Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 30 mars 2011 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • britannique
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  • climatique
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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Madame, vous êtes la fondatrice et la directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) à Paris. Vous avez participé aux négociations internationales sur le changement climatique. Vous êtes également directrice de la chaire Développement durable de Sciences Po.

Vous avez fait partie de la commission du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France. De mai 2009 à mai 2010, vous avez dirigé la nouvelle Direction des biens publics mondiaux du ministère des affaires étrangères et européennes.

Au regard des négociations climatiques, l'année 2010 a commencé en décembre 2009 à Copenhague, avec un accord à minima qui semblait mettre à mal le cadre international de négociation développé depuis 1992. Elle se termine à Cancún au Mexique en décembre 2010, avec l'adoption d'une déclaration globale, incluant de nombreuses avancées. Vous nous direz ce qu'il faut penser de ces avancées et comment expliquer cette évolution, mais également quelles sont les perspectives de la prochaine conférence de Durban où se jouera le futur du protocole de Kyoto, dont le mandat s'achève en 2012.

Debut de section - Permalien
Laurence Tubiana, directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales

En introduction, je voudrais rappeler l'importance du sommet de Copenhague. Ce sommet est le premier rendez-vous international où la lutte contre le réchauffement climatique n'est plus traitée comme une question technique, mais comme un sujet politique. L'accord négocié lors du sommet des chefs d'Etat dans la journée du 18 décembre 2009 est également un accord qui marque une rupture avec la vision du multilatéralisme des années 1990.

Cette rupture se manifeste sous de nombreux aspects : Copenhague incarne la fin du club des pays industrialisés « montrant la voie » au reste du monde et l'avènement attendu de nouveaux rapports de puissance. C'est aussi la réaffirmation de la souveraineté comme principe majeur d'organisation des relations internationales aux côtés des principes d'action collective. C'est enfin le choix de la coordination « par le bas » d'actions unilatérales, plutôt que l'élaboration « par le haut » de règles s'imposant à tous.

Les années 1990 auront été celles de la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), du développement d'accords multilatéraux contraignants et négociés par les parties assortis de mécanismes de sanctions. Le protocole de Kyoto a été fidèle à ce schéma : il est fondé sur l'élaboration collective de règles, sur des engagements contraignants assortis de vérification et de pénalités, et de mécanismes sophistiqués d'observance et de mise en oeuvre, avec notamment l'introduction de mécanismes de marché. Il traduit l'acceptation d'un certain abandon de souveraineté nationale au profit de l'action collective.

L'accord de Copenhague s'inscrit dans une tout autre logique. Il est fondé sur des engagements volontaires dont les chiffres de réduction des émissions pour les pays développés sont laissés à la libre appréciation des pays qui s'y engagent unilatéralement, la seule contrainte étant de proposer un chiffre de réduction pour l'année de 2020 par rapport à une base 1990 ou 2005. Aucune règle spécifique de comparaison n'est fixée.

Les annonces des actions des pays en développement, prises ou à venir, sont aussi laissées au libre arbitre des pays eux mêmes, sans règles particulières sinon celles de leur communication et de la possibilité de leur vérification.

Au total, l'accord de Copenhague privilégie pour l'essentiel les actions unilatérales qui ne construisent pas de cadre obligé de coopération internationale sinon des mécanismes de surveillance mutuelle.

Le relatif échec de cet accord par rapport aux ambitions initiales s'explique tant par la mauvaise conduite du processus de négociation que par des divergences de fond entre les parties sur ce que devait être un accord international en matière de la lutte contre le réchauffement climatique.

Cet échec a conduit les pays à pratiquer depuis un travail diplomatique différent et des modes de négociation adaptés. En France, le travail diplomatique a ainsi mis depuis davantage l'accent sur la dimension nationale des politiques globales, sur les intérêts et les représentations nationales de ces enjeux. Il s'agit d'accompagner la négociation de façon plus préventive par une analyse approfondie en amont des ressorts des politiques nationales des acteurs-clés. Il s'agit également de mettre en place un travail d'influence spécifique dans les pays émergents par un renforcement de notre coopération avec des relais d'influence que constituent notamment les think tanks ou les acteurs locaux.

Car l'un des constats majeurs à l'issue du sommet de Copenhague est l'existence de représentations divergentes des objectifs et des moyens à poursuivre.

Le fait que l'Accord de Copenhague soit en grande partie le résultat d'une négociation entre les grands émetteurs qui n'avaient pas jusque-là accepté de contraintes sur leurs émissions, notamment les Etats-Unis et les et pays émergents, ne doit pas faire oublier que la division entre le Nord et le Sud persiste. Pays développés et pays en développement ont construit une représentation du problème et de ses solutions fondamentalement divergente. Certes, il entre dans ces divergences de vue une part de tactique de négociation, mais le problème est plus profond et doit être traité en tant que tel.

Pour les pays en développement, le deal climatique se pose sous l'angle de partage équitable de l'espace de développement, et donc du budget carbone. Les pays développés, eux, le voient principalement comme un problème technico-économique qui peut être résolu notamment en recourant aux marchés et au financement international. Ces deux visions sont restées éloignées l'une de l'autre. En outre, au sein des pays développés, les Etats-Unis se sont quant à eux focalisés sur leur volonté de ne pas se voir imposer plus de contrainte que leur principal concurrent économique, la Chine.

La négociation sur les objectifs de long terme de réduction d'émissions à Copenhague illustre parfaitement cette situation. La Chine, appuyée par d'autres pays en développement, a refusé que soit inscrit dans l'Accord de Copenhague non seulement un objectif de réduction des émissions globales de 50 %, mais aussi l'objectif de réduction des émissions des pays développés de 80 % par rapport à 1990, en 2050.

Les pays développés n'ont pas compris pourquoi les pays en développement s'opposaient à la référence de 50 %, qu'ils considèrent simplement comme la traduction scientifique de l'objectif de limitation de la hausse des températures à 2° C, ni surtout aux 80 % qu'ils considèrent comme leur objectif propre.

Comment faire pour réconcilier ces visions différentes ? Elles sont très éloignées, mais elles ne sont pas pour autant incompatibles. Si les pays en développement refusent les offres des pays développés, c'est parce qu'ils considèrent que le budget carbone qui leur est imparti ne leur laisse pas suffisamment d'espace de développement, et contraindrait leur croissance économique. Les pays développés doivent faire la preuve qu'un niveau d'émission faible est compatible avec une croissance forte en transformant leur économie. Ils doivent prouver que l'économie « décarbonée » n'est pas qu'une hypothèse mais bien une réalité.

Copenhague marque également l'émergence d'un monde multipolaire et le recentrage sur les politiques et mesures nationales. Le vieux monde dominé par les grandes puissances occidentales s'est achevé à Copenhague. La multipolarité du monde remet l'accent sur des actions unilatérales qui sont l'expression de la préférence, notamment des pays émergents, pour la souveraineté.

L'intensité de la question de la protection de la souveraineté s'est illustrée plus particulièrement sur trois points.

La première manifestation de ce besoin de protection de la souveraineté se révèle dans la stratégie américaine de négociation après l'arrivée au pouvoir de l'administration Obama. Les Etats-Unis ont de façon constante mis en avant la prééminence de l'adoption de la législation intérieure relative au changement climatique sur la négociation internationale, imposant leur calendrier et leurs impératifs politiques aux discussions multilatérales. Cette mise en scène a eu pour objectif de faire accepter au reste de la communauté internationale le caractère particulier de la situation américaine jouant sur le grand crédit international de la nouvelle administration et sur le désir général de voir les Etats-Unis se réengager dans l'ensemble des discussion multilatérales. Ce réengagement « positif » a eu un prix, celui d'accepter la formule de la spécificité des règles américaines et de dispositifs nationaux à l'écart du système de règles de Kyoto et sans discussion possible de nouvelles règles.

Restreindre la liberté et la marge de manoeuvre des politiques climatiques américaines, définies dans les projets de loi, au nom de la conformité à des règles internationales plus contraignantes que le propre système américain, paraissait hors de propos à l'équipe de négociation américaine. La même logique a prévalu pour la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud.

La deuxième manifestation de la question de la souveraineté se traduit par le refus d'un accord fondé sur la demande d'actions des pays en développement en échange d'un financement international et le rôle central accordé au marché carbone.

La réflexion du Président Lula affirmant « nous n'avons pas besoin de votre argent, nous serons bientôt des donateurs » en est une illustration. Or au début du processus et jusqu'aux dernières heures de la négociation entre chefs d'Etat, l'hypothèse d'un équilibre entre financement international et engagements quantifiables des pays en développement a été développée. Pour la nourrir, de nombreux travaux on été mobilisés, tous fondés sur une vision de l'intérêt commun : c'est à dire prenant pour acquise l'idée que la production du bien public mondial que représente la stabilisation du climat était perçue comme un gain collectif, dont chaque pays pouvait bénéficier sans exclusive, grâce à l'abaissement des coûts marginaux de la réduction des émissions à l'échelle globale.

Au bout du compte, la négociation n'a pas évité la réactivation des clivages Nord-Sud, avec les pays les plus pauvres percevant les engagements financiers des pays du Nord davantage comme une compensation en raison des émissions passées que comme un élément de la solution collective pour l'avenir.

Troisième sujet, la vérification internationale des actions domestiques. La demande des pays industrialisés de pouvoir évaluer -et donc vérifier- la réalité des actions des pays émergents en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre a fait l'objet de résistances, principalement de la Chine, jusqu'aux dernières heures de la négociation. On sait que finalement le président Obama a obtenu le recours à des consultations internationales pour évaluer les annonces des pays en développement en abandonnant l'objectif d'une réduction de moitié des émissions globales d'ici 2050 et le caractère juridiquement contraignant de l'accord. Cette acceptation est nuancée par la référence au respect de la souveraineté nationale.

Ces trois exemples montrent le rôle central joué par la revendication de souveraineté s'opposant à la construction « par le haut » des règles mondiales et qui rencontre un écho principalement mais pas seulement dans les pays en développement.

Le sommet de Copenhague illustre enfin la restructuration des rapports de force en cours.

Le premier aspect est la relation entre la Chine et les Etats-Unis : les deux premières puissances économiques mondiales sont loin d'avoir stabilisé leur modèle de relations, entre compétition et coopération. Les efforts américains -à très haut niveau- déployés durant toute l'année 2009 pour conclure un accord préalable avec la Chine sur le climat n'ont pas abouti. L'accord final n'a été possible qu'en incluant comme médiateurs ou comme partenaires d'autres pays, les pays du groupe « BASIC » (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine) pour la Chine, et d'une certaine façon, l'Europe pour les Etats Unis. Le leadership américain est contesté, il est clairement en train de s'effacer, mais la structure des rapports de force n'est pas stabilisée.

Le deuxième aspect de ces changements est la constitution, dans le processus de négociation, du groupe «BASIC» qui a joué un rôle déterminant dans la construction de la négociation depuis Bali, et a été l'ordonnateur des positions clés du groupe des 77 autour de 4 points :

- le maintien d'une séparation entre les engagements des pays industrialisés et la défense d'un espace carbone suffisant pour les pays en développement ;

- la protection de la souveraineté contre l'ingérence extérieure notamment en matière de vérification des actions proposées par les pays en développement ;

- la responsabilité des pays industrialisés en matière de financement international des actions menées par les pays en développement ;

- la méfiance, à des degrés divers, de l'inclusion du marché carbone comme un mécanisme central de financement de la réduction des émissions.

Les positions des pays du groupe BASIC n'ont pas été identiques autour de ces quatre points mais ils ont négocié entre eux un plus petit commun dénominateur qui a constitué l'ossature de leur intervention dans le compromis final. Cette coordination s'est maintenue après Copenhague.

Il faut également souligner que la légitimité du processus onusien a été affaiblie par la négociation de Copenhague. L'incapacité de donner un mandat politique aux négociateurs a conduit à une guerre de tranchées paralysante et inefficace. Cette paralysie et la difficulté de trouver des points communs à 193 pays conduisent plusieurs pays à s'interroger sur des formats de négociation plus restreints sans qu'aucune solution satisfaisante n'ait été trouvée.

En conclusion, on peut dire que c'est un accord assez minimal mais d'une grande résonance politique. La question du climat est devenue une question politique majeure au même titre que la crise financière ou la prolifération nucléaire. Elle appelle une transformation centrée sur des modèles de développement nouveau. De ce point de vue, le dialogue sur le changement climatique avec les pays les plus pauvres doit se formuler d'abord comme une question de développement et de croissance, c'est la condition de leur implication politique dans la lutte contre le changement climatique et de leur soutien aux efforts européens. Cette inflexion doit se traduire par le « verdissement de l'aide au développement » : la France a engagé cette inflexion comme le démontrent notamment les cadres d'intervention stratégiques de l'Agence française de développement (AFD).

Les réflexions sur le financement du climat doivent se penser comme des aides et des incitations à la réorientation des investissements dans l'économie. De ce point de vue, il faut donner des signes très forts aux acteurs économiques pour aller vers une économie plus sobre en carbone. La difficulté réside dans le fait qu'un modèle de croissance plus vert est encore à définir. On a des pistes, il y a des innovations technologiques, mais pas de bouclage macro-économique.

L'accord de Copenhague a également suscité des interrogations nouvelles sur les rapports entre la politique et la connaissance scientifique. Les difficultés du processus international ont réouvert la voie aux critiques des climato-sceptiques qui s'interrogent sur la solidité des résultats des modèles climatiques rassemblés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Les critiques portent sur deux points : le statut des avis scientifiques divergents et l'impossibilité de formuler des prévisions sur le climat à long terme, tant les incertitudes sont grandes. Se fondant sur ces deux éléments, les climato-sceptiques critiquent le GIEC et la « dictature » des climatologues qui, brandissant la menace des catastrophes majeures, auraient, selon eux, pris en otage les politiques et au-delà, les sociétés.

Il est vrai que le quatrième rapport du GIEC publié en 2007 a fourni un ensemble de scénarios d'évolution des émissions et des risques potentiels des différentes concentrations de gaz à effet de serre à partir duquel les responsables politiques, emmenés notamment par l'Europe, ont tiré un objectif, celui d'une limitation du réchauffement moyen à 2° C et un scénario de trajectoires d'émissions d'ici 2050. C'est un choix politique, crucial, puisqu'en découlent l'amplitude des efforts à fournir, mais un choix politique, informé mais pas « dicté » par la science.

Mais la confusion s'est instaurée comme si la « science » définissait les objectifs politiques. Cette confusion doit être dissipée dans le fonctionnement même du GIEC car elle fragilise considérablement cette institution essentielle. De même, il faut que les avis scientifiques divergents soient instruits de manière indépendante pour que l'accusation de manipulation du consensus soit levée.

Après Copenhague, l'accord signé à Cancún après trois années de négociations intensives marque une étape importante.

L'accord de Cancún en décembre 2010 représente un point d'équilibre - ce qui ne veut pas dire qu'il est satisfaisant- entre l'objectif global de stabilisation du climat et la volonté des Etats de maintenir et leur souveraineté et la maîtrise de leurs choix en matière de développement. L'accord sur l'objectif global, c'est la stabilisation de la hausse des températures moyennes à 2°. Il doit être complété lors de la prochaine Conférence des parties à Durban : il faut en effet écrire les autres termes de l'équation, c'est-à-dire chiffrer l'objectif des réductions globales des émissions à 2050 et les dates du pic des émissions globales pour les pays développés et pour les pays en développement.

Le pendant du caractère global de l'objectif, c'est la formulation d'objectifs nationaux de réduction exprimés comme un chiffre pour l'économie globale pour les pays développés, et pour les pays en développement laissés à la libre appréciation de chaque Etat. Cet accord reflète aussi un équilibre entre la préférence pour la souveraineté exprimée par l'engagement unilatéral et non contraint, et l'adhésion à un cadre de référence commun pour l'évaluation des efforts entrepris ainsi qu'à des règles de transparence pour que les résultats présentés puissent faire l'objet d'une évaluation par les pairs.

La plupart des pays émetteurs ont produit grâce à la dynamique de négociation des chiffres absolus de réduction de leurs émissions ou un ensemble de mesures et d'actions montrant une déviation de leur trajectoire d'émissions par rapport à la tendance.

Il reste que le mouvement est lancé : tous les grand pays élaborent des programmes de lutte contre le changement climatique et préparent des stratégies de développement économique sobres en carbone. Ce cadre est entièrement nouveau pour un grand nombre de pays. Il va s'imposer aux discussions sur la production et les marchés de l'énergie, le développement urbain, le développement technologique.

Le 12e plan chinois (2011-2015) en est un exemple : il traduit pour les 5 prochaines années l'objectif d'engagement de réduction de 45 % de l'intensité carbone du produit intérieur brut (PIB) d'ici 2020, une augmentation de la part des énergies renouvelables -hors nucléaire- dans le « mix énergétique» avec un objectif de 15 % de la consommation d'énergie primaire en 2020, un plan très ambitieux de reforestation de 40 millions d'hectares, et un programme d'investissement public important en recherche et développement sur les énergies renouvelables et les transports.

Ce cadre plus ou moins ambitieux selon les pays ouvre un champ pour tous les acteurs économiques et politiques qui parient sur l'économie sobre en carbone. L'accord de Cancún crée les conditions politiques d'une dynamique économique dont il faudra juger la force. C'est un point d'appui pour les collectivités locales, les investisseurs dans le secteur des économies d'énergie ou de la production d'énergie propre, les acteurs qui se développent dans les secteurs de la distribution ou des transports propres.

Cet accord est le résultat d'un nouveau rapport de force international. Si le vieux monde est mort à Copenhague, le nouveau a construit les termes de l'accord de Cancún. Le compromis a été préparé sous l'impulsion de l'Inde qui a convaincu une Chine réticente sur les engagements en matière de transparence. Cette évolution ne signifie pas que les pays BASIC (Brésil, Chine, Afrique du Sud et Inde) sont nécessairement devenus les promoteurs d'une politique climat plus offensive que les pays développés, mais qu'ils comptent jouer dans la cour de ceux qui définissent les règles. Ils ne sont plus sur la défensive et ce changement d'attitude crée de nouvelles conditions politiques internes. On le voit en Chine, en Afrique du Sud, au Mexique en Indonésie ou au Brésil : les politiques de développement sobres en carbone ou de lutte contre la déforestation pour réduire les émissions de gaz a effet de serre font partie des options politiques privilégiées. Certains de ces pays sont à même de se lancer dans la course pour développer les grappes de technologie nécessaires à la décarbonation des économies (énergies renouvelables, ingénierie des réseaux, nouveaux véhicules) et construisent des politiques industrielles et de recherche et développement. Leurs grands pôles urbains ne sont pas en reste. Ils vont devenir des lieux d'innovation technologique et organisationnelle.

Si l'accord relance la dynamique, il n'est pour autant pas cohérent. La somme des engagements formulés par les pays quelles que soient les hypothèses de calcul ne permet pas de réaliser l'objectif affiché de limitation de la hausse des températures à 2°. Dans le meilleur des cas il manquera entre 10 et 15 millions de tonnes de réduction des émissions mondiales de carbone, afin de rester dans la fourchette recommandée par le GIEC, soit 40 à 48 millions de tonnes.

Cet accord devra donc être révisé. Cette révision commencera en 2013 pour se terminer en 2015 après la publication du 5e rapport du GIEC. Elle devra permettre d'intégrer les nouveaux résultats scientifiques et de juger des performances agrégées des pays. Cette révision ouvre la porte à une réévaluation des engagements, l'hypothèse étant qu'une fois engagées, les politiques climatiques devraient gagner en crédibilité et s'accompagner d'une réduction des incertitudes sur leur faisabilité. Le fait que la plupart des grands pays s'y emploient -si cela se vérifie- devrait inciter à la coopération, le risque d'agir seul étant réduit.

Cet accord n'est pas contraignant et ne comporte pas de sanction. Sa mise en oeuvre se fonde sur des incitations positives avec la mise en place de coopération technologique et d'un fonds vert et sur un mécanisme d'information réciproque qui doit créer de la confiance. Tous les pays devront tous les deux ou tous les quatre ans fournir un rapport détaillé de leurs actions en même temps que leurs chiffres d'émissions. Ces rapports seront soumis à la communauté internationale et débattus par les pairs.

De nouveaux développements seront apportés à la Conférence des Parties (COP 17) sur les mécanismes de marché et la poursuite du protocole de Kyoto ou la réintégration de certains de ses éléments dans la convention climat. Les mécanismes incitatifs permettront de financer par des fonds internationaux, à hauteur de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, l'adaptation au changement climatique et la transition énergétique dans les pays en développement.

Cet accord n'exclut pas des accords plus partiels. Il est probable que différentes formules vont être tentées en l'absence d'un cadre global plus ambitieux. Des accords bilatéraux pour créer des marchés carbone sont à l'étude, des clubs autour du développement de technologies, des accords de facilitation des échanges et des investissements dans des zones « sobres en carbone » ou entre pays d'engagement comparable.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Ne pensez-vous pas que l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima risque de remettre en cause le développement de l'énergie nucléaire et de favoriser un retour aux énergies fossiles, et en particulier au charbon, qui reste l'une des sources d'énergie les plus polluantes ? Si, comme certains l'ont dit, « l'atome devient maudit », n'allons-nous pas nous retourner vers des sources d'énergie riches en carbone ?

Debut de section - Permalien
Laurence Tubiana, directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales

C'est un accident dont les conséquences sur le long terme sont d'autant plus importantes qu'il est survenu dans un pays développé. Cette catastrophe montre que la sécurité de ce type d'installation n'a pas été pensée en fonction de dangers climatiques, qui risquent pourtant d'être récurrents compte tenu du réchauffement climatique. Cet événement conduira nécessairement les pays disposant de centrales nucléaires à réviser leur politique dans ce domaine, ne serait-ce qu'en augmentant la fiabilité des dispositifs de sécurité pour faire face à des événements climatiques extrêmes. A l'heure actuelle, les centrales de quatrième génération ont été conçues pour maximiser leur efficacité, notamment pour faire face à une pénurie de matières fissiles. Elles n'ont pas été pensées en fonction d'une problématique de sécurité. Au-delà de ces questions d'ordre technique, la catastrophe de Fukushima conduira sans doute à revenir sur une certaine banalisation de l'utilisation du nucléaire et à s'orienter vers un rapatriement vers « le régalien » des questions relatives à la sécurité. Dans un certain nombre de pays, il n'est pas exclu que l'on aille vers un véritable coup d'arrêt des investissements dans le nucléaire, comme en Allemagne. Au regard des seuls objectifs relatifs au réchauffement climatique, cette situation peut être préoccupante, dans la mesure où les solutions alternatives, comme l'éolien et le solaire, n'ont pas atteint une efficacité énergétique suffisante. Il y a dans ce domaine un arbitrage à faire entre un risque de court terme lié à la sécurité des centrales nucléaires, et un risque de long terme lié à l'utilisation des énergies fossiles. Les pouvoirs publics se doivent dans ce contexte d'investir dans les questions de sécurité des installations nucléaires, de promouvoir le progrès technologiques dans le domaine des énergies renouvelables, et de soutenir l'utilisation des dispositifs de captation de carbone. Si, à long terme, l'ensemble de ces efforts devrait conduire à un « mix énergétique » plus satisfaisant, la situation à court terme d'ici 2020 est plus préoccupante. Elle suppose dans tous les cas qu'un débat public soit posé sur les avantages et les inconvénients de chaque source d'énergie de façon à ce que les citoyens soient suffisamment éclairés sur les choix d'investissements effectués par les pouvoirs publics.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Un des enjeux majeurs est de savoir sur quel modèle de développement les pays émergents vont rattraper notre niveau de vie. Car la question de savoir s'ils vont rattraper notre niveau de vie ne se pose plus. Aujourd'hui, un Chinois sur 100 a une voiture, la consommation d'électricité par habitant est 5 fois moins élevée qu'en Europe, la consommation de pétrole 12 fois moins élevée. Toute la question est de savoir comment ce rattrapage va s'effectuer ? On voudrait les faire rentrer dans des disciplines contraignantes, dans des codes de conduites et des normes juridiques à respecter. Ils voient cela comme une façon de vouloir réduire leurs avantages comparatifs, de limiter leur potentiel de croissance. Ils ont beau jeu de rappeler que jusqu'à présent, depuis le début de l'industrialisation, ce sont les pays industriels qui ont été responsables de l'essentiel des émissions de gaz à effet de serre. Cela n'est pas faux. Nous sommes responsables du passé, ils ont entre leurs mains une bonne partie de l'avenir. Ils sont en train de tirer des millions de personnes de la pauvreté par un processus sans équivalent de création de richesses. Je conçois qu'ils ne souhaitent pas brider cette croissance par des engagements qui seraient par trop contraignants. On peut les comprendre. Là où nous avons peut-être une carte à jouer, c'est dans la volonté des pays émergents de vouloir participer, par ailleurs, à la gestion des affaires du monde. On ne peut pas à la fois réclamer de nouvelles responsabilités dans les affaires du monde et laisser aux pays du G7 la charge des ajustements climatiques. Est-ce que vous ne croyez pas qu'il y a matière à faire valoir un corpus des droits et des devoirs communs dans la mondialisation ? En gros, plus de place au Fonds monétaire international (FMI), à la Banque mondiale, voire au conseil de sécurité, mais en contrepartie, plus d'engagement dans des solutions collectives.

Comment va fonctionner le « fonds vert pour le climat » ? Il faudra veiller à ne pas commettre les mêmes erreurs que celles commises en matière d'aide au développement. En matière de coopération, on peut constater tous les jours, sur le terrain, les effets pervers de la multiplication des intervenants. On a voulu construire des institutions multilatérales pour dépasser la dispersion des acteurs nationaux et on a reproduit, au niveau international, dispersion et complexité. Quand on voit des institutions comme le Programme des Nations pour le développement (PNUD) se positionner sur le climat, on se dit qu'on va reproduire la même jungle institutionnelle ?

L'extension des activités de l'AFD aux pays émergents a été justifiée par le financement de projets pilotes en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Ces financements, nous dit-on, ont vocation à participer à une politique d'influence des pays émergents. Quand on voit les montants en jeu, ils sont à la fois importants par rapport aux crédits de la coopération et dérisoires par rapport aux dépenses d'infrastructure de ces pays. Prenons l'exemple de l'Inde, pays dans lequel nous nous rendons prochainement, les financements de l'Aide publique au développement (APD) représentent 1/1000 des dépenses d'infrastructure. On a du mal à concevoir qu'on exerce ainsi une influence sur la trajectoire de croissance de ce pays. Est-ce que ce type de financement a une influence sur notre relation avec ces pays lors des négociations ?

On cite régulièrement le chiffre de 100 milliards de dollars pour lutter contre le réchauffement climatique. Sur quoi est fondé ce type d'évaluation ? Est-ce un chiffre réaliste ?

Les crédits du budget de l'aide au développement qui sont destinés à la protection des forêts sont gagés sur la vente de crédits carbone. Pouvez-vous nous expliquer ce mécanisme et nous dire si on peut fonder une estimation stable et réaliste à partir de ce mécanisme ?

Debut de section - Permalien
Laurence Tubiana, directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales

Il est vrai que les pays occidentaux demandent aux pays émergents de ne pas faire les mêmes erreurs qu'ils ont commises par le passé. Dans les négociations de Copenhague, les Européens ont commis beaucoup de maladresses en se posant comme donneurs de leçons. Les pays émergents ne veulent pas d'un modèle de développement qui soit un frein à leur croissance ou qui leur soit dicté de l'extérieur. Ils réalisent en revanche l'impasse dans laquelle ils sont. Ils mesurent très exactement les conséquences majeures que le réchauffement climatique peut avoir sur le développement de leurs pays. En Chine, les questions liées au stress hydrique, aux risques climatiques et à la désertification sont bien identifiées et font d'ores et déjà l'objet de politiques publiques actives. Ainsi à Shangai, par exemple, un système de vente aux enchères des plaques d'immatriculation des voitures a été mis en place. Une redéfinition des modèles de développement des pays émergents est bien en marche.

Je pense que l'extension des interventions de l'AFD dans les pays émergents est une chose importante. Il s'agit d'abord de résoudre un problème de confiance. On est dans un système de négociations internationales éclaté, avec un problème de confiance dans les politiques publiques des parties prenantes et dans les solutions proposées. Le financement de projets pilotes de lutte contre le réchauffement climatique dans les pays émergents est une façon d'entretenir une relation constructive avec nos partenaires chinois, indonésiens ou indiens, sur des solutions concrètes de développement sobre au carbone.

Ces financements constituent également un ticket d'entrée dans des forums de réflexion internes aux administrations de ces pays. Ils nous permettent d'avoir accès aux projets de développement et d'investissement et ainsi, de mieux comprendre la stratégie de ces pays et d'anticiper le développement de futurs marchés. Il y a dans ce domaine des marchés tout à fait considérables pour les entreprises françaises, comme par exemple le marché de la comptabilisation des émissions de carbone. Cette action de coopération devrait d'ailleurs être prolongée par un volet industriel, comme le font par exemple les Américains ou les Allemands.

Le développement des fonds verticaux a été une bonne chose pour mobiliser des financements au niveau mondial. Dans un contexte de finances publiques dégradé, la montée en puissance des financements multilatéraux et des fonds verticaux a cependant conduit à un assèchement de l'aide bilatérale particulièrement sensible en France. Compte tenu des montants considérables qui seront nécessaires dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique, il serait cohérent d'asseoir ces financements sur une base mondiale grâce à des dispositifs comme la taxe sur les transactions financières. Toutes les institutions travaillant dans le domaine de l'aide au développement cherchent à se repositionner dans le domaine du climat afin de se relégitimer. Ainsi, le PNUD fait aujourd'hui plus dans le domaine du réchauffement climatique que le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) dont c'est pourtant l'une des principales missions. On peut s'en plaindre ou considérer que, dans le contexte budgétaire actuel, c'est un moindre mal.

Pour l'instant, le marché carbone connaît un développement limité à l'Europe. De ce fait le prix de la tonne de carbone est relativement bas, de l'ordre de 10 millions d'euros par tonne, contrairement aux prévisions qui tablaient sur un prix de l'ordre de 35 millions d'euros par tonne.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

Certains ont dit après Copenhague que l'Europe s'était montrée naïve, d'une part, à s'engager seule dans des obligations désintéressées et coûteuses sans contrepartie, d'autre part, à laisser la Chine aider les exportateurs chinois de panneaux solaires et d'éoliennes à s'emparer des marchés ouverts et subventionnés par les contribuables européens. Qu'en pensez-vous ?

Quelle est la répartition des rôles sur ce sujet entre l'Union et les pays membres ? A Cancún, y-a-t-il eu une position coordonnée des Européens ?

La France s'est engagée à dégager 420 millions d'euros par an de financements nouveaux et additionnels. Selon vous, le compte y est-il ? Qu'est-ce qu'on entend par nouveau et additionnel ?

On nous dit qu'en matière d'énergie renouvelable, de solutions alternatives plus sobres en carbone, les industries françaises sont loin derrière les industries allemandes et que de ce fait nos financements dans ce domaine ne reviennent pas majoritairement à des opérateurs français qui sont mal positionnés dans ce domaine. Est-ce votre sentiment ?

Debut de section - Permalien
Laurence Tubiana, directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales

L'Europe ne s'est pas montrée naïve, mais il est vrai qu'elle a pris des engagements contraignants, et a négocié un tarif de rachat des énergies renouvelables sans mener la politique industrielle qui aurait dû aller avec. La France, en particulier, n'a pas réfléchi à l'avenir de sa filière industrielle dans le domaine des énergies renouvelables, contrairement aux Allemands qui ont très tôt eu cette préoccupation à l'esprit. Aujourd'hui, il est vrai que la Chine développe une énergie éolienne pour ses besoins propres et l'énergie solaire à des fins d'exportation.

A Cancún, on a pu constater une meilleure coordination des pays membres de l'Union européenne, mais au final ce sont avant tout les pays émergents et en particulier l'Inde qui ont réussi à réunir un consensus sur le texte adopté.

S'agissant de l'engagement de la France, de consacrer 420 millions d'euros à des financements nouveaux et additionnels, il s'agit pour l'instant essentiellement de crédits « recyclés ». La situation budgétaire actuelle impose de chercher une nouvelle source de financement, notamment dans le produit de vente sur le marché carbone. A terme, des financements innovants sont absolument nécessaires pour faire face aux besoins. En matière d'énergies renouvelables, les industries françaises sont en effet derrière les industries allemandes, c'est une des conséquences de la préférence française pour le nucléaire. Cela explique que, sur certains créneaux, les entreprises françaises soient particulièrement mal placées, comme par exemple en matière de pompes à chaleur, mais cela n'est pas vrai dans tous les secteurs.

La commission examine le rapport de M. Xavier Pintat sur le projet de loi n° 322 (2010-2011) autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Pintat

Nous examinons aujourd'hui le traité relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes signé à Londres lors du sommet franco-britannique du 2 novembre 2010. Ce traité prévoit la construction par la France et le Royaume-Uni, sur le territoire français, d'un outil d'expérimentation commun nécessaire à la simulation pour les armes nucléaires. C'est le projet Epure.

Le même jour a été signé à Londres un autre traité à vocation plus générale, qui fixe le cadre de la coopération bilatérale en matière de défense et de sécurité. L'article 53 de la Constitution définit précisément les cas dans lesquels la ratification d'un traité doit être autorisée par la loi. En raison de sa nature générale, le traité-cadre de coopération ne relève pas de cet article 53. En particulier, il n'engage pas les finances de l'Etat et ne modifie pas des dispositions de nature législative. Les actions de coopération qui en découlent feront l'objet d'accords ou d'arrangements particuliers.

En conséquence, seul le traité sur l'installation commune Epure, qui comporte quant à lui des engagements financiers pour l'Etat, est soumis à procédure d'approbation parlementaire.

Parmi les différentes coopérations décidées à Londres en novembre dernier, Epure constitue un projet majeur par sa dimension scientifique et le montant des économies qu'il va permettre de réaliser. Mais ce projet est surtout important par sa dimension stratégique, puisqu'il touche à la dissuasion nucléaire et initie une coopération européenne dans ce domaine où le Royaume-Uni entretenait jusqu'ici une relation pratiquement exclusive avec les Etats-Unis.

En préalable, il faut rappeler qu'au sommet de Londres a été établie une feuille de route ambitieuse pour la coopération de défense franco-britannique, avec l'objectif, pour chacun des deux Etats, de pouvoir préserver des capacités militaires essentielles ainsi qu'une base industrielle et technologique de premier plan, malgré un contexte budgétaire difficile.

Le Royaume-Uni a prévu de réduire de 8 % son budget de défense d'ici 2015, avec des conséquences telles que le retrait de son porte-avions et un « trou » capacitaire sur l'aviation embarquée jusqu'en 2020, la renonciation à l'aviation de patrouille maritime, la réduction de format de la flotte de surface, de l'aviation et des forces terrestres.

Certes, si les Britanniques s'orientent vers des coopérations accrues avec la France, c'est sans doute moins par choix que par nécessité. Il ne faut pas méconnaître les obstacles auxquels pourrait se heurter la mise en oeuvre pratique de ces coopérations, notamment les contraintes liées aux arbitrages financiers propres à chaque pays ou les inévitables différences d'appréciation portant sur les besoins opérationnels et les priorités industrielles.

Toutefois, les décisions annoncées à Londres concilient l'ambition et le pragmatisme. Les objectifs de coopération qui ont été identifiés portent sur un nombre limité de domaines présentant un intérêt majeur pour l'un et l'autre pays.

Je pense bien entendu à la dissuasion nucléaire, mais également aux systèmes de combat sous-marins, aux satellites de télécommunications et aux drones d'observation et de combat. On constate que les perspectives tracées sur les drones ont déjà amené BAe et Dassault à établir une proposition commune pour un drone d'observation à l'horizon 2020. On sait que le rapprochement entre ces deux industriels est indispensable si l'on veut pouvoir réaliser un appareil européen pour la prochaine génération d'avions de combat. Toujours dans le domaine industriel, il faut également souligner l'importance de la consolidation entre les entités française et britannique de MBDA (One MBDA) en vue de pérenniser une présence européenne dans le domaine très concurrentiel des missiles.

Cette relance de la coopération supposait une impulsion politique forte. On peut constater que David Cameron s'est pleinement inscrit dans les jalons qui avaient été posés par le gouvernement précédent. Cette impulsion politique devra être maintenue dans la durée. C'est pourquoi le traité de coopération a prévu une structure de pilotage au plus haut niveau avec, côté français, le chef d'état-major particulier et le conseiller diplomatique du Président de la République, et côté britannique, le conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre. A l'échelon immédiatement inférieur se situent deux autres organes : d'une part le groupe de travail de haut niveau, avec le DGA et le secrétaire d'Etat à l'équipement britannique, groupe qui existait depuis 2006 et a déjà fait oeuvre très utile dans le domaine de l'armement ; d'autre part la réunion des deux chefs d'état-major des armées, pour les aspects opérationnels.

C'est également pour soutenir cette dynamique de coopération que notre président, Josselin de Rohan, s'est fortement investi pour mettre en place un suivi parlementaire franco-britannique. La première réunion a eu lieu quelques jours après le sommet de Londres.

Je voudrais revenir sur le débat dans lequel on a voulu opposer ce renforcement de la coopération bilatérale et l'avenir de l'Europe de la défense.

Premièrement, il faut rappeler que la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays européens à disposer de toute la gamme des capacités militaires, et cela se reflète dans le niveau de leurs budgets de défense. Leur statut international, l'étendue des relations qu'ils entretiennent sur l'ensemble des continents les amènent objectivement à jouer un rôle de premier plan en matière de sécurité internationale. Il est évident qu'un effritement des capacités militaires françaises et britanniques nuirait à la défense européenne dans son ensemble. En cherchant à optimiser leurs moyens et à préserver leurs capacités, les deux pays obéissent à leurs intérêts nationaux, mais ils contribuent aussi à maintenir une contribution européenne significative dans l'OTAN et une base solide pour les opérations de la politique de sécurité et de défense commune. On a trop souvent regretté que le Royaume-Uni ne se tourne pas suffisamment vers l'Europe en matière de défense pour lui reprocher aujourd'hui une coopération renforcée avec l'autre acteur militaire européen majeur qu'est la France.

Deuxièmement, la coopération franco-britannique n'est pas exclusive de la participation d'autres partenaires européens aux projets décidés en commun, dès lors qu'ils partagent les mêmes objectifs. Elle n'est pas non plus exclusive d'autres formats de coopération, car elle ne couvre pas, loin de là, tout le champ potentiel de ces coopérations. A titre d'exemple, dans le domaine spatial, les deux pays souhaitent coopérer sur les satellites de télécommunications, mais le Royaume-Uni n'est pas impliqué dans les satellites d'observation, qui font l'objet pour leur part d'une coopération associant d'autres pays, dont la France.

Enfin, on peut constater que cette démarche de coopération réaliste, fondée sur de véritables besoins et calendriers communs, a été montrée en exemple par plusieurs responsables étrangers. Elle témoigne que des partages de capacités ou des dépendances mutuelles sont envisageables. Il est souhaitable que d'autres groupes de pays engagent, sur le même modèle, des coopérations de nature à mieux utiliser leurs ressources.

C'est pourquoi cette coopération, bien que bilatérale, me paraît incontestablement utile pour l'Europe dans son ensemble.

J'en viens maintenant au traité qui nous est soumis aujourd'hui. Il touche au domaine de la dissuasion nucléaire et constitue un volet marquant des décisions prises à Londres.

Il faut rappeler d'emblée que ce traité porte sur un aspect bien délimité et précis des programmes nucléaires militaires des deux pays : les techniques de simulation permettant de garantir la fiabilité et la sûreté des armes nucléaires sans essais en vraie grandeur. Il faut souligner également que cette coopération ne porte pas sur la mise au point des armes elle-même. Il s'agit de partager l'utilisation d'une installation construite en commun, où chacun pourra effectuer séparément ses propres expérimentations, en totale souveraineté.

Il est utile de préciser, à ce stade, la situation du Royaume-Uni en matière de dissuasion nucléaire. Depuis une quinzaine d'années, avec la décision de supprimer la composante aérienne en 1993, la dissuasion britannique repose sur une seule composante, la composante sous-marine.

Les Britanniques construisent eux-mêmes leurs sous-marins. Ils achètent leurs missiles balistiques Trident aux Etats-Unis, qui en assurent le maintien en condition opérationnelle dans le cadre d'un programme commun pour l'ensemble du stock.

En ce qui concerne les têtes nucléaires, celles-ci sont réalisées par le Royaume-Uni, en liaison étroite avec les laboratoires américains. Le Royaume-Uni dispose d'une capacité autonome de conception et probablement de fabrication de la charge nucléaire proprement dite. Il s'appuie fortement sur la coopération avec les Etats-Unis pour les autres parties de l'arme, notamment le corps de rentrée et l'électronique.

Comme la France, le Royaume-Uni a signé en 1996 le traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Nos deux pays ont d'ailleurs déposé le même jour, le 6 avril 1998, leur instrument de ratification. Comme la France, le Royaume-Uni recourt à la simulation pour valider le fonctionnement de ces armes.

Pour mettre en oeuvre cette capacité de simulation, les deux pays font appel à des moyens similaires : des moyens de calcul très puissants, des travaux de physique théorique et la validation expérimentale de ces travaux.

Cette validation expérimentale fait appel à deux grands types d'outils :

- des lasers extrêmement puissants pour étudier, sur une quantité infime de matière, les phénomènes thermonucléaires ; la France construit à cet effet le laser mégajoule ; le Royaume-Uni a pour sa part accès au laser américain (National Ignition Facility - NIF) qu'il a en partie contribué à financer ;

- des installations radiographiques pour étudier la phase initiale du fonctionnement de l'arme ; ce que l'on appelle la phase « froide », avant que ne démarre le dégagement d'énergie nucléaire ; nous avons déjà, depuis 2001, une machine radiographique, dénommée Airix et située au camp de Moronvilliers, près de Reims ; les Britanniques ont eux aussi une machine de ce type, mais plus ancienne.

C'est sur les installations radiographiques que porte le traité du 2 novembre dernier.

La France et le Royaume-Uni avaient, chacun de leur côté, des projets similaires de perfectionnement de ces installations. Il y avait donc une grande convergence de besoins et de calendriers. La Direction des applications militaires du CEA et son homologue britannique, l'Atomic Weapons Establishment (AWE), sont arrivés à la conclusion qu'une installation commune permettrait de satisfaire le besoin de chaque pays. Il restait, sur ce domaine hautement sensible, à obtenir un accord politique et à définir des modalités pratiques apportant à chaque pays les mêmes garanties que s'ils disposaient d'une installation strictement nationale.

Le traité que nous examinons aujourd'hui constitue l'aboutissement de ces discussions.

Mon rapport écrit comportera tous les détails sur cette installation commune qui sera réalisée au centre CEA de Valduc, en Côte d'Or, et qui se dénommera Epure, c'est-à-dire « Expérimentations de physique utilisant la radiographie éclair ».

Epure sera utilisée pour simuler des tirs sur des maquettes d'armes nucléaires constituées de matière inerte. Elle étudiera le comportement des matériaux dans la phase initiale de fonctionnement de l'arme. Pour résumer, on peut dire que notre machine actuelle, Airix, ne comporte qu'un axe de visée. Elle effectue des radiographies en une seule dimension. Epure comportera trois axes de visée. Elle fournira des images en trois dimensions, ou des images prises à trois moments différents.

Concrètement, la réalisation d'Epure comportera trois étapes :

- d'ici 2015, la machine Airix sera déménagée de Moronvilliers à Valduc ;

- en 2019, une deuxième machine dite « IVA », réalisée et financée par les Britanniques, rejoindra Airix pour constituer le deuxième axe de visée ;

- enfin, en 2022, l'installation sera complétée par une troisième machine qui sera conçue, développée et financée en commun par la France et le Royaume-Uni ; les travaux de recherche et développement pour cette troisième machine se dérouleront dans un centre de recherche britannique, à Aldermaston.

Le CEA d'une part, l'AWE britannique d'autre part, disposeront à Valduc de locaux séparés et sécurisés où seront préparées les expériences et analysés les résultats. Une trentaine de Britanniques travailleront en permanence à Valduc et seront rejoints par quelques dizaines d'autres au moment des expériences. Une dizaine de salariés du CEA effectueront des travaux de recherche centrés sur les techniques de radiographie à Aldermaston.

Le traité du 2 novembre formalise le contenu, le déroulement et le calendrier du programme. Il pose le principe du partage des coûts sur la construction de la 3è machine et sur le fonctionnement de l'installation.

Les dispositions relatives aux garanties et modalités d'accès sont particulièrement importantes. La France s'engage à garantir l'accès du Royaume-Uni à Epure durant 50 ans. Le Royaume-Uni prend l'engagement réciproque pour le centre de recherche commun. Le traité prévoit le statut des zones dédiées à une utilisation exclusivement nationale. L'accès à ces zones est régi par les autorités de chaque pays.

Le traité comporte également une série de dispositions très précises sur les règles applicables en matière de sûreté, de gestion des déchets ou de responsabilité.

Ce traité et la coopération qu'il permet d'engager m'apparaissent comme l'un des résultats marquants du sommet de Londres.

Premièrement, grâce au partage des investissements, cette coopération va générer une économie appréciable pour la France : 200 millions d'euros entre 2015 et 2020, auxquels il faut ajouter 200 à 250 millions d'euros après 2020, soit un total compris entre 400 et 450 millions d'euros sur la durée de vie de l'installation.

Ces économies vont dégager une marge de manoeuvre pour le budget de la défense. Elles n'avaient pas été intégrées dans l'enveloppe financière définie par le Livre blanc, puisque la réalisation d'une installation commune n'étant pas envisagée à cette époque.

Deuxièmement, cette coopération ouvre également aux scientifiques et experts des deux pays la possibilité de partager leur savoir-faire en matière de technologies de mesure et de mise en oeuvre des expériences. Chaque pays conservera l'entière responsabilité de ses expériences et la propriété des résultats, mais le regroupement sur un même site sera propice aux échanges scientifiques et à l'émulation. Il s'agit d'un élément non négligeable dans la perspective du maintien, sur le long terme, de la qualité et de la motivation des scientifiques en charge de la garantie des armes.

Troisièmement enfin, cette coopération en matière nucléaire militaire comporte une dimension politique majeure. Elle s'effectuera dans le plein respect de la souveraineté de chaque Etat, mais elle témoigne de leur très haut degré de confiance, dans un domaine où le Royaume-Uni entretenait historiquement une relation privilégiée avec les Etats-Unis. Ces derniers ont d'ailleurs été précisément informés du contenu de l'accord.

Elle marque aussi très clairement la volonté de la France et du Royaume-Uni de garantir la crédibilité de leur dissuasion. Nos deux pays présentent, en matière de dissuasion nucléaire, une grande proximité de posture et de doctrine. Les raisons pour lesquelles le Royaume-Uni souhaite conserver une « dissuasion nucléaire minimale » et la France une dissuasion « strictement suffisante » sont analogues. La Strategic Defence Review britannique et le Livre blanc français tiennent sur ce point un langage très voisin.

C'est pourquoi la France et le Royaume-Uni ont soutenu des positions similaires dans le débat nucléaire qui a marqué l'année 2010 à la Conférence d'examen du TNP et à l'OTAN, lors de la rédaction du nouveau concept stratégique.

Dans le préambule du traité du 2 novembre 2010, la France et le Royaume-Uni soulignent « l'importance de la dissuasion nucléaire, qui est un élément-clé de leurs stratégies de défense nationales et alliées », et ils réaffirment « qu'ils n'envisagent pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l'une des parties pourraient être menacés sans que ceux de l'autre le soient aussi ». Les deux pays se disent déterminés à maintenir « une capacité nucléaire minimale crédible, cohérente avec le contexte stratégique et de sécurité de leurs engagements en vertu de l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord ».

Cette crédibilité est essentielle au regard de la défense de chacun des deux pays, mais elle joue un rôle plus large, à l'échelle européenne. Comme ils le rappellent également dans le préambule du traité, la France et le Royaume-Uni considèrent que leurs forces nucléaires « contribuent à la sécurité de l'Europe dans son ensemble ».

Il me semble que ce traité conforte le maintien d'une capacité de dissuasion nucléaire en Europe. La possession d'une telle capacité par des pays européens reste nécessaire dans un monde marqué par la subsistance d'arsenaux importants et le risque de prolifération nucléaire, notamment au Moyen-Orient.

Je vous propose d'adopter ce projet de loi qui présente un intérêt financier évident pour notre défense et donne une nouvelle dimension, tout à fait stratégique, à notre coopération avec le Royaume-Uni.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Comme vous, Monsieur le rapporteur, je considère que ce traité marque un tournant tout à fait majeur dans notre coopération avec les Britanniques. La vision commune qui a permis à ce traité d'aboutir a également joué un grand rôle dans le maintien du principe de dissuasion au sein du concept stratégique de l'OTAN, alors que l'Allemagne le contestait. Qui plus est, le projet Epure permettra une économie importante. Ce traité traduit une alliance très forte entre les deux principales puissances militaires européennes. Celle-ci garantit la subsistance de capacités militaires significatives sans lesquelles l'Europe devrait s'en remettre totalement aux Etats-Unis.

La coopération renforcée entre la France et le Royaume-Uni ne remet pas en cause les relations très étroites de ce dernier avec les Etats-Unis, même si elle témoigne d'une volonté d'élargir le partenariat.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Pintat

Le traité de coopération en matière nucléaire a fait l'objet d'échanges avec les Etats-Unis. Cette coopération franco-britannique était encouragée par certains acteurs américains alors que d'autres conservaient des réticences. L'orientation générale de l'administration Obama, plus ouverte vis-à-vis de la défense européenne, a certainement joué un rôle positif.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je pense que ce traité de coopération nucléaire méritera une discussion en séance publique, au cours de laquelle pourrait d'ailleurs être évoqué le cadre d'ensemble de notre coopération de défense avec le Royaume-Uni.

La commission adopte le projet de loi.