Déposé le 4 décembre 2019 par : Mme Lamure, M. Adnot, Mmes Berthet, Billon, M. Bouchet, Mme Canayer, MM. Canevet, Cadic, Mme Chain-Larché, M. Danesi, Mme Deromedi, MM. Forissier, Gabouty, Mme Gruny, MM. Kennel, Daniel Laurent, Le Nay, Mme Morhet-Richaud, MM. Nougein, Paul, Vaspart, Mmes Laure Darcos, Puissat, MM. Gremillet, Bernard Fournier, Mouiller, Mmes Imbert, Bruguière, MM. Cambon, Brisson, Chatillon, Longuet, Mmes Micouleau, Lavarde, Dumas, Bonfanti-Dossat, MM. Charon, Rapin.
Après l’article 54
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 64 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction résultant de l’article 109 de la loi n° 20181317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, est abrogé.
La procédure de l’abus de droit de l’article L.64 du Libre des procédures fiscales (LPF) permet à l’administration de sanctionner en majorant de 80% des droits lorsqu’elle prouve qu’une opération a un caractère exclusivement fiscal. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement de cet article, le litige est soumis, à la demande du contribuable (ou de l’administration), à l'avis du Comité de l'abus de droit fiscal. La loi de finances pour 2019 a inversé la charge de la preuve qui incombe dorénavant à l’administration.
Par ailleurs, la même loi de finances pour 2019 a transposé l'article 6 de la directive du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale dite « ATAD » (anti tax avoidance directive). Le nouvel article 205 A du Code général des impôts (CGI) prohibe les montages dont l’objet principal est d’obtenir un avantage fiscal, en introduisant une clause anti-abus général en matière d'impôt sur les sociétés. Il permet de rectifier l’assiette de l’impôt sans pour autant sanctionner l’entreprise concernée.
Sur une initiative parlementaire ayant reçu l’avis favorable du Gouvernement, l’Assemblée nationale a introduit, à l’article 109 de la loi de finances pour 2019, a ajouté un article L.64 A au LPF pour étendre la procédure d’abus de droit aux opérations qui ont un motif principalement fiscal et non plus exclusivement fiscal. Cependant, l’article 1729 du CGI n’ayant pas été modifié par coordination, la majoration de 80% n’est pas applicable aux montages à but principalement fiscal. L’article L.64 A constituerait une règle d’assiette n’entraînant pas en tant que telle l’application automatique de sanctions fiscale, comme l’a estimé l’an dernier notre commission des Finances[1].
La coexistence de ces trois procédures suscite une vive émotion dans le monde économique et les entreprises.
Puisque désormais l’administration fiscale dispose d’une procédure permettant de poursuivre des pratiques abusives à finalité principalement fiscale (article 205A CGI), elle n’a plus aucun intérêt à utiliser l’article L.64 LPF qui exige de caractériser un acte exclusivement fiscal. La nouvelle procédure risque de « cannibaliser » l’ancienne. Cette incohérence affaiblit par ailleurs le contrôle fiscal dans la mesure où la pénalité de 80% ne serait plus applicable.
Par ailleurs, l’administration fiscale a, dans une instruction fiscale du 3 juillet 2019, exclu du champ d’application de l’article L.64 A l’impôt sur les sociétés, au motif qu’il serait désormais traité exclusivement par l’article 205 A CGI.
Une telle interprétation restrictive, qui ne trouve aucun fondement dans les travaux préparatoires, aboutit à priver une entreprise de son droit de saisir le Comité de l’abus de droit fiscal, alors qu’elle pourra continuer à le faire si la contestation de l’administration fiscale concerne les bénéfices industriels et commerciaux ou les compléments de TVA. La situation est d’autant plus absurde que lorsque l’article L.64 A entrera en vigueur au 1er janvier 2020, les entreprises pourront à nouveau, en matière d’IS, saisir le Comité de l’abus de droit.
Il existe en outre une incertitude juridique pour savoir de quelle procédure sont justiciables les actes passés en matière d’impôts sur les sociétés pendant l’année 2019.
La coexistence entre des clauses anti-abus de droit générales et spécifiques va donner lieu à un fort contentieux. Deux thèses s’affronteront : celles de l’éviction (la clause spécifique l’emporterait sur la clause générale) et celle de la complémentarité, avec des champs d’application procédurale et des pénalités différentes.
Enfin, le caractère de règle d’assiette de l’article L. 64 A est mis en doute, puisque son texte permet à l’administration d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui ont pour motif principal d’éluder l’impôt. Or, le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision n°2016-744 DC du 29 décembre 2016, que si le législateur dispose de la faculté de modifier les règles applicables à la détermination du champ d’application d’un impôt, il ne peut, sans méconnaître l’article 34 de la Constitution, subordonner à l’assujettissement à l’impôt à la décision de l’administration d’engager une procédure de contrôle.
On est donc loin de la simplification fiscale et de la stabilité juridique.
La suppression de cette incohérence législative et de son interprétation contestable par l’administration fiscale permettait au Sénat d’adresser un message rassurant pour les entreprises, en simplifiant les procédures anti-abus, tout en maintenant –voire renforçant- leur efficacité en matière de lutte contre l’évasion fiscale.
[1]Rapport général n° 147 (2018-2019) de M. Albéric de MONTGOLFIER, fait au nom de la commission des finances, déposé le 22 novembre 2018, p.47.
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