Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.
Nous avons le plaisir de recevoir M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), pour la traditionnelle présentation de son rapport annuel d'activité.
Cette présentation s'inscrit toutefois dans un contexte particulier, puisque votre mandat non renouvelable de cinq ans à la tête de l'AMF, monsieur le président, arrive à échéance à la fin de ce mois. Je voulais vous dire à cette occasion tout le plaisir que notre commission aura eu à travailler avec vous et vos équipes pendant votre mandat.
Cette audition sera donc aussi l'occasion de faire un bilan de ces cinq dernières années. Si l'AMF a vu ses compétences s'accroître sur cette période, elle se trouve également confrontée à de nouveaux risques pour la stabilité des marchés financiers et pour la protection des épargnants. Il y a bien sûr eu la crise sanitaire et la récession économique qu'elle a provoquée, malgré les dispositifs de soutien ; il y a désormais le défi posé par l'inflation ainsi que les conséquences de la guerre en Ukraine et des déséquilibres géopolitiques.
Lors de votre audition devant notre commission au mois de juillet 2017, vous aviez déjà déclaré que le système financier s'apprêtait à connaître de profondes évolutions et qu'il serait très différent en 2022 de ce qu'il était cinq ans plus tôt ; c'est ce qui s'appelle avoir une certaine vision de l'avenir... Vous pourrez sans doute nous présenter les évolutions qui vous semblent les plus significatives.
Je vous remercie de consacrer du temps à l'AMF lors de cette journée chargée pour la représentation nationale.
Cette audition, qui coïncide en effet avec la fin de mon mandat à la tête de l'AMF, sera l'occasion de rendre compte de l'activité de cette institution au cours de l'an passé, mais également de faire un rapide bilan des cinq dernières années et d'évoquer les défis actuels.
Voilà cinq ans, lorsque votre commission m'avait fait l'honneur de soutenir ma nomination au poste de président, j'avais présenté quelques priorités pour mon mandat, mais j'avais indiqué que, en tout état de cause, le système financier serait probablement, en 2022, très différent de celui que nous connaissions à l'époque. Les missions de l'AMF sont fixées par la loi, mais on peut les résumer en deux idées : protection de l'épargne et des investisseurs, d'une part, et financement de l'économie par les marchés, de l'autre.
J'avais quatre priorités au moment de ma nomination.
Premièrement, l'intégration européenne, parce que le bassin européen d'épargne est sans pareil, mais qu'il est fragmenté et mal utilisé. L'union des marchés de capitaux ne doit pas rester un concept vague faisant l'objet d'un soutien général mais souvent hypocrite ; elle doit s'incarner dans des projets concrets au bénéfice des épargnants, des entreprises et des intermédiaires financiers.
Deuxièmement, la finance durable, car le financement de la transition vers une économie plus respectueuse de notre environnement, compatible avec l'accord de Paris sur les objectifs de limitation du réchauffement climatique, est le défi de notre temps. Si la finance ne fait pas partie des solutions, cela signifie qu'elle fait partie du problème, de même que ses régulateurs.
Troisièmement, la digitalisation de la finance, car le régulateur doit anticiper et accompagner cette évolution inévitable, afin qu'elle soit facteur d'amélioration et de réduction des coûts des services financiers.
Quatrièmement, enfin, la transformation de l'AMF, rendue inévitable par ces évolutions, qui exigent le développement de nouvelles expertises pour accomplir nos missions, conformément aux orientations stratégiques que je viens de rappeler, afin d'optimiser l'utilisation de ressources financières très contraintes.
Aucun de ces chantiers n'est vraiment achevé, mais ces priorités nous ont guidés au cours des cinq dernières années, durant lesquelles nous avons subi trois chocs majeurs : le Brexit, la pandémie de covid-19 et l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Je serai bref sur les deux premiers, puisque nous avons eu l'occasion de les évoquer en détail lors d'auditions précédentes, et un peu plus long sur le dernier, qui n'est à l'évidence ni achevé ni totalement surmonté.
En juillet 2017, le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne était déjà intervenu - il date de 2016 -, mais la sortie date juridiquement du 31 janvier 2020 et, compte tenu de la période transitoire, elle n'a été effective qu'au 1er janvier 2021. Le Royaume-Uni est alors devenu un pays tiers et il a fallu en tirer toutes les conséquences, du point de vue tant réglementaire qu'opérationnel. En l'absence d'une décision d'équivalence de la Commission européenne - il n'y en a qu'une, temporaire de surcroît, relative aux chambres de compensation -, les établissements qui opéraient dans l'Union à partir du Royaume-Uni ont dû relocaliser leurs activités au sein de l'UE. Nombre d'entre eux l'ont fait à Paris, notamment pour les opérations de marché, mais nous ne sommes pas au bout du processus : les réglementations évoluent tant au Royaume-Uni que dans l'Union et, au sein de celle-ci, la localisation des effectifs n'est jamais définitive.
En mars 2020, la pandémie et le confinement qui l'a accompagnée n'étaient absolument pas anticipés. Le blocage de larges pans de nos économies et les incertitudes sur l'ampleur et la durée de la crise se sont traduits par une recherche massive de liquidité et une chute historique des valorisations. Cela a notamment mis en évidence les fragilités des fonds ouverts et en particulier des fonds monétaires en période de crise intense. Nous travaillons, à l'échelon tant international que national, au renforcement de la capacité de ces fonds à passer ces crises sans soutien public. Le confinement a également conduit à revisiter l'exercice de la démocratie actionnariale en assemblée générale. Toutes les leçons, notamment pour la tenue d'assemblées en mode hybride, le dépôt des résolutions ou le vote à distance, n'ont sans doute pas encore été tirées. Nous l'avons évoqué dans nos rapports annuels sur la gouvernance des sociétés cotées ; je vous renvoie également au rapport du Haut Comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) qui vient d'être rendu public en début de semaine.
J'en viens désormais à la crise russe. L'année 2021 avait été à l'évidence une année d'exubérance sur les marchés financiers, dans un environnement de forte reprise économique, alimentant des pressions inflationnistes jugées alors transitoires par les banques centrales, lesquelles maintenaient leurs politiques monétaires très accommodantes. Les valorisations de la plupart des actifs ont fortement progressé et l'ensemble des marchés ont été très actifs, avec, en particulier, un nombre exceptionnellement élevé d'introductions en Bourse, partout dans le monde, mais spécialement en France.
Il serait bien trop facile de qualifier rétroactivement cette exubérance d'irrationnelle, puisque c'est bien un phénomène totalement extérieur - l'invasion de l'Ukraine par la Russie - qui a marqué la fin de cette période exceptionnellement favorable et qui a déclenché un changement profond de paradigme. La période d'inflation basse et de taux d'intérêt négatifs est révolue ; le monde se fragmente et cela affecte de façon très différenciée les différentes économies nationales et les différents secteurs économiques.
Le premier signal de ce changement de paradigme a été envoyé par les marchés de matières premières. Le bon fonctionnement de ces marchés constitue une responsabilité importante de l'AMF. Les prix des matières premières se forment non pas sur les marchés physiques, au comptant, mais sur les marchés dérivés, avec des contrats qui permettent avant tout aux producteurs et aux transformateurs-distributeurs de limiter les aléas pesant sur les prix futurs de vente de leur production pour les premiers et d'achat de leur approvisionnement pour les seconds. C'est sur ces marchés dérivés, en principe liquides, car ils permettent la rencontre d'une multitude d'acheteurs et de vendeurs financiers et non financiers, que se forment les prix. Ces marchés, dans leurs différentes composantes - plateformes, chambres de compensation ou transactions réalisées de gré à gré -, sont tous placés sous la responsabilité des superviseurs de marché.
Nous avons aujourd'hui en France un marché sensible pour tous : le marché européen du blé, avec la plateforme de négociation placée au sein d'Euronext Paris - c'est le marché à terme international de France (Matif) -, avec la compensation centrale qui y est associée - London Clearing House (LCH) SA - et l'entreposage sur 6 sites en France pour les livraisons physiques.
La guerre a eu deux conséquences immédiates : elle a engendré une situation de crise sur certains marchés et la hausse des prix de la quasi-totalité des produits. Cette situation de crise a culminé au cours de la première quinzaine de mars dernier, tout particulièrement le 7 mars. Ce jour-là, le contrat européen de gaz TTF - Title Transfer Facility - prompt future, basé à Amsterdam, au sein de ICE Europe, est passé, en quatre-vingt-dix minutes, de 200 à 345 euros le mégawattheure ; ce prix avoisinait, au cours des années précédentes, 25 euros. Aujourd'hui, il se situe autour de 170 euros, en baisse ce matin, depuis que la Norvège a annoncé qu'elle ne fermerait pas son activité malgré les grèves.
Toujours le 7 mars, le prix du blé a atteint, à Euronext, 450 euros la tonne, contre 270 euros en février, alors qu'il se situait plutôt autour de 200 euros au cours des dernières années. Aujourd'hui ce prix est autour de 330 euros.
La même date, le nickel, qui s'échangeait à 20 000 dollars la tonne en début d'année sur le LME - London Metal Exchange -, le marché mondial du métal, a atteint 100 000 dollars. Un gros producteur chinois, qui avait une importante position vendeuse sur le LME et de gré à gré avec des établissements financiers - over the counter (OTC) -, ne pouvant faire face à ses appels de marge, le marché s'est arrêté, les transactions du jour ont été annulées et le marché n'a rouvert qu'une semaine plus tard.
Au-delà de l'impact inflationniste de ces évolutions, cela a mis en évidence un problème inédit et quasi existentiel pour ces marchés : l'ampleur des appels de marge qui accompagnent ces variations de prix. Les appels de marge permettent d'assurer la robustesse des marchés, mais ils peuvent être très difficiles à constituer, notamment pour les acteurs non bancaires, qui forment une partie très importante et même le coeur du marché des matières premières. Cela peut entraîner des défauts ; cela peut engendrer un transfert des opérations de marché, compensées, vers des transactions bilatérales, non compensées mais présentant un risque de crédit plus grand ; et cela peut même conduire à l'abandon pur et simple des opérations de couverture. Ces trois évolutions potentielles seraient toutes désastreuses pour le fonctionnement de nos économies.
Le marché du blé a traversé ces moments difficiles sans drame, mais ne pensons pas que la crise soit passée. Les prix ne sont pas revenus à leur niveau antérieur et, par exemple, les incertitudes sur l'alimentation en gaz russe peuvent à tout moment aggraver la crise sur ce marché. En Europe, sur le marché du gaz, quand on conclut un contrat, la marge initiale à constituer pour se couvrir égale le prix du contrat, ce qui représente des montants considérables, donc des besoins de liquidités très élevés. En tout état de cause, la communauté des superviseurs se penche sur le fonctionnement de ces marchés pour déterminer les évolutions qui permettraient d'en renforcer la robustesse, à l'échelon européen et mondial.
Je le disais, la période de faible inflation et de taux bas est révolue. Les tensions inflationnistes du second semestre 2021 correspondaient à un choc de demande, avec la forte reprise économique ; nous connaissons désormais un choc d'offre, qui trouve sa source dans les pénuries de matières premières liées à la guerre en Ukraine, dans la persistance des problèmes sanitaires et dans les pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs.
La dépendance des différents secteurs et des différents pays aux matières premières dont le prix augmente fortement n'est pas homogène ; de même, les situations de départ et les réponses des politiques publiques sont différentes. Tout cela accroît l'hétérogénéité et la fragmentation entre pays émergents et pays développés, mais également au sein de ces deux catégories de pays. Il suffit de comparer les rythmes actuels d'inflation pour s'en rendre compte : l'indice harmonisé des prix est de 6,5 % en France, de 9 % dans le reste de la zone euro, de 20 % dans les pays baltes et de 10 % aux Pays-Bas.
Au-delà de ces différences, la tendance à une inflation forte est irrépressible et les politiques monétaires deviennent beaucoup moins accommodantes. Les taux d'intérêt augmentent et les achats de titres sur le marché par les banques centrales, qui ont peu ou prou financé les déficits publics nés de la crise covid ainsi qu'une partie significative des besoins de financement des grandes entreprises, s'arrêtent, en attendant peut-être une décrue des portefeuilles. La capacité des acteurs économiques à répercuter sur leurs prix de vente la hausse des coûts est variable, de même que la capacité des salariés à obtenir une hausse de leur rémunération pour limiter leurs pertes de pouvoir d'achat.
La conjonction de l'ensemble de ces facteurs fragilise la solvabilité de certains acteurs économiques et suscite des craintes sur la croissance au-delà de l'effet d'acquis engrangés en fin d'année 2021. Dans un tel environnement, il est normal d'observer une forte baisse des valorisations et une réapparition de primes de risque différenciées, tant pour les titres de dette que pour les actions. En effet, on actualise, à un taux plus élevé, des flux de résultats plus faibles. En outre, les risques de défaut augmentent, avec l'idée que les banques centrales n'interviendront pas comme elles l'ont fait dans le passé et que les gouvernements n'ont plus la capacité de le faire aussi massivement.
Dans ce contexte, les marchés financiers vont-ils continuer de financer l'économie ? Cette question reste ouverte. Ils ont apporté une contribution très significative au financement de l'économie, tant en 2020, sur le marché obligataire, qu'en 2021, sur le marché des fonds propres, avec le nombre exceptionnellement élevé d'introductions en bourse. Quelque 4 milliards d'euros ont en effet été collectés à cette occasion, mais des entreprises déjà cotées ont également levé des fonds, à hauteur de plus de 8 milliards d'euros ; enfin, les entreprises non cotées ont fait une collecte brute de 42 milliards d'euros.
En ce début d'année 2022, on observe une reprise du financement via l'endettement bancaire et une absence de contribution nette de l'endettement de marché, dont le coût a singulièrement augmenté pour les entreprises, surtout les bien moins notées. Nous avons donc devant nous un problème de financement de l'économie.
Je reviens, pour finir, à mes priorités de 2017.
Pour ce qui concerne la finance durable, elle a pris son essor, mais dans un cadre qui reste largement à préciser. La mobilisation de la finance en faveur d'activités économiques durables est générale mais ne se met pas encore en place de manière très structurée. Les initiatives sont foisonnantes et les institutions financières sont très actives, alors que l'information à fournir par les entreprises n'est pas encore standardisée.
Ainsi, la future directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), sur laquelle un accord vient d'être obtenu en trilogue, doit encore être mise en place, avec tout ce que cela implique au niveau de la réglementation. Les travaux engagés sous l'égide de la Fondation IFRS - International Financial Reporting Standards - pour définir des standards mondiaux devant être cohérents avec les standards européens ne sont pas encore achevés et on ne sait pas s'ils seront adoptés par des territoires aussi importants que les États-Unis ou le Japon. Par ailleurs, les nombreux prestataires de services qui proposent des notations en matière de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ne sont pas régulés. Enfin, le positionnement des produits d'investissement en fonction du niveau d'information demandé, qui résulte du règlement Sustainable Finance Disclosure (SFDR), est souvent interprété à tort comme un label, d'où une confusion très préjudiciable à la crédibilité du processus.
Dans ce contexte, l'AMF reste résolument engagée aux côtés de la place en faveur d'une approche exigeante, que nous déclinons dans notre doctrine, dans nos rapports et dans nos contrôles. En 2021, nous avons ainsi actualisé notre doctrine pour la commercialisation de fonds mettant en avant des critères extra-financiers et avons annoncé, dans le cadre des priorités de supervision de 2022, des contrôles « spot » sur le respect des engagements. Ces contrôles sont en cours.
L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l'AMF ont conduit une revue des engagements du secteur financier, avec un focus sur les énergies fossiles. L'AMF a également analysé les engagements de neutralité carbone repris dans les déclarations de performance extra-financière (DPEF) de sociétés cotées et a présenté les enjeux de la neutralité carbone des entreprises, au travers d'un rapport de la commission climat-finance durable. Nous avons en outre activé la certification professionnelle « finance durable », en habilitant six organismes à procéder à cette certification. Nous avons enfin développé une communication pédagogique pour les épargnants sur la finance durable et nous avons accordé nos premiers visas sur les sustainability linked bonds : depuis mai 2021, treize prospectus d'entités non financières ont ainsi été visés par l'AMF pour émettre de telles obligations, dont l'encours s'élève aujourd'hui à environ 25 milliards d'euros.
Par ailleurs, la finance durable peine à trouver un bon encadrement. Le régime européen, qui va permettre d'expérimenter des infrastructures de marché utilisant les registres distribués, a été finalisé, avec des projets qui pourront être agréés à partir du premier trimestre. La finalisation du cadre réglementaire européen dans lequel devront s'intégrer les autres cryptoactifs, c'est-à-dire le règlement MiCA, règlement européen portant sur les cryptoactifs, vient de faire l'objet d'un accord en trilogue le 30 juin, dernier jour de la présidence française de l'Union européenne, mais il faut avoir en tête que cela ne s'appliquera que dix-huit mois après l'adoption définitive et la parution au Journal officiel de l'Union européenne et qu'une phase transitoire de dix-huit mois supplémentaires a été prévue pour les régimes nationaux. Je juge nécessaire d'accélérer le processus, et, s'agissant du régime français, je pense qu'il est temps de passer du simple enregistrement - nous avons déjà actuellement plus de quarante prestataires qui ont été enregistrés par l'AMF -, à l'agrément, qui renforce l'encadrement et la sécurité des acteurs.
La digitalisation va bien au-delà des cryptoactifs : elle se diffuse dans la commercialisation auprès des particuliers de tous les produits financiers. C'est le fondement du marché unique, de la libre prestation de services financiers. Ainsi, on ne demande pas l'établissement d'une succursale dans un pays pour commercialiser ses produits. Cela signifie que la commercialisation transfrontière des produits financiers progresse rapidement. Or ce mode de régulation de ces services transfrontaliers s'appuie quasi exclusivement sur le cadre réglementaire du pays de localisation du prestataire et donc l'autorité de supervision locale. Cela n'est pas satisfaisant en l'état. Les autorités des pays où les services sont proposés, la France, par exemple, sont quasiment aveugles. Nous ne savons pas quels services sont effectivement proposés et cela encourage la délocalisation dans les pays où la régulation est la plus allégée. In fine, cela limite singulièrement la capacité des particuliers à faire valoir leurs droits, puisque ce sont les dispositifs de médiation de recours du pays d'origine qui s'appliquent. Il y a là les ingrédients d'une remise en cause fondamentale de ce principe de libre prestation de services, qui est le coeur de l'Union, et, pour le préserver, il faut absolument renforcer à la fois le rôle de l'Autorité européenne des marchés (ESMA - European Securities and Markets Authority) et celui des autorités des pays hôtes. On avait l'habitude d'être un pays exportant ses produits, et nous découvrons que nous sommes aussi un pays hôte dépendant d'une autorité tierce.
Nous arrivons au terme de notre plan stratégique. La mutation est bien avancée, mais elle n'est pas totalement achevée. L'intégration de la digitalisation et l'usage généralisé des données dont nous disposons ont progressé, mais beaucoup reste à faire dans l'analyse et la surveillance des marchés.
Nous travaillons à une politique de mise à disposition en open data de nos données. Nous en sommes aux débuts avec les autorisations de vente à découvert.
Dans le cadre de notre politique de protection des consommateurs, nous travaillons à améliorer notre surveillance des réseaux sociaux afin d'assurer une détection la plus précoce possible des arnaques. L'intégration de cette surveillance dans un cadre juridique solide est à l'étude.
Nos modes de travail et de management des équipes se modifient aussi en profondeur. Nous réduisons et repensons nos surfaces de bureaux pour travailler en flex office. Ces évolutions s'inscrivent dans le cadre d'une gestion économe des deniers publics. Pour autant, comme le montrent les comparaisons avec nos homologues au niveau européen, nous avons des moyens très limités. Aussi, j'attire l'attention de la commission sur la fragilité de nos équilibres financiers. Sans un renforcement significatif de nos moyens, l'AMF ne pourra plus assumer ses missions qui s'élargissent et se complexifient, notamment avec le MiCA. L'AMF est dans la situation assez paradoxale de collecter des contributions de ses assujettis, qui sont en partie reversées au budget de l'État. Ainsi, depuis 2015, l'AMF a contribué à hauteur de 125 millions d'euros au budget de l'État.
Je m'associe à l'hommage que le président Raynal vous a rendu, à l'issue de votre quinquennat non renouvelable à la tête de l'AMF. Vous avez su nouer de solides relations avec les parlementaires et plus particulièrement avec notre commission.
J'ai quatre questions. Au début de votre mandat, vous aviez fait part de votre souhait que l'AMF et que les marchés financiers soient véritablement au service du financement de l'économie réelle. Estimez-vous que c'est le cas aujourd'hui ?
S'agissant du statut novateur porté par le règlement MiCA et par rapport à ce que vous avez indiqué dans votre propos introductif, pouvez-vous nous rappeler pourquoi vous estimez que l'enregistrement des prestataires n'est pas suffisant ?
Vous avez également évoqué l'encadrement des produits financiers et nous avons eu à plusieurs reprises l'occasion d'échanger avec vous sur les frais de ces produits, et, notamment, sur l'interdiction des commissions de mouvement. Vous savez que c'est un sujet qui nous tient à coeur avec mon collègue Albéric de Montgolfier, et sur lequel nous avons fait plusieurs recommandations. Quelles autres mesures sont envisageables à cet égard, notamment sur le plan européen ?
Enfin, l'AMF a déclaré conformes, en 2021, 43 offres publiques ouvertes. L'une d'elles a fait l'objet d'une attention médiatique particulière, je veux parler de l'offre de Veolia sur Suez. Une annexe lui est d'ailleurs consacrée dans votre rapport annuel d'activité. Quel est le rôle exact de l'AMF dans ce type d'opération ?
Le soutien de l'économie réelle est dans notre ADN. Il se divise en deux branches : le financement de l'économie proprement dit et la protection des investisseurs.
Sur ces cinq dernières années, j'ai le sentiment que beaucoup de choses ont progressé, autour de l'épargne salariale notamment. L'assurance vie en unités de compte est devenue le mode prépondérant d'orientation des nouveaux flux. Nous avons vu arriver beaucoup de nouveaux investisseurs, notamment des jeunes.
En période d'inflation forte, le placement le plus sécurisé sur le long terme est le placement dans l'économie réelle directement, pour peu qu'il soit bien géré dans le temps. Notre pays en a vraiment besoin actuellement pour le financement de la transition écologique.
La seconde branche de notre ADN, c'est la protection des investisseurs et des épargnants. À cette fin, nous avons besoin de transparence, avec une information qui soit accessible, utile. Il n'y a pas forcément besoin de documents touffus de cinquante pages. La transparence sur les frais fait évidemment partie de cette information nécessaire.
Les sociétés de gestion sont en train d'adapter leurs modèles de frais et nous les accompagnons dans ce mouvement. Nous leur demandons d'être plus transparentes sur leur frais et sur leur performance, nous développons des doctrines et des lignes directrices à cet effet. Par exemple, quand elles commercialisent des produits sur des fonds actifs, elles doivent vérifier que les frais ne sont pas disproportionnés par rapport aux performances attendues. Sinon, autant aller sur des fonds passifs. Nous regardons aussi de près ce qui se passe dans les autres pays européens, puisque l'une des difficultés majeures réside dans le fait que, dans chaque pays, chaque type de société de gestion a développé sa propre approche de facturation des frais.
Vous avez évoqué la loi Pacte. La France a été précurseur dans l'encadrement des prestataires de services sur actifs numériques, en se montrant prudente avec la mise en place d'un enregistrement. Cette procédure est un prérequis pour identifier les prestataires, souvent étrangers, et les localiser dans la zone de responsabilité de l'AMF. Au passage, on vérifie que les dispositifs de lutte antiblanchiment sont effectivement mis en place. À mon sens, ce n'est pas suffisant et il faut aller plus loin, avec un agrément. C'est ce qui est prévu dans le règlement MiCA, mais il faut aller plus vite. L'horizon à environ quarante mois est beaucoup trop lointain.
Il y a deux idées fortes dans MiCA : on encadre les prestataires de services et on encadre les stablecoins. Le terme lui-même de stablecoin est problématique : il y a une promesse sur ce qu'il y a derrière, comme pour le vert. Or, on ne devrait pas pouvoir faire cette promesse en dehors d'une réglementation qui s'assure qu'il y a une véritable stabilité derrière. Les stablecoins n'existaient pas quand on a travaillé sur la loi Pacte, il n'en existe encore que très peu en euros.
Enfin, vous m'interrogez sur le dossier Veolia-Suez. Vous devez savoir que l'AMF est considérée comme une autorité vraiment indépendante pour 94 % de nos parties prenantes, selon une enquête que nous avons fait réaliser. Et cela s'est vérifié dans ce dossier, dans lequel on a préservé et défendu le collectif du Collège. Quand on travaille sur des dossiers aussi sensibles, il est important de rappeler que les décisions prises ne sont pas celles du président, ce sont celles du Collège. Quand le dossier a été complètement achevé, nous avons souhaité en rendre compte dans un document annexe à notre rapport annuel d'activité 2021, pour expliquer notre logique et répondre aux questions soulevées dans le cadre de cette affaire.
Je fais partie de ceux qui pensent que les autorités indépendantes sont pour la plupart très utiles, et que leur indépendance est garantie par la nomination d'un président véritablement indépendant, avec une liberté d'esprit et d'action par rapport à ceux qui l'ont nommé.
Vous avez émis des réserves sur la finance verte, en soulignant qu'il était très difficile de contrôler les objectifs affichés. Est-ce que le cadre législatif français est suffisant et adapté et disposez-vous de pouvoirs suffisants en la matière ?
Par ailleurs, après le covid, il y a eu beaucoup de nouveaux entrants en bourse, sur les marchés financiers. Le reflux actuel de la valorisation des actifs financiers a-t-il eu un impact sur cette dynamique ? Ces nouveaux entrants risquent-ils de se tourner vers d'autres produits financiers ?
Enfin, la presse a beaucoup parlé des frais bancaires appliqués aux comptes des personnes décédées, un sujet sur lequel j'ai déposé une proposition de loi. Quel est votre regard sur cette problématique ?
J'ai lu dans votre rapport 2021 que le nombre de sanctions disciplinaires prononcées était en hausse constante sur ces cinq dernières années. Comment l'expliquez-vous ? Est-ce qu'il y a plus de cas ou avez-vous sévi davantage ?
Les prestataires financiers au sein de l'Union européenne peuvent opérer depuis n'importe quel pays membre de l'Union européenne, en choisissant plutôt les pays dans lesquels la réglementation est plus clémente. Avez-vous des échanges avec les autorités de régulation de ces pays ? Ce sujet est-il par ailleurs appréhendé au niveau européen, pour procéder à une harmonisation des règles et des sanctions ?
Vous avez évoqué les moyens de l'Autorité des marchés financiers. Rencontrez-vous des difficultés pour recruter et quel regard portez-vous sur votre taux de rotation de personnel, de l'ordre de 10 % par an ?
Par ailleurs, s'agissant des cryptomonnaies, quel est, selon vous, le bon niveau de régulation s'agissant par définition d'instruments internationaux ?
Enfin, dans le contexte économique et inflationniste actuel, constatez-vous une forte spéculation sur les marchés de matières premières ?
Les détenteurs d'assurances vie en unités de compte sont victimes de la chute boursière depuis quelque temps. Ils ont le sentiment d'être toujours la variable d'ajustement des bénéfices mais aussi des pertes et pourraient vouloir davantage se tourner vers les obligations et les fonds euros. Sommes-nous maîtres de la valorisation de nos entreprises ou sommes-nous dépendants des marchés mondiaux, quitte à sous-estimer la valeur de nos entreprises ?
Comme notre rapporteur général, je tiens à souligner l'excellent travail que nous menons en concertation avec l'AMF, notamment pour améliorer la législation en matière de protection des épargnants : certaines de nos propositions ont été inscrites dans le droit positif. Je pense à l'interdiction de produits financiers exotiques ou aux restrictions apportées à leur commercialisation. Aujourd'hui, au vu de la multiplicité des circuits de diffusion, certains nouveaux produits vous paraissent-ils insuffisamment réglementés ? Existe-t-il encore des zones d'ombre qui pourraient constituer de grands dangers pour la protection des épargnants ?
Je vous remercie monsieur le Président de m'avoir convaincu de la nécessité d'encadrer ce qu'on appelle la « finance verte ».
Je m'interroge également sur la libre localisation des activités financières au sein de l'Union européenne. Nous nous vantons de lutter contre la fraude, mais il y a là un lieu potentiel de fraude ou du moins de pertes importantes pour l'État. Quelles initiatives peut-on prendre pour lutter contre ce phénomène ?
Vous aviez évoqué à plusieurs reprises certaines questions liées au Brexit ; et notamment celle de la crainte d'une concurrence réglementaire entre les places européennes et britannique. Ce risque est-il encore avéré ?
Des questions se sont posées autour des assemblées générales de certaines entreprises, comme Shell et TotalEnergies récemment, qui ont demandé à leurs actionnaires de valider leur stratégie climat, par le biais d'une résolution soumise au vote lors de l'assemblée générale. Or, l'adoption de ces stratégies est parfois mouvementée, certains actionnaires ayant souhaité inscrire à l'ordre du jour de l'assemblée générale une « contre-résolution » climatique, inscription refusée par le conseil d'administration. L'AMF, saisie par certains de ces actionnaires, s'est déclarée incompétente à statuer sur ce conflit. Estimez-vous qu'une clarification législative est nécessaire et que l'AMF devrait pouvoir se prononcer sur l'inscription de certaines résolutions à l'ordre du jour des assemblées générales d'actionnaires ?
Concernant la libre prestation de service et la localisation des prestataires financiers, selon moi, la réponse devrait être aussi simple que pour le système bancaire et les banques exerçant des activités transfrontières : quand une large partie de l'activité d'un prestataire s'exerce dans un autre pays de l'Union que celui où il est localisé, la surveillance de son activité ne devrait pas être assurée intégralement par le régulateur national : l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) doit jouer un rôle de supervision, en s'appuyant sur les autorités locales. Malheureusement, personne n'en veut, à part nous ! Si ce n'est pas possible, il faut faire autre chose, toujours dans le cadre européen : d'une part, l'ESMA assure une revue par les pairs d'un certain nombre de prestataires - son rapport public s'est avéré assez dévastateur pour le régulateur d'un État membre et une demande de mise à niveau de l'outil de supervision locale a été formulée - ; d'autre part, et c'est un axe sur lequel nous travaillons encore, il faut améliorer le partage d'informations et d'indicateurs, de manière à connaître l'activité en France de tel ou tel prestataire localisé ailleurs dans l'Union, ce qui est impossible aujourd'hui. L'autorité locale devrait transmettre ces indicateurs à chacun des pays concernés. Pourquoi l'absence de ces données est-elle problématique ? Parce qu'aujourd'hui, nous recevons des réclamations auxquelles nous sommes incapables de répondre ! Nous sommes obligés de renvoyer leurs auteurs à l'autorité de supervision locale, au médiateur et aux juridictions du pays de localisation. On avance lentement dans ce domaine, mais on avance tout de même.
Dans le domaine de la finance verte, la France est aux avant-postes, notre législation est très en avance par rapport à nos voisins, voire presque trop en avance. Cela peut certes poser des problèmes mais c'est aussi bien ainsi : c'est parce que certains sont en avance que le reste avance aussi. Autrement, si personne ne prend des initiatives, on est sûr qu'il ne se passera à rien.
Mon souci aujourd'hui, c'est que l'on a commencé par la fin pour construire le cadre européen. Pour être sérieux dans un tel domaine, il faut d'abord disposer d'informations fiables de la part des opérateurs, des émetteurs et des entreprises. C'est seulement sur cette base-là que l'on pourra construire quelque chose de solide. Or, on a un peu fait l'inverse en disant qu'il fallait faire du vert, sans se poser la question de ce qu'était le vert et des informations disponibles. Chacun fait donc ce qu'il peut.
On va y arriver, mais cela requiert un cadre non seulement européen, mais même mondial. Un gros point d'interrogation demeure quant à la position des États-Unis en la matière : notre homologue, la Securities and Exchange Commission (SEC) a reçu de nombreuses réponses négatives à ses propositions, qui disaient que cela coûterait trop cher, alors même que certaines entreprises se montrent plutôt allantes sur le sujet.
Plus largement, on manque de données fiables pour les émissions indirectes, par les fournisseurs et les sous-traitants, rassemblées dans le scope 3 : en leur absence, le bilan carbone d'une entreprise est complètement faussé, aucune comparaison n'est possible. On ne peut pas faire du scope 1 et du scope 2 sans scope 3. Par exemple, si on compare deux produits de deux entreprises, et que la première sous-traite la production à un fournisseur, alors elle sera mieux notée que la deuxième entreprise qui fabrique elle-même ses produits.
Surtout, il faut que les entreprises définissent les actions capables de les amener aux objectifs qu'elles se fixent, avec des points de passage. Sur ce point, des progrès sont à attendre avec la directive CSRD ; ces éléments pourront figurer dans les documents publics extra-financiers, en annexe des documents financiers, sur lesquels les assemblées générales se prononceront. Néanmoins, récemment, nous avons eu le sujet de l'inscription de certaines résolutions à l'ordre du jour des assemblées générales. Juridiquement, le droit des sociétés ne relève pas de l'AMF, nous ne pouvons donc pas imposer une inscription à l'ordre du jour. Un tel sujet, extrêmement structurant, relèverait plutôt de la représentation nationale.
Quant au turn-over des employés de l'AMF, il varie entre 8 % et 12 %, ce qui est assez faible par rapport à d'autres autorités administratives ou à des prestataires de services de marché. Nous embauchons prioritairement des gens qui ont déjà une expérience professionnelle ; ils passent généralement entre cinq et dix ans chez nous. Rester plus longtemps les exposerait à beaucoup d'incompatibilités pour exercer des fonctions chez d'autres acteurs. Que ces derniers embauchent des anciens de l'AMF contribue à la qualité de la place de Paris et à la bonne connaissance des réglementations. Ceux qui nous quittent le font toujours pour des postes valorisants, avec des rémunérations bien supérieures à ce que nous pouvons offrir. De fait, nous sommes aujourd'hui obligés de « junioriser » nos recrutements pour cette raison, alors même que nos salaires sont convenables par rapport à la fonction publique. Cela nous permet de recruter de nouvelles expertises adaptées à nos besoins et d'offrir de meilleures capacités de progression.
Concernant les conséquences de la chute de la Bourse pour les assurances vie, je ne disposerai des données chiffrées pertinentes pour le deuxième trimestre 2022 que la semaine prochaine, ce qui m'empêche de vous répondre quant à une éventuelle fuite des épargnants. Au premier trimestre, rien de tel n'avait été observé. Le CAC 40, dividendes réinvestis, a progressé de 32 % depuis ma nomination en 2017. Un investisseur patient n'est pas perdant, et c'est bien le cas des acheteurs de produits d'assurance vie.
Le volume des sanctions évolue de manière cyclique, car les enquêtes et les contrôles prennent beaucoup de temps, surtout si elles ont une dimension internationale. L'effet des confinements se fait encore sentir. Cela dit, je ne suis pas totalement satisfait des résultats de notre filière répressive : nous sommes assez bridés quant aux outils que nous pouvons mobiliser pour nos enquêtes. Je pense notamment aux données de connexion et aux visites domiciliaires. Quand la sanction est inférieure à ce que nous avions demandé, nous pouvons faire un recours principal et nous faisons systématiquement un recours incident quand tel est le cas et que la personne sanctionnée fait un recours principal. Mon premier souci est d'envoyer des messages aux marchés, de leur faire savoir que certaines pratiques sont inacceptables et que le Collège de l'AMF n'acceptera pas certains comportements.
Quant aux nouveaux produits financiers qui ne seraient pas assez réglementés, je pense notamment à la finance digitale. Certains produits ne devraient pas être commercialisés de la sorte mais on manque encore d'outils à ce niveau. La sophistication de certaines arnaques, avec des usurpations d'identité plausibles, me préoccupe fortement. Il nous faudrait également de meilleurs outils pour balayer les réseaux sociaux et détecter les conseils abusifs de certains influenceurs... L'élaboration de tels outils juridiques est délicate, nous examinons ce que font d'autres pays de l'Union européenne, ainsi que le Royaume-Uni. Le recours à l'intelligence artificielle, une fois le feu vert juridique reçu, sera crucial.
Merci pour votre intervention devant notre commission. Nous vous souhaitons le meilleur pour les années à venir !
La réunion est close à 12 h 20.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.