Nous sommes très heureux d'accueillir M. Anguel Tcholakov, ambassadeur de Bulgarie en France. Merci d'avoir répondu à notre invitation quelques semaines après le début de votre présidence de l'Union européenne. Nous vous souhaitons un plein succès. Si l'Union européenne bénéficie d'un contexte meilleur, les défis demeurent importants.
En premier lieu, c'est évidemment le Brexit qui focalise notre attention. Nous souhaitons la conclusion d'un accord de retrait, qui réponde aux trois conditions posées par l'Union européenne sur la situation des citoyens, l'Irlande et le règlement financier. Tous les engagements pris dans le rapport conjoint des négociateurs devront être formalisés juridiquement. Leur respect devra conditionner l'accord sur les relations futures. Une période de transition paraît inévitable. Mais le Royaume-Uni devra respecter toutes ses obligations - sans pouvoir participer au processus de décision puisqu'il sera devenu un État tiers. Pour ce qui concerne les relations futures, le Conseil européen devra fixer précisément ses objectifs en veillant à garantir l'intégrité du Marché unique. L'unité des 27, affirmée dans la première phase, devra être préservée. Nous nous réjouissons que, grâce notamment au travail de Michel Barnier, elle perdure.
Votre présidence s'ouvre dans une conjoncture économique plus positive. L'Union doit saisir cette occasion pour renforcer sa compétitivité. Nous soutiendrons vos initiatives sur le numérique. C'est un enjeu majeur. La cyber-sécurité et l'intelligence artificielle sont des priorités. La commissaire en charge du dossier est votre compatriote, et nous la recevrons prochainement. Pour faire émerger des champions européens, nous devons adapter les outils de la politique de la concurrence. Actuellement, cette politique consiste en des postures qui remontent aux années 1950, selon lesquelles le marché serait un régulateur optimal ; mais le monde a changé, et, malgré les orientations pertinentes prises par Mme Vestager, nous ne sommes toujours pas à la hauteur.
Il faut aussi approfondir la zone euro en renforçant sa gouvernance, en assurant un véritable contrôle démocratique à travers les parlements nationaux, en parachevant l'union bancaire et en lui donnant les moyens de réagir aux crises.
Nous soutiendrons vos initiatives en matière de sécurité et de politique migratoire. Ce sujet est sans doute la première préoccupation de nos concitoyens. Le contrôle effectif des frontières extérieures et l'échange d'informations sont des enjeux majeurs.
Nous voulons un débat ouvert et constructif sur le prochain cadre financier pluriannuel. Le retrait britannique, le contexte budgétaire et l'émergence de nouvelles priorités suscitent des inquiétudes. La politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion doivent être préservées. Le budget européen doit être doté de ressources propres. Vous savez comme la France est attachée à la PAC, qui fut la première politique fondatrice de l'Union européenne. Aussi avons-nous été choqué d'apprendre, au moment même où Mme Loiseau, ministre de l'agriculture, nous annonçait une hausse des moyens nationaux, que le commissaire à l'agriculture évoquait une baisse de 5 à 10 % des crédits de la PAC. Alors que l'État accroît son concours financier à une activité stratégique, est-ce le moment pour l'Union d'emprunter le chemin inverse ?
Nous partageons votre souci de stabilité dans les Balkans occidentaux. Certains de nos collègues se rendront prochainement au Monténégro et en Serbie, où l'on sent une tentative de déstabilisation. La priorité doit être de favoriser des progrès significatifs tant sur l'organisation institutionnelle - l'État de droit - que sur le plan économique.
Enfin, quelle est votre appréciation sur la situation en Ukraine, dont la Bulgarie est proche voisine, et sur les relations avec la Russie ? Ce pays demeure un partenaire incontournable en dépit des difficultés que nous rencontrons, et le Sénat lui porte une attention toute particulière : vous savez que nous avons voté récemment une proposition de résolution déposée par MM. Sutour et Pozzo di Borgo sur la question des sanctions, qui font surtout souffrir les peuples.
Vous le voyez, nous avons beaucoup de questions à vous poser !
Et j'espère que vous répondrez aux miennes, car je souhaite que cet entretien soit enrichissant pour tout le monde. Je souhaite en particulier connaître votre appréciation du système de présidence tournante. D'aucuns le considèrent comme un facteur d'inertie institutionnelle ; en Bulgarie, nous estimons qu'il a une véritable valeur ajoutée.
Merci pour votre invitation, et tous mes meilleurs voeux pour cette année déjà bien entamée. La relation franco-bulgare est une histoire d'amitié et une alliance qui dure depuis déjà douze siècles. Dès le IXème siècle, la Bulgarie avait une frontière avec l'Empire des Francs et, à chaque grand carrefour de l'Histoire, la France nous a tendu la main - à chaque fois dans un prisme européen.
Au dix-neuvième siècle, de grandes voix françaises, comme Lamartine ou Victor Hugo, se sont élevées pour encourager notre indépendance après cinq siècles de joug ottoman. Puis la France a mis son modèle et son expertise à la disposition du jeune État bulgare. Et c'est dès le mois de janvier 1989 que François Mitterand est venu chez nous, pour le fameux petit-déjeuner avec des intellectuels bulgares. Il nous a ensuite envoyé Roland Dumas, qui fut, avant de présider votre Conseil constitutionnel, conseiller pour l'Europe de notre premier président. Enfin, quand nous avons adhéré à l'Union européenne en 2007, la France nous a encore aidés avec son expertise.
C'est donc une longue histoire d'amour que retrace le fil de cette trajectoire émotionnelle commune, écrite depuis l'origine dans un paradigme européen.
Onze ans après notre adhésion, nous prenons pour la première fois la présidence tournante de l'Union, avec une grande confiance en nous, un fort enthousiasme européen et un puissant désir d'apporter notre contribution. Nous avons fixé à cette présidence quatre priorités.
D'abord, l'avenir de l'Europe, et l'avenir de cet avenir, c'est-à-dire la jeunesse. Nous sommes à un moment de transition puisque le débat sur les nouvelles perspectives financières est entamé. Il importe de renforcer la croissance économique et la cohésion sociale européennes. Comme c'est l'année européenne du patrimoine culturel, la culture et le sport sont à l'honneur, ce qui met en exergue le soft power européen.
Il est vrai qu'à un an des élections européennes, il est permis d'être inquiet. Alors que les prérogatives du Parlement n'ont cessé de s'accroître depuis 1979, puisque cette assemblée, initialement consultative et protocolaire, est désormais co-législateur, le taux de participation aux élections européennes est passé dans le même temps de 62 % à 42 %. Aussi comptons-nous amorcer une réflexion sur les enjeux des élections européennes, afin d'y sensibiliser davantage nos concitoyens. Certains politologues les qualifient désormais d'élections de second ordre ; de fait, elles mobilisent peu et les débats auxquels elles donnent lieu sont bien souvent de portée nationale et non européenne. Le Président Macron a appelé à une grande consultation civique - et les propositions françaises trouvent toujours beaucoup d'écho chez nous.
Deuxième priorité : les Balkans. Il me semble que, sur ce thème, la présidence bulgare a une vraie valeur ajoutée, ne serait-ce que pour des raisons géographiques - mais aussi du fait de notre expérience récente. Nous devons tenir aux pays des Balkans occidentaux un discours réaliste, et tenter de les connecter à une Europe qui devient de plus en plus digitale. Sans perspective européenne claire, le risque nationaliste s'accroîtra. Pour autant, nous devons nous montrer responsables et faire des propositions réalistes, sans s'engager encore sur un calendrier, mais en traçant des perspectives. Ces pays ne sont certes pas moins européens que nous, et ils attendent depuis longtemps un message positif de notre part. Nous pouvons d'ores et déjà leur prêter assistance en matière de transport ou de formation. D'ailleurs, l'un des projets qui nous tient à coeur est la création annoncée d'une antenne de l'ENA à Sofia, sur le modèle du collège européen à Bruges. C'est très important pour la modernisation de la classe politique.
La sécurité et la stabilité de l'Union européenne sont une autre priorité, dans un contexte de gestion déficiente, en interne, des flux migratoires, et de défaillance dans le contrôle de nos frontières extérieures. Nous comptons recadrer les concepts de gestion des flux migratoires et refondre l'European Asylum Office.
Enfin, nous travaillerons à l'achèvement du modèle digital européen. Cette thématique revêt une importance croissante, dans un monde où le débat sur la protection des données individuelles et la gestion des flux occupe le devant de la scène. Vous l'avez dit, l'une de nos compatriotes exerce les fonctions de commissaire européen à l'économie et à la société numériques. Ayant épousé un Français, elle connaît mieux la France que moi-même ! Je me réjouis que vous l'ayez déjà invitée, et m'offre à vous faire rencontrer tout autre personnalité bulgare que vous pourriez souhaiter entendre.
Dans quel état d'esprit abordons-nous cette présidence ? Toute l'Europe était représentée à Sofia lorsque nous l'avons inaugurée le 11 janvier dernier. Je me suis rendu à Bruxelles la semaine dernière, et je connais bien les équipes qui y travaillent avec nous car j'ai été le sherpa pour le Conseil européen du premier Gouvernement Borissov. Nous percevons un certain apaisement face à la perspective de confier la présidence à notre pays : le temps où il y avait des divisions entre anciens et nouveaux États-membres est derrière nous. Nous serons soucieux d'inscrire notre action dans le prolongement de celle de la présidence estonienne comme de préparer celle de la présidence autrichienne.
Merci encore de m'avoir invité. J'espère que nous aurons l'occasion de nous voir de nouveau au terme de notre semestre de présidence car, plus encore que de tracer des perspectives, il est important de savoir faire un bilan ! Je souhaite aussi, d'ores et déjà, vous présenter mon adjoint, M. Tassev, ministre plénipotentiaire, qui est un diplomate expérimenté.
En France, la présidence bulgare a été lancée en Haute-Savoie, grâce à l'un vos collègues, Loïc Hervé, qui préside le groupe d'amitié France-Bulgarie du Sénat.
Son enthousiasme est contagieux. Les festivités qui, à cette occasion, se sont enchaînés pendant plusieurs semaines ont fait la Une de tous les médias bulgares. Et vous, comment voyez-vous cette présidence tournante ?
Merci pour votre propos volontariste et porteur d'espoir, qui répond par lui-même aux interrogations que vous avez évoquées sur l'intérêt de la présidence tournante.
Merci aussi d'avoir fait de l'avenir de l'Europe une priorité de votre présidence, car les élections européennes sont très proches et nous craignons le pire. Les mois qui viennent, à cet égard, seront déterminants pour l'avenir de l'Union. Élections de second ordre ? Le qualificatif est grave, et nos institutions doivent relever ce défi. Il s'agit, en somme, de lutter contre le populisme, qui accuse l'Europe de tous les maux. À cet égard, il est bon que notre commission rencontre systématiquement l'ambassadeur du pays qui assume la présidence du Conseil, afin que nous puissions lui faire passer nos messages.
Pour que les électeurs aillent aux urnes - et votent bien -, l'Europe doit absolument progresser sur les questions de migration et d'asile. L'accent doit être mis sur la sécurité ; un discours volontariste et réaliste doit être tenu sur l'immigration et l'asile, et notre politique de retour et de réadmission doit être plus efficace, car nos concitoyens n'y croient plus. De fait, 95 % des déboutés du droit d'asile ne retournent jamais chez eux. La solidarité européenne doit aussi mieux jouer, et vous savez bien que certains États-membres n'acceptent pas les quotas qu'ils devraient prendre en charge.
Sur les Balkans : est-ce bien le moment d'en faire trop ?
Je n'ignore aucunement l'importance de la perspective européenne pour ces pays, mais il importe de leur tenir un discours réaliste, et surtout que nos concitoyens puissent entendre ; car nombre d'entre eux considèrent que la cause de nos maux actuels est à chercher dans un élargissement trop rapide.
Enfin, je souhaite que la présidence bulgare soit attentive à maintenir à Strasbourg son rôle de siège du Parlement européen, car c'est à Strasbourg que s'est créée l'Europe des peuples. Je connais votre background belge...
C'est exactement pour cela que j'emploie l'expression d'assemblée de Strasbourg - malgré mon background bruxellois !
Il est agréable de vous entendre car vous tenez un discours volontaire et confiant, et votre français est excellent.
La présidence tournante est une très bonne chose, puisqu'elle place le focus sur des États-membres qui n'en bénéficieraient pas forcément sinon. Il y a de toute façon, outre la présidence du Conseil, une Commission et un Parlement européen...
Nous aimons la Bulgarie ; il y a quelques années, notre commission avait eu l'occasion de rencontrer une jeune femme politique, Liliana Pavlova, qui a ensuite rejoint le Parlement européen.
Cette enthousiaste de l'idée européenne est désormais vice-ministre pour la présidence bulgare du Conseil de l'Union européenne.
Je m'en félicite ! Elle avait été désignée, à l'époque où nous l'avions reçue, personnalité politique d'avenir. Nous avions aussi été particulièrement bien reçus au Parlement bulgare, avant de visiter la magnifique ville de Plovdiv, qui sera capitale européenne de la culture en 2019.
Contrairement à mes collègues, j'estime que nous devons donner un coup d'accélérateur vis-à-vis des pays des Balkans. C'est une région qui a connu des événements très graves au XXe siècle. Certes, il ne faut pas aller trop vite - quelques exemples viennent à l'esprit - et M. Juncker a annoncé qu'il n'y aurait pas d'élargissement dans les cinq prochaines années. La Slovénie, la Croatie ont rejoint l'Union européenne ; les discussions avec la Serbie et le Montenegro progressent - à mes yeux, les enjeux concernant la Serbie me paraissent encore plus forts que pour le Montenegro. Aidons ces pays à se mettre aux standards européens.
Enfin, la Macédoine nous inquiète beaucoup ; elle est aux portes de l'Union européenne, mais il y a ce problème de dénomination... On l'appelle ARYM (ancienne république yougoslave de Macédoine) ; l'aéroport et l'autoroute Alexandre le Grand ont été débaptisés, on dit maintenant « autoroute de l'amitié »... Un accord entre la Grèce et la Macédoine sur le nom du pays, qui vient d'être conclu sous les auspices de l'ONU, a suscité des manifestations très importantes en Grèce. Pourquoi l'Union européenne n'a-t-elle pas conduit les négociations ? Quel est votre point de vue ?
Je suis très sensible à la manière dont vous avez présenté la présidence bulgare, en rappelant le caractère historique des relations entre nos deux pays. J'ai apprécié la référence au Conseil de l'Europe : ayant été sensibilisée à l'idée européenne à travers les mouvements de jeunesse, je sais que le Conseil de l'Europe a construit un socle européen de valeurs communes.
Les précédentes adhésions ont été guidées par les critères de Copenhague, au nombre de trois : la mise à jour des législations nationales, la transition vers une économie de marché et le plus délicat, la structuration de la société civile et le respect des droits politiques. L'adhésion de la Bulgarie a pris deux ans de plus qu'initialement prévu, pour satisfaire à ces critères. Lesquels seront utilisés pour accompagner les nouveaux pays ? Il convient de les revoir.
Vous évoquez la création d'une antenne de l'ENA à Sofia. Je trouve l'approche quelque peu technocratique et susceptible de mettre en danger l'appropriation de l'idée européenne par les citoyens. Je vous suggère de mettre davantage l'accent sur le local. La construction européenne a besoin d'une colonne vertébrale sociétale.
J'ai moi aussi été impressionné par votre intervention. Je me suis rendu en Bulgarie dans le cadre de la mission d'information sur l'accord Union européenne-Turquie ; j'ai pu y constater les efforts considérables engagés par votre pays pour sécuriser la frontière extérieure et endiguer les passages non autorisés. Le volontarisme des autorités bulgares est à saluer. Mais la crise migratoire est toujours là, et il vous incombera d'obtenir, avec le président de la Commission, un accord sur la politique migratoire avant la fin juin. Au plus fort de la crise, la Pologne et la Hongrie ont refusé la politique des quotas d'accueil, et le groupe de Viegrad s'inscrit toujours dans cette logique. De leur côté l'Allemagne, l'Italie et la Suède ne veulent pas d'un accord au rabais qui se limiterait à la dimension financière et logistique du problème. Comment comptez-vous rapprocher les points de vue ?
La Bulgarie satisfait à tous les critères pour rejoindre l'espace Schengen, sauf celui de la fiabilité du système judiciaire et de la lutte contre la corruption. Je crois savoir que le président Boïko Borissov s'est opposé à un récent projet de loi anticorruption au motif de son manque d'efficacité. Où en êtes-vous ?
Le cadre financier pluriannuel 2012-2027 sera marqué par la fin de la contribution du Royaume-Uni au budget européen, soit dix milliards d'euros par an, la question des ressources propres du budget et la conditionnalité des aides au respect de l'État de droit.
J'apprécie votre enthousiasme. Votre pays aura la responsabilité de faire partager l'idée européenne à une jeunesse qui ne se l'est pas appropriée.
La politique agricole est la seule politique vraiment européenne depuis le début de l'Union. Elle a été lancée à une époque où l'enjeu consistait, au sortir de la guerre, à nourrir les Européens. Je partage l'avis du Président de la République, pour qui la sécurité alimentaire est l'un des principaux enjeux pour le monde à l'horizon 2050. Cela se prépare dès maintenant, d'autant que le calendrier s'accélère : la réforme de la PAC doit être menée à bien avant les élections européennes.
Dans de précédentes fonctions, j'ai eu l'occasion de rencontrer des paysans bulgares, et j'ai pu mesurer à la fois leur espérance et ce qui restait à faire. Un fléchissement sur la PAC enverrait au mauvais signal aux agricultures européennes. Aucun président français n'a cédé sur le budget de l'agriculture...
L'espace agricole et forestier français est un atout qui peut contribuer à la production d'énergie et à la lutte contre le réchauffement climatique. L'enjeu de l'aménagement du territoire est capital : si, au niveau européen, aucun signal fort n'est donné sur la place de l'économie rurale, 2019 sera l'année de tous les dangers pour l'Europe. C'est dire l'importance de votre présidence : faire en sorte que les paysans se réapproprient le défi de l'Europe agricole.
Vous avez fait souffler un vent de jeunesse, de dynamisme et d'espoir sur notre commission ! Particulièrement attentive aux questions d'éducation et de formation, je me félicite que vous mettiez ces sujets au premier plan de vos priorités. La modernisation des programmes éducatifs européens, Erasmus en premier lieu, est nécessaire. Depuis qu'il est devenu Erasmus +, les jeunes en apprentissage, qui ont moins souvent l'occasion de voyager en Europe, peuvent également en bénéficier. Quant à l'Erasmus professionnel, il reste peu utilisé. Allez-vous mettre l'accent sur ces dimensions ?
À l'égard de l'élargissement aux pays des Balkans, il convient de faire preuve de pédagogie en expliquant le projet européen et en montrant l'espoir qu'il peut susciter au sein des peuples concernés.
Plovdiv sera, avec Matera, la capitale européenne de la culture en 2019. J'avais recommandé dans un rapport que les deux capitales européennes de la culture désormais désignées simultanément chaque année construisent des échanges entre elles ; trop souvent, cette manifestation est utilisée comme un label touristique, sans aucun accent mis sur l'Europe ni travail pédagogique envers les citoyens. Votre présidence vous offrira l'occasion de faire en sorte que la capitale de la culture retrouve son esprit d'origine.
Pourquoi ne pas organiser, à l'ambassade, un débat avec l'intellectuel Ivan Krastev, auteur du Destin de l'Europe - même si sa conception du soft power diffère quelque peu de la vôtre ?
Je prends cela comme un mandat !
La présidence bulgare apporte un vent de fraîcheur aux enfants gâtés de l'Europe que nous sommes. Vous représentez cet Orient compliqué aux portes de notre continent, avec votre approche des enjeux géostratégiques. L'Europe ne doit pas se renfermer dans ses égoïsmes. Rien n'est pire que la désespérance des peuples ; c'est pourquoi il est vital de donner des perspectives et d'entamer des rapprochements, surtout avec la jeunesse. Sinon, cette jeunesse quitte son pays et laisse la voie libre à des générations plus nationalistes. Nous en connaissons les dangers.
Je suis convaincu que la présidence bulgare sera un succès. L'enjeu n'est pas d'être un grand ou un petit pays, mais d'être à la hauteur. Vous prenez cette présidence à un moment clé, à quelques mois des élections européennes qui pourraient annoncer le pire.
L'un des points les plus sensibles de la campagne électorale européenne qui s'annonce est la sécurité. Avec la commission d'enquête sur l'avenir de l'espace Schengen, je me suis rendu à la frontière gréco-turque pour me rendre compte des efforts en matière de sécurité migratoire. Vous évoquez une justice efficace, rapide et équitable ; qu'en est-il de la justice de proximité au passage des frontières ? Lors de notre visite, on nous avait alertés sur le manque de magistrats dont les migrants profitaient pour passer entre les mailles du filet. Le problème est-il résolu ?
Je partage l'opinion d'André Reichardt sur l'ouverture aux pays balkaniques : ce n'est pas le moment d'ouvrir le dossier en période électorale, alors que nous entendons sur le terrain que les adhésions sont allées trop vite.
Vous avez désigné l'économie numérique comme une priorité de la présidence bulgare. Vous n'ignorez pas que la vision de la cybersécurité, du stockage de données et des menaces varient selon que l'on se dirige vers le Nord et l'Est ou le Sud et l'Ouest... Allez-vous lancer un chantier d'harmonisation de notre politique de cybersécurité ?
Toujours dans le domaine numérique, il conviendra de défendre les entreprises européennes contre les GAFA, qui leur font une concurrence déloyale par effet de masse. Ils ont toujours une longueur d'avance et débauchent nos meilleurs esprits. Comment rendre attractif le marché numérique européen ? Comment attirer chez nous ceux qui représentent l'avenir de la technologie ?
Vous avez évoqué les rapports anciens entre la Bulgarie et l'empire ottoman. Quel dialogue comptez-vous engager avec la Turquie et sur quels sujets ?
Voilà beaucoup d'interrogations qui témoignent d'une attente forte, au moment où les valeurs de l'Union européenne sont bousculées et où le groupe de Viegrad prend des orientations qui nous préoccupent.
Je vous remercie d'avoir conduit la séance sous la forme d'une discussion, et non d'un cours ex cathedra. Nous représentons deux peuples européens entre lesquels la dimension émotionnelle est importante. La compréhension passe par l'échange. Merci aussi pour les paroles très positives adressées à mon pays, à mon peuple et à ma personne. Comme tous les ambassadeurs des pays partenaires ici, je suis, de mon côté, un amoureux de la chose française. Cela fait partie de la description du poste !
Les Balkans sont revenus dans plusieurs de vos questions. Je partage des éléments des deux points de vue exprimés. M. Sutour est un grand ami de la Bulgarie, qu'il a visitée à plusieurs reprises même lors de la longue stagnation des relations bilatérales.
Commençons par écarter une critique un peu facile : l'élargissement aurait été trop rapide. C'est possible, mais entre 2010 et 2013, lorsque la crise économique frappait les pays les plus riches, la Bulgarie -ce mouton noir - était le seul pays européen avec l'Estonie à satisfaire aux critères de Maastricht : elle affichait alors 0,7 % de déficit, une dette à 18 % et une inflation insignifiante. Ces résultats ont été obtenus au prix de sacrifices considérables de la population ; nos retraités, dont certains reçoivent 80 euros par mois, ont résisté à la dérive nationaliste. La Bulgarie reste un exemple de stabilité macroéconomique, de rigueur et de discipline judiciaire. Les gens se sont appauvris, mais sont restés européens d'esprit. Quant à notre voisin, la Roumanie, elle a connu une croissance de 8,2 % ! Peut-être l'élargissement a-t-il été trop rapide ; je crois au contraire qu'il a été un accélérateur de la prise de conscience européenne dans tous ses aspects : économique, sociétal, civilisationnel.
Il n'est pas question de fixer des dates ou de nourrir de faux espoirs. Soyons réalistes et responsables. Votre président a dit qu'il fallait sortir de l'hypocrisie vis-à-vis de la Turquie ; je dirai : sortons du silence vis-à-vis des Balkans. Nous ne pouvons leur offrir une adhésion, mais une feuille de route, davantage d'aides - avec une augmentation annoncée de 1,1 milliard d'euros - et surtout de l'espoir à une époque où l'Europe se fragmente dangereusement. Peut-être donnerons-nous ainsi du grain à moudre aux nationalistes ; mais nous avons des frères européens qui attendent un geste de Bruxelles. D'après Habermas, le simple fait d'introduire la démocratie dans le discours public contribue à la renforcer ; dans le même esprit, il convient de faire revenir les Balkans dans le discours européen. Les Français ne connaissent pas bien la région, au-delà d'une sympathie historique pour la Serbie. Relancer le débat aidera à l'émergence, dans l'opinion publique, d'une identité européenne.
Madame Harribey, votre Président a annoncé sa volonté de calquer Schengen sur les réalités du XXIe siècle ; il en va de même des critères de Copenhague qui doivent être repensés et modernisés.
Il n'est un secret pour personne que la Bulgarie souhaite depuis longtemps intégrer l'espace Schengen. Monsieur Marie, vous vous êtes exprimé de manière très franche sur la sûreté de la frontière bulgare. C'est pourtant une frontière beaucoup mieux gardée que d'autres dans son voisinage ; paradoxalement, c'est le pays le plus pauvre de l'Europe qui mobilise des ressources considérables à cette fin. Conseiller diplomatique du Premier ministre Boïko Borissov entre 2009 et 2014, j'ai pu constater que le traitement des migrants représentait une charge 4,5 fois plus importante que les retraites bulgares...
Malgré une déclaration du conseil Justice et affaires intérieures (JAI) et deux appels du président du Conseil européen de l'époque, Herman Van Rompuy, la Bulgarie n'a pas pu adhérer à Schengen. Nous continuons pourtant à jouer le jeu, ce qui a été reconnu.
La jeunesse est une priorité pour notre présidence - même si notre population est celle qui vieillit le plus rapidement en Europe - et nous lancerons une évaluation préliminaire sur Erasmus +. Je puis assurer, madame Mélot, que nous serons particulièrement actifs dans ce domaine. Il faut préparer notre jeunesse, qui sera bientôt appelée aux urnes, à la vie professionnelle. C'est l'avenir de l'Europe. Un travail pédagogique sur l'état d'esprit européen s'impose.
La Bulgarie a été fortement critiquée pour le manque de magistrats ; j'ai été entendu par le Parlement européen dans le cadre de notre mécanisme de vérification et de coopération. Certains États s'en plaignent comme d'une entrave à leur liberté, et vont jusqu'à parler de mécanisme de chantage communautaire. La Bulgarie a toujours adopté une attitude beaucoup plus constructive. Ce mécanisme est notre GPS : il nous montre la voie.
Les relations avec la Turquie, monsieur Botrel, sont une question très sensible. La Turquie est pour la Bulgarie un partenaire commercial très important. Nous avons aussi une minorité turque historique très bien intégrée, qui représente 10 % de notre population. C'est pourquoi nous envisagerons les relations avec la Turquie sous l'angle du pragmatisme, du respect et du bilatéralisme, avec une attention accrue aux libertés fondamentales, au pluralisme des médias, à la protection des ONG.
Monsieur Gattolin, j'organiserai une rencontre avec Ivan Krastev à notre ambassade.
Sur la question de la PAC, monsieur Gremillet, nous partageons la vision de la France ; je viens justement de m'entretenir sur ce sujet avec le ministre de l'Agriculture. La PAC ne doit pas être une variable d'ajustement.
Nous y serons attentifs. La Bulgarie est un grand producteur agro-alimentaire. Je vous invite à un déjeuner traditionnel à notre ambassade, où vous pourrez le constater de façon empirique !