La commission a procédé à l'audition de Son Exc. M. Jean de Ponton d'Amécourt, ambassadeur de France en Afghanistan.
a tout d'abord rappelé que, en 2001, lorsque les Etats-Unis d'Amérique sont intervenus en Afghanistan, le pays était totalement détruit par trente ans de guerre ininterrompue. La guerre contre les communistes au pouvoir et leur allié soviétique a ravagé les campagnes ; elle a été suivie d'une guerre civile entre moudjahidine, qui a notamment abouti à la destruction de Kaboul et d'une large partie des grandes villes ; enfin, la période de domination des taliban a entraîné la destruction de pratiquement toutes les administrations, du système de santé et de l'enseignement. Il en est résulté notamment l'émigration de neuf millions d'Afghans vers l'Iran et le Pakistan, deux millions de morts et l'élimination ou le départ du pays de la majorité des élites intellectuelles.
Après la conférence de Bonn, la première tâche a été de reconstruire le pays sur le plan politique, de réunir une Loya Jirga et d'adopter une Constitution et une loi électorale qui ont permis l'élection présidentielle de 2004, avec la victoire de M. Hamid Karzaï, et la tenue des élections législatives de 2005. L'Afghanistan est ainsi doté d'institutions démocratiques.
Parallèlement, il était procédé à la stabilisation militaire du pays. En théorie, l'Alliance couvre l'ensemble du pays bien que le contrôle soit très difficile dans le Sud, l'Est et en partie l'Ouest de l'Afghanistan. Aujourd'hui, la situation sécuritaire est contrastée. Malgré les attentats de 2008, on constate que la capitale et sa région connaissent une certaine stabilité. Par contre, le Sud, l'Est et l'Ouest connaissent des attaques en règle des forces des taliban dont l'accroissement est bien sûr lié à la perspective de l'échéance électorale présidentielle de 2009 et à la situation très tendue au Pakistan. Pour autant, les taliban sont incapables de conserver durablement le contrôle d'une ville ou même d'un chef-lieu de district.
Enfin, la troisième tâche a consisté à développer l'économie et la gouvernance. Des progrès très importants ont été réalisés : sept millions d'enfants ont été scolarisés dont 50 % de filles ; 80 % des Afghans ont accès aux soins ; la production agricole progresse ; les infrastructures, notamment la route circulaire qui entoure l'Afghanistan et les liaisons entre capitales régionales ont été réalisées ; la liaison électrique entre l'Ouzbékistan et la région de Kaboul est désormais opérationnelle ; enfin l'administration fonctionne.
Pour autant, la situation n'est pas satisfaisante. La conférence de Paris du 20 juin 2008 a permis d'organiser une meilleure coordination des puissances occidentales en reprenant et en complétant le programme de financement et de développement arrêté à Londres.
Le plan d'action pour l'Afghanistan a commencé à être mis en oeuvre sous l'égide de l'UNAMA. Toutefois, la population afghane, notamment rurale, a l'impression que l'action du gouvernement afghan comme celle de l'Occident sont inefficaces. Les Afghans se sentent à l'écart des progrès en matière de santé, d'éducation, d'infrastructures, d'accès à l'électricité et à l'eau courante, d'irrigation et d'emploi. Ce ressenti d'abandon conduit à une certaine désespérance des populations, notamment dans le Sud.
Trois facteurs façonnent la situation actuelle. L'élection présidentielle dont le premier tour doit se dérouler le 20 août prochain conduira vraisemblablement à la réélection du Président Karzaï, qui fait face à une opposition peu structurée. La solution consistant à prolonger le mandat du président au-delà de la date limite du 20 juin a finalement recueilli le consensus des forces politiques afghanes et permet au gouvernement d'expédier les affaires courantes jusqu'aux élections du 20 août. La communauté internationale doit s'assurer des conditions de régularité de l'élection ; l'Union européenne et l'OSCE procureront une assistance technique et participeront au contrôle des élections avec cinquante observateurs.
Le second facteur structurant de la situation actuelle est la montée en puissance des Etats-Unis dans l'ensemble de la région avec, en particulier, l'accroissement de leurs effectifs diplomatiques et militaires. Enfin, la situation au Pakistan est évidemment centrale pour la stabilisation de la région puisque l'insurrection trouve sa force, son soutien et ses ressources dans ce pays.
L'avenir de l'Afghanistan dépendra du succès de l'afghanisation, et en particulier de la prise en charge, par les Afghans, de leur propre sécurité. L'armée nationale afghane a accompli des progrès considérables et ses effectifs doivent augmenter progressivement jusqu'à 120 000 hommes. La communauté internationale et la France participent activement à la formation de la police. Outre l'afghanisation, le développement économique et social et la réconciliation nationale revêtent une importance majeure.
L'action de la France et de ses alliés s'inscrit dans la durée. Ce sont les intérêts stratégiques de la France qui sont défendus en Afghanistan pour éviter qu'Al-Qaïda reprenne le contrôle d'un État ou que les taliban reviennent au pouvoir. L'Afghanistan occupe en effet une position stratégique à proximité du Golfe persique, entre un État nucléaire et un autre qui souhaite le devenir.
a souligné l'implication croissante des États-Unis dont témoigne en particulier le remplacement, sans aucune information de l'OTAN et des alliés membres de la coalition, du général Mc Kiernan par le général Mc Krystal. Il s'agit de l'application simple de l'adage « qui paye commande ». Il s'est interrogé sur les conséquences que pourrait avoir une conduite quasi exclusive des opérations par les Etats-Unis et s'est demandé si cet état de fait ne conduirait pas certains des partenaires de l'Alliance à diminuer leur engagement sur le plan militaire.
a indiqué que, avec le renfort de 21 000 hommes, la présence militaire américaine allait compter 71 000 soldats, à comparer aux 25 000 hommes fournis par les autres pays membres de l'Alliance et les puissances associées.
Il en va de même au niveau de l'UNAMA (United Nations Assistance Mission in Afghanistan) ou du PNUD (programme des Nations unies pour le développement) où les États-Unis prennent des initiatives unilatérales pour nommer des coordinateurs de l'aide ou de la préparation des élections dont ils considèrent qu'elles pourraient être grandement améliorées.
De même, les États-Unis ont remplacé l'adjoint de M. Karl Eide par un ambassadeur américain, M. Peter W. Galbraith, qui a présenté à la communauté internationale son plan d'action en l'absence de ce dernier. Néanmoins, cette attitude s'accompagne d'un message positif et de gestes concrets marquant la volonté des États-Unis de disposer d'une coordination étroite entre la communauté internationale, l'Alliance et l'Union européenne.
s'est interrogé sur le renforcement en catimini de la présence militaire française en Afghanistan, avec l'arrivée d'hélicoptères Tigre et d'effectifs de la gendarmerie nationale.
a rappelé que la décision de renforcer le contingent français en Afghanistan avait été annoncée au sommet de l'OTAN, à Bucarest en 2008. Depuis cette date, il n'y a pas eu de renforts, à l'exception, après l'embuscade du mois d'août 2008, d'un accroissement des moyens qui faisaient défaut, de l'avis unanime, en matière de renseignement. Il s'est agi d'environ 300 hommes représentant les équipes, des hélicoptères, des drones et du pilotage technique du renseignement.
a rappelé que, à la fin de l'année 2008, le gouvernement saoudien avait été chargé, par les États-Unis et le gouvernement afghan, d'une mission de prise de contacts avec les taliban. Il a souligné que c'était une démarche de réconciliation équivalente qui avait permis le changement significatif de la situation sécuritaire en Irak, dès lors que les tribus sunnites ont été ralliées. Cette démarche a-t-elle une chance d'aboutir en Afghanistan ?
a rappelé la grande multiplicité des canaux de contacts avec les taliban qui correspondent à la mosaïque des mouvements insurgés. Il a souligné que, encore aujourd'hui, les fondations religieuses d'Arabie saoudite et des pays du Golfe demeurent parmi les principaux bailleurs de fonds de l'insurrection. Dans cette mesure, il est tout à fait nécessaire d'engager le gouvernement saoudien dans le mouvement de négociation de réconciliation. Toutefois les actions menées en direction des groupes taliban ont nécessairement, dans le contexte actuel, une forte composante électorale.
Cela étant, il n'existe pas de solution en Afghanistan sans réconciliation. Les élections législatives prévues en 2010 constitueront un test à cet égard. C'est au cours de l'année 2010, en préparation aux élections à la Wolesi Jirga (assemblée nationale), puis à nouveau en 2011, après les échéances électorales, que s'ouvrira, pour le gouvernement afghan, alors en position de force, la possibilité de mener de véritables négociations débouchant sur des résultats concrets avec l'opposition armée.
a souhaité avoir des précisions sur la sécurisation des zones confiées à l'armée et à la gendarmerie françaises. Il s'est également interrogé sur les conditions de travail actuelles des ONG en Afghanistan.
a indiqué que les ONG avaient décidé, depuis environ une année, de replier leur personnel sur Kaboul et qu'elles rencontraient, dans le reste de l'Afghanistan, de très importantes difficultés liées à la situation sécuritaire. La politique suivie par la France consiste à renforcer son aide civile et à la concentrer sur les zones, notamment le district de Surobi dans la région de Kaboul et ceux de Nijrab, Tagab et Alasai, en Kapisa, où nos troupes opèrent et sont responsables de la sécurité. Le lien entre la dimension sécuritaire, le renforcement de l'État de droit, la mise en place d'une police efficace et le développement économique est évident.
Dans le cadre de l'intervention de la gendarmerie européenne le projet consiste pour la gendarmerie française à participer à la constitution et à la formation d'une véritable gendarmerie afghane et progressivement, dans une deuxième étape, à former et monitorer l'ensemble des policiers de chacun des quatre districts susmentionnés (environ 600 par district) pendant une durée de deux à trois mois. Au-delà de cette période, qui aura permis également une sélection au sein des effectifs existants, les gendarmes accompagneraient les unités en opération sur le terrain sur le modèle des OMLT dans l'armée nationale afghane.
Le travail de stabilisation effectué par les forces françaises en Surobi et Kapisa a été remarquable. Il est unanimement salué, en particulier par les Américains qui partagent avec la France la responsabilité de la Kapisa. La stratégie consiste, après élimination des insurgés, à soutenir la police et les pôles administratifs, en particulier la justice. La France engagera vingt millions d'euros dans des projets de développement dans les zones dont elle a la responsabilité.
s'est interrogé sur les buts de guerre poursuivis par la coalition et par la France, sur la distinction qu'il est possible d'opérer entre taliban et sur le soutien apporté par les Pachtounes à Al-Qaïda. Il s'est demandé ce que pouvaient être les résultats des offensives menées par l'armée pakistanaise dans la vallée de Swat et au Waziristân. Il a enfin souhaité savoir comment s'articulaient l'action de l'ambassade et celle de l'envoyé spécial, M. Pierre Lellouche.
a indiqué que la coordination avec l'envoyé spécial du Président de la République ne posait aucun problème. Il a souligné que, parmi les vingt-quatre représentants spéciaux des pays membres de la coalition, seuls le représentant américain, M. Richard Holbrooke, et celui de la France venaient du monde politique et étaient les représentants directs de leurs chefs d'Etats respectifs, ce qui leur donnait un poids et une légitimité particulière. De ce fait, le représentant français pouvait exprimer avec une force particulière les analyses françaises. Il a souligné le travail très important effectué par M. Pierre Lellouche depuis sa nomination.
Il a précisé qu'il convenait de distinguer les Pachtounes des taliban, même si la majorité de ces derniers appartient à cette ethnie qui représente environ douze millions d'habitants, soit 40 % de la population en Afghanistan, et environ 24 millions d'habitants au Pakistan. L'Afghanistan ne peut être gouverné sans les Pachtounes, en conséquence la politique de la main tendue aux taliban est une nécessité.
La population afghane, qui n'a rien oublié de la période de gouvernement des taliban, adopte une position de neutralité prudente. D'un côté, le sentiment de déception et d'abandon est très réel et les taliban, qui utilisent ce ressenti, jouent un rôle significatif, notamment en matière de justice et de règlement des différends. De l'autre, cette population garde l'espoir que le gouvernement afghan l'aide car il dispose des moyens de financement de la communauté internationale et du pouvoir de les répartir. La politique suivie par la communauté internationale, théorisée par le concept de « contre insurrection », vise à obtenir un changement de l'état d'esprit de la population pour la faire basculer d'une position de neutralité à une position favorable au gouvernement et à la coalition. Cette politique est bien sûr délicate à mettre en oeuvre, mais, exécutée avec art, elle peut connaître des succès importants dans les trois ans à venir. La population connaît une immense lassitude après quarante ans de guerre et d'insécurité. Les sondages montrent que le gouvernement et la communauté internationale n'ont pas perdu leur légitimité à ce jour, puisque le soutien à leur action reste de l'ordre de 57 %, même s'il a décru ces dernières années.
a abordé la question du trafic de drogue, qui finance l'insurrection, et celle de la situation des femmes en Afghanistan.
a rappelé que la situation s'était détériorée depuis 2001, puisque 80 à 90 % de la production mondiale d'opium a pour origine l'Afghanistan, et en quasi-totalité dans la province du Helmand. Cette production est gérée conjointement par les taliban et par les narcotrafiquants. Dans leur lutte contre ce trafic, les États-Unis et le Royaume-Uni n'ont pas atteint les objectifs qui avaient été fixés. Le chiffre d'affaires issu de la culture du pavot est d'environ quatre milliards de dollars par an. Sur ce total, environ 100 millions de dollars financent l'insurrection. Ce budget permet notamment de payer un chef taliban environ 1 200 dollars par mois et un soldat 300 dollars par mois. Ces montants sont à comparer au salaire d'un professeur d'école qui gagne environ 120 dollars par mois.
a rendu hommage au courage des femmes afghanes qui luttent contre l'état de sujétion dans lequel elles sont maintenues. Pourtant, des progrès ont été obtenus, notamment en matière de représentation au Parlement, qui compte un tiers de femmes. Celles-ci occupent également un certain nombre de postes de responsabilité dans l'administration et le Président Karzaï a nommé une femme gouverneur de province. L'éducation des filles a considérément progressé et les femmes ont accès aux soins. S'agissant de la polémique et de la très forte réaction des pays occidentaux contre la loi adoptée et signée par le Président sur la communauté chiite, M. Jean de Ponton d'Amécourt a rappelé que la Constitution prévoyait un statut juridique spécial pour protéger cette communauté très minoritaire. Le projet de loi avait été préparé au Parlement par les plus extrémistes des Chiites afghans. En dépit du fait qu'il l'avait signé, le Président Karzaï a décidé de ne pas le promulguer devant le tollé occidental mais aussi du fait de la très forte réaction des femmes afghanes elles-mêmes.
A M. Christian Poncelet, qui émettait des doutes sur la possibilité d'aboutir à une réconciliation en Afghanistan, M. Jean de Ponton d'Amécourt a affirmé que, au contraire, la réconciliation était possible, en particulier compte tenu de l'importante dimension religieuse qui justifiait la démarche faite auprès des oulémas saoudiens. Il a rappelé que, au moment de l'indépendance du Pakistan, il existait 400 madrasas dans ce pays alors qu'il en existe aujourd'hui 20 000. Elles sont pour la plupart des écoles fondamentalistes et sont financées par les fondations religieuses du Golfe qui promeuvent une tendance littérale et radicale de l'islam, le wahabisme.
s'est opposé à la notion de taliban « modérés ». Le véritable clivage se situe entre les taliban nationaux, qui pourraient accepter la Constitution en obtenant en contrepartie son adaptation, et les taliban internationaux qui soutiennent Al-Qaïda.
a rappelé le déplacement qu'il avait effectué, au nom de la commission, avec M. Robert del Picchia, en 2008. Il s'est interrogé sur l'indépendance des forces aériennes françaises vis-à-vis des Américains sur la base de Kandahar. Lors des entretiens qu'il avait eus, au Sénat afghan, avec les parlementaires de la commission de la défense, ces derniers avaient fait part, avec une grande fermeté, de leur opposition à la présence occidentale sur le sol afghan et, tout en acceptant l'aide financière, avaient menacé les forces occidentales.
ne s'est pas étonné de ces remarques provenant vraisemblablement de personnalités proches de l'insurrection. Il n'existe pas de taliban modérés. Les exigences des taliban portent sur le départ des forces alliées, leur place au gouvernement, dont ils exigent 50 % des postes, et les garanties de sécurité que leur apporterait la communauté internationale. Il a réaffirmé sa conviction que la tâche est certes difficile mais que l'engagement de la France est une nécessité pour défendre les intérêts stratégiques nationaux. Les forces aériennes françaises stationnées à Kandahar interviennent dans le cadre de l'Alliance sur demande des troupes au sol. Elles jouent un rôle très important à cet égard comme en témoigne le nombre considérable de missions effectuées.
La commission a ensuite nommé M. Christian Cambon rapporteur sur le projet de loi n° 438 (2008-2009) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à l'assistance et à la coopération en matière de protection et de sécurité civiles dans les situations d'urgence.