Le Sénat a abordé, dans un esprit constructif, l'examen de ces deux propositions de loi, même s'il a pu regretter leur examen tardif - une année seulement avant la prochaine échéance présidentielle - et selon une procédure accélérée qui ne facilite guère la réflexion.
Au terme de la première lecture, cinq articles de la proposition de loi organique et quatre articles de la proposition de loi ont été adoptés ou supprimés conformes.
Le Sénat s'est également attaché à modifier ou préciser le dispositif voté par l'Assemblée nationale en ne remettant pas en cause l'économie générale du texte sur plusieurs points. Tel est d'abord le cas en ce qui concerne la transmission directe des parrainages au Conseil constitutionnel, ainsi que pour l'actualisation de la liste des parrains - liste à laquelle il a ajouté les vice-présidents de conseil consulaire pour prendre en compte la réforme de juillet 2013 de la représentation des instances représentatives des Français établis hors de France. Le Sénat a privilégié une publicité intégrale des parrainages, y compris ceux dont le nombre est inférieur à 500 signatures, en évitant la publication des noms lors de la période de recueil pour éviter une pression supplémentaire sur les élus locaux. Enfin, s'agissant de la durée retenue pour le décompte des dépenses et recettes au sein du compte de campagne, le Sénat a retenu la durée de six mois proposée par M. Jean-Jacques Urvoas, mais il a reporté l'application de cette règle à l'élection présidentielle suivante, afin d'éviter tout procès sur les intentions poursuivies.
Le Sénat a également complété la réforme proposée en y ajoutant des dispositions relatives aux sondages électoraux, qui auraient vocation à s'appliquer, au premier chef, à l'élection présidentielle de l'année prochaine. Ces propositions ont déjà été débattues en 2011 par nos deux assemblées à l'initiative de MM. Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur.
Enfin, le Sénat a marqué sa préférence pour des dispositifs alternatifs sur deux points. D'une part, il a opté pour un horaire unique de fermeture des bureaux de vote, fixé par souci de compromis à 19 heures, s'agissant d'un scrutin dont la circonscription est nationale. D'autre part, il a élaboré un système permettant de remédier aux difficultés nées de l'allongement de la « période intermédiaire » pour la couverture médiatique de la campagne sans remettre en cause le principe d'égalité qui prévaut alors.
Dans mes échanges fructueux avec la rapporteure de l'Assemblée nationale, il m'a semblé difficile d'envisager revenir sur ces deux derniers points auxquels le Sénat a exprimé, dans sa majorité, son attachement.
Avant de présenter mon point de vue, je souhaite rappeler que si j'ai été désignée rapporteure des deux propositions de loi en discussion le 17 février dernier, M. Jean-Jacques Urvoas en était, à l'origine, non seulement le rapporteur, mais aussi l'auteur. Ces deux textes constituent ainsi un bel exemple d'initiative parlementaire - sur un sujet intéressant pourtant directement le pouvoir exécutif !
Comme le veut l'usage, en vue de préparer notre réunion, le rapporteur du Sénat et moi-même nous sommes rencontrés la semaine dernière. Il est rapidement apparu qu'aucun accord ne s'avérait possible - ce que je regrette. Deux principaux points de divergence sont impossibles à surmonter.
Le premier, aux articles 4 A et 4 de la proposition de loi organique, porte sur la répartition des temps de parole médiatique des candidats pendant la période dite « intermédiaire » d'environ 20 jours qui commence quand la liste des candidats est établie et qui prend fin avec le début de la campagne officielle. Le texte adopté par l'Assemblée nationale visait, au cours de cette période intermédiaire, à remplacer la règle d'égalité des temps de parole par un principe d'équité, fondé sur plusieurs critères définis dans la loi organique. Il se bornait à reprendre les recommandations formulées, depuis 2007, non seulement par les chaînes de radio et de télévision, mais aussi et surtout par l'ensemble des organismes de contrôle de l'élection présidentielle : le Conseil constitutionnel, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). La Commission présidée par M. Lionel Jospin s'était prononcée dans le même sens en 2012.
Ce dispositif avait d'ailleurs été approuvé par la commission des Lois du Sénat le 10 février dernier. Le rapporteur du Sénat s'en était même fait l'excellent avocat - je me permets de le citer : « Lors des dernières élections, dix candidats se sont partagés 10 % du temps d'antenne, cela a conduit à figer la dynamique de campagne de Jean-Luc Mélenchon et de François Bayrou. L'équité, avec le critère d'animation du débat, leur aurait profité. Regardez les rapports du CSA, de la Commission de contrôle de la campagne électorale et du Conseil constitutionnel ; ils sont tous unanimes. Loin de favoriser le bipartisme comme la primaire, le temps d'antenne serait mieux partagé ! »
Pourtant, une semaine plus tard, en séance publique, à l'initiative de M. Alain Anziani, le Sénat a adopté un point de vue diamétralement opposé, consistant à maintenir la règle actuelle de l'égalité et à réduire la période intermédiaire d'une semaine. Autrement dit, au lieu de régler la question de fond du traitement médiatique des candidats, le texte du Sénat se contente de limiter dans le temps l'ampleur du problème posé. Cette diminution de la durée de la période intermédiaire aboutirait à revenir sur la modification du calendrier de l'élection présidentielle décidée par le législateur organique en 2006 à l'initiative du ministre de l'Intérieur de l'époque, M. Nicolas Sarkozy. Or, le nouveau calendrier a permis de faciliter la confection, le contrôle et l'acheminement du matériel électoral, mais aussi de réduire la période d'incertitude pendant laquelle le CSA doit faire respecter le pluralisme à l'égard de candidats simplement déclarés ou présumés, mais qui n'ont pas nécessairement recueilli les 500 signatures requises.
Au final, le texte du Sénat sur ce point est contraire à l'esprit même de la proposition de loi organique, ainsi qu'à l'ensemble des recommandations des différents organes de contrôle que j'ai cités tout à l'heure.
Le deuxième point de divergence porte sur l'horaire de fermeture des bureaux de vote. Alors que cette fermeture s'échelonne aujourd'hui entre 18 heures, 19 heures et 20 heures, au risque de favoriser la diffusion de résultats partiels avant même la clôture du scrutin, l'Assemblée nationale suggère, à l'article 7 de la proposition de loi organique, de fixer cet horaire à 19 heures, moyennant la possibilité pour le préfet de le repousser à 20 heures dans certaines villes. La durée séparant les premières des dernières fermetures de bureaux de vote serait ainsi ramenée à une heure au lieu de deux aujourd'hui.
Le Sénat, de son côté, a préféré retenir un horaire uniforme de 19 heures sur l'ensemble du territoire. Ce choix a le mérite de la simplicité, mais il risque de nuire à la participation électorale, en particulier dans les grandes villes, où l'habitude a été prise de pouvoir voter jusqu'à 20 heures.
Je pourrais citer d'autres points de divergence, comme la liste des auteurs de parrainages de candidats à laquelle le Sénat a ajouté les vice-présidents des conseils consulaires, la question de la durée de la période couverte par les comptes de campagne, ou encore l'introduction par le Sénat de dispositions reprenant, dans sa quasi-intégralité, une proposition de loi sur les sondages qui n'a jamais été examinée par l'Assemblée nationale sous cette législature. Mais je ne crois pas nécessaire d'entrer davantage dans les détails sur ces différentes questions, dès lors que l'écart qui sépare nos assemblées sur ces propositions de loi me semble impossible à combler aujourd'hui.
Je note l'attachement de l'Assemblée nationale à préserver les acquis de la réforme impulsée il y a dix ans par M. Nicolas Sarkozy. Mais il ne faut pas hésiter à rectifier ceux de ses effets qui se révèlent pervers avec le temps. C'est ce à quoi s'est attaché le Sénat. Il est vrai que la commission des Lois a d'abord retenu la version adoptée par l'Assemblée nationale, mais la discussion en séance publique nous a permis d'avancer sur la voie d'un compromis. Nous estimons préférable, au vu du contexte politique, de ne pas porter atteinte à l'égalité des temps de parole. Le dispositif que nous avons imaginé offre la perspective d'une sortie par le haut et respectant l'impératif de pluralisme.
Je prends acte de l'intransigeance de l'Assemblée nationale, qui rend inutile l'engagement de la discussion sur un certain nombre de divergences mineures. J'appelle toutefois chacun à assumer ses responsabilités à l'avenir : le Sénat se satisfait, sur la question des comptes de campagne, d'un maintien à un an, mais il a voulu adresser le signal clair qu'on ne pourra faire l'économie, dans la perspective des échéances de 2022, de légiférer soit sur les primaires - qui sont aujourd'hui dans un non-dit total sur les règles de financement et d'équité des temps de parole -, soit sur les règles relatives aux comptes de campagne de l'élection présidentielle afin de les en exclure. J'émets le voeu que le sujet soit abordé dans le futur, non pas un an avant l'élection, mais plutôt quelques mois après le scrutin de façon à avoir sur le sujet un regard serein et apaisé.
Je souhaite apporter un éclairage sur la question de la répartition des temps de parole. Nous avons jugé trop complexe le mécanisme retenu par l'Assemblée nationale et la notion de contribution à l'« animation du débat électoral » qu'il reviendrait au CSA d'interpréter, sous le contrôle du juge des référés du Conseil d'État. De surcroît, il est incontestable que cette évolution serait préjudiciable aux petits candidats. C'est tout le problème de la « période intermédiaire », qui n'était que de trois jours avant la réforme de 2006, alors qu'elle est aujourd'hui de trois semaines. Il nous a semblé de bon sens de la réduire pour limiter les difficultés qu'elle soulève. Enfin, la « période intermédiaire » connaît déjà la distinction entre égalité des temps de parole et équité pour la programmation.
Je souhaite revenir sur le débat relatif aux sondages, ces derniers étant cruciaux pendant la période des élections présidentielles. La loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion est obsolète. Le Sénat, en particulier M. Hugues Portelli et moi-même, avons mené des travaux sur cette question, qui ont donné lieu à l'élaboration d'une proposition de loi, adoptée il y a près de cinq ans, à l'unanimité par le Sénat, puis par la commission des Lois de l'Assemblée nationale, sans jamais être inscrite à l'ordre du jour de la séance publique. Si je comprends que la procédure accélérée engagée par le Gouvernement sur les deux propositions de loi de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle n'a pas permis à l'Assemblée nationale d'examiner ces sujets, il sera utile de poursuivre ces travaux à l'occasion de la nouvelle lecture, en cas d'échec de la commission mixte paritaire.
La commission des Affaires culturelles et de l'éducation s'est saisie pour avis des propositions de loi et s'est notamment positionnée en faveur d'un horaire unique de fermeture des bureaux de vote, avec possibilité d'une dérogation jusqu'à 20 heures - dérogation à laquelle je suis attaché, étant élu d'une grande ville. La Commission dont je suis le président porte, par ailleurs, une attention particulière au contenu de la proposition de loi sur les sondages, adoptée il y a plusieurs années.
Nous devons prendre acte du fait qu'il ne nous sera pas possible, aujourd'hui, de parvenir à l'adoption d'un texte commun, ni sur la proposition de loi organique, ni sur la proposition de loi ordinaire. J'espère que la prochaine commission mixte paritaire, qui se tiendra la semaine prochaine, pourra connaître une issue plus favorable.
Les commissions mixtes paritaires ont constaté qu'elles ne pouvaient parvenir à l'adoption d'un texte commun ni sur la proposition de loi organique ni sur la proposition de loi de modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle.
La réunion est levée à 13 heures