Ce compte rendu sera publié ultérieurement.
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
Je souhaite que l'on revienne sur l'article 7 de la loi du 19 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite « Égalim 2 », relatif aux pénalités logistiques infligées par les distributeurs, car des dérives ont été observées. À défaut de pouvoir aborder la question en séance publique, il nous a semblé intéressant d'en discuter en commission afin qu'un compte rendu officiel soit établi.
Cette loi est majoritairement entrée en vigueur lors des négociations commerciales qui se sont achevées au début du mois de mars dernier.
Les négociations commerciales entre industriels et distributeurs sur les produits de marques ont été difficiles jusqu'au bout et les premiers éléments dont nous disposons font état d'un bilan mitigé : certes, les résultats officiels devraient montrer un retour de l'inflation sur le prix 3x net. Certes, cette inflation est relativement hétérogène entre filières, mais elle est largement insuffisante pour compenser la hausse considérable des coûts des industriels à la suite de l'envolée des cours des matières premières agricoles, des coûts de l'énergie, du transport et des emballages.
Pour ces raisons, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a demandé la réouverture des négociations commerciales afin que les industriels renégocient leurs tarifs et puissent passer un accord commercial prenant davantage en compte le contexte actuel du marché. Rappelons toutefois que cette volonté politique dépend du contenu juridique des clauses de renégociation figurant dans les contrats et que ces clauses fixent non pas une obligation de résultat, mais une simple obligation de moyens. Puisse l'optimisme politique du ministre en cette période électorale transformer ce voeu pieux en évolution concrète !
Cette annonce fera bien entendu l'objet d'une attention particulière de notre groupe de suivi de la loi Égalim, qui devrait débuter prochainement ses travaux d'analyse.
Toutefois, nous avons été alertés par de très nombreux industriels sur la question des pénalités logistiques. Dans les contrats, les interprétations de la loi retenues par les distributeurs ont pu être volontairement provocatrices, ce qui a abouti à un travestissement, voire à une méconnaissance claire de l'intention du législateur.
Ainsi, certains distributeurs ne parlent plus de pénalités logistiques mais « d'indemnités » ou de « pénalités » tout simplement, espérant ainsi échapper au cadre législatif en vigueur. D'autres distributeurs interprètent la loi d'une telle manière qu'ils n'ont pas à justifier avoir subi un préjudice de manière suffisamment précise : cela prive donc le fournisseur de son droit de contestation. Enfin, certaines déductions d'office persistent. Ainsi, dans de nombreux cas, tout se passe comme si rien n'avait changé !
Nous savions que les contournements de la loi seraient mécaniques. Vous ne l'ignorez pas, nous avons de sérieuses réserves quant à la bonne application de la loi Égalim 1 et de la loi Égalim 2. Mais si nous ne réglons pas le problème des pénalités logistiques rapidement, nous mettrons nos industriels dans une position intenable compte tenu de la situation actuelle liée à la guerre en Ukraine et des difficultés massives de logistique auxquelles ils seront confrontés, tant en raison du manque de chauffeurs que du coût du transport.
J'ai donc demandé à notre rapporteure de la loi, Anne-Catherine Loisier, de préciser, par un rapport verbal, l'intention du législateur sur le point précis des pénalités logistiques pour en faciliter une application stricte et homogène par tous les acteurs.
J'avertirai, au terme de la réunion de la commission, les ministres de l'agriculture et de l'économie, ainsi que la directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de ce rapport précisant officiellement l'intention du législateur sur cette question essentielle.
Le Sénat a proposé, lors de l'examen de la loi, un encadrement strict des pénalités logistiques imposées par les distributeurs aux industriels. Il a voulu ainsi inverser le rapport de force et éviter de donner une arme aux distributeurs pour reprendre avec le prix 5x net ce qu'ils ont dû lâcher, contraints par le législateur, dans le prix 3x net.
C'est pourquoi l'article 7 de la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs a précisé la définition des pénalités logistiques. Le nouvel article L. 441-17 les définit comme des pénalités infligées à un fournisseur en cas d'inexécutions d'engagements contractuels. Le préjudice doit être avéré et documentable, les pénalités doivent être proportionnées. Si les pénalités ne sont pas conformes aux dispositions de ce nouvel article, le distributeur voit sa responsabilité engagée et doit réparer le préjudice subi par le fournisseur. Il est dès lors passible d'une sanction sous astreinte de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Le déclenchement de ces pénalités dépend de plusieurs conditions générales définies au I de l'article L. 441-17. Il convient d'abord de retenir une marge d'erreur suffisante au regard du volume de livraisons prévues. Si cette marge d'erreur est abusive, nous entrons dans le cas d'une pratique restrictive de concurrence, qui engage la responsabilité du distributeur au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce. Les pénalités doivent être plafonnées en fonction des volumes du contrat et proportionnées au préjudice subi. Il en résulte qu'il ne peut y avoir de pénalités infligées s'il n'y a pas eu de préjudice évalué et constaté. Le distributeur doit apporter la preuve du manquement par tout moyen et, dès lors, consécutivement à la condition précédente relative au préjudice subi, documenter le préjudice. Le fournisseur dispose alors d'un délai raisonnable pour vérifier et constater le grief.
C'est justement l'objectif du sixième alinéa de préciser ce cadre. Cet alinéa mentionne que seules les situations ayant entraîné des ruptures de stock peuvent justifier l'application de pénalités logistiques, c'est-à-dire précisément les situations où un préjudice est mécanique et démontrable et documentable rapidement. Toutefois, par dérogation à ce cas général, des pénalités peuvent être infligées dans d'autres cas, tant que le distributeur documente par écrit l'existence d'un préjudice.
Dans les deux cas, j'y insiste, le préjudice doit être documenté et prouvé. Sinon, cela contreviendrait au deuxième alinéa de l'article, qui fixe le principe de proportionnalité au préjudice subi, et priverait le fournisseur d'un droit de contestation au regard des pièces apportées par le distributeur dans tous les cas, ce qui est prévu à l'alinéa 4.
Enfin, l'article apporte d'autres précisions essentielles.
Aucune marchandise ne peut être refusée ou retournée par le distributeur, sauf non-conformité et non-respect des dates de livraison. Ensuite, il est interdit de déduire d'office les pénalités du montant de la facture établie. Il est tenu compte, bien entendu, des circonstances indépendantes de la volonté des parties. Ainsi, en cas de force majeure, aucune pénalité ne peut être infligée. Le délai de paiement exigé par le distributeur ne peut être différent du délai de paiement qu'il s'applique à lui-même.
Enfin, sur la notion de taux de service, nous avons refusé de fixer un seuil dans la loi et avons préféré poser le principe suivant : ce taux ne saurait être abusif. Pour encadrer ce principe, nous avons prévu en commission mixte paritaire la réalisation d'un guide des bonnes pratiques précisant la doctrine de la DGCCRF et devant être régulièrement actualisé, afin d'accompagner les acteurs. Ce guide permettra de régenter tous les contournements éventuels sur les pénalités logistiques, lesquels, malheureusement, sont déjà nombreux.
Pour le législateur, le principe est clair : il ne saurait y avoir de pénalités logistiques infligées sans préjudice subi et donc documenté. Le cas échéant, ces pénalités ne sauraient être disproportionnées.
Mon collègue rapporteur à l'Assemblée nationale, Grégory Besson-Moreau, a indiqué lors de la réunion de la commission mixte paritaire : « Je veux rappeler [...] que, dans la section 4 du chapitre Ier du titre IV du livre IV du code de commerce, relative aux pénalités logistiques, nous avons bien écrit que la preuve du manquement doit être apportée par le distributeur par tout moyen. Le fournisseur dispose d'un délai suffisant pour lui apporter ses observations écrites afin d'être en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant. » Le Sénat et l'Assemblée nationale partagent donc une vision claire et commune de l'intention du législateur.
Il m'a paru important de rappeler clairement l'intention du législateur, car il semblerait qu'un certain nombre de distributeurs entendent toujours capter les flux financiers générés par les pénalités logistiques, qui se sont élevés à 180 millions d'euros pour l'année 2020-2021. Il est important que ceux qui se livrent à de telles pratiques prennent conscience que ces interprétations contreviennent au cadre voulu par le législateur et qu'ils auront à s'en expliquer en cas de contentieux.
Je commencerai par faire un mea culpa : j'ai certes commis une erreur de personne en m'adressant à Michel-Edouard Leclerc lors de son audition, laquelle a déclenché une polémique sur internet, mais l'essentiel des questions que je lui ai posées portait bien sur le respect de la loi Égalim 2 par les distributeurs, en particulier sur les pénalités logistiques.
À cet égard, il me paraît important, comme l'a fait Anne-Catherine Loisier, de préciser certains éléments.
L'article L. 441-17 introduit une clarification essentielle sur la nature juridique des pénalités : celles-ci sont uniquement applicables en cas de rupture de stock ou en cas de démonstration d'un préjudice - il y a une inversion de la charge de la preuve - et absolument plus en cas d'inexécution contractuelle n'ayant causé aucun préjudice. Il prévoit par ailleurs le respect d'une marge d'erreur suffisante. Cela signifie que l'application de taux proches de 100 %, comme le font aujourd'hui certains distributeurs, n'est pas conforme à la loi. L'article prévoit ensuite une proportionnalité des pénalités par rapport au préjudice subi : il n'est pas possible d'appliquer une pénalité de 150 000 euros quand le préjudice subi est de l'ordre de quelques milliers d'euros ! L'article contraint le distributeur à justifier tout manquement par écrit au fournisseur. Le distributeur ne peut s'arroger le droit d'appliquer des pénalités sur la facture sans en avoir au préalable informé le fournisseur afin de permettre à ce dernier de se défendre. L'article prévoit un délai suffisant pour le fournisseur afin qu'il puisse contrôler la réalité du grief et apporter ses observations écrites. Enfin, l'article prévoit la prise en compte des cas de force majeure. Je rappelle que certaines enseignes, qui s'étaient montrées un peu plus vertueuses pendant le confinement, se sont ensuite arrangées, dans les mois qui ont suivi, pour récupérer les pénalités logistiques qu'elles avaient perdues pendant la crise.
L'article L. 441-18 du code de commerce prévoit l'instauration en droit français du principe de réciprocité des pénalités, qui permet aux industriels d'appliquer des pénalités aux grandes surfaces. Ce principe est peu appliqué, le fournisseur étant considéré souvent comme le seul coupable.
Nous estimons aujourd'hui que la manne financière résultant des pénalités logistiques s'élève à plus de 250 millions d'euros par an. Ces pénalités ont une incidence sur la capacité économique des entreprises et nuisent à leur capacité d'investissement. En outre, elles constituent pour la grande distribution une source de revenus déguisée.
Le Sénat n'a pas tous les pouvoirs, mais il a celui de rappeler la volonté très ferme du législateur.
Le guide des bonnes pratiques prévu à l'article L. 441-19 précise que les pénalités logistiques, quelle que soit leur appellation, constituent des dommages et intérêts qui doivent réparer un préjudice, toute autre interprétation étant erronée ; que la charge de la preuve repose sur celui qui invoque le préjudice, celui-ci devant démontrer sa matérialité et ses conséquences en termes financiers ; que, à titre principal, ce préjudice doit entraîner une rupture de stock, la rupture en entrepôt ne générant pas forcément un préjudice ; que les montants des pénalités doivent être proportionnés au préjudice ; que le taux de service est négociable.
La DGCCRF doit jouer son rôle. Il appartient au Sénat de rappeler que ces éléments s'appliquent à la grande distribution, mais aussi à l'administration française.
La rupture de stock en magasin n'est pas toujours un bon indicateur : on sait que, dans deux tiers des cas, cette rupture est due à une mauvaise organisation du distributeur lui-même !
Le législateur doit suivre l'application de la loi et vérifier que son intention est bien respectée. C'est ce que fait le groupe de suivi de la loi Égalim, qui est reconnu comme un acteur majeur sur la question. Il appartient désormais au Gouvernement de prendre ses responsabilités.
Une bonne loi fixe des principes clairs et durables. Elle ne doit donc pas être modifiée tous les ans pour être adaptée à la réalité si les principes demeurent. C'est à mon avis d'autant plus vrai dans le domaine mouvant des relations commerciales agricoles, où des armées de juristes chevronnés s'évertuent à trouver des solutions pour contourner la loi dès qu'elle a été adoptée. Plus nous modifierons le cadre législatif fréquemment, plus nous donnerons le pouvoir aux juristes et plus nous pénaliserons nos industriels, notamment nos PME, au lieu de leur venir en aide.
Pour autant, cela ne signifie pas qu'il ne faille pas adapter les règles en vigueur. Simplement, il faut le faire au moyen d'outils souples. À cet égard, la loi n'est pas l'outil le plus pertinent : quand un contournement apparaît, il faut plusieurs mois, voire plusieurs années pour l'encadrer par la loi ! C'est autant de temps perdu pour l'industriel et pour les producteurs et cela laisse du temps au distributeur pour inventer un nouveau contournement. En procédant ainsi, il a toujours un temps d'avance.
Le Gouvernement doit jouer son rôle par le biais de circulaires ou de lignes directrices claires et adaptatives afin de répondre rapidement aux contournements inventés par les acteurs les plus réticents au système proposé par le législateur.
Je rappelle que le Sénat, dans sa sagesse, a prévu, à l'article L. 441-19 du code de commerce, la publication d'un guide des bonnes pratiques sur les pénalités logistiques, régulièrement actualisé. Il faut disposer d'un document souple, rappelant ce qu'il est possible et interdit de faire pour encadrer strictement ces pénalités et éviter qu'elles ne demeurent une arme trop forte aux mains des distributeurs.
Les principaux contournements peuvent d'ores et déjà être sanctionnés par ce mécanisme par le Gouvernement. Je regrette son attentisme sur la question.
J'invite donc le Gouvernement à adopter au plus vite, sur cette question des pénalités logistiques, déjà traitée au sein de la commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), des lignes directrices qu'il modifiera en fonction des résultats de ses contrôles. C'est une obligation légale, c'est nécessaire et c'est surtout le seul moyen d'être réactif et pertinent pour réellement inverser la tendance.
J'insiste sur le fait que ces travaux doivent être menés par la DGCCRF et non par la CEPC, qui reste une instance consultative.
Si vous en êtes d'accord, j'inclurai cette demande dans le courrier à destination des ministres en charge de l'économie et de l'agriculture.
La commission adopte le rapport d'information dans la rédaction issue de ses travaux et en autorise la publication.
Je pense que, aujourd'hui, il faut également réfléchir à l'impact environnemental et au gaspillage alimentaire induits par ces pénalités. Des entreprises sont contraintes de rependre à leurs frais des palettes entières et de les éliminer au motif qu'un sac, sur les cinquante ou soixante que compte une palette, est percé, sans savoir en outre qui en est à l'origine. N'oublions pas que la grande distribution interdit, pour des raisons de sécurité, aux chauffeurs des camions, qui sont pourtant responsables de la qualité de leur cargaison, d'assister à leur déchargement. Cela conduit à faire circuler un grand nombre de camions et provoque un gaspillage alimentaire colossal. Je travaillerai sur cette question.
Je pense qu'il faut étudier les dispositifs qui permettent aux distributeurs de refuser une palette lorsqu'un sac est percé ! Nous travaillerons bien entendu sur cette question.
Ce compte rendu sera publié ultérieurement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 25.