'Europe. On a envisagé de multiplier les petites chaînes avec une TNT 2, mais ce n'est pas forcément mieux pour les audiences ou la création.
Si vous n'avez pas suffisamment d'argent, vous n'existez pas dans le domaine de la création. Voyez Omar Sy : il est sous contrat avec Netflix pour cinq ans.
Le groupe TF1 est bien moins puissant qu'autrefois. Il a plutôt vu ses parts de marché se réduire. Face à des plateformes mondiales, pouvoir résister avec des contenus et une technologie, tel est le nerf de la guerre.
Avec la commission de la culture, nous avons auditionné M. Roussat. J'avais souligné que le groupe TF1 n'allait pas si mal puisqu'il avait distribué des dividendes. Il m'avait rétorqué que la situation était exceptionnelle, liée au covid.
Or, avant le covid, le chiffre d'affaires était déjà en nette progression.
De 3 % ! Voyez la croissance des Gafam !
Vous présentez une situation plutôt florissante, à l'inverse de M. Roussat. J'entends toutefois que vous vous projetez à dix ans et que selon vous, la dynamique sera mortelle si vous ne réagissez pas.
Confirmez-vous ce qui s'écrit sur la reprise des chaînes que vous êtes contraints de céder en raison de la loi de 1986 ? Il n'y aurait pas beaucoup de repreneurs.
Pourquoi voyons-nous des nuages noirs s'amonceler ? Les Américains ont trois à quatre ans d'avance sur nous, or, aux États-Unis, la pénétration de la SVOD est de 83 % contre 64 % en France. Les grandes plateformes américaines vont donc continuer à croître sur le marché français.
La DEI est passée aux États-Unis de 4 heures 36 minutes à 2 heures 56 minutes entre 2011 et 2019, soit une perte de 100 minutes. Nous avons déjà perdu 48 minutes, et nos projections sont d'environ 2 heures de DEI.
Le marché de la publicité linéaire est passé de 64 milliards à 58 milliards de dollars en cinq ans, depuis 2016. Surtout, il devrait tomber à 44 milliards dans les cinq prochaines années, soit une perte de 15 % en dix ans.
Si nous perdons ces 3,3 milliards d'euros avec 15 ou 20 % de perte, ce sont plusieurs centaines de millions d'euros qui disparaîtront durant les prochaines années. C'est pour cela que nous sommes inquiets. Nous pouvons certes faire comme la grenouille dans l'eau chaude dont la température augmente peu à peu, et qui finit par s'ébouillanter. On ne compte plus les sociétés qui ont cru qu'elles allaient s'en sortir, sans se rendre compte de la bascule dans le digital, et qui se sont réveillées trop tard...
Il nous faut saisir cette opportunité historique.
Pour nous conformer à la loi française de 1986, nous devons céder trois chaînes. Paris Première peut être rendue assez facilement, car c'est une autorisation de TNT exploitée uniquement en payant. Je répéterai juste les chaînes mentionnées dans la presse, puisque je n'ai pas le droit de commenter le processus en cours. Il y a Gulli, TFX et 6ter, principales chaînes qui sont intéressantes pour des entrants ou des acteurs existants. Des négociations sont en cours. Je ne peux vous divulguer avec qui nous discutons.
Ce calendrier est restreint. Pour arriver fin octobre début novembre 2022 devant l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) - pour un renouvellement des autorisations des chaînes TF1 et M6 en mai 2023 - les futurs acheteurs doivent être autorisés par l'Arcom. Il y a ce qu'on appelle un « 42-3 » pour les valider. Nous avons donc de février à avril 2022 pour nous mettre d'accord. Sinon, nous devrons restituer deux chaînes supplémentaires à l'Arcom qui les remettra sur le marché.
Le groupe TF1 suscite certaines controverses, car il possède à la fois les tuyaux télécoms, la production et l'édition, ce qui pose un problème de concentration verticale. L'activité principale du groupe est liée à une activité autre que les médias et très liée à la commande publique, à savoir le BTP. Le groupe possède des médias qui se concentrent verticalement.
Quelle étanchéité prévoyez-vous entre vos différentes activités ? Xavier Niel a prévu un tel dispositif entre ses activités. Certains disent qu'il n'y en a pas chez vous.
M. de Tavernost va présider l'entité média du groupe fusionné. Comment le vivez-vous ?
Voici quelques vérités fondamentales, qui seront confirmées par Martin Bouygues lors de son audition. Martin Bouygues n'est pas favorable à l'intégration verticale. Si Bouygues y croyait dans la construction, tous les immeubles de Bouygues immobilier seraient fabriqués par Bouygues construction. Ce n'est absolument pas le cas : quelques immeubles sont construits par Bouygues construction, mais les autres sont réalisés avec Vinci, Eiffage ou d'autres groupes.
Bouygues Telecom est dans une position très asymétrique par rapport à celle de TF1. Lorsque nous avons renouvelé nos contrats avec les grands opérateurs français de distribution, c'est avec Fabienne Dulac, présidente d'Orange France, que j'ai signé en premier, parce que je choisis le leader du marché. Nous sommes des leaders et ensemble nous essayons d'inventer de nouveaux services pour les Français. C'est ce que nous avons fait avec MyTF1 Max en introduisant un replay sans publicité.
Nos collègues de Bouygues Telecom savent que lorsque nous devons innover, nous allons d'abord voir Orange et non Bouygues Telecom. Nous n'avons qu'une seule obligation : avoir des portables Bouygues Telecom. Mais nos entreprises ont des positions asymétriques.
Au niveau du groupe, nous avons un développement propre dans le monde digital et la production. Newen produit peu de choses pour TF1 : actuellement, ce sont deux séries seulement. Et 10 % du chiffre d'affaires total de Newen est réalisé avec TF1. C'est peu. En France, l'intégration verticale pour la production est limitée par une protection assez unique : les producteurs indépendants ont accès à notre commande de façon privilégiée, et sont protégés contre toute velléité d'intégration verticale.
Sur les relations entre Bouygues et la commande publique, Martin Bouygues vous le commentera mieux que moi. Mais au vu du chiffre d'affaires total du groupe, celui-ci ne dépend que très faiblement de la commande publique d'État.
Il est difficile de balayer d'un revers de main que d'avoir à la fois une activité essentielle comme le BTP ou la téléphonie, et de posséder en plus un média ne participerait pas d'une volonté d'influence sur les pouvoirs publics ou les autres.
Si la concentration en cours dans le groupe Vivendi fait partie du débat public actuellement et suscite des tensions, la concentration que vous allez opérer est vécue comme pouvant poser des difficultés économiques, mais moins de polémiques sur le plan idéologique. Vos rédactions travaillent, il n'est pas prévu de couper des têtes. Mais il y a un problème sur l'information. Malgré la floraison d'offres sur internet, les journaux de 20 heures ou de 13 heures de TF1 et M6 ont une attractivité mesurée par toutes les enquêtes, et devant le service public. Vous faites l'audimat à des moments clés pour l'information. Certes, on se dit que tant que c'est vous, c'est bien, mais si un magnat hongrois fait main basse sur vos chaînes, il pourrait y avoir un problème de souveraineté et d'assurance d'une information libre et indépendante. Comment faites-vous pour que dans le domaine de l'information, il y ait une indépendance et une protection absolue ?
Vous lisez beaucoup Le Monde, dans l'orbite de M. Niel. Je ne rentrerai pas dans des histoires de politique fiction.
Face à vous, vous avez un groupe qui, depuis trente ans, a été accompagné et soutenu par une entreprise familiale : le groupe Bouygues.
Quand on regarde la qualité de nos rédactions, la façon dont les Français suivent nos journaux télévisés qui font la course en tête par rapport au service public, on ne peut que s'en féliciter. À l'heure des réseaux sociaux, nous fournissons une information fiable. C'est un phénomène assez unique en Europe : certains de nos journaux peuvent rassembler six à sept millions de personnes ! En tant que citoyen, je m'en félicite.
L'Arcom est extrêmement vigilante pour encadrer, réguler, surveiller les médias : elle veille à l'équilibre des temps de parole - ce qui ne s'applique pas à la presse écrite. Il y a des garde-fous.
En 2016, je venais d'arriver quand LCI est passé en clair, après une erreur d'aiguillage.
Oui. Nous l'avons assumée et payée très cher. Le problème, cela a été l'arrivée non contrôlée et non annoncée d'un ovni, franceinfo. Fin 2015, l'État français a décidé, en quelques mois, de créer franceinfo. Nous avons même assisté à une régression du service : pour diffuser franceinfo, il a fallu passer de la haute définition (HD) à la définition standard (SD), sans aucune étude d'impact ni enquête. Nous étions canal 26, franceinfo était canal 27. On peut peut-être s'en féliciter d'un point de vue démocratique, mais vous voyez le manque de parallélisme.
Nous avons des rédactions qui s'attachent à travailler avec qualité. Nous avons mis en place des garde-fous pour les rédactions. En tant que directeur de la publication, je suis pénalement responsable. Il y a quelques années, Patrick Bloche a fait voter une loi. Nous avons un comité de déontologie qui permet d'avoir des avis. On peut nous faire un procès et insinuer qu'il y aurait cette influence, mais le 13 heures de TF1, c'est un journal qui ne parle pas de politique, mais qui s'intéresse aux Français. Il couvre la province, et parle de la météo, du plus beau marché de France ou de SOS Villages....
Ce n'est pas un procès d'intention. Lorsque vous êtes si dominant sur l'information, cela ouvre des potentialités. Il est logique que nous nous demandions si une telle concentration dans un seul groupe est normale.
Les Français sont libres de leurs choix, ne l'oublions pas !
On m'avait prédit que la succession de Jean-Pierre Pernaut, idole nationale, serait difficile à gérer. Nous l'avons accompagnée, et il est encore actif chez nous sur LCI. J'en suis ravi. Marie-Sophie Lacarrau, qui était sur France Télévisions, lui a succédé. Les Français ont continué à nous suivre. Je fais confiance à nos équipes de journalistes, à notre qualité éditoriale. Nous avons des équipes extrêmement mobilisées, dirigées de main de maître par Thierry Thuillier et Fabien Namias sur LCI. Lors du passage en clair de LCI, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) nous a demandé de maintenir la séparation des rédactions de TF1 et LCI. Cinq ans plus tard, nous pouvons nous en féliciter.
Sans rentrer dans une querelle de chiffres, vous nous avez annoncé des chiffres sur le marché publicitaire qui ne correspondent pas tout à fait à ceux que nous avons entendus la semaine dernière. Ces chiffres seraient en augmentation... Pourriez-vous nous donner vos projections ?
Quel est le prix des annonces publicitaires ? La semaine dernière, les annonceurs nous ont dit que la publicité à la télévision avait une efficacité sans égale pour l'audience donnée à une marque. L'effet « vu à la TV » reste très puissant malgré tout ce que l'on entend sur la baisse de la durée d'écoute individuelle. La publicité à la télévision serait de ce fait peu coûteuse. Le confirmez-vous ? Quelles sont vos prévisions en matière d'augmentation éventuelle des prix de la publicité ?
Certains spécialistes, comme Jean-Louis Missika, estiment qu'une augmentation du prix de la publicité serait inéluctable à l'avenir. Confirmez-vous que vous prévoyez une augmentation des prix non à dix ans, mais d'ici cinq ans ?
À partir du moment où le PIB augmente de 3 à 4 %, le marché pourra effectivement rebondir de quelques points en 2022.
Mais quand on se projette sur cinq ans, et au vu de l'évolution du marché américain où les audiences décrochent, je pense que nous aurons un décrochage de la durée d'écoute individuelle (DEI). Nous le constatons déjà pour la fin de l'année 2021, avec une baisse de la DEI de 10 % mois après mois... C'est cela qui nous inquiète, et qui entraînera un décrochage de la publicité. Nous aurons moins de stock de GRP (Gross Rating Point, point de couverture brute) à vendre. Certes, nous pouvons augmenter les prix, mais pas indéfiniment. À un moment donné, le marché va décrocher. C'est ce qui s'est passé aux États-Unis.
En dix ans, le marché de la télévision linéaire va baisser, et donc aussi la publicité à la télévision.
Je suis ravi que les annonceurs utilisent nos arguments sur l'efficacité de la publicité à la télévision. Comparée à certains pays européens, la publicité télévisuelle est relativement peu chère en France. Mais certains crient avant d'avoir mal. À partir du moment où l'Autorité de la concurrence laissera probablement perdurer deux régies après la fusion entre TF1 et M6, il n'y aura aucun intérêt pour le futur groupe à augmenter ses prix, car sinon les annonceurs ne viendraient plus. Rappelons que l'essentiel de l'argent va sur le digital. Quel intérêt économique y aurait-il à vendre un produit cher à seulement quelques clients ? Cela n'aurait pas de sens. Notre chiffre d'affaires est notre seul revenu, car nous n'avons pas de redevance.
Le marché semble assez bas actuellement. Il y a encore une marge de progression avant de créer un effet d'éviction. Avez-vous chiffré cette marge ?
Non, nous ne l'avons pas chiffrée. Elle est probablement de quelques pourcents...
M. Missika a une proximité historique avec M. Niel. Je ne vois donc pas dans ses propos toute l'indépendance que je souhaiterais...
Vous avez insisté sur les technologies qui sont un enjeu d'avenir. Sur quels secteurs envisagez-vous d'investir une fois la fusion effectuée ? Bedrock, la filiale de M6, est un leader dans sa technologie. Si nous avons bien compris ce que nous disait Thomas Rabe lors de son audition, Bedrock resterait sous la direction de Bertelsmann. TF1 en serait actionnaire, mais non majoritaire. N'est-ce pas une occasion manquée de garder cette technologie dans le futur groupe TF1-M6 ?
Dans le secteur technologique, il faut beaucoup de moyens. Il faut avoir une data bien organisée, ce qui passe essentiellement par des investissements dans le cloud. Ce sont aussi des serveurs et surtout des algorithmes, puis des services d'applications qui permettent d'avoir de la fluidité pour servir les clients. Chacun d'entre nous a une consommation différente. C'est comme les e-mails que Netflix vous envoie, personnellement, pour vous conseiller tel ou tel film. Créer ce lien, c'est important et cela demande beaucoup d'investissement pour garder ce rythme par rapport aux grandes plateformes - Netflix, Amazon ou Disney - qui peuvent amortir leurs investissements à l'échelle mondiale.
Netflix investit environ un milliard de dollars dans les technologies. En se réunissant, TF1 et M6 pourront investir quelques dizaines de millions d'euros. Voilà ce qui est intéressant. La plateforme MyTF1 est notée par nos clients 4,3 ou 4,4 sur Android, iOS ou Apple, soit un niveau très proche de celui des plateformes américaines.
Bedrock est la plateforme technologique utilisée dans Salto, en accord avec France Télévisions. Elle appartient au groupe M6. Nous avons trouvé intelligent de faire confiance à M6 pour utiliser cette technologie. Les équipes sont basées à Lyon et à Paris.
Le groupe Bertelsmann a considéré que la plateforme Bedrock était un bel atout, et a mis une partie de ses filiales européennes sur Bedrock, pensant qu'il y avait des économies d'échelle à faire sur ce type d'investissement. Bertelsmann a donc décidé de prendre 50 % de Bedrock, et 50 % appartiennent à M6. Dans le cadre de la fusion, le futur groupe détiendra donc 50 % de Bedrock.
Après la fusion, le nouveau groupe détiendra les deux tiers du capital de Salto. Cela ne posera pas de problème de perpétuer Salto avec cette plateforme technologique.
Le 1er décembre, la commission de la culture du Sénat a auditionné Olivier Roussat. Vous êtes parfaitement en accord avec lui. Selon lui, le statu quo n'est plus possible. Il se donnait cinq ans avant possible péremption, si j'ose dire. Comme lui, vous avez cité comme indicateur la durée d'écoute individuelle. Cela correspond à une logique entrepreneuriale, aux lois du marché.
Vous avez évoqué le service public. France Info s'est créée en claquant des doigts alors qu'il faut 18 mois pour que votre fusion aboutisse, sachant qu'en plus, au bout de cette procédure, la décision d'un ministre peut passer outre... Voilà une organisation dont nous sommes fiers, que seul notre pays sait mettre au monde !
France Télévisions veut sortir de Salto, mais que deviendra alors la plateforme ? Une plateforme de replay, payante ou gratuite ? Le replay de France Télévisions restera gratuit... Est-ce que Salto pourrait devenir une plateforme de SVoD ? L'Autorité de la concurrence ne risque-t-elle pas de maintenir des contraintes importantes limitant les synergies entre TF1 et M6 ?
France Télévisions aura dépensé 65 millions d'euros d'argent public dans Salto. Le groupe public sera-t-il indemnisé au moins à la hauteur de sa contribution s'il cède ses parts ?
Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, souhaite que si la fusion TF1-M6 allait à son terme, France Télévisions sorte de Salto. Nous avons commencé à débattre des modalités. Nous envisageons la date de janvier 2023 si la fusion a lieu. Au moment de la fusion, Salto sera contrôlée à 66 % par le nouveau groupe, et France Télévisions en détiendra 33 %.
Quelles sont nos intentions sur cette plateforme ? Sans anticiper trop sur les modalités, que je n'ai pas le droit de vous dévoiler, nous voulons avoir un groupe allant vers plus de streaming, et donc qui serait le plus hybride possible, avec de la télévision, du replay, et de l'activité par abonnement, donc de SVoD payante. Nous pourrons donc garder Salto comme plateforme payante avec une forte présence d'oeuvres inédites pour attirer des abonnements, comme cela se pratique actuellement sur les plateformes de SVoD.
Nous ne voulons pas refaire du gratuit, car nous avons déjà MyTF1 et 6play comme plateformes gratuites.
À ce stade, je ne peux pas vous parler du montant et de la négociation elle-même, car tout dépendra de l'état de forme de Salto fin 2022. Nous oeuvrons actuellement, avec France Télévisions et M6, pour que tout se passe bien. Nous arriverons probablement à converger vers des accords.
Vous avez évoqué la mutualisation de moyens lors de la fusion entre TF1 et M6. Les rédactions seront-elles indépendantes ?
Quel sera votre rôle dans le futur organigramme ?
Les producteurs que nous avons reçus ont insisté sur le maintien de guichets de services séparés. Que pensez-vous de la proposition de Pascal Breton de fixer l'obligation de production indépendante à 15 % au lieu de 12 % actuellement ?
Nous avons des rédactions indépendantes. L'Arcom prend en charge ce genre de sujets ainsi que les problèmes d'organisation, en rentrant dans un certain niveau de détails. Je n'ai vu cela dans aucune autre industrie ! Il y aura le même genre de dispositif qu'avec LCI : nous aurons les rédactions nouvelles de M6 et de RTL, et un patron de l'information qui chapeautera le tout, comme à France Télévisions. Ce n'est pas révolutionnaire.
Personnellement, je basculerai du côté Bouygues. Je serai administrateur du futur groupe, et aurai la responsabilité du pôle médias du groupe Bouygues.
Les producteurs français sont les plus protégés au monde, car ils sont propriétaires de la propriété intellectuelle de leurs contenus, ce qui n'existe a priori pas ailleurs. Nous avons travaillé main dans la main au fil des années et avons signé des accords ayant fait évoluer la part des producteurs dépendants et indépendants. C'est cet appui sur les producteurs indépendants qui fait qu'actuellement nous avons ces succès en fictions. C'est de bonne guerre de proposer à l'occasion d'une fusion qu'ils puissent gagner encore un petit chouïa... Évidemment, je ne peux pas vous répondre sur ce sujet.
J'ai écouté avec attention les raisons de votre fusion. Quelle aurait été votre stratégie si M6 n'avait pas été en vente ?
Il y a une concurrence forte avec les plateformes sur la fiction, puis le sport, et désormais sur le divertissement. Quelle sera votre réponse face à ces attaques ?
Comment s'est fait le choix entre Gilles Pélisson et Nicolas de Tavernost ?
C'est un choix des actionnaires, qui m'a surpris, de même que les collaborateurs du groupe TF1. Martin Bouygues pourra vous en dire plus. Je basculerai sur le groupe Bouygues.
et administrateur du futur groupe...
Le groupe Bouygues sera le responsable in fine, car si la fusion va jusqu'à son terme, le groupe Bouygues a un complément de prix qui a été rendu public, de 640 millions d'euros, ce qui lui permettra d'atteindre 30 % du capital de la future entité. Le groupe Bertelsmann descendrait à 16 %. Le groupe Bouygues aura donc un contrôle exclusif, avec six administrateurs - dont moi - sur douze.
Ces cinq dernières années, nous avons cherché à nous réinventer et à développer de nouveaux métiers, car la télévision linéaire connaît ses limites. Nous avons racheté des marques dans le digital : Auféminin, Marmiton, Les Numériques, Doctissimo, qui sont des marques éditorialisées. Mais nous dépendons beaucoup, pour la publicité, de Google et de Facebook : à chaque fois qu'ils changent leurs algorithmes, cela touche toute l'industrie de la publicité et les éditeurs.
Nous avons fortement investi dans la production. Nonce Paolini, qui était très franco-français, avec initié des contacts avec Newen, que nous avons finalement racheté en 2016, juste après mon arrivée. Nous avons racheté une douzaine de sociétés. Désormais, nous sommes présents au total dans neuf pays différents : outre la France, nous sommes au Canada, aux États-Unis, en Angleterre, en Belgique, en Hollande... À la fin de l'année, notre pôle de production réalisera 400 millions d'euros de chiffre d'affaires, moitié-moitié entre la France et l'international. C'est une belle réalisation !
Nous avons commencé à nous diversifier. S'il n'y avait pas eu la vente de M6, nous aurions probablement cherché d'autres alliances en Europe ou peut-être avec les Américains. Vu notre taille, nous ne pouvions pas rester tout seuls.
Si les plateformes sont nos concurrentes, elles sont aussi parfois des partenaires. Dans le secteur de la production, avec Ara Aprikian qui dirige les contenus du groupe TF1, nous avons considéré que nous pouvions aussi réaliser des séries avec Netflix. Une fiction française de 52 minutes coûte en moyenne entre 800 000 et un million d'euros sur TF1, pour un produit de qualité. Pour Le Bazar de la charité, cela a coûté 2,2 millions d'euros. Il y avait des costumes, des carrosses, des châteaux... Netflix a payé une partie de ces coûts, et nous avons donc ensuite donné cette fiction à Netflix, qui l'a intégré à son catalogue. Nous avons désormais plusieurs projets où Netflix est coproducteur ou associé, soit en amont, soit en aval.
Les plateformes sont pour nous une menace en termes de temps d'attention : les journées n'ont que 24 heures, pour voir un contenu soit sur ces plateformes, soit sur nos chaînes. Mais elles sont aussi des partenaires. Grâce à l'État et au décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), les plateformes ont des obligations de produire en France et nous pouvons en faire des alliés sur de très grands projets, car elles ont besoin de s'alimenter en productions françaises.
Nous les voyons arriver avec des ambitions sur le sport. Pour les événements d'importance majeure, comme les matchs de l'équipe de France ou des événements se déroulant en France, nous avons collectivement un rôle à jouer. Le législateur peut déterminer quels sont ces événements qui doivent rester accessibles gratuitement pour les Français. Vous pouvez nous aider...
C'est un véritable enjeu, si l'on ne veut pas que le sport soit diffusé uniquement par celui qui a les poches les plus profondes...
Nous pouvons avoir les moyens de réguler un peu ce qui se passe dans notre pays, avec des règles, et avec des acteurs comme le service public ou nous.
Actuellement, TF1 et M6 se partagent la diffusion des matchs des Bleus jusqu'en 2022, pour un montant d'environ 140 millions d'euros. Si la fusion devait intervenir, il n'y aurait plus de concurrence sur le marché de la rediffusion, ce qui amènerait inévitablement une décote et pourrait conduire à une baisse des revenus très conséquente pour la Fédération française de football. Cette inquiétude a déjà été confirmée dès avant la fusion. Lors de l'appel d'offres pour les droits de retransmission des rencontres pour la période 2022-2028, TF1 et M6 ont fait une offre de 2,5 millions d'euros par match, bien inférieure au prix de réserve qui était fixé à 3,5 millions d'euros par la Fédération - ce qui est le tarif que vous payez actuellement. Où en sont les négociations avec la Fédération française de football ? Doit-on craindre un écran noir pour le football français ?
Je suis admiratif : vous connaissez le prix mis dans l'appel d'offres ! Vous citez probablement un article de presse, mais vous comprendrez que je serai circonspect pour les confirmer ou les infirmer. Soyez également prudente...
Malheureusement, les matchs de l'équipe de France n'attirent plus autant d'audience. Nous perdons environ 2 millions d'euros par match sur la période 2018-2022. C'est un aveu de faiblesse du leader, TF1.
Plutôt que de continuer à perdre cet argent, j'ai pris la décision de dire que nous n'avions plus les moyens de nous payer cela, sachant que nous devons davantage investir dans la fiction, en raison de la spirale inflationniste des séries. Nous devions absolument partager la diffusion de ces matchs avec le challenger. Voilà ce qui s'est passé.
Je crois que M. Courbit a affirmé que nous avions essayé de faire baisser les prix des matchs, mais le prix des matchs n'a pas changé : nous avons juste partagé les pertes à deux ! Nous n'étions pas très heureux de cela, mais nous perdions un peu moins d'argent... Notre challenger a aussi pris sa part de charges.
Je suis supporter de l'équipe de France, mais comment trouver la meilleure solution avec des matchs intéressants, mais qui n'attirent plus autant ? Je pense notamment aux matchs amicaux ou de la Ligue des Nations. Il y a tellement de choses sur les écrans que de nombreux téléspectateurs iront voir autre chose en linéaire que ces matchs.
Les matchs de l'Euro concernent l'UEFA, qui commercialise la compétition. Nous voulons trouver une solution intelligente. Nous sommes prêts à nous engager dans la durée. J'ai bon espoir que nous pourrons trouver une solution.
La loi de 1986 oblige à ne détenir au maximum que sept chaînes. En 2005, le rapport Lancelot préconisait de raisonner en parts d'audience et non en nombre de chaînes. L'Arcom essaie-t-elle de négocier avec vous les chaînes à vendre ? Vous avez cité les quatre chaînes les plus petites, mais pour lutter contre trop de concentration, il serait sans doute plus pertinent d'en vendre d'autres...
Vous n'avez jamais évoqué l'idée de vendre LCI, alors que la concurrence est forte sur le créneau des chaînes d'information et que l'audience de LCI décroche. Quelle est votre motivation pour la conserver ?
L'Arcom n'a pas communiqué d'orientations. Elle nous laisse avancer dans nos négociations. Les chaînes ont des conventions de nature différente. Acheter TF1 Séries Films, cela obligerait, en raison de la convention, à passer uniquement des films et des séries. C'est donc plus compliqué à vendre que TFX ou 6ter qui sont des chaînes plus généralistes et donc plus facilement accessibles à des acheteurs potentiels.
L'Arcom n'a pas imposé de critère particulier sur la cession de ces chaînes. Elle souhaite juste qu'il y ait un certain pluralisme d'actionnaires. Si jamais nous sommes obligés de restituer nos fréquences à ce moment-là, l'Arcom sera à la manoeuvre pour les remettre sur le marché.
Pourquoi garder LCI ? L'information est dans l'ADN de TF1. Le 13 heures, le 20 heures, les grands magazines du week-end sont des carrefours de l'information, ils sont structurellement présents dans la grille de TF1.
LCI a été la première chaîne d'information, créée en 1984. Elle était plutôt fondée sur une base économique, business. Le démarrage de LCI a été pénalisé par le fait que dans les plans d'affaires prévus en 2014-2015 par mes prédécesseurs, il n'était pas prévu que franceinfo arrive. Il était alors difficile de démarrer en partant à 0,3 point d'audience. Nous sommes montés à 1.
J'ai bon espoir, et je vois qu'en ce début de campagne présidentielle, nous sommes à 1,3 ou 1,4. Grâce à la politique de Thierry Thuillier et Fabien Namias, nous sommes arrivés à avoir une certaine hauteur de vue, des débats de qualité, et à donner la parole aux Français, avec « Mission convaincre » animé par David Pujadas et Ruth Elkrief, qui touche 400 à 900 000 Français, malgré ce numéro 26 qui nous handicape, loin de BFM et de CNews.
Mais bonne nouvelle, nous perdons de moins en moins d'argent, et améliorons notre fonctionnement. C'est un très bel actif. Il serait dommage de vendre une telle chaîne actuellement.
À l'époque, je m'occupais déjà du suivi des médias. Je pensais qu'il était difficile que le service public n'ait pas sa propre chaîne d'information. Ce n'était pas spécifique à une couleur politique. Il y avait en Europe cette nouvelle façon d'informer dans de nombreux pays. Le service public a une mission spécifique. France Info avait déjà une force de frappe journalistique importante. Elle pouvait donc faire quelque chose à moindre coût.
Au même moment, nous avons voté que LCI pouvait passer en clair : cette dot ne vous a pas désavantagé.
Je pense que la numérotation devrait regrouper toutes les chaînes d'information, sans désavantager l'une d'entre elles.
La presse a relaté les chiffres des appels d'offre qui ont été dévoilés ici. Beaucoup de choses se disent ici. Est-ce de bonne ou mauvaise foi ? Nous sommes tout de même devant une commission d'enquête...
On nous a dit que lors des appels d'offres pour le marché de retransmission des matchs de football de l'équipe de France en 2016, il y avait eu une concurrence entre TF1 et M6.
La Fédération française de football a fini par obtenir 3,5 millions d'euros par match. Curieusement, lors du nouvel appel d'offres en 2021, personne n'a offert plus de 2,5 millions d'euros. Certains craignent que cela se passe ainsi pour tout après la fusion. Voilà ce qu'on nous a dit de vous...
Je n'ai pas le droit de donner les chiffres d'un appel d'offres. Ces chiffres-là n'ont pas le droit d'être divulgués au public !
Le chiffre de 3,5 millions d'euros est juste pour la saison 2016-2020.
Je ne connais pas les montants de M6, car nos offres sont séparées. Et je n'ai pas à vous transmettre les montants de notre offre.
Indépendamment des montants - tout le monde nous oppose le secret des affaires - la tendance est-elle à la baisse du prix d'achat ?
Je vous confirme que je perds 2 millions d'euros lorsque je paie un match 3,5 millions d'euros. Cela ne peut plus durer, d'autant que les prix de la fiction et du divertissement montent. Ensuite, nous faisons une péréquation.
Il y a France Télévisions !
Le service public n'a pas le droit de diffuser de la publicité après 20 heures... Or les matchs doivent être diffusés en clair.
C'est une question d'arbitrage.
Le service public ne pourra pas s'offrir de grandes manifestations sportives. La tendance est donc d'offrir moins d'argent pour ces matchs ?
J'ai bon espoir de trouver un accord avec la Fédération française de football et pour l'Euro. Si l'audience baisse pour les matchs de l'équipe de France, l'Euro continue à être prisé. Or nous répondons un appel d'offres pour l'ensemble.
Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Après avoir entendu des journalistes qui nous ont éclairés sur le travail quotidien au sein d'une rédaction, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de journalistes travaillant dans un groupe déjà en partie concentré et qui devrait l'être encore plus demain. Vous représentez en effet les sociétés de journalistes d'Europe 1, de Paris Match et du Journal du dimanche, médias emblématiques de notre pays, qui devraient être prochainement intégrés au groupe Vivendi.
Nous vous interrogerons sur vos conditions de travail actuelles dans le groupe Lagardère et sur les perspectives qui vous ont été annoncées dans le cadre du regroupement à venir.
Nous accueillons donc M. Olivier Samain, ancien délégué du syndicat national des journalistes (SNJ) d'Europe 1. Vous avez passé 39 ans dans la station, qui était alors celle de la rue François 1er, que vous avez quittée en prenant votre retraite en septembre dernier. Vous avez mené comme président du SNJ de la radio un combat contre votre nouvel actionnaire, notamment sur la question des synergies. Vous pourrez nous donner des éléments pour apprécier cette période marquée notamment par un conflit social.
Madame Boy-Landry, vous êtes présidente du syndicat des journalistes de Paris Match. Vous vous apprêtez à intégrer le groupe Vivendi mais vous travaillez déjà, comme vos confrères du Journal du dimanche qui sont avec nous, Mme Juliette Demey et M. Bertrand Greco, dans des titres très emblématiques, réputés pour leur influence réelle ou supposée sur la vie politique de notre pays. Comme représentant des SDJ, vous pourrez utilement nous éclairer sur les apports et les limites de la loi de 2016 et sur d'éventuelles améliorations à y apporter.
Je vous propose 8 minutes d'introduction pour chacun des journaux que vous représentez puis nous vous poserons des questions, en commençant par le rapporteur.
Je vous rappelle que cette audition est diffusée sur le site internet du Sénat et qu'elle donnera lieu à un compte rendu qui sera publié. Je vous rappelle également qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également que vous devez indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflit d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vais successivement vous inviter à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».
Vanessa Boy-Landry, Juliette Demey, Bertrand Greco et Olivier Samain prêtent serment.
Juliette et moi sommes coprésidents de la SDJ du Journal du dimanche et nous partageons notre temps de parole.
Nous représentons la SDJ du Journal du dimanche qui réunit une cinquantaine de membres sur la soixantaine de cartes de presse du Journal du dimanche, sans compter les nombreux journalistes pigistes qui signent dans nos colonnes plus ou moins régulièrement. Notre rôle, tel qu'il est défini dans notre charte déontologique adoptée en CSE en 2020, est de veiller au respect de l'indépendance journalistique de la publication face aux pressions de tout ordre, de faire entendre le point de vue des journalistes sur tous les problèmes touchant à la rédaction et à la politique éditoriale.
Il nous semblait important de répondre à votre convocation car la défiance à l'égard de la presse ne cesse de croître. Des journalistes sont pris à partie physiquement dans des meetings politiques. Nous sommes notamment interpellés à propos de nos actionnaires auxquels nous sommes soupçonnés d'être inféodés. Il nous semble important de participer à cette audition et pourtant nous avons hésité, pour plusieurs raisons. D'une part, l'OPA de Vivendi sur le groupe Lagardère est imminente mais elle n'est pas encore consommée. Nous sommes en pleine transition et les lignes ne sont pas encore claires. D'autre part, répondre à vos questions nous expose puisque les représentants des SDJ sont des journalistes comme les autres, ni plus ni moins protégés. Nous souhaitons néanmoins essayer de vous éclairer sur quelques points à commencer par l'exercice de notre profession dans un groupe comme Lagardère News.
Le Journal du dimanche a été créé en 1948 et a été racheté par Jean-Luc Lagardère en 1980 pour devenir l'un des titres majeurs du groupe Hachette Filipacchi Médias. À sa mort en 2003, son fils Arnaud a repris les rênes et à recentrer le groupe vers l'édition et le travel retail en se séparant progressivement de la plupart de ses titres de presse. Le Journal du dimanche a connu des mutations importantes qui ont entraîné, comme dans la plupart des autres journaux, une baisse des ventes au numéro avec l'irruption du numérique et la fin du quasi-monopole dominical du Journal du dimanche avec l'arrivée des éditions du dimanche de L'Équipe, du Parisien et de à la presse régionale. Enfin, l'effondrement du nombre de points de vente a un impact particulièrement fort sur le Journal du dimanche qui compte peu d'abonnés et dont la fenêtre de diffusion est très étroite, seulement quelques heures le dimanche matin.
Ce contexte économique tendu a eu plusieurs conséquences dont le poids croissant pris par la publicité dans les rédactions, la précarisation du métier de journaliste qui s'est accélérée et peut accentuer les pressions auxquelles les salariés et les pigistes sont exposés. Les effectifs du Journal du dimanche ont été drastiquement réduits par deux plans de départs volontaires en 2014 et en 2017. Aujourd'hui, la taille relativement modeste de notre rédaction nous rend plus vulnérables. À titre d'exemple, Le Monde compte près de 500 journalistes.
Le Journal du dimanche conserve toutefois l'image d'un journal d'influence, notamment dans les milieux économiques et politiques. Malgré l'érosion des ventes, la force de frappe du titre, sa capacité à sortir des informations exclusives et son côté prescripteur c'est-à-dire le nombre important d'informations reprises dans les autres médias restent intacts.
Vous vous interrogez sur la façon dont s'exercent concrètement les pressions sur la rédaction. En tant que SDJ, représentant les journalistes « de base », nous ne pouvons pas vous dire ce qui se joue en termes de pression exercée au niveau de la direction. Nous ne sommes pas les témoins directs de ces échanges avec l'actionnaire, ni de ceux entre la direction et les rédacteurs en chef qui ne sont pas membres de la SDJ, c'est une particularité du Journal du dimanche. L'idée que l'actionnaire appelle directement les journalistes pour commander tel ou tel sujet ou leur dire ce qu'ils doivent écrire relève du fantasme. Des pressions peuvent exister, elles sont économiques, politiques, publicitaires mais elles s'exercent sans doute de manière plus insidieuse. Nous ne sommes pas non plus à l'abri de l'autocensure. Les seules interventions visibles dans lesquelles nous pouvons percevoir la marque de l'actionnaire sont les changements de direction. Depuis plus de 40 ans, le Journal du dimanche n'a connu qu'un seul actionnaire principal, le groupe Hachette devenu Lagardère. En 25 ans, 9 directeurs se sont succédé à la tête de notre rédaction et ces trois derniers mois, deux changements sont déjà intervenus. Le 26 octobre dernier, Hervé Gattegno a été remplacé par Jérôme Bellay qui a cédé sa place sa place à Jérôme Béglé le 20 janvier.
Le choix d'un directeur n'est pas anodin puisqu'il est en première ligne face à l'actionnaire. Il peut faire écran à d'éventuelles pressions ou à l'inverse si montrer poreux. Face à des situations qu'elles jugent problématique, la SDJ peut choisir de se manifester publiquement à travers des communiqués. C'est arrivé par exemple en 2007 à l'occasion du non-vote de Cécilia Sarkozy au second tour de l'élection présidentielle. L'article avait alors été censuré un samedi soir alors qu'il était en page. La SDJ peut aussi solliciter des explications en interne. Ces dernières années, elle s'est inquiétée auprès de la direction de la saturation de la parole gouvernementale dans nos colonnes ou du traitement jugé parfois peu distancié de l'affaire du présumé financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, par ailleurs membre du Conseil d'administration du groupe Lagardère depuis 2020. Elle peut enfin soutenir d'autres SDJ sur des questions touchant l'ensemble de la profession ou d'autres rédactions, comme celle de Paris Match.
Notre dernière manifestation publique a été le communiqué que nous avons publié il y a moins d'un mois après le énième changement à la tête du journal, pour lequel nous n'avons reçu, à ce jour, aucune explication à ce jour et qui est intervenu à quelques semaines de l'élection présidentielle et en plein OPA.
Dans le dernier communiqué auquel faisait référence Juliette, nous disions notre inquiétude face à l'éventuel rapprochement de notre rédaction avec CNews, chaîne du groupe Bolloré, à la faveur de l'OPA de Vivendi sur Lagardère. Nous exprimions également nos craintes et notre vigilance dans un contexte de reprise en main brutale d'Europe 1 et notre attachement à la ligne éditoriale du Journal du dimanche et à son indépendance. Notre journal n'a jamais été un média d'opinion et nous pensons qu'il se mettrait gravement en danger s'il le devenait.
Une autre crainte nous anime sur d'éventuelles synergies avec d'autres médias du groupe. Nous croyons que chaque titre, terme que nous préférons à celui de marque, doit garder son identité propre. La spécificité du Journal du dimanche et de sa ligne éditoriale ne sont pas interchangeables avec celles d'Europe 1 et de CNews, comme ses journalistes.
Les interventions, plusieurs fois par semaine, de notre nouveau directeur Jérôme Béglé à l'antenne de CNews dans des émissions de débat ne sont pas de nature à nous rassurer. Nous avons soulevé ce point avec lui dès son arrivée. Nous appréhendons plus largement une raréfaction du pluralisme de l'information, découlant d'un fonctionnement qui se ferait en vase clos et de la possibilité de voir le même événement, la sortie d'un livre par exemple, traité à l'identique sous forme de package dans les différents médias du groupe, un groupe industriel dont les intérêts économiques se déploient aussi dans l'édition, le transport ou la logistique. Nous pouvons nous demander si des sujets seront interdits.
Enfin, notre inquiétude porte sur l'emploi. Nous avons vu des départs massifs et douloureux chez nos confrères de Canal Plus, d'itélé et plus récemment d'Europe 1. Nous relevons que depuis plusieurs mois, il n'existe plus de société des rédacteurs à Europe 1, ce qui nous semble assez emblématique.
Cependant, depuis la montée en puissance de Vincent Bolloré au capital du groupe Lagardère, nous n'avons, à ce jour, pas constaté de changements manifestes au sein du Journal du dimanche en dehors de ceux qui ont été évoqués à la direction du journal ou de l'apparition récente de nouvelles signatures. Nous restons néanmoins en alerte sur le risque de banalisation des valeurs d'extrême droite dans nos colonnes.
Pour terminer, nous avons listé quelques préconisations pour tenter de préserver la sérénité des journalistes et l'indépendance des médias dans ce contexte de concentration :
- il serait judicieux de créer un statut juridique pour les rédactions. Les entreprises de presse ne sont pas des entreprises comme les autres, le rôle des médias est central dans une démocratie. L'exemple du fonctionnement du Monde nous paraît intéressant et il est pertinent que la rédaction puisse valider le choix de son directeur sur la base d'un projet éditorial ;
- il serait utile de mieux faire connaître et respecter les chartes de déontologie dont tous les journaux sont censés être dotés depuis la loi sur la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias de 2016 ;
- nous préconisons la création d'une instance déontologique propre à chaque rédaction qui accueillerait des personnes extérieures et qui pourrait pointer de potentiels conflits d'intérêts, d'éventuelles pressions et autres dérives liées au contenu du journal ;
- nous soumettrons également à votre réflexion la création d'un défenseur des droits des journalistes ;
- enfin, nous proposons la création d'un statut protecteur pour les sociétés des journalistes et leurs représentants. En effet, comme Juliette l'a souligné, à la différence des élus syndicaux, les membres du bureau des SDJ ne bénéficient d'aucune protection juridique. Nous avons pu constater ces dernières années que le rôle, le fonctionnement voire les statuts d'une SDJ pouvaient être attaqués dans certaines circonstances par la direction. Cela nous semble inacceptable dans une période où son rôle de vigie sera crucial.
Je vous remercie de me permettre d'exposer devant vous l'expérience qui est la mienne en tant que journaliste à Paris Match, journal du groupe Lagardère. J'y travaille depuis 20 ans en tant que journaliste société/santé et je suis présidente de la SDJ depuis deux ans, récemment réélue.
Notre SDJ a été créée en mars 1999, à l'époque de Roger Thérond, l'ancien directeur emblématique de Paris Match. Lors de sa création, elle s'est donnée pour mission de veiller au maintien des traditions de qualité, d'indépendance et de liberté de Paris Match ainsi qu'au respect de son identité, issue d'une histoire longue de plus de 70 ans qui inclut désormais le numérique.
Paris Match c'est l'album de famille des Français, on y raconte l'histoire contemporaine à travers des hommes et des femmes, des photos et des textes. C'est « le poids des mots, le choc des photos » avec un savant mélange chaque semaine de sujets glamour, d'enquêtes, de reportages, de récits et d'interviews.
Depuis cette création notre SDJ est intervenu avec force et publiquement au cours de deux épisodes. Le premier, en juin 2006, pour l'éviction de notre directeur de la rédaction Alain Genestar, après une couverture parue en août 2005 présentant Cécilia Sarkozy et son nouveau compagnon. Alain Genestar a été démis de ses fonctions par la direction du groupe Lagardère. Nous nous y sommes opposés publiquement au nom de l'indépendance de la rédaction et de la liberté éditoriale de Paris Match. Pour la première fois de son histoire, le journal s'est mis en grève mais, malgré notre intervention, Alain Genestar a été remercié.
Le second temps fort de notre SDJ est plus récent. Il s'agissait, au cours des deux dernières années de préserver l'identité de notre journal. En octobre 2019, Arnaud Lagardère a nommé comme directeur de la rédaction Hervé Gattegno dont le projet bousculait les fondamentaux de Paris Match, notamment avec chaque semaine l'introduction d'un éditorial, donc une prise de position du journal, signé par la direction. Paris Match est devenu plus politique, plus polémique. À la suite d'un éditorial commentant une décision de justice concernant Nicolas Sarkozy, membre du conseil de surveillance puis du conseil d'administration du groupe Lagardère, la SDJ s'est désolidarisée publiquement de son directeur. En effet, dans son éditorial, il critiquait le fonctionnement de la justice et qualifiait de peine infamante le jugement visant l'ancien président de la République. Les membres de la SDJ, quasi unanimes, ont considéré que cette prise de position portait atteinte à notre journal et à sa rédaction.
Notre SDJ a aussi des échanges réguliers avec la rédaction, la direction du journal auprès de laquelle elle remonte les interrogations et les remarques des rédactions print et numérique. Nous menons également une réflexion collective avec les autres SDJ. Il nous est arrivé plusieurs fois de soutenir des confrères, de nous positionner publiquement pour défendre la liberté d'informer, notamment au moment de la sécurité de la loi sur la sécurité globale.
Garantir l'indépendance des journalistes des médias détenus par des groupes dont les enjeux sont industriels est une question majeure qui nous concerne. Le groupe Lagardère a et a eu de multiples activités. Il a détenu une quarantaine de titres, plusieurs radios des maisons de production, un groupe d'édition, il a même vendu des missiles et a été un acteur important dans l'aéronautique avec EADS. Démantelé au fil des années, le groupe est aujourd'hui recentré sur le retail avec ses fameuses boutiques dans les gares et les aéroports, l'édition et les médias. Si demain l'OPA de Vivendi est effective, nous serons collectivement très attentifs à ce que l'identité des titres, leur savoir-faire et leur indépendance éditoriale soient préservés. Il en va de la qualité de l'information délivrée et de son pluralisme.
Nous avons à coeur de défendre l'exercice de notre métier. Être journaliste, c'est délivrer une information vérifiée, honnête et pluraliste mais nous manquons de protection. La démocratie dans laquelle nous vivons porte cette responsabilité, celle de créer un système de règles, un mode de fonctionnement qui garantissent l'indépendance des journalistes, l'absence de conflits d'intérêts et le respect de règles éthiques.
La rédaction de Paris Match et ses confrères des autres SDJ réfléchissent à des pistes qui pourraient être des garde-fous, peut-être de nature à inspirer une évolution de la législation sur les médias. Une existence juridique pourrait ainsi être accordée aux rédactions. En effet, celles-ci sont aujourd'hui représentées par les SDJ dont le rôle n'est pas garanti par la loi, qui n'ont aucune existence légale si ce n'est le statut d'association de la loi 1901. Les SDJ pourraient être dotées d'une personnalité juridique, pour que les rédactions soient des personnes morales face à l'actionnaire et qu'elles disposent de droits, comme celui de valider la nomination d'une directrice ou d'un directeur de la rédaction proposée par l'actionnaire, avec pourquoi pas la possibilité d'un droit de veto sur une éventuelle révocation décidée par l'actionnaire.
Dans le prolongement de la loi du 14 novembre 2016 qui prévoit la rédaction d'une charte de déontologie dans les médias d'informations générales et politiques, la constitution d'un comité d'éthique pourrait être rendue obligatoire dans les titres de presse. Pour faire vivre sa charte de déontologie, une rédaction pourrait s'appuyer sur un comité composé de membres de la SDJ, de la direction et d'administrateurs dont l'indépendance est garantie.
Enfin, je rejoins mes confrères sur ce point, il serait souhaitable que les représentants des SDJ qui s'exposent en prenant la parole au nom de tous puissent bénéficier d'un statut de salarié protégé et d'heures de délégation au même titre que les représentants du personnel, non seulement pour les protéger de discriminations ou de sanctions arbitraires, mais aussi pour éviter l'écueil, dans les enjeux importants que nous connaissons, de voir les SDJ s'affaiblir, voire disparaître faute de candidatures. C'est une réalité que nous constatons déjà.
Ce qui se joue aujourd'hui dans nos débats est un enjeu de démocratie. L'image des journalistes est profondément dégradée, certains d'entre nous sont violentés, notre crédibilité est remise en cause par nos lecteurs, nos auditeurs, nos téléspectateurs, par les citoyens dans leur ensemble, qui suspectent une connivence entre la presse, les journalistes et les élites qu'elles soient politiques ou économiques.
Au sein de la rédaction de Paris Match et notamment au sein de la SDJ, nous souhaitons vous faire prendre conscience, Mesdames et Messieurs les sénateurs, mais aussi aux actionnaires présents et futurs, que la crédibilité de leurs journalistes et donc de leurs titres est un bien très précieux, une richesse qui n'a pas de prix. C'est la seule sur laquelle on doit s'appuyer lorsqu'on décide, groupe industriel ou pas, de faire de l'information.
Je vous propose de retracer devant vous la manière dont s'est opéré, en à peine plus de 4 mois, le rapprochement entre Europe 1 et la chaîne CNews.
Mais je vous dois avant cela une précision. En quittant Europe 1 le 30 septembre dernier, comme tous mes collègues qui sont partis à cette période, j'ai dû signer une clause qui, si je résume, m'interdit de nuire aux intérêts d'Europe 1 et du groupe Lagardère, aux intérêts de ses dirigeants et qui m'interdit en outre de révéler des faits qui ne seraient pas connus du public. Mon intention n'est pas de nuire aux intérêts d'Europe 1 ou de ses dirigeants. Quant aux faits dont je vais parler, ils ont donné lieu à de nombreux papiers dans les médias ces derniers mois, ils sont donc connus du public. Je vous demande cependant de garder à l'esprit que je suis sur un étroit chemin de crête, délimité d'un côté par la nécessité de répondre à vos questions au nom du droit à l'information d'intérêt public et de l'autre par cette clause de loyauté que j'ai signée quand j'ai quitté l'entreprise.
4 mois ont donc changé radicalement l'Europe 1. Il y a eu un « avant 11 mai 2021 » et un « après 11 mai ». L'avant 11 mai, c'est celui des rumeurs qui circulaient depuis plusieurs mois sur une possible prise de contrôle d'Europe 1 par Vincent Bolloré et des inquiétudes que cette perspective suscitait chez bon nombre de mes collègues, instruits par la transformation radicale, 4 ans plus tôt, de la chaîne ITélé en une nouvelle chaîne baptisée CNews, cette transformation ayant été opérée par Vincent Bolloré. Avant cette date du 11 mai, quand nous interrogions la direction sur ces rumeurs, elle répondait qu'il ne fallait pas y prêter attention.
Le 11 mai, la présidente d'Europe 1, Constance Benqué, réunit l'ensemble des salariés de l'entreprise pour leur présenter le plan de réduction d'effectifs qui va être mis en oeuvre. Mais très vite, les questions sur Vincent Bolloré s'invitent dans la discussion. Constance Benqué répond que Vincent Bolloré n'est pas le diable, qu'Europe 1 a tout intérêt à se rapprocher de CNews à la manière de ce que font RMC et BFM ou RTL et M6 et que des synergies seront établies entre les 2 structures.
Cette réponse a créé un certain émoi dans l'assistance et le patron de la rédaction, Donat Vidal Revel, présent dans la salle à côté de Constance Benqué, déclare qu'avec un actionnaire qui pèse 27 % du capital de Lagardère « nous sommes tous déjà des salariés de Vincent Bolloré ». À l'époque, Vincent Bolloré détenait en effet 27 % du capital de Lagardère.
En droit, Donat Vidal Revel a tort, l'employeur des salariés c'est Europe 1. Vincent Bolloré n'est qu'un actionnaire, et encore : pas d'Europe 1 mais du groupe Lagardère. Cependant, avec le recul, nous allons comprendre que la phrase de Donat Vidal Revel était juste. En effet, les étapes qui vont suivre vont montrer que les dirigeants de Vivendi et de Canal Plus, dans les faits, à défaut d'être dans le droit, n'ont pas tardé à s'impliquer dans la transformation d'Europe 1.
J'ai identifié 4 moments clés dans ce chemin de convergence entre Europe 1 et CNews. Le 1er est la décision de remplacer à la rentrée de septembre les présentateurs des grandes tranches d'informations d'Europe 1 par des voix estampillées CNews. Matthieu Belliard à la matinale, Patrick Cohen à la mi-journée et Julian Bugier le soir vont disparaître de l'antenne pour céder respectivement la place à Dimitri Pavlenko de Radio Classique et CNews, Romain Desarbres de CNews et Laurence Ferrari, CNews également. Laurence Ferrari arrive chaque soir avec une émission Punch Line, pur produit de CNews puisqu'elle existe sur cette chaîne depuis 2 ans. C'est donc une émission importée de CNews sur Europe 1 entre 18 heures et 20 heures. Elle commence une heure avant mais cette première heure n'est diffusée que sur CNews.
Le 2e moment clé est la décision de stopper brutalement la collaboration d'Europe 1 avec Nicolas Canteloup, alors qu'il était encore lié à la station pour une saison. La direction a assuré que cette décision n'avait rien à voir avec sa liberté de ton à l'égard de Vincent Bolloré. Il avait fait quelques sketches égratignant de temps à autre Éric Zemmour, Pascal Praud et peut-être aussi Vincent Bolloré. Pourtant, jusque-là, à chaque rentrée, la direction d'Europe 1 faisait de cette liberté de ton de Nicolas Canteloup un marqueur fort de l'esprit Europe 1.
Le 3e moment clé, c'est le 14 juillet quand nous avons appris qu'Europe 1 allait casser son antenne pour retransmettre la couverture, par CNews de l'intégralité du défilé sur les Champs-Élysées. Nous l'avons appris par un communiqué de CNews et la direction d'Europe 1 ne communiquera pas sur cette opération. Le matin du 14 juillet, Europe 1 a effectivement abandonné son antenne à CNews à 9 heures 58 et ne l'a récupérée que 2 heures et 50 minutes plus tard. Pendant tout ce laps de temps, Europe 1 a diffusé de longues conversations d'invités de CNews dont les noms étaient difficiles à saisir. La seule voix d'Europe 1 dans cette séquence a été celle du chef adjoint du service politique, Louis de Raguenel.
Enfin, le 4e moment clé a lieu à la mi-septembre quand nous découvrons que le même procédé se reproduit de façon permanente avec la suppression de la tranche d'information matinale d'Europe 1 le week-end pour la remplacer par la matinale de CNews. À compter du 18 septembre, les auditeurs qui se branchent sur Europe 1 entre 7 heures et 9 heures le samedi matin et le dimanche matin n'ont plus droit, chaque demi-heure, aux journaux préparés par la rédaction d'Europe 1, avec des papiers d'analyse, des reportages, des interviews et des chroniques. À la place, Europe 1 sert à ses auditeurs l'antenne de CNews, avec des voix de CNews, des bulletins d'informations réduits à la portion congrue suivis de longs débats ou de longues discussions mettant aux prises des polémistes inconnus des auditeurs d'Europe 1, qui enchaînent des commentaires sur toutes sortes de sujets.
Au lendemain du premier week-end de cette nouvelle formule, vers le 20 septembre, les élus du CSE d'Europe 1 publient un communiqué dans lequel ils disent que cette approche ne ressemble pas au fonctionnement d'Europe 1 et qu'elle renforce l'idée que cette décision n'a pas été prise au sein de la radio mais plutôt du côté de Vivendi. C'est en effet une décision qui nous semblait ne pas être une décision prise par des professionnels de la radio. Il y aura presque un aveu de ce que nous pressentions, avec la décision de la direction, à peu près un mois et demi plus tard, de revenir en arrière le week-end. En effet, la rédaction d'Europe 1 a pu récupérer la tranche 7 heures/8 heures, ne laissant plus à la chaîne CNews que la tranche 8 heures/ 9 heures qui depuis démarre directement par une interview menée par Jean-Pierre Elkabbach, ancien journaliste et ancien directeur d'Europe 1, suivie de très longs moments de débat entre 2 personnalités. Voilà comment, en 4 étapes, s'est concrétisée cette convergence éditoriale.
Si une grande partie des journalistes et plus largement des salariés d'Europe 1 s'est mobilisée, notamment en faisant grève pendant 5 jours à la mi-juin, c'est parce qu'ils considéraient que le rapprochement CNews/Europe 1 allait signifier la perte de l'indépendance éditoriale de leur radio et au-delà, la fin d'une histoire démarrée il y a 67 ans, qui a vu Europe 1 s'imposer comme une radio moderne, audacieuse, ouverte à tous les courants de pensée et animée d'une volonté farouche de faire son métier d'informer et son métier de divertir à 1 000 lieues de tout activisme politique.
Parfois, les chiffres sont plus parlants que les mots. Sur les 120 journalistes que la rédaction employait encore au printemps dernier, un plus de 60, soit un sur deux, ont décidé de quitter Europe 1 entre le mois d'août et le mois de décembre 2021.
Je vous remercie d'avoir répondu à la convocation de notre commission d'enquête. Comme les actionnaires, vous deviez y répondre mais vous avez manifesté vos difficultés à nous dire tout ce que souhaitez en raison de vos situations personnelles et de l'absence de protection sur le plan juridique.
Vous nous avez dit, madame Demey, que vous aviez réfléchi avant de venir car vous craignez d'être dans une situation de fragilité si vous nous communiquiez des éléments risquant de fâcher l'actionnaire ou le futur actionnaire. Quant à vous, monsieur Samain, malgré votre départ, vous êtes tenu, par des engagements contractuels, de rester silencieux sur un certain nombre de questions qui peuvent mettre en cause l'actionnaire.
Ce que vous nous dites, même si je ne suis pas naïf, me glace. Vos propos soulignent que notre commission d'enquête sur la concentration des médias traite d'un sujet essentiel et qu'elle n'a pas inventé un problème. Dans notre démocratie, devant une commission parlementaire, vous pouvez craindre de nous communiquer des informations et vous pensez que des éléments peuvent être cachés parce qu'une clause de silence vous interdit de mettre en difficulté l'actionnaire d'Europe 1.
Vos témoignages, que je perçois comme sincères, m'interpellent beaucoup. Vous avez répondu à presque toutes les questions que je voulais vous poser sur le nombre de départs, sur les changements de personnel ou de ligne éditoriale. Vous nous avez dit que nous faisions fausse route si nous pensions que des ordres étaient donnés par l'actionnaire mais que les changements avaient lieu à la faveur des changements de direction. Vous avez souligné que vous aviez changé deux fois, en trois mois, de directeur de la rédaction et que l'un d'eux était payé par CNews.
Que suggérez-vous pour que la crainte, voire la peur dont vous nous avez fait part disparaissent ? Vous êtes des représentants des structures qui doivent faire respecter les rédactions. De quelle protection collective avez-vous besoin, en plus de vos protections individuelles comme la clause de conscience et la clause de cession, pour préserver votre indépendance par rapport à l'actionnaire ? Que faudrait-il ajouter à la loi « Bloche » ?
La création d'un statut protecteur pour les représentants des SDJ, à l'image de celui des élus du personnel, augmenterait leur capacité d'action en dégageant du temps grâce aux heures de délégation.
Vous parlez d'une protection personnelle. Comment se concrétiserait le statut juridique des rédactions que vous avez évoqué ?
C'est une proposition que les syndicats de journalistes poussent depuis longtemps. Reconnaître un statut légal aux équipes rédactionnelles leur permettrait d'incarner la ligne éditoriale d'un média. En cas de changement de directeur de la rédaction ou de ligne éditoriale, la SDJ pourrait pleinement exercer son rôle et s'opposer à ces changements.
Cette proposition est-elle similaire à celle mise en place par Le Monde où la rédaction valide la nomination du directeur de la rédaction ?
C'est un modèle qui nous semble assez pertinent et qui pourrait être dupliqué dans d'autres titres. Les rédactions dépendraient moins des actionnaires et bénéficieraient de davantage d'indépendance.
Les salariés du Monde contrôlent 25 % du capital. Ils se sont battus, comme ceux de Libération ou des Échos pour valider la nomination du directeur de la rédaction. Ils disposent d'un comité d'éthique ou d'un accord d'indépendance éditoriale. Ces dispositions sont le fruit de batailles et de négociations. Ce sont trois journaux différents, avec trois histoires différentes.
Donner une existence juridique à la rédaction lui accorderait des droits, notamment celui de valider ou de s'opposer à la nomination du directeur de la rédaction. Une rédaction doit aussi pouvoir s'appuyer sur un comité d'éthique pour faire vivre la charte de déontologie. Des chartes de déontologie existent dans de nombreuses rédactions, elles sont différentes puisqu'elles sont le fruit de négociations entre les journalistes et la direction.
Il est essentiel que les rédactions puissent valider la désignation d'un directeur après présentation de son projet éditorial et sa vision du titre et même s'opposer à sa révocation par l'actionnaire. C'est lui qui dispose aujourd'hui du pouvoir d'installer ou de démettre le directeur de la rédaction.
Certains affirment que ce pouvoir donné aux rédactions découragerait les candidatures extérieures et donc limiterait le pouvoir de l'actionnaire. Je pense au contraire que le directeur de la rédaction serait ainsi moins soumis à son actionnaire et que ce système limiterait les phénomènes d'excès de zèle, d'autocensure et de pressions.
Quand nous avons discuté de la loi Bloche, que j'avais proposée au Sénat avant qu'elle ne soit reprise à l'Assemblée nationale à la faveur d'une niche, il y a eu de fortes oppositions des patrons de presse à l'instauration d'un tel mécanisme. Ils estimaient qu'il contrariait la tradition française de la presse d'opinion et que propriétaire d'un journal devait décider de son contenu et de sa ligne éditoriale, nommer son directeur puisqu'il assume en plus la responsabilité juridique des papiers en tant que directeur de la publication.
Vous nous dîtes, que même s'il est incontestable que l'actionnaire nomme le directeur et imprime la ligne éditoriale, le fait qu'il soit adoubé par la rédaction le rendrait un peu plus autonome.
Pouvez-vous préciser le nombre de journalistes ayant quitté Europe 1 ?
Sur les 120 journalistes qui travaillaient à Europe 1 au printemps 2021, que ce soient les journalistes en CDI, en CDD et les pigistes à temps plein, à l'exception de certains pigistes en poste à l'étranger qui interviennent de façon très occasionnelle sur l'antenne, entre 60 et 70 sont partis via différents mécanismes. La direction a mis en place un plan de départs volontaires, sous la forme d'une rupture conventionnelle collective dont j'ai bénéficié comme 42 personnes parmi lesquelles 20 journalistes. Ce plan était motivé par un motif purement économique car Europe 1 perdait beaucoup d'argent. Le deuxième mécanisme est celui de la clause de conscience. La rédaction d'Europe 1 n'est pas une rédaction intégrée comme celle de la plupart des journaux ou des stations de radio ou de télévision. C'est une rédaction qui a le statut d'agence de presse, je crois pour des raisons fiscales.
C'est effectivement, depuis 1988 une société, qui s'appelle Europe News, qui produit des sujets pour l'antenne d'Europe 1 et qui les lui facture. Or, la loi exclut les journalistes d'agences de presse du bénéfice de la clause de conscience. Pendant la grève que nous avons menée mi-juin 2021, nous avons obtenu de la direction qu'elle ouvre un dispositif s'approchant de la clause de conscience qui n'est pas celui de la clause de cession. Plus de 40 journalistes sont partis via ce mécanisme entre septembre et décembre 2021. Enfin, d'autres départs sont intervenus en dehors de ces deux mécanismes, en démissionnant ou à la fin de leurs contrats de saison.
La clause de cession n'a en effet pas été appliquée car le statut d'agence de presse prive les journalistes du bénéfice de la clause de cession.
Quel est l'état d'avancement de la procédure pour délit d'entrave lancée en septembre 2021 ?
Je constate que vous êtes parfaitement informé. Cette procédure a été lancée par le CSE après la suppression de la tranche matinale d'information d'Europe 1 le samedi matin et le dimanche matin et son remplacement par la tranche matinale de CNews. Le secrétaire du CSE a été mandaté pour engager une procédure de délit d'entrave à l'encontre de la direction d'Europe 1 au motif qu'un changement d'une telle dimension aurait dû faire l'objet d'une information/consultation des instances et d'un recueil d'avis du CSE. Même si l'avis avait été négatif, la direction aurait pu mettre en oeuvre son projet mais elle n'a pas pris la peine de consulter le CSE.
À ce jour, je ne pense pas que le secrétaire du CSE ait engagé cette procédure pour délit d'entrave.
Comment interprétez-vous le départ d'Hervé Gattegno en octobre 2021 ? Est-il dû à des raisons économiques, à une diffusion en déclin, à une décision de l'actionnaire motivée par des considérations de proximité idéologique ou politique ou à la Une de Paris Match sur Éric Zemmour qui a suscité une polémique ? Nous avons l'impression qu'un actionnaire, pour l'instant minoritaire, a complètement bouleversé vos écosystèmes.
Nous avons posé la question à notre direction mais nous n'avons pas obtenu de réponse. Nous ignorons pourquoi Hervé Gattegno a été remercié comme nous ignorons les raisons qui ont motivé le départ de Jérôme Bélier de la direction du Journal du dimanche seulement deux ou trois mois après sa nomination.
Son départ est couvert par une clause de confidentialité et la direction de notre journal nous a dit qu'elle ne savait pas non plus pourquoi Hervé Gattegno était parti. Je ne peux pas vous dire si son départ est lié à la Une que vous avez évoquée.
Hervé Gattegno était employé par la direction. Je ne comprends pas pourquoi vous nous dites que la direction n'est pas au courant des motifs de son départ.
La direction actuelle de Paris Match ne dispose pas d'informations sur ce départ qui a été décidé par la direction du groupe.
Merci beaucoup pour vos propos, vos témoignages sont à la fois éclairants et effrayants.
Vous avez plusieurs fois employé le terme d'autocensure. Au cours d'une audition précédente, nous avons demandé à un journaliste de définir l'autocensure. Pouvez-vous nous dire si cette autocensure est abordée au sein des SDJ et comment est-elle appréhendée au regard du sens du métier de journalistes ?
Par ailleurs, la question de la qualité de l'information et de la baisse des moyens (moins de budgets pour les reportages, moins de capacité à travailler sur le fond des sujets) est-elle liée au contexte que vous avez décrit ?
Enfin, vous avez mentionné la création d'une instance déontologique en plus des chartes. Pouvez-vous nous expliquer comment elle fonctionnerait ?
Nous vous soumettons des pistes de réflexion que nous n'avons pas forcément creusées. Une instance déontologique composée de représentants de la rédaction et de personnes extérieures, propre à chaque rédaction, pourrait porter un regard sur le contenu d'un média et jouer un rôle de contre-pouvoir.
Les comités d'éthique sont obligatoires dans les médias audiovisuels mais pas dans la presse écrite. Nous disposons d'une charte de déontologie que nous avons rédigée mais elle n'a pas été diffusée au sein de la rédaction.
L'autocensure est très difficile à repérer. On pourrait parler de frilosité à aborder certains sujets mais je ne peux pas dresser un tableau clair des thématiques qui ne sont pas abordées. Je pense que ces mécanismes existent dans tous grands groupes dont les actionnaires ont des activités multiples, avec des enjeux autres que ceux des médias. Elle peut être consciente ou inconsciente mais nous sommes aussi confrontés à l'excès de zèle qui peut provenir des journalistes ou de leur hiérarchie.
C'est pourquoi nous avons besoin de garde-fous pour qu'une rédaction se sente moins à la merci des actionnaires.
Par ailleurs, nous manquons ce temps pour discuter de ces sujets. Un comité d'éthique, tel qu'il existe dans les médias audiovisuels, composé de personnalités vraiment indépendantes par rapport à l'actionnaire et co-désignées, pourrait apporter des garanties. Un journaliste confronté à un problème ou à un manquement à la déontologie pourrait le saisir et ce comité rendrait les chartes plus effectives. En effet, si nous disposons de chartes, nous n'avons pas les moyens de veiller à leur application.
Les journalistes doivent aujourd'hui faire remonter les problèmes de déontologie au CSE qui, chaque année, devrait établir un bilan. Mais celui-ci ne le fait pas car les informations ne lui sont pas transmises par la SDJ qui ne dispose d'aucune protection et qui ne bénéficie pas d'heures de délégation.
C'est une question de temps, de moyens et d'organisation. Nous sommes sollicités quand un problème de déontologie est identifié mais nous n'avons pas de « process » clair pour saisir le CSE chargé d'établir le bilan annuel. Nous avons besoin de nous appuyer sur un comité d'éthique composé de personnalités indépendantes qui pourra plus facilement intervenir.
Enfin, nous souhaitons que les SDJ soient protégées car elles sont sur tous les fronts tout en étant à la merci de la direction. Il y a peu de candidats pour prendre des responsabilités au sein des SDJ qui s'affaiblissent ou disparaissent.
L'autocensure existe depuis de nombreuses années dans les rédactions mais les conférences de rédaction permettent de la limiter. Europe 1 organise 3 conférences de rédaction, le matin, en début d'après-midi et en fin de journée pour préparer la tranche d'information du lendemain matin. Tous les journalistes sont invités pour proposer leurs sujets qui sont débattus avant d'être sélectionnés. Ces débats se déroulent aux yeux de tous et tous les journalistes comprennent les choix qui ont été opérés. Si la direction décide de ne pas traiter un sujet, les journalistes en sont témoins. Il est donc essentiel de faire vivre ces conférences de rédaction qui, c'est vrai, sont chronophages. J'ai connu les grandes années d'Europe 1 et ses conférences de rédaction très riches, très nourries, donnant lieu parfois à de vifs débats, mais aujourd'hui, le temps est compté.
La presse évolue dans un contexte particulier, avec d'un côté les journalistes et de l'autre un modèle économique spécifique.
J'ai entendu vos préconisations. Il faut en effet protéger les rédactions, garantir une certaine indépendance et la pluralité de l'expression démocratique qui fait partie des missions du Sénat. C'est ici que nous avons voté l'application des droits voisins qui permet aujourd'hui, au moins pour la presse écrite, de percevoir de nouvelles sources de revenus. Nous pouvons discuter de la manière de renforcer la protection dont doivent bénéficier les journalistes.
Sur le modèle économique, les recettes publicitaires de la presse écrite diminuent, comme celles des ventes au numéro, phénomène qui est accentué par la fermeture de nombreux kiosques. Une radio comme un journal doivent trouver leur public. Aujourd'hui, les audiences d'Europe 1 sont loin de l'époque d'or que vous avez évoquée.
Trouvez-vous anormal qu'un actionnaire investisse dans des médias en difficulté et tente de nouvelles approches, par le biais de synergies ou de mutualisations ? C'est peut-être aussi une façon de sauver des médias.
Je suis pleinement conscient du problème économique. Arnaud Lagardère a dit dans plusieurs interviews qu'Europe 1 perdait depuis quelques années 25 millions d'euros par an. Je conçois très bien que des mesures doivent être prises pour redresser cette radio. Il faut effectivement explorer de nouvelles pistes pour permettre à Europe 1 de rebondir, notamment avec les podcasts ou des diversifications, mais c'est un chemin compliqué. Les équipes d'Europe 1 sont engagées dans cette voie depuis de nombreuses années mais celle-ci ne permet pas de rétablir l'équilibre financier. Le vrai problème d'Europe 1 est une valse des directions ces dernières années, qui ont chamboulé la grille et fait fuir les auditeurs qui ne s'y retrouvaient plus.
Je suis réservé sur la piste du rapprochement avec d'autres médias pour mutualiser les efforts, comme Europe 1 est en train de le faire avec CNews, RMC avec BFM ou RTL avec M6. Je considère que ce ne sont pas les mêmes métiers. Il existe une spécificité de la radio. On écoute les messages qui passent à la radio d'une façon différente de l'attention portée à un programme de télévision. Vouloir à tout prix mutualiser les deux et faire de la télévision à la radio ou de la radio à la télévision n'est pas la bonne voie.
Des synergies croissantes permettront-elles de résoudre la crise du modèle économique de la presse écrite ? Nous pensons que c'est en défendant l'identité de chaque titre que nous pourrons fidéliser nos lecteurs et en trouver de nouveaux. La résolution de l'équation passe donc plutôt par un investissement dans les rédactions pour développer la qualité de l'information, l'investissement dans les reportages ou dans le numérique pour répondre à la fermeture des kiosques.
L'idée de développer toujours plus de synergies entre des métiers très différents n'est pas forcément, à nos yeux, la meilleure solution.
Les ventes du Journal du dimanche s'érodent comme celles de tous les titres de la presse écrite mais la publicité se porte très bien.
Je ne suis pas sûr que diluer l'identité d'un journal comme Journal du dimanche, qui est forte parce que c'est le journal du 7e jour, dans d'autres médias soit, y compris économiquement, une très bonne idée. Ce serait aussi porter atteinte au pluralisme de l'information.
Je partage la position de mes confrères. Nous devons en effet veiller au pluralisme de l'information et à la qualité de l'information.
Les synergies sont souvent mises en place pour mutualiser les coûts de production journalistique avec des journalistes « couteau Suisse », c'est-à-dire des journalistes qui n'ont pas le temps nécessaire pour faire correctement leur travail et qui devront fournir des papiers ou des reportages pour plusieurs supports. Il existe une façon de construire Paris Match comme il en existe une autre pour le Journal du dimanche. Elles conduisent à la dégradation de l'information. J'ajoute que depuis 10 ans, nous avons perdu 5 000 cartes de presse.
Sur l'échelle de Richter de l'agitation des médias, vous représentez deux titres et une antenne emblématiques. Paris Match est un monument. Quel est celui d'entre nous qui pourrait jurer qu'il ne jette pas un coup d'oeil chaque jeudi sur la Une de Paris Match, qu'il s'agisse de l'assassinat du président Kennedy dans sa Lincoln continental, du premier pas de l'homme sur la lune, de Paul VI en Inde mais également de l'ex-femme d'un président de la République baguenaudant avec son nouveau compagnon ou un jeune homme avec son épouse avant qu'il ne devienne président de la République. Vous nous avez rappelé que Paris Match c'était le « poids des mots, le choc des photos ». En préparant cette audition, je me suis rappelé que vous aviez essayé de changer la devise du journal en « la vie est une histoire vraie » dont personne n'en a entendu parler. « Le poids des mots, le choc des photos », comme le carillon de RTL, fait partie de la France.
Vous représentez aussi le Journal du dimanche qui seul sur le marché le dimanche, à l'exception du Parisien, qui est un peu la 2e classe. Vous avez perdu un lecteur avec un changement de maquette qui n'avait plus ce côté populaire que je retrouve dans Paris Match, mais vous avez réussi à la stabiliser.
Enfin, vous représentez Europe 1, un chef-d'oeuvre en péril. J'ai connu l'émission « Bonjour Monsieur le maire », les voitures orange qui font partie de l'imaginaire. Tout ça a été dilapidé. Avant le changement de contrôle, Europe 1 a subi une perte vertigineuse.
Pensez-vous qu'un investisseur, dans n'importe quel média, presse, radio ou télévision investira beaucoup d'argent, sans possibilité de piloter l'entreprise, dans le respect bien entendu de l'activité spécifique qui est la vôtre ?
Avez-vous appris, dans votre formation ou dans vos parcours professionnels à diriger des journalistes ?
Par le passé, des groupes puissants ont délibérément choisi d'investir dans des médias, en sachant que ces médias ne gagnaient pas d'argent ou même en perdaient, parce qu'ils représentaient de bons leviers d'influence auprès du pouvoir politique.
Je ne sais pas si ce système prévaut toujours aujourd'hui. Vous interrogez de nombreux dirigeants de grands groupes industriels et vous avez peut-être des réponses.
S'agissant de Vincent Bolloré, j'ai lu dans Challenge l'analyse d'un économiste des médias pour qui Vincent Bolloré a pour projet de récupérer l'image de marque d'Europe 1 et de transformer cette radio pour qu'elle s'adresse à un nouveau public à la recherche d'un traitement de l'information qui lui convienne. Cette clientèle serait une grande frange de l'opinion publique à droite et même très à droite, qui ne trouve pas aujourd'hui dans les médias audiovisuels celui qui lui correspond. Cet économiste disait que cette stratégie avait du sens sur le plan industriel. Europe 1 perd en ce moment des auditeurs à cause des changements importants apportés à la grille à la rentrée de septembre 2021 comme elle en a perdu les années précédentes mais peut-être qu'un jour de nouveaux auditeurs écouteront Europe 1. Cette analyse m'effraie mais sur le plan purement économique, elle peut avoir du sens.
Avez-vous, dans vos parcours de formation, appris à diriger une rédaction ?
Je suis journaliste depuis 20 ans et je ne suis jamais devenue manager. Je n'ai jamais bénéficié de formation mais si j'étais devenue manager, j'aurais pu en suivre une.
Je vous remercie pour votre réponse. C'est une formation qui n'existe pas au sein des écoles de journalisme et c'est à mon sens une grave erreur.
Tous les journalistes n'ont pas fait une école de journalisme, beaucoup apprennent sur le tas, c'est mon cas. Je m'interroge sur le sens de votre question.
Il est possible d'apprendre sur le tas, je suis autodidacte, y compris de la politique, mais manager une équipe de journalistes ne s'improvise pas. Un directeur de rédaction est pris entre le marteau et l'enclume, entre les journalistes d'une part et un patron et un actionnaire d'autre part. Je pense que le cursus des écoles de journalisme devrait prévoir un module pour détailler les difficultés auxquelles peuvent être confrontés un directeur ou un directeur adjoint de rédaction car je suis convaincu que manager des journalistes est difficile.
Je vous remercie pour tous les éclaircissements que vous nous avez donnés. Paris Match et le Journal du dimanche sont traditionnellement des journaux papier. Je pense que le numérique a profondément modifié votre travail, y compris d'un point de vue éditorial. Pensez-vous que vos médias respectifs pourraient exister sans être adossés à de grands groupes en capacité d'investir massivement dans les activités ?
Qui veut répondre à cette question sur les investissements que nécessite aujourd'hui un grand média en France ?
Je peux tenter de répondre. Le Journal du dimanche n'a pas tout à fait réussi son virage numérique, par manque d'investissements, alors qu'il appartenait à un grand groupe de médias, Lagardère Media News.
C'est un grand groupe qui rencontre des difficultés financières depuis des années.
Les investissements dans le numérique n'ont pas été suffisants.
Je comprends que sans grand groupe à vos côtés, vous ne pouvez pas assumer les investissements indispensables, aussi bien pour le papier que pour le numérique.
C'est une question de choix d'investissement par l'actionnaire.
Je précise que le groupe Lagardère continue de gagner de l'argent. Ce n'est pas un groupe en difficulté. Il se voulait très en pointe sur le développement numérique, sur la conversion numérique de ses titres. Arnaud Lagardère l'a revendiqué à de nombreuses reprises et a annoncé des décisions majeures dans ce registre.
Vous nous avez dit que 60 journalistes avaient quitté Europe 1, 20 dans le cadre de la rupture conventionnelle collective mise en place pour des raisons économiques et 40 dans le cadre de la clause de conscience. Savez-vous combien ont été remplacés ?
Les 20 journalistes qui ont quitté l'entreprise pour des raisons économiques n'ont pas été remplacés. Pour les 40 autres, nous étions convenus dans l'accord signé avec la direction qu'ils ne partiraient qu'à partir du moment où ils auraient été remplacés pour permettre à la radio de continuer à fonctionner. Il y a eu énormément de recrutements à la rédaction d'Europe 1 depuis le mois de septembre 2021, nous entendons de nouvelles voix sur l'antenne et je pense que les 40 départs sont le point d'être tous remplacés.
Ne prenez pas à la lettre ce qu'a dit mon collègue sur la 2e classe du Parisien. Il était moins effronté pour le dire devant Bernard Arnault.
Je vous remercie pour votre courage. Vous n'avez pas pu tout nous dire, vous nous avez fait part de vos limites. Vous nous avez fait prendre conscience que les craintes que nous pouvions avoir et sur lesquelles nous devons travailler pour les limiter ou pour les empêcher sont bien réelles.
Vous avez accepté de témoigner dans une période d'incertitude puisque vous avez évoqué un phénomène qui est à l'oeuvre mais qui n'est pas achevé. Dans ce contexte, cette audition était tout à fait nécessaire.
Je vous remercie pour vos réponses et pour vos témoignages.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 40.