Au cours d'une troisième réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics.
La réunion est ouverte à 16 h 13.
Nous remercions Michel Sapin d'être parmi nous aujourd'hui, pour des échanges qui seront toutefois assez brefs, en raison de la venue, à 17 heures, d'Emmanuel Macron pour une audition ouverte à tous les sénateurs dans la perspective de l'examen du projet de loi pour la croissance et l'activité par le Sénat.
Cette audition intervient à la suite de la publication le 27 février dernier, par la Commission européenne, de la « recommandation de recommandation du Conseil » tendant à accorder à la France une prolongation du délai de correction de son déficit excessif de deux années. Cette recommandation, qui s'inscrit dans le cadre du volet correctif du Pacte de stabilité et croissance, devrait être adoptée par le Conseil de l'Union européenne le 10 mars prochain. Elle précise également le rythme attendu de réduction du déficit public français, ainsi que le quantum d'ajustement structurel souhaité pour chacune des années 2015, 2016 et 2017. Une telle décision avait été annoncée dans l'avis de la Commission du 28 novembre 2014 portant sur le projet de plan budgétaire français, conformément à la procédure récemment instituée par le Two Pack. Pour commenter cette décision, la commission des affaires européennes et la commission des finances devraient entendre prochainement Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne chargé de l'euro et du dialogue social.
La semaine dernière, avec Michèle André, le président et la rapporteure générale de la commission des finances de l'Assemblée nationale, nous étions à Bruxelles, où nous avons rencontré Pierre Moscovici ; lundi, avec Michèle André et Gilles Carrez, nous sommes allés à Berlin pour comprendre le point de vue des Allemands. Monsieur le Ministre, je souhaiterais vous poser une question, qui me fera passer pour un peu naïf, mais je n'ai toujours pas compris...
Le Gouvernement ne prévoit pas de réaliser d'économies supplémentaires au-delà des 50 milliards d'euros prévus sur la période 2015 à 2017 ; vous avez indiqué, dans une interview, qu'il n'y aurait pas de d'impôts supplémentaires en 2015 et 2016 et la prévision de croissance reste faible - la croissance allemande nous fait rêver...
Toutefois, en raison des effets du redressement des comptes publics sur la croissance, il semblerait que 25 à 30 milliards d'euro d'économies supplémentaires soient nécessaires, selon la Commission européenne, pour que la France respecte ses objectifs budgétaires ; comment le Gouvernement compte-t-il combler cet écart ? Sur quelles prévisions de croissance la trajectoire des finances publiques de la France repose-t-elle ?
Je comprends que vous ayez du mal parfois à comprendre le langage européen, qui est très compliqué.
Je vous propose de travailler sur des notions comme la croissance potentielle, l'« ouput gap » - personne n'a pu m'en donner la traduction française - ou le déficit structurel. Ces notions ont été mises au point par des économistes intelligents et avisés, peut-être d'ailleurs de manière utile dans certains cas, mais sur lesquelles je n'ai pas connu deux économistes ayant la même pensée. Je vais essayer d'être clair et simple.
Partons du projet de recommandation de la Commission européenne. Je vous incite d'ailleurs à utiliser ce terme, qui doit être privilégié plutôt que les mots « punition » ou « obligation » qui constituent de parfaits repoussoirs d'un idéal européen.
Par son adhésion à l'Union européenne et la ratification des traités, la France a des responsabilités vis-à-vis de ses partenaires européens, d'autant plus grandes que notre pays représente 20 % du produit intérieur brut (PIB) de la zone euro. Si la France a une faible croissance, c'est toute la zone euro qui a une faible croissance. Je préfère le terme de recommandation, de responsabilités que nous devons assumer, plutôt que tous ces mots que je vois fleurir et qui ont comme seul résultat de nourrir ceux qui ne sont pas autour de cette table, ni d'un côté, ni de l'autre, c'est-à-dire les populistes et anti-européens.
L'année 2014 fut décevante. Le gouvernement français, tous les observateurs, la Commission européenne elle-même, prévoyaient fin 2013 un taux de croissance de 1 % pour la France en 2014 - elle n'aura été que de 0,4 %. En France, comme dans l'ensemble de la zone euro, la croissance a été inférieure aux anticipations. Si, en Allemagne, la réalité a été en deçà de la prévision, dans la mesure où la croissance prévue était de 2 %, les conséquences sont moins redoutables.
Par ailleurs, les conséquences de la faible inflation sont d'une brutalité considérable. L'inflation a été largement négative en zone euro en 2014. En France, aujourd'hui, l'inflation prévue pour l'année 2015 est nulle : une inflation de 0 %, un phénomène très rare, cela change bien des choses, y compris d'un point de vue budgétaire.
Au milieu de l'année 2014, nous avons réalisé que la croissance ne serait pas de 1 % mais de 0,4 % du PIB - et je l'ai dit, dès le mois de juillet. J'ai également indiqué que le déficit public s'élèverait à 4,4 % du PIB en 2014. Même si nous n'avons pas encore les résultats définitifs, je peux vous assurer que nous respecterons largement cet objectif, c'est-à-dire que le déficit sera inférieur à 4,4 % du PIB.
Le Premier ministre et moi-même avons dit qu'il fallait que l'Europe réoriente sa politique pour que les pays en difficultés - dont la France - retrouvent une croissance plus forte. Une institution européenne - et heureusement qu'elle existe ! - a pris ses responsabilités et adopté les décisions qui convenaient tôt : c'est la Banque centrale européenne (BCE). Grâce à elle, les taux d'intérêt sont extrêmement faibles et, compte tenu de la confiance des investisseurs internationaux, le taux d'intérêt à dix ans s'élève à 0,6 % - ce qui n'est pas arrivé souvent au cours des dernières décennies. De plus, la valeur de l'euro a diminué et est devenue beaucoup plus compatible avec ce qu'elle représente réellement par rapport aux autres monnaies. C'est un élément très favorable pour l'industrie, notamment l'industrie exportatrice.
Au même moment, le Premier ministre et moi-même avons dit - je reprends les termes que j'ai utilisé lors de ma nomination : il n'y a aucune hésitation quant à la nécessaire diminution des déficits, mais son rythme doit être compatible avec le retour d'une croissance suffisamment forte.
Il faut que ce rythme de diminution du déficit public soit adapté à notre situation, et qu'il soutienne une croissance légèrement renaissante.
Il y a des signes positifs qui permettent de penser que l'objectif d'un taux de croissance de 1 % en 2015 est réaliste et que s'il devait y avoir des surprises, elles seraient plutôt positives que négatives. Il faut donc faire attention à ne pas briser cette croissance, tout en continuant à diminuer le déficit public.
Dans la loi de finances pour 2015 et dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014-2019, nous avons proposé au Parlement une trajectoire prévoyant un déficit public de 4,1 % en 2015, de 3,6 % en 2016 et de 2,7 % en 2017. La Commission européenne recommande pour sa part un déficit de 4 % en 2015, de 3,4 % en 2016 et de 2,8 % en 2017. On voit donc que ces deux trajectoires sont cohérentes et l'on pourrait aller jusqu'à dire - si l'on souhaitait forcer le trait - qu'en 2017 la commission est moins exigeante que nous.
À côté de ce débat sur la trajectoire, il y a un débat légitime sur la façon de la respecter et donc sur l'atteinte de l'objectif que nous nous sommes fixés nous-mêmes de 50 milliards d'euros d'économies d'ici 2017. Je sais que certains disent qu'il faudrait faire encore plus, ce qui est assez facile à dire quand on n'est pas aux responsabilités, mais je constate qu'un effort de cette ampleur n'a jamais été réalisé.
Depuis l'examen du projet de loi de finances pour 2015, un élément significatif a changé : la prévision d'inflation était de 0,9 % quand l'inflation que nous devrions constater serait de 0 %, d'après la Banque centrale européenne.
Cette atonie des prix emporte des conséquences positives : la seule baisse du cours du pétrole représente une économie de 20 milliards d'euros, dont 10 milliards pour les ménages et 10 milliards pour les entreprises. De même, ce niveau d'inflation pousse la Banque centrale européenne à injecter des liquidités et permet à la France de s'endetter à un taux encore plus faible.
En revanche, l'effet sur certaines recettes sera négatif. Je pense notamment à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), dont le produit dépend mécaniquement du niveau des prix. Il faudra donc prendre en compte cette moindre recette. De même, les économies votées ont été calculées, comme c'est l'usage, par rapport à un tendanciel ; par conséquent, la baisse de l'inflation diminue leur montant. Je pense, par exemple, au gel d'une prestation indexée sur l'inflation, qui est coûteux politiquement, mais dont l'effet est nul dès lors qu'il n'y a plus d'inflation.
Pour respecter le quantum d'économies prévu en 2015, il sera donc nécessaire de trouver des économies supplémentaires. Il est clair qu'il faudra respecter l'objectif de 50 milliards d'euros d'ici 2017, mais il ne faut pas prendre de décisions qui viendraient casser la croissance. Un taux de croissance supérieur à 1 % voire autour de 1,8 % est possible pour 2016 ou 2017, ce qui permettrait de faire diminuer le chômage : ne prenons donc pas le risque de briser cette dynamique, d'autant plus si c'est pour des raisons purement dogmatiques.
Puis-je déduire de votre intervention que le Gouvernement considère qu'il ne sera pas nécessaire de déposer un projet de loi de finances rectificative ou un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale ?
Par ailleurs, il faudra financer un accroissement des moyens budgétaires dévolus aux ministères de la défense et de l'intérieur, en raison, notamment, des opérations extérieures (Opex), du plan « Vigipirate » et du renforcement annoncé des services de renseignement. Comment ces moyens budgétaires seront-ils redéployés ?
Enfin, en avril prochain, la France transmettra aux institutions européennes son programme de stabilité 2015-2018, qui tiendra notamment compte des recommandations du Conseil de l'Union européenne reportant de deux années le délai de correction du déficit excessif, et son programme national de réforme, dont nos partenaires européens attendent qu'il fasse état d'un plan de réformes structurelles conséquent. Est-il prévu d'organiser un débat devant le Parlement, assorti d'un vote, sur le projet de programme de stabilité et le programme national de réforme ?
Je pourrai vous en dire davantage lorsque nous disposerons, à la fin du mois de mars, des chiffres définitifs pour l'année 2014. À cette date, je serai en capacité de vous donner des éléments beaucoup plus précis car les résultats pour l'année 2014 auront des conséquences considérables sur l'année 2015. Si le déficit était inférieur à 4,4 %, ceci pourrait, par exemple, avoir des conséquences en termes de réévaluation de recettes ou d'adaptation des dépenses pour le budget 2015 et au-delà. En toute sincérité, cela m'est très difficile de répondre aujourd'hui plus précisément à vos questions.
À partir du 27 mars, nous pourrons avancer sur tous les aspects du débat budgétaire. Dans le cadre du semestre européen, tous les pays de l'Union européenne doivent, chaque année au mois d'avril, envoyer à la Commission européenne deux documents : d'une part, le programme de stabilité, qui indique comment sont prises en compte les recommandations formulées par la Commission et comment la nouvelle trajectoire budgétaire permettra de respecter l'objectif d'un déficit inférieur à 3 % en 2017, et, d'autre part, le programme national de réforme (PNR), qui doit recenser de la façon la plus précise possible les mesures permettant d'atteindre les différents objectifs. Bien sûr, il s'agit de prendre les décisions qui sont bonnes pour la France et non de répondre à telle ou telle injonction. Personnellement, je suis un Européen convaincu et l'idée selon laquelle la Commission européenne nous « ordonne » de faire certaines choses ne correspond pas à la réalité. Cela étant, l'Union européenne est un cumul de responsabilités et s'il y a un maillon qui ne les assume pas, cela pose problème.
À l'occasion de l'examen du PNR, il s'agira, par exemple, pour la Commission européenne, de nous demander quelles sont les avancées concernant la simplification du dialogue social dans les entreprises et la suppression des effets des « seuils sociaux ». Dans ce cas précis, les négociations entre les partenaires sociaux ayant échoué, le Gouvernement prendra ses responsabilités et décidera d'avancer. Le ministre du travail présentera prochainement un projet de loi apportant un certain nombre de réponses dans ce domaine. Un autre exemple concerne la réforme de l'assurance chômage : une révision de l'accord entre les partenaires sociaux, patronat et syndicats, est prévue mi-2016. Ne pourrait-on pas accélérer le calendrier de révision de cet accord, compte tenu de la situation de l'assurance chômage ?
Bien sûr, ces deux documents, le programme de stabilité et le PNR, vous seront transmis préalablement à leur envoi à la Commission européenne. Il est de tradition que des débats aient lieu dans les assemblées sur ces documents - sans qu'il y ait nécessairement de vote.
Y a-t-il besoin d'un projet de loi de finances rectificative ? À ce stade, je ne pense pas qu'il y ait une telle obligation, car nous avons la possibilité d'annuler ou d'ouvrir des crédits par voie réglementaire, dans une certaine limite et sous réserve d'en informer le Parlement.
Par ailleurs, en janvier dernier, le Gouvernement a annoncé l'ouverture de 940 millions d'euros de crédits supplémentaires en faveur des mesures de lutte contre le terrorisme. Par conséquent, il y aura une baisse équivalente de crédits de même nature dans d'autres domaines ou ministères, sans utiliser la réserve de précaution, afin de compenser intégralement ces nouvelles dépenses. Ceci prendra la forme d'un décret d'avances.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre franchise ; je partage votre point de vue sur la réduction des déficits. L'étalement dans le temps semble plus réaliste. Je préfère que l'on se donne des objectifs que l'on est en mesure de tenir. L'année 2014 a été très décevante : on nous avait annoncé initialement un déficit de 2,8 %, puis de 4,1 % et celui-ci pourrait finalement être de 4,4 %. Je suis très vigilant quant au respect des objectifs annoncés.
Je n'aime pas trop les notions de solde structurel ou de tendanciel. Je comprends toutefois que la trajectoire de réduction des déficits du Gouvernement est assez proche de ce qui est souhaité par la Commission européenne mais que pour atteindre cet objectif, cette dernière considère qu'il faudrait réaliser 27 milliards d'euros d'économies supplémentaires, tandis que le Gouvernement estime qu'il ne serait pas nécessaire de réaliser ces économies supplémentaires. Est-ce bien cela ?
Je souhaiterais tout de même que vous donniez quelques éléments chiffrés afin d'étayer vos prévisions quant à l'impact de la moindre inflation sur les recettes de TVA et sur les 21 milliards d'euros d'économies programmées par rapport au tendanciel. Je constate par ailleurs que, pour les collectivités territoriales, la notion de tendanciel n'a pas été utilisée mais qu'on leur a appliqué une baisse réelle de leurs dotations.
J'ai deux questions annexes. La première concerne les collectivités territoriales : le Gouvernement serait-il prêt à discuter d'un étalement dans le temps de la baisse des dotations ? Deuxièmement, j'ai été surpris de voir que l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) constatait une hausse de 1,9 % de la consommation des administrations publiques en 2014 tandis que leurs investissements diminuaient. Pouvez-vous m'expliquer ce résultat ?
Monsieur le ministre, je salue la clarté de votre propos et la sérénité qui est la vôtre. S'agissant de la doctrine européenne, il semble qu'elle a évolué sur le plan budgétaire, ce qui a permis de décaler la trajectoire de réduction des déficits de la France et, ainsi, de relâcher la bride. Il y a également une évolution de la doctrine européenne concernant l'action économique, en particulier la politique d'investissement public. Après quelques atermoiements, le bien-fondé des demandes formulées par le Président de la République en ce qui concerne l'investissement et les efforts de relance a finalement été reconnu.
Plus tôt dans la journée, l'ambassadrice d'Allemagne en France, entendue par la commission des affaires européenne du Sénat, reconnaissait le besoin important d'investissements en Allemagne. Mais dans le même temps, elle indiquait que l'investissement public ne pouvait pas augmenter et qu'il convenait de privilégier les investissements privés. Il semble donc bien qu'il y ait encore des questions de doctrine qui bloquent l'investissement public en Allemagne et certainement en Europe. La question est de savoir si cette doctrine pourra évoluer rapidement et si l'on pourra prochainement réhabiliter monsieur Keynes en Europe. Car lorsque l'on demande aux entreprises les raisons de leur implantation en France, les réponses sont toujours les mêmes : la qualité des infrastructures publiques, du système éducatif et l'accompagnement de l'initiative économique, qui reposent tous sur l'investissement public.
Toute évolution de la doctrine européenne concernant les investissements publics serait non seulement la bienvenue mais permettrait aussi de redynamiser le marché de l'emploi. Une telle évolution vous semble-t-elle possible ?
Si j'ai bien compris les propos du ministre, les 50 milliards d'euros d'économies demeurent, mais c'est le référentiel à partir duquel elles sont calculées qui a bougé, ce qui aura nécessairement des conséquences.
Les collectivités territoriales représentent 75 % de l'investissement public. Les élus locaux ont besoin de visibilité et beaucoup viennent de découvrir l'ampleur de la « douloureuse ». On nous annonce une grande réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF), une révision des valeurs locatives, des locaux professionnels puis des locaux d'habitation, une réforme de la péréquation... Dans un environnement aussi mouvant, comment les élus peuvent-ils encore décider d'investir ?
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous garantir que la baisse des dotations aux collectivités territoriales de 11 milliards d'euros restera une baisse de 11 milliards d'euros entre 2015 et 2017, quoi qu'il arrive, et que le Gouvernement ne sera pas tenté de demander un effort supplémentaire aux collectivités territoriales ? Je rappelle quand même que la dette des collectivités territoriales représente seulement 11 % de la dette publique, alors que 22 % de l'effort d'économies demandé repose sur elles.
Je salue la sérénité du ministre : en 2012, le candidat François Hollande promettait que l'objectif d'un déficit limité à 3 % du PIB serait atteint dès 2013 et que le budget serait équilibré en 2017. Puis, Pierre Moscovici a renoncé, dès 2013, et reporté cet engagement à 2014. Monsieur le ministre, lorsque vous avez pris vos fonctions le 10 avril 2014, vous avez dit que cet objectif de 3 % serait tenu en 2015. Aujourd'hui, je vous écoute avec plaisir nous annoncer que finalement, il faudra attendre 2017. En 2017, votre successeur dira probablement qu'il reviendra à la prochaine mandature présidentielle de réaliser cet objectif...
Pouvez-vous nous présenter un bilan de la situation grecque et préciser les prochaines étapes de la mise en oeuvre de l'accord récemment conclu avec le gouvernement grec ?
Merci à ceux qui saluent ma sérénité. Philippe Dominati, je n'aime pas être dans la polémique, comme vous d'ailleurs, aussi ne rappellerai-je pas ce qui exaspère nos amis européens : en 2003, la France, comme l'Allemagne d'ailleurs, a renoncé à l'objectif de déficit limité à 3 % du PIB, mais l'Allemagne s'est alors réformée, ce qui lui permet aujourd'hui de respecter ses engagements...
Si, à partir de 2003, en France, avaient été entreprises des réformes de même nature que celles mises en oeuvre par le gouvernement social-démocrate en Allemagne, la France n'en serait pas là aujourd'hui, effectivement.
Je ne souhaite pas à la France ni à mon successeur de constater une nouvelle fois que notre pays ne respecte pas ses engagements en 2017. Car je suis convaincu que la France a la capacité de les honorer.
Ce que nous avons décidé et ce que la Commission européenne nous recommande est certes exigeant - il n'y a pas de réduction de dépenses sans effort, pour les collectivités territoriales comme pour les autres - mais aussi réaliste. Je trouve très mauvais, pour notre crédibilité externe, vis-à-vis de nos partenaires, de n'être jamais au rendez-vous, de demander des efforts aux Français et de donner le sentiment que ces efforts n'aboutissent pas aux résultats escomptés, de dire aux Européens que nous sommes solidaires mais de ne pas respecter nos engagements.
Voilà le constat que je fais pour le passé et il y a, à chaque fois, des raisons objectives au report de certains engagements - comme la croissance décevante de l'année 2014, par exemple.
François Marc m'a demandé s'il y avait eu un changement de doctrine en Europe et la réponse est oui. La Banque centrale européenne, tout d'abord, a été très active. Mais la Commission européenne qui est récemment entrée en fonction a également un nouvel état d'esprit. On parlait il y a encore quelques mois de stratégie budgétaire « restrictive » pour la zone euro, avec une baisse des déficits publics dans chaque pays. Cette stratégie, suivie en 2012 et 2013, n'est d'ailleurs peut-être pas étrangère à la croissance décevante de 2014, mais il s'agissait à l'époque d'éviter un éclatement de la zone euro.
Aujourd'hui, la Commission européenne parle de stratégie budgétaire « neutre », c'est-à-dire que certains pays, comme la France, doivent réduire leur déficit public, quand certains, comme l'Allemagne, peuvent se permettre d'être plus allants. Le discours sur les investissements a également changé, avec la mise en place du « plan Juncker ».
Je suis en revanche dans l'impossibilité d'apporter les précisions souhaitées par Vincent Delahaye sur les effets de l'absence d'inflation sur les recettes. En effet, ses effets mécaniques se conjuguent à une augmentation de la consommation qui rend difficile une estimation précise. Je pourrai vous donner des chiffres plus précis au début du mois d'avril.
Enfin, plusieurs questions concernaient les collectivités territoriales, dont il ne faut cependant pas faire l'Alpha et l'Omega de l'action publique. Toutefois, je comprends l'intérêt du Sénat pour cette question et le partage, ayant été moi-même président de région.
Je souhaiterais juste dire que si l'on peut faire des économies sur 75 % de la dépense publique, on doit aussi pouvoir le faire sur les 25 % restants. D'ailleurs, le quota d'économies pesant sur les collectivités territoriales ne sera pas tout à fait respecté, puisqu'elles ont obtenu un léger rabais en 2015. Je souligne d'ailleurs que l'absence d'inflation leur sera bénéfique : les régions feront, par exemple, des économies de chauffage très importantes.
Je n'irai pas jusque-là.
La situation de la Grèce a changé par rapport à la première crise, car elle a réalisé des efforts considérables. La Grèce dégage un excédent primaire, c'est-à-dire un excédent budgétaire avant paiement des intérêts de la dette - je souhaite à mon successeur d'être dans cette situation. Partant d'un déficit considérable, la Grèce a fait des efforts et elle est aujourd'hui beaucoup moins fragile qu'il y a cinq ans.
De plus, l'Europe a tiré des conséquences de la crise. D'abord sur l'union bancaire, qui est une réforme fondamentale : puisque nous avons traité ces questions de sécurité bancaire au niveau européen et non au niveau de chaque pays, le cordon entre les difficultés bancaires et les crédits budgétaires est coupé. Là où, pour sauver le système bancaire, il fallait une intervention de l'État, il existe aujourd'hui un système de résolution bancaire, alimenté par la contribution des banques. Il n'y a donc plus de craintes de contagion bancaire.
De même, nous avons mis en place des dispositifs efficaces pour préserver un État d'un effet domino.
Donc l'Europe elle-même a changé, mais cela ne signifie évidemment pas qu'on peut tout accepter.
En particulier, la Grèce fait partie de la zone euro et doit y rester. Il faut, surtout en période de reprise de croissance, maintenir la confiance et éviter de susciter des inquiétudes. La zone euro est faite pour s'agrandir et non pour rétrécir. Et nous ferons tout, parce que c'est également la volonté des autorités grecques, pour faire en sorte que la Grèce reste dans la zone euro.
Je dis souvent à mes collègues ministres des finances qui ont parfois une vision sérieuse mais un peu rigoriste ou morale des choses : on ne peut pas faire comme s'il n'y avait pas eu de changement de majorité en Grèce, ce serait une négation de la démocratie. Certains engagements pris par le précédent Gouvernement grec peuvent être remis en cause, dès lors que d'autres mesures aux effets macroéconomiques de même nature viennent les compenser.
Nos amis grecs arrivent de très loin, ils étaient en orbite autour de la terre et leur entrée dans l'atmosphère est difficile pour rejoindre la terre sans s'écraser. C'est ce que je souhaite au gouvernement et au peuple grecs et nous devons les y aider. La Grèce, en tant que nation, a pris des engagements par des traités : ils doivent être respectés. Entre ne rien modifier des engagements et tous les violer, il y a un chemin à trouver.
Les Allemands l'ont parfaitement compris, au-delà des débats de presse.
Pour ce « retour sur terre », plusieurs étapes se succèdent pour mettre au point un nouveau programme de réformes : d'abord, nous avons demandé au gouvernement grec une première liste des réformes envisagées, qui devait être crédible pour pouvoir passer à l'étape suivante ; la liste étant crédible, nous leur avons donné deux mois pour préciser et chiffrer ces réformes. Deux mois après, c'est-à-dire au mois de juillet, à partir des propositions qui auront été formulées par le gouvernement grec, nous négocierons un nouveau programme, correspondant aux exigences de ceux qui apportent leur solidarité et permettant à la Grèce de sortir de la situation difficile dans laquelle elle est.
La réunion est levée à 17 h 28.
Audition de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics
La réunion est ouverte à 16 h 13.