Monsieur l'Ambassadeur, nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui au Sénat. Merci d'avoir répondu à notre invitation.
Votre pays vient de prendre la présidence de l'Union européenne, une première pour la Croatie qui a adhéré à l'Union en 2013. Ce semestre de présidence croate s'ouvre dans un contexte porteur : renouvelées en 2019, les institutions européennes sont toutes en état de marche, prêtes à imprimer un nouvel élan à l'Union pour les années à venir, marquées par le défi climatique. Il revient donc à votre pays d'accompagner la traduction effective de cet élan, même s'il est contrarié par un événement négatif et inédit pour l'Union européenne : le départ de l'un de ses membres. En effet, le Brexit, aux termes de l'accord de retrait conclu le 17 octobre dernier entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, doit avoir lieu dans quinze jours. Il sera suivi du lancement, dans des conditions très contraintes, des négociations sur les relations futures entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Notre commission sera attentive aux contours du futur accord.
Mais il s'agit aussi de préparer l'avenir. Notre commission a été reçue par votre Gouvernement il y a un mois à Zagreb ; nous souhaitions évoquer avec votre pays, dernier entré dans l'Union européenne, les perspectives en matière d'élargissement. À cette occasion, nous avons notamment pu rencontrer votre Premier ministre, M. Andrej Plenkoviæ, et la Secrétaire d'État aux affaires européennes, Mme Metelko-Zgombiæ, qui nous a présenté les quatre priorités que votre pays a définies pour ce semestre : une Europe qui se développe, une Europe qui connecte, une Europe qui protège, une Europe puissante et influente. Vous allez certainement nous les présenter plus en détail, et nous indiquer si la récente élection de M. Zoran Milanoviæ à la présidence de votre pays pourrait infléchir cette feuille de route.
Il faut faire avancer, en parallèle, les négociations sur le cadre financier pluriannuel 2021-2027 ; nous en avons discuté hier après-midi avec la Secrétaire générale des affaires européennes, Mme Sandrine Gaudin. Notre commission n'est pas très satisfaite des dernières propositions de la présidence finlandaise - un budget européen représentant 1,07 % du RNB - qui n'ont pas débloqué la situation ; le président du Conseil européen, M. Charles Michel, a repris en main le dossier. Nous sommes tout aussi attentifs à la réforme de la politique agricole commune qui va sans doute occuper également une part importante de vos travaux, ainsi qu'aux fonds structurels.
èak, ambassadeur de Croatie en France. - L'ambassade de Croatie ne comptant que quatre diplomates, il nous est difficile de répondre à l'ensemble des sollicitations à l'occasion de notre présidence de l'Union européenne. Nous avons ainsi été récemment invités à nous exprimer par les ambassadeurs de l'OCDE.
Je suis d'autant plus heureux de me présenter devant vous aujourd'hui que le 15 janvier est le jour où, en 1992, à l'instigation de l'Allemagne, la plupart des pays de l'Union européenne ont reconnu la Croatie. C'était une nuit pleine de joie, que j'ai passée sur la place principale de Zagreb. Nous allons organiser une fête à Bruxelles pour célébrer ce souvenir. La fête de l'indépendance est célébrée le 30 mai, jour où le Parlement croate a, en 1991, proclamé l'indépendance.
Je vous suis également reconnaissant de m'avoir invité à plusieurs reprises au Sénat, où je me suis plus souvent rendu qu'à l'Assemblée nationale.
La Croatie a adhéré à l'Union européenne en janvier 2013. Les négociations avaient commencé en 2005, alors que dix pays d'Europe centrale et orientale étaient déjà membres de l'Union. Ces négociations ont été difficiles, surtout à cause de nos voisins ; un contentieux nous opposait alors à la Slovénie sur la frontière maritime. De plus, le général Ante Gotovina, soupçonné de crimes de guerre par le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, était recherché. Il a finalement été arrêté en Espagne, alors que la Croatie était accusée de le cacher. Ces deux contretemps ont rallongé les négociations de deux ans. Elles ont été longues, mais j'observe que la Serbie et le Monténégro n'ont guère avancé depuis cinq ans qu'ont commencé leurs négociations d'adhésion...
Ce processus a changé la Croatie. Négocier nous a conduits à prendre en considération ce qui se passait en dehors de nos frontières et a fait évoluer l'image que nous avions de nous-mêmes.
Lorsque la présidence croate de l'Union européenne a été décidée, voici quatre ans, du fait de la décision britannique de quitter l'Union, nous n'étions pas prêts. Nous l'avons néanmoins acceptée, en essayant de préparer au mieux cette présidence. Voici une semaine, la Commission européenne au complet s'est rendue à Zagreb. Notre Premier ministre était avant-hier à Strasbourg et le 7 janvier à Paris, où il a été reçu par le président Macron. Ils ont évoqué notre présidence de l'Union européenne, ainsi que l'ajournement, au mois d'octobre 2019, des négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie, à l'instigation de la France, mais aussi des Pays-Bas et du Danemark. Nous essayons de lever ce blocage, mais notre action a été perturbée par l'actualité au Moyen-Orient.
Du 1er janvier au 30 juin 2020, la Croatie dirigera les travaux du Conseil de l'Union européenne, alors que celle-ci se trouve au début d'un nouveau cycle institutionnel et confrontée au défi du Brexit.
Les principaux défis de notre présidence sont l'inégalité du développement économique entre les membres - la Croatie étant, avec la Roumanie et la Bulgarie, l'un des pays les moins développés de l'Union européenne - le changement climatique, l'augmentation des flux migratoires, la propagation de la désinformation et du populisme. La Croatie encouragera le renforcement du dialogue, notamment grâce à la Conférence sur l'avenir de l'Europe qui sera dirigée par notre commissaire Dubravka uica.
La Croatie a présenté le programme de sa présidence sous la devise « Une Europe forte dans un monde plein de défis », avec quatre priorités. Le cadre financier pluriannuel 2021-2027 doit être ambitieux, équilibré, durable et inclusif, en prenant en compte les déséquilibres existants.
Première priorité, une Europe en développement. L'Union européenne représente un cinquième du PIB mondial. Son économie est confrontée à la quatrième révolution industrielle, face à laquelle il convient d'approfondir le marché unique, de stimuler la digitalisation, d'investir dans l'innovation et la recherche, de créer de meilleures conditions de vie et de travail, de protéger l'environnement et de lutter contre le changement climatique. Les besoins et spécificités de tous les membres devront être respectés, notamment en tenant compte des départs massifs de jeunes de certains États membres, à la recherche de travail dans les pays plus développés. Pour y répondre, l'Union européenne doit offrir des opportunités de travail, en particulier en milieu rural, pour freiner puis faire disparaître la dépopulation de certaines régions.
Deuxième priorité, une Europe qui connecte. Les disparités en matière de qualité d'infrastructures et de couverture des réseaux de transports entravent la compétitivité de l'Union au niveau mondial. Dans l'intérêt de la cohésion, il convient de développer davantage les infrastructures numériques, de transport et d'énergie ainsi que la connectivité. La Croatie encouragera également les politiques de rapprochement des citoyens européens, notamment par le biais de l'éducation, de la culture et du sport, en promouvant un espace de transport européen unique et un marché intégré de l'énergie. Il est essentiel de faciliter la mobilité des élèves, des étudiants, des chercheurs et des professeurs.
L'Europe doit aussi protéger ses citoyens, et pour cela renforcer ses frontières extérieures pour mieux répondre aux menaces externes et aux cybermenaces. L'objectif commun doit rester une politique de migration et d'asile durable et efficace. Une réforme du système d'asile est indispensable : longue de mille kilomètres, la frontière entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie est gardée par 6 500 policiers croates pour faire face aux flux de migrants qui tentent de pénétrer en Europe.
Quatrième priorité, une Europe influente. L'Union européenne a un poids important dans la lutte contre le changement climatique et la pauvreté. Elle représente 50 % de l'aide internationale pour le développement durable. Dans un monde de plus en plus connecté, les progrès de l'Union européenne dépendent de la pleine exploitation de son potentiel infrastructurel et humain. Pour favoriser la cohésion, il faut développer de manière équilibrée les infrastructures numériques, de transport et d'énergie, ainsi que la connectivité.
J'en viens maintenant au rôle de la Croatie dans la politique étrangère de l'Union européenne. La Croatie a pour priorité de rejoindre l'espace Schengen et la zone euro, mais elle n'y travaillera pas durant sa présidence, tenant compte de l'impossibilité d'atteindre un tel objectif à court terme. Notre priorité de politique étrangère sera l'élargissement en direction des Balkans occidentaux, à commencer par la Macédoine du Nord et l'Albanie. C'est pourquoi nous préparons avec détermination le sommet de Zagreb, début mai, qui sera consacré à cette question. Il faut trouver une solution acceptable par tous, faute de quoi les divisions s'approfondiront au sein des sociétés des pays candidats, mais aussi de l'Union européenne. Le Président Macron a promis de se rendre à Zagreb pour ce sommet.
L'année 2020 marque également le vingtième anniversaire du premier sommet de Zagreb, qui s'est tenu en novembre 2000 à l'initiative du président Chirac. Les chefs d'État des quinze membres de l'Union européenne d'alors y avaient rencontré ceux des Balkans occidentaux, à peine sortis de la guerre. Cette réunion symbolique avait donné le signal aux pays de la région que leur avenir était dans l'Union européenne. Vingt ans plus tard, seule la Croatie est devenue membre, les autres pays restant dans la salle d'attente. L'intérêt de la Croatie, mais aussi de toute l'Europe, est dans l'intégration de ces six pays.
La conférence sur l'avenir de l'Union européenne sera un moment important. Nous sommes reconnaissants à la Commission européenne d'avoir fait de la démographie une priorité. Au moins la moitié des États membres ont un problème démographique. Certains pays de l'Est ont perdu 10 à 15 % de leur population depuis leur adhésion. La Croatie a 10 % d'habitants en moins qu'avant la guerre, alors que des jeunes migrants continuent d'arriver. Nous perdons 20 000 habitants par an. Dans ces conditions - faible natalité, exode des jeunes -, quels sont les avantages d'adhérer à l'Union européenne ? Sans dramatiser outre mesure - à titre de comparaison, au début du XXe siècle, 250 000 Croates ont émigré en Amérique du Sud -, la dépopulation est un problème grave, surtout pour les pays entrés dans l'Union européenne après 2004.
Je terminerai par le destin de l'Europe. Lors de la crise migratoire de 2015, 700 000 réfugiés sont passés par la Croatie. Cette crise et le Brexit tout proche entretiennent la peur d'une désintégration de l'Union européenne. Les architectes du projet européen n'auraient pu imaginer que l'on parlerait un jour de reconfiguration de l'Europe à cause de la sortie d'un membre. Bien qu'admirable, le modèle politique de l'Union européenne n'est pas éternel : il faudra un jour le faire évoluer. L'Europe a perdu sa position centrale dans la politique internationale et la confiance de beaucoup de ses habitants ; elle souffre d'une crise d'identité, son héritage chrétien et le legs des Lumières n'étant plus des piliers sûrs. Une certaine étroitesse d'esprit se fait jour, après des années d'hyperlibéralisme. Elle pourrait provoquer l'effondrement des démocraties libérales.
Après la chute du communisme, un clivage est-ouest s'est ajouté au clivage sud-nord, avec la crise migratoire pour signal. Les migrants sont devenus des acteurs de l'Histoire, qui pourront décider du sort du libéralisme européen. Une refondation du projet européen est absolument nécessaire. Pour la première fois depuis la chute du mur de Berlin, les divisions du temps de la guerre froide réapparaissent. La crise migratoire a surtout alimenté les peurs des sociétés est-européennes, tout en faisant naître à l'Ouest une forte méfiance envers l'Europe de l'Est. Ces différences ne s'effaceront pas rapidement.
Nous suivons attentivement l'évolution de votre pays. MM. Gattolin, Bizet et moi-même sommes les derniers témoins du voyage de notre commission en Croatie, juste avant l'adhésion. Nous y sommes retournés en décembre dernier.
Certains parlementaires, dont je fais partie, auraient souhaité que la France se prononce en faveur de l'ouverture des négociations avec la Macédoine du Nord et peut-être l'Albanie, qui n'ont pour le moment que le statut de candidats à l'adhésion. Le sommet sur les Balkans qui s'est tenu à Zagreb en novembre 2008, sous la présidence française de l'Union européenne, faisait suite à un engagement moral de l'Union en faveur d'une adhésion, à terme, des pays de l'ex-Yougoslavie - en respectant, naturellement, les procédures.
Pour la Slovénie, cela a été très rapide. Pour la Croatie, il y a eu des retards liés aux épisodes que vous avez rappelés. La Macédoine du Nord a fait un très gros effort, en changeant de nom, et obtenu un accord avec la Grèce.
Je me réjouis de la conversation que vous avez évoquée entre le Président de la République et votre Premier ministre. Peut-être Emmanuel Macron a-t-il voulu revoir la longueur de la procédure d'adhésion ; il faudra sans doute en envisager une autre à l'avenir. Mais cela ne doit pas bloquer l'ouverture des négociations avec la Macédoine du Nord, voire avec l'Albanie. Ces pays sont au coeur de l'Europe, et ils ont vécu une guerre civile terrible. Notre responsabilité est de faire avancer les choses. Je me suis rendu en Serbie avec Jean Bizet et au Monténégro avec Claude Kern. Ne désespérons pas ces populations.
Je suis ravi que le Président de la République aille au sommet des 6 et 7 mai. J'espère qu'il nous apportera une bonne nouvelle. Peut-être pourriez-vous nous apporter un éclairage.
Une des priorités de la présidence croate est l'élargissement de l'Union européenne. Elle prévoit ainsi d'organiser un sommet à Zagreb les 6 et 7 mai prochains entre l'Union européenne et les six pays candidats déclarés ou potentiels des Balkans occidentaux : l'Albanie, la Macédoine du Nord, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Serbie et le Kosovo. Selon le programme de la présidence croate pour 2020, le Kosovo est un candidat potentiel et une attention particulière sera accordée au développement ultérieur des relations avec l'Union européenne. Or les relations entre la Serbie et le Kosovo restent très tendues. En outre, certains pays de l'Union, en l'occurrence Chypre, l'Espagne, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie, n'ont à ce jour pas reconnu son indépendance. Enfin, le niveau de corruption du Kosovo le tient éloigné de l'État de droit. On ne peut donc que s'interroger sur l'opportunité d'inviter ce pays au sommet.
Pourriez-vous nous préciser ce que votre Premier ministre entendait lorsqu'il a indiqué vouloir changer la méthode d'adhésion ?
Avec le cadre financier pluriannuel, la situation est difficile. Des pays veulent relativement limiter leur contribution au budget de l'Union quand d'autres seraient prêts à aller plus loin. Le Brexit se traduit tout de même par une perte nette pour l'Union européenne. Vous voulez parvenir à un compromis. Comment comptez-vous l'atteindre ? Quel est votre niveau d'exigences budgétaires ?
Comment voyez-vous la pondération entre la cohésion, à laquelle vous êtes très attachés, et la transition énergétique qui est une exigence ?
Depuis le début du conflit, en 2011, la Jordanie a accueilli entre 900 000 et 1,3 million de Syriens. Aujourd'hui, elle est confrontée à de nombreux enjeux, dont l'éducation des jeunes, l'eau, l'emploi, la radicalisation. Je reçois régulièrement des délégations. Mes interlocuteurs demandent tous des soutiens financiers et matériels de la part des pays européens, mais aussi de l'Union européenne. Que compte faire la présidence croate pour aider ce pays, qui est un allié stable au Moyen-Orient ? En 2018, les États-Unis ont décidé de réduire drastiquement les fonds réservés à l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Pour compenser, l'Union européenne avait fait des rallonges budgétaires, à hauteur de 40 millions d'euros. Celles-ci seront-elles prolongées ? Si oui, sur quelle échéance ?
Vous avez évoqué la politique régionale équilibrée. Ce sujet concerne tous les pays de l'Union européenne, notamment les « nouveaux entrants ». Les analyses universitaires et les travaux des think tanks montrent que l'efficience des politiques de cohésion, même si nos pays y sont très attachés, n'est pas remarquable. Certes, il y a globalement une réduction des inégalités entre les différents pays adhérents ; les nouveaux entrants, dont le niveau de vie est moins élevé, connaissent un phénomène de rattrapage. Les pays du coeur de l'Union, qui sont assez développés, ont historiquement développé des politiques nationales importantes de redistribution ou de lutte contre les disparités territoriales. La France est un des pays où les inégalités territoriales sont les moins fortes. Depuis la crise de 2008, on note toutefois une augmentation des disparités interrégionales ou intranationales. Même à l'intérieur des régions, notamment dans les pays de l'Est, il y a un renforcement des villes pôles, mais une augmentation des inégalités. Selon les analystes, ces fonds de cohésion ont assez peu de valeur redistributive. La politique de l'Union européenne était bien plus préoccupée par la compétitivité économique que par la réduction des disparités.
Des chercheurs de l'université de Strasbourg montrent que la politique des infrastructures de transports est au contraire particulièrement efficace pour freiner l'accroissement des inégalités intrarégionales constaté dans les pays nouveaux entrants.
Constatez-vous le même phénomène au niveau intranational ou interrégional en Croatie ? Les évolutions sur les infrastructures de transport vont-elles dans le bon sens ? Vous semblent-elles suffisantes pour assurer un développement régional équilibré ?
Votre ministre chargé des questions liées à la politique agricole commune a développé des concepts très intéressants sur la paysannerie familiale, l'installation des jeunes agriculteurs et, surtout, le développement des smart villages. Et la question forestière touche les villages au coeur dans tous les pays d'Europe.
Vous avez évoqué les questions de sécurité, qui sont fondamentales. Mais quid de la défense ? La présidence précédente a porté un coup au Fonds européen de la défense. Face aux menaces actuelles, qu'il s'agisse du terrorisme ou des incertitudes géopolitiques, le Fonds européen de la défense et le développement économique des industries européennes liées à la défense sont importants. Je n'ai pas senti cela dans votre intervention. Certes, tout ne peut pas être prioritaire. Mais si nous voulons que l'Union européenne prenne une certaine dimension, elle doit être un référent international pour ses États membres et pour les pays à ses confins. C'est est une nécessité.
Je souhaite une bonne réussite à la présidence croate pour ce semestre, à la fois pour le fonctionnement de l'Union européenne et parce qu'il serait dommage que les dossiers avancent seulement sous présidence allemande au prochain semestre ou sous présidence française au premier semestre 2022. Nous espérons que votre semestre sera le plus positif possible.
Sur l'élargissement aux Balkans, j'ai un point de vue un peu différent de celui qui a été exprimé tout à l'heure. Vous avez bien fixé les termes du débat en soulignant l'attachement de votre pays à l'élargissement de l'Union européenne. Nous avons compris que vous pensiez aux Balkans. Vous avez aussi évoqué un risque plus marqué de désintégration de l'Union européenne. Nous n'aurions pas utilisé ce mot voilà quelques années, mais nous commençons à l'utiliser aujourd'hui, y compris dans le débat public français. La décision anglaise a des effets importants. Nous verrons l'utilisation qu'en feront les États-Unis, dont le désir actuel est plutôt d'affaiblir l'Union européenne. Les multiples difficultés qu'il peut y avoir au Moyen-Orient ou par rapport à la Russie créent des divergences de points de vue entre pays européens.
Pour la France, il faut d'abord contenir le risque de désintégration et approfondir la construction de l'Union européenne avant de penser à un quelconque élargissement. Très sincèrement, ce point de vue ne me choque pas, même si je respecte celui qui a été exprimé par d'autres collègues. Si la Croatie veut favoriser l'élargissement de l'Union européenne aux Balkans, elle sera plus efficace en travaillant d'abord sur une meilleure intégration de l'Union européenne et la poursuite de ce que souhaite la France, c'est-à-dire une forme d'Europe puissance. À mon sens, ce n'est que lorsque nous aurons plus avancé en matière d'intégration que nous pourrons nous permettre de considérer d'éventuelles ouvertures.
Je crois qu'un élargissement sans intégration serait un vrai danger. Nous aurons des échéances politiques importantes en 2022 : ne multiplions pas les problèmes, faute de quoi même un pays comme le nôtre pourrait donner quelques signaux peu favorables à la stabilité de l'Union européenne. Je vous remercie de votre compréhension de la position française, actuellement réservée quant à l'élargissement aux Balkans.
Vous n'aurez que six mois, cela passe très vite. Pour être performant sur une période aussi courte, il faudrait se limiter à un nombre restreint d'objectifs. Les deux sujets majeurs me semblent être le cadre financier pluriannuel, qui requerra un consensus, ainsi que la politique européenne de l'asile, qui doit être totalement revue.
Comment pensez-vous associer les parlements nationaux et les pays candidats à la future conférence sur l'avenir de l'Europe ?
La France a fait des propositions de modification du processus de négociation. La Croatie et ses partenaires qui souhaitent l'élargissement les étudient-ils ? Font-ils confiance à la France ?
èak. - Je vous remercie de toutes ces questions. Après que la France a bloqué le processus d'élargissement de l'Union européenne à la Macédoine du Nord et à l'Albanie au mois d'octobre, le Quai d'Orsay nous a adressé un document expliquant la façon dont la France souhaitait modifier le processus d'adhésion. Ces propositions françaises intéressantes sont actuellement à l'étude. Mais nous n'avons pas compris qu'elles arrivent après le refus français.
La Croatie est le plus jeune membre de l'Union européenne et est passée par une période de négociations difficiles : nous sommes bien conscients que d'autres vont connaître ce même chemin de croix.
Pourquoi la France a-t-elle arrêté un processus qui était déjà lancé et pourquoi n'a-t-elle pas permis d'ouvrir les négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie ? Il s'agit d'une décision inattendue et symbolique. Nous avons besoin d'explications de la part du Président Macron. Le Premier ministre de la Macédoine du Nord a, depuis, été contraint de démissionner et nous attendons maintenant le résultat des élections législatives, avec l'éventualité d'une victoire de l'opposition, moins pro-européenne.
Certes, les pays des Balkans ne sont pas encore prêts et beaucoup reste à faire en politique intérieure, mais il faut leur envoyer un signal juste, tout particulièrement à la Macédoine du Nord qui a déjà fait beaucoup d'efforts. Tous les pays des Balkans ne sont pas au même niveau, notamment le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine.
Notre Premier ministre a eu un déjeuner de travail avec le Président Macron. Cela a été l'occasion pour eux d'évoquer les futures adhésions, mais aussi d'autres sujets comme l'Iran et l'Irak. Le Président Macron connaît bien les Balkans et il existe une relation de confiance entre les deux hommes, en dépit de leurs différences politiques.
Depuis 2015 et la crise des migrants, la sensibilité à l'élargissement s'est accrue. Les pays concernés ne sont pas toujours sincères dans leurs propos. La Serbie, l'Albanie et la Macédoine du Nord ont menacé de créer un mini-Schengen afin de faire savoir qu'ils n'acceptent pas la façon dont les choses ont été présentées au sommet de Bruxelles en octobre dernier. Dans les Balkans, certains pays jouent sur deux tableaux, c'est le cas de la Serbie avec la Russie par exemple. Il faut donc trouver une solution avec la Serbie.
Il faut sans doute changer le processus d'adhésion. Mais soyons patients et accordons plus de confiance à ces pays : ce sont d'anciens pays communistes, aux influences orientales. La Croatie a beaucoup changé au cours des négociations. Quand on parle des Balkans, il faut garder à l'esprit que c'est un monde un peu à part.
Il faut être patient et garder le contact avec ces pays. Il faut trouver une solution, parce que l'on ne saurait perdre ainsi une partie de l'Europe.
La Croatie est un petit pays qui n'est pas très développé, car nous avons perdu dix ans à cause de la guerre : nous n'avons retrouvé notre niveau de développement d'avant la guerre que treize ans après. Il faut donc être patient pour retrouver l'équilibre régional. La Roumanie et la Bulgarie sont encore économiquement à la traîne.
Les questions économiques ne sont pas ma spécialité : mon collègue, chargé des affaires économiques, vous en dira plus.
Pour les années à venir, en l'état, le cadre financier pluriannuel ne nous donne aucune visibilité. Or, c'est bien une priorité fondamentale.
Au niveau budgétaire, un grand contributeur net va quitter la famille européenne, il faudra donc faire des sacrifices et ventiler les dépenses différemment. Vous nous demandiez de préciser le seuil budgétaire que nous visons : nous sommes en effet opposés au seuil de 1,07 % du RNB. Je me réfère aux propos de notre Premier ministre dans une interview qu'il a donnée à France 24 juste avant de déjeuner avec M. Macron : nous soutenons la proposition qui émane de la Commission européenne, d'un seuil à 1,114 %.
S'agissant de la PAC, vous faisiez allusion à ce concept évoqué par la ministre de l'agriculture croate : la promotion des politiques de soutien aux petites exploitations familiales. Celles-ci incarnent en effet la possibilité de stopper un exode rural dramatique dans beaucoup de régions. Un autre concept doit être également évoqué, les smart villages, qui comportent une dimension de connectivité et de développement des services dans une approche durable visant à améliorer la qualité de vie des jeunes agriculteurs et des familles. Plutôt qu'une approche macroéconomique, il s'agit ici de favoriser une approche microéconomique prenant en compte la dimension humaine, ce qui constituera un enjeu fondamental de la prochaine présidence pour tous les pays européens qui subissent le fléau de l'exode rural.
J'ai pris connaissance d'une initiative visant à soutenir le désenclavement rural par le numérique. Malheureusement, partout en Europe, la fracture numérique est une réalité dans le monde rural.
Cette problématique nous concerne tous. C'est pourquoi la politique doit être transversale, et concerner les citoyens où qu'ils vivent, y compris dans les petites propriétés rurales. La Croatie va organiser une conférence ministérielle pour promouvoir les outils contribuant à améliorer la situation des petites exploitations familiales. Nous vous rejoignons sur ce point : c'est un enjeu majeur.
Concernant la PAC, il faut évoquer l'agriculture durable, directement liée au green deal. Nous en revenons donc à ce grand projet, qui comporte également un objectif de neutralité carbone pour 2050. Notre ministre de l'agriculture l'a dit, il est fondamental de prendre en compte les profils de différents pays ; notre Premier ministre, de même, appelait à s'intéresser à la situation particulière des États membres qui ont intégré l'Union européenne suite à des vagues d'élargissement successives. Tous les pays n'ont pas en effet le même profil énergétique. En France, par exemple, 60 % de l'énergie consommée émane du nucléaire. On y aborde, dès lors, la question de la neutralité carbone d'une façon particulière. En Croatie, en revanche, l'énergie nucléaire ne représente que 17 % de l'énergie consommée. Une approche sur mesure est donc bien nécessaire. Il en va de même en ce qui concerne la PAC : il faut développer la flexibilité pour inciter les États membres à favoriser l'agriculture verte en leur proposant un rythme adapté.