Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Réunion du 15 avril 2015 à 17h20

Résumé de la réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 17 h 20.

La commission auditionne Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, sur la situation de Radio France.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Soyez remerciée, madame la ministre, d'avoir répondu à notre invitation. Cette audition intervient à un moment-clé au vingt-huitième jour d'un conflit qui restera dans les mémoires comme l'un des plus longs du service public de la radio. Il semble que nous soyons sur le point de sortir de la crise : si des difficultés persistaient ce matin à France Info, les antennes de France Inter et de France Culture émettent à nouveau normalement. On ne comptait plus, à midi, que soixante-seize grévistes, soit 2,8 % du personnel... mais il suffit qu'ils se trouvent à des postes-clés pour que le média ne soit pas en état de fonctionner correctement.

Nous espérons votre éclairage sur les causes et les conséquences de ce conflit. Le rapport, sévère, de la Cour des comptes sur la gestion de Radio France avant 2014 laisse penser que la dégradation de la situation financière de la société est ancienne, tout comme les difficultés qu'elle rencontre dans le dialogue social. Quel est votre sentiment sur cette question, sur les problèmes structurels et les changements à opérer ?

Vous vous êtes engagée personnellement, en rencontrant les syndicats lundi soir afin de favoriser la sortie de la crise. Pouvez-vous nous préciser quel rôle a joué le Gouvernement par rapport à la direction de Radio France, au médiateur et aux syndicats ? Comment avez-vous accueilli les demandes de ces derniers, concernant notamment le plan de départs volontaires, l'avenir des deux orchestres et la syndication sur le réseau France Bleu ? Quelles avancées, ou quelles concessions, ont-elles été faites ? Comment s'assurer qu'elles n'obéreront pas l'avenir de Radio France, qui connaît actuellement une situation financière précaire ?

Debut de section - Permalien
Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication

Je me réjouis comme vous que les antennes aient retrouvé ce matin un fonctionnement quasi-normal. Radio France a manqué aux Français, qui reconnaissent et plébiscitent sa qualité et sa singularité. Quatre des cinq organisations syndicales qui appelaient à la grève ont levé leur préavis hier, sur la base du texte présenté par le médiateur et des explications que j'avais apportées lundi à l'intersyndicale. La CGT doit faire connaître sa position d'ici ce soir et a indiqué qu'elle souhaitait poursuivre le travail avec l'intersyndicale.

Ce conflit a révélé un malaise profond, justement souligné par le médiateur Dominique-Jean Chertier. Comme toute organisation, Radio France doit innover, se transformer et s'adapter aux nouvelles pratiques de ses auditeurs. Son plan stratégique, à cinq ou dix ans, doit être partagé avec l'ensemble des salariés. Il en va de notre vision du service public au XXIe siècle, dans un monde numérisé où les pratiques d'accès à l'information et à la culture ont radicalement changé. Un deuxième sujet a cristallisé les inquiétudes : la révélation d'une situation financière difficile, qui rend d'autant plus complexe la gestion du changement. Le dialogue et l'écoute n'ont sans doute pas été suffisants, de sorte que les salariés ont eu le sentiment que, en plus de leur demander un effort financier, on remettait en cause les valeurs du service public. Le recours à un audit externe pour la réforme des modes de production, dont la Cour des comptes a souligné la nécessité, a concentré les critiques. Il convenait donc de resituer les évolutions souhaitables dans un cadre stratégique stabilisé et de les présenter aux salariés par l'intermédiaire des institutions représentatives du personnel. Le chantier de rénovation, enfin, lourd, long et coûteux a pesé sur les conditions de travail des salariés, dont certains ont dû déménager plusieurs fois.

J'ai voulu, tout au long de ces trois semaines, rester dans mon rôle : il n'appartient pas à l'État actionnaire de s'immiscer dans la gestion quotidienne de l'entreprise, ni d'émettre des jugements sur sa présidence. J'ai d'abord souhaité donner à la direction les moyens de reprendre le dialogue social ; c'est pourquoi j'ai demandé au président Gallet de mettre sur la table son projet d'entreprise. Il me l'a présenté le 2 avril ; j'ai fait connaître le lendemain la position de l'État sur les pistes évoquées, en y ajoutant une ambition pour le service public, mais aussi l'exigence d'une réforme de l'entreprise dans le respect de sa trajectoire budgétaire. J'ai notamment intégré au débat la nécessité d'un chantier de modernisation sociale afin de se pencher sur l'organisation du travail. J'ai à nouveau pris mes responsabilités lorsque, après le dépôt de ce projet, le dialogue social s'est définitivement rompu et qu'une médiation est apparue indispensable. J'ai alors désigné Dominique-Jean Chertier, dont le grand professionnalisme est unanimement reconnu. Le texte issu de sa médiation a rendu possible des avancées notables de part et d'autre. J'ai expliqué lundi aux organisations syndicales qu'il constituait à mes yeux une bonne base de travail pour aborder la seconde étape : la négociation du contrat d'objectifs et de moyens (COM). J'ai rappelé la nécessité des réformes et levé certaines inquiétudes formulées par les salariés, en insistant sur l'importance du réseau local pour les missions de service public de l'entreprise : la syndication, c'est-à-dire la mutualisation de la production des programmes, n'est pas la règle de fonctionnement des antennes de France Bleu, elle doit faire l'objet d'une expérimentation préalable.

Cette méthode, fondée sur l'écoute, le dialogue et la volonté de restaurer la confiance indispensable aux réformes, a convaincu. La grande vertu de la médiation menée par Dominique-Jean Chertier a été de poser les bases du dialogue pour l'avenir : de nouveaux outils favoriseront une meilleure information des salariés sur la situation financière de l'entreprise, afin qu'ils soient à même d'appréhender le sens des réformes qui leur sont proposées.

Il importe désormais, en priorité, de rassembler les salariés de Radio France, qui doivent se tourner ensemble vers l'avenir : vers la discussion, tout d'abord, du COM pour la période 2015-2019. J'ai dit clairement aux syndicats, en accord avec le rapport de la Cour des comptes, que les réformes ne sauraient être différées. L'entreprise a besoin, pour respecter sa singularité et les valeurs du service public, de s'ajuster à son environnement. Nous ferons tout pour que les conditions dans lesquelles seront menées ces réformes permettent d'y associer correctement les salariés. Il s'agit de servir une ambition de service public, sur l'information, le décryptage, l'accès à la culture, une ambition de prescription culturelle, de mise en valeur des talents et de la création. Radio France doit également porter une ambition numérique : les pratiques changent, beaucoup de nos concitoyens accèdent désormais aux programmes par le biais de plates-formes numériques ou en mobilité. Le maintien de la qualité reste évidemment une priorité.

Ce projet doit à présent faire l'objet d'un diagnostic partagé avec les salariés dans le cadre d'un dialogue social rénové. Cette seconde phase de l'intervention du médiateur devra répondre aux inquiétudes apparues au cours de ce conflit, touchant notamment le redimensionnement des orchestres et le plan de départs volontaires. Je me suis portée garante de ce processus.

Radio France est un beau symbole du service public, qui offre à tous un accès à la culture, à la création, à la musique, à la connaissance, au décryptage de l'actualité. Elle aide chacun à mieux exercer ses missions de citoyen et à faire partie de la communauté nationale. Nous sommes fiers de cette réussite, validée récemment par les audiences qui montrent l'attachement des auditeurs à ses antennes. C'est pourquoi j'ai demandé au président de Radio France un vrai projet de service public. Elle doit rester un ensemble de radios audacieuses et non pasteurisées à coups de recettes de marketing. J'ai cependant dit clairement aux organisations syndicales que les réformes sont inéluctables : on ne peut pas toujours demander davantage aux Français ; il serait irresponsable de faire des promesses qui ne seraient pas finançables. Des économies durables s'imposent, sous peine de nous retrouver dans la même situation tous les quatre ou cinq ans.

Voilà beaucoup trop longtemps que l'État n'a pas assumé ses responsabilités vis-à-vis de Radio France. Ses réformes n'ont pas été conduites, ni même anticipées. Il est temps de porter une ambition réformatrice, qui conforte les missions de service public tout en restaurant durablement la situation financière. C'est cette sincérité-là que les salariés et les Français attendent. L'État accompagnera financièrement l'entreprise pour faire face aux dérives du coût du chantier de réhabilitation de la Maison de la Radio. J'ai demandé à l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic) d'étudier très rapidement les options possibles pour la finalisation de ce chantier, ainsi que leurs conséquences sociales et financières. Sur cette base, le COM précisera le montant de la dotation en capital liée au chantier que l'État actionnaire s'est engagé à verser.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Leleux

Si nous nous réjouissons tous de la reprise progressive des émissions, nous sentons bien que les plaies ne sont pas refermées et que les tensions restent vives. Ce conflit a mis au jour des problèmes qui devront être pris en compte pour que le développement de Radio France et sa pérennité soient assurés.

Quelle est, au terme de sa première phase, l'étendue de la mission du médiateur ? Sera-t-il associé à la définition de la stratégie ultérieure de l'entreprise ? Quel sera son rôle dans la négociation du COM ?

L'indépendance de Radio France, et de l'audiovisuel public en général, est un sujet récurrent et délicat. Vous vous êtes impliquée personnellement, au nom de l'État actionnaire, dans la résolution du conflit. Sommes-nous tous à l'aise face à la répartition tripartite des rôles entre l'entreprise, avec son indépendance, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui en est le garant, et l'actionnaire, légitimement fondé à intervenir ? L'indépendance de Radio France n'a pas atteint un degré satisfaisant. Faut-il voir dans votre intervention une évolution de la conception même de l'indépendance reconnue aux présidents des sociétés de l'audiovisuel public ?

Certains de nos interlocuteurs, auditionnés dans le cadre de la mission de contrôle du financement de l'audiovisuel public que je conduis conjointement avec André Gattolin au nom de la commission des finances, ont invoqué les institutions d'autres pays où l'indépendance financière de l'audiovisuel public est garantie par la Constitution et où l'actionnaire ne peut intervenir directement. Des réflexions plus poussées et plus sereines semblent nécessaires en France sur ce sujet.

Qu'en est-il des engagements financiers de l'État pour soutenir Radio France ? Le coût du chantier de rénovation de la Maison de la radio a quasiment doublé et le fonctionnement de l'entreprise doit être réformé. Quelle contribution envisagez-vous d'apporter, et sous quelle forme, afin de l'aider à passer ce cap ?

Debut de section - Permalien
Fleur Pellerin, ministre

La mission du médiateur consiste en une aide méthodologique d'accompagnement du dialogue social, non en une intervention sur le fond. Il assistera l'entreprise jusqu'à la conclusion du COM, dans deux ou trois mois.

Nous avons, depuis 2012, engagé plusieurs réformes destinées à renforcer l'indépendance de l'audiovisuel public : la part de la ressource publique provenant de la redevance a été accrue, la dotation budgétaire réduite. Nous avons restitué au CSA le pouvoir de nommer les présidents. Je suis intervenue afin de renouer le dialogue social, non de m'immiscer dans la gestion de l'entreprise. J'étais dans mon rôle lorsque j'ai fait connaître les arbitrages de l'État actionnaire, contre l'augmentation, notamment, du volume de publicité, contraire à la singularité du service public. J'étais encore dans mon rôle lorsque je suis intervenue pour restaurer le dialogue social. Je conçois mes responsabilités comme celles de l'actionnaire qui assume des décisions structurantes pour l'entreprise, tout en garantissant les conditions de concertation indispensables à son évolution. L'intervention du médiateur a dénoué en trois jours une crise déjà longue. Si je ne l'ai pas nommé plus tôt, c'est qu'il nous fallait d'abord connaître le projet stratégique de la direction, qui n'a été présenté qu'au début d'avril ; il fallait ensuite que ce projet soit communiqué aux salariés. Ce n'est donc qu'après la réunion du comité central d'entreprise et la rupture du dialogue que j'ai décidé de nommer un médiateur.

Vous avez raison de distinguer la prise en charge des surcoûts du chantier et la réforme du fonctionnement de l'entreprise. Sur ce second point, nous avons été très clairs depuis 2012 : la dotation publique est stabilisée et le restera au cours des prochaines années. Afin d'éviter, en revanche, que les surcoûts du chantier ne pèsent sur le fonctionnement de l'entreprise, je me suis engagée à lui apporter une dotation en capital, dont le montant sera communiqué ultérieurement. La demande de la direction - une aide de 30 millions d'euros -- sera examinée au regard de l'évolution de la situation et des résultats de l'étude conduite par l'Oppic.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

La longueur de la grève ne laisse pas de doute sur la profondeur du malaise dont souffre Radio France. La reprise progressive du travail ne signifie pas que nous soyons sortis de la crise. Ce sera l'enjeu de la négociation qui s'ouvre sur le COM. Nous verrons s'il conduit ou non à restaurer la confiance des personnels dans l'entreprise.

Si le mot de « réforme » est employé par tous comme une formule magique, la crise qui vient d'avoir lieu montre bien qu'il est compris de manières très diverses. De quoi parle-t-on au juste ? Beaucoup de salariés, en entendant ce mot, perçoivent désormais le risque d'une régression sociale. Il est donc indispensable d'entrer dans les détails : va-t-on obligatoirement vers le recul de la dotation publique ? Vers la réduction du personnel ? Cela n'a pas été dit clairement. Le compromis obtenu par le médiateur consiste surtout à rouvrir la discussion sur la plupart des dossiers. L'objectif de 380 suppressions d'emplois est-il maintenu ? Les salariés considèrent qu'il a été obtenu en divisant l'économie à réaliser par le coût moyen d'un emploi. Si ce n'est pas le cas, d'où vient ce chiffre ?

Pourquoi l'interrogation sur la dotation se limite-t-elle au problème du chantier ? En l'absence d'un COM clair et d'un plan stratégique finalisé, comment l'engagement de l'État peut-il être défini ?

Vous nous disiez que la syndication ne pouvait être la règle. C'est un point crucial, puisque le plan de Mathieu Gallet prévoyait de passer de 44 à 17 programmes. La vocation de proximité du réseau France Bleu s'en trouvait évidemment mise en cause. Ce projet est-il vraiment derrière nous ?

Nous avons été contraints de remettre les auditions de l'intersyndicale et de Mathieu Gallet, prévus pour hier. Il serait bon qu'elles aient lieu sans attendre la fin des discussions sur le COM. Notre commission devrait être saisie au début du processus, peut-être aussi vers son aboutissement, de manière à être pleinement informée de ce qui s'engage.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Nous auditionnerons, comme prévu, l'intersyndicale et M. Gallet, sans doute après la suspension des travaux en séance plénière.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

Pourquoi le Gouvernement a-t-il tant attendu pour réagir ? Pourquoi a-t-il fallu aussi longtemps au président de Radio France pour mettre les syndicats autour de la table et discuter du projet d'entreprise ? Quel est le bilan financier de cette crise ? Comment le trou sera-t-il comblé ?

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Il est regrettable que ces auditions viennent aussi tard : nous aurions pu intervenir utilement dans le débat public, qui avait besoin de paroles apaisantes et de la compréhension de la représentation parlementaire. Cette crise a été la concrétisation des débats que nous avons eus sur le rôle des uns et des autres vis-à-vis de l'audiovisuel public et sur son indépendance. La condition minimale de cette indépendance était pour moi que les nominations n'émanent plus de l'exécutif. Ce point acquis, reste la vieille habitude sémantique qui continue à parler de « tutelle ». Une entreprise n'est pas indépendante si elle sous tutelle, un enfant le comprendrait. Vous avez eu raison, madame la ministre, d'insister pour que l'État examine au moins une feuille de route en amont du processus de nomination par le CSA du président des sociétés nationales de programmes de l'audiovisuel public. Cela n'a pas eu lieu pour l'actuel président de Radio France. Appartient-il au CSA de définir la mission du service public ? Le flou ainsi engendré fait que nous ne savons plus qui est responsable de quoi, ni qui doit réagir à la crise.

S'il était prudent, d'un point de vue politique, que l'État n'intervienne pas trop tôt dans un conflit touchant une entreprise indépendante, nous n'avions jamais connu de mutation technologique aussi radicale que la révolution numérique des dernières années. D'où le malaise profond que connaissent certaines professions : alors qu'il fallait sur chaque plateau deux techniciens pour réparer très vite la bobine lors d'un direct, un seul suffit désormais. Comment leur reconversion sera-t-elle accompagnée ? Au-delà des revendications immédiates, cette grève a révélé une inquiétude profonde et diffuse dans beaucoup d'autres domaines de l'économie. Il faudra en tirer les leçons pour l'évolution de France Télévisions, et en finir avec la notion équivoque de tutelle, qui met l'État en première ligne dans des conflits qui doivent se régler par le dialogue social entre un patron et les syndicats de son entreprise.

Ma question sera plus concrète, et fera écho à celle de Pierre Laurent : a-t-on défini les bornes du travail de médiation en cours ? Comment la représentation parlementaire peut-elle être davantage impliquée dans l'observation de ce mouvement ? Pour avoir fait partie du conseil d'administration de Radio France, je savais qu'un malaise grandissait, particulièrement chez les personnels techniques.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Combien de temps le médiateur restera-t-il ? La crise a été trop longue pour qu'il soit déjà temps qu'il se retire. Comment les objectifs à définir pour la période 2015-2019 seront-ils conciliés avec la stabilisation de la dotation ? Quelle a été la position des intermittents employés par Radio France face à la grève ? Retrouveront-ils leurs places ? L'audit des modes de fonctionnement semble avoir concentré les critiques parce qu'il a été conduit par un organisme extérieur, mais n'est-ce pas la seule manière de faire procéder à un audit ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Merci, madame la ministre, de vous être prononcée en faveur de l'adaptation et du changement. Nos difficultés actuelles ne viennent-elles pas de ce que nous n'avons pas suffisamment assimilé l'idée que le service public doit trouver son équilibre économique et dégager la marge nécessaire à ses investissements ? La situation à France Télévisions n'est pas moins délicate qu'à Radio France ; quant à l'Agence France-Presse (AFP), nous vous avons signalé qu'elle connaissait une trajectoire financière très tendue. Que doit-être un service public en 2015, avec les contraintes économiques qui pèsent désormais sur lui ?

Qu'est-ce au juste que la reconfiguration d'un orchestre national ? Certains orchestres de province sont devenus excellents, celui de Paris a une réputation hors du commun, et celui d'Île-de-France a fait beaucoup de progrès. La saison parisienne est tout à fait exceptionnelle, nombre de phalanges étrangères s'y produisent pour le bonheur des mélomanes. S'il ne s'agit pas d'obliger l'orchestre philarmonique de Radio France ou l'orchestre national de France à jouer spécifiquement le Requiem de Berlioz ou la huitième symphonie de Mahler, qui requièrent des effectifs considérables, en quoi la reconfiguration d'un orchestre symphonique peut-elle bien consister ? Quels objectifs seront-ils donnés sur ce point au président de Radio France ?

Debut de section - Permalien
Fleur Pellerin, ministre

S'il est vrai que le mot de réforme ne veut parfois plus rien dire, et qu'il peut même inquiéter, mon intention était, en y appelant, d'ouvrir un chantier de modernisation sociale. Radio France est le produit d'une longue histoire de stratification de statuts et de métiers, qui font sa richesse, et qui doivent désormais être considérés dans leur ensemble, avec une attention particulière à la précarité, qui s'y est beaucoup développée. Un véritable diagnostic de la situation sociale de l'entreprise s'impose afin de pouvoir remettre à plat l'ensemble des métiers et l'organisation du travail. Ces questions se sont sédimentées au cours du temps, sans être jamais traitées dans un but de justice sociale. Or les entreprises publiques doivent être exemplaires en la matière. Une réflexion est également possible sur le plafonnement de certains hauts salaires.

L'autre chantier prioritaire est la réforme du dialogue social et de la méthode au sein de l'entreprise. Dans la plupart des entreprises cotées, les salariés sont régulièrement informés de l'état des comptes et du bilan. Une information tout aussi transparente s'impose lorsqu'il s'agit de l'argent des Français. Ce n'est pas galvauder le mot de réforme que d'affirmer que ce préalable indispensable exige la création de certains outils.

Un plan de départs n'est jamais une fin en soi. J'ai demandé au président de Radio France de me présenter une stratégie d'ensemble, dans laquelle toutes les voies de réforme et d'économie soient examinées, parce que l'emploi ne doit pas constituer la seule variable d'ajustement. L'organisation du travail, la précarité, la modération salariale doivent être traitées dans le cadre d'un règlement d'ensemble de l'équation financière de l'entreprise.

Le médiateur devra accompagner l'entreprise dans un diagnostic partagé, dans la discussion d'un plan de réforme et dans ses conséquences sociales. Si, à terme, un plan de départs apparaît nécessaire, il devra reposer sur le volontariat et être discuté avec les instances représentatives du personnel. Toutes les mesures devront être prises pour accompagner les salariés.

Lorsqu'il s'agit de ressources publiques, le cadre budgétaire doit être défini en amont. C'est pourquoi un COM doit être un document stratégique définissant non seulement des ambitions, mais aussi un cadre financier. Il est irresponsable de s'engager sur des promesses qui ne pourront être tenues.

Nous sommes tous très attachés au réseau local dans les missions de service public de l'entreprise. Les programmes locaux sont les éléments fondamentaux des radios de proximité, tandis que la syndication n'est pas un principe d'action. Le médiateur préconise que toute opération nouvelle de syndication ne soit appliquée qu'après expérimentation et évaluation complète et partagée des résultats avec les personnels concernés. La syndication relève des décisions à prendre par la direction de l'entreprise.

Si Mathieu Gallet a attendu, après m'avoir remis son projet, pour convoquer le comité central d'entreprise, c'était pour respecter les délais légaux de convocation. Il vous répondra de manière plus précise sur ce point, ainsi que sur le coût net de la grève, qui se monte à 1,5 million d'euros par semaine environ.

Je m'accorde entièrement avec M. Assouline sur la nécessité préalable du cadrage stratégique : l'État doit dire clairement, avant toute nomination, ce qu'il attend de l'audiovisuel public. Radio France réunit des compétences exceptionnelles - je pense notamment à ses preneurs de son, largement reconnus à l'étranger. Le nouvel auditorium offrira de nouvelles possibilités pour valoriser ces savoir-faire, ainsi que la qualité de nos orchestres. D'autres compétences, comme l'enregistrement de fictions, sont très particulières à l'audiovisuel public.

J'ai demandé au médiateur d'accompagner l'entreprise jusqu'à la signature du COM, soit encore deux ou trois mois. Ce contrat devra fixer une trajectoire financière réaliste, afin de donner à l'entreprise une visibilité dans la durée. Si les salariés ont été quelque peu heurtés de ne pas avoir été suffisamment associés à l'audit, une méthodologie renouvelée leur permettra de partager son diagnostic.

Si je suis sensible, en tant que magistrat de la Cour des comptes, au souci de la bonne gestion des deniers publics, je ne souhaite pas parler de rentabilité ou de marge à propos du service public, dont les missions sont spécifiques et servent l'intérêt général. Une politique musicale ambitieuse réalise des objectifs d'éducation artistique et culturelle. La maîtrise de Radio France a fait un travail extraordinaire à Bondy, en zone d'éducation prioritaire : des enfants, accompagnés depuis le primaire, forment une chorale d'un niveau époustouflant, capable d'appréhender le répertoire contemporain. Une telle mission ne s'appréhende pas en termes de coûts.

D'autres radios publiques européennes, comme la BBC, ont consenti des efforts conséquents en matière d'effectifs de leurs orchestres, tout en respectant, bien sûr, leurs couleurs et leurs répertoires propres. Il nous incombe de mener une réflexion analogue au sujet des deux orchestres de Radio France, dont les répertoires sont assez proches. Parce que je crois à la nécessité d'une véritable politique musicale, j'ai écarté les projets de fusion ou de transfert dénués de sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Les contrats à durée déterminée, très nombreux dans l'audiovisuel public, appellent notre vigilance ; le COM devra assurer leur devenir. Si la syndication soulève beaucoup d'interrogations dans les stations locales de France Bleu, elle fonctionne parfois très bien : c'est le cas, dans la grande région qui va de la Rochelle à la Bretagne, de la couverture des événements maritimes, ou de festivals comme celui des Vieilles Charrues. La difficulté est évidemment de trouver le bon créneau horaire - sans doute au début de l'après-midi...

Restaurer la confiance passera probablement par un plafonnement des hauts salaires, ainsi que de l'âge du capitaine : le taux d'encadrement de certaines radios est préoccupant. Il revient fort cher, et nuit à la progression de personnels plus jeunes, rompus au numérique.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Manable

Compte tenu des évolutions technologiques, il devient chaque année plus archaïque de n'assujettir à la contribution à l'audiovisuel public que les seuls postes de télévision. Ne serait-il pas temps d'élargir son assiette aux terminaux connectés ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Commeinhes

La situation de Radio France a contraint son président à courir un 110 mètres haies avec des chaussures de ski. Comment pourra-t-il continuer à exercer ses fonctions avec un COM imposé par un médiateur qui va certainement clarifier les orientations de l'entreprise qu'il préside, mais sans lui accorder beaucoup de moyens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Les révélations sur les dérives financières du chantier de rénovation de la Maison de la radio ont accru les angoisses des salariés.

Dans un quotidien, Jean-Paul Cluzel rappelle qu'il avait engagé un plan pluriannuel jusqu'en 2015 : qu'est-il advenu ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Merci, madame la ministre, pour vos explications. Qui va décider que ce président, qui vient de subir une telle grève, peut rester en place ? Quel est le rôle du CSA ? Existe-t-il un rattrapage ?

Debut de section - Permalien
Fleur Pellerin, ministre

Madame Blondin, je souhaite que le COM aborde la question de la précarité. Il faut faire le point pour proposer des évolutions dans le sens de la justice sociale.

La syndication fonctionne bien ? Ce sera intéressant d'en discuter avec l'intersyndicale et la présidence de Radio France.

Monsieur Manable, la réforme de la contribution à l'audiovisuel public a été évoquée par le Président de la République devant le CSA à l'automne dernier. De moins en moins de Français accèdent à la télévision par un téléviseur : il faut réfléchir à la modernisation de son assiette. Le Parlement sera associé à cette réflexion.

Monsieur Commeinhes, le médiateur n'a pas imposé le COM ; il a travaillé sur la méthode et favorisé le dialogue : lorsqu'on ne partage pas le diagnostic, on ne partage pas les solutions. Il faut d'abord définir une méthode pour travailler ensemble.

Le coût du chantier, madame Gillot, a certainement fait craindre aux salariés de devenir la variable d'ajustement ou les victimes collatérales du dérapage financier. La dotation en capital est un moyen de l'empêcher.

Le plan Cluzel ? J'ai lu l'article auquel vous avez fait allusion ; je ne veux pas faire le procès du passé, mais certains des chantiers à venir auraient pu être engagés plus tôt...

Monsieur Carrère, le CSA est aujourd'hui une autorité indépendante qui nomme et révoque les responsables de l'audiovisuel public ; je vois mal en quoi pourrait consister un rattrapage.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Merci de cette présentation très complète de la situation de Radio France. Une dépêche de l'AFP nous apprend à l'instant que la grève sera levée jeudi à 13 heures.

La réunion est levée à 18 h 45.