Notre mission d'information poursuit ses travaux en accueillant des représentants des métiers de l'herboristerie. Je vous rappelle que cette table ronde fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet, et qu'elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.
Je remercie nos trois intervenants d'avoir accepté notre invitation. Ils incarnent la diversité des métiers liés à l'herboristerie et aux plantes médicinales que nos premières auditions, la semaine dernière, nous ont permis de commencer à appréhender et que nos prochaines auditions nous aideront encore à cerner.
M. Jean Maison est négociant-herboriste, fondateur du Comptoir d'herboristerie basé à Saint-Augustin en Corrèze, entreprise organisée autour d'un réseau de cueilleurs-producteurs.
M. Michel Pierre dirige depuis 1972 l'Herboristerie du Palais Royal à Paris ; il préside par ailleurs le syndicat Synaplante, qui réunit des herboristes de boutiques et vendeurs de plantes.
M. Thierry Thévenin est producteur et cueilleur de plantes médicinales dans la Creuse, paysan-herboriste et botaniste. Il est le porte-parole du syndicat des Simples, qui regroupe des producteurs-cueilleurs de plantes médicinales, aromatiques, alimentaires ou cosmétiques.
Préparateur en pharmacie de formation, j'exploite une herboristerie à Paris. Je suis également président du syndicat Synaplante, ayant vocation à aider les herboristes de comptoir ou toute personne désireuse de vendre des plantes aromatiques et médicinales au public.
J'ai acheté cette herboristerie en 1972, que j'ai eu le droit de continuer à exploiter, une personne non diplômée pouvant s'associer à une personne diplômée depuis 1962. J'ai exploité mon herboristerie avec une herboriste diplômée avant 1941 pendant une vingtaine d'années. J'ai ensuite continué, par passion, à exploiter cette herboristerie sans couverture juridique, car il était à l'époque difficile de trouver une herboriste diplômée. J'ai enfin engagé une pharmacienne en 2008, qui n'a pas pu faire valider son diplôme car l'ordre des pharmaciens ne reconnaissait pas les diplômés travaillant en herboristerie.
En 2011, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) m'a demandé de supprimer les allégations figurant sur mon site de vente dans les plus brefs délais. J'ignorais que mon site internet était contrôlé par la gendarmerie nationale... Relaxé en première instance, j'ai été condamné en appel en 2013, après appel du procureur de la République et de l'Ordre des pharmaciens. Permettez-moi de vous citer le réquisitoire du procureur : « Formellement, vous serez déclaré coupable, mais j'ai totalement conscience des limites de cette loi puisque l'on est dans une impasse totale. On peut aussi déplorer que le savoir-faire des herboristes, qui existent depuis des siècles, voire depuis toujours, et qui sont les ancêtres des pharmaciens, se perde. J'espère que les législateurs trouveront les moyens de régulariser les choses. »
En 2016, j'ai engagé une nouvelle pharmacienne qui suit des cours à l'université avec M. Champy, que vous avez auditionné la semaine dernière.
Aujourd'hui, je vends les 148 plantes qui ont été libéralisées. Les plantes qui ne sont pas libéralisées sont en général présentées sous forme de gélules. Et vendre des gélules, cela fait pleurer un herboriste car ce n'est pas du tout la même approche du produit naturel.
Un herboriste est aussi un chef d'entreprise, avec du personnel, le plus compétent possible. Il achète et vend des plantes, sous forme de tisanes ou de poudres. Il vend aussi des gélules, fabriquées conformément à la réglementation, sérieuse et solide, en vigueur pour les compléments alimentaires. La DGCCRF y veille et permet au public de consommer des plantes en toute sécurité.
Nos clients utilisent des plantes pour leur bien-être, pour leur confort, pour compléter ou supporter un traitement. Les plantes que nous vendons sont achetées chez des grossistes et proviennent du monde entier, ou chez des producteurs faisant des récoltes sauvages ou de la culture biologique. Les plantes biologiques sont extrêmement contrôlées, leur traçabilité est totale, ce qui nous permet de les vendre en toute sécurité.
Le conditionnement des plantes en sachet et l'étiquetage chez l'herboriste est fait à la main, rien n'étant mécanisé. Nous n'avons pas le droit de faire figurer d'allégations sur l'emballage des plantes, même celles qui sont autorisées pour les compléments alimentaires. C'est stupide !
La plupart de nos clients ont l'habitude de consommer des plantes, d'autres viennent nous voir après la parution d'un article dans la presse ou sur internet. C'est là que la compétence du professionnel entre en jeu. On ne peut pas se permettre de laisser le public acheter un produit qui ne correspond pas à ses besoins. Nous avons un rôle d'information.
Notre équipe de personnes diplômées comprend une nutritionniste, qui est également phytothérapeute, une biologiste, une directrice de boutique. Elle compte douze femmes pour trois hommes. Nous sommes loin de la parité ! Peut-être les femmes sont-elles plus sensibles aux produits naturels ?
Nous vendons environ 45 % de plantes, 35 % de compléments alimentaires, 15 % de cosmétiques et 5 % d'huiles essentielles, ces dernières devant être utilisées avec précaution. Nous recevons 50 000 clients chaque année et 8 000 commandes par an sur notre site internet.
Le métier d'herboriste est un métier à part entière. On ne peut pas faire de l'herboristerie et de la librairie en plus, ce métier exigeant de nombreuses manipulations. Alors que la surface de notre boutique est de 60 mètres carrés, celle de notre local de stockage, situé en banlieue parisienne en raison du coût élevé de l'immobilier parisien, est de 500 mètres carrés.
J'ai débuté dans ce métier très jeune, en ayant eu la chance d'être formé par un maître qui s'appelait Albert Gazier. Il m'a initié à la beauté de ce métier et m'a fait entrevoir la dimension traditionnelle et populaire de la plante, mais aussi les valeurs fondamentales qu'elle véhicule. L'engouement pour les plantes aujourd'hui est très fort partout.
J'ai commencé ce métier comme cueilleur de plantes de la lande dans les Monédières, magnifique pays. J'ai ensuite produit des plantes en agriculture biologique dès 1976 et fait de la cueillette de plantes sauvages. Je travaillais avec Nature et progrès, initiative d'un certain nombre de personnes merveilleuses dont il faudra un jour rappeler les noms, car elles ont oeuvré dans l'ombre et dans des conditions extrêmement difficiles pendant de nombreuses années. Plus tard, j'ai eu la chance de croiser Maurice Mésségué, qui m'a donné ma chance et m'a beaucoup fait travailler.
Nous avons ensuite évolué vers une activité de négoce. Nous travaillons aujourd'hui à la fois pour des herboristes, des pharmaciens, des entreprises qui font de l'extraction, des magasins de détail. Notre champ d'activité est très vaste. Notre entreprise, basée à Saint-Augustin, compte douze personnes.
J'ai contribué, avec Thierry Thévenin, à la mise en place de la charte de l'association française des professionnels de la cueillette. Il s'agit pour l'herboriste de vendre des plantes ayant un sens, une qualité et une traçabilité. L'Association française des cueilleurs s'efforce d'améliorer les protocoles permettant de garantir les qualités des plantes ramassées. Nous nous efforçons de ne pas épuiser la ressource en promouvant une gestion rationnelle, intelligente et respectueuse des matières premières. Compte tenu de la progression extraordinaire du marché français et européen, il faut faire en sorte que les agriculteurs et les cueilleurs, qui vendent des matières de grande réputation - le tilleul des Baronnies, la bruyère des Monédières -, notamment en zone de moyenne montagne et dans les territoires ruraux, puissent vivre dignement de leur métier. La progression du marché est assurée en partie par de l'importation - je n'y suis pas hostile -, mais nous avons en France des choses à dire. Je défends l'herboristerie française, qui est un art particulier, dont la qualité est le fruit d'une très longue histoire.
C'est un privilège d'exercer ce métier pratiqué depuis des temps immémoriaux, ce métier de tradition humaine qui relève du soin et de la nutrition mais qui reflète également le regard que nous portons sur notre univers et sur la nature qui nous entoure.
Le diplôme d'herboriste est un moyen de former des gens compétents, suivant des grades ou des étapes qui restent à concevoir. Il n'existe pas un herboriste mais des herboristes, dans les grandes villes, à la campagne, dans l'industrie, dans les secteurs de la cosmétique ou de la pharmacie.
Ce dont nous souffrons le plus aujourd'hui, c'est d'une rupture avec le végétal. L'herboriste est celui qui délivre un service, explique le contexte d'usage et gère intelligemment la ressource.
producteur-cueilleur de plantes médicinales, herboriste et botaniste, porte-parole du syndicat des Simples - Je porte la parole de centaines de personnes réparties sur tout le territoire. Personnellement, j'ai commencé il y a une trentaine d'années. Nous étions alors une cinquantaine et nous nous connaissions tous. Notre activité est en pleine expansion. Nous sommes aujourd'hui entre 500 et 1 000.
En tant que paysan-herboriste, je représente aujourd'hui la Fédération des paysans-herboristes. Lorsque j'ai commencé, cette activité était essentiellement pratiquée dans les zones de montagne, principalement dans les Cévennes, en Haute-Provence, en Auvergne, en Ariège et dans des zones un peu défavorisées. Aujourd'hui, elle se pratique partout : dans le Pas-de-Calais, en Gironde, en Bretagne, en Normandie. Le secteur est très dynamique, très jeune. Le métier d'herboriste, comme vous le savez, a existé brièvement d'une manière légale, de 1803 à 1941. S'il n'existe plus légalement dans ce pays, il n'a pour autant jamais disparu. Depuis toujours, il y a des gens qui connaissent les plantes, savent les cueillir, les sécher correctement et les fournir.
Le syndicat des Simples est un groupement d'agriculteurs. La Fédération des herboristes réunit la FNAB, la Fédération nationale de l'agriculture biologique, et le Mouvement d'agriculture biodynamique.
Aujourd'hui en France, quand on est agriculteur, on est avant tout un professionnel délivrant des matières premières à l'industrie ou à des détaillants. Or de plus en plus d'agriculteurs veulent désormais suivre leurs produits de bout en bout, à partir du monde animal ou végétal, qu'ils transforment, puis proposent directement au public.
Notre métier est très porteur, comme en témoigne le nombre de jeunes désireux de s'installer malgré les difficultés. Le public est demandeur. Le problème est que si je vends du plantain, autrement appelée queue de rat à cause de la forme de son inflorescence, plante que l'on trouve dans toutes les régions en France, y compris dans les territoires d'outre-mer, et sur une grande partie de la planète depuis des temps très anciens, et dont le suc est efficace sur les piqûres d'insectes, je risque deux ans de prison et 30 000 euros d'amende, car cette plante relève du monopole pharmaceutique. Je n'ai même pas le droit de dire à quoi elle sert !
La filière des plantes médicinales est l'une des plus dynamiques dans le monde agricole. Ainsi, 30 % des plantes sont produites en agriculture biologique, soit un taux largement supérieur au reste de la filière agricole. Nous n'avons donc pas de problème d'existence. Nous avons un problème juridique et politique. Il faut que législateur accepte de donner une place légale aux herboristes.
Nous sommes aujourd'hui entre 500 et 1 000 producteurs. Le réseau le plus organisé, le syndicat des Simples, compte aujourd'hui 450 adhérents, dont 280 producteurs. Ces producteurs se heurtent à cette difficulté juridique et ne peuvent exercer sereinement.
Pour ma part, j'ai commencé il y a une trentaine d'années dans la Creuse. Ma passion des plantes est une histoire de famille : je suis petit-fils d'agriculteurs, mon grand-père, comme les gens de sa génération, utilisait les plantes pour se soigner. Même si cela a été un peu compliqué au début, j'ai rencontré le succès. La première fois que j'ai tenu un stand de tisanes, à Clermont-Ferrand, beaucoup de gens ricanaient. Il faut avoir à l'esprit que nous avons rompu avec l'herboristerie depuis 70 ou 80 ans. Aujourd'hui, la situation a bien changé, même s'il est toujours compliqué, compte tenu de l'insécurité juridique, de faire quelque chose de novateur. Il m'a fallu dix ans pour percevoir un véritable revenu...
Tout allait bien, jusqu'en 2005. La coopérative Biotope des montagnes, dont je suis un adhérent, s'est retrouvée au tribunal pour avoir vendu de la presle des champs. Nous avons été condamnés en première instance, puis relaxés en appel. Tout ça pour une plante utilisée depuis les débuts de l'humanité et qui ne présente aucun risque !
Le syndicat des Simples existe depuis 1982. Son cahier des charges définit des pratiques très précises en termes de cueillette, car le respect de la ressource nous tient à coeur. L'ensemble du syndicat représente 260 espèces, issus de différents terroirs, sachant que seules 148 plantes figurent sur la liste des plantes pouvant être vendues par des personnes autres que des pharmaciens. Cette liste est d'ailleurs réductrice, certaines plantes ne pouvant pas être produites sur le territoire français, d'autres ne pouvant pas être produites dans les territoires d'outre-mer. Nos adhérents sont tous situés en métropole. Nous avons des moyens très limités, qui ne nous permettent pas de donner suite aux demandes des producteurs de la Réunion ou des Antilles et d'établir des liens solides et durables avec eux.
Si on inclut les plantes des territoires d'outre-mer, entre 300 et 400 espèces botaniques différentes sont aujourd'hui vendues au public, sur les marchés, à la ferme et sur internet. Les risques réels à consommer des plantes sauvages sont minimes. Selon une étude du centre antipoison de Strasbourg, qui rassemblait les données de la plupart des centres des grandes villes françaises, moins de 5 % des appels concernait les plantes. Seuls dix-huit cas graves ont été recensés, un seul relevant d'une intention thérapeutique (une dame a voulu soigner son cancer avec de la tisane d'if). Les autres concernaient la consommation de plantes psychotropes dangereuses, mais nous ne sommes plus là dans le cadre de l'herboristerie. Notre métier n'est pas du tout dangereux.
Vous me pardonnerez mon discours décousu, mais j'ai tellement de choses à dire...
Comme l'a expliqué Michel Pierre, lorsque je vends une tisane, je n'ai pas le droit d'écrire sur le sachet à quoi elle sert. En revanche, je peux l'écrire dans un livre ! C'est aberrant. On peut trouver des informations sur les plantes dans n'importe quel magazine, pourquoi n'ai-je pas le droit d'en faire figurer sur mon sachet ? Nous ne sommes pas médecins, nous ne faisons pas de diagnostic, nous sommes conscients de nos limites.
Les herboristes, même s'il n'existe pas de formation officielle, ont passé deux ou trois ans dans une école d'herboristerie, suivent des sessions de formation continue, sont formés aux usages des plantes, aux limites d'emploi, aux contre-indications et à la réglementation. Il faudrait vraiment sécuriser juridiquement cette profession et lui trouver un statut.
Le problème est que la réglementation sur les plantes et l'alimentation est complétement segmentée. Une même plante peut être considérée comme une denrée alimentaire ou comme un produit cosmétique si j'indique qu'elle permet d'adoucir la peau ou qu'elle a un parfum agréable. Or, depuis le 11 juillet 2013, la réglementation sur les cosmétiques est extrêmement compliquée. Elle est certes utile, car les cosmétiques contiennent aujourd'hui des nanomatériaux et des perturbateurs endocriniens, mais le problème est qu'elle est la même pour nous qui mettons trois pétales dans de l'huile d'olive, que l'on fait macérer au soleil avant de la filtrer avec un filtre en papier !
Si je dis que cette même plante peut soigner une égratignure, alors elle n'est plus considérée comme un cosmétique car un cosmétique doit être appliqué sur une peau saine. Dès qu'il y a une lésion sur la peau, cette plante devient un médicament. Je dois alors entamer une procédure d'autorisation de mise sur le marché, une procédure dite « simplifiée », qui coûte environ 25 000 euros. Il faut savoir qu'un producteur compte environ une trentaine ou une quarantaine de plantes dans sa gamme. Compte tenu de l'hyper-réglementation, l'offre s'est considérablement réduite ces dernières années. Même les industriels, qui ont pourtant plus de moyens que nous, ne font valider que les plantes qui en valent la peine. On laisse tomber ce qui n'est pas rentable.
Si on veut rétablir le métier d'herboriste, la formation existe. Il faut simplement lui donner un cadre légal, mais aussi trouver un statut particulier pour l'herboriste. On ne peut pas vendre une plante médicinale sans dialogue avec le client. La France porte une grande responsabilité, son offre médicinale étant la plus importante : elle représente 10 % de la biodiversité mondiale si l'on y inclut les territoires d'outre-mer.
Pour conclure, le métier d'herboriste soulève de multiples questions, politiques, techniques, sanitaires, environnementales. Nous avons une belle occasion de répondre aux attentes de la population.
Merci pour vos interventions. J'ai quelques questions à vous poser.
Comment envisagez-vous le rôle de l'herboriste au sein du réseau de soins ? Quel doit être son positionnement vis-à-vis des professions de santé ou des autres professionnels du soin ? Existe-t-il un code de déontologie de la profession, comme cela peut exister dans d'autres pays ? Serait-il utile selon vous et quel devrait en être, dans les grandes lignes, la teneur ? Que pensez-vous de l'offre actuelle de formation, qu'elle soit privée ou professionnelle ? Le socle de connaissances est-il suffisant ou assez homogène ?
Je suis impressionné car vous respirez le bien-être ! Vous avez l'air heureux d'exercer cette profession, vous êtes conscient d'exercer un métier utile, qui répond à la demande croissante d'un certain nombre de nos concitoyens.
Vous avez beaucoup parlé de santé. Estimez-vous que vous exercez une profession de santé ? Quand on entre dans le champ de la santé, on entre dans un domaine réglementaire car il s'agit de protéger les patients.
Vous avez évoqué la liste des 148 plantes libéralisées, laquelle pourrait être étendue. Où se situent les racines de votre conflit avec les pharmaciens ? Avez-vous engagé un dialogue avec leurs représentants ?
Enfin, pourriez-vous me dire combien la France compte d'herboristeries ? Comment la profession a-t-elle évolué ? Combien étiez-vous il y a dix ans ? Combien êtes-vous aujourd'hui ?
Ma question porte sur la formation au métier d'herboriste. S'agit-il d'une formation au métier d'agriculteur ou d'une formation médicale ? Relève-t-elle du code de la santé publique ?
J'avoue que je vous aurais écouté pendant encore une heure ! Vous avez tellement de choses passionnantes à dire. Peut-être faudrait-il imaginer un autre espace pour vous écouter ? Vos discours nous poussent inéluctablement à proposer une législation.
Par ailleurs, je vous remercie d'avoir évoqué la richesse de l'outre-mer. Avez-vous des contacts avec le monde ultramarin ? Je compte sur vous, madame la présidente, pour qu'il soit entendu dans les mêmes conditions car il a beaucoup à dire.
Nous avons tous écouté les interventions avec beaucoup de passion, mais le temps de la mission est contraint.
J'ai été très sensible à vos propos que je partage totalement. Le lien avec la nature a été effectivement rompu et il est absolument nécessaire de le retrouver. Comme vient de le souligner mon collègue, il va falloir en passer par un cadre légal. Comment imaginez-vous la future formation des herboristes ? Dans les écoles d'herboristerie actuelles ou dans les universités, dans le cadre de la faculté de médecine ?
J'ai été frappé par vos interventions qui sont empreintes de sérénité et de sagesse. Vous avez souligné des problèmes concernant la ressource. Avez-vous des idées pour organiser la production en vue de permettre à des jeunes de partir à la reconquête de la nature pour être en communion avec elle ? Nous sommes tous entourés de plantes qui ont des vertus. Actuellement, un certain nombre de livres nous font prendre conscience du rapport entre l'homme et la nature, particulièrement les arbres ou les plantes. Nous avons une responsabilité dans ce nouveau rendez-vous que vous proposez, avec la nécessité de pouvoir faire face à la demande. Il est affligeant de constater que 80 à 90 % des plantes médicinales sont importées avec des conséquences qui mettent en péril certains territoires, telle la ville de Grasse. Comment voyez-vous la reconquête de ces productions sur notre territoire ?
Je tiens avant tout à rendre hommage à Jean Maison : par le biais de son entreprise, on emploie actuellement dans ma commune neuf travailleurs handicapés pour ensacher les plantes médicinales. Vous êtes tous trois des pionniers, des passionnés. Vous avez réussi à développer votre entreprise. M. Pierre a légalisé l'herboristerie avec des pharmaciens grâce à la zone de chalandise parisienne, mais cela ne peut pas se faire partout, notamment dans les zones rurales.
Actuellement, vous pouvez vendre 148 plantes, considérées comme non nocives, et vous voudriez en vendre plus. Selon vous, le risque est minime. Le pharmacien n'a peut-être pas étudié les plantes mais il a étudié les effets secondaires et les interactions médicamenteuses : si l'herboriste devait vendre toutes les plantes, le pharmacien devrait, à mon avis, réaliser un contrôle.
Par ailleurs, les campagnes se dépeuplent. Dès lors qu'un cadre sera légalisé, pourra-t-on proposer aux jeunes agriculteurs de s'installer, puisque 80 ou 90 % des plantes sont importées ? Ce serait source d'emplois, car il y a un engouement général des Français pour les plantes.
La connaissance et l'usage des plantes sont tout sauf anodins. Le champ d'action des plantes concerne aujourd'hui le bien-être, le confort, l'accompagnement des personnes confrontées à des maladies graves en parallèle des médicaments, mais celles-ci soignent aussi. Les temps changent : dans ma tendre jeunesse, on suivait scrupuleusement la prescription du médecin, alors qu'aujourd'hui, pour des raisons économiques, l'automédication est importante. De ce fait, le rôle du pharmacien évolue. D'ailleurs, dans les pharmacies, le comptoir se trouve au fond du magasin ; les médicaments ne semblent pas constituer l'activité principale. Il n'est pas question d'opposer les professions, et je reconnais la connaissance du pharmacien. La connaissance des plantes ne laisse personne indifférent mais il ne faut pas les utiliser sans être bien conseillé. Vous exercez le métier d'herboriste mais vous n'avez pas droit au titre. Vous êtes dans une situation d'inconfort. Aussi, nous devons avancer pour résoudre cette question. Pour ce faire, il convient que vous nous aidiez à définir les contours de cette profession : derrière les ressources, il y a la question des emplois, qui n'est pas anodine, celles de la traçabilité, de la formation, de la transformation, du conseil.
Je regrette le danger de la banalisation du médicament. Si les médicaments se trouvent au fond des officines, c'est précisément parce que peu d'entre eux sont en accès libre. C'est une question de réglementation.
Actuellement, la plante médicinale n'est pas définie. On n'a pas fait de rapport entre la plante de confort et celle qui soigne : allez-vous utiliser le thym à des fins culinaires ou pour traiter une affection des bronches ou des voies digestives ?
Dans les années quarante, avant que l'on ne supprime le diplôme d'herboriste, on comptait environ 4 000 herboristeries, contre une quinzaine d'herboristes irréductibles aujourd'hui : nous ne savons pas si, demain, nous pourrons continuer notre activité. La force tranquille, la population française, est avec nous et elle aimerait bien que les pouvoirs publics trouvent une solution pour faire renaître le diplôme d'herboriste.
Dans la période après-guerre, les herboristes ont connu des difficultés du fait de la découverte de la pénicilline et de toutes les nouvelles médications chimiques qui, il faut en tenir compte, ont sauvé des vies. Pour exercer ce métier depuis quarante-cinq ans, je constate une consommation différente des plantes.
Il existe en France cinq écoles d'herboristerie, qui proposent de solides programmes. Par ailleurs, des diplômes universitaires sont délivrés à des pharmaciens ou des personnes exerçant des professions paramédicales. Il faudrait parvenir à régler la relation entre le pharmacien et l'herboriste. L'herboristerie est un complément de la pharmacie : on ne soigne pas un cancer avec des plantes mais on peut accompagner un patient bénéficiant d'une médication lourde.
La réglementation autorise la vente de plantes aromatiques et médicinales dans les pharmacies. Toutefois - et c'est une stupidité -, le pharmacien donne l'impression de perdre son diplôme en sortant de sa pharmacie : il n'a pas le droit d'ouvrir un point d'herboristerie ou une herboristerie juste à côté, ce qui est regrettable.
Le diplôme d'herboriste pourrait avoir une dimension nationale, en accord avec le monde pharmaceutique : le pharmacien est nécessaire et indispensable à la société, avec les compétences qui sont les siennes ; l'herboriste est, selon moi, également indispensable à la société. En effet, de plus en plus, les clients sont jeunes ; ce sont des personnes qui acceptent de se prendre en charge. C'est en ce sens que l'herboriste a un impact important sur la société, notamment la jeunesse, qui est demandeuse de produits naturels.
Je vous remercie pour vos questions pertinentes et sensibles. Il est nous agréable de voir que vous percevez l'enjeu que représente l'herboristerie, un enjeu qui n'est pas qu'économique, mais qui revêt une autre dimension.
Concernant la formation future, il faut schématiquement penser à trois niveaux. Premièrement, un niveau de proximité avec le producteur, qui certes va vendre son produit, mais répond au rendez-vous de la communion avec la nature, un échange dont nous avons tous besoin. Deuxièmement, l'herboriste de comptoir s'adresse plutôt aux gens des villes, sans concurrence avec les pharmaciens : chacun exerce son métier, en cohésion. Il faut pouvoir lui donner tous les moyens d'exercer légalement son métier, avec une offre de plantes raisonnable. Troisièmement, une montée en puissance des techniciens, des chercheurs : des gens qui vont travailler sur la connaissance de l'histoire de l'herboristerie, qui a des millénaires, et sur les réponses à apporter demain pour satisfaire nos besoins et connaître la biodiversité. C'est une imbrication entre les besoins humains et la nécessité impérieuse de mieux connaître notre territoire et de protéger la biodiversité. Je n'ai pas de solution toute faite à vous proposer ; il faut dialoguer et bâtir.
Concernant la production, l'Association française des professionnels de la cueillette de plantes sauvages a travaillé en étroite collaboration avec le ministère de l'environnement ; la charte que nous avons élaborée tient la route, mais il faut la déployer au travers de guides de bonnes pratiques. Il faut travailler sur la notion de filières avec les interprofessions pour bien définir les besoins, les contrats de production avec les laboratoires, les herboristes, les négociants. Comme le disait Michel Pierre, les herboristes qui tiennent des comptoirs en ville ne peuvent pas tous aller ramasser leurs plantes ; ils ont besoin de négociants fiables pour connaître la traçabilité, la fiabilité analytique et la qualité. Structurons les filières, comme cela a été fait dans d'autres professions de l'agriculture.
Pourquoi l'herboriste n'aurait-il pas un diplôme ? C'est une nécessité. On ne part pas de nulle part ; cela fait des dizaines de milliers d'années que l'on infuse : on a de la matière et de la diversité.
C'est un long chemin pour cultiver une plante : elle a poussé - à l'état sauvage ou cultivée -, elle a été ramassée, coupée, séchée, stockée, conditionnée, avec tous les problèmes inhérents à l'agriculture traditionnelle, tels que la météorologie, par exemple.
Oui, c'est un nouveau rendez-vous. Lorsque j'ai débuté en 1976, la moyenne d'âge de mes clients était de soixante-dix ans, contre trente ans aujourd'hui. Ce métier dit quelque chose à notre temps ; il nous parle parce que l'on va à l'essentiel pour ce qui concerne le rapport que nous avons au temps et à la nature.
Précédemment, j'ai abordé la question du bien-être et de la prévention : c'est l'attention à l'autre, le partage et la qualité de nos terroirs - le thym des Alpilles n'est pas celui des Corbières ou du Larzac. Construisons tout cela ensemble pour parvenir à proposer à la population discernement et sécurité ! Le travail que nous avons à faire est extraordinaire. Tout est devant nous et l'innovation est considérable. Si l'on stabilise notre situation, on pourra créer beaucoup d'emplois.
Je ne veux pas avancer de chiffres mais il y a du potentiel. Et les vocations ne s'expriment pas forcément aujourd'hui. Il faut remercier les écoles d'herboristerie qui, contre vents et marées - je pense à Clotilde Boisvert, qui a fondé l'École des Plantes de Paris -, ont réalisé un travail extraordinaire et ont permis de faire perdurer ce métier.
Monsieur Jomier, si l'on en croit l'OMS, la santé commence par le bien-être. Au regard de cette définition, nous sommes donc des professionnels de santé. Aujourd'hui, dans la métropole ou dans les outre-mer, nous avons la chance d'avoir une offre de soins assez large, des soins les plus technologiques et aboutis à la petite plante qui soulage le petit bobo. C'est un grand médecin phytothérapeute, le docteur Jean-Michel Morel, qui le dit : 80 % de la bobologie peut être prise en charge par les plantes. Nous nous situons dans le bien-être.
J'avais douze plantes sur mon stand lorsque j'ai commencé à faire les marchés. Par la suite, j'ai suivi l'une des cinq principales formations qui existent dans ce domaine, celle de phytologue-herboriste dispensée par l'ARH (Association pour le renouveau de l'herboristerie). Mais il reste toujours des marges de progression ! Aujourd'hui, j'ai 90 plantes, car je suis un passionné (la moyenne est de 30 ou 40). C'est sans doute déraisonnable, car cela demande beaucoup de temps, pour la gestion, la cueillette,... Je devrais être au travail en ce moment !
Pourquoi demande-t-on plus que la vente libre de 148 espèces ? Ayons à l'esprit le terroir. Une plante comme l'aubépine fait d'excellentes tisanes, et le fruit est libre à la vente, mais c'est la fleur qui est consommée, sur laquelle il existe un monopole, j'ignore pourquoi. Aujourd'hui, c'est pourtant un médicament libéralisé, on peut l'acheter d'un clic sur internet : valériane, passiflore sont dans le même cas. Les laboratoires peuvent les vendre sans prescription, pourquoi pas nous ?
Les plantes dangereuses sont bien connues. Il existe environ 365 plantes, dans la liste A de la pharmacopée, environ 140 dans la liste B. Les premières peuvent être utilisées par les pharmaciens, les secondes sont plus nocives qu'utiles.
Certains pays comme l'Espagne ont une liste « négative », plutôt qu'une liste positive de plantes autorisées. Nous pourrions vendre bien plus de plantes qu'aujourd'hui : il y a plus de 900 compléments alimentaires, avec la reconnaissance mutuelle au sein de l'Union européenne, et ils sont vendus hors pharmacie. C'est possible... si l'on dispose des moyens logistiques suffisants, ce qui n'est pas le cas des artisans herboristes. Ils peuvent néanmoins s'identifier sur le portail DGCCRF, très bien fait.
Tout le monde peut devenir opérateur de compléments alimentaires. C'est le temps qui manque, pour se documenter, pour conditionner les produits en portions journalières - comme si les consommateurs ne savaient faire le dosage eux-mêmes pour une tisane !
Certains travaillent avec 500 ou 600 plantes exotiques, chinoises, ayurvédiques, avec des compétences différentes de celles des agriculteurs, qui connaissent 30 ou 40 plantes. Légalement, il n'y a pas de formation, mais la société est en avance sur les lois et dans les centres de formation agricole, on dispense un enseignement - je le fais depuis 22 ans. Il y aura certainement bientôt des modules, dans la formation initiale, pour apprendre à protéger les ressources naturelles, à reconnaître la plante, la transformer, la sécher, la distiller, la faire macérer dans l'huile, l'alcool, etc. sans la dénaturer. Il y a une forte demande de formation sur les usages et le réseau des Simples, qui compte des médecins et des pharmaciens parmi ses adhérents, travaille pour constituer des corpus sur ces sujets.
Sur le site canadien Passeport-santé.net, animé par un collectif de médecins, pharmaciens, herboristes - car la cohésion interprofessionnelle est plus forte au Canada - on trouve des éléments très sérieux sur le degré d'efficacité de chaque plante mentionnée, et sur le degré de fiabilité des informations communiquées. À chacun de faire ses choix, ensuite. Il y a bien sûr très peu de preuves scientifiques : qui voudrait financer la recherche scientifique sur des produits non rentables, non brevetables ? L'Allemagne l'a fait dans le passé, moins maintenant ; en France, la recherche publique ne s'y est jamais intéressée. Le docteur Morel a également un site internet, wikiphyto, avec des données sourcées. On dit souvent qu'internet est dangereux, mais les Français consultent beaucoup les sites pour s'informer sur les questions de santé - principalement sur des questions de prévention. Et les premiers à surfer sur Doctissimo.fr ou d'autres sites de ce type, ce sont les médecins, les pharmaciens et les vétérinaires !
Je représente les agriculteurs ; ils ne souhaitent pas être formés à bac + 4 dans les facultés de pharmacie, ils recherchent simplement un enseignement complémentaire dans leurs formations d'agriculteur. Les pharmaciens eux-mêmes ne savent pas tout concernant chaque plante, mais ils savent où chercher les références précises. Les projets de diplôme universitaire pour le conseil au comptoir sur les plantes prévoient quelques dizaines d'heures de formation. Nous ne demandons pas autre chose. Les agriculteurs sont responsables, ceux qui vendent des plantes savent lesquelles peuvent avoir des effets négatifs. Les plantes n'ont jamais été à l'origine d'un scandale sanitaire...
Nous avons moins de contacts avec l'outre-mer, en raison de l'éloignement. Il y a dans ces territoires moins de cloisonnement, me semble-t-il. L'université de médecine de La Réunion dispense un diplôme d'ethno-médecine par exemple : j'y interviens par visio-conférence, nos échanges sont très riches. J'ai été également en contact avec Christian Moretti, qui a travaillé sur le projet Tramil, traditional medecine of islands. C'est un groupe d'experts qui a validé les plantes médicinales utiles pour les gens qui n'ont pas les moyens d'acheter des médicaments. Le risque zéro n'existe pas, comme chacun sait, mais la tisane fait moins de dommages que le pastis. On a formé des « tradipraticiens », qui sont des herboristes. Nous abordons non la maladie mais la santé, bien-être, hygiène de vie, bobothérapie.
Les pharmaciens de mon département que j'ai interrogés disent leur crainte d'être affaiblis, alors qu'ils connaissent déjà d'énormes problèmes, liés en particulier à la concurrence de la grande distribution, à la mutualisation des achats par les groupements hospitaliers de territoire. Lorsqu'ils entendent parler du diplôme d'herboriste, ils se demandent ce qui va leur rester. Il faut veiller à la complémentarité entre pharmaciens et herboristes. Déjà, aujourd'hui, il vaut mieux éviter de tomber malade entre le vendredi soir et le lundi matin... Sans les pompiers, la situation serait catastrophique.
Il faudrait repositionner la pharmacie dans la chaîne de santé. Certains actes pourraient leur être confiés. Il serait judicieux de valoriser le savoir accumulé par le pharmacien, d'autant que dans les dix ans qui viennent, rien ne sera fait pour résorber les déserts médicaux.
Seule la complémentarité restaurera la paix entre les deux catégories. Les pharmaciens vendent des médicaments dont les notices indiquent des effets effrayants, mais on interdit la vente d'une tisane au motif qu'elle a un effet diurétique ! C'est aberrant. Souvenons-nous de Maurice Mességué : c'est la nature qui a raison. Par conséquent, vous avez tout mon soutien !
Nous auditionnerons le conseil de l'ordre des médecins et celui des pharmaciens.
Le conseil national de l'ordre des pharmaciens fait actuellement des propositions au ministre de la santé pour une meilleure reconnaissance des pharmaciens comme professionnels de santé, ce qui serait une réponse au moins partielle sur la désertification médicale. Mais les pharmaciens ne peuvent être les bouche-trous des déserts médicaux. Ils sont la colonne vertébrale de l'aménagement du territoire : sans rendez-vous, on peut pousser leur porte, y compris le vendredi soir et le week-end...
Le pharmacien de ma commune n'a pas fait faillite parce que je me suis installé près de son officine. Nous sommes complémentaires et le savons. Sur le terrain, tout se passe en bonne intelligence, ce sont les institutions et la législation qui sont en retard.
Pharmacien en milieu rural, c'est un vrai sujet ! Mais n'opposons pas les deux métiers. Je note aussi que les chaînes de pharmacie vont là où elles peuvent faire du business, éventuellement au détriment de l'aménagement du territoire.
M. Antiste regrette que nos travaux se déroulent dans un temps contraint. Bien sûr, mais notre réflexion ne s'arrêtera pas à la fin de la mission. Nous discuterons de la meilleure manière d'avancer, ensuite, collectivement. Notre collègue Antiste a bien perçu ce que nous apportent nos invités, y compris la poésie, le spirituel, le philosophique. Ils nous parlent du sens à donner à notre développement, ils interrogent notre rapport non seulement à la plante, mais au monde du vivant dans son ensemble. Je suis un grand utopiste, je sais que nous progresserons, dans l'intérêt des générations futures.
Merci à tous.
La réunion est close à 16 h 50.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.