I - L'UNION DE L'ÉNERGIE
Je suis heureux d'accueillir nos collègues députés et députés européens, pour ce débat sur deux thèmes d'actualité : l'Union de l'énergie et les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, à l'approche du référendum du 23 juin.
Présentée en février 2015, la stratégie pour l'Union de l'énergie semble touffue et pointilliste. Tous les grands axes d'une politique énergétique sont abordés, mais chacun partiellement, alors que restent ignorés les trois défis majeurs : le stockage de l'électricité, la capacité des réseaux à supporter de très fortes variations de la production, et le modèle économique des centrales conventionnelles. Le sujet pétrolier a été intégré avec retard dans une communication de novembre ; la compétitivité énergétique est abordée uniquement sous l'angle de la transparence des coûts et des tarifs, ainsi que du niveau des aides publiques. N'est pas traité le handicap majeur de l'Union européenne : les prix de l'énergie sont triples de ceux pratiqués aux États-Unis, et font craindre une délocalisation énergétique vers le continent américain, et à terme une désindustrialisation européenne et une remise en cause du marché unique de l'énergie.
Peu de propositions à finalité normative concernent stricto sensu le domaine énergétique : le « paquet d'hiver » gazier a été contesté pour des dispositions jugées excessives. Le contrôle a priori souhaité par la Commission européenne sur les accords intergouvernementaux nous est apparu injustifiable au regard des traités. Le Sénat a adopté un avis motivé que j'avais déposé avec M. Delebarre.
La sécurité d'approvisionnement en gaz mérite toute notre attention. La Commission européenne a fini par avoir raison, en décembre 2014, du gazoduc South Stream, destiné à exporter le gaz russe vers les Balkans via la mer Noire, en se substituant au réseau de gazoducs traversant l'Ukraine. Un itinéraire alternatif à l'Ukraine et contournant la Pologne a été officialisé en juin 2015 : le projet Nord Stream 2 suscite de vives oppositions entre les États membres, notamment les États baltes. Ce n'est pas pour nous rassurer.
Si la compétence énergie est partagée, la concurrence, compétence exclusive de l'Union, peut fortement influencer le droit de chaque État membre à déterminer son bouquet énergétique. La lutte contre le changement climatique, qui a des conséquences sur ce choix, est très largement centralisée à Bruxelles. Si l'on veut éviter les deux écueils d'une centralisation excessive et de politiques étatiques unilatérales, la coopération renforcée serait une alternative bien adaptée. L'Allemagne et la France devraient jouer un rôle moteur et unifiant pour l'Union de l'énergie, malgré des stratégies énergétiques qui ont divergé.
Merci pour ce travail conjoint et interactif : nous irons prochainement ensemble à Strasbourg. L'Assemblée nationale, comme le Sénat et le Parlement européen, travaille sur ces deux thèmes importants. Aujourd'hui, l'Assemblée nationale était saisie de la proposition de ratification de la COP 21, avant son passage au Sénat. Nous espérons une ratification avant le mois de juin.
C'est dans ce cadre que s'inscrit l'Europe de l'énergie, qui semblait sur les rails il y a un an : avec la crise ukrainienne, l'Europe devait être plus autonome avec des Polonais plutôt volontaires. Désormais, on nous reproche un projet assez pointilliste, comme le disait le président Bizet. Ce pointillisme a du sens si on l'intègre dans les instruments de lutte contre le changement climatique, comme le système européen d'échange des quotas d'émissions de carbone, pour améliorer l'efficacité énergétique. Nous devrons évaluer ensemble l'ambition 2013-2020.
Malgré la technicité du « paquet d'été » de 2015, la révision de l'étiquetage énergétique est un outil d'efficacité énergétique, premier instrument de lutte contre le changement climatique, de gestion d'une économie décarbonée.
La très intéressante consultation publique de la Commission sur la nouvelle organisation souhaitable du marché européen de l'énergie relève les différentes sensibilités des citoyens, État par État. Ces derniers remettent toujours en question le marché intérieur de l'énergie, même si la Commission a fait preuve de beaucoup de volontarisme.
Le train de quatre mesures sur la sécurité énergétique, présenté en février 2016, comprend deux communications : l'une sur la stratégie de l'Union relative au gaz naturel liquéfié et au stockage de gaz, l'autre sur la stratégie européenne en matière de chauffage et de refroidissement, secteurs fondamentaux pour lutter contre le changement climatique.
Une décision sur les accords intergouvernementaux dans le secteur de l'énergie pourrait accroître le contrôle de la Commission sur les contrats passés avec les pays tiers. Enfin, un règlement sur la sécurité de l'approvisionnement en gaz promeut une conception régionale des mesures pour une fourniture du gaz plus sûre, avec plus de solidarité entre les États membres. On revient à l'Europe de l'énergie lorsqu'on s'aperçoit qu'EDF fournit à la France du gaz de pétrole canadien, sans lui demander son avis...
L'accord de Paris sur la lutte contre le changement climatique et sa déclinaison par un foisonnement de textes rendront nos trois assemblées plus concordantes sur les performances économiques, le bien-être des citoyens et la lutte contre le changement climatique, pour une terre vivable.
Quels sont les rapports de force ? Combien d'États sont prêts à s'engager dans la lutte contre le changement climatique et dans l'Europe de l'énergie ? Le groupe de Viegrad diffère de l'Allemagne ou de la France. Travaillons davantage ensemble sur une coopération renforcée pour défricher un premier chemin. L'Europe de l'après COP 21 va-t-elle réviser de manière plus ambitieuse ses objectifs climatiques?
Merci. Je me réjouis que nous ayons la même orientation sur la coopération renforcée, méthode insuffisamment utilisée jusqu'à présent. On ne peut pas avancer tous d'un même pas à 28 États membres. À la suite des conclusions du Conseil des ministres franco-allemand du 7 avril 2016, l'Office franco-allemand pour les énergies renouvelables est rebaptisé Office franco-allemand de la transition énergétique.
Quel que soit le résultat du Brexit, nous devrons retrouver une initiative d'union renforcée pour les 28 États membres : les mêmes pays sont réticents sur la directive relative aux travailleurs détachés. Comment l'Europe peut-elle conserver une vision commune ? Je souhaite ardemment qu'une initiative franco-allemande soit adoptée au plus tard au mois de juin.
La Pologne se crispe surtout car elle craint un hub gazier en Allemagne.
Alors qu'auparavant chaque pays européen voulait sa propre politique de l'énergie, les pays de Viegrad demandaient une politique commune : le prix du gaz est fondamental pour une partie de l'industrie. Comment expliquer aux Polonais que le gaz russe qui transite chez eux est vendu 30 % moins cher aux Allemands ? Il y a un problème de concurrence, et vous comprenez leur difficulté à imaginer que l'Allemagne, pour conserver ce prix, souhaite faire transiter le gaz par une route extérieure à leur territoire... L'Europe est une affaire de compromis ; c'est plus simple de n'avoir aucun compromis avec personne et d'établir une coopération renforcée avec soi-même. Mais nous avons besoin d'être suffisamment nombreux pour faire masse. Ces pays sont plus sensibles que nous à l'évolution du prix du gaz russe, et la Russie joue très bien son rôle en divisant les pays européens. Construire une initiative ne prenant pas en compte les pays d'Europe centrale serait dangereuse. Nous aurions tort de nous priver d'eux dans notre dialogue avec l'Allemagne. Souhaiter revenir aux années 1990 pour regretter un approfondissement au lieu d'un élargissement avec les pays d'Europe centrale serait illusoire et constitue une vision franco-française et non franco-allemande. Nos difficultés proviennent du refus de gérer le jour d'après l'élargissement dans l'Union européenne. Après une phase de défense de leurs intérêts, on les a soudainement considérés comme ayant la même histoire que les vieux membres de l'Union européenne. Soit on laisse la situation se déliter, par plaisir, soit on revient au compromis, coeur du fonctionnement de l'Europe.
Il manque une vue d'ensemble sur la manière dont a été construit l'élargissement. Bronislaw Geremek, grand homme politique polonais avec d'importantes responsabilités au Parlement européen, déclarait en privé : « Quand je veux vendre l'Europe aux Polonais, je leurs dis que c'est un prolongement de l'intégration dans l'Otan ». Alors que nous peinons à construire une défense européenne, l'entrée dans l'Union européenne était surtout perçue comme un renforcement de l'appartenance au clan occidental. On ne comprend la tension des anciennes démocraties d'Europe de l'Est sur Nord Stream 2 qu'au regard de ce sentiment d'abandon. L'Allemagne joue cavalier seul, car ce projet - comme Nord Stream 1 - va à l'encontre de nombreux cadrages européens, et notamment de l'indépendance énergétique. Au printemps 2015, Gazprom s'est encore vu signifier un abus de position dominante par la Commission : contrôlant tout ce qui passe dans les tuyaux, la société impose également une clause contractuelle folle interdisant de réexporter vers d'autres États membres. Au sein de l'Union, on fait donc du bilatéral avec un État. Au nom de la compétitivité, nous sommes dans une contradiction permanente : soit on achète le gaz russe et on accepte les pressions diplomatiques et la volonté discrétionnaire de faire des tarifs préférentiels pour l'un ou l'autre, soit on accepte les sables bitumineux et les gaz de schiste américains.
L'indépendance énergétique a un coût. Si nous voulons construire une Europe de l'énergie, au-delà des initiatives de la Commission, chaque pays doit s'asseoir autour de la table pour analyser son mix énergétique - et ce, malgré les objectifs louables de chacun - pour construire une politique et un intérêt européens. On se gausse de mots : l'Europe de l'énergie renvoie à notre conception de l'intégration européenne. À quel niveau la situer ? Celui de la compétitivité économique, de l'indépendance énergétique, d'une avancée commune avec des politiques spécifiques par plusieurs États ? En tous cas, cela ne passera pas par une politique État par État.
Je vous ai représenté, monsieur le Président, à la Conférence parlementaire de La Haye début avril sur ces sujets. Les pays baltes y sont très réticents, par peur de leur grand voisin. M. Maro efèoviè, vice-président de la Commission chargé de l'énergie, est très sûr de son fait sur une politique de l'énergie commune et sur le contrôle a priori des contrats énergétiques des pays. Cela m'a rendu perplexe : où est la démocratie de cette décision ?
Le président Bizet a évoqué la COP 21 et les quotas d'émissions de carbone. Revenons aux fondamentaux : la France produit trois fois moins d'émissions de carbone que l'Allemagne. On ne peut pas lui demander les mêmes efforts ! Nos entreprises ont besoin de retrouver de la compétitivité.
Au départ, la France et l'Allemagne avaient décidé ensemble de promouvoir une Union de l'énergie. Mais lors de sa concrétisation, tandis que le groupe de Viegrad approuvait un marché commun de l'énergie, l'Allemagne apparaissait réticente. Par ailleurs, alors que nous convenions avec l'Allemagne d'une harmonisation systématique pour limiter la concurrence, le groupe de Viegrad s'y opposait, la Pologne déclarant vouloir produire et du gaz de schiste, et du charbon, et du nucléaire... C'est difficile de progresser lorsque les États se disputent.
Avec la COP 21, l'Europe a montré qu'elle était volontaire et un bon élève du protocole de Kyoto. Cela reste à confirmer pour celui de Paris... Dans la nouvelle proposition, c'est l'efficacité énergétique qui est la directive la plus faible, sans obligation. Relançons les choses. La présidence néerlandaise de l'Union européenne est prête à soutenir les fondateurs de l'Union pour qu'ils redonnent du sens. Les autres suivront. Nous, parlementaires, sommes-nous prêts à soutenir la COP 21 par cette Europe de l'énergie ?
C'est effectivement un angle d'attaque. D'autres pays que la France et l'Allemagne - comme l'Espagne et l'Italie, grands pays industriels, importateurs de produits énergétiques - sont concernés. Nous avons intérêt à diversifier nos alliances. Pourquoi n'arrive-t-on pas davantage à se coordonner, à faire front partiellement commun, pour peser plus dans les négociations ? Veut-on laisser libre cours à la concurrence pure et parfaite ou masquer l'absence d'accord politique ? Une coopération renforcée serait une solution possible, mais commençons d'abord à quelques-uns.
Il n'y a pas d'union de l'énergie à modèle constant, à savoir une justification de modèles nationaux. Trouvons la bonne voie de traverse avec de nouveaux modèles de développement, sous peine de rester dans un statu quo, avec des États qui assument leurs modèles énergétiques et leurs conséquences géopolitiques. Qui peut investir dans ce nouveau modèle ? Qui a autorité ? Quels sont les moyens macroéconomiques que l'Europe se donne, et notamment quelle politique de concurrence interne ? L'Europe est capable de détruire ses filières industrielles, même lorsqu'elles vont vers un nouveau modèle de développement, par une ouverture excessive aux concurrents étrangers, comme elle l'a fait avec la Chine pour l'énergie solaire. Un discours commun est possible, dépassant les intérêts nationaux, si on peut mettre en place une architecture de financement qui limite le libre-échange.
Ce sujet sera au coeur de nos discussions avec les parlementaires et commissaires européens les 6 et 7 juin à Strasbourg, et abordé lors d'un déplacement en Pologne les 16 et 17 juin.
J'ai retenu que la coopération renforcée est la voie à suivre, avec l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie ; l'accord franco-allemand donne un véritable sens à la COP 21 ; le différentiel de coût de l'énergie entre voisins doit être résorbé ; l'indépendance énergétique a un coût à assumer collectivement. La relation avec notre « grand voisin » échappe à toute rationalité, dans tous les domaines. Quel que soit l'après 23 juin, restera posée la question de la politique de la concurrence. C'est un sujet sur lequel je suis de plus en plus critique. Nous avons coupé des têtes et nous nous sommes fragilisés par rapport à notre voisin outre-Atlantique. Je vise ce qui a été fait hier avec M. Joaquin Almunia, comme aujourd'hui avec Mme Margrethe Vestager.
II - RELATIONS ENTRE LE ROYAUME-UNI ET L'UNION EUROPÉENNE
Depuis plus de six mois, nous avons tous à l'esprit le sujet des relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. J'ai conduit une délégation les 27 et 28 janvier derniers à Londres ; nous avons rencontré le ministre britannique des affaires européennes, le conseiller du Premier ministre en charge de l'Europe, des parlementaires, des représentants de la City ou de la société civile. La plupart - hasard du calendrier - étaient pour le in. On avait l'impression que le in et le out étaient suffisamment différenciés, mais ils sont actuellement au coude à coude dans l'opinion. Prédire un résultat serait très difficile, d'autant que les Anglais ont une faible pratique du référendum. La question posée - rester ou non membre de l'Union européenne - est adroite. La tentation du saut dans le vide est toujours à craindre... cependant le in l'emportera probablement.
Après le 23 juin, le dossier du Brexit ne sera pas refermé : si les Britanniques restent dans l'Union, le sujet européen sera réglé au sein du parti conservateur. Mais le rôle du Royaume-Uni dans l'Union n'en sera pas pour autant précisé. À moins d'un vote massif pour le in, il n'y aura pas de nouvel élan à la relation euro-britannique.
L'accord au Conseil européen des 18 et 19 février derniers donne des gages au Royaume-Uni en cas de maintien dans l'Union - prétendument des gages de pure forme - pour permettre à David Cameron de remporter le référendum. Mais ces dispositions sur l'articulation entre les États membres de la zone euro et hors zone euro pourraient remettre en cause l'« union sans cesse plus étroite » prévue dans les traités. Les Britanniques surveilleront ce qui se passe dans la zone euro, mais changeront-ils leurs méthodes ? Peut-être suis-je trop pessimiste...
Est prévue une modification du règlement de 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale afin que l'État membre où le travailleur réside puisse indexer les allocations familiales exportées sur le niveau de vie de l'État-membre où l'enfant réside. Malgré leur discours sur les réfugiés, les Britanniques craignent, davantage que le plombier, le peintre en bâtiment polonais. Cette question a dramatisé celle des travailleurs détachés et explique le « carton jaune » des pays de provenance des travailleurs détachés. Nous en débattrons demain à l'Assemblée : il est difficile de trouver un bon équilibre, et le Royaume-Uni ne nous y aide pas.
La proposition de modification du règlement de 2011 relatif à libre circulation des travailleurs prévoit un mécanisme d'alerte et de sauvegarde pour faire face à un afflux de migrants d'une ampleur exceptionnelle, et durant une période prolongée, de travailleurs provenant d'autres États membres. Ce constant mélange des genres me paraît dangereux...
Quel est l'avis du Parlement européen sur l'accord de février ? En cas de vote in, dispose-t-on déjà d'un calendrier des discussions ? La solution du Conseil européen ne donne pas aux parlements nationaux le véritable droit de veto imaginé par les Britanniques. L'appellation de « carton rouge » est trompeuse : de la pure communication... Les avis motivés sur le non-respect du principe de subsidiarité par un projet d'acte législatif, adressés dans un délai de douze semaines à compter de sa transmission, représentant plus de 55 % des voix attribuées aux parlements nationaux, permettraient au Conseil de mettre fin à l'examen du projet d'acte en question. Mais si l'acte est modifié pour tenir compte des préoccupations exprimées par les parlementaires, que se passe-t-il ? Repensons certaines choses. Le seuil de ce nouveau carton serait relevé, mais serait-il plus contraignant que le carton jaune ? Il impose au Conseil de tenir compte des préoccupations exprimées.
Ce nouvel outil renforce-t-il vraiment le rôle des parlements nationaux ?
Les réponses à la sortie du Royaume-Uni de Union européenne restent très incertaines, même si l'on sait que celle-ci ne se ferait pas du jour au lendemain, mais au cours d'une période de deux ans. Si les Britanniques sautent dans le vide, les Ecossais ont fait savoir qu'ils souhaitaient rester dans l'Union et les Irlandais du Nord se demandent s'ils ne devraient pas s'unir à l'Eire.
La sortie du Royaume-Uni serait le signal du détricotage de l'Union européenne. D'autres États pourraient s'écrier : « Retenez-moi ou je fais un malheur ! » et, à l'image du Royaume-Uni, pousser si loin la négociation qu'ils finiraient par quitter Union européenne. L'Europe est bien à deux vitesses.
La logique de la coopération renforcée ne peut-elle pas se fonder sur ce qui est déjà construit, en particulier la zone euro ? Celle-ci a un sens global au-delà des accords financiers, en ce qu'elle constitue un espace ambitieux. Ne faut-il pas décider que, quelle que soit l'issue du vote britannique, la zone euro soit renforcée, peut-être par la création d'un Parlement spécifique ?
Nous restons très attentifs au déroulement du débat au Royaume-Uni. L'arrangement conclu en février dernier a constitué la réponse des chefs d'État et de gouvernement aux demandes de réforme de l'Union formulées par le Premier ministre britannique David Cameron dans sa lettre du 10 novembre 2015 au président du Conseil européen, Donald Tusk. Sa mise en oeuvre a été reportée au lendemain du référendum, en cas de victoire du « oui ».
Si le Royaume-Uni se maintient dans l'Union européenne, il faudrait modifier sur certains points le droit dérivé pour que tous les engagements puissent être tenus. Ces engagements concernent la gouvernance économique et la zone euro, avec une procédure d'alerte ; la recherche d'une compétitivité accrue ; l'interprétation donnée au principe d'une union toujours plus étroite ; le rôle des parlements nationaux et la libre circulation des travailleurs.
Le Sénat a adopté une résolution après la présentation du rapport de Mme Keller, affirmant que nous souhaitions le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, une sortie portant atteinte à la cohésion de l'Union, mais que les dérogations ne sauraient devenir une règle commune. Les réformes ne peuvent exister que dans le strict respect des valeurs de l'Union européenne et la préservation de l'intégrité et de l'autonomie de la zone euro. La résolution souligne que l'euro est la monnaie unique de l'Union européenne ; on ne peut reconnaître de manière officielle la coexistence actuelle de plusieurs monnaies. En outre, l'union toujours plus étroite constitue l'un des fondements de l'Union européenne, comme l'égalité de traitement et la libre circulation des salariés, même s'il est toujours possible de prendre en compte la lutte contre la fraude ou des circonstances exceptionnelles. Nous partageons le souci de valoriser les parlements nationaux et d'appliquer pleinement le principe de subsidiarité et souscrivons au souhait de renforcer le marché unique et la compétitivité.
L'accord conclu en février avec le Royaume-Uni n'a, selon nous, pas franchi de ligne rouge ; il va même parfois dans le bon sens. La réponse des Britanniques dépendra de leur sensibilité à l'égard du projet européen. Il semble difficile d'établir des pronostics assurés.
Au-delà, cet arrangement dessine un peu plus la carte d'une Europe à géométrie variable. Tous les États ne partagent pas le même souhait d'intégration. Dès lors, quel que soit le résultat du référendum le 23 juin, il faudra s'interroger sur le fonctionnement de l'Union et sur sa relance, en rapport avec les attentes de nos concitoyens.
Nous sommes contradictoires : nous souhaitons une coopération toujours plus étroite mais aussi la préférence nationale, notamment en matière énergétique.
Par crainte du Brexit, on a piétiné le Parlement européen pour trouver un accord suscité par une politique démagogique. L'Union européenne accorde à M. Cameron ce qu'il avait déjà, nous dit-on, mais en cas de maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, l'accord devra être examiné par le Parlement européen et les parlements nationaux. C'est de la monnaie de singe. Soit le Royaume-Uni jouissait déjà des avantages inclus dans l'accord, soit non.
En accordant aux Britanniques la préférence nationale, l'Union européenne a cédé à la peur de voir un partenaire privilégié la quitter. C'est tout le danger. Quelle Europe voulons-nous construire ? Celle, britannique, du marché unique, ou une Europe recherchant un équilibre entre les exigences sociales et économiques ?
Je suis très inquiet, notamment sur la coopération renforcée. Avec qui, et comment, peut-elle avoir lieu ? Si nous menons des coopérations différenciées sur chaque sujet, je nous souhaite beaucoup de bonheur !
Comment réformer la zone euro sans réformer les traités ? La commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen tente d'y parvenir dans le cadre des traités actuels, ce qui me paraît impossible. Une réforme des traités n'est pas non plus envisageable - on sait comment les référendums se terminent.
Je partage toutes vos inquiétudes mais je relève vos contradictions - nous avons les mêmes. Nous souhaitons plus d'Europe, mais aussi l'application du principe de subsidiarité.
Les enjeux du débat ont été très bien présentés. Je ne saurais exprimer l'opinion majoritaire au Parlement européen, celle-ci étant très contrastée, non tant sur l'opportunité de maintenir le Royaume-Uni au sein de l'Union européenne que sur la signification exacte des conclusions du référendum et sur les ripostes rapides qu'il faudra enclencher, quel que soit le résultat.
Les choses doivent être dites très clairement aux Britanniques : oui c'est oui, non c'est non. Aucune demi-mesure ne peut être acceptée. Le Royaume-Uni est le pays qui bénéficie du plus grand nombre de opt-out. En cas de maintien au sein de l'Union européenne, il ne saurait y avoir de nouveau régime dérogatoire. Si le divorce est décidé, les conclusions devront être tirées avant l'expiration du délai de deux ans.
Je partage la lecture du président Bizet sur l'accord du 18 février. Aucune ligne rouge de nature à provoquer des fractures n'a été franchie. Néanmoins, cet accord pose des questions, notamment celles de la consultation des opinions publiques et du vote, au Conseil des ministres comme au Parlement européen.
Des marges de manoeuvre existent, en matière sociale. L'Allemagne envisage la restriction d'allocations accordées aux travailleurs issus d'autres États européens.
Quel que soit le résultat du référendum, l'Union européenne aura besoin d'une initiative forte, portée au moins par la France et l'Allemagne, vers plus d'intégration, notamment économique et budgétaire au sein de la zone euro. Celle-ci pourrait prendre la forme d'une modification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), ou d'autres traités. Plusieurs formules institutionnelles sont possibles.
La Grande-Bretagne a toujours eu un statut à part, historiquement. S'il ne s'agissait que de cela, des négociations le règleraient simplement. Mais le Brexit renvoie à d'autres questions européennes, comme celle du sentiment national. Je ne crois pas à une réponse fédéraliste - je le dis d'autant plus volontiers que j'en suis partisan. M. Jean-Claude Juncker a saisi cette problématique en essayant de freiner la machine à légiférer européenne.
Nous parvenons à un point de bascule. Trouvons des voies de passage conformes à l'opinion des peuples européens. Les citoyens européens sont de plus en plus nombreux à penser que le processus européen, trop intrusif, est allé trop loin. Il faut favoriser tout ce qui améliore la subsidiarité, mieux distinguer entre les actions nationales et européennes, et, éventuellement, améliorer le contrôle de subsidiarité accordé aux parlements nationaux, qui pourraient aussi se voir accorder un droit d'initiative, afin de transmettre leurs sujets de préoccupation à l'échelon européen.
Le Brexit nous renvoie à nos propres insuffisances, celles des États qui ne sont pas allés au bout du processus de l'euro. Depuis 2008, la France et l'Allemagne restent sur des positions antagonistes. Soyons réalistes et voyons avec l'Allemagne ce qu'il est possible de construire ensemble.
À l'Assemblée nationale, nous avons auditionné Mme Agnès Bénassy-Quéré, présidente déléguée du conseil d'analyse économique. Ses propositions sont intéressantes et pourraient recueillir l'assentiment allemand.
Repartons de propositions crédibles. Je ne crois pas à la possibilité de modifier les traités, en tout cas à vingt-huit États. La seule solution est intergouvernementale - que nos collègues du Parlement européen n'y voient aucune attaque - et ce, d'abord avec l'Allemagne. De telles décisions peuvent être mises en oeuvre assez facilement, y compris par le TSCG, avant d'être généralisées. Les initiatives intergouvernementales finissent par être communautarisées.
J'ai lu le plaidoyer fédéraliste de Guy Verhofstadt. Cette solution est impossible. J'appelle au pragmatisme. Le rapport des cinq présidents a dessiné des perspectives intéressantes. Le vrai problème réside dans la volonté de la France et de l'Allemagne.
On assiste, sous l'impulsion de la commissaire Margrethe Vestager, à une inflexion de la politique européenne de concurrence, notamment concernant les entreprises extra-européennes. Elle n'a pas peur de s'attaquer à Gazprom, Google ou Amazon, pour défendre le consommateur. En revanche, le substrat idéologique sur lequel cette politique s'appuie reste problématique pour les entreprises européennes : il est ainsi très difficile de mettre en place des stratégies anti-dumping. Songeons à la négociation de très grands accords de libre-échange. Si demain, des accords de délocalisation énergétique poussent très loin la convergence réglementaire, quid de la possibilité de l'ajustement carbone aux frontières ?
Quant au Brexit, l'acte de David Cameron est difficilement pardonnable ; la crédibilité de son positionnement est en jeu. Quel que soit le résultat du référendum, le mal est fait, les relations entre l'Union européenne et le gouvernement britannique sont affectées. Afin d'éviter toute contagion, en cas de victoire du « non », il faudra marquer le coup. À cet égard, l'accord de février rend dubitatif : tout le monde s'est essuyé les pieds sur le Parlement européen et les parlements nationaux. Soit il n'a rien apporté de nouveau, et il constitue une imposture, soit le Parlement européen pourra s'opposer fermement au fait d'avoir été négligé, particulièrement dans le domaine social.
La directive sur le détachement avait pour but initial d'assurer la continuité des droits des salariés brièvement envoyés dans un autre pays. Elle a été dévoyée et constitue actuellement un outil de dumping social. Si la réponse est simplement la suppression du bénéfice des droits sociaux dans le pays d'accueil, suivant un réflexe de repli, on satisfait les opinions publiques dans un premier temps, mais rend-on service à l'Union européenne ?
Si quelqu'un avait une proposition claire pour la refondation du projet européen, tout le monde en serait soulagé. La volonté intergouvernementale est nécessaire, mais l'intérêt européen est totalement absent de crises dues à des rivalités entre gouvernements. L'intérêt général européen devra être matérialisé. Il faudra aller vers le renforcement de l'Union. Le noyau de six pays ne me convainc pas. Les Pays-Bas, notamment, ont une vision très économique et peu politique. L'enjeu principal est le renforcement du contrôle démocratique ; les citoyens doivent être placés au coeur du processus de décision.
L'Union européenne reçoit une lettre en novembre et conclut un accord en février : de l'extérieur, tout ceci paraît bien rapide ! Il a suffi au Royaume-Uni de taper du poing sur la table pour obtenir un accord totalement unilatéral. La France n'aurait-elle pu faire de même ? Quant aux résultats... Il n'y pas grand-chose à attendre lorsque l'on est sur le radeau de la Méduse.
L'Europe a été portée par des personnalités qui avaient une vision. Ses dirigeants sont actuellement des boutiquiers qui discutent le bout de gras. Comment s'étonner que les peuples ne soient pas d'accord ? Il n'y a plus de vision ni de leader européen susceptible de mobiliser et de donner une espérance, la Commission européenne est dirigée par un responsable qui s'est particulièrement distingué comme comptable. Le rejet de l'Europe est celui d'un certain système qui a fait perdre toute espérance et qui est devenu contraignant. La taille du camembert lui importe plus que l'avenir de nos enfants. Le programme Erasmus est positif. Mais il devrait être dix fois, vingt fois plus important. L'Union européenne a la tête sur le billot. Elle a le déshonneur et, sinon la guerre, la perte de son âme. Laissez les Anglais la quitter, s'ils le veulent, afin d'éviter un détricotage continu. Sinon, tout le monde demandera une Europe adaptée à ses demandes. C'est une erreur politique que de vouloir, pour un plat de lentilles, retenir un grand pays. En tant que gaulliste, j'estime que trop, c'est trop.
Une solution serait de se réduire à la zone euro et de recommencer à construire une union qui partage une vision globale. À quoi bon être réunis à 28 États pour entendre les responsables de Frontex dire qu'ils ne peuvent rien faire ? C'est une catastrophe pour l'idée de l'Europe.
La question des travailleurs détachés fait l'objet d'un débat que la commissaire Marianne Thyssen veut rouvrir, avec difficulté. Celle des prestations sociales dans le marché intérieur pour les travailleurs issus d'un autre pays est différente. Sa temporalité n'est pas la même.
La responsabilité sociale des multinationales et la directive sur les travailleurs détachés seront débattues demain à l'Assemblée nationale.
Le Brexit pose-t-il la question de la remontée des nationalismes, ou celle du sentiment de perte de souveraineté ? On a fait valoir l'Europe comme espace de pouvoir, or c'est un espace de dilution. Puisque la forme nationale a fonctionné un temps, les peuples veulent y revenir.
Que les Britanniques choisissent le Brexit ou non, les conséquences sont identiques : il faut redéfinir l'Union européenne. Ce peut être par la zone euro, sa direction étant le seul instrument supranational existant. Il faut construire ce qui a manqué, c'est-à-dire un outil public d'investissement, et remettre la démocratie en son coeur, par exemple par un parlement de la zone euro. Les questions fiscales et sociales doivent être envisagées en amont, des garanties apportées. Avant d'inclure l'Allemagne - alors que le gouvernement italien tend la main à la France depuis quelques mois -, il faut préparer le rapport de force.
Faute de redéfinition, l'Union européenne n'est plus qu'un marché pâtissant de divergences structurelles qui poseront un jour la question de l'euro : pourquoi garder une monnaie unique quand les intérêts sont divergents et qu'aucun processus de convergence n'est établi ? L'Europe ne sera plus la zone de prédilection de la France, qui se tournera peut-être vers la francophonie africaine ou une autre sphère.
M. Juncker lui-même a déclaré qu'il ne disposait pas des élites nationales que les multi-crises européennes demandaient. Il faut le faire mentir.
Si une sortie de l'Union européenne peut s'effectuer sans dommage, nous ne sommes qu'au début de l'histoire... Depuis les États-Unis ou l'Asie, les faiblesses de l'Union européenne sont invisibles et l'envie du Royaume-Uni de se retirer incompréhensible. Son départ pourrait affaiblir l'ensemble de la construction, et donc l'euro. Il faut trouver une réponse crédible pour défendre l'euro et sa pérennité.
Même dans sa situation actuelle, la Grèce est très réservée sur sa capacité à accepter des garde-frontières, car ils représentent une atteinte à sa souveraineté. Nous devons être capables d'assumer nos politiques communes et de les accroître, sans quoi les partisans du retour en arrière gagneront. Depuis dix ans, les capitaines de vaisseau jouent aux agents de maintenance. La seule solution est le courage d'expliquer que la vraie souveraineté se partage jusqu'au bout, car seul, on ne peut rien.
Les politiques ne doivent plus être définies avant le contrôle démocratique, mais celui-ci doit être un prérequis - le contraire signifie que l'on ne croit pas à la démocratie. En outre, la multiplication des coopérations renforcées perd les citoyens et annihile la démocratie. La coopération renforcée doit être basée sur la zone euro et limitée.
Je n'ai pas la même culture politique que Louis Nègre mais nos idées convergent. L'inanité du discours européen des politiques français est étonnante. Seul le Front national se fait entendre à Bruxelles. Ce matin, le Président de la République a déclaré que si les Britanniques quittaient l'Union européenne, la France et l'Allemagne prendraient de grandes initiatives - mais lesquelles ? Cessons les politiques de réaction à des crises. J'en veux pour exemple l'échec du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) à créer des emplois.
Le premier discours européen d'un homme politique en France sur l'Europe, depuis longtemps, c'est celui d'Emmanuel Macron au Collège d'Europe à Bruges, le mois dernier. Il faut attendre d'être face à la crise pour commencer à penser l'Europe... C'est extrêmement grave.
L'Europe se délite face au sentiment national car elle n'offre aucune souveraineté au citoyen européen. Personne ne propose rien. La France va concevoir une riposte à l'éventuelle sortie de l'Union du Royaume-Uni. J'aurais préféré que deux ou trois grands pays - la France, l'Allemagne et l'Italie - proposent une vision de l'Europe qui continue à avancer, sans les Britanniques. Leur apport au budget européen est nul et l'intérêt de la concentration d'une partie de la finance mondiale à Londres est discutable.
Il faut parler clair. J'ai hâte qu'on évoque une vision. Depuis trois ans, je propose que les parlements nationaux et le Parlement européen aient un pouvoir d'initiative législative conjoint, sans conflit de légitimité.
Je partage tout ce qui a été dit. Attention tout de même à ne pas refonder l'Europe uniquement sur la zone euro. Rappelons les propos de Robert Schuman sur la constitution et le projet européen. Le plan Juncker a connu un terrible échec. Sans projet, sans espérance, l'Europe se délitera. Le grand plan doit revenir sur le devant de la scène.
L'Assemblée nationale s'est emparée du plan Juncker - il n'est pas oublié.
Il est très difficile de résumer nos débats car ils portent sur la redéfinition de l'Union européenne à laquelle le Brexit nous incite. Nous avons plus de convergences que de divergences. Le contrepoids aux nationalismes est la souveraineté et le citoyen. Celui-ci doit être placé au centre du débat, par les parlementaires nationaux et européens. L'initiative du carton vert, fragile, mériterait d'être approfondie.
Malgré des réserves, la zone euro est bien l'une des bases pour recréer une Union européenne et faire renaître le sentiment européen chez nos concitoyens.
Merci.
La réunion est levée à 19h40.