Déposé le 6 mars 2015 par : MM. Charon, Bas, Bizet, Bouchet, Calvet, Cardoux, Chaize, Commeinhes, Dallier, Danesi, Mme Deromedi, MM. P. Dominati, de Nicolay, B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam, M. Gilles, Mme Hummel, MM. Husson, Lefèvre, Leleux, Mandelli, Mmes Morhet-Richaud, Micouleau, MM. Mouiller, Nougein, Pierre, Mme Primas, M. Revet, Mme Troendlé, MM. Vogel, Milon, Dufaut.
Supprimer cet article.
La possibilité de remplacer, dans les départements d'outre-mer, les jours fériés exclusivement d'origine chrétienne « afin de tenir compte des spécificités culturelles, religieuses et historiques de ces territoires », est une initiative lourde de conséquence. Ni plus, ni moins elle risque d'aboutir à un calendrier à la carte, introduisant la confusion dans la population française, et débouchant sur une société fragmentée, profondément incertaine dans son identité. Une telle initiative offre l'image d'une société divisée qui ne sait pas affirmer ce qui la structure. Pire: elle engage la République dans la voie du détricotage assumé, au moment où la défense de son unité, tant dans l'espace (unité du territoire de la République) que dans le temps (continuité de l'histoire de France), s'avère nécessaire.
En outre, le calendrier est une institution symbolique, et l'on sait - ô combien - que les symboles façonnent et structurent les hommes. Toucher aux symboles, c'est mutiler ouvertement le patrimoine culturel, moral et spirituel d'une nation, qui est en quelque sorte son code génétique. Ce serait ni plus, ni moins une capitulation pour la République. Or, les grandes défaites des civilisations se font d'abord par des symboles qui sont tout, sauf anodins. On ne demande pas au législateur de traduire ce malaise sur l'identité française, pas plus qu'on ne demande aux hommes politiques d'être à la remorque d'une crise de civilisation.
Le calendrier de la République s'est, en partie, calqué sur le calendrier liturgique chrétien, et il n'y a pas de raison qu'il en aille autrement. Ce serait nier la continuité de l'histoire de notre pays et oublier les matrices suffisamment solides et établies sur lesquels il repose. Cette imprégnation est telle qu'il serait aberrant d'y revenir. Ainsi, le dimanche est un jour normalement chômé - les exceptions restent encadrées et font l'objet de contrepartie (augmentation du salaire, récupération) - : personne n'a remis en cause cette réalité, pas même les esprits les plus chagrins et sourcilleux attachés à la laïcité. Mieux: en 2004, lors du débat sur le lundi de Pentecôte, on avait trouvé des partisans de son maintien, y compris dans des milieux étrangers à la tradition chrétienne. De même, les populations d'outre-mer, dont certains se croient les porte-paroles, ne se sont nullement insurgées contre le caractère de fête légale reconnu à certains événements qui font la vie chrétienne. La remise en cause partielle ou totale du calendrier n'a jamais été heureuse: le décadaire révolutionnaire a privé les Français de jours de repos par des semaines plus longues... Le calendrier de la République appartient à tout le monde et sa force réside dans son unicité. Un calendrier perd sa force quand il commence à devenir modulable et adaptable. La volonté affichée de soutenir le « vivre ensemble »devrait être cohérente avec ce qui est l'un des meilleurs moyens de la garantir: un calendrier unique et non négociable.
Quant à invoquer le respect des spécificités d'outre-mer, il faut noter que cette objection ne manque pas de piquant. En premier lieu, les populations n'étaient nullement désireuses de cette prise en compte, qui semble davantage traduire un parisianisme que l'aspiration de populations heureuses de vivre dans le cadre français et républicain. En outre, il faut noter que le désir de s'inscrire dans la République est allé croissant dans ces départements d'outre-mer. Ainsi, faut-il rappeler qu'à Mayotte, on tend à aligner le statut civil local sur celui prévu dans le code civil ? On comprend mal cette disposition qui s'inscrit au rebours d'une logique d'identification, et non de dissociation ou de séparation. L'analogie avec le droit alsacien-mosellan est par ailleurs malvenu : si le 26 décembre et le vendredi saint sont fériés dans les trois départements d'Alsace-Moselle, c'est bien en vertu d'un usage antérieur, qui existait au moment où ces territoires ont été rattachés à la France, en 1918. Or, à l’article 82 bisdu projet de loi Macron, il s'agit d'introduire quelque chose qui n'existe pas, et non de prendre en compte une réalité préexistante. D'autre part, on ne voit pas ce qui empêcherait d'étendre cette exception ultramarine aux départements métropolitains.
Enfin, invoquer l'idée que le lundi de Pâques ou que le lundi de Pentecôte ne sont pas des fêtes d'obligation n'est pas un argument opérant: on doit rappeler que le calendrier liturgique reconnaît ces jours. Il y a bien un lundi de Pâques ou un lundi de Pentecôte nommés comme tels. Le lundi de Pentecôte se rattache au triduumde Pentecôte (des pèlerinages ont même lieu durant ces trois jours). On voit bien que les objections ne tiennent pas. Si l'on poussait le réalisme à son comble, il faudrait également prendre en compte les fêtes d'obligation non reconnues dans le calendrier républicain, mais ayant une grande signification religieuse. Dans ce cas, pourquoi ne pas admettre le remplacement des jours fériés dont la permutation est permise au profit du mercredi des cendres, du vendredi saint ou de l'immaculée conception, fêtes également importantes et temps spirituellement forts pour les chrétiens ? Qu'est-ce qui empêcherait de troquer le lundi de Pâques pour le vendredi saint ? Après tout, le vendredi saint est reconnu dans certains pays d'Europe. L'argument fondé sur la prise en compte des spécificités présente donc de sérieuses limites.
Il convient donc, par sagesse, de ne pas toucher aux jours fériés actuels comme le permettrait cette permutation, et de laisser le statu quo. Parce que cette disposition est lourde de conséquence, cet amendement demande la suppression de cet article.
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