Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition conjointe de MM. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, Claude Bartolone, président du conseil général de Seine-Saint-Denis, Gilles Carrez, président du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Michel Dinet, premier vice-président de l'assemblée des départements de France (ADF), président du conseil général de Meurte-et-Moselle, Eric Jalon, directeur général des collectivités locale (DGCL), Pierre Jamet, directeur général des services du conseil général du Rhône, et Gérard Roche, président du conseil général de Haute-Loire, dans le cadre d'une table ronde sur la situation financière des départements.
La commission des finances effectue, depuis plusieurs mois, un suivi de la réforme de la taxe professionnelle, initiée par la loi de finances pour 2010, à travers une série d'auditions et d'ateliers que nous avons organisés ou allons organiser successivement sur la péréquation, les différentes composantes de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau et sur la cotisation économique territoriale.
Notre réunion d'aujourd'hui ne s'inscrit pas exactement dans cette suite. Consacrée à la situation financière des départements, elle a un objet plus large. C'est d'ailleurs ce qui avait été relevé pendant les débats de la loi de finances : les difficultés des départements ne sont pas nées de la réforme de la taxe professionnelle et il aurait été illusoire de vouloir leur apporter une solution à travers cette réforme.
Il s'agit donc bien d'un dossier à part entière qui doit être traité dans sa globalité et sa spécificité. Mais il importe d'abord d'en saisir l'ampleur réelle et de s'accorder sur le constat :
- une progression non maîtrisable des dépenses liées à des allocations universelles - revenu de solidarité active (RSA), allocation personnalisée d'autonomie (APA) et prestation de compensation du handicap (PCH) ;
- et des recettes en baisse, du fait notamment de la crise.
Sur la base des conclusions des missions mandatées sur le sujet, il sera temps ensuite d'ouvrir des perspectives, d'une part sur le financement de la solidarité nationale, et d'autre part sur la redéfinition de nos priorités sociales et de l'adéquation des ambitions et des moyens des politiques menées sur les territoires.
Nous organiserons donc cette table ronde en deux temps. Nous entendrons tout d'abord MM. Gilles Carrez, président du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales et rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Michel Dinet, premier vice-président de l'Assemblée des départements de France (ADF) et président du conseil général de Meurthe-et-Moselle, et Pierre Jamet, directeur général des services du conseil général du Rhône, qui nous exposeront les conclusions et enseignements de leurs différents travaux et rapports. Un débat sera ensuite ouvert selon un jeu de questions-réponses.
Dans un second temps, MM. Claude Bartolone, président du conseil général de Seine-Saint-Denis, et Gérard Roche, président du conseil général de Haute-Loire, nous feront part de la situation de leur département et de leurs préconisations. M. Eric Jalon, directeur général des collectivités locales, nous donnera aussi la vision de l'administration sur la question. Un deuxième échange suivra.
Le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, François Baroin, nous rejoindra un peu plus tard pour clore nos débats et donner le point de vue du Gouvernement.
Je remercie tous les intervenants d'avoir accepté notre invitation et je donne la parole pour dix minutes à Gilles Carrez, qui va nous donner son appréciation sur l'état des finances départementales.
Dans la continuité de la préparation de la deuxième conférence sur les finances publiques, qui doit se tenir le 20 mai prochain et à laquelle les associations d'élus ont contribué, j'établirai un diagnostic global sur les finances locales avant de me concentrer sur la situation des départements, tant au regard des autres collectivités que de leurs relations avec l'Etat.
Tout d'abord, la situation financière de l'Etat contraint à envisager que le périmètre large des concours de l'Etat aux collectivités territoriales, incluant la prise en charge des dégrèvements, évolue, dès 2011, selon une norme de stabilité en valeur. La capacité des différents niveaux de collectivités à faire face à une telle rupture est cependant très variable.
S'agissant du bloc des communes et intercommunalités, les disparités de dépense consolidée par habitant sont considérables. Le rapport entre le premier et le dernier décile est ainsi de 3 pour un pour l'ensemble des communes, de 2 à 2,5 pour les communes de moins de dix mille habitants et de 1,7 pour les communes de plus de 10 000 habitants hors Paris. On constate également une forte corrélation, évaluée à 0,6, entre le niveau des ressources et celui des dépenses par habitant. Les dotations sont à cet égard déterminantes au sein des ressources puisqu'elles ont été constituées très largement par la transformation de pans entiers de la fiscalité locale au cours des dernières années, tels que la part salaires de la taxe professionnelle ou la vignette. On devrait donc probablement accentuer la péréquation à partir de ces dotations, et ne pas se limiter à la redistribution de la croissance annuelle des ressources. Ce nouveau mode de péréquation requerra une analyse fine.
La situation des régions est différente puisque celles-ci demeurent très liées à l'Etat par des politiques conventionnelles. Des ajustements devront sans doute être apportés, notamment sur les infrastructures et les universités.
S'agissant des relations entre l'Etat et les collectivités, deux points majeurs font l'objet d'âpres discussions. En premier lieu, il faut absolument interdire la prolifération des normes et les « transferts rampants », c'est-à-dire la poursuite de l'intervention de l'Etat dans des compétences transférées et l'attribution aux collectivités de politiques que l'Etat pourrait mener lui-même. A ce titre, le comité des finances locales a rejeté hier, à l'unanimité, un décret portant sur les affaires sociales, et je serais amené à examiner plusieurs amendements déposés au projet de loi « Grenelle II » qui ont des incidences sur les finances locales. Il importera également de s'attaquer au « stock » des normes, le travail sur les flux commençant à porter ses fruits. Des progrès ont été enregistrés en matière d'évaluation des normes et des charges, mais le Gouvernement et les parlementaires doivent à présent se montrer plus rigoureux.
En second lieu, a émergé l'idée de réguler la dépense à la source par la mise en place d'objectifs de dépenses locales, à l'image de l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie (ONDAM). Cette démarche me paraît totalement irréaliste et il est préférable de faire le pari de laisser les exécutifs locaux, confrontés à la raréfaction des ressources, décider eux-mêmes les ajustements à réaliser, à la condition que la multiplication des normes et les transferts rampants soient interrompus.
Concernant enfin les départements, je partage l'analyse du rapport de M. Pierre Jamet. Indépendamment des pratiques de bonne gestion qu'il convient de promouvoir, la situation des départements est très contrastée, notamment sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), parfois aggravée par le profil démographique, et elle fait craindre pour certains départements un désajustement structurel entre les recettes et des prestations sociales dont la montée en puissance est récente. Il faut donc traiter rapidement ce grave problème en mettant en place un suivi rigoureux de la situation individuelle des départements.
Dans un contexte de « politique de sécurité sociale territoriale » - l'expression est de M. Claude Bartolone - soit on considère que les départements sont les gestionnaires d'une politique définie au niveau national et ils doivent bénéficier des moyens correspondants, soit les politiques sociales relèvent de l'initiative des collectivités territoriales et les départements doivent alors disposer de marges de manoeuvre qu'ils n'ont pas aujourd'hui. A titre personnel, je me demande si la collectivité nationale pourra durablement assumer les prestations créées ces dernières années. Il reste que certains départements ne pourront objectivement pas s'en sortir à court terme et cette situation est bien un enjeu national, qui ne pourra être traité simplement par la péréquation.
Les dépenses sociales mobilisent près des deux tiers des budgets de fonctionnement des départements. On peut se demander si les départements sont devenus des opérateurs de l'Etat, de quasi établissements publics, ou s'ils sont encore des collectivités territoriales à part entière.
Une agence de notation s'est récemment demandée si les finances des départements sont irrémédiablement menacées par l'évolution des prestations de solidarité. Ainsi que je l'ai abordé dans mon récent rapport « Vivre ensemble dans une société solidaire », il s'agit autant d'une question de financement, spécifique aux départements, que de société, sur la capacité de notre pays, dans le cadre du pacte républicain, à servir des allocations qui constituent des droits universels et reposent sur la solidarité nationale. Or trois prestations créées au cours des dernières décennies - l'APA, la PCH et le RMI puis le RSA - sont de même nature puisqu'elles sont versées sur tout le territoire et sur une base individuelle, et que leurs règles d'octroi sont fixées au niveau national. Elles sont en cela spécifiques et s'imposent aux budgets départementaux.
L'approche consistant à considérer le département comme un opérateur de politique sociale présente des risques car elle pourrait conduire à ce que des prestations, correspondant à des droits universels, soient différenciées selon les territoires. Mais si l'assiette de financement doit demeurer nationale, les départements pourraient être localement responsables de l'accueil et de l'information des personnes comme de l'élaboration et du suivi des plans d'aide et des parcours d'insertion.
Il est également difficile d'objectiviser ces dépenses dans des indicateurs de bonne gestion puisque leur volume est avant tout lié à la situation économique et démographique locale. Ainsi le décalage entre les dépenses budgétées et réelles est très important puisqu'il était évalué à 4 milliards d'euros fin 2009 au niveau national. En Meurthe-et-Moselle, il a atteint 153 millions d'euros et a été compensé par une augmentation de la fiscalité locale. Cette marge de manoeuvre est cependant épuisée et l'autonomie fiscale des départements s'est réduite, de sorte que je crains de ne plus être en mesure, dès 2011, d'inscrire au budget toutes les dépenses sociales obligatoires. Plusieurs associations représentatives des publics concernés manifestent aussi leur inquiétude sur une possible évolution vers la différenciation des prestations selon les départements.
Le débat sur le périmètre de ces prestations sociales et leurs modalités de financement doit être conduit par le Gouvernement et la représentation nationale, mais il me semble que l'ADF pourrait initier une réflexion sur l'inscription des dépenses afférentes à ces trois prestations dans un budget annexe étanche, non fongible avec le budget général du département. A la différence d'autres politiques telles que la construction et la réhabilitation des collèges, les exécutifs locaux sont liés par le caractère universel et obligatoire de ces prestations.
Il faut régler la question de ces allocations individuelles avant d'aborder les autres problèmes, par exemple les transferts de personnels et de la compétence sur les routes, ou le renouvellement permanent des normes de sécurité.
La spécificité des départements réside effectivement dans l'octroi des prestations sociales individualisées, dont ils ne maîtrisent ni le périmètre ni l'évolution ou les critères d'éligibilité. Dans la plupart des pays européens, ces prestations ont d'ailleurs été transférées aux collectivités locales car elles se distinguent des prestations de sécurité sociale, fixées par un barème, en ce qu'elles supposent une appréciation individuelle de la situation et de l'environnement socio-économique du bénéficiaire.
Ces prestations ne sont pas non plus assimilables entre elles, même si elles ont pour point commun d'avoir été largement sous-évaluées lors de leur adoption par le Parlement, de 30 % environ s'agissant de l'APA. Si on ne peut réellement prédire où s'arrêtera l'extension du champ des personnes éligibles à la PCH, compte tenu des perspectives ouvertes par la loi du 11 février 2005 sur les personnes handicapées, l'évolution de l'APA peut être mieux anticipée, en fonction des tables démographiques. Le RSA est quant à lui lié au cycle économique et sa forte augmentation est corrélée à la crise, mais la progression du « RSA socle », qui est à la charge des départements, est largement supérieure aux prévisions initiales. La sensibilité des départements à l'évolution de l'une ou l'autre de ces prestations est donc très variable, ce qui implique un suivi attentif de leur capacité à faire face aux surcroîts de dépenses dans les deux années à venir.
Troisième observation, je constate une réelle méconnaissance des réalités locales et un manque de réactivité au sein de l'administration centrale, faute de disposer d'instruments de gestion des politiques décentralisées. Cette carence, qui avait déjà été constatée pour le RMI, est encore aggravée s'agissant du RSA.
Quatrième point, j'ai proposé de modifier les structures budgétaires afin de distinguer ce qui relève des obligations légales, de l'autonomie des départements et des dépenses contraintes par la contractualisation avec les structures publiques. Ces dernières s'imposent aux départements avec une certaine « brutalité », tant en termes de montant que d'échéances.
La réflexion globale sur le financement de ces dépenses, au-delà de 2011, s'impose aussi car on ne dispose plus d'aucune lisibilité sur les recettes des départements, dont l'autonomie fiscale a été significativement réduite. En outre, les récentes simulations de l'administration étaient incomplètes et comportaient de nombreuses erreurs. La reprise des recettes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) depuis le début de 2010 est très inégale selon les départements - recul pour certains, progression de près de 40 % pour le Rhône - et leur évolution au regard des recettes globales de fonctionnement, dès avant la crise, a masqué la réalité du financement des dépenses sociales.
Enfin je suis convaincu de la nécessité d'élaborer des référentiels et « grilles de lecture » par prestation et par niveau démographique ou socio-économique plutôt que des standards précis de comparaison entre départements.
Après ces trois prises de paroles, je crois qu'il y a un diagnostic partagé : les départements sont à la veille de subir un effet de ciseau qu'ils ne pourront pas surmonter sans une réforme structurelle de leur mode de financement. Bien évidemment, tous doivent faire des efforts de maîtrise des dépenses publiques. La période 2010-2011 constitue un moment où il sera possible d'affiner le diagnostic. On constate également des inégalités flagrantes, notamment dans la part des DMTO que perçoit chaque département. Il en va de même pour la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour laquelle il subsiste un élément forfaitaire qui date de 1992 et qui est, en soi, une véritable injustice, notamment entre les départements ruraux.
Je relève trois points particulièrement importants qui résultent du début de la table-ronde. En premier lieu, il existe une contrainte globale, indiquée par M. Gilles Carrez. Les collectivités territoriales doivent travailler à masse constante de tous les transferts de l'Etat dans un contexte d'un chemin de convergence de nos finances publiques. Réformer sous une contrainte de constance en euros courants est un exercice particulièrement difficile. En second lieu, je voudrais souligner l'urgence du texte sur le cinquième risque. Il s'agit d'un élément important de visibilité qui nous manque quand nous traitons des finances départementales. Afin de dégager des marges de manoeuvre sur ce sujet, notre mission commune d'information au Sénat avait notamment évoqué la solidarité intergénérationnelle, c'est-à-dire le gage sur successions, qui permettrait de rééquilibrer les balances de cette fonction sociale qui est naturellement de plus en plus nécessaire. Elle pèse d'ailleurs tout particulièrement sur les petits départements ruraux et vieillissants.
En troisième lieu, je tiens à souligner la différence entre dépenses de guichet et dépenses autonomes. Les premières doivent être financées par des ressources identiques partout sur le territoire pour la mise en oeuvre des mêmes droits pour tous. A contrario, les dépenses autonomes doivent être financées par des ressources autonomes pour autant que la collectivité en prenne la responsabilité vis-à-vis de son corps électoral. A ce titre, je suis convaincu qu'il existe des marges de manoeuvre, même si elles sont certainement inégales selon les départements.
Je souscris à l'idée de sortir les trois allocations des comptes des départements. Mais en ce cas, il faut également mettre en place un ticket modérateur qui empêchera les dérives et sera un facteur de responsabilisation. D'ici deux ans, les départements ne seront plus en mesure d'autofinancer ces dépenses de guichet, sauf, peut-être, une dizaine d'entre eux très bien pourvus. Il apparaît crucial d'interdire la production de normes nouvelles. Il ne faut toutefois pas être naïf : la réalité est plus ambivalente. Des normes, que, par ailleurs, nous votons, apparaissent tous les jours. Dans un tel contexte, il ne semble pas possible de maîtriser la dépense car tout concourt à une augmentation des charges.
J'adhère entièrement à la proposition de sortir les trois allocations des comptes des départements. Il serait également possible de rétablir les droits de succession. Je rejoins M. Philippe Adnot sur la question des normes. Tous les jours, des normes nouvelles « tombent » sur les collectivités territoriales et nous y participons allègrement. Je voudrais aussi insister sur la situation des services départementaux d'incendie et de secours. Ils sont parfois sous la tutelle partagée des communes, des départements et de l'Etat ce qui, au final, nuit à la bonne maîtrise d'un secteur qui est pourtant essentiel aux yeux des Français. Il en va de même pour les polices municipales.
La situation est grave. J'ai quitté mes fonctions de président de conseil général de la Charente-Maritime, il y a deux ans, avec un ratio de solvabilité s'élevant à deux ans. Je vivais le département comme un outil extraordinaire pour aménager un territoire. En deux ans, le reversement de la situation a été total. Le ratio de solvabilité s'élève désormais à huit ans à cause de la baisse de l'autofinancement et de l'augmentation de la dépense non maîtrisable. La situation se dégrade à une vitesse colossale. D'ici deux ans, mon département aura atteint le maximum de ce qu'il est possible d'emprunter et il aura dû renoncer à tout projet d'investissement.
Il faut rétablir le ticket modérateur car je constate que la logique des guichets ouverts conduit à accorder abusivement trop de prestations. Pour l'APA, je note également un phénomène inquiétant. Les départements qui engrangent les ressources ne sont pas toujours ceux qui payent in fine. Par exemple, après leur vie active, de nombreuses personnes reviennent s'installer dans un département rural, qui doit leur verser l'APA. Or ces personnes ont contribué au financement de cette prestation dans un département plus peuplé. Avec de tels schémas, certains départements vont être ruinés.
Je suis d'accord avec l'idée qu'il faut sortir l'APA, le RSA et la PCH des comptes des départements. Sans quoi, à terme, nous nous exposons à des conséquences catastrophiques.
Pour autant, il me semble trop facile de demander à l'Etat de prendre en charge ces prestations alors qu'il a lui-même perdu près de 25 % de ses recettes fiscales avec la crise. Nous devons tous devenir responsables. Les départements doivent moins gaspiller l'argent public. Le citoyen doit également être plus responsable et ne pas abuser du guichet ouvert. Plus globalement, l'ensemble de la nation doit, d'urgence, ouvrir les yeux : on ne peut plus vivre comme avant.
Aujourd'hui, onze départements connaissent une grave crise. Je crains que, demain, ce chiffre soit beaucoup plus élevé.
Avant les années 2000, les allocations départementales étaient des allocations de secours destinées, par exemple, à la protection de l'enfance. A partir de 2001 et la création de l'APA, nous sommes subrepticement entrés dans une dimension nouvelle : les départements sont devenus pourvoyeurs de prestations universelles. Le RMI-RSA et la PCH s'inscrivent dans ce parcours.
Nous savions, dès l'origine, que ce changement aurait des conséquences profondes puisque l'APA n'a jamais été financée à 50 % et la courbe démographique conduisait naturellement à une augmentation de la dépense.
Il faut s'interroger sur le retour au système originel dans lequel la vocation du département serait de financer la protection dépendance pour ceux qui ne peuvent pas se l'offrir. Pour le reste de la population, il serait souhaitable de développer un mécanisme assurantiel relevant de la responsabilité individuelle. Aujourd'hui, le vieillissement de la population est tel qu'aucun système public ne pourra, à lui seul, assurer le financement de la dépendance. La fiscalité n'y suffirait pas.
Nous partageons la même analyse. Je m'inquiète cependant de la piste, évoquée ici et là, de la création d'un ONDAM pour les collectivités territoriales. Une telle solution serait aberrante et irréaliste puisque les ONDAM ne sont jamais respectés. Il sera difficile d'arrêter les nouvelles normes et les transferts rampants.
Surtout, il ne faudrait pas que la discussion prospective nous conduise à tirer un trait sur le passé. Les difficultés actuelles de certains départements proviennent largement du fait qu'ils ont dû supporter des dépenses qui relevaient de la solidarité nationale et qui, pourtant, n'ont pas été compensées par l'Etat. Il serait vivement souhaitable que les départements puissent récupérer, au moins une partie, des quatre milliards d'euros qu'ils ont avancés à ce titre. Il ne sera pas aisé de régler les problèmes qui sont devant nous mais les difficultés passées ont pesé sur les finances départementales et ont laissé des traces durables.
La seconde table-ronde va nous permettre d'entendre deux présidents de conseils généraux qui ont connu des difficultés pour élaborer leurs budgets.
Nous ne disposons pas de deux ans devant nous pour observer l'évolution des finances départementales. Dans deux ans, nous serons nombreux à être morts. Je ne peux pas accepter que l'on disqualifie la parole des présidents de conseils généraux en leur opposant systématiquement des arguments de mauvaise gestion. Dans le cas de la Seine-Saint-Denis, la critique qui nous est faite concernant le niveau des charges salariales ne tient pas compte du fait que nous avons hérité de l'ancien département de la Seine une compétence spécifique en matière de politique de la petite enfance et un nombre de crèches important.
Les départements constituent un filet de protection sociale. D'un coté, nous avons l'obligation de payer l'APA, la PCH et le RSA. De l'autre, rien ne nous laisse espérer une amélioration de la situation économique. Les dépenses vont donc augmenter ou, à tout le moins, rester à un niveau élevé. La situation devient inextricable, d'autant plus que la Seine-Saint-Denis est à la fois le département le plus jeune et le plus pauvre de France. L'écart entre ce que donne l'Etat sur ces prestations obligatoires et ce qu'elles coûtent est de 700 millions d'euros sur un budget de 1 580 millions d'euros. Je devrais, par ailleurs, avoir l'obligation de programmer la construction et la rénovation de dix collèges pour répondre à l'évolution démographique du département. Mais, aujourd'hui, compte tenu du niveau de dépenses sociales obligatoires, des difficultés économiques que nous connaissons et du manque de recettes, nous sommes obligés, pour essayer d'équilibrer le budget, de réduire l'investissement. Nous ne sommes ainsi pas en mesure d'accueillir dans de bonnes conditions les élèves des collèges pour les années qui viennent.
Quelle est la marge de liberté dont disposent encore les collectivités locales dans leur gestion budgétaire ? Les dépenses non obligatoires, comme la culture ou le sport, deviennent des variables d'ajustement. Par ailleurs, l'Etat exerce un véritable « chantage » qui est bien connu, quand il exige des cofinancements sur des projets d'investissements. Nous l'avons vu pour le plan Universités ou les transports. En Seine-Saint-Denis, avec la présence de l'aéroport de Roissy, nous devons aussi supporter les coûts résultant de la présence de nombreux mineurs isolés étrangers, sans aucune compensation de l'Etat. Or dans le même temps nos recettes ont été amputées par la suppression de la taxe professionnelle, alors que l'on continue à nous maintenir le ticket modérateur et que le nouveau fonds de péréquation des DMTO va prélever 50% de l'augmentation de leur produit, sans tenir aucun compte de nos charges. Le système de péréquation doit être revu et il faut partager également les dépenses de prestations. Sinon, malgré la hausse de la fiscalité et la baisse de nos dépenses de fonctionnement, la situation restera ingérable.
Je salue l'arrivée du ministre M. François Baroin. A ce stade de nos débats, nous avons évoqué la perspective d'une stabilité des dotations de l'Etat aux collectivités locales pour 2011, mais aussi la nécessité d'en revoir la répartition. Nous avons également abordé la question d'une distinction plus affirmée entre les dépenses obligatoires, pour lesquelles les conseils généraux agiraient, en quelque sorte, comme des opérateurs de l'Etat, et les dépenses autonomes. Enfin, tous les participants ont relevé l'urgence à traiter la situation des départements et la réduction de leurs marges d'autonomie.
Je suis un peu le « petit poucet » de cette réunion ! Par rapport à la déclaration de M. Claude Belot, il est important de souligner la compétence historique des départements qui sont chargés de soutenir et d'animer les territoires. S'ils devaient limiter leur action en ce domaine, ce serait catastrophique pour la fracture territoriale, surtout dans les zones rurales.
Dans mon département, nous avons établi une projection budgétaire précise jusqu'en 2014. Résultat : en 2011, nous n'avons plus d'épargne nette, en 2012, plus d'épargne brute c'est-à-dire que nous ne pouvons plus payer notre dette, et en 2014, il nous manque 7 millions d'euros pour boucler le budget de fonctionnement !
Face à cette situation nos trois objectifs sont de faire des économies, grâce à une baisse annuelle de 3% des dépenses de fonctionnement, de nous faire entendre pour que soit mise en place une péréquation dynamique et d'agir pour obtenir un financement supportable des trois prestations. Celles-ci représentent en 2010 un surcoût de 32 millions d'euros non compensés sur un budget global de 240 millions d'euros. Comme département rural, nous avons de plus le problème des agriculteurs au forfait qui seraient susceptibles de bénéficier du RSA « socle » qui est de ce fait une vraie « bombe à retardement ». Il est nécessaire de prendre en compte le cinquième risque mais il est urgent de régler d'abord la question de ces prestations.
Le fait que je me sois associé à la démarche de mes collègues présidents de conseils généraux a pu surprendre, mais je considérais que l'on ne prenait pas en compte l'urgence ni le caractère catastrophique de la situation.
Il serait trop facile de limiter ce débat à une opposition gauche/droite alors qu'il s'agit d'un débat de fond entre conseils généraux et l'Etat. Je suis personnellement très fier de m'être associé à cette démarche.
Je reviens sur la notion de dignité évoquée par mon collègue. Aujourd'hui il m'est impossible de garantir la sincérité de mon budget et la réalité de son équilibre, mais je trouve insupportable la présomption de mensonge que certains font peser sur les déclarations des responsables des départements. S'agissant de la proposition de ticket modérateur sur les prestations dépendance, je vois mal comment on pourra le calculer ! En tout cas, il n'est pas possible de refuser d'informer les bénéficiaires potentiels sur de nouvelles prestations dans le seul but de ne pas déséquilibrer les comptes !
Les grandes réformes exigent que l'on sorte de considérations trop marquées politiquement.
Il m'est difficile de répondre aux problématiques que vous soulevez car elles relèvent plutôt du directeur général de la cohésion sociale. Je dois cependant souligner que l'effet de ciseau est ancien. Il date du début des années 2000 et la baisse des DMTO n'en a été que le révélateur. En outre, s'il y a bien un lien entre la diminution de la capacité d'autofinancement des départements et l'évolution des trois prestations, il n'y a pas une adéquation parfaite entre la situation financière d'un département et son exposition à ce type de dépenses. Il faut aussi tenir compte des choix de gestion. Une approche plus fine distinguant les situations particulières est donc indispensable.
La part de l'aide sociale dans les budgets départementaux a augmenté de 50 % en dix ans. Et en situation de crise, ces dépenses progressent encore alors que nos recettes diminuent. J'en appelle à l'esprit de responsabilité des élus nationaux.
Je veux intervenir après les propos du président du conseil général de Haute-Loire. Il a insisté sur le rôle d'aménageur des départements. La crainte des communes est effectivement très grande au sujet des répercussions sur les budgets communaux des difficultés financières des départements et d'une diminution de leur participation. Je crois aussi à la nécessité d'une réforme globale notamment sur le cinquième risque et si nous sommes en difficulté, c'est que nous avons trop attendu, ce qui nous contraint de mener toutes les réformes, dont celle des retraites, en même temps. Les parlementaires, sur ce sujet comme sur d'autres, ne doivent plus tenir des discours différents selon leurs interlocuteurs, mais je mesure que la tâche qui nous attend est immense.
Nous sommes mis au défi de montrer que nous sommes capables de faire vivre la démocratie dans des temps difficiles et de faire preuve d'imagination. L'exemple des maisons d'assistantes maternelles, que nous avons ouvertes en Mayenne....
Cet exemple montre que l'on peut se dégager de réglementations et de procédures inutilement contraignantes et inventer des solutions adaptées et innovantes. Mais pour les maisons d'assistantes maternelles, il a fallu le vote d'une proposition de loi. Il faut aussi cesser de produire en permanences de nouvelles normes, comme sur les détecteurs de fumées, les produits « bio »...
Je suis élu local depuis quinze ans et je connais bien la schizophrénie permanente de l'élu local dans ses fonctions nationales...Je ne laisserai pas sans réponse la démarche engagée par plusieurs présidents de conseils généraux et, notamment, M. Claude Bartolone. Nous sommes à un rendez-vous historique sur la question des déficits et des relations entre l'Etat et les collectivités territoriales. C'est le principe d'une responsabilité partagée que nous ferons prévaloir en loi de finances pour 2011. Mais il faut avoir l'honnêteté de reconnaître que toutes les collectivités territoriales n'ont pas été vertueuses, et M. Claude Bartolone est bien placé pour le savoir comme héritier d'une gestion longtemps non-vertueuse.
La situation que connaît la Grèce a conduit à faire jouer la solidarité européenne, mais elle inquiète aussi l'ensemble de la collectivité nationale et nous impose un devoir de responsabilité. Dans ce contexte, même si les arbitrages n'ont pas encore été rendus, je vous indique que je suis missionné pour établir des propositions budgétaires compatibles avec les engagements européens de la France, et donc, que j'examinerai sérieusement la piste de l'évolution à zéro valeur proposée par Gilles Carrez pour les concours de l'Etat aux collectivités territoriales. Mais cette perspective est indissociable d'un approfondissement de la péréquation.
Pour les départements qui sont dans de grandes difficultés budgétaires, nous mettrons en place des solutions rapides.
Quelques éléments de fait doivent être rappelés : en premier lieu, les départements ont fait appel à de nouvelles recettes fiscales. L'Etat, pour sa part, a respecté strictement ses obligations constitutionnelles de compensation qui représentent 10 milliards d'euros au total depuis 2002. Nous avons également reconduit le Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion (FMDI) à hauteur de 500 millions d'euros en 2010 et nous avons prévu une clause de rendez-vous lors de la création du RSA.
Quant à l'augmentation des prestations, elle est d'abord la conséquence de la crise qui a entraîné l'augmentation du nombre de chômeurs en même temps que la diminution de nos recettes fiscales. L'évolution démographique est un mouvement de fond qui impacte la prestation dépendance mais aussi les dépenses de logement et les retraites. Les dépenses de l'APA pourraient effectivement être mieux maîtrisées par les départements. Le premier ministre fera des propositions dans ce domaine dans les prochains jours.
La question des finances des départements n'est pas un débat gauche-droite. Elle appelle à une réflexion très large sur les inégalités géographiques et leur prise en compte à travers la péréquation. Quant à l'application des normes, c'est un domaine qui pourrait être source d'économies considérables et dans lequel l'Etat doit être exemplaire.
Ces propos sont encourageants et démontrent qu'il existe des moyens d'améliorer la gestion. Je cède la parole à Gilles Carrez pour tirer les enseignements de cette table ronde.
La réunion a été utile et très constructive. Elle a permis d'aborder les réalités concrètes et de poser en même temps des questions plus générales, celles de la solidarité nationale, de l'équité intergénérationnelle, du niveau des curseurs de la législation nationale. Ces allers-retours entre les expériences diverses des départements et la dimension nationale renforce l'esprit de responsabilité de ceux qui exercent à la fois des fonctions locales et des mandats nationaux. Si le mouvement de ciseau est ancien, sa prise de conscience est récente car on mesure désormais sa violence et sa rapidité. Il y a donc urgence à prendre des mesures immédiates, mais cela ne doit pas empêcher une réforme plus globale, notamment sur la dépendance. Le sujet des finances des départements mérite d'être abordé dans le cadre d'une approche non partisane et cela part d'un diagnostic partagé.