La réunion

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La mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Franck Riboud, président-directeur général du groupe Danone SA.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

En introduction, M. Philippe Marini, président, a rappelé que les deux déplacements récents de membres de la mission avaient été particulièrement instructifs par rapport à la question de la localisation des centres de décision économique : d'une part, le déplacement en Scandinavie, qui a mis en évidence l'existence de centres de décision de groupes parfois plus puissants que leurs Etats d'origine et permis de découvrir des dispositifs intéressants en termes de droits de vote ; d'autre part, la visite du groupe CMA-CGM à Marseille qui a donné l'exemple d'une entreprise familiale disposant d'ambitions mondiales.

Il a ensuite posé à M. Franck Riboud les questions traditionnellement soumises aux personnes auditionnées par la mission commune d'information, portant sur la pertinence du concept de nationalité des entreprises, sur la définition de la notion de centre de décision économique, ainsi que sur l'intérêt pour l'Etat à rechercher la localisation de tels centres sur son territoire et, dans l'affirmative, sur les meilleurs moyens pour y parvenir.

En outre, M. Philippe Marini, président, a indiqué à M. Franck Riboud qu'il souhaiterait aussi connaître les enseignements particuliers qu'il tirait de l'épisode traversé par son groupe récemment, à l'occasion des rumeurs d'une offre potentielle de PepsiCo et qui avait donné lieu à l'adoption d'un amendement dit « Danone » au projet de loi de transposition de la directive européenne sur les offres publiques d'achat (OPA), l'objet de cet amendement étant d'obliger l'initiateur d'une OPA à exprimer ouvertement ses intentions.

Debut de section - Permalien
Franck Riboud

a commencé par répondre à la question relative à la nationalité des entreprises, en estimant que ce concept ne lui paraissait plus pertinent, y compris pour une entreprise dite « française » comme le groupe Danone, dont il a d'ailleurs fait remarquer que le nom était d'origine espagnole. Il a, en effet, considéré que vouloir imposer ce concept de nationalité serait contraire au respect dû à chacun des 90.000 collaborateurs du groupe dont seuls 12.000 travaillent en France -contre plus de 30.000 en Chine- et dont 60 % de l'encadrement n'est pas d'origine française (même si les Français demeurent majoritaires au comité exécutif du groupe). En revanche, il a fait valoir que si le concept de nationalité n'était pas adapté à un groupe mondial, celui de culture de l'entreprise revêtait, pour sa part, une importance toute particulière. Définissant la culture d'une entreprise comme l'ensemble des valeurs régissant la vie du groupe, il a considéré que celles du groupe Danone étaient incontestablement marquées par une certaine latinité qui, du fait de l'origine française de l'entreprise, se traduisait par une manière d'aborder les problèmes différente de celle qui prévaut, par exemple, dans le monde anglo-saxon. De surcroît, il a considéré que cet ancrage culturel fort était un avantage compétitif pour le groupe Danone, qu'il convenait de défendre.

En outre, il a estimé qu'il était tout à fait convaincu de la nécessité, pour les pouvoirs publics, d'agir afin d'attirer les centres de décision économique en France, estimant d'ailleurs que certains États, en apparence plus libéraux, mobilisaient eux aussi les outils dont ils disposaient pour maintenir ou attirer ces centres sur leur territoire. Il a ainsi pris l'exemple du Royaume-Uni qui a pu accepter ou faciliter des opérations dans le domaine de la finance dès lors qu'était respectée la condition expresse de localisation des activités à Londres. Dans cette compétition pour l'attrait des centres de décision, il a d'ailleurs considéré que la France disposait de réels atouts, comme l'attestait le fait qu'elle dispose de champions dans à peu près tous les secteurs d'activité.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Sur ce point, Mme Marie-Thérèse Hermange s'est demandé si les atouts de la France la rendaient pour autant attractive.

Debut de section - Permalien
Franck Riboud

En réponse, M. Franck Riboud a reconnu que la France était perçue comme un pays compliqué, dont le fonctionnement interne était parfois difficile à comprendre, ce qui -à ses yeux- n'avait d'ailleurs pas que des inconvénients. A l'inverse, il a fait valoir que la connaissance de la France aboutissait à mieux en exploiter les atouts, prenant l'exemple du fait que c'est assez naturellement sur le plateau de Saclay que le groupe Danone a décidé d'implanter son centre de recherche.

Répondant à la question relative aux enseignements de l'affaire PepsiCo, il a d'abord rappelé qu'aucune position n'avait été exprimée par Danone pour la simple et bonne raison qu'aucune démarche écrite n'avait été entreprise de la part de PepsiCo et qu'il n'y avait dès lors rien à commenter, sauf à transgresser les règles de gouvernance, ce qui était absolument exclu. Par ailleurs, il a estimé que cette affaire illustrait assez clairement la différence des modes de fonctionnement entre les Etats-Unis et la France, dans la mesure où le fait d'entreprendre une démarche vis-à-vis du seul conseil de la société cible -c'est-à-dire dans un cadre privé- n'est pas considéré outre-atlantique comme une démarche hostile, alors que dans notre pays la simple manifestation de volonté sous forme d'une lettre est considérée comme hostile, quand bien même le conseil n'aurait pas encore exprimé sa position.

Rappelant que le groupe Danone avait depuis toujours été l'objet de rumeurs d'OPA, il a fait valoir que la meilleure défense du groupe ne consistait pas dans la structure du capital mais dans l'existence de bons résultats, eux-mêmes assis sur un ancrage culturel fort. Il a même considéré qu'une protection par le capital serait de nature à légitimer les initiatives hostiles.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Gaudin

Après cette intervention, M. Christian Gaudin, rapporteur, a posé trois questions : la première sur le point de savoir si le capitalisme familial était une façon particulière de faire face à la mondialisation ; la deuxième sur la façon dont les pouvoirs publics pourraient favoriser l'implantation de centres de décision ; et la troisième sur le rôle et l'intérêt des LBO (leverage buy-out, c'est-à-dire des rachats d'entreprises financés par effet de levier).

Debut de section - Permalien
Franck Riboud

A la première question relative au capital familial, M. Franck Riboud a rappelé qu'il n'était pas à proprement parler personnellement concerné puisqu'il s'agissait dans son cas d'une succession dans la conduite de l'entreprise -qualifié de « management familial »- et non d'un héritage dans la détention du capital. En revanche, il a considéré que le capital familial constituait un mode d'organisation spécifique, qui n'était pas forcément le meilleur dans tous les cas, mais qui présentait certains atouts comme celui d'inscrire l'entreprise concernée dans une histoire qu'il convient de faire continuer. L'essentiel des acquisitions de Danone concernant d'ailleurs des entreprises issues du capitalisme familial, il a observé que ces dernières étaient particulièrement sensibles au fait que leur culture soit respectée par le repreneur, notant d'ailleurs que Danone était, par son histoire, très attachée à offrir de telles garanties aux sociétés rachetées par exemple en intégrant les enfants des dirigeants dans l'encadrement du groupe. Il a précisé qu'à conditions économiques égales ceci constituait un avantage incontestable pour Danone face à ses concurrents.

Concernant les moyens d'attirer des centres de décision économique en France, il a estimé primordial de lutter contre des idées reçues dont notre pays est trop souvent victime, estimant pour sa part que les lois sociales françaises n'étaient en rien une gêne au développement des entreprises. Plus précisément, il a considéré qu'il était nécessaire de communiquer sur les atouts de la France, en particulier en termes de logistique, de qualité de l'environnement, de l'éducation et de la main-d'oeuvre, étant entendu que certains pays comme l'Irlande ou la Suisse ont pris de l'avance dans ce type de communication et la mise en valeur de leurs atouts.

A ces atouts traditionnels, il a ajouté l'importance de l'ouverture à la langue anglaise qui est un des critères de l'image internationale d'un pays.

Sur ce point précis, en réponse à M. Philippe Marini, président, qui souhaitait savoir quelle était la langue de travail au siège du groupe Danone, M. Franck Riboud a indiqué que la règle était que les Français devaient comprendre les étrangers lorsqu'ils s'expriment en anglais et que, réciproquement, les étrangers devaient comprendre les Français lorsqu'il s'expriment dans leur langue maternelle, ce code de conduite partant du principe qu'il est moins difficile de comprendre une langue que la parler.

Au sujet de la troisième question du rapporteur relative aux LBO, M. Franck Riboud a estimé que ces derniers ne méritaient ni l'excès d'honneur ni celui d'indignité dont ils étaient parfois l'objet dans la presse économique. Il a rappelé que les LBO étaient nécessairement une formule en plein développement dans la mesure où il existe des liquidités extrêmement abondantes sur le marché mondial, propres à s'investir dans les entreprises et susceptibles de financer des offres pour la totalité des projets de restructuration. Il a admis que les LBO pouvaient avoir l'avantage de permettre à l'entreprise de ne pas être soumise aux pressions de la bourse pendant une période donnée, qui peut être suffisante pour permettre son redressement. En revanche, il s'est déclaré sensible au fait que la direction mise en place à l'occasion d'un LBO poursuit, par définition, des objectifs exclusivement financiers, à l'exception de toute autre considération, dans la mesure où la stratégie même de reprise de la société repose sur le bénéfice d'un effet de levier. Il a ainsi fait valoir qu'un certain nombre de redressements d'entreprises avaient été effectués par des LBO alors qu'ils n'auraient pu l'être à la suite d'une reprise par Danone, compte tenu en particulier des valeurs du groupe qui assortit ses objectifs économiques d'une responsabilité vis-à-vis de la société tout entière.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Sur ce point, Mme Marie-Thérèse Hermange a souhaité savoir si la responsabilité sociale d'une entreprise était liée à la localisation.

Debut de section - Permalien
Franck Riboud

a fait une réponse affirmative, expliquant que, de culture française, il lui était plus facile d'agir utilement au sein de la société française dans la mesure où il en connaissait les fonctionnements, c'est-à-dire pour de simples raisons d'efficacité.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Puis M. Michel Teston, prenant acte du souci du groupe Danone de respecter les différentes cultures d'entreprises, a souhaité savoir si, selon M. Franck Riboud, les groupes installant des centres de décision en France étaient à l'inverse respectueux de la culture de notre pays.

Debut de section - Permalien
Franck Riboud

En réponse, M. Franck Riboud a estimé que les responsables d'entreprises ne se prononçaient pas d'abord par rapport au respect d'une culture mais par rapport à l'intérêt économique représenté par une installation en France et que l'essentiel consistait dès lors à obtenir de bons résultats. Il a indiqué que ce sont en effet ces bons résultats qui amenaient à faire accepter et respecter les modes d'organisation en place, qui peuvent eux-mêmes être liés à une culture particulière.

Plus généralement, il a considéré que la bonne méthode à suivre pour le renforcement de l'attractivité de la France consistait à faire le bilan des atouts et des points faibles de notre pays et à s'attacher à corriger ces derniers, étant entendu que les entreprises procèdent simplement de la même façon pour choisir leur lieu d'implantation.

Il a ensuite évoqué l'importance de la concurrence chinoise, en s'attachant à remettre en cause un certain nombre d'idées fausses relatives à ce pays. Il a ainsi mis en garde contre une sous-estimation des difficultés du marché chinois de la part des petites et moyennes entreprises, reconnaissant que même pour un groupe comme Danone, qui réalise 10 % de son chiffre d'affaires dans ce pays, la Chine demeure complexe, en particulier du fait du grand nombre de sous-marchés locaux ou régionaux régis chacun par des règles très spécifiques. Il a ensuite rappelé que les Chinois étaient loin de se limiter à des productions de faible valeur ajoutée s'accompagnant d'un sous-investissement en capacité de production technologiquement avancée. Il aussi fait valoir que, compte tenu de la taille du marché domestique chinois, qui est potentiellement le premier du monde, les entreprises qui acquerront une position de leader dans ce pays ont vocation à le devenir aussi au niveau mondial. Enfin, il a estimé que les dirigeants chinois étant pleinement conscients que la Chine était aujourd'hui la troisième puissance mondiale, en lice pour devenir la première, il est très probable que l'on assiste d'ici peu à des fusions-acquisitions à l'initiative des groupes de ce pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

Sur la question plus technique de la directive européenne sur les OPA, M. Philippe Marini, président, a interrogé M. Franck Riboud sur l'opportunité du concept de réciprocité mis en exergue pour la première fois dans ce texte et aux termes duquel l'initiateur d'une offre ne bénéfice pas du même traitement selon que son capital est ou non verrouillé.

Debut de section - Permalien
Franck Riboud

a estimé que ce recours à la notion de réciprocité était nécessaire, faisant observer à ce titre que le capital de PespiCo était protégé. Il a ajouté qu'il était nécessaire de disposer en la matière de règles viables et transparentes, permettant par exemple de ne pas laisser demeurer des doutes quant aux intentions des différents acteurs, citant à cet égard l'exemple de la période pendant laquelle les dirigeants de Danone ont pu être suspectés par les autorités françaises d'une certaine implication dans les rumeurs de rachat par PepsiCo.

Plus généralement, il a indiqué qu'au nom de la protection des consommateurs, le droit communautaire ne permettait pas aux entreprises de grandir en Europe, alors qu'il n'interdisait pas aux entreprises originaires de pays tiers de les absorber. Comme illustration du désavantage créé par cette asymétrie, il a expliqué que l'effet combiné de la taille du marché américain, de son homogénéité et du fait que les leaders dans ce pays disposent de parts de marché de 40 à 80 % contre un maximum de 25 à 40 % pour chaque marché national en Europe, les groupes originaires d'Amérique du Nord bénéficiaient d'une rentabilité double de celle des champions européens. Aussi a-t-il suggéré que les règles communautaire de la concurrence soient aménagées afin que le marché pris pour référence ne soit plus celui des différents marchés nationaux mais le marché européen dans son ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

A cet égard, M. Philippe Marini, président, a rappelé que le même type de remarques avait été formulé par les dirigeants CGA-CGM s'agissant du secteur du fret maritime.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Ensuite, Mme Nicole Bricq a posé une question plus spécifique liée au secteur d'activité de Danone et concernant l'existence de droits d'exploitation sur les marques -de l'ordre de 3,5 % du chiffre d'affaires- qui seraient payés à la maison détenant la propriété de celles-ci, par ses différentes filiales. Elle s'est interrogée sur le point de savoir si ces flux financiers pouvaient influer sur l'attractivité des différents lieux de localisation des activités.

Debut de section - Permalien
Franck Riboud

En réponse, M. Franck Riboud a confirmé qu'il existait bien des droits d'exploitation des marques payés par les sociétés filiales, dont le niveau était fixé par le groupe pour les différentes marques et non par des règles fiscales propres aux différents pays. Il a donc considéré qu'il convenait de dissocier ce point de la question plus générale de l'ingénierie financière et fiscale, qui concerne l'ensemble des grandes entreprises et qui vise à optimiser l'organisation des groupes. Il a toutefois précisé que s'agissant de Danone, un certain nombre de systèmes d'optimisation fiscale n'ont pas été acceptés car jugés inéquitables vis-à-vis de la France et du souhait des dirigeants du groupe de contribuer effectivement à la vie de ce pays en particulier à travers le paiement de l'impôt.