L'ordre du jour cet après-midi appelle l'audition de M. André-Claude Lacoste, président de l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN.
Je vous remercie, monsieur Lacoste, d'avoir répondu à notre invitation. Cela étant dit, vous n'aviez pas le choix. Il est obligatoire de répondre aux invitations des commissions d'enquête parlementaires ! (Sourires.)
Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son droit de tirage annuel, afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Nous serons notamment amenés à nous interroger sur l'existence d'éventuels coûts cachés qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
Dans ce but, notre commission d'enquête a jugé nécessaire de vous auditionner, monsieur Lacoste, afin d'entendre le point de vue de l'ASN sur le sujet qui nous intéresse, notamment sur la question des coûts en matière de sécurité nucléaire et sur l'éventualité d'un prolongement de la durée de vie des centrales.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
La commission a souhaité que la présente audition soit publique. Un compte rendu intégral en sera publié.
Avant de donner la parole à M. le rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant faire prêter serment à M. Lacoste conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment, monsieur Lacoste, de dire toute la vérité, rien que la vérité. S'il vous plaît, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
André-Claude Lacoste prête serment.)
Je vous remercie.
Pour faciliter votre audition et entrer plus rapidement dans le débat, M. le rapporteur vous a adressé un certain nombre de questions afin que vous puissiez préparer vos réponses.
Notre commission d'enquête est bien évidemment intéressée par les conclusions que vous avez tirées de l'accident de Fukushima et par les travaux que vous estimez nécessaires de faire réaliser dans les cinquante-neuf centrales nucléaires françaises.
M. le rapporteur va maintenant vous rappeler ses questions, car il est important qu'elles figurent dans le compte rendu intégral de votre audition. Nous vous remercions de bien vouloir y répondre dans l'ordre, sauf si, pour nous éclairer, vous jugez plus intéressant de procéder différemment.
Monsieur le rapporteur, vous avez la parole.
Monsieur Lacoste, nous vous avons adressé cinq questions.
Premièrement, pouvez-vous faire un point sur le chantier de Flamanville, notamment sur ses conséquences financières pour la production d'électricité à partir de l'EPR ?
Deuxièmement, à quel montant peut-on évaluer le coût des travaux de sûreté post-Fukushima qui seront nécessaires pour se conformer aux demandes formulées par l'ASN à l'issue des évaluations complémentaires de sûreté, les ECS ?
À cet égard, pouvez-vous commenter le choix fait par le Gouvernement, qui s'est appuyé sur une estimation du coût des travaux d'amélioration de la sûreté, de surévaluer de 3 euros le prix de l'ARENH, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, estimé par la commission Champsaur ?
Troisièmement, pouvez-vous commenter les conclusions du rapport de la Cour des comptes de janvier 2012 concernant les charges futures - démantèlement, gestion des déchets -, y compris le mécanisme de couverture d'une partie de ces charges par des actifs dédiés ?
Les sites prévus ou en projet pour le stockage des déchets vous paraissent-ils suffisants en termes de dimensionnement, compte tenu du niveau d'activité et de la durée de vie de ces déchets ? Sinon, quel pourrait être le coût supplémentaire induit par une extension de ces sites ?
Quatrièmement, pouvez-vous commenter le régime actuel de responsabilité civile en cas d'accident nucléaire, ainsi que les dispositions contenues à cet égard dans le projet de loi n° 481 (2011-2012), déposé au Sénat le 21 mars 2012 ?
Les différents risques liés à l'exploitation de centrales nucléaires, y compris en cas d'accident majeur, peuvent-ils être couverts par un système de type assurantiel ?
Le CODIRPA, le Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle d'un accident nucléaire ou d'une situation d'urgence radiologique, créé en 2005 pour définir une gestion des conséquences d'un accident nucléaire, étudie-t-il la question du coût financier d'un tel accident ?
Cinquièmement, d'un point de vue stratégique, comment peut-on concilier la nécessité de planifier longtemps à l'avance le remplacement des centrales nucléaires avec les incertitudes sur leur durée de vie, celles-ci découlant aussi bien du principe des visites décennales, qui peut conduire l'ASN à interdire la poursuite de l'exploitation, que du manque d'expérience concrète sur le vieillissement des centrales nucléaires au-delà de l'âge de trente ans en France ?
Vous avez la parole, monsieur Lacoste. Après votre exposé, nous conclurons votre audition par une série de questions-réponses.
Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de m'avoir invité à intervenir devant vous aujourd'hui.
Il est très important pour une institution comme l'Autorité de sûreté nucléaire, autorité administrative indépendante qui ne rapporte pas devant le Gouvernement, de rapporter devant le Parlement et ses différentes commissions. Pour des raisons évidentes, nous avons des rapports privilégiés avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, devant lequel nous sommes très régulièrement amenés à intervenir. Nous considérons que c'est à la fois un honneur, un devoir et une pratique normale.
Avant de répondre aux différentes questions que vous m'avez posées, permettez-moi de vous rappeler quels sont les deux grands types d'activités de l'ASN.
En premier lieu, nous contrôlons la sûreté et les mesures de radioprotection de ce que nous appelons les « grosses bêtes » - elles sont au nombre de 150 -, dont les réacteurs d'EDF, les installations de La Hague et les réacteurs de recherche.
En second lieu, nous surveillons le nucléaire de proximité. Cette activité, qui n'entre pas dans le champ des travaux de votre commission d'enquête aujourd'hui, est fondamentale pour nous. Nous contrôlons l'utilisation des sources radioactives dans de nombreux domaines, essentiellement dans le secteur médical, mais aussi dans l'industrie et dans la recherche. Actuellement, nous nous occupons principalement de la radioprotection des patients, à la suite des accidents survenus à Épinal, ainsi que de la croissance des doses reçues par les patients en matière de radiographie. La surveillance des « grosses bêtes » n'est donc que l'un de nos deux axes de travail.
J'en viens aux cinq questions que vous m'avez posées. J'évoquerai tout d'abord l'EPR, puis je répondrai dans l'ordre aux questions suivantes.
L'EPR est le premier réacteur de puissance construit en France depuis longtemps. Il n'a pas été édifié de tel réacteur dans notre pays depuis ceux de Chooz et de Civeaux, soit une interruption de pratiquement vingt ans.
Nous surveillons de très près la construction de l'EPR. Ce contrôle a débuté avant même le démarrage du chantier. Il faut se souvenir que la conception de l'EPR, au début des années quatre-vingt-dix, est le résultat d'une prise de position de l'Autorité de sûreté nucléaire. À l'époque - en 1991 -, mon prédécesseur avait écrit à EDF, au CEA et à Framatome qu'il n'était plus question de construire en France des réacteurs de type N4, qu'il fallait tenir compte de l'accident de Tchernobyl et passer à une génération plus sûre. Cette prise de position a conduit à l'étude d'un nouveau type de réacteur.
Ce réacteur a d'abord été franco-français, puis franco-allemand. Dans les années quatre-vingt-dix, l'ensemble des acteurs français et allemands ont travaillé ensemble. Je me souviens en particulier que mon homologue allemand et moi-même avons pris des positions communes sur les options de sécurité de l'EPR. Nous connaissons donc l'EPR depuis longtemps. Il résulte d'un certain nombre de prescriptions de l'ASN.
Depuis le début, nous avons effectué plus d'une centaine d'inspections sur le chantier de l'EPR et une cinquantaine d'inspections dans les services centraux d'EDF, ainsi que chez les fournisseurs et chez les sous-traitants.
Depuis le début, nous nous attendions à rencontrer un certain nombre de difficultés, dues à la nécessité de réapprendre ce qu'est la construction de réacteurs de puissance. À cet égard, je me souviens avoir été invité, il y a quelques années, à participer à une réunion organisée par nos homologues américains, les commissaires de la Nuclear regulatory commission, avec les chefs des autorités de sûreté de la Finlande, du Japon et de Taïwan. Les Américains souhaitaient savoir si nous avions des conseils à leur donner en matière de surveillance, dans l'hypothèse où ils recommenceraient à construire des réacteurs de puissance aux États-Unis. Je leur avais alors dit qu'ils allaient se heurter au problème du relearning, c'est-à-dire qu'ils allaient devoir réapprendre à construire et à surveiller la construction d'un réacteur. Chacun dans notre domaine - c'est le cas de l'Autorité de sûreté, mais aussi d'EDF et de ses sous-traitants -, nous avons oublié ce que nous avions l'habitude de faire.
Aujourd'hui, nous sommes exactement dans cette situation. Ainsi, les difficultés de Bouygues avec le béton s'expliquent clairement par un manque d'habitude de la qualité nucléaire. Si nous avons arrêté la construction d'un pressuriseur fabriqué en Italie par une filiale de Krupp pour le compte d'AREVA, c'est précisément parce que ce sous-traitant ne s'est pas donné les moyens de respecter les normes de qualité et de sûreté du nucléaire. L'épisode le plus récent intervenu sur le pont polaire s'explique lui aussi, de manière flagrante, par un manque de qualité.
Autrement dit, nous faisons face à un manque d'habitude en matière de construction. Il en résulte des difficultés qui, parfois, peuvent se résoudre facilement mais qui, d'autres fois, imposent un arrêt du chantier. Nous avons ainsi déjà interrompu deux fois le chantier à cause de problèmes de bétonnage. Il arrive que ces difficultés entraînent des retards lorsque c'est EDF elle-même qui constate les défauts. Ce processus de réapprentissage est très frappant, mais il n'est pas étonnant.
Chacun nourrit bien sûr l'espoir que ce réapprentissage servira si de nouveaux réacteurs EPR devaient être construits en France ou dans le monde, mais il est clair que ce processus est extrêmement prégnant et important.
Si vous me le permettez, je m'en tiendrai là, mais je répondrai bien volontiers aux questions que vous souhaiteriez me poser sur ce sujet.
Vous m'avez ensuite interrogé sur le montant des travaux de sûreté post-Fukushima. Clairement, Fukushima est un événement majeur, au même titre que Tchernobyl et Three Miles Island. Il y aura un post-Fukushima comme il y a eu un pré-Fukushima, et comme ce fut d'ailleurs le cas pour Tchernobyl et Three Miles Island. Il y a beaucoup de leçons à tirer de cet accident. Une difficulté, classique lorsque survient ce genre d'événement majeur, c'est que la compréhension complète du phénomène prendra du temps. J'ai le souvenir que, après l'accident de Three Miles Island, six ans avaient été nécessaires pour être sûr que le coeur du réacteur avait bien fondu. Or, pendant ce temps, des scientifiques continuaient d'affirmer que le coeur du réacteur n'était pas entré en fusion.
Selon nous, il faudra peut-être dix ans pour être totalement sûr d'avoir compris Fukushima. Si nous pouvons d'ores et déjà tirer un certain nombre de conséquences évidentes de cet accident, il n'est toutefois pas exclu que, au fil du temps, lorsque nous aurons une compréhension plus fine de ce qui s'est passé, nous soyons amenés à revenir sur certaines de nos prescriptions, car elles ne seront plus fondées. C'est très inconfortable d'un point de vue intellectuel, cela peut être très coûteux, mais il faut être clair : cela fait partie des possibilités.
Il est apparu rapidement que deux types de conséquences devaient être tirés de Fukushima : les stress tests, sur le plan européen et les évaluations complémentaires de sûreté, à l'échelon français. Le lancement des stress tests a été décidé lors du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011. Quant aux évaluations complémentaires de sûreté, elles nous avaient été demandées par écrit quelques jours auparavant par le Premier ministre, François Fillon.
Un club de chefs d'autorités de sûreté, la WENRA - la Western European Nuclear Regulators' Association -, avait anticipé ces demandes. Nous avions donc commencé à rédiger un cahier des charges, lequel a été approuvé. Les stress tests et les évaluations complémentaires de sûreté ont donc été lancés. Sur le plan européen, ces tests concernent les seuls réacteurs de puissance. À l'échelon français, nous avons décidé de les étendre et de procéder à des évaluations complémentaires de sûreté à la fois sur les réacteurs de puissance et sur l'ensemble des installations concernées par Fukushima, en particulier celles qui comprennent des piscines avec du combustible usé. Les évaluations n'ont donc pas porté seulement sur les cinquante-neuf réacteurs de puissance - les cinquante-huit réacteurs en fonctionnement, ainsi que l'EPR de Flamanville -, mais sur quatre-vingts installations.
En outre, la France a décidé de porter une attention particulière aux facteurs sociaux, humains et organisationnels. Nous l'avons décidé parce que cela nous paraissait tout à fait fondé, mais également à la demande d'un certain nombre de parties prenantes, dont, très clairement, les syndicats. Nous n'avons pas encore traité ce sujet, mais il est clair pour nous que c'est un point très important.
Nous avons lancé le processus en France en demandant aux exploitants de nous remettre des rapports, conformément au cahier des charges élaboré à l'échelle européenne, ce qu'ils ont fait au mois de septembre. Ces rapports ont ensuite été analysés par notre expert technique, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, et par le groupe permanent d'experts, lequel était très largement ouvert. Pendant trois jours, nous avons réuni plus de 200 personnes, des experts français et étrangers, des associations environnementales. À l'issue de cette réunion, nous avons pris des positions, que nous avons rendues publiques dans un rapport remis au Premier ministre le 3 janvier dernier et à l'occasion d'une conférence de presse ce même jour.
L'ASN a pris des positions de principe, qu'elle s'attache désormais à traduire en décisions juridiquement opposables.
Trois décisions ont été prises concernant les réacteurs de puissance.
Tout d'abord, nous avons décidé de mettre en place un noyau dur. Ce concept a été proposé par EDF et mis en forme par l'IRSN. Nous considérons en effet que les installations nucléaires, en particulier les centrales, doivent comprendre une partie plus résistante que les autres aux agressions externes. Il a donc été décidé de mettre en place dans ces installations un centre de gestion de crise et un diesel d'ultime secours bunkerisés.
Ensuite, EDF a proposé la mise en place d'une force d'intervention rapide, ce qui nous paraît être une bonne idée. Il s'agit de pouvoir envoyer sur le site d'un accident grave à la fois des personnes compétentes et du matériel supplémentaire.
Enfin, nous étudions la faisabilité de dispositifs supplémentaires de protection des eaux souterraines en cas d'accident grave. Ce sujet est techniquement plus délicat, mais il nous paraît s'imposer.
Telles sont les dispositions que nous avons prises à la suite de l'accident de Fukushima. Nous nous efforçons désormais de les traduire en décisions. À cet égard, nous avons déjà préparé des projets de décisions, mais la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire nous impose de consulter EDF au préalable. L'ASN a auditionné EDF sur ces sujets ce matin. Nous prendrons les décisions qui s'imposent d'ici au mois de juin prochain, en tenant compte des observations d'EDF.
Quant au coût des évaluations complémentaires de sûreté, il a été estimé de façon sommaire par EDF. Selon l'exploitant, le coût de l'ensemble des mesures que nous imposerons sans doute - encore une fois, les décisions ne sont pas prises, le détail n'est pas connu, il s'agit donc d'une évaluation très sommaire - pourrait être de l'ordre de 10 milliards d'euros. Nous n'avons pas d'éléments permettant de mettre en doute cette somme, laquelle nous paraît assez vraisemblable, compte tenu de ce que nous pensons savoir des différents éléments en cause.
Vous m'avez ensuite interrogé sur les conclusions du rapport que la Cour des comptes a rendu public en janvier 2012.
Pour commencer, je dois dire que nous avons travaillé en liaison très étroite avec la Cour des comptes, qui nous a auditionnés et à qui nous avons fourni un certain nombre d'éléments. Nous avons répondu à son projet d'observations, d'autant plus volontiers que nous avions le sentiment que le travail de fonds qu'elle effectuait était depuis longtemps nécessaire.
La filière électronucléaire en France supporte un certain nombre de charges et de coûts importants en matière de démantèlement, de gestion des déchets et de provisionnement. Or ces coûts n'ont selon nous fait l'objet que d'études imparfaites ou incertaines, pour ne pas dire grossières.
Nous avons l'impression que, sur un certain nombre de sujets, la Cour des comptes a effectué des investigations et des expertises sérieuses. Nous partageons très largement l'ensemble des conclusions auxquelles elle est arrivée, dont l'une des plus importantes, à savoir qu'il n'y a pas de coûts masqués. Comme elle, nous pensons qu'un certain nombre de coûts doivent être précisés, en particulier celui du stockage sur le futur site de Bure, s'il est autorisé, car il s'agit clairement d'une dépense massive. Le coût du démantèlement et un certain nombre d'éléments de cette nature doivent également être affinés. Il y a très sûrement là matière à investigations.
J'ajoute que la couverture financière des charges futures, point que nous avions déjà soulevé et sur lequel la Cour a insisté dans son rapport, est pour nous un sujet important. La loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs est tout à fait claire à cet égard. Elle prévoit que les provisions constituées pour faire face aux charges d'avenir doivent être gagées sur des actifs suffisamment sûrs et liquides. Nous considérons donc qu'il est anormal que l'État contourne régulièrement les dispositions de cette loi en autorisant que figurent dans ces provisions des actions de filiales, voire des engagements de l'État, dont on sait malheureusement ce qu'ils valent parfois. Je le répète : la loi prévoit très clairement que ces provisions doivent être constituées de véritables actifs, mobilisables et sûrs.
Votre quatrième question, monsieur le rapporteur, portait sur les accidents nucléaires. Je commencerai par rappeler, comme l'affirme constamment l'ASN depuis sa création, que personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais d'accident nucléaire en France. On peut le dire sous une deuxième forme : un accident nucléaire en France ne peut jamais être exclu. On peut encore le dire sous une troisième forme : l'improbable est possible. Quelle que soit la façon dont on le dit, le fait est que personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais d'accident nucléaire en France, a fortiori en Europe. C'est une donnée dont il faut tenir compte.
Pour notre part, nous la prenons en compte de deux manières.
En premier lieu, nous multiplions les exercices de sûreté nucléaire. Nous en effectuons entre dix et douze par an, en essayant de mobiliser autant que possible l'ensemble des parties prenantes, et en y associant, lorsque c'est faisable, des exercices d'évacuation, même de portée limitée.
En second lieu, nous réfléchissons au post-accidentel. Dès 2005 - cela ne date pas d'hier ! -, nous avons demandé au Premier ministre de nous confier une mission de réflexion sur ce sujet. Il s'agit d'évaluer toutes les conséquences d'un accident et de prévoir la gestion des populations éventuellement évacuées, des territoires, des récoltes, du bâti et de l'eau.
Une telle réflexion est extrêmement difficile à mener. À ma connaissance, la France est le seul pays à l'avoir engagée. Nous avons tenu deux colloques internationaux sur ce sujet et nous allons prochainement publier un rapport dans lequel nous proposons au Gouvernement de prendre un certain nombre de mesures. Le fait que nous ayons lancé cette étude, de façon parfaitement publique, et à laquelle trois cents ou quatre cents personnes ont participé, montre bien que nous gardons présent à l'esprit la possibilité d'un accident nucléaire.
J'évoquerai maintenant le coût d'un accident nucléaire. Il est important de se faire une idée du coût possible d'un tel accident. Selon une étude de l'IRSN, le coût moyen d'un accident modéré s'élèverait à 70 milliards d'euros. En revanche, il n'est pas facile d'estimer le coût des accidents de Fukushima et de Tchernobyl, car cela implique de chiffrer des dommages causés à des populations, avec ou sans morts. Comment évaluer l'évacuation des habitants d'un territoire ? Le coût de ces accidents se situe probablement entre 600 milliards et 1 000 milliards d'euros. Afin de confirmer ces estimations, nous avons voulu passer commande d'une étude sur ce sujet au mois de novembre dernier, mais personne n'a soumissionné ! (M. le rapporteur rit.) Cela montre que, dans un certain nombre de domaines, nous ne disposons pas du terreau de compétences, des laboratoires ou des centres d'études nécessaires.
L'IRSN a commencé à travailler sur ce sujet, mais il est important que d'autres études soient réalisées, si possible d'ailleurs des études contradictoires, indépendantes, afin de permettre que s'engage le début d'un débat. Comment calcule-t-on le coût d'un accident nucléaire ? Que signifie la responsabilité nucléaire civile ? Est-il possible d'imaginer couvrir un accident par l'assurance ? Cela a-t-il un sens compte tenu des sommes en jeu ?
Voilà dix jours, nous avons participé, à Washington, à un séminaire à l'université Georges Washington. À cette occasion, j'ai été frappé d'entendre un économiste fondamentalement libéral déclarer que, à partir d'un certain niveau de gravité, seul l'État, s'il est assez fort et puissant, peut in fine prendre en charge les coûts d'un accident nucléaire. Nous le savons, si un accident semblable à celui de Fukushima survenait en Slovénie, l'État slovène n'y résisterait pas.
Vous m'avez par ailleurs interrogé sur les montants des responsabilités nucléaires en matière civile. Ce problème est important, mais pas majeur. Certes, nous nous réjouissons que le Gouvernement ait déposé au Sénat un projet de loi prévoyant de porter de 91,5 millions d'euros à 700 millions d'euros le plafond de la responsabilité des exploitants nucléaires. Toutefois, vous le savez, cette somme ne couvre que la partie basse du champ.
En conclusion, sur ce sujet, comme en matière de démantèlement, il y a tout à fait matière à réaliser un certain nombre d'études. Elles seront d'abord, sans doute, peu cohérentes, puis, progressivement, le débat permettra que se dégagent des convergences.
Pour finir, vous m'avez interrogé sur la planification de la durée de fonctionnement des centrales et sur la politique énergétique.
Permettez-moi d'abord d'apporter une précision d'ordre sémantique, mais qui n'est pas innocente. Pour notre part, nous parlons non pas de durée de vie des centrales, mais de durée de fonctionnement, parce que, pour nous, la durée de vie d'une centrale comprend la durée de construction, le temps de fonctionnement et la durée de démantèlement.
Quelle est la règle en France ? Lorsqu'une autorisation est donnée, elle l'est sans limitation explicite dans le temps. Elle est valable tant que l'installation peut être considérée comme sûre. Afin de vérifier la sûreté des installations nucléaires, nous pratiquons mille inspections par an, dont plus de la moitié - 450 ou 500 - chez EDF.
Tout d'abord, nous pratiquons des inspections au jour le jour. Nous réagissons lorsqu'un incident ou un accident se produit. Nous faisons du retour d'expérience lorsque nous apprenons qu'un événement est survenu à l'étranger.
Par ailleurs, nous effectuons un réexamen de sûreté périodique tous les dix ans. C'est la visite décennale. Lors de cette inspection, plus solennelle, nous procédons à une double vérification.
Tout d'abord, nous contrôlons si l'installation est conforme à son référentiel, aux règles qui s'appliquent à elles, si tel ou tel composant a vieilli, si des défauts n'apparaissent pas dans le béton, etc. Il s'agit de vérifications de conformité.
Ensuite, nous procédons à une réévaluation de sûreté. Nous comparons l'installation inspectée à des structures moins anciennes et plus sûres. Nous demandons à l'exploitant d'essayer de faire progresser la sûreté de son exploitation au regard de références plus récentes. Nous demandons à l'exploitant d'un réacteur de 900 mégawatts quels sont les objectifs de sûreté du réacteur EPR qui peuvent raisonnablement être appliqués à son propre réacteur.
L'objectif de nous vérification est donc double : la conformité et la réévaluation de sûreté.
Concrètement, lors d'une visite décennale, nous pouvons être amenés à prendre la décision de fermer un réacteur ou, dans le cas où nous envisageons une durée de fonctionnement inférieure à cinq ans, à prévoir des visites au jour le jour.
L'une des caractéristiques du parc français est qu'il est extrêmement standardisé.
L'avantage est double : d'abord, il est économique - surtout en ce qui concerne EDF -, ensuite, toute amélioration, tout retour d'expérience est applicable à l'ensemble des réacteurs et accroît la sûreté du parc.
L'inconvénient de cette standardisation tient au fait qu'en cas d'incident ou de défaut grave, l'ensemble des réacteurs seraient affectés. La nation se trouverait alors dans une situation difficile. Concrètement, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire se verrait contraint de se tourner, selon « l'air du temps », vers le Président de la République ou vers le Premier ministre, à qui il appartiendrait de faire un choix, celui-ci ne relevant pas de l'ASN. Il s'agirait de décider si on coupe l'électricité ou si on accepte que les réacteurs fonctionnent dans un état de sûreté dégradé. Nous faisons bien sûr tout pour éviter qu'il en soit ainsi. Chaque fois qu'un défaut est trouvé, nous demandons s'il est générique. Nous essayons de faire de la prévention.
Toutefois, je le répète, il est possible que le fonctionnement des installations soit arrêté, de façon unitaire ou collective, à tout moment, en particulier à l'occasion des réexamens décennaux.
Tout cela n'a de sens que si notre politique énergétique est suffisante pour éviter un conflit entre sûreté nucléaire et sécurité énergétique, sujet de préoccupation pour nous. Nous avons en effet par moments l'impression que, faute d'investir dans de nouvelles capacités de production - peu nous importe qu'elles soient nucléaires ou autres -, notre pays risque de faire face à un conflit : le maintien en fonctionnement d'une partie de son parc nucléaire et l'approvisionnement français.
Nous craignons qu'un tel conflit ne survienne. La Cour des comptes, elle, va plus loin. Elle considère qu'une décision implicite de prolongation de la durée de fonctionnement du parc nucléaire a d'ores et déjà été prise, faute de capacités alternatives. C'est pour nous un souci important.
Le rendez-vous des dix ans est solennel, mais il est loin d'être la seule occasion pour l'ASN d'être amenée à déclarer que telle ou telle centrale a vocation à fermer.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, telles sont les premières réponses sommaires que je peux apporter à vos questions.
Vos réponses ont peut-être été sommaires, monsieur Lacoste, mais elles ont été précises, et je vous en remercie.
Monsieur le rapporteur, avez-vous eu les informations que vous souhaitiez ou avez-vous besoin d'éclaircissements supplémentaires ?
Les deux, monsieur le président. (Sourires.)
Monsieur Lacoste, à mon tour, je vous remercie de la précision et de la franchise de vos réponses.
Vous avez indiqué que vous étiez dans une situation « inconfortable d'un point de vue intellectuel ». Je retiens cette expression. À cet égard, j'ai trois précisions à vous demander.
Premièrement, j'ai vu un petit film qui montre des inspecteurs de l'ASN examiner les sacs de déchets de la centrale de Brénnilis et demander qu'ils soient refaits. J'ai trouvé cela très bien, mais de tels contrôles ne sont pas possibles dans les endroits sensibles, par exemple dans la cuve. Qui est le garant du matériel de contrôle utilisé pour inspecter les endroits sensibles ? Ces contrôles sont-ils effectués par EDF ? Quel est votre degré d'autonomie en matière de contrôle technique dans les endroits inaccessibles ?
Deuxièmement, vous avez déclaré que des enseignements pouvaient être tirés de Fukushima et que cinq ou six années seraient nécessaires pour bien comprendre cet accident. Ne vous paraît-il pas drôle - le mot n'est pas bien choisi, je l'admets - de vous rendre compte qu'il se passe des choses imprévues ? À l'avenir, comment envisagez-vous de faire face à de nouveaux imprévus ?
Troisièmement, vous avez indiqué qu'il pourrait y avoir un conflit entre la sécurité énergétique et la poursuite de l'exploitation des centrales. Je vous remercie de votre franchise, car, souvent, lorsqu'on demande à la population s'il faut ou non prolonger la durée de fonctionnement des centrales, elle se réfère à l'Autorité de sûreté nucléaire. Or vous nous dites aujourd'hui que l'on pourrait être amené à choisir entre la sécurité énergétique et une sécurité nucléaire de haut niveau, et qu'un tel choix ne relève pas de votre fonction.
Mes questions, vous l'aurez compris, visent à mieux définir l'inconfort intellectuel que vous avez évoqué.
Vous souhaitez savoir, monsieur le rapporteur, comment on vérifie l'état du matériel de contrôle dans les endroits sensibles d'une installation ou d'une centrale.
Tout d'abord, je rappelle qu'en matière de sûreté nucléaire, il existe un principe fondamental, lequel figure et dans les Safety fondamentals de l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique, et dans la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire : le premier responsable de la sûreté d'une centrale, c'est l'exploitant. Si celui-ci est globalement considéré comme non fiable, alors sa licence d'exploitation doit lui être retirée. C'est extrêmement clair. Il est tout à fait normal que ce soit EDF qui soit chargé en premier lieu de vérifier l'état de ses installations, de son matériel et de prendre l'ensemble des mesures nécessaires.
Pour sa part, l'ASN dispose de moyens de vérification, avec l'assistance technique de l'IRSN. Nous pouvons faire appel à des tierces parties.
À titre d'exemple, j'évoquerai le cas du bétonnage de Flamanville 3 : n'étant pas nous-mêmes directement experts en bétonnage, nous avons fait appel aux personnels compétents dans ce domaine de l'IRSN. Autre exemple : un certain nombre d'éléments font débat concernant la capacité de la cuve des réacteurs à aller au-delà de trente ans. L'une de nos divisions spécialisées, la division des équipements sous pression nucléaire, et un groupe d'experts français et étrangers travaillent sur ces questions. Nous ne sommes donc pas dépourvus d'expertise d'un point de vue technique.
Toutefois, je le répète, ce système ne fonctionne que si nous pouvons considérer, ce qui est le cas, que les exploitants sont dignes d'une certaine confiance. Si cette confiance disparaît, il ne reste qu'une solution : le retrait de la licence d'exploiter.
Vous me demandez également s'il ne me paraît pas « drôle » de constater que nous sommes amenés à découvrir un certain nombre d'éléments nouveaux après Fukushima ?
Lorsque survient un accident comme celui de Fukushima, il convient d'éviter tout réflexe d'orgueil. Il ne faut pas refuser de regarder la réalité, de reconnaître qu'il y a des éléments nouveaux. L'orgueil est extraordinairement mauvais conseiller dans ce genre de situation.
À cet égard, permettez-moi de vous raconter une anecdote. Récemment, un incident, que je considère grave, s'est produit en Corée du Sud. L'opérateur a masqué cet incident afin, semble-t-il, de préserver l'honneur national. Il est intéressant de voir ce à quoi peut conduire le concept dévié d'honneur national !
La catastrophe de Fukushima a eu lieu ; nous ne sommes pas sûrs d'avoir tout compris de cet accident ; nous prenons les mesures qui nous paraissent les plus nécessaires dans l'immédiat, sans faire preuve d'orgueil.
Au Japon, les évaluations complémentaires de sûreté portent sur trois sujets : les agressions naturelles - tsunamis, tremblements de terre, inondations, ... -, les pertes d'alimentation électrique et de refroidissement, ainsi que la gestion de crise.
Selon certains, l'hypothèse qu'un tsunami se produise en Europe n'est pas crédible. Dans un pays comme la France, l'équivalent d'un tsunami serait la rupture consécutive d'un certain nombre de barrages successifs sur un cours d'eau. Nous étudions donc cette hypothèse. Jusqu'à présent, on considérait qu'elle était tellement improbable qu'on ne la prenait pas en compte. Aujourd'hui, nous n'avons pas honte de dire qu'il faut l'étudier. Il ne faut pas faire preuve d'orgueil. Nous devons tirer les enseignements de Fukushima, en fonction des informations dont nous disposons.
Certaines situations peuvent être inconfortables d'un point de vue intellectuel. Ainsi, pour le moment, on considère que, à Fukushima, le tsunami a été bien plus dévastateur que le tremblement de terre. Au fil du temps, nous apprendrons peut-être qu'il n'en est pas ainsi.
Encore une fois, il nous appartient de tirer partie le plus possible des retours d'expérience, sans pudeur, sans honte. Nos collègues étrangers font la même chose.
J'en viens à la sécurité énergétique, objet de votre troisième question. Il s'agit en effet pour nous d'un sujet fondamental. Permettez-moi simplement de vous corriger sur un point : si un jour survenait un conflit patent entre le maintien en fonctionnement de réacteurs, lesquels ne seraient pas suffisamment sûrs à nos yeux, et l'approvisionnement en électricité de la France, il est tout à fait clair que ce n'est pas l'Autorité de sûreté nucléaire qui trancherait. Cette question est trop capitale. Il ne nous revient pas de prendre toutes les décisions pour le bonheur du monde. Nous ferions alors un rapport au Premier ministre ou au Président de la République. Sur un tel sujet, c'est soit au plus haut niveau de l'exécutif, soit au Parlement de prendre position. À l'évidence, nos responsabilités ont des limites.
J'ai quatre questions à vous poser, monsieur Lacoste.
J'ai bien écouté ce que vous avez dit concernant les contrôles inopinés que vous effectuez. Par ailleurs, nous le savons tous, des incidents surviennent régulièrement dans nos centrales.
Première question : comment l'ASN intervient-elle ? Les incidents sont notés de 1 à 7, me semble-t-il, le niveau 1 qualifiant l'incident le moins grave. L'ASN se déplace-t-elle même après les incidents de niveau 1, soit immédiatement, soit après un certain temps ?
Deuxième question, en ce qui concerne la constitution des actifs dédiés, vous avez déclaré que les actifs provisionnés par EDF, lesquels sont gagés sur des actions de RTE, n'étaient pas de véritables actifs. Pourriez-vous préciser votre pensée ?
Troisième question, vous avez estimé à 10 milliards d'euros le montant des travaux de sûreté nécessaires après Fukushima. J'ai beaucoup apprécié l'honnêteté dont vous avez fait preuve sur ce sujet. Vous avez indiqué qu'il s'agissait d'une estimation sommaire, et ce pour deux raisons. La première est qu'il n'est pas impossible que ce montant soit revu - à mon avis, il ne peut qu'augmenter - compte tenu des réponses que l'exploitant apportera à l'ensemble de vos observations. La seconde est qu'il faudra probablement non pas six ans, comme après Three Miles Island, mais dix ans pour tirer tous les enseignements de Fukushima. L'addition risque donc d'augmenter au fil du temps. Même s'il ne vous est pas possible de nous donner une estimation précise, j'aimerais avoir votre sentiment sur cette question.
Ma quatrième et dernière question porte sur l'Europe. J'aimerais connaître l'avis de l'Autorité que vous représentez, et pour laquelle j'ai beaucoup de respect, sur les contrôles post-Fukushima. À un moment, l'Europe a souhaité effectuer ces contrôles. La France - et le Gouvernement français n'est pas le seul - a alors réagi assez vivement. Considérant qu'elle savait prendre ses responsabilités, qu'elle avait une Autorité de sûreté qu'elle jugeait compétente et en laquelle elle avait toute confiance, elle a indiqué qu'elle allait procéder elle-même à ces évaluations.
J'aimerais connaître votre avis sur les avantages et sur les inconvénients de ces deux approches. Je partage l'avis du Gouvernement sur vos compétences, sur votre autorité et votre indépendance, mais un contrôle européen n'aurait-il pas été utile, en particulier dans certains pays dont les autorités de sûreté n'ont ni vos moyens ni vos compétences ?
En ce qui concerne votre première question, il faut savoir que les incidents qui surviennent dans les centrales sont cotés suivant une échelle graduée de zéro à huit. Pour les coter le plus rapidement possible, nous utilisons l'échelle INES, de l'anglais International Nuclear Event Scale, qui est une échelle de communication et non une échelle technique. Nous ne pouvons pas attendre trois mois pour classer ex-post un incident.
À Fukushima, par exemple, les Japonais ont systématiquement classé l'importance de l'événement avec retard, en le qualifiant d'abord de niveau 4, puis de niveau 6, pour finir au niveau 7, ce qui n'est pas justifié. L'ASN avait annoncé deux ou trois jours après l'accident qu'elle estimait son importance supérieure à celle de Three Mile Island et inférieure à celle de Tchernobyl et que, si l'accident se produisait en France, elle le classerait au niveau 6. Si vous déclarez d'emblée l'importance de l'événement, vous êtes plus à l'aise pour communiquer.
Les exploitants nous proposent un classement de l'incident, nous vérifions ce qu'il en est et arrêtons, in fine, son niveau.
Chaque année, en France, environ 140 incidents de niveau 1 affectent les installations nucléaires et quelques-uns les transports. Tout incident de niveau 1 fait l'objet d'une inspection de notre part. Sur les 1 000 inspections que j'évoquais, 20 à 25 % sont inopinées, d'autres sont thématiques, certaines sont réactives, consécutives à la survenue d'un incident, d'autres encore sont des inspections de revue, au cours desquelles une nuée d'inspecteurs est déployée sur un site pour l'étudier de fond en comble. Une inspection réactive peut nous amener à reclasser après coup un incident à un niveau supérieur. Je précise que la façon dont nous appliquons l'échelle INES, qui est à nos yeux fondée, est considérée à l'étranger comme « rude ».
S'agissant des provisions, nous avons été choqués par deux épisodes récents. D'une part, quand le Gouvernement a buté pour trouver des provisions conformes à la loi, il a publié un décret permettant de contourner l'esprit de la loi. C'est typiquement le cas des actions de RTE.
D'autre part, certaines situations me paraissent rigoureusement contraires à la loi : c'est ainsi qu'une partie des provisions pour le démantèlement du CEA s'est transformée en créances sur l'État. Nous sommes nombreux à ne pas avoir une très haute opinion de la valeur d'une créance sur l'État dans un tel domaine. Historiquement, le démantèlement d'une installation nucléaire s'est déjà trouvé en grand péril faute d'un financement qui devait être assuré directement par l'État.
C'est cet aspect de la question qui nous fait peur. Le démantèlement est un sujet important et de longue haleine. Lorsque débute un démantèlement, il faut être sûr de pouvoir le mener jusqu'à son terme. Si on l'émiette en épisodes correspondants aux financements, on se met dans une situation à la fois inefficace et pendable.
L'épisode concernant les actions de RTE me paraît moins grave que celui des créances sur l'État, mais tous deux sont une façon de contourner l'esprit de la loi.
M. le président. RTE est une valeur sûre !
Certes, mais ce n'est pas du tout l'esprit de la loi - j'ai participé à son élaboration en tant que fonctionnaire - qui prévoit des actifs dédiés. J'ajoute que les créances croisées entre exploitants nucléaires sont actuellement admises comme provisions, ce qui est également contraire à l'esprit de la loi.
En ce qui concerne l'évaluation préliminaire du coût des mesures que nous avons imposées à EDF, nous rendrons une décision d'ici au 30 juin. J'ai le sentiment - j'emploie à dessein un terme d'ordre qualitatif - qu'une évaluation de quelque 10 milliards d'euros est le bon ordre de grandeur. Je ne peux pas vous garantir qu'elle ne s'élèvera pas à 8 milliards d'euros ou à 12 milliards d'euros.
En ce qui concerne l'Europe, nous avons déjà eu cette discussion, monsieur le président, en une autre occasion. L'une des difficultés d'un contrôle européen en matière de sûreté nucléaire tient au fait que les installations nucléaires sont à la fois techniques et politiques. Certains pays, certains partis, sont contre le nucléaire. À ma connaissance, il n'existe pas de pays ou de parti contre l'industrie chimique ou métallurgique. Dans un certain nombre de cas, le nucléaire est donc considéré comme devant entraîner la nécessité d'une prise de position politique « pour » ou « contre ».
À ce titre, le nucléaire s'apparente aux organismes génétiquement modifiés. La comparaison est très frappante. En ce qui concerne les OGM, il a été pris le parti de donner à l'Union européenne le pouvoir d'autoriser les semences. Il est fascinant d'observer que, dès que la décision prise à Bruxelles ne convient pas à un pays, il s'attache à prendre des mesures réglementaires pour la contourner, voire la heurter, pour employer un terme plus « rude ».
S'agissant des installations nucléaires, nous pourrions nous trouver confrontés à des situations de ce genre, un pays considérant que faire tourner ou continuer à faire tourner une centrale nucléaire peut justifier de ne pas obéir à une injonction de Bruxelles. C'est le scénario que j'ai en tête. Il faut néanmoins favoriser autant que possible l'harmonisation et la cohérence à l'échelle européenne.
À la suite de la décision du Conseil européen, un cahier des charges unique a été approuvé par l'ENSREG, European Nuclear Safety Regulators Group, et par la Commission. Dix-sept rapports nationaux ont été élaborés, dans leur majorité de façon sérieuse - quinze pays de l'Union européenne, la Suisse et l'Ukraine -, et un processus de revue par les pairs, ou peer review, est en cours. Cette revue par les pairs, qui mobilise quelque 200 experts, est pilotée par l'un des commissaires de l'Autorité de sûreté nucléaire française, Philippe Jamet, qui fut directeur de la sûreté nucléaire à l'AIEA, et est donc féru de relations internationales.
Cette revue par les pairs analyse les rapports nationaux par sujet : les agressions naturelles, la perte de fonction de sûreté, la gestion de crise. Elle comporte une visite de centrale dans chaque pays et doit aboutir à un rapport sur les stress tests, présenté à l'ENSREG le 25 avril, qui doit servir de base au rapport que la Commission transmettra au Conseil européen.
Un processus d'harmonisation est donc en cours. Il a pour objectif de formuler quelques recommandations, quatre ou cinq idées que le Conseil européen recommanderait aux différents pays de creuser. Nous sommes très porteurs du concept de « noyau dur ». C'est typiquement un sujet qu'il serait intéressant que chaque pays essaie d'appliquer sur son territoire. Le processus d'harmonisation engagé n'est pas extrême, il avance au cas par cas, mais va, selon moi, dans le bon sens.
Le noyau dur est la partie de l'installation qui est davantage protégée contre les agressions, en particulier le centre de gestion de crise bunkerisé et le diesel d'ultime secours.
Monsieur Lacoste, je vous remercie de votre propos. Je vous poserai trois questions.
Premièrement, on nous a affirmé qu'un réacteur nucléaire n'avait a priori pas de durée de fonctionnement et que seul le contrôle décennal déterminait si le réacteur pouvait repartir pour dix ans, et ainsi de suite. Ce propos s'appuyait sur l'exemple américain, qui prévoit un prolongement assez long de la durée de fonctionnement des centrales. Partagez-vous cette analyse ?
Ma deuxième question a trait au rôle de votre institution. Vous paraît-il possible de garantir un nucléaire sûr en l'absence d'autorité de sûreté indépendante ? Dans les pays qui refusent l'existence d'une telle autorité, le nucléaire peut-il selon vous néanmoins être sûr ? Vous avez évoqué l'incident survenu en Corée du Sud. La question s'est posée à plusieurs reprises et j'aimerais connaître votre sentiment.
Ma troisième question porte sur l'étendue de vos contrôles. Évaluez-vous les compétences des personnels affectés au fonctionnement des réacteurs ? La sous-traitance entre-t-elle dans le champ de votre pouvoir de contrôle ?
Enfin, chaque année, l'ASN publie un rapport sur la base des déclarations de l'opérateur, ce qui suppose un fonctionnement de confiance.
En l'état actuel du droit français, l'autorisation accordée à une installation est sans limitation de durée ; celle-ci peut fonctionner aussi longtemps qu'elle est considérée comme sûre.
L'ASN vérifie qu'elle est sûre à la fois au jour le jour par des inspections - 1 000 par an -, dont des inspections réactives après un incident, et par un rendez-vous plus solennel tous les dix ans. C'est la façon de faire française et, généralement, européenne, mais pas américaine. Nous essayons de convertir les Américains à la révision périodique de sûreté, Periodic Safety Review en anglais, mais nous avons beaucoup de mal.
Je précise que le Japon ne pratiquait pas les révisions périodiques de sûreté tous les dix ans. Tout laisse penser que les réacteurs General Electric de Fukushima n'avaient guère évolué depuis l'origine. En France, ces réacteurs auraient été « mis au goût du jour » autant que possible, au moins tous les dix ans.
L'indépendance de l'autorité de sûreté se conquiert au fil du temps. Entre la création de l'autorité française, en 1973, et la loi TSN, votée par l'immense majorité des partis en 2006, trente-trois ans se sont écoulés. Notre indépendance a crû, d'abord de facto, puisque nous n'avons guère reçu d'ordres lorsque nous dépendions de ministres, ensuite de jure, par la loi du 3 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
L'indépendance se construit pas à pas. Certains pays sont dans un état intermédiaire : il y a ceux où l'autorité de sûreté peine à sortir d'un statut équivalant au CEA, ceux où l'autorité est davantage évoluée. D'autres pays me paraissent matures, comme les États-Unis et le Canada.
C'est le résultat d'un long processus qui n'est pas simple. Dans de nombreux pays, le pouvoir politique considère qu'il n'est pas normal de déléguer un pouvoir régalien de ce type à une autorité indépendante. En 1999, le Conseil d'État avait émis un avis défavorable sur la création d'une autorité administrative indépendante dans un domaine aussi fondamental que la sûreté nucléaire. Le Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin, avait jugé qu'il ne pouvait passer outre. La loi n'a donc été votée qu'en 2006.
Il s'agit par conséquent d'un sujet politiquement sensible. Nous observons une évolution en ce sens : la Corée du Sud vient de créer une autorité ayant vocation à être indépendante et le Japon va essayer d'améliorer la situation. C'est très difficile.
Sur le point de savoir si nous contrôlons les compétences de la sous-traitance, la réponse est « oui ». Nous sommes convaincus que la sûreté nucléaire dépend non pas uniquement, loin de là, de questions mécaniques - béton, construction - mais aussi, fondamentalement, de compétences humaines.
J'ai évoqué tout à l'heure les facteurs sociaux, organisationnels et humains. Ainsi, nous n'employons jamais l'expression « erreur humaine ». Bien souvent, lorsqu'une personne commet une erreur, c'est qu'elle est mal formée ou qu'elle est dans de mauvaises conditions de travail. C'est une notion fondamentale. Le fait de punir une personne lorsqu'une erreur a été commise n'est pas la chose à faire : il faut essayer de comprendre pourquoi cela s'est produit.
C'est l'un des sujets que nous aborderons au sein du groupe de travail sur les facteurs sociaux, organisationnels et humains que nous convoquerons prochainement dans le cadre des suites de Fukushima.
Enfin, vous avez évoqué un rapport annuel sur base déclarative. Je n'ai pas bien compris votre propos, madame. Chaque année, en effet, nous publions un rapport annuel.
Mme Rossignol soulignait, si j'ai bien compris, que les réponses de l'exploitant à vos questions sont déclaratives.
Nous considérons que l'exploitant a son rôle. Quand nous lui imposons quelque chose, il doit le faire. Quand nous lui posons des questions, il doit répondre. À l'évidence, c'est sa responsabilité. À nous de décider, ensuite, ce que nous faisons de sa réponse.
Nous réalisons, par exemple, 1 000 inspections par an. Nous publions les 1 000 lettres de suite sur notre site. Nous ne publions pas les réponses de l'exploitant sur notre site, parce que nous considérons qu'elles relèvent de sa responsabilité. Nous prenons ensuite les décisions qui nous paraissent adéquates.
Ma première question concerne la prolongation de la durée de fonctionnement des centrales. J'ai bien noté le souci auquel nous serions confrontés si nous nous trouvions demain dans une situation de conflit entre sécurité dégradée et fourniture d'électricité. EDF nous annonce un investissement d'environ 50 milliards d'euros pour prolonger la durée de fonctionnement du parc actuel de quarante à soixante ans. L'ASN, nous l'avons bien compris, délivre, tous les dix ans, une autorisation décennale. Les investissements de sécurité nécessaires pour obtenir l'autorisation de prolonger de vingt ans la durée de fonctionnement des centrales font certainement l'objet d'échanges entre l'exploitant et l'ASN. Où en êtes-vous de ce dialogue ? De la même manière, EDF a dû vous fournir un document décrivant comment les 10 milliards d'euros consacrés à la sécurité seraient dispatchés. Notre commission d'enquête serait ravie de disposer de ce document.
Ma première question porte donc sur ces 50 milliards d'euros : nous n'imaginons pas que l'opérateur investisse une telle somme dans une centrale que vous lui imposiez finalement de fermer.
Deuxièmement, on dit que le MOX est potentiellement plus agressif pour la cuve et pourrait conduire à une réaction accélérée. Notre force d'action rapide mettant tout de même quelques heures à intervenir, le risque d'une perte de contrôle définitive serait accru. La filière MOX, en termes de sécurité, est-elle un choix raisonnable, notamment dans une logique de prolongation de la durée de fonctionnement des centrales actuelles ?
Troisièmement, les piscines contenant des combustibles usés ont été à l'origine de nombreux problèmes à Fukushima. Depuis, pourquoi ne proposez-vous pas leur confinement ? Avez-vous envisagé, par exemple, l'hypothèse d'un avion qui viendrait s'écraser sur l'une d'elles ?
Pour conclure, s'agissant de l'EPR, qu'en est-il des problèmes posés par les systèmes de contrôle-commande ? Plus généralement, le gros oeuvre a été source de difficultés. À votre avis, de nouvelles difficultés nous attendent-elles sur la gestion du coeur du système ?
Je ne sais pas ce que recouvrent les 50 milliards d'euros annoncés par EDF, destinés à prolonger la durée de fonctionnement des réacteurs alternativement au-delà de trente ans, ou de quarante à soixante ans. Cette estimation relève de la responsabilité d'EDF.
Nous avons entamé un dialogue avec EDF sur la possibilité de prolonger la durée de fonctionnement de quarante à soixante ans. Dans ce cadre, nous avons indiqué à EDF qu'il faudrait vérifier la conformité des matériels, essentiellement les cuves et le confinement, et que nous l'interrogerions sur les progrès à réaliser pour rapprocher les objectifs de sûreté des réacteurs existants du réacteur EPR. Nous en sommes au début du dialogue. À ma connaissance, aucune évaluation, quelle qu'elle soit, n'a été produite.
Je n'ai pas du tout l'impression que l'utilisation du MOX ait la moindre conséquence sur les conditions d'intervention de la force d'action rapide.
Absolument. Si une réaction se produit, elle relève vraiment du deuxième degré. Nous n'avons aucun état d'âme sur ce point.
Vous avez évoqué les piscines de combustibles usés lors de l'accident de Fukushima. En France, nous avons étendu le champ des stress tests à un certain nombre d'installations, dont celles qui sont dotées de piscines. Nous nous sommes demandé si la piste du confinement devait être privilégiée. Nous en avons débattu avec les opérateurs. En l'état, il nous paraît préférable de prévenir autant que possible les risques de perte d'eau. Nous pourrons revenir, si vous le souhaitez, sur la question du refroidissement. La position que nous prenons est conforme à celle de la plupart de nos homologues.
En ce qui concerne le contrôle-commande de l'EPR, les réserves que nous avons posées au mois d'octobre 2009 sont levées. Une lettre sera adressée à EDF dans quelques jours et une note d'information sera diffusée. J'ajoute que cette décision est consécutive à des contacts avec nos homologues chargés du contrôle de la construction d'EPR en Chine, en Finlande et potentiellement au Royaume-Uni.
Je voudrais d'abord souligner, monsieur Lacoste, que la façon dont l'ASN exerce son autorité est une véritable assurance apportée à ceux qui croient au nucléaire. Pas une autorité de sûreté nucléaire au monde n'a votre autorité. Je le dis, car c'est souvent une façon de répondre à ceux qui, très légitimement, s'interrogent sur la fiabilité de ce secteur. Une chose est sûre : le nucléaire n'est pas entre les mains des politiques, même si vous avez soulevé un problème qui n'est pas sans nous interroger. L'ASN s'est vraiment affirmée depuis 2006.
Revenons très rapidement sur des questions assez mineures : j'aurais voulu savoir comment sont déclenchés les contrôles en cas d'incident dans une centrale nucléaire. Est-ce la déclaration de l'opérateur qui entraîne votre intervention ? Si un opérateur annonce un incident de niveau 1 ou 2, l'avez-vous déjà vérifié ? Bref, comment cela se passe-t-il quand un incident se produit ?
Concernant les actifs de RTE, je suis troublé parce que vous semblez raisonner par rapport à la législation antérieure à 2006. Vous semblez ignorer que les réseaux, notamment de transport, sont devenus des filiales à 100 % d'EDF. Vos déclarations donnent le sentiment qu'il s'agit de planètes quelque peu éloignées d'EDF. Je souhaitais avoir quelques précisions sur ce point.
Avez-vous des contacts avec Olkiluoto en Finlande et Taishan en Chine, les deux autres EPR actuellement en construction ? Y a-t-il une coopération internationale en matière de construction des réacteurs de type EPR ? Comment établir des comparaisons dans les années qui viennent ?
La semaine dernière, M. Champsaur, qui a une certaine autorité en la matière, nous a affirmé que nous étions en situation de surcapacité nucléaire et que la question de l'augmentation des capacités d'ici à quinze ans ne se posait pas. Vous n'avez pas pour mission d'évaluer les besoins de la France en termes de capacité de production d'origine nucléaire. Néanmoins, on ne peut pas complètement déconnecter votre rôle de l'appréciation qui en est faite, puisque vous avez soulevé la question très pertinente du conflit entre un problème sur un réacteur et un problème d'approvisionnement. L'ASN ne saurait donc ignorer la question de la capacité de production et des besoins en électricité.
Enfin, quel est votre avis sur la centrale de Fessenheim ?
Je suis sensible aux louanges exprimées par M. Lenoir sur l'ASN. M. le rapporteur a relevé tout à l'heure mon inconfort sur un certain nombre de sujets, et je vous prie de croire que, compte tenu des responsabilités qui sont les nôtres, nous ne sommes pas bardés de certitudes tranquilles. Une autorité de sûreté qui commence à croire qu'elle est bonne est sûrement en train de devenir mauvaise. Cela me paraît tout à fait fondamental. Avec nos homologues, nous échangeons plutôt des interrogations et nous accordons sur la nécessité de poursuivre la réflexion.
Les déclarations d'incident sont rendues obligatoires par la loi. Nous y veillons. Quand l'incident le mérite, nous réalisons une inspection. J'ajoute que nous n'hésitons pas à sanctionner. Pour prendre un exemple, le CEA a déclaré avec beaucoup de retard un incident sérieux dans l'atelier de traitement du plutonium, l'ATPU, à Cadarache. Nous avons dressé un procès-verbal et le CEA vient d'être condamné par le tribunal de Marseille. Nous ne plaisantons pas avec la nécessité de déclarer les incidents en temps utile. Elle est fondamentale et constitue la base du retour d'expérience, de l'amélioration, de la sûreté.
Les titres RTE, que vous avez évoqués, font partie des actifs relevés par l'ASN et par la Cour des comptes. Ce n'est certainement pas l'exemple le plus criant. Lorsque les charges futures du CEA sont couvertes par des titres d'AREVA et des créances sur l'État, nous sommes aux antipodes de l'esprit de la loi. Je ne vais pas au-delà, cela ne relève pas de mon domaine strict de compétences. Néanmoins, nous nous soucions de ces questions, par peur de nous trouver dans l'incapacité, un jour, de financer l'ensemble des opérations de démantèlement et de traitement des déchets.
Vous m'avez interrogé sur les échanges internationaux en matière de sûreté du réacteur EPR. Le MDEP, ou Multinational Design Evaluation Program, fondé par les autorités de sûreté américaine et française, regroupe une dizaine d'autorités de sûreté. Il comprend des groupes de travail thématiques, par exemple sur le contrôle-commande ou l'inspection, et des groupes de travail par type de réacteur, en particulier sur l'EPR. C'est dans ce cadre que nous discutons avec nos collègues américains, chinois, britanniques, finlandais et canadiens. La question du contrôle-commande est débattue soit dans le groupe EPR, soit dans le groupe contrôle-commande. C'est là que nous avons abouti à la conclusion que j'indiquais en réponse à votre question. Les différentes autorités de sûreté apportent et prennent plus ou moins, mais ce programme fonctionne.
Vous m'avez interrogé sur le phénomène de surcapacité nucléaire. Nous ne sommes pas équipés pour porter un jugement sur la capacité nucléaire. J'ai simplement souligné qu'il fallait éviter de nous trouver dans une situation de sous-capacité ou de capacité limite qui entraînerait un conflit extrêmement difficile à traiter entre sécurité et approvisionnement.
Sur la centrale de Fessenheim, notre position n'a pas évolué ces dernières semaines. Nous avons pris position deux fois. Au terme de la troisième révision décennale, en juillet 2011, nous avons tout d'abord imposé une quarantaine de prescriptions, principalement l'épaississement du radier, qui était moins épais que celui des autres centrales pour des raisons historiques, et la mise en place d'une source alternative de refroidissement destinée à suppléer la source principale. Sur ces deux points, la centrale de Fessenheim devait nous présenter un dossier avant la fin de l'année. Nous sommes en train de l'examiner.
Nous avons ensuite contrôlé la centrale au titre de la procédure post-Fukushima. À ce titre, nous avons imposé un certain nombre de mesures nouvelles, comme un noyau dur de gestion de crise - diesel d'ultime secours, centre de gestion de crise bunkerisé, force d'action rapide. Celles-ci s'appliquent à toutes les centrales d'EDF, dont Fessenheim.
Premièrement, lorsqu'un incident se produit, comme à Cadarache, ou que vous faites des préconisations, comme à Fessenheim, comment vous assurez-vous qu'elles sont suivies d'effet ? Des délais sont-ils prévus ?
Deuxièmement, ne serait-il pas temps d'apprendre à « déconstruire » une centrale nucléaire ? Je dis cela en dehors de toute polémique. Nombre de nos centrales parvenant bientôt au terme d'une durée de fonctionnement raisonnable, ne pensez-vous pas, afin que nous ne soyons pas pris de court, qu'une déconstruction tranquille, qui ferait école, serait utile pour la suite ?
Troisièmement, l'ASN estimait, dans un avis émis le 3 janvier 2012, que le facteur humain était l'un des piliers de la sûreté nucléaire. Or plus de 30 000 salariés interviennent au titre de la sous-traitance. Vous nous dites que vous surveillez leurs compétences. Ne serait-il pas temps de limiter la sous-traitance de façon drastique, en particulier au coeur du métier nucléaire ? Il semble que l'inflation de la sous-traitance puisse être dangereuse à terme, à la fois pour ces salariés et pour le fonctionnement des centrales.
Ma dernière question porte sur les composants. Je crois savoir que les composants de la turbine de l'EPR de Flamanville sont fabriqués dans onze pays différents. Ne serait-il pas opportun de faire en sorte que ces pièces soient fabriquées et assemblées en France, afin de mieux en contrôler la sûreté ?
Vous parlez de « préconisations », mais ce terme nous est inconnu : nous prenons des décisions, qui sont comminatoires. Nous vérifions ensuite leur application selon certains délais.
Pour reprendre l'exemple de Cadarache, lorsque nous avons appris la non-déclaration d'un incident, nous avons suspendu le démantèlement des différentes cellules de l'ATPU et soumis le redémarrage à notre autorisation. Nous avons surveillé la situation d'extrêmement près, vérifié que les installations étaient remises dans un état sûr et que le plutonium excédentaire était correctement traité.
Nous sommes une autorité : nous prenons des décisions ; nous ne faisons pas des préconisations. L'exploitant n'a pas le choix.
Vous m'avez interrogé sur la déconstruction. En France, nous n'avons pas démantelé de centrale nucléaire, mais nous avons l'expérience de la déconstruction d'autres installations nucléaires. Le centre du CEA de Fontenay-aux-Roses est en cours de démantèlement, celui de Grenoble est pratiquement achevé.
Nous souhaitons disposer d'exemples de déconstruction de centrale en vraie grandeur afin d'acquérir de l'expérience. C'est pourquoi nous avions poussé EDF à engager aussi vite que possible le chantier de démantèlement de la centrale de Brennilis, qui a connu un certain nombre d'aléas, en particulier juridiques. C'est également la raison pour laquelle nous souhaitons voir démanteler aussi vite que possible la centrale de Chooz A, ou encore les réacteurs de la filière UNGG - uranium naturel, graphite, gaz.
Ces expériences portent sur des types de réacteurs différents de la filière actuelle, mais elles permettent de rassembler de l'expérience et de la comparer avec celle des pays étrangers. Pour nous, il est tout à fait fondamental de sortir de l'évaluation théorique pour avoir des évaluations en vraie grandeur.
Madame Schurch, nous nous sommes rendus sur le chantier de déconstruction de Brennilis et, vendredi prochain, notre rapporteur visitera celui de Chooz A. Si votre emploi du temps vous le permet, je vous invite à l'accompagner, ces deux centrales étant déjà à un niveau de déconstruction de l'ordre de 50 %.
Les facteurs sociaux, organisationnels et humains nous semblent tout à fait fondamentaux. Une installation, au-delà de ses composants, est gérée par des personnes.
Actuellement, environ 20 000 salariés d'EDF et 20 000 sous-traitants travaillent dans les centrales. Les conditions de travail des sous-traitants sont l'un de nos soucis. Nous ouvrirons ce chantier d'ici à l'été avec l'ensemble des parties prenantes et les syndicats. D'ores et déjà, consécutivement à Fukushima, nous avons pris, le 9 février dernier, un arrêté sur les installations nucléaires de base obligeant EDF à assurer la surveillance directe des opérations sous-traitées lorsqu'elles touchent un élément important pour la sûreté. Ce n'est que le premier élément de ce que nous souhaitons mettre en place.
Vous avez évoqué la turbine de l'EPR. C'est un équipement classique qui peut faire intervenir une multitude de sous-traitants. Je puis en revanche vous garantir que nous étudions très attentivement les dossiers touchant au nucléaire. En cas de sous-traitance à l'étranger, en particulier, nous vérifions sur place ce qui se passe. Comme je l'indiquais précédemment, à la suite d'un contrôle des viroles d'un pressuriseur fournies par un sous-traitant italien de la firme allemande Krupp, nous avons arrêté la fabrication et obligé AREVA à déclasser une partie des fournitures. Nous surveillons ces questions de très près.
Je devrais le savoir : la turbine de l'EPR de Flamanville n'est-elle pas confiée à Alstom ?
Je devrais sans doute le savoir aussi, mais je l'ignore. (Sourires.)
Monsieur le président, nous avons beaucoup apprécié la précision de vos réponses et nous vous en remercions. Je suis certain que votre audition fera autorité dans le futur rapport de M. le rapporteur.
Monsieur le président, je tiens à préciser que l'ASN est vraiment à la disposition du Parlement, quels que soient le sujet traité et la forme plus ou moins solennelle de l'investigation menée.
Monsieur Lacoste, j'ai également beaucoup apprécié vos propos introductifs. En tant que président du groupe d'études sur l'énergie, j'abuserai peut-être de votre proposition à la prochaine rentrée parlementaire.
La suite de l'ordre du jour de cet après-midi appelle l'audition de M. Franck Lacroix, président de Dalkia.
Comme vous le savez, notre commission d'enquête a été créée sur l'initiative du groupe écologiste, qui a fait application de son « droit de tirage annuel » afin de déterminer le coût réel de l'électricité. Cela nous amènera notamment à nous interroger sur l'existence d'éventuels « coûts cachés », qui viendraient fausser l'appréciation portée sur l'efficacité de telle ou telle filière, et à déterminer sur quels agents économiques reposent les coûts réels de l'électricité, afin d'éclairer les choix énergétiques français.
Dans ce but, notre commission d'enquête a jugé nécessaire d'entendre M. Franck Lacroix, afin de se pencher sur la question des économies d'énergie.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Monsieur Lacroix, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, même si vous n'aviez guère le choix, se rendre à la convocation d'une commission d'enquête étant obligatoire...
Avant de donner la parole au rapporteur pour qu'il pose ses questions préliminaires, je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(M. Franck Lacroix prête serment.)
Monsieur le rapporteur, je vous laisse préciser ce qu'attend notre commission, notamment les informations dont vous avez besoin pour votre enquête, sachant que M. Franck Lacroix aura ensuite à répondre aux questions complémentaires que vous-même, si vous le souhaitez, mais aussi l'ensemble des membres de la commission d'enquête, pourront lui poser.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
Tout d'abord, monsieur Lacroix, pouvez-vous nous décrire l'activité de Dalkia ? Qui sont ses clients ? Quelle est sa situation financière ? Quelle part de son activité concerne-t-elle l'électricité ? N'y a-t-il pas une contradiction à promouvoir les économies d'énergie en étant partiellement une filiale d'un producteur d'énergie ?
Ensuite, quel jugement portez-vous sur les mécanismes d'incitation aux économies d'énergie, en particulier sur les certificats d'économie d'énergie ?
Par ailleurs, pourquoi Dalkia ne travaille-t-elle pas avec les particuliers ? De par votre expérience dans le domaine des économies d'énergie, voyez-vous des freins au développement de ce secteur chez les particuliers ?
Enfin, quel jugement portez-vous sur la « réglementation thermique 2012 » ? Estimez-vous qu'elle soit favorable au chauffage électrique ?
Monsieur le rapporteur, votre première question impose de présenter l'activité de Dalkia. Qui sont ses clients et quelle est sa situation financière ?
Dalkia est une filiale à 66 % de Veolia Environnement et à 34 % de EDF.
En tant que créateur d'économies d'énergie, notre métier est de nous positionner dans les territoires, afin de répondre aux enjeux cruciaux du XXIe siècle, à savoir le renchérissement des énergies fossiles, l'urbanisation et la lutte contre les gaz à effet de serre. Nous apportons notre savoir-faire, notre expérience et notre maîtrise technique dans quarante pays. Pour ce faire, notre groupe comprend 52 700 salariés collaborateurs.
Notre taille nous permet d'accéder dans les meilleures conditions à des technologies souvent coûteuses, à des ressources complexes à mobiliser, comme la biomasse, et de mener des efforts soutenus en matière de recherche et de développement.
L'efficacité énergétique est notre coeur de métier. Des chiffres clés de deux natures caractérisent notre action : en 2011, nous avons fait économiser à nos clients 14,7 térawattheures, tous domaines d'énergies confondus, bien que ce soit essentiellement en énergie thermique, et nous avons évité l'émission d'un peu plus de 6,6 millions de tonnes de CO2.
Cette activité est complémentaire de celle de producteur d'énergie, même si Dalkia n'est en ce secteur qu'un acteur sur le territoire.
J'en viens à la situation financière de Dalkia.
Grâce à notre profitabilité récurrente nette proche de 2 % de notre chiffre d'affaires, nous affichons une structure financière solide. Notre endettement financier net s'élève à 2,370 milliards d'euros ; il est un peu inférieur à nos fonds propres, qui s'établissent à 2,415 milliards d'euros ; il représente à peu près quatre fois notre capacité d'autofinancement.
Le fonds de roulement dont nous avons besoin est de 778 millions d'euros, ce qui correspond, pour nous, à quarante jours d'activité, laquelle a atteint 7,1 milliards d'euros l'année dernière.
Ces performances résultent de trois activités centrales complémentaires de notre groupe.
Nous gérons et développons des réseaux urbains, soit actuellement dans le monde 837 réseaux de chaleur et de froid. Nous sommes producteur et distributeur local d'énergie thermique dans les villes.
Nous gérons des utilités industrielles, nous faisons un peu la même chose pour des plaques ou des clients industriels. Nous desservons un peu plus de 4 600 sites de cette nature dans le monde. Notre vocation est de leur fournir la vapeur, l'air comprimé, notamment, dont ils ont besoin pour produire.
Une activité complémentaire s'ajoute aux deux que je viens de décrire : elle concerne l'efficacité énergétique du bâtiment. Sur un peu plus de 123 000 installations gérées à travers le monde, elle consiste à optimiser le fonctionnement des installations énergétiques qui consomment de l'énergie pour délivrer à nos clients les services dont ils ont besoin, par exemple de la chaleur. Elle vise essentiellement des logements, des bâtiments publics et du tertiaire.
Dès maintenant, nombre de solutions existent pour diminuer l'empreinte carbone des espaces urbanisés, notamment en s'attaquant aux différentes formes d'énergies, et pas seulement à l'électricité.
En France, l'activité liée aux transports étant mise de côté, 70 % de l'énergie finale consommée doit être transformée sous forme thermique pour être utile à nos clients.
Pour établir le lien entre la chaleur et l'électricité, il faut comprendre que nous sommes un acteur majeur de la cogénération. Celle-ci, développée en France comme à l'international, nous permet de produire de manière simultanée chaleur et électricité. L'intérêt de cette technologie tient à son efficacité énergétique.
Il existe deux moyens pour produire un mégawattheure d'électricité et de chaleur : ou bien le recours à deux installations séparées, indépendantes, ce qui induit un rendement global, ou bien l'utilisation d'un seul équipement. Dans ce dernier cas, par rapport à la situation de référence, en utilisant les best available technologies, on parvient à économiser au moins 10 % d'énergie primaire. C'est une façon de délivrer de l'électricité en profitant d'un puits de chaleur situé à proximité et d'optimiser l'efficacité énergétique. Cet avantage est considérable.
De surcroît, l'électricité est produite de manière locale. Une cogénération ne souffre pas d'une production centralisée qui devrait ensuite être diffusée par des réseaux de transport, car la chaleur ne se transporte pas aussi bien que l'électricité. De ce fait, en France, des centaines d'installations qui lui sont dédiées sont réparties sur le territoire. Ainsi sont évités les coûts liés aux contraintes de transport et aux déperditions au cours du transport.
En France, nous produisons à peu près 2 000 mégawatts électriques par le biais de la cogénération, soit presque l'équivalent de deux tranches nucléaires ou de 1 000 éoliennes. Dans notre pays, la puissance installée en cogénération est de l'ordre de plus de 4 500 mégawatts, soit 2,5 fois ce que gère Dalkia.
Bien sûr, les réseaux de chaleur dont je parlais bénéficient largement des cogénérations, puisqu'ils constituent un puits thermique privilégié.
La France, comme l'Europe en général, doit « assumer » l'intérêt de la cogénération et ne pas perdre les capacités de production électrique et thermique existantes, qui constituent des atouts, en mettant en place un dispositif qui lui permette de prolonger la vie des installations actuelles tout en combinant l'efficacité énergétique résultant de la cogénération et l'énergie renouvelable.
Que la cogénération fonctionne au gaz ou avec de l'énergie renouvelable, elle a un impact sur l'efficacité énergique, mais dans le deuxième cas de figure, elle a également des conséquences sur les émissions de CO2. Dalkia intervient dans ce domaine. Voilà quelques mois, dans le sud-ouest de la France, nous avons commencé l'installation de la plus grosse centrale de cogénération, de 60 mégawatts électriques, qui valorise chaque année un peu plus de 400 000 tonnes de biomasse. Voilà quelques semaines, nous avons démarré une cogénération destinée à alimenter le réseau de chaleur de la ville de Limoges et à valoriser également une quantité significative de biomasse. Nous sommes en train de faire de même à Orléans, Tours, Angers, notamment. Ainsi, nous produisons un peu plus de 5,5 térawattheures d'électricité. Le groupe dans son ensemble produit environ 14,2 térawattheures électriques.
La production électrique représente 20 % de l'activité de Dalkia en France, le reste concernant plutôt des activités multi-techniques ou encore centrées sur la chaleur. La production électrique avec cogénération correspond à 2 000 mégawatts. Il existe aussi des groupes de production de pointe, qui peuvent produire de l'électricité en cas de forte demande, des groupes de secours et des installations gérées chez nos clients. Il s'agit de faire face à une rupture d'alimentation pour assurer la continuité du service électrique chez ces derniers.
Monsieur le rapporteur, vous vous demandez s'il y a contradiction entre la recherche de l'efficacité énergétique et le statut de filiale d'un fournisseur d'énergie. Absolument pas !
On le constate dans le domaine de la chaleur. Nous sommes à la fois producteur local et leader en matière d'efficacité énergétique. Notre présence dans le domaine de l'efficacité énergétique nous permet à nous, fournisseur d'énergie, à la fois d'être le plus performant possible en matière de production d'énergie et d'optimiser la demande de nos clients finaux, notamment en réduisant la demande de pointe, qui est toujours la plus coûteuse à satisfaire. L'efficacité passe par la capacité à produire mieux, à jouer sur les profils de consommation pour produire plus intelligemment, à optimiser les investissements et les fonctionnements.
Nous pouvons aussi apporter une prestation à plus forte valeur ajoutée aux clients finaux, non pas simplement fournir de l'énergie, mais offrir une prestation plus complète de services énergétiques. La nuance est fondamentale.
Dans les années à venir, le Réseau de transport d'électricité prévoit à la fois un fort développement de l'efficacité énergétique et le maintien de la croissance de la consommation électrique, certes modérée, de 0,6 % par an. Cette consommation s'établissait à 480 térawattheures en 2009 et devrait atteindre 523 térawattheures en 2020 et 554 térawattheures en 2030. Telles sont les données qui résultent du bilan prévisionnel de l'équilibre entre l'offre et la demande de 2011.
Les analystes financiers valorisent le fait que, avec Dalkia, EDF dispose d'une filiale dédiée à l'efficacité énergétique. Ainsi, elle pourra adapter son outil de production à l'évolution de la donne énergétique qui se traduira irrémédiablement par une baisse de la consommation.
En pratique, je constate que la réponse à des appels d'offres en groupement, en quelque sorte, par exemple Dalkia et EDF, correspond à la volonté de réaliser des économies d'énergie. Tel est ainsi le cas du contrat de performance énergétique que nous avons signé avec le Conseil général de la Manche. Nous avons pris l'engagement de réduire les consommations énergétiques, toutes énergies confondues, d'une vingtaine de collèges et de trois musées et d'aboutir à 32 % d'économies d'énergie, pourcentage garanti par la mise en place d'un plan d'action et par l'exploitation des installations pendant quinze ans.
Nous gérons encore assez peu d'électricité dans les bâtiments dont nous assurons la gestion des services énergétiques. Cela étant, EDF ne voit aucune difficulté à ce que nous nous en saisissions plus souvent, de manière à proposer à nos clients une gestion intégrée de l'ensemble de leurs énergies. En effet, EDF est bien consciente de la forte valeur qui en résulterait pour nos clients.
Pour ce qui concerne notre actionnaire majoritaire, à savoir Veolia Environnement, d'une certaine manière, il a dans ses gènes la gestion économe des ressources naturelles, qu'il s'agisse de l'eau ou de matières premières, grâce au recyclage des déchets, ou de l'énergie avec Dalkia.
L'efficacité énergétique est bien au coeur de notre activité et ce, je crois pouvoir le dire, à la satisfaction pleine et entière de nos deux actionnaires.
À ce stade de mon propos, je voudrais insister sur la question centrale de la cogénération. C'est sur ce point que le lien évident entre notre activité et la production d'électricité apparaît.
Grâce à un dispositif qui, depuis 1997, a encouragé le développement de la cogénération en France, aujourd'hui, tous acteurs confondus, la production électrique sous forme de cogénération représente l'équivalent de trois EPR. Je vous rappelle les avantages de ce système : des économies d'énergie et une production décentralisée.
Depuis 2001, le développement du parc de cogénération a été arrêté, faute de cadre suffisamment incitatif.
Douze ans après - telle était la durée des contrats d'obligation d'achat -, la question en cause est la survie de ce parc.
Grâce aux cogénérations, on économise à peu près 1,7 million de tonnes d'équivalent pétrole par an et on évite l'émission de 9,3 millions de tonnes de CO2. La conservation d'une part significative de la capacité de production électrique issue des cogénérations est essentielle pour trois raisons.
La première de ces raisons tient à la sécurité de l'approvisionnement électrique. Je rappelle que la cogénération est un outil qui ne dépend ni du vent ni du soleil, pas plus que de quoi que ce soit d'autre. C'est une production de semi-base, qui démarre le 1er novembre et s'arrête à la fin du mois de mars. Pendant cette période, la disponibilité est quasiment de 100 %. Il s'agit donc d'une production continue, prévisible, fiable.
J'en viens à la deuxième raison que j'évoquais précédemment. Le prix de la vapeur provenant de la production combinée d'électricité et de chaleur est compétitif. C'est la vapeur qui bénéficie en particulier de l'économie d'énergie primaire. La technologie en cause permet aux industriels qui récupèrent la vapeur ou aux bâtiments collectifs qui sont raccordés sur les réseaux de chaleur qui en profitent d'obtenir un prix compétitif pour ce qui concerne la chaleur et la vapeur. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous fais incidemment remarquer que 250 sites industriels qui emploient 30 000 personnes bénéficient aujourd'hui de la vapeur issue de la cogénération.
Il faut bien garder en mémoire qu'il n'est pas prévu de substituer la cogénération biomasse, qui fait l'objet d'un programme dans le cadre du Grenelle de l'environnement, à la cogénération gaz. L'objectif fixé lors du Grenelle est de porter à 2 300 mégawatts l'énergie électrique produite à partir de la biomasse, chiffre bien inférieur à la puissance actuellement disponible par le biais de la cogénération gaz. Mais la frilosité dont fait actuellement preuve le monde industriel à l'égard d'investissements de longue durée est telle que l'objectif du Grenelle ne sera pas facile à atteindre.
La situation présente est compliquée ; elle comporte deux cas de figures différents.
En premier lieu, les grosses cogénérations, de plus de 12 mégawatts, essentiellement installées sur des sites industriels, arriveront à échéance au plus tard en 2014. Elles sont menacées parce qu'elles ne disposent plus du soutien existant jusqu'à présent. Leur contrat d'obligation d'achat arrivant à terme, elles ne trouvent pas sur le marché libre une rémunération suffisante.
Certes, le ministre chargé de l'énergie a reconnu publiquement l'importance du sujet pour la sécurité électrique du pays, mais la solution envisagée, à savoir un appel d'offres par la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, relatif à des capacités de production électrique, nous paraît complexe. En fait, il ne s'agit d'aider ces cogénérations que pour une période de trois ans parce que ces grosses machines trouveront leur place dans le dispositif prévu par la loi NOME, en particulier dans le marché de capacité, qui ne sera cependant effectif qu'en 2015.
L'alternative serait un dispositif de soutien transitoire par la CSPE, la contribution au service public de l'électricité, dont le coût serait extrêmement limité - 50 millions d'euros par an -, sans aucune commune mesure avec le coût antérieur du financement des obligations d'achat des cogénérations qui s'élevait à 700 millions d'euros et avec le coût total de la CSPE qui devrait atteindre 5,5 milliards d'euros à l'horizon de 2015.
En second lieu, les petites cogénérations, de moins de 12 mégawatts, concernent plutôt les réseaux de chaleur. Elles peuvent être reconduites sur un contrat d'obligation d'achat. Mais en pratique ce renouvellement est très difficile. En effet, l'annonce régulière par le ministère de sa volonté de dégrader la rémunération électrique de ces installations décourage les investisseurs. Par ailleurs, l'énergie thermique récupérée sur ces cogénérations pourtant vertueuse n'est pas reconnue comme telle en France. Ainsi, la chaleur d'un réseau alimenté à plus de 50 % par des énergies renouvelables ou de récupération - par exemple, sur une usine d'incinération - bénéficie d'une TVA à 5,5 %. Mais tel n'est pas le cas si ce pourcentage est atteint avec une partie de la chaleur issue d'une cogénération gaz.
Monsieur Lacroix, je comprends que vous profitiez de cette audition pour délivrer un message sur la cogénération - un certain nombre d'entre nous le connaissent d'ailleurs bien -, mais je souhaite que vous reveniez au sujet qui nous préoccupe.
Cela étant, monsieur Lacroix, rien ne vous empêche pas de nous faire parvenir un document nous précisant vos propositions pour les cinq ans à venir.
Monsieur le rapporteur, je vous informe d'ores et déjà, vous qui êtes fidèle aux réunions du groupe d'études de l'énergie, que celui-ci organisera au printemps ou à l'automne une réunion avec le groupe Dalkia portant notamment sur le problème de la cogénération.
Veuillez poursuivre, monsieur Lacroix.
J'en viens à la deuxième question que m'a posée M. le rapporteur.
Selon moi, la meilleure incitation aux économies d'énergie est le signal-prix.
Encore faut-il que celui-ci soit suffisant. À titre d'exemple, en raison de l'absence de taxe sur les carburants aux États-Unis, le modèle américain consistant à acquérir des voitures fortement consommatrices a perduré. A contrario, en Europe, l'existence de taxes intérieures sur la consommation a incité au développement de modèles plus économes.
Encore faut-il également que ce signal-prix traduise les orientations de la politique énergétique du pays ou du continent, en l'occurrence la volonté de décarbonation. L'outil fiscal est là encore nécessaire pour répercuter une valeur économique du carbone.
Encore faut-il enfin que ce signal-prix soit uniforme, sans effet de bord. À partir de l'année prochaine, je vous signale qu'un réseau de chaleur collectif verra ses émissions de CO2 devenir progressivement payantes, alors que la chaudière à gaz située, en quelque sorte, au pied de l'immeuble ne sera pas taxée... Une telle distorsion est difficile à expliquer. De surcroît, quand bien même ce réseau de chaleur se convertirait à la biomasse et deviendrait plus vertueux qu'une chaudière à gaz, ses émissions résiduelles, par exemple celles qui correspondent aux consommations de pointe qui restent assurées par le gaz, continueraient à être taxées.
Les certificats d'économie d'énergie sont-ils un bon système ? À défaut de taxes sur l'énergie et le carbone suffisantes, ce dispositif peut avoir une utilité. Son principe est compréhensible, à savoir imposer aux vendeurs d'énergie de générer des économies d'énergie en proportion de leurs ventes.
Cela étant, en fonction des modalités précises de sa mise en oeuvre, ce procédé peut être d'application difficile.
Sur cette question, je souhaite vous délivrer deux messages principaux, mesdames, messieurs les sénateurs.
Premièrement, la charge administrative relative à la constitution des dossiers s'est fortement alourdie depuis le début de la seconde période de ces certificats. Ce fait est notamment dû aux inquiétudes suscitées par une éventuelle double revendication de la même opération. Ainsi, un vendeur d'énergie et son client bailleur social pourraient tous deux revendiquer l'installation d'une chaudière performante dans un HLM. L'éligibilité des bailleurs sociaux, comme des collectivités locales, a été voulue par le législateur afin de garantir aux clients la possibilité d'avoir un retour des certificats d'économie d'énergie sur leur patrimoine. Or la réglementation exige d'ores et déjà que le client signe le dossier de demande de certificat d'économie d'énergie, ce qui devrait suffire à garantir un débat entre l'opérateur et son client. Je considère que l'on pourrait grandement simplifier ce dispositif et en réduire le coût.
Deuxièmement, le système européen fait l'objet de discussions dans le cadre du projet de directive relative à l'efficacité énergétique. Aux termes du texte actuellement étudié, la France ne pourra plus continuer à prendre en compte des opérations de passage aux énergies renouvelables. Les opérations de petite taille de ce type qui ne bénéficient pas du fonds chaleur ne seront plus réalisées sans les certificats d'économie d'énergie. Elles sont pourtant nécessaires là où des extensions de réseaux de chaleur ne sont pas prévues pour décarboner la production de chaleur. Il convient que la France se batte lors des négociations européennes pour pouvoir conserver son système.
Cela étant, je demeure persuadé qu'une taxe carbone-énergie européenne serait plus efficace que les certificats d'économie d'énergie. Son coût administratif serait bien moindre. Une ressource fiscale supplémentaire serait ainsi créée ; elle pourrait être affectée au financement du fonds chaleur de l'ADEME, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, par exemple.
J'en viens à la question de l'exemplarité des bâtiments publics. Lorsque nous avons conclu l'un des premiers contrats de performance énergétique avec l'agglomération de Montluçon, nous nous sommes engagés à dégager non pas une économie d'énergie théorique, mais une économie garantie de 17 % mesurée chaque année. Nous avions lancé un important programme de communication auprès des usagers des bâtiments publics qui a créé un effet d'entraînement dans toute la ville. Ainsi, des copropriétés ont entrepris des démarches similaires. Pour reproduire ce phénomène, un engagement beaucoup plus massif et systématique sur les contrats de performance énergétique des bâtiments publics serait très efficace.
Monsieur le rapporteur, j'en viens à votre troisième question.
Nous ne démarchons pas les marchés de la maison individuelle et du chauffage individuel, tout simplement parce que nous n'avons pas développé de réseau commercial à cette fin.
En revanche, nous intervenons dans le domaine de l'habitat à travers des réseaux de chaleur et des installations énergétiques collectives et dans les habitations à loyer modéré et les copropriétés. En France, nous assurons la gestion énergétique d'un peu plus de 2,2 millions de logements ; 800 000 sont desservis par des réseaux de chaleur.
Pour ce qui concerne les copropriétés, la lourdeur traditionnelle de la prise de décision lors des assemblées de copropriétaires est un frein très important, d'autant plus que le temps de retour des investissements réalisés dans le domaine des économies d'énergie est long. De ce fait, les divergences d'intérêts entre les copropriétaires à court et long terme apparaissent encore plus.
En outre, en l'espèce, le dispositif de crédit d'impôt sur le revenu n'est pas un levier efficace, alors que tel est le cas pour les propriétaires d'une maison individuelle. Dès lors, un accompagnement particulier des copropriétés se justifie pour déclencher des opérations. De ce point de vue, l'initiative de la région d'Île-de-France, qui a décidé d'accompagner des audits énergétiques et des travaux destinés à réaliser des économies d'énergie dans des copropriétés, mérite d'être soulignée et reproduite. Il est également nécessaire de poursuivre les efforts de formation auprès des acteurs qui effectuent des travaux d'amélioration, d'isolation du bâti pour veiller à la fiabilité des travaux entrepris.
Un autre frein important au marché des particuliers résulte de la difficulté à laquelle est confronté un propriétaire bailleur pour amortir ses investissements réalisés dans le domaine des économies d'énergie. Vous le savez, le dispositif de partage des charges introduit par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion constitue une étape importante. Il permet aux propriétaires bailleurs qui ont effectué des travaux de demander au locataire une participation exceptionnelle au coût des travaux. Ainsi est instauré un juste partage des économies d'énergie entre le propriétaire et le locataire. Une évaluation du bon fonctionnement de ce dispositif, notamment de sa connaissance par les propriétaires et leurs conseils - je pense aux notaires, aux professionnels de l'immobilier -, serait sans doute utile.
J'en arrive à votre quatrième et dernière question, monsieur le rapporteur.
Nous ne pouvons qu'adhérer au principe du renforcement des exigences de la réglementation thermique afin de s'orienter progressivement vers des bâtiments très économes.
Je voudrais tout d'abord démentir l'idée fausse, souvent relayée, selon laquelle les exploitants des réseaux de chaleur seraient opposés à la baisse de la consommation. Je vous ai déjà fourni des indications sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.
À l'échelle de la ville, il existe une réelle opportunité. À titre d'exemple, un quartier neuf n'est pas incompatible avec un réseau de chaleur. Nombre de personnes pensent que, dans un tel cas de figure, la consommation de chaleur sera moindre et qu'il n'est par conséquent pas nécessaire de réaliser d'importants investissements ; autant raccorder tout le monde au chauffage électrique. Mais nous démontrons quotidiennement le contraire. Ainsi, tout récemment, dans un quartier neuf, durable, à haute efficacité énergétique de 1 600 logements situé à Issy-les-Moulineaux, nous avons mis en place un réseau qui permettra d'alimenter en chauffage et en eau chaude sanitaire l'ensemble des bâtiments.
Pour ce qui concerne les réseaux existants, la plupart des collectivités ont aujourd'hui une double ambition : les verdir et les développer. Or moins les logements consomment, plus l'on pourra raccorder au réseau de nouveaux bâtiments avec la même production verte, donc les mêmes investissements.
Par ailleurs, les équipements de production verts ont la caractéristique d'être beaucoup plus capitalistiques que des moyens classiques. Une chaudière biomasse coûte, par exemple, à peu près cinq fois plus cher qu'une chaudière à gaz. Et plus de telles installations bénéficient à un nombre élevé de logements, plus on peut les amortir.
Les modalités de la réglementation thermique découragent le recours au chauffage électrique. Cette volonté claire est assumée par les pouvoirs publics.
Pour ma part, j'estime que certains points de la réglementation pourraient être améliorés. Le ministère souhaite remettre en cause le mode de calcul du contenu en carbone des réseaux de chaleur, qui résulte pourtant d'une autre direction du même ministère, et intégrer, par exemple, les émissions liées à la production du combustible biomasse. Ce raisonnement n'est valable que s'il est appliqué à toutes les sources d'énergie, notamment au gaz. Devraient être prises en compte les émissions de carbone liées au transport du gaz sur longue distance, les émissions relatives à la regazéification dans les terminaux méthaniers, aux phases de stockage souterrain, aux phases de compression. En fait, nous demandons un traitement équitable des énergies, qui favorise les énergies renouvelables et non l'inverse.
Monsieur Lacroix, vous nous avez montré les avantages de la cogénération. Vous nous avez proposé de nous fournir des documents précis relatifs à des mesures incitatives. Par ailleurs, selon vous, il serait intéressant de développer la taxe carbone. Vous estimez que si des mesures de taxation étaient prises, elles devraient concerner tous les modes énergétiques.
En cet instant, je souhaite obtenir une précision. Selon les chiffres dont nous disposons, le prix moyen du mégawattheure d'électricité produit dans les grandes installations de cogénération s'élèverait entre 90 euros et 150 euros et celui du mégawattheure fourni par les petites installations entre 130 euros et 200 euros. Pouvez-vous nous confirmer ces chiffres ?
Il existe deux grandes catégories de tarification : celle de la production d'électricité résultant de la cogénération au gaz et celle qui est issue de la biomasse.
Entendez-vous par biomasse le bois et l'ensemble du recyclage des déchets ménagers ?
La ressource biomasse est essentiellement constituée par du bois de recyclage, de la culture agricole de taillis à très courte rotation, des plaquettes forestières issues des parcelles forestières de la filière bien spécifique du bois-énergie. En France, deux cas de figure existent : soit de grosses installations, qui résultent essentiellement d'appels d'offres de la CRE, soit des installations plus réduites, qui bénéficient du tarif d'obligation d'achat de cogénération biomasse.
Le prix du mégawattheure se situe autour de 140 euros pour l'électricité produite par cogénération biomasse et de 110 euros pour l'électricité fournie par cogénération au gaz.
J'avais cru comprendre que la cogénération était arrivée à maturité d'un point de vue économique. J'ai rapidement réalisé mon erreur, monsieur Lacroix, puisque vous avez indiqué que le moment économiquement intéressant était celui où vous arriviez à bénéficier de la production de pointe. Dans ce cas de figure, à quel prix êtes-vous rémunéré ?
Vous avez indiqué que vous aviez besoin d'une période de deux à trois ans pour faire le lien entre les actuels dispositifs et le marché capacitaire prévu par la loi NOME. Qu'attendez-vous de ce marché et à quel prix ?
Enfin, vous avez précisé que, en matière de cogénération, vous interveniez essentiellement dans le domaine de la production locale qui peut intégrer les énergies renouvelables. À cet égard, à quel point pouvez-vous associer l'énergie solaire ? Je formule cette question en référence au modèle allemand qui, à l'inverse du dispositif à la française, tend à « porter », en quelque sorte, le solaire sur l'autoconsommation. D'ailleurs, l'aide allemande est dédiée non pas à la vente de l'énergie sur le réseau, mais à l'autoconsommation. Monsieur Lacroix, dans quelle mesure envisagez-vous que le solaire vienne en appoint de l'énergie renouvelable ?
Tout d'abord, la cogénération et la production de pointe sont deux logiques tout à fait différentes. La cogénération s'accommode assez peu des périodes de pointe qui nécessitent une très grande réactivité. Le principe même de la cogénération est la production de semi-base, parce qu'il est nécessaire de combiner deux demandes, à savoir celles d'électricité et de chaleur.
La puissance installée en France comprend à peu près 2 000 mégawatts de cogénération semi-base, c'est-à-dire que la production commence le 1er novembre et s'arrête à la fin du mois de mars. Par ailleurs, quelques centaines de mégawatts sont plutôt une production de pointe ; ils sont fournis, par exemple, par des groupes fioul indépendants et mis à la disposition de la production nationale à travers, notamment, le Réseau de transport d'électricité, qui a fait un appel d'offres. Nous avons conclu un contrat avec ce dernier qui est rémunéré non pas au mégawattheure produit, mais à la puissance mise à disposition. L'acteur est rétribué afin de maintenir en veille des équipements de production et de démarrer la production lorsqu'on le lui demande.
Comme M. Vial, j'avais compris que le système de chaleur de la cogénération était utilisé pour pourvoir à une demande ponctuelle de chauffage et que lorsque celle-ci était moindre, on produisait plus d'électricité. En réalité, votre activité comporte la cogénération. À côté de cela, des usines au fioul sont utilisées en période de pointe. Votre rémunération est fonction non pas du prix de production, mais de la capacité de production.
Est-ce vous qui avez remporté l'appel d'offres RTE breton ? Pourquoi vous êtes-vous porté candidat ? Ce n'est pas votre métier de base.
Nous disposons d'un patrimoine d'équipements technologiques qui était précédemment utilisé sous une autre forme. Celui-ci étant devenu disponible, il fallait le remettre sur le marché. De plus, notre savoir-faire en qualité de gestionnaire de cogénération nous amène à avoir des techniciens, des opérateurs, des dispositifs de maintenance préventifs qui nous permettent d'agir avec la meilleure efficacité.
Vous avez évoqué précédemment la vertu de l'efficacité énergétique et l'enjeu relatif au CO2. S'il est bien une négation de cela, ce sont les centrales thermiques, que vous venez de nous présenter.
Non ! L'optimisation d'une part, d'un mix énergétique et, d'autre part, des pointes pour recourir le moins possible à de telles installations est évidemment une nécessité. Or nombre de nos installations, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité d'approvisionnement, sont dotées d'outils de pointe ou de secours dont les vertus environnementales sont forcément moindres, mais dont le bilan est très faible en fin d'exercice parce que le taux d'utilisation est très réduit. Prendre une option mono-énergétique sur une installation donnée est un luxe et probablement une erreur.
L'une des vertus des installations que nous développons, à un échelon industriel, est de permettre, au niveau d'une ville, de faire des arbitrages entre plusieurs énergies dans les meilleures conditions économiques et environnementales. La création d'infrastructures collectives qui bénéficient de la cogénération, d'installations de biomasse, éventuellement d'installations de secours au gaz, permet d'apporter à nos clients la nécessaire garantie de flexibilité, en particulier lorsque les prix des énergies fossiles sont particulièrement fluctuants.
Sur le marché de capacité, notre volonté est d'atteindre un niveau de valorisation compatible avec la situation économique des installations, soit entre 40 euros et 50 euros du kilowatt.
Quant à l'énergie solaire, Dalkia n'a pas du tout pris part à ce marché. En revanche, nous sommes en train d'étudier l'optimisation énergétique globale d'une collectivité pour pouvoir avancer sur la question des réseaux intelligents, non seulement électriques mais également énergétiques complets. Nous nous penchons notamment sur notre capacité à stocker de l'énergie produite par le solaire sous forme thermique pour la restituer au meilleur moment.
Monsieur Lacroix, comment envisagez-vous l'avenir de la cogénération si celle-ci n'est plus soutenue ? Allez-vous néanmoins pouvoir continuer à produire ?
Par ailleurs, quel différentiel existe-t-il entre le prix de l'électricité classique et celui de l'électricité produite par cogénération ? In fine, le consommateur observe-t-il une différence ?
Pour ce qui concerne les cogénérations, le marché français est assez atypique, car nous développons dans les autres pays européens des cogénérations bénéficiant des dispositifs de soutien de différentes natures. La puissance que nous exploitons en la matière est bien supérieure à l'international qu'en France.
À défaut de dispositif de soutien à la cogénération, celle-ci va s'arrêter en France. C'est aussi simple que cela !
Aujourd'hui, y compris sur les sites industriels, nombre de grosses installations font l'objet de scénarios de démantèlement. Les équipements vont être réutilisés en Slovaquie ou en Pologne. Dans ce dernier pays, nous venons de prendre la responsabilité du réseau de chaleur de Varsovie, le plus grand de la Communauté européenne actuellement en service. Nous prévoyons d'installer de grosses unités de cogénération qui produiront une partie de la chaleur de Varsovie et alimenteront en électricité le réseau national à hauteur d'un peu plus de 150 mégawatts.
Non, monsieur le président ! En revanche, il existe un dispositif incitatif - les certificats rouges -, qui consiste à donner un complément de revenu à celui qui produit de l'électricité issue de la cogénération. Le système est un peu comparable à celui de la CSPE : les producteurs d'électricité doivent disposer d'un certain nombre de certificats rouges qui sont produits par la cogénération.
Monsieur Lacroix, je serais ravi d'avoir des informations sur le prix de rachat pratiqué en Pologne et en Hongrie.
Je vous les ferai parvenir, monsieur le président. Il existe toutefois une nuance : la Hongrie a récemment diminué de manière assez considérable son dispositif.
J'en reviens à la question de Mme Schurch. Le prix du mégawattheure d'électricité de la cogénération gaz s'élève à 110 euros.
Et par rapport au prix pratiqué par un fournisseur classique d'électricité ?
Le prix de l'électricité produite par la cogénération est calé sur celui de l'électricité provenant d'un cycle combiné. Par rapport à la production d'une technologie au gaz comparable, le prix est le même. C'est d'ailleurs ainsi que la mécanique des contrats d'obligation d'achat a été élaborée.
L'économie liée aux économies d'énergie primaire concerne essentiellement la chaleur. Ceux qui bénéficient de la chaleur soit à travers le réseau, soit sur les sites industriels, profitent d'une économie de chaleur assez substantielle, qui peut aller de 10 % à 20 %.
Monsieur Lacroix, je souhaite connaître votre avis sur ce qui s'est passé à Bruxelles à propos de la directive Efficacité énergétique, qui vous concerne totalement. Elle comporte deux volets importants. Le premier vise l'efficacité énergétique, notamment l'obligation de réaliser chaque année dans tous les bâtiments publics 3 % d'investissements en faveur des économies d'énergie. Le second volet a trait, si je puis dire, à la cogénération à l'envers. Il prévoit l'obligation pour tous les pays européens, à côté des centrales électriques, de produire de la chaleur.
Cette pauvre directive a été laminée en deux temps. D'une part, seuls les bâtiments d'État devaient réaliser 3 % d'investissements afin d'économiser de l'énergie. Pour ce qui concerne la cogénération, nombre de pays y sont réticents, à juste titre d'ailleurs. En effet, il s'agit des pays qui en ont le moins besoin. La France, l'Espagne et le Portugal, notamment, ont demandé que tous les pays ne soient pas traités de la même manière dans le chapitre de la directive relatif à la cogénération. Selon moi, c'est logique. Pourquoi exiger des pays méditerranéens, qui n'ont pas forcément besoin de chaleur, de disposer, en plus des centrales électriques, de cogénération chaleur ? À l'inverse, le demander aux pays d'Europe centrale, dans lesquels vous êtes particulièrement performants, n'est peut-être pas illogique.
Le projet de directive nous concerne directement parce qu'il vise les deux axes fondamentaux de nos activités.
Nous sommes très sensibles à la diversité des situations des pays dans lesquels nous nous développons. Je pense que vous avez parfaitement raison, monsieur le président. Il faut prendre en compte le mix énergétique du pays, regarder si des infrastructures collectives existent ou non. Comment comparer la France à un pays d'Europe centrale, par exemple ? Je vous l'ai indiqué, à Varsovie, pour le chauffage, 80 % des bâtiments sont connectés au réseau de chaleur, alors que, respectivement en France, en Allemagne et en République tchèque, 5 %, plus de 15 % et 30 % le sont.
Vous avez tout à fait raison, monsieur le rapporteur !
Les efforts à réaliser et les politiques à développer doivent s'inspirer de la réalité opérationnelle.
Ce que nous faisons en France est ambitieux et bien orienté. Nous avons compris qu'il était nécessaire de créer des infrastructures collectives pour développer des schémas énergétiques cohérents dans nos villes ou nos sites industriels, que nous pourrions peut-être ainsi réconcilier. Nous pourrions faire en sorte que les villes se dotent d'infrastructures pour se chauffer, pour diffuser de la climatisation, compatibles avec les sites industriels qui se trouvent à proximité. Elles pourraient récupérer de l'énergie ou avoir un pilotage énergétique intelligent. Les objectifs que nous nous sommes fixés, notamment à propos des réseaux de chaleur, nous permettent d'avancer à pas cadencés.
Pour ce qui concerne la cogénération, la France est peut-être réticente à dépenser. En réalité, les cogénérateurs demandent que soit compris l'intérêt particulier de la cogénération et que soit maintenu un dispositif de soutien sans commune mesure avec celui qui existait par le passé. Antérieurement, les aides s'élevaient entre 700 millions et 900 millions d'euros par an. À l'horizon 2015, les cogénérateurs ciblent une charge annuelle de l'ordre de 200 millions à 250 millions d'euros. Cela prend bien en compte la réalité de notre pays.
Mes chers collègues, dans la suite de nos travaux de cet après-midi, nous allons maintenant entendre Mme Virginie Schwarz, directrice exécutive des programmes de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME.
Madame Schwarz, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous ne pouviez d'ailleurs pas refuser : vous êtes obligée de vous présenter devant une commission d'enquête...
Cette commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques a été demandée par le groupe écologiste et acceptée par le Sénat.
Je vous rappelle que toutes les informations relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête ne peuvent être divulguées ou publiées, et qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
En ce qui concerne la présente audition, la commission a souhaité qu'elle soit publique, et un compte rendu intégral en sera publié.
Je vais maintenant vous faire prêter serment, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête.
Madame Schwarz, prêtez serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »
(Mme Virginie Schwarz prête serment.)
Je vous remercie.
Comme cette audition fait l'objet d'un enregistrement, je donne maintenant la parole à M. le rapporteur pour qu'il rappelle les questions qu'il vous a préalablement adressées de manière que vous puissiez préparer cette audition. Vous y répondrez aussi longtemps que vous voudrez. Toutefois, laissez-nous aussi le temps de vous poser des questions complémentaires.
Madame Schwarz, je rappelle les six questions que nous vous avons adressées.
Première question, quel jugement portez-vous sur les mécanismes d'incitation aux économies d'énergie dans les entreprises et les collectivités, s'agissant en particulier des certificats d'économie d'énergie ?
Deuxième question, pensez-vous que les mécanismes actuels d'incitation aux économies d'énergie, chez les particuliers, sont efficaces ? Quel jugement portez-vous sur les différentes incitations fiscales ? On entend parfois dire que le bénéfice des économies d'énergie est capté par des intermédiaires, qui pratiqueraient des taux de marge très importants, au détriment des propriétaires : êtes-vous d'accord avec cette affirmation ? Quelle devrait être la répartition des incitations entre le propriétaire et le locataire d'un logement ?
Troisième question, quel jugement portez-vous sur la réglementation thermique 2012 ? Estimez-vous qu'elle est favorable ou défavorable au chauffage électrique ? Pensez-vous que la part du chauffage électrique en France est excessive ? Comment gérer et mieux réguler le stock d'installations de chauffage électrique existant ? Avez-vous les chiffres de la répartition par type de chauffage de la population ? Et parmi les « précaires énergétiques » ?
Quatrième question, quel jugement portez-vous sur les différents mécanismes de soutien aux énergies renouvelables : tarifs de rachat, incitations fiscales, etc. ? Pensez-vous que le soutien à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables devrait reposer sur l'ensemble de la filière énergétique, et pas seulement sur la filière électrique ?
Cinquième question, quels sont les principaux axes de recherche défendus par l'ADEME en ce qui concerne les énergies renouvelables ? Quel jugement portez-vous sur les techniques de stockage d'énergie, et en particulier sur la méthanation ?
Sixième et dernière question, les fonctionnalités du compteur Linky vous paraissent-elles optimales ?
Monsieur le rapporteur, certaines questions sont très précises et je ne doute pas que Mme Schwarz y réponde de façon détaillée. D'autres, en revanche, sont plus subjectives. Or, comme vous le savez, certains objectifs sont fixés par le Gouvernement et l'ADEME est une agence de l'État. Par conséquent, il ne sera pas toujours facile à Mme Schwarz, en tant que directrice exécutive des programmes, de répondre à l'ensemble de vos questions.
Madame Schwarz, vous avez la parole.
Madame, messieurs les sénateurs, la première question que vous m'avez posée porte sur les mécanismes d'incitation aux économies d'énergie dans les entreprises et les collectivités.
Le premier constat que je peux établir, c'est qu'il existe malheureusement peu de dispositifs incitatifs aux économies d'énergie pour cette cible-là.
Sur les certificats d'économie d'énergie, qui étaient également évoqués dans la question, l'ADEME porte une appréciation très positive ; je pourrai y revenir. Il me semble que ce dispositif a porté ses fruits sur la cible prioritaire qui lui avait été initialement attribuée, c'est-à-dire les particuliers. En revanche, il a eu un impact limité pour les entreprises et les collectivités. Lors de la première période, seulement 7,8 % des certificats d'économie d'énergie ont concerné l'industrie et 6,3 % le tertiaire. C'est le secteur résidentiel qui, avec presque 84 % des certificats d'économie d'énergie, a concentré l'ensemble des effets de ce mécanisme.
Il existe cependant quelques dispositifs, d'une ampleur limitée, soutenus par l'ADEME, par exemple l'aide aux audits énergétiques dans les entreprises, par le financement d'études d'aide à la décision devant permettre aux entreprises d'évaluer les bénéfices qu'elles pourraient tirer d'opérations d'investissements pour réduire leur consommation. Il s'agit d'un dispositif efficace, avec un taux de passage à l'acte - de l'aide à la décision jusqu'à la décision elle-même - qui se situe entre 70 % et 90 %, selon les années. Toutefois, cela ne concerne qu'un millier de projets chaque année, entre l'industrie et le tertiaire.
Ce dispositif des audits est reconnu dans de nombreux pays. Le projet de directive européenne sur les services d'efficacité énergétique, dite « ESD2 », propose de les rendre obligatoires. Cela me semble intéressant.
C'est l'absence, ou la quasi-absence, de dispositifs incitatifs à destination des entreprises qui a conduit l'ADEME, dans le cadre de la Table ronde nationale pour l'efficacité énergétique, à proposer la mise en place d'un crédit d'impôt destiné aux PME pour les accompagner dans la réalisation d'actions d'économie d'énergie, avec un champ très large : actions sur le bâtiment, le process, le transport, etc.
Aujourd'hui, le contexte budgétaire n'est évidemment pas favorable aux actions de type crédit d'impôt. L'ADEME a proposé ce dispositif parce que des propositions de recettes existaient parallèlement permettant d'équilibrer l'ensemble. C'est l'une des mesures qui a reçu le soutien le plus marqué de la part des entreprises ayant participé à cette table ronde.
La deuxième question porte sur les dispositifs d'incitation aux économies d'énergie chez les particuliers. Ils sont beaucoup plus nombreux et d'une ampleur bien plus importante. Le premier d'entre eux est le crédit d'impôt développement durable, le CIDD.
Monsieur le président, vous avez eu la gentillesse de me mettre à l'aise en précisant que j'étais dans une position un peu difficile. Néanmoins, dans la mesure où les évaluations du crédit d'impôt développement durable que l'ADEME réalise sont menées avec le ministère de l'environnement et le ministère des finances, et pour le compte de ces ministères, je ne trahirai pas mon devoir de fonctionnaire en livrant ces chiffres. En outre, je comprends que c'est l'exercice qui est imposé par la commission d'enquête.
Nous avons estimé que le crédit d'impôt développement durable, s'il était maintenu jusqu'en 2020 aux conditions de 2012, permettrait d'atteindre une réduction des émissions de gaz à effet de serre d'environ 4,5 % des émissions du secteur résidentiel, pour un coût annuel d'environ 950 millions d'euros. Ce dispositif a donc à lui seul un effet significatif.
Les dispositions du crédit d'impôt ont été sensiblement modifiées ces dernières années. À titre d'illustration, si elles avaient été maintenues jusqu'en 2020, les conditions applicables en 2009 auraient permis, une réduction de 7,5 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur résidentiel, pour un coût public annuel moyen de l'ordre de 1,6 milliard d'euros. Certes, ce sont des montants importants, mais il faut les mettre en regard avec une importante augmentation du chiffre d'affaires du secteur du bâtiment, de près de 4 milliards d'euros.
Oui, avec le modèle Menfis qui a été développé et fait l'objet de travaux communs entre le ministère de l'écologie, le ministère des finances et l'ADEME.
Le second dispositif qui est proposé aux ménages pour les inciter à réduire leur consommation d'énergie, c'est l'éco-prêt à taux zéro, l'éco-PTZ. Alors que le CIDD a été largement utilisé - presque trop même, puisque c'est ce qui a conduit à en revoir les conditions d'attribution -, l'éco-prêt à taux zéro a du mal à se développer : en 2010, environ 75 000 éco-PTZ ont été distribués, contre moins de 10 000 par trimestre en 2011 - l'ADEME ne dispose pas encore des chiffres du dernier trimestre 2011.
On observe que les banques, qui sont le canal de distribution de cet éco-prêt à taux zéro, le proposent peu à leurs clients. Elles avancent que c'est un produit complexe, pour lequel on leur a demandé de jouer non seulement leur rôle de banquier, mais aussi un rôle d'instruction,...
Oui.
... puisqu'elles sont chargées d'examiner l'éligibilité des dossiers. Selon elles, les coûts et la complexité de cette instruction ne sont pas couverts par les compensations versées par l'État.
Dans ce contexte, les propositions formulées par le « Plan bâtiment Grenelle » sur la révision des modalités d'attribution de l'éco-prêt à taux zéro nous paraissent particulièrement intéressantes. Il s'agit de libérer les banques de ces tâches d'instructions techniques pour lesquelles elles sont mal armées pour les confier soit à des tiers certificateurs, soit à des entreprises du secteur du bâtiment réalisant des travaux, pour autant que leurs qualifications et leurs compétences aient été validées par la mention « Reconnu Grenelle environnement », sur laquelle je reviendrai.
Le CIDD et l'éco-PTZ sont donc des dispositifs importants, mais qui connaissent des succès variables.
De manière générale, sur ces deux dispositifs, ce qui importe, c'est presque autant leur stabilité que leur niveau. Les évolutions successives du crédit d'impôt développement durable - celles qui concernent notamment le photovoltaïque ont fait beaucoup parler d'elles et ont paru très brutales au grand public - ont rendu les particuliers très hésitants. Nous savons par les contacts que nous pouvons avoir, notamment au travers des espaces info-énergie, que les particuliers hésitent aujourd'hui à recourir au crédit d'impôt, parce qu'ils n'en comprennent pas les règles et craignent qu'elles ne changent, alors qu'il était auparavant considéré comme un outil reconnu, fiable et pérenne sur lequel les professionnels s'appuyaient fortement pour promouvoir les économies d'énergie. La stabilité paraît l'un des critères de succès de ces dispositifs.
Il nous paraît également indispensable d'assurer la qualité des travaux aidés. Une polémique a pu naître sur l'idée que le crédit d'impôt avait pu inciter les particuliers à entreprendre des travaux qui finalement n'ont pas été réalisés dans de bonnes conditions. Le principe de conditionnalité des aides publiques à la qualification des entreprises, accepté par le Gouvernement l'année dernière, mais qui reste à traduire de manière opérationnelle, nous semble important.
C'est dans cet esprit que l'ADEME, avec le ministère de l'écologie, a mis en place l'année dernière la mention « Reconnu Grenelle environnement », qui permet de distinguer facilement les entreprises répondant à un certain nombre de critères de qualités : avoir suivi des formations, reçu une qualification par un organisme reconnu par le Comité français d'accréditation, le COFRAC, fait l'objet d'un contrôle sur site pour vérifier que les chantiers sont réalisés dans de bonnes conditions, etc. Tous ces critères nous paraissent importants pour l'image du crédit d'impôt.
Une question spécifique a été posée sur le captage du bénéfice des économies d'énergie par des intermédiaires. Nous ne pouvons que constater et regretter que, sur certaines filières - je pense en particulier au solaire thermique et aux pompes à chaleur -, alors que le marché s'est développé de façon très rapide, ce qui aurait dû entraîner une baisse des prix, la baisse dont les consommateurs finaux auraient dû bénéficier a profité à d'autres acteurs du dispositif. Cela a été particulièrement vrai à un moment pour les pompes à chaleur. L'interrogation demeure aujourd'hui sur le solaire thermique, ce qui nous amène à entreprendre un travail particulier sur cette filière en 2012.
Pour les particuliers, le système de certificat d'économie d'énergie nous semble un dispositif ayant fait ses preuves. La première période, entre 2006 et 2009, a permis de dépasser largement les objectifs qui avaient été fixés par les pouvoirs publics. On estime qu'aujourd'hui près de 70 % des objectifs de la seconde période qui va se terminer fin 2013 sont d'ores et déjà atteints. Les évaluations que nous avons pu réaliser sur la première période montrent un effet déclencheur important de ce dispositif, avec des coûts faibles.
En outre, un rapport vient d'être réalisé pour la direction générale énergie de la Commission européenne sur l'ensemble des dispositifs similaires en Europe. Il confirme que, dans tous les pays européens qui ont mis en place ce type de mesures, le bilan est positif. Les quantifications sont parfois très précises. Ainsi, dans le cas anglais, le système de certificats d'économie d'énergie mis en place a permis d'obtenir neuf fois plus de résultats que la simple augmentation des prix correspondante. Certes, le système a un coût faible, ce qui conduit à une augmentation faible des prix et si l'on avait simplement augmenté les prix, cela se serait aussi traduit par des économies d'énergie, mais le système de certificats d'économie d'énergie a un indéniable effet multiplicateur.
Dans aucun pays, les fournisseurs soumis au dispositif n'ont eu à payer de pénalités. C'est une réponse à la critique parfois avancée selon laquelle il s'agirait d'une taxe déguisée. Dans tous les pays, les fournisseurs ont pu atteindre leurs objectifs, au prix de transformations de leur modèle économique et de création de nouvelles activités de services et de conseils aux particuliers.
Une question spécifique a trait à la répartition des coûts et des incitations entre le propriétaire et le locataire d'un logement. Sur ce sujet, l'ADEME a été associée par les ministères au travail qui a conduit à la mise en place de dispositions en vigueur depuis fin 2009 et qui, sur le principe, nous paraissent toujours pertinentes. Cependant, nous constatons qu'elles semblent avoir été peu utilisées et, pour notre part, nous ne disposons ni d'évaluation, ni d'un bilan réel de l'utilisation de ces dispositions, ni d'explications sur la faiblesse de leur utilisation.
Vous parlez de l'utilisation par le propriétaire de ce dispositif et de sa répercussion sur le prix des loyers ?
Oui.
Pourquoi cela ne marche-t-il pas très bien ? Que faudrait-il faire d'autre ?
Nous avons longtemps pensé que la question du partage des coûts entre le propriétaire et le locataire constituait l'un des freins majeurs à l'investissement dans les logements locatifs, et nous pensions l'avoir levée. Pourquoi cela n'a-t-il pas suffi à déclencher les travaux ? Les causes sont-elles encore ailleurs ? Sur ce sujet, nous ne disposons pas d'évaluation spécifique.
J'en viens à la réglementation thermique 2012, ou RT 2012. Je le dis de façon nette : toutes les études et concertations auxquelles nous avons participé, tous les travaux que nous avons reçus nous incitent à penser que la RT 2012 est équitable par rapport aux sources d'énergie, aussi équitable qu'une réglementation peut l'être. Un travail approfondi de quantifications et de scénarios a été mené pour vérifier que, sur chaque type de logements, une solution pouvait être trouvée avec chaque type d'énergie à un coût acceptable et qu'aucune énergie n'était systématiquement favorisée ou défavorisée. Des dérogations ont même été mises en place, lorsque des difficultés ont été constatées, par exemple sur les petits logements collectifs chauffés avec de l'eau chaude sanitaire électrique, pour lesquels il avait été constaté, lors des études, que les technologies étaient encore un peu chères. Une dérogation jusqu'à 2015 a été accordée de manière à rétablir l'équilibre entre les énergies. Il nous semble vraiment que le travail a été réalisé de façon équitable.
« Pensez-vous que la part du chauffage électrique en France est excessive ? » L'ADEME n'a aucune raison de le penser. Ses missions portent sur les économies d'énergie et les économies renouvelables dans le domaine de l'énergie. Aujourd'hui, avec cette réglementation thermique nouvelle, les exigences de performance énergétique qui sont imposées au chauffage électrique sont exactement identiques à celles des autres énergies. Dans la mesure où il s'agit d'une exigence en valeur absolue, on aboutit au même résultat.
Par conséquent, l'ADEME n'a aucune raison de préférer ou de moins aimer tel ou tel mode de chauffage, même si, bien sûr, elle comprend et entend les difficultés que peuvent rencontrer d'autres acteurs du système électrique sur l'impact sur les réseaux, sur la sensibilité thermique. Aujourd'hui, sur ce sujet, nous ne disposons pas d'éléments.
La seule raison qui pourrait conduire l'ADEME à s'interroger sur la place du chauffage électrique, c'est la question de la pointe. Aujourd'hui, aucune étude ne démontre très clairement que les émissions du chauffage électrique, en incluant ces questions de pointe, seraient très supérieures à celles du chauffage au gaz ; nous continuons à y travailler. À l'inverse, dans le cadre des travaux que nous menons sur les bilans de gaz à effet de serre, nous nous penchons sur le contenu carbone de l'électricité et le contenu par usage du chauffage électrique, différent du contenu moyen qui est calculé en tenant compte de la saisonnalité des usages. Le contenu carbone du chauffage électrique ne paraît pas très différent de celui du chauffage au gaz.
Nous disposons des chiffres de l'année 2010 sur la répartition des types de chauffage. Pour les résidences principales, la part du gaz est de 44 %, celle de l'électricité est de 33 %, celle du fioul est de 14,6 %, celle du chauffage urbain est de 4 %, celle du bois est de 3,6 %, celle du charbon est de 0,3 %. Ces études sont réalisées de manière régulière par le Centre d'études et de recherches économiques sur l'énergie, le CEREN, avec un financement de l'ADEME.
Nous suivons également de façon régulière l'évolution de la part des différentes solutions de chauffage dans le neuf. Le parc est une chose, mais le neuf en est une autre. On observe que, globalement, la part du chauffage électrique a eu tendance à décroître entre les années 1992-93 et 2003, atteignant à peu près 33 % dans les maisons, contre 44 % dans les appartements. Elle a fortement augmenté entre 2003 et 2007-2008, 73 % dans les maisons et 57 % dans les appartements. Depuis, elle a tendance à baisser légèrement. Ainsi, en 2010, elle est de 65 % dans les maisons neuves et de 49 % dans les appartements neufs. Dans les périodes les plus récentes, les pompes à chaleur représentent à peu près un tiers des installations dans les logements neufs.
En revanche, nous ne disposons pas de chiffres spécifiques sur les ménages précaires aujourd'hui. C'est l'un des objectifs assignés à l'Observatoire national de la précarité énergétique, qui a été mis en place l'année dernière avec les pouvoirs publics, les principales structures s'intéressant à la précarité et les énergéticiens : fournir davantage de données, rassembler celles qui existent et réaliser des enquêtes complémentaires pour nous transmettre des résultats.
Sur le chauffage électrique, je vais un petit peu plus loin que la question qui m'a été posée. Je vous ai communiqué les éléments dont nous disposions aujourd'hui. Sur la part du chauffage électrique, nous essayons aussi de savoir ce que pourrait être demain. Il nous semble qu'il existe quelques facteurs structurels qui font qu'à moyen et long termes le chauffage électrique, sous toutes ses formes, devrait conserver une place non négligeable. Cela est dû, bien sûr, à son coût d'investissement faible, mais aussi à sa capacité à offrir des solutions de très petite puissance.
Dans les logements dont les besoins de chauffage vont être très fortement réduits et dont la consommation va baisser, en particulier pour le neuf et pour l'ancien bien rénové, on cherchera des solutions offrant des très petites puissances ; par conséquent, les solutions qui présenteront des coûts d'investissement faibles seront privilégiées. Structurellement, cela peut militer en faveur du chauffage électrique.
Se pose également la question de la capacité à produire aussi du froid. On assiste à une demande croissante de climatisation, de solutions de rafraîchissement. La capacité de l'électricité à produire à la fois du chaud et du froid risque d'être un avantage compétitif dans les années à venir.
J'en viens maintenant aux énergies renouvelables. Parmi les principaux mécanismes de soutien, j'en citerai trois : l'obligation d'achat sous forme de tarif, les appels d'offres, le crédit d'impôt développement durable pour les particuliers.
De notre point de vue, en matière d'électricité, les tarifs d'achat restent la meilleure solution pour développer et diffuser une filière d'énergies renouvelables. Les expériences qui ont été menées en France comme ailleurs montrent que, pour créer une dynamique de développement, de croissance et de développement large d'une filière, le tarif d'achat semble la meilleure solution, pour ne pas dire la seule, en termes de volume comme de prix.
L'étude de la Commission européenne, réalisée en 2006, a notamment bien montré que, contrairement à ce que l'on peut parfois imaginer, les solutions d'appel d'offres ne conduisent pas à des coûts inférieurs aux solutions de tarif d'achat. Nous venons d'en avoir l'illustration en France : l'appel d'offres de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, sur le photovoltaïque, qui porte sur 120 mégawatts, vient d'être clos. Or l'offre ne permet d'en atteindre que la moitié. En outre, au regard des informations à notre disposition - il faudrait que la CRE le confirme -, le prix pour les lauréats serait de 229 euros le mégawattheure, alors que le tarif est à 213,7 euros le mégawattheure.
Cela étant, le tarif est un instrument de politique publique qui nécessite une régulation fine, des mécanismes d'ajustement des quantités, si l'on veut en contrôler les coûts. Ce fut le cas avec le photovoltaïque.
Pour éviter les politiques de « stop and go », il faut pouvoir anticiper, définir des trajectoires et déterminer à l'avance des règles du jeu. Dans ce domaine aussi, la continuité des politiques et leur visibilité sont au moins aussi importantes que leur niveau.
Associées à la confiance que les tarifs d'achat permettent de donner aux investisseurs, elles sont l'une des clés du succès des tarifs d'achat. Des tarifs d'achat établis avec du « stop and go » finissent par ressembler à des appels d'offres, en tout cas par en avoir les défauts.
Je souhaite insister sur un point. Le tarif d'achat présente un double avantage. Il permet d'améliorer non seulement la rentabilité du projet, en lui apportant une aide financière, mais également l'accès au marché aux producteurs.
On le voit aujourd'hui avec le débat sur certaines productions amorties, par exemple l'hydraulique. Pour un producteur d'énergies renouvelables, il n'est pas nécessairement simple d'avoir accès au marché et de vendre son électricité, même si son coût de revient est compétitif : il est petit, son électricité est plus fluctuante que celle d'une importante centrale à gaz, il ne bénéficie pas forcément d'une image de professionnalisme auprès de certains clients. Par conséquent, même si son prix est intéressant, il aura du mal à trouver des clients. C'est là que le dispositif de tarif d'achat joue un double rôle : donner accès au marché et améliorer la rentabilité.
Il y a là matière à réflexion pour l'avenir. En effet, de plus en plus d'installations ne pourront légitimement plus bénéficier de subventions financières de l'État et il faudra trouver des solutions pour les aider à mettre leur électricité sur le marché. La directive européenne Énergies renouvelables a prévu un accès prioritaire au réseau des énergies renouvelables, sans que le sens donné à cette priorité soit toujours très clair. Il faudra peut-être y remédier.
Pour les énergies renouvelables, le crédit d'impôt a beaucoup été utilisé pour financer du photovoltaïque, avec un cumul avec le tarif d'achat qui, de notre point de vue, a parfois relevé de l'effet d'aubaine. L'ADEME l'a souvent souligné : cela s'est fait au détriment d'autres types d'installations d'énergies renouvelables, en particulier le bois ou le solaire thermique. Nous le regrettons, sachant que ces filières ne bénéficient pas, elles, de soutiens équivalents à ceux du tarif d'achat.
J'ajouterai un dernier mot sur la comparaison des différents dispositifs. Bien sûr, cette commission d'enquête s'intéresse à l'électricité et, sur les énergies renouvelables, les questions d'électricité et de chaleur sont toujours très liées. Par exemple, on s'interroge sur l'opportunité de faire reposer les coûts des énergies renouvelables électriques sur l'ensemble de la filière énergétique, mais on pourrait le faire aussi pour les énergies renouvelables thermiques qui bénéficient aujourd'hui du soutien du Fonds chaleur renouvelable grâce à un financement de l'État. Du coup, il a bien du mal à augmenter, ou même à ne pas baisser, et nous sommes loin des trajectoires qui avaient été imaginées par le Grenelle de l'environnement. Or, quand on compare le coût par tonne d'équivalent pétrole, ou TEP, renouvelable produite des deux dispositifs, on estime le coût à 20 euros par TEP sur les grands projets nationaux financés par le Fonds chaleur, contre 200 euros à 400 euros - dix à vingt fois plus - sur les appels d'offres biomasse de la CRE.
Sur la recherche et développement en matière d'énergies renouvelables, l'ADEME s'est fixé principalement trois axes de recherche : d'abord, la réduction des coûts et l'augmentation des rendements ; ensuite, tout ce qui favorise l'intégration dans le système électrique - prévisions, ressources, connaissance de la ressource, gestion de l'intermittence - ; enfin, la qualité environnementale des énergies renouvelables, par exemple le contenu carbone. Nous avons notamment montré l'écart entre le contenu carbone d'un panneau photovoltaïque produit en Chine et celui d'un panneau produit en France.
On note un rapport de un à dix environ.
Le panneau photovoltaïque produit en France a un contenu carbone sept à dix fois plus faible que celui qui est fabriqué en Chine, puisque l'électricité est très carbonée en Chine et qu'il faut beaucoup d'électricité pour produire un panneau photovoltaïque.
Voilà un de nos axes de recherche : essayer de baisser ces empreintes environnementales. Si les énergies renouvelables présentent beaucoup d'avantages, elles ne sont pas exemptes de défauts et nous essayons de les améliorer.
Le stockage et les smart grids sont également deux axes de recherche importants.
Pour l'ADEME, le stockage constitue un enjeu majeur en matière d'intégration des énergies renouvelables. Aujourd'hui, nous explorons tous les types de solutions de stockage, mais aucune piste ne se dégage. Le coût reste une difficulté majeure pour envisager une intégration à grande échelle du stockage.
La question de la méthanation que vous avez soulevée, et qui est aujourd'hui mise en avant par Gaz de France, peut présenter un intérêt comme stockage d'électricité fatale. Cette question concerne davantage les Allemands, dont l'éolien produit parfois au-delà des besoins, que la France qui n'a pas pour l'instant énormément d'électricité fatale. Néanmoins, dans la mesure où la question pourrait se poser, nous examinons cette solution.
En matière de stockage, au-delà de la question de la recherche et des coûts, la question des tarifs d'utilisation des réseaux sera cruciale. Le tarif d'utilisation des réseaux de transport est aujourd'hui construit de telle manière que le recours à grande échelle au stockage devient quasiment impossible, puisque les coûts d'injection et de soutirage du réseau sont tout à fait insupportables dans un modèle économique de stockage. Sur ce point, nous sommes face à une véritable difficulté.
Je terminerai en évoquant le compteur Linky. L'ADEME n'a pas vocation à s'exprimer sur l'ensemble des fonctionnalités de ce compteur, qui apporte des services multiples au réseau électrique. Il devrait apporter certaines améliorations pour l'intégration des énergies renouvelables. En revanche, les fonctionnalités actuelles ne permettront pas, à elles seules, la réalisation d'économies d'énergie. Le dispositif compte, mais cela ne suffit pas. La question de l'information du consommateur et de l'interaction entre le compteur et le consommateur pour l'inciter à réduire sa consommation reste aujourd'hui ouverte.
L'ADEME continue de militer, puisque le sujet n'est pas clos, pour qu'à l'occasion du déploiement de Linky soit systématiquement et gratuitement proposée à chaque consommateur une solution d'information sur sa consommation en temps réel. Ce peut être recevoir un SMS, une information sur son téléviseur, avoir un afficheur déporté dans sa cuisine. Il existe aujourd'hui un éventail de solutions techniques et organisationnelles permettant de donner au consommateur cette information qui peut lui permettre d'agir pour réduire sa consommation d'énergie. Ce débat reste lancé dans d'autres pays et à l'échelon européen où la directive européenne « ESD » pourrait aller vers une exigence d'information du consommateur.
Je vous remercie. Vous ne vous en êtes pas trop mal sortie : vous avez tout de même porté un jugement, répondant en cela à la demande du rapporteur, et ne vous êtes pas contentée de nous fournir des explications techniques.
Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous obtenir des précisions ou des informations complémentaires sur l'une des questions que vous avez posées ?
J'ai deux questions.
Ma première question porte sur les déchets. On a construit beaucoup de panneaux photovoltaïques, on aura des éoliennes, etc. Comment réfléchissez-vous à cette problématique ? Comment peut-on en calculer l'impact dans la filière ?
Ma deuxième question concerne la fameuse filière photovoltaïque qui n'était pas construite en France. N'est-ce pas une leçon pour l'avenir ? Avant de lancer une filière et de la promouvoir, encore faut-il la construire. On l'a vu, et vous l'avez rappelé, les panneaux sont construits en Chine ou ailleurs et non en France. Pour les éoliennes, c'est un peu la même chose.
La question des déchets fait aujourd'hui l'objet d'un certain nombre de travaux, notamment sur le photovoltaïque, pour inciter les producteurs et les installateurs de panneaux à s'inscrire dans des démarches de recyclage. Une association européenne a été créée pour mettre en place la filière de récupération et de recyclage des panneaux photovoltaïques : il s'agit d'une filière facultative sur la base du volontariat. L'ADEME suggère la mise en place d'une filière obligatoire, qui viserait à élargir la responsabilité des producteurs et permettrait d'assurer un recyclage systématique.
Sur les éoliennes, certaines mesures se mettent en place. La quantité de terres rares dans les éoliennes fait qu'un certain nombre d'acteurs industriels voient un intérêt au recyclage des éoliennes et sont relativement actifs sur le sujet.
En matière de développement des énergies renouvelables, les pouvoirs publics poursuivent en général plusieurs objectifs à la fois : des objectifs environnementaux, notamment la réduction des émissions de gaz à effet de serre, des objectifs d'indépendance énergétique et de sécurité d'approvisionnement et des objectifs de développement de l'emploi et d'activités économiques. Les deux premiers objectifs sont en général relativement indépendants de l'origine des matériels, sauf dans certains cas très particuliers comme les panneaux photovoltaïques chinois. Des mesures semblables à celles qu'ont mises en place les Italiens pour limiter leur soutien aux installations produites en Europe permettent d'éviter les impacts environnementaux les plus négatifs.
J'en viens à la question de l'emploi et de la valeur ajoutée. La construction des installations représente des parts de valeur ajoutée variables selon les filières, mais celles-ci sont en général loin d'être importantes.
Ainsi, dans le photovoltaïque, on estime que moins de la moitié de la valeur ajoutée est liée à la construction du panneau lui-même. En revanche, un certain nombre d'autres équipements techniques sont nécessaires, notamment des onduleurs, qui, pour une bonne part, sont produits en France. Il faut en outre tenir compte de l'activité d'installation et de maintenance des panneaux. Évidemment, nous préférerions que l'ensemble de la valeur ajoutée soit française, mais, malgré la part des importations dans la filière photovoltaïque ou dans la filière éolienne, les parts de valeur ajoutée en France sont importantes.
Pour les nouvelles filières, nous essayons de soutenir la création d'activités en France. Je pense en particulier aux énergies marines, qui font l'objet de soutiens importants dans le cadre des investissements d'avenir. Grâce au soutien des industriels français, on peut espérer créer de véritables filières nationales.
Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la question des incitations financières et des captages des intermédiaires ? Vous avez pointé des abus sur les pompes à chaleur et peut-être encore aujourd'hui sur le solaire thermique. Que s'est-il passé ? Les installateurs ont-ils proposé des surcapacités par rapport aux besoins réels des particuliers ou y a-t-il eu de la triche dans les factures ?
Nous menons en 2012 une étude pour le savoir.
Nous constatons aujourd'hui que, à produit identique, le solaire thermique est quasiment deux fois plus cher en France qu'en Allemagne. Certes, il y a un effet de volume, mais cela n'explique pas tout.
Grâce aux mesures de crédit d'impôt, le marché des pompes à chaleur s'est beaucoup développé, passant de 20 000 machines à 170 000 machines. Or cela n'a quasiment eu aucun effet sur les prix. Quelquefois, cela peut s'expliquer par la hausse des matières premières. Mais, pour cette filière, rien ne justifie un tel constat.
Vous l'avez-vous-même rappelé, le succès des pompes à chaleur s'explique par la souplesse qu'elles offrent par rapport au chauffage électrique, puisqu'elles proposent à la fois du chaud et du froid.
Pourtant, on ne constate pas d'abus de la part des installateurs qui auraient proposé des pompes à chaleur trois fois plus puissantes que le besoin réel de la maison. En revanche, cela n'a pas eu d'effet économique, en entraînant une baisse de prix, c'est ce que vous reprochez.
En effet, il n'y a pas eu de baisse de prix, c'est le premier reproche que l'on peut formuler. Il est vrai que nous avons pu avoir connaissance de cas de surdimensionnements des installations, qu'il s'agisse des pompes à chaleur ou du solaire thermique, par rapport aux besoins. Pour l'instant, nous manquons d'éléments statistiques pour quantifier ces effets-là. J'espère que, d'ici à la fin de l'année, nous en aurons davantage.
Je souhaite prolonger la question de M. le président sur le problème de la captation ou des prix. La non-répercussion de la baisse des coûts sur les prix concerne surtout la filière photovoltaïque. Sur le thermique, vous constatez une différence de prix. Est-ce parce que les fabricants français sont de moins en moins nombreux ou le même produit est-il vendu plus cher en France qu'en Allemagne ?
Nous nous fondons sur la moyenne des produits vendus en France par rapport à la moyenne des produits équivalents vendus en Allemagne. Certes, on compte assez peu de producteurs français. Pour autant, cette différence de prix ne nous semble pas pouvoir s'expliquer par le fait que les producteurs français seraient plus chers. C'est bien dans l'ensemble de la filière que l'on note des positionnements de prix différents.
Sur le photovoltaïque, on a constaté un déséquilibre entre les baisses des coûts de production et les prix qui sont restés soutenus par des tarifs d'achat élevés.
Je souhaite obtenir une précision qui ne concerne pas directement les travaux que nous menons dans le cadre de cette commission d'enquête.
En matière de stockage d'énergie, vous avez affirmé que nos besoins étaient moins forts qu'en Allemagne. Ce pays, en particulier en raison de l'éolien, connaît des surproductions et il lui est donc utile de stocker l'énergie. Je comprends cet argument.
Vous avez également souligné que les réseaux de transport n'étaient pas adaptés au stockage d'énergie. Pouvez-vous nous apporter rapidement des explications sur le sujet ? Si c'est trop compliqué ou trop technique, peut-être y reviendrons-nous à un autre moment.
Je vais tenter d'être plus précise.
Ce que j'ai dit sur les Allemands portait spécifiquement sur la méthanation. Finalement, il s'agit d'une très bonne manière d'utiliser l'énergie fatale : au lieu de la stocker dans des batteries, on la transforme en métal. C'est un très bon mode de stockage quand on a de l'électricité fatale. Dans le cas contraire, c'est moins pertinent ; or, aujourd'hui, la France en a peu.
Le stockage sera, en France comme en Allemagne, un enjeu important pour le développement des énergies renouvelables.
Aujourd'hui, le tarif d'utilisation des réseaux est conçu uniquement pour les producteurs ou les consommateurs : ils paient un tarif d'injection dans le réseau ou un tarif de soutirage. Par définition, celui qui gère une capacité de stockage passera son temps à injecter et à soutirer. Il paiera donc les deux composantes du tarif, ce qui fera peser sur lui une charge économique très importante par rapport aux autres utilisateurs du réseau.
Aujourd'hui, notre analyse est la suivante : avec ces caractéristiques du tarif d'achat, il est très difficile de trouver un modèle économique pour le stockage. La Commission de régulation de l'énergie en est bien consciente. Nous avons un débat avec elle sur ce sujet et il nous faut trouver des solutions, si l'on veut que le stockage puisse se développer.
Pourriez-vous nous faire parvenir une information complémentaire concernant ces tarifs d'achat ? L'ADEME doit avoir un certain nombre d'éléments comparatifs sur les tarifs d'achat dans les autres pays européens. Pour nous, c'est intéressant, notamment pour comprendre l'évolution des tarifs.
Je m'explique. Nous souhaitons comprendre comment les pays qui ont aujourd'hui de l'avance sur nous en matière de solaire et d'éolien ont fait pour favoriser ces filières. Quels étaient les tarifs d'achat initiaux et au bout de combien de temps les efforts qu'ils ont déployés pour favoriser ces filières ont-ils diminué, puis cessé ? La même question se pose pour le photovoltaïque chez nos partenaires européens.
De telles informations seraient intéressantes pour nos travaux.
Je crains que nous n'ayons pas une vision complète de la question, mais nous vous ferons bien sûr parvenir les éléments dont nous disposons.
Madame Schwarz, je vous remercie de nous avoir apporté ces précisions et d'avoir répondu à nos questions.
M. le rapporteur sera peut-être amené à vous entendre de nouveau, s'il souhaite obtenir quelques informations complémentaires. N'en soyez pas surprise.