Merci de votre présence et de votre participation aux auditions. Cette mission d'information a été créée à l'initiative du groupe CRCE dont le rapporteur est issu ; elle a commencé ses travaux le 7 mai. Deux mois plus tard, nous examinons son rapport.
Nous avons entendu 27 personnes, dont onze en réunion plénière et seize sous la forme d'auditions de notre rapporteur. Chacun a pu se forger une opinion. Je cède la parole au rapporteur pour présenter le fruit de nos travaux.
Nous avons choisi de conclure les travaux de cette mission d'information avant la fin de la session. Elle a néanmoins permis un balayage très complet des expériences en matière de gratuité des transports collectifs. Je remercie la présidente, avec qui j'ai travaillé en bonne intelligence : nous avons appris à nous connaître !
Ce n'est pas un rapport pour ou contre la gratuité. Le sujet se prête aux idées préconçues, qu'elles viennent des inconditionnels ou des opposants farouches. Il me semble que, dans l'élaboration de ce rapport, nous sommes parvenus à en sortir, pour poser des bases à la poursuite de la réflexion.
Lors de notre réunion de cadrage du 26 juin dernier, je vous ai présenté les grandes lignes de ma réflexion, en insistant sur les particularités des réseaux de transport des villes qui ont mis en place la gratuité totale. Ce sont d'abord des réseaux de petite taille ou de moyenne dimension : Dunkerque, avec ses 200 000 habitants, fait figure de capitale du transport gratuit en Europe.
Ensuite, à l'exception de celui d'Aubagne qui inclut une petite ligne de tramway, tous sont des réseaux de bus, ce qui rend évidemment l'adaptation de l'offre plus facile techniquement et moins lourde financièrement.
Le financement de ces réseaux ne reposait que marginalement sur la billettique, qui constitue généralement autour de 10 % du total des recettes.
Autre caractéristique, le réseau des autorités organisatrices de mobilité (AOM) passées à la gratuité totale était souvent sous-utilisé. Le maire de Dunkerque a coutume de dire : « Je préfère transporter des gens que des banquettes vides » ; celui de Niort qualifiait les bus avant la gratuité « d'argent public transformé en CO2 ».
Enfin, la gratuité a été mise en oeuvre par des équipes de sensibilités politiques très différentes.
Au-delà de ces constatations générales, les données précises et étayées sur les effets de la gratuité des transports collectifs, qu'elle soit totale ou partielle, font défaut. C'est pourquoi je vous proposerai d'appeler à la création d'un véritable observatoire de la tarification des transports, à l'exemple de ce que Dunkerque a mis en place.
Cette absence de données précises permet à certains de donner libre cours à des idées préconçues ou à des présupposés idéologiques, comme « la gratuité entraîne une augmentation des incivilités », ce qui n'est clairement pas le cas, ou « la gratuité n'existe pas et il faut que les gens payent, ne serait-ce qu'un prix symbolique ». Peut-être, mais pour quelle finalité ? À l'inverse, on a pu entendre que la gratuité pouvait se financer intégralement grâce aux économies engendrées par l'absence de billettique et de contrôle. Ce n'est pas si simple.
C'est pourquoi ce rapport vise à dépassionner le débat, en dégageant quelques facteurs qui ont poussé certaines AOM à supprimer toute tarification.
Le premier enjeu est social : il s'agit pour beaucoup d'élus de rendre du pouvoir d'achat aux personnes défavorisées et faciliter l'accès de tous à la mobilité. De ce point de vue, la gratuité totale présente l'avantage essentiel sur une tarification sociale ou solidaire d'éviter le non-recours et, ainsi, de permettre à tous de se déplacer. Un sondage récent réalisé à la demande de l'Observatoire de la mobilité solidaire a montré que faute de mobilité, 41 % des Français ont déjà renoncé à un loisir ou une sortie culturelle, 36 % à des démarches administratives, 30 % à un rendez-vous médical et 26 % à des courses alimentaires ! 37 % ont même déclaré avoir déjà renoncé à voir leur famille faute de moyen de transport pour s'y rendre. C'est dire le caractère central de la question de la mobilité et de son accès sur le plan financier.
Il est vrai que nombre d'AOM ont mis en place une tarification solidaire pour prendre en compte toutes les situations, y compris celle des plus défavorisés. Mais la gratuité des transports collectifs supprime une barrière mentale et crée même un choc psychologique : avec la gratuité les transports collectifs ne sont plus, comme j'ai pu l'entendre, « réservés aux pauvres, aux femmes et aux jeunes ». Ainsi à Dunkerque, les chiffres, fondés sur une analyse très concrète des comportements et non sur l'application de modèles économétriques, sont clairs : avec 77 % d'accroissement du trafic en moins d'un an, l'estimation de doublement de la fréquentation en deux ans semble plausible - même si Dunkerque reste un cas particulier, et que les résultats doivent être appréhendés sur le long terme.
Cet exemple montre également l'ampleur du report modal lié à la gratuité : près de la moitié des nouveaux usagers du bus sont d'anciens automobilistes. Certes, certains observateurs mettent en avant l'autre moitié, composée en partie de personnes qui renoncent à se déplacer à pied. Mais ces anciens piétons l'étaient-ils par choix ou faute de pouvoir payer le transport collectif ?
Nous savons tous que réduire la part de la voiture pour améliorer la qualité de l'air et lutter contre le changement climatique est indispensable. Il y a deux jours encore, l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) a appelé à réduire le trafic routier pour endiguer la pollution de l'air et ses conséquences en termes de santé publique, en pointant du doigt la dangerosité des particules ultrafines.
Je ne suis pas pour autant un inconditionnel de la gratuité, car je sais que sa réussite est liée à de nombreux paramètres. Il s'agit avant tout d'un outil et d'un choix politique.
Le premier paramètre est évidemment la possibilité d'augmentation de l'offre disponible, un thème cher à notre présidente. À Dunkerque, la suppression de la billettique a représenté une perte de recettes de 4,5 millions d'euros alors que le renforcement de l'offre a coûté 12,5 millions d'euros, entièrement financés par la hausse du versement transport. Toutes les AOM ne disposent pas de cette possibilité de financement et d'autres ont échoué à faire face à la croissance du trafic, comme Hasselt ou à Bologne qui sont revenues au transport payant. C'est ce qui motive une autre de mes recommandations : veiller à la soutenabilité de la gratuité à long terme.
Le second facteur de réussite des expérimentations de gratuité totale des transports réside dans une démarche globale qui, au lieu de penser la gratuité isolément, la met au service d'un projet plus vaste de transformation de la cité, au plus près des préoccupations quotidiennes des citoyens.
La gratuité pour les jeunes permet aux familles d'utiliser les transports en commun pour un coût modeste ; elle fidélise également les adultes de demain, évitant leur basculement dans le réflexe du tout-voiture.
L'adaptation des réseaux et la mise en oeuvre des bases d'une véritable multi-modalité sont des compléments indispensables de la gratuité des transports collectifs : on ne peut penser la gratuité sans intégrer les territoires ruraux et péri-urbains dans la réflexion. Il serait irresponsable de proposer l'accès universel à des transports collectifs gratuits. Mais il faut sortir du tout ou rien. Ce n'est pas parce que les transports collectifs classiques sont inadaptés aux zones les moins denses que la question de la mobilité ne s'y pose pas, bien au contraire. Le maire de Niort nous a expliqué, lors de son audition, que les maires des petites communes de l'agglomération ne réclamaient plus nécessairement un arrêt de bus. En revanche, l'AOM propose un service de transport à la demande adapté et gratuit.
Cela nous renvoie à la question plus vaste de l'offre de transport. Sortons de l'opposition entre gratuité et développement de l'offre. Certes, s'il n'y a pas d'offre, inutile de se poser la question de la gratuité ; mais les réponses apportées par les internautes à notre consultation en ligne sont éloquentes : il faut faire les deux !
Je n'ignore pas qu'il est plus facile de faire des déclarations que de trouver des financements, avec les budgets très contraints des collectivités territoriales. C'est pourquoi, au demeurant, la gratuité totale des transports collectifs n'est probablement pas réaliste dans les métropoles qui disposent de modes de transport lourds. Hormis le cas très particulier de Lyon, où les usagers assurent une part sans équivalent du financement d'un réseau très dense, la part des usagers dans les recettes diminue au fil du temps. À l'inverse, la part du versement transport dû par tous les employeurs de dix salariés et plus augmente, tout comme les contributions publiques, de sorte que beaucoup d'AOM sont déjà au taux plafond du versement transport.
Il nous faut donc poursuivre et élargir la réflexion sur les modes de financement de la mobilité écologique de demain. Au regard du caractère fondamental de cet objectif, je propose d'exclure les dépenses liées à la transition écologique de la limitation des dépenses des collectivités territoriales mises en oeuvre depuis deux ans. Est-il normal que la construction d'une route soit considérée comme un investissement et, à ce titre, hors du champ de la limitation, mais pas le financement de la gratuité des transports qui contribue à la transition ?
D'autres pistes ont été évoquées au cours de nos auditions ou dans les réponses en ligne, notamment le péage urbain. Notre présidente était intervenue en ce sens lors de l'examen de la LOM. Nous connaissons tous le rejet que suscite cette proposition. Néanmoins, la taxation des plus-values immobilières liées au passage d'une nouvelle infrastructure de transports collectifs à proximité du bien devrait faire l'objet d'une évaluation précise. On peut également imaginer une augmentation des tarifs de stationnement ou une taxation des parkings de grandes surfaces, voire une imposition sur la publicité en faveur des véhicules à moteur thermique.
La question de l'adaptation de la fiscalité au numérique, sujet d'actualité, se pose aussi dans le domaine des transports : est-il normal que toutes les applications, que ce soit de livraison à domicile ou de location de trottinettes, ne participent pas au financement des externalités négatives qu'elles engendrent ? Une fois de plus, on privatise les bénéfices et on nationalise les pertes.
Dernière hypothèse de travail : affecter une part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) au fonctionnement des transports en commun, comme c'est le cas depuis deux ans pour Île-de-France Mobilités, qui a perçu à ce titre 94 millions d'euros en 2017.
Je propose également que le taux de TVA sur les transports de voyageurs, porté à 10 % en 2013, revienne à 5,5 %.
Je mesure combien la liberté des élus en matière de tarification des transports est limitée par ces contraintes financières. Pour autant, la gratuité est possible à condition d'un choix politique en ce sens. Ce n'est pas une panacée, ce n'est même ni une bonne ni une mauvaise idée en soi, car tout dépend de l'objectif au service duquel elle est mise en oeuvre. L'exemple des villes françaises qui l'ont instaurée montre qu'elle permet à tous, notamment aux plus éloignés de la mobilité et aux plus démunis, d'accéder à toutes les fonctions sociales et économiques de la ville : en ce sens, la gratuité des transports collectifs ouvre la voie à une révolution sociale des mobilités.
Son bilan écologique est plus contrasté, mais il est encore difficile de mesurer avec précision son impact réel - d'autant que des mesures non tarifaires et a priori très simples peuvent, elles aussi, produire des effets importants. Ainsi le bureau des temps à Rennes, en décalant de quinze minutes les horaires de cours à l'université, a permis de fluidifier la circulation des rames du métro.
La gratuité des transports collectifs pourrait donc prendre sa pleine mesure dans un projet urbain radicalement différent. Dans un monde où les grandes métropoles grossissent indéfiniment, aucune solution miracle ne viendra régler les défis de la mobilité, aucun investissement dans les transports publics, aussi massif soit-il, ne permettra de remplacer pour l'essentiel l'utilisation des voitures individuelles.
Il est urgent de nous poser collectivement la question de notre projet urbain, de la taille de nos villes, de l'étalement urbain, de la dissociation entre les zones d'activité économique et les zones d'habitat. Alors que les centres-villes de nos communes moyennes sont en déshérence, que la transition agricole nécessite une multiplication des emplois et donc une forme d'exode urbain, c'est dans un rapport au territoire différent que la gratuité pourrait trouver toute sa place, comme l'exemple de Dunkerque le montre.
Pour rebâtir un modèle économique résilient, capable de résister aux aléas financiers et respectueux de l'environnement, c'est sur des projets locaux qu'il faut s'appuyer en rebâtissant des économies de circuits courts autour de nos villes moyennes. On allégerait ainsi la pression démographique qui pèse sur nos métropoles. C'est également la manière la plus efficace de résorber la fracture territoriale et d'envisager, dans une perspective tant sociale qu'écologique, tout autant qu'un droit à la mobilité, un droit à la dé-mobilité.
Je remercie le rapporteur, avec qui j'ai travaillé dans la bienveillance et sans idées préconçues.
Les rapports d'une centaine de pages présentent à la fois un inconvénient et un avantage : chacun y trouve ce qui correspond le mieux à ce qu'il souhaite démontrer. La conclusion générale de ce rapport est excellente et me convient parfaitement : comme on l'enseigne à Sciences Po, elle ferme une porte et ouvre une fenêtre, celle de la ville moyenne. Mais nous ne sommes pas près de revoir une France des villes moyennes, en perdition à cause de la désindustrialisation de notre pays. Lorsqu'une économie passe du secondaire au tertiaire, elle se métropolise, avec en arrière-plan des choix de politique économique qui dépassent le cadre national.
En revanche, je suis très réservé sur le chapitre intitulé : « La gratuité des transports collectifs : un choix politique », pages 31 et 32. C'est effectivement un choix politique. Il aurait mieux valu l'intituler « Plaidoyer pour la gratuité des transports collectifs urbains » - car le rural a manifestement été évacué. Juste avant de conclure qu'il faut « dépassionner un débat qui souffre trop souvent de positions de principe et d'idées préconçues », le rapport note : « Comme le disait si justement le biologiste Albert Jacquard »... On évite généralement ce genre d'appréciations - d'autant que, sans méconnaître les compétences d'Albert Jacquard en biologie, comme les starlettes il avait un avis sur toute chose.
Ce rapport sous-entend ainsi que penser autre chose que ce qui est écrit sur ces deux pages, c'est être un passionné, prisonnier de ses idées préconçues. C'est un plaidoyer de la première à la dernière ligne. Vous évaluez ce que coûte l'entretien du réseau routier, sans faire état des taxes payées par les automobiles et les camions. Or il m'avait toujours semblé que ces derniers étaient les vaches à lait de l'État... Il n'aurait pas été inutile de chiffrer ce que rapportent ces usagers, sans compter le versement transport des entreprises, dont je les entends sans cesse se plaindre.
On peut aussi se demander combien coûte au contribuable la SNCF, perpétuellement en déficit - sans compter son régime de retraites - alors que sa contribution au transfert modal de la route vers le rail diminue chaque année.
Que coûtent les transports en commun urbains au contribuable ? Vous avez fort bien souligné que c'est à Paris que les usagers contribuent le moins au financement du transport collectif : 30 % viennent de leur poche contre 70 % ailleurs. C'est donc quand la participation de l'usager devient marginale que la gratuité est envisagée. Quand il ne paie pas grand-chose, c'est déjà trop...
Certaines comparaisons me préoccupent : le rapport suggère que les mobilités soient gratuites - pour les seuls urbains évidemment. Or la santé, c'est la vie et la mort. L'éducation, c'est la différence entre une vie active et une vie inactive. Ce sont deux besoins fondamentaux, que l'on ne peut pas mettre au même niveau que les transports collectifs. On a toujours la possibilité de ne pas se déplacer. Qui trop embrasse mal étreint : je ne voterai pas ce rapport.
Merci à la présidente et au rapporteur. Ce rapport arrive au bon moment, alors que l'examen de la loi d'orientation des mobilités se poursuit. J'avoue que par principe, j'étais plutôt opposé à la gratuité. Les mobilités sont à mes yeux un besoin du quotidien ayant vocation à être financé par les usagers, au même titre que la restauration ou la piscine municipale. Cependant, j'étais prêt à me laisser convaincre, s'il était démontré que la gratuité résoudrait les problèmes.
J'ai donc deux raisons de ne pas être favorable à ce rapport, qui au demeurant ne reflète pas entièrement le contenu de nos auditions. D'abord, la gratuité résoudra-t-elle la question du transport des citoyens les plus fragiles ? Non, car les collectivités ont déjà des politiques spécifiques en direction de ces publics. Ensuite, la gratuité assurerait-elle un report modal suffisant de la voiture vers le transport collectif ? Non, d'après ce que j'ai retenu des auditions. Le report modal se fait avant tout depuis le vélo ou la marche à pied.
La réponse à ces deux questions étant négative, nous ne pouvons considérer la gratuité comme une solution idéale. C'est pourtant ce vers quoi tend le rapport, qui n'est pas aussi impartial que je ne l'imaginais. Je ne le voterai pas, et ce sera sans doute la position de mon groupe.
Je vous remercie du travail accompli sur une question nécessaire et du débat dépassionné que vous avez conduit. Dans la ville moyenne qu'est Dunkerque, le transport en commun gratuit coûte 4,5 millions d'euros correspondant aux recettes perdues et 12,5 millions d'euros en investissements. Dans la métropole européenne de Lille, la gratuité signifie une perte de recettes de 100 millions d'euros au bas mot, avec une délégation de service public à 1,4 milliard d'euros. Comment faire ? L'important n'est pas la gratuité, dès lors que les communes mettent en place une tarification sociale, mais les moyens que l'on se donne pour compléter l'offre existante.
Le problème du transport, dans ces métropoles, est l'apport des secteurs ruraux : sans rabattements efficaces vers le métro ou une ligne de bus à haut niveau de service, à tous les points d'entrée, les ruraux garent leur voiture au plus près, dans la ville même. Cela n'a pas été prévu dans les schémas d'aménagement.
Laissons faire les autorités locales : qu'elles mettent en place la gratuité si elles peuvent se le permettre. Mais si les recettes manquent, comment compléter l'offre future ? Plusieurs de nos interlocuteurs nous l'ont dit : c'est l'offre qui fait le transport. De plus, la gratuité est toujours payée par quelqu'un, sous forme d'impôt. Dans les plus grandes métropoles, le manque à gagner serait trop important pour permettre la mise en place de nouvelles lignes.
Cette mission d'information m'a fait évoluer sur cette question. Je partais avec un a priori négatif, mais les auditions nous ont fait sortir du questionnement à la mode, avec le prisme : fausse bonne idée ou perspective intéressante ? Les représentants de la ville de Paris, en particulier, ont bien expliqué comment ils se sont éloignés du dogme de la gratuité pour tous en voyant qu'il y avait loin de la coupe aux lèvres... Ils ont développé une réflexion intéressante sur des solutions de gratuité partielle visant à décongestionner le métro. Une opposition est apparue entre développement de l'offre et gratuité, et les plus éclairés de nos interlocuteurs ont insisté sur l'offre. Peut-on faire croître l'offre avec une politique de gratuité ? Les intervenants techniques en doutaient, globalement.
Dans ma circonscription, j'ai mentionné cette mission d'information lors d'une réunion sur la LOM, et quelqu'un m'a dit que, pour moi, ce serait sans doute un beau programme, vu que nous n'avons pas de transports en commun ! C'est une petite réserve que j'ai sur le rapport : à l'heure des gilets jaunes, est-il avisé de débattre de la gratuité pour les citadins ? Je regrette que cette dimension, et la problématique de l'égalité entre territoires, en soit absente.
Nous ne sommes pas là pour refaire le débat sur la gratuité, mais pour éclairer nos collègues sur la question de savoir si c'est une fausse bonne idée ou une révolution écologique et sociale des mobilités. Or le rapport donne des éléments de réponse, qui pourront servir aux élus. Il ne s'agit pas de faire le procès de la gratuité, mais le rapport nous fait avancer dans ce débat. Je salue l'équilibre trouvé lors des auditions, et dans les conclusions, qui ne s'enferment pas dans un pour ou contre stérile. Je suis donc favorable à ce rapport - mais pas, pour autant, à la gratuité !
Deux des recommandations, par leur formulation, me semblent orientées, car elles induisent l'idée qu'il faut instaurer la gratuité.
Comme on parle de la gratuité, les préconisations ne peuvent qu'y être liées. Pour autant, nous ne disons pas qu'il faut la mettre en place ; nous expliquons simplement que, lorsqu'elle a été instaurée avec succès, cela a procédé d'une réflexion globale, et que, par elle-même, la gratuité ne résout pas tous les problèmes. Le rapport me semble assez équilibré, puisque les tenants de la gratuité me font aussi des reproches ! En tout cas nous devons donner les moyens de réfléchir à la question. C'est ce que fait le rapport - ensuite, c'est un choix politique.
« Financer autrement les nouvelles mobilités ». En effet, la gratuité pose toujours la question du financement, qui renvoie à des choix politiques.
Voilà : vous partez du postulat qu'il faut instaurer la gratuité, et que le problème est ensuite de la financer. J'avais pour ma part abordé cette mission d'information sans a priori. Comme mon groupe, je considère que chaque citoyen doit participer à la prestation qu'il exige de la collectivité pour des motifs personnels. On ne fait pas payer l'éducation, ni la santé - et encore. Les personnes qui s'installent en zone périurbaine bénéficient de plus d'espace et de terrains moins chers. Pourquoi feraient-elles assumer par la collectivité le poids économique et environnemental de déplacements pendulaires plus longs ?
Le rapport m'a semblé intéressant, et ne présente pas les biais que je craignais d'y trouver, vu les convictions du rapporteur, qu'il n'hésitait d'ailleurs pas à afficher lors des auditions - ce qui pouvait aussi être un moyen efficace de pousser nos interlocuteurs dans leurs retranchements. Il constitue un excellent éclairage pour les élus locaux et leur sera utile comme aide à la décision. Il commence par établir qu'il n'y pas de solution universelle et il ne se transforme pas en plaidoyer pour une gratuité totale et générale des transports. Certaines formulations semblent présupposer la gratuité, en effet - mais telle n'est pas sa teneur globale. Il serait donc dommage de le rejeter à cause de certaines formulations. Mieux vaudrait l'amender.
Il ne faut pas opposer offre et gratuité, sans doute, mais cet arbitrage s'impose souvent aux élus locaux.
Je suis plus réservé sur la question des moyens. Le titre que vous proposez semble les placer au centre de la réflexion - cela me conduirait à voter négativement. Vous évoquez une taxe sur les parkings des grandes surfaces. Je connais les rurbains : ils ne peuvent déjà pas payer le stationnement dans les grandes villes. Créez cette taxe, après la taxe sur les carburants, et vous aurez de nouveaux gilets jaunes ! On ferait mieux de remettre un taux réduit de TVA sur les transports en commun... L'État n'a jamais été aussi peu généreux dans son soutien aux infrastructures de transport en commun des collectivités territoriales. Nous n'avons plus les moyens de financer de telles infrastructures. Faute d'avoir maintenu l'écotaxe, on fait payer aux nationaux ce qu'on ne facture pas aux transporteurs étrangers. Et la LOM ne règle pas ce problème. Vous proposez également une taxe sur les trottinettes. Mais au-delà du problème de cohabitation avec les piétons, leur multiplication nous ferait vivre dans un air moins pollué...
Je penche donc plutôt vers une abstention, car je trouverais dommage de voter contre. En tout cas, il faut renforcer l'offre de transports de l'État, qui ne doit pas s'en prendre aux particuliers s'il ne veut pas avoir de nouveau affaire aux gilets jaunes. La gratuité n'est pas socialement souhaitable. Elle se ferait sans doute au détriment des services publics locaux, ce qui renforcerait le sentiment d'injustice.
J'étais très favorable à la gratuité, car il ne s'agit pas d'une prestation mais d'un droit. Vous parlez de choix pour les périurbains, mais nous savons bien qu'il s'agit souvent d'un choix contraint par de multiples critères, notamment économiques. Dans certains territoires de relégation, les transports publics ne vont pas toujours - et quand ils y vont, il y a un problème de coût. Vous parliez de santé, mais l'immobilité est une des caractéristiques de la mort ! L'accès à la ville est une autre problématique, sensible dans mon département.
Les politiques tarifaires se heurtent à des difficultés, malgré les politiques sociales. J'ai été sensible aux questions de financement et à la nécessité de développer les transports publics. La réflexion sur l'accès à la ville doit se faire dans un cadre global. La gratuité doit être vue comme un bien public parmi d'autres, qu'il n'est pas toujours possible de proposer aux habitants. En tout cas, ce n'est pas une baguette magique. Et ce rapport est équilibré. Son titre devrait plutôt être : « Point d'étape d'une réflexion à poursuivre ». Comme c'est un bon outil à la décision, il serait dommage qu'il ne soit pas publié.
Si nous ne l'adoptons pas en l'état, les comptes rendus des auditions seront tout de même publiés ainsi qu'une synthèse de la consultation en ligne que nous avons organisée. Nous pouvons nous revoir à la rentrée pour amender le rapport.
Pour moi, notre travail consiste à fournir des éléments d'information aux responsables publics pour choisir d'instaurer la gratuité, ou non. Cela manque un peu dans le rapport, ainsi que les problématiques sociales et environnementales.
Il serait dommage de ne pas publier ce rapport. Comme nous ne pouvons l'adopter aujourd'hui, ne votons pas, et revoyons-le. Le titre n'est pas anodin. J'ai été présidente du syndicat mixte des transports pour le Rhône et l'agglomération lyonnaise (Sytral) pendant trois ans. Dunkerque, dont parle le rapport, n'a que 147 bus ! J'ai signé une délégation de service public de 2 milliards d'euros... Les propositions du rapporteur sont intéressantes, pour autant, et ce document ne doit pas passer à la trappe. Dans tous les cas, la gratuité posera un problème de financement. Le rapport du Sytral sur ce point est clair. Nous devons trouver les voies d'un consensus.
Certaines pages du rapport sont orientées. Ainsi, des pages 31 et 32, qui ne sont autre chose qu'un plaidoyer, assorti d'exemples parfois surprenants. Attention, car les lecteurs considèreront que le Sénat a pris position pour la gratuité. Il faut réécrire ces pages.
Je suis moi aussi très embarrassée, et ne puis approuver le rapport tel quel, car il est trop orienté. Je n'y retrouve pas les auditions. Par exemple, les représentants des usagers ne veulent surtout pas la gratuité, mais de l'offre. La gratuité aboutirait à de l'inéquité, puisque on délaisserait les zones périphériques, ce qui ne ferait qu'aggraver la fracture. Vous montez en épingle Dunkerque, mais c'est un petit réseau !
Ce qu'il faut, c'est développer les tarifs solidaires : 25 % de ceux qui pourraient en bénéficier n'y prétendent pas. Ce qu'a fait Tallin est aussi scandaleux, du point de vue de la compétition entre les territoires. Il ne faut pas confondre équité et égalité : nous n'allons pas faire aller le métro jusqu'à la Creuse... Pour les périurbains, c'est l'urbanisme qu'il faut mobiliser. Vous qualifiez la gratuité de « facteur de cohésion sociale et écologique ». Non !
Nous partions de positions différentes. Et on me reproche d'écrire contre la gratuité, aussi. Je rappelle que le rapport porte sur la gratuité des transports.
Nous en étudions donc des exemples, et il n'y en a qu'une trentaine. C'est bien normal ! À Dunkerque, il y a des spécificités qui ne sont pas transposables, comme le maire lui-même le reconnaît. Et Paris s'est orienté vers une gratuité partielle. Sur le report modal, il y avait beaucoup d'idées préconçues.
Un chapitre explique que, pour les grandes agglomérations, ce n'est pas la priorité, et qu'il faut surtout développer l'offre. Je suis ouvert à vos propositions sur le titre. Mais la question du financement est revenue régulièrement, et dans tous les groupes. Je souhaite que nous parvenions à un équilibre, car ce rapport comporte de vrais éléments d'aide à la décision et peut stimuler la réflexion. Vous avez raison, l'exemple de Dunkerque est particulier. Le maire a choisi d'instaurer la gratuité mais il a renoncé au tramway.
Je ne suis pas opposé à la perspective de poursuivre nos travaux en septembre. Il faut reconnaître que nous avons dû travailler rapidement.
Lors de la commission d'enquête sur l'écotaxe, nous étions tenus par le calendrier. Nous avons dû nous réunir pendant dix heures d'affilée pour parvenir à adopter un rapport, tant les divergences étaient nombreuses. Nous avons tout réécrit ! Dans le cas présent, nous ne sommes pas tenus par le calendrier. Je n'imagine pas que le Sénat ne puisse pas adopter un rapport sur ce sujet aussi important. Nous devons travailler jusqu'au 30 septembre si cela est nécessaire.
Je vous propose alors de reporter le vote sur le rapport et de poursuivre nos réflexions en septembre. Nous avons travaillé en bonne intelligence et pragmatisme avec le rapporteur, mais chacun a ses convictions. Nous organiserons, avant le 30 septembre, des réunions de travail mais sans procéder à de nouvelles auditions. Je vous invite tous à y participer.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 15 heures.