Nous accueillons M. Philippe Errera, nommé récemment directeur de la délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la défense, où il succède à M. Michel Miraillet qui avait participé à la préparation du Livre blanc et dirigé l'ouvrage Horizons stratégiques. Nous avions déjà rencontré M. Errera, à Bruxelles, dans ses fonctions antérieures, à l'assemblée parlementaire de l'OTAN. Il va nous parler des crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », qui peuvent sembler modestes par rapport au total des crédits du ministère mais qui concernent une fonction essentielle. Ils comprennent les crédits des trois services de renseignement, ceux finançant les études amont qui dépendent de la direction générale de l'armement (DGA), ainsi que ceux du réseau diplomatique de défense et ceux de l'analyse stratégique.
Le Sénat vient d'adopter la nouvelle loi de programmation militaire, et le projet de loi de finances pour 2014 est conforme aux orientations qu'elle dessine. Les crédits du renseignement et des études amont sont en hausse. Nous sommes aussi intéressés par l'analyse de M. Errera sur la conjoncture stratégique et son évolution depuis la parution, récente, du Livre blanc - en particulier en Syrie, en République centrafricaine ou en Iran, après les élections présidentielles - ainsi que sur la préparation du prochain Conseil européen.
Nous sommes au seuil d'une année charnière pour la DAS comme pour la programmation. La DAS connaît une métamorphose. Le ministre a en effet décidé de créer une direction générale d'administration centrale unique qui lui sera directement rattachée et qui pilotera l'action internationale et les affaires stratégiques du ministère. Elle intégrera des fonctions et des personnels de la DAS, de l'état-major des armées (EMA) et de la DGA, selon un partage qui reste à préciser. Les objectifs visés sont un pilotage plus efficace, une réduction des redondances et une amélioration de la gouvernance de la prospective et de la stratégie internationale.
Le Livre blanc, paru cette année, a réaffirmé l'importance particulière de la fonction stratégique « connaissance et anticipation » : elle fournit une capacité d'appréciation autonome des situations, condition de décisions libres et souveraines. Aussi la loi de programmation a-t-elle renforcé les fonctions de renseignement et de prospective, en maintenant le niveau des crédits des études amont et en augmentant ceux de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD). La direction du renseignement militaire (DRM) ne relève pas du programme 144 mais concourt à cette fonction.
La programmation maintient à un niveau élevé les crédits consacrés aux deux priorités majeures du programme 144, recherche de défense et renseignement. Le gouvernement a jugé indispensable de poursuivre développement de nos capacités technologiques, qui est au fondement de notre autonomie militaire et de notre souveraineté. Les études amont, pilotées par la DGA, sont un levier essentiel de cette politique. Le drone Neuron par exemple a effectué son premier vol en décembre 2012 et poursuit ses essais en France avant d'être testé en Suède et en Italie. Premier drone de combat furtif, il est aussi le premier construit dans le cadre d'une coopération européenne et le premier complètement conçu et développé sur un plateau coopératif virtuel. Les simulations numériques, les essais en vol et en laboratoire font appel aux nouvelles technologies développées dans les études amont. Lesquelles soutiennent l'industrie de défense, les bureaux d'études, de recherche et les PME. Les efforts de l'État en ce domaine ont des répercussions sur les technologies à usage civil. Ces crédits participent à la politique industrielle et à la politique de recherche. Le budget correspondant sera de 730 millions d'euros annuels sur la période 2014-2019 : l'effort consenti en 2013 est pérennisé.
Le renforcement de la fonction stratégique de renseignement portera sur les ressources humaines et sur des investissements complémentaires. Le développement de nos capacités de recueil, de traitement et de diffusion du renseignement étant prioritaire, l'accent est mis sur les composantes spatiales et aériennes : renseignement d'origine électromagnétique (Roem) et renseignement d'origine images spatiales (Roim) avec les programmes Ceres et Musis, développement de la capacité drone Male et acquisition d'une capacité de recueil piloté légère en complément des capacités existantes. Les capacités de maîtrise et de traitement de l'information seront également développées. Les effectifs croîtront, dans la continuité de la programmation précédente - 689 ETPT supplémentaire entre 2009 et 2014. Les effectifs de la DPSD seront maintenus afin de préserver les moyens de contre-ingérence. Nous sommes néanmoins concernés par l'exigence de maîtrise financière. Celle-ci se concentre sur les lignes de fonctionnement et sur les ressources accordées aux opérateurs de l'État.
Les effectifs et le budget correspondants au programme 144 augmentent en 2014, ce qui est exceptionnel au sein du ministère. Les crédits se montent à 1 979,5 millions d'euros, en hausse de 3,9%. Le schéma d'emplois augmente de 1,8%, passant de 8 820 à 8 848 ETPT. La dotation en masse salariale passe de 633 à 644 millions d'euros. La politique de ressources humaines restera axée sur l'ouverture d'emplois d'encadrement et de haute technicité et sur la préservation d'une proportion de civils, fixée à un tiers. Hors titre II, les crédits du programme 144 s'élèvent à 1 335 millions d'euros : une baisse de 1,08% en autorisations d'engagement et une hausse de 4,94% en crédits de paiement.
La nomenclature, inchangée, se compose des actions 3, 7 et 8 : recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France, prospective de défense, diplomatie de défense. L'action des services de renseignement sera renforcée et consolidée, les moyens mutualisés, l'interopérabilité accrue, et les effectifs augmenteront de 65 agents. Le budget augmentera, hors masse salariale, de 39 millions d'euros.
L'action 7 est la plus importante en volume. Elle comprend l'analyse prospective, qui est l'un des domaines majeurs de la fonction stratégique de connaissance et d'anticipation. Ces études sont commandées à des instituts de recherche politico-militaire, géopolitique, économique et sociale afin de répondre aux besoins, divers, de tous les services. Les études opérationnelles et technico-opérationnelles (Eoto) éclairent les réflexions sur l'équipement et l'emploi des forces. Les études amont représentent le plus gros effort du programme en matière de prospective de défense.
La sous-action 7.1 rassemble les études prospectives et stratégiques, qui est au coeur de la mission de la DAS, les aides à la publication, le soutien aux personnalités d'avenir et au post-doctorat. Elle représente en 2014 6 millions d'euros en autorisations d'engagement, en baisse de 25%, et 6,9 millions d'euros en crédits de paiement, en hausse de 35%. Ces évolutions contrastées traduisent des ajustements de gestion. La sous-action 7.2 rassemble les Eoto qu'il est prévu d'engager en 2014 conformément aux orientations du plan prospectif à 30 ans. Ces études, pilotées par l'état-major des armées, visent à identifier les besoins militaires et préparer en conséquence les opérations d'armement. Les sous-actions 7.3 et 7.4 forment l'agrégat « recherche et technologie ».
Le budget prévu en 2014 pour les études amont, auxquelles s'ajoutent les subventions de recherche et technologie, est de 868 millions d'euros en crédits de paiement, en baisse par rapport à 2013, du fait de la baisse des crédits de fonctionnement des opérateurs. Cet agrégat représente environ 2% du budget de la défense français ; les Anglais et les Allemands y consacrent respectivement 1,5% et 1%, les autres pays européens encore moins. Les crédits des études amont ne sont plus répartis par systèmes de force mais par domaines sectoriels. Ces études représenteront l'an prochain 60,6% des autorisations d'engagement et 56% des crédits de paiement du programme, 809 et 746 millions d'euros.
La sous-action action 7.4 concerne les subventions à des opérateurs qui participent aux études et recherches, comme les écoles de la DGA - Ecole polytechnique, Ecole nationale supérieure de techniques avancées, Ecole nationale supérieure de techniques avancées Bretagne, Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace - mais aussi l'Onera ou l'institut Saint-Louis. Ces subventions s'élèvent en 2014 à 253 millions d'euros, en baisse d'environ 12 millions d'euros, ce qui compensera la hausse du budget des études amont.
L'action 8 regroupe les crédits consacrés au soutien aux exportations d'armement et à la diplomatie de défense. Les crédits de paiement, 35 millions d'euros, sont en baisse de 19,6% : c'est que le salon du Bourget se tient un an sur deux seulement... La sous action 8.1 concerne le soutien aux industriels exportateurs, notamment à travers l'organisation de manifestations renforçant leur visibilité. Les crédits sont de 6,5 millions d'euros environ.
La sous action 8.2 regroupe les crédits nécessaires au fonctionnement des postes permanents à l'étranger des 88 missions de défense, l'aide versée par la France au gouvernement de la République de Djibouti en compensation de l'implantation des forces françaises, soit 21millions d'euros, et la contribution financière au partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes (PMG8). Son budget diminue de près de 22%, et s'établit à 28,6 millions d'euros. Les dépenses d'activité des missions de défense représentent, hors titre II, 6,3 millions d'euros : le nombre des missions de défense reste à peu près constant mais, le nombre d'attachés de défense résidents diminuant, les dépenses de déplacement des non-résidents augmentent logiquement.
Enfin, la part des crédits relevant du ministère de la défense au PMG8 a été ramenée de 6 à environ 1 million d'euros.
La fin de gestion 2013 conditionnera l'entrée dans de bonnes conditions dans la nouvelle programmation. C'est un sujet de préoccupation. L'effectif moyen réalisé prévisionnel cible (EMRP) de 8 682 ETPT pour 2014 correspondra à peu près à la trajectoire d'atterrissage fin 2013. Les deux services de renseignement ont bénéficié en 2013 d'une progression en personnel civil d'encadrement, plus importante à la DGSE qu'à la DPSD.
Hors titre II, le programme 144 devrait engager cette année environ 1 400 millions d'euros et en payer 1 200, hors consommation de la réserve, qui représente à ce jour 88 millions en autorisations d'engagement et 83 en crédits de paiement. Comme les années précédentes, l'enjeu de cette fin de gestion 2013 est donc la levée de la réserve organique. Associée à une autorisation de consommer les reports, elle nous donnerait une capacité de paiement de 1 401,5 millions d'euros. La non-levée de la réserve aurait un impact immédiat sur l'application de la loi de programmation, puisqu'une partie de la ressource 2014 serait hypothéquée.
Du gel, du surgel et de la réserve de précaution. Le programme 144 va disposer, pour la dernière fois cette année, des ressources du compte d'affectation spéciale Fréquences pour un montant de 42 millions d'euros, affectés aux études amont.
Le programme 144 est capital pour assurer une connaissance juste, rigoureuse, aussi complète que possible de notre environnement international, et pour bien articuler expression des besoins militaires et construction des programmes d'armement. La loi de programmation le dote des moyens de cette ambition, la loi de finances pour 2014 en constitue la première traduction. Reste à garantir les conditions d'exécutions de la fin 2013...
Espérons que les rentrées fiscales autoriseront la levée de la réserve. Le président Roussely avait évoqué devant nous cette question, passablement agaçante pour les parlementaires, car un budget doit être exécuté comme il a été voté.
Merci pour cet exposé très complet. La loi de programmation prévoit 300 postes supplémentaires pour les services de renseignement. En l'absence de demande de la DPSD, seront-ils tous affectés à la DGSE ? Quant à la diplomatie de défense, comment voyez-vous l'évolution de notre présence et de notre coopération militaire en Afrique ?
Je ne peux répondre à votre première question, car j'ignore les demandes de la DRM qui ne relève pas du programme 144.
Il semble que l'essentiel des postes supplémentaires doive être affecté à la DGSE.
Ce qui n'est pas suffisant, mais tout de même conséquent. La redéfinition de notre dispositif de forces pré-positionnées poursuit trois objectifs : concentrer nos moyens sur les deux zones d'intérêt prioritaire que sont le Golfe et la bande sahélienne, adapter les modalités de notre présence aux besoins de sécurité de l'Afrique et au mode d'action souple et réactif décrit par le président de la République dans son discours à Dakar en octobre, et ramener le surcoût des opérations extérieures sous un seuil acceptable le plus rapidement possible. Nous poursuivrons notre soutien à l'architecture africaine de paix et de sécurité grâce à des dispositifs régionaux de coopération. Un sommet sur la paix et la sécurité en Afrique se tiendra à l'Élysée les 6 et 7 décembre prochains. L'évolution de notre présence en République centrafricaine constituerait une opération nouvelle. Nous souhaitons regrouper nos moyens en un ensemble cohérent, réduire la dispersion de nos forces engagées en opérations extérieures, surtout dans les théâtres d'opérations qui ne relèvent plus d'une logique militaire.
Il n'est pas glorieux pour l'État que la réserve soit ainsi suspendue. Les relations avec les fournisseurs, qui intègrent forcément le coût financier qu'ils subissent, en deviennent malsaines. Cela oblige à des compromis, voire des compromissions. Il est plus confortable de payer ce que l'on doit dans les temps, et avec de l'argent non virtuel ! La dernière commission du Livre blanc avait révélé des faiblesses dans la démarche stratégique. Les membres de la commission ne disposent pas de l'équation financière. Envisagez-vous de confier à une structure permanente le soin de procéder à l'analyse géostratégique afin que les membres de la commission se concentrent sur les questions politiques ? Quelles sont les modifications du périmètre de la DAS qui accompagnent votre arrivée ? Concernant la diplomatie de défense, ne devrait-on pas privilégier les déplacements depuis la métropole lorsque cela est nécessaire, plutôt que d'affecter les attachés à des territoires immenses ?
Je partage vos inquiétudes et vos frustrations sur la réserve, mais la négociation budgétaire n'est pas terminée, et le cabinet suit la question de près. Il s'agit tout de même de l'équilibre du projet de loi de finances et des conditions d'entrée dans la loi de programmation...
Nous réfléchissons à la mobilité des attachés de défense et d'armement, sans nous limiter aux questions de coût : dans certaines régions, comme les pays baltes, qui forment un ensemble, il est logique d'en avoir un ; dans d'autres zones, un dispositif parisien réactif vaut mieux qu'un attaché non-résident. Je n'ai pas participé à l'élaboration du Livre blanc, mais les travaux d'analyse stratégique doivent en effet être mieux et plus régulièrement partagés. La création de la direction générale a renforcé l'articulation entre prospective stratégique et politique de défense. C'est la nouvelle direction générale qui est désormais responsable de l'actualisation du Livre blanc.
En préparant le Livre blanc, nous avons refait pendant trois mois ce que la DAS avait déjà fait : c'est une perte de temps. Pourquoi ne pas prévoir un suivi, en petit comité, et une actualisation régulière de vos travaux ? Vous avez parlé des drones Neuron et du démonstrateur que nous développons, avec l'entreprise Dassault comme chef de file et plusieurs autres industriels soutenus par leurs États. Le rapprochement avec BAE annoncé par la DGA n'est-il pas une manière d'écarter ceux qui ont déjà travaillé sur ce projet ? Les Allemands, de leur côté, procèdent depuis quelques mois à un rapprochement avec les Néerlandais et les Polonais : les blindés néerlandais intègrent désormais l'armée allemande. La mutualisation et la coopération qui accompagnent ce rapprochement, notamment en matière de marine, sont-elles les bases d'un système de nations-cadres, que les Allemands semblent avoir défendu à l'OTAN récemment ? L'Allemagne se groupe plus volontiers avec ses voisins de l'Est. S'agit-il d'une évolution de l'Europe de la défense, pour laquelle nous avions d'autres propositions ?
En effet, le ministre allemand M. Thomas de Maizière a défendu ce concept de nations-cadres à la réunion des ministres de la défense en juin dernier. Nous ne sommes certes pas opposés à cette idée : nous avons du reste précisément joué ce rôle dans l'opération Serval, au Mali, et avons développé des moyens de commandement multinational. Il faut éviter une approche trop systématique et trop théorique, guère ancrée dans les réalités. Certains pays peuvent être nations-cadres dans un domaine opérationnel, d'autres dans le développement d'un programme, d'autres dans l'intégration de forces armées : les périmètres sont forcément mouvants.
La seule nation-cadre légitime, ce sont les États-Unis, dans l'Otan. Vouloir en définir d'autres soulève de nombreux problèmes.
Le débat budgétaire est l'occasion de mieux situer la politique de défense menée. Nous savons que la NSA nous écoute. Avons-nous la capacité de faire de même ? De nous protéger efficacement de ces écoutes ? Les États-Unis l'ont-ils ?
Qu'attendez-vous de la conférence de Genève ? L'Iran semble avoir accepté le protocole additionnel de l'AIEA, qui prévoit des inspections intrusives : ce serait un progrès majeur. Depuis la guerre du Golfe, l'Irak n'est plus un cran d'arrêt, mais une voie de passage et même un démultiplicateur de l'influence iranienne... Où va cette région ?
En matière de renseignement d'origine électromagnétique, nous aurons bientôt le Ceres. Mais de quels moyens disposons-nous aujourd'hui ?
En matière d'imagerie ?
En matière de capacités de recueil électromagnétique et d'écoute, le projet satellitaire Ceres est en cours.
En matière de capacités de protection, le renforcement de l'Agence nationale pour la sécurité des systèmes d'information (Anssi) doit nous aider à rattraper notre retard. Des efforts conséquents ont déjà été engagés, depuis le précédent Livre blanc, pour la protection des systèmes gouvernementaux, mais il faut aussi faire prendre conscience aux entreprises de l'ampleur de la menace. Nous sommes certes en avance sur nos partenaires européens, mais la menace s'intensifie. L'opinion publique est focalisée sur l'espionnage et les intrusions : il y a aussi le risque d'attaque et de destruction. L'attaque qu'a essuyée Saudi Aramco a détruit des dizaines de milliers de bases de données, et le coût économique a été très lourd.
Sur la Syrie, notre objectif est de parvenir à une solution politique. Les phénomènes qui nous préoccupaient déjà il y a un an s'accélèrent. La fragmentation de l'opposition, sa radicalisation, rend le succès du Genève II plus aléatoire. Bachar el Assad se sent conforté par ces évolutions. Des manifestations purement civiles contre la dictature se sont transformées en une lutte armée puis, sur une partie croissante du territoire, en une lutte terroriste que le dictateur s'empresse de dénoncer. Tout cela est préoccupant. Nous sommes mobilisés pour aider les opposants que nous souhaitons voir jouer un rôle dans la Syrie de demain. Ils ont besoin de moyens, mais aussi d'unité et de légitimité.
Sur l'Iran, nous avons eu, la semaine dernière, des discussions à Genève. Les indications selon lesquelles l'Iran pourrait adhérer au protocole additionnel de l'AIEA, qui donne des droits d'investigation plus importants à l'Agence, ont été démenties par la délégation iranienne avant même la fin des discussions. Nous avions déjà eu ce type d'accord en octobre 2003, mais les engagements pris alors par les négociateurs iraniens n'avaient pas été suivis d'effet, puisque le Majlis avait posé d'innombrables conditions à une autorisation de ratification.
Il serait bon néanmoins que l'AIEA dispose de plus de moyens en Iran. Ce serait déjà une avancée. Le groupe des six - l'E3 plus 3 - souhaite aussi que les discussions portent sur le rétablissement de la confiance. Si l'Iran levait un peu le voile sur ses activités menées en violation des décisions du Conseil de sécurité et sur le passé, ce serait un bon signal.
A la veille du Conseil européen de décembre, où la défense est à l'ordre du jour, quelle est l'attitude de nos grands partenaires à l'égard des trois corbeilles en discussion - capacités, opérationnel, base industrielle et technologique de défense ? Que proposera la France ? Qu'attendons-nous de nos grands alliés ? Nous souhaitons pour notre part en finir avec l'Europe de la défense et créer... la défense européenne. Nous sommes, je dois vous l'avouer, des fédéralistes. Avancer à petits pas, c'est bien, mais à force, on piétine. Résultat, l'opinion publique estime que l'on recule en Europe, et l'on commence à pressentir les conséquences dramatiques qu'un retour aux nationalismes pourrait produire. L'histoire ne nous appelle que trop à nous faire les gardiens de la ligne donnée à la construction européenne par les grands précurseurs.
Ce Conseil européen est une échéance capitale. Toutes les énergies du ministère sont mobilisées. Les 18 et 19 novembre, se tiendra une réunion entre ministres des affaires étrangères et de la défense de l'Union européenne, à la suite de laquelle nous pourrons apporter une réponse plus fine à votre question. Le rapport Ashton donne des indications sur ce qu'est, pour les instances européennes, l'objectif raisonnable. Nous avons une vision un peu plus ambitieuse, en faveur de laquelle nous entendons militer. Nous souhaitons également faire avancer des projets qui n'ont pas forcément pour cadre l'Union européenne, mais sont menés par des Européens et sont utilisables pour l'Union.
Sur le volet opérations, nous souhaitons, au-delà des seuls aspects institutionnels et de la réorganisation des structures, consolider les investissements engagés sur des terrains prioritaires pour nos intérêts stratégiques. Je pense en particulier au Sahel, dont nous souhaiterions que les chefs d'Etat et de gouvernement le consacrent comme zone prioritaire. Les missions existantes, l'EUTM Mali, l'EUCAP Sahel, fonctionnent bien. C'est essentiel dès lors que des problématiques frontalières sont en jeu. Nous souhaitons également que la mission au Mali soit prolongée par une mission civile d'assistance au maintien de l'ordre dans tout le pays. On ne progressera pas tant que les Maliens ne seront pas en mesure d'assurer leur souveraineté sur l'intégralité de leur territoire.
Il est temps que la stratégie de sûreté maritime de l'Union européenne, en préparation depuis 2010, aboutisse. Les chefs d'Etat et de gouvernement devront prendre position. Nos partenaires, dont beaucoup ont des intérêts maritimes, doivent mesurer l'ampleur des défis, à commencer par la liberté de circulation. Il y a là un intérêt de sécurité que la définition d'une stratégie aidera à garder à l'esprit.
Dans les Balkans, l'Union européenne peut et doit assumer un rôle croissant en matière de sécurité. La KFOR assure pour l'essentiel des missions qui ne sont pas, stricto sensu, militaires. Ces missions, s'il ne tenait qu'à nous, pourraient être reprises par l'Union européenne. Mais beaucoup de nos partenaires, en Europe et dans l'Otan, n'y sont pas prêts. Nous ne parviendrons donc pas au consensus, mais affirmer que l'Union européenne doit prendre davantage de responsabilités dans les Balkans n'en ouvrira pas moins une perspective de long terme.
Pour ce qui concerne les capacités, nous entendons nous concentrer sur les projets qui apportent une vraie valeur ajoutée. Le centre de commandement du transport aérien d'Eindhoven, l'EATC (European Air Transport Command), vaut d'être élargi. Plus le champ des pays sera large, plus nous ferons d'économies. Parallèlement, un élargissement fonctionnel nous aiderait à muscler le ravitaillement en vol, grâce à la mutualisation.
Nous avons beaucoup oeuvré, au ministère, pour lever les barrières, afin d'arriver à des solutions pragmatiques.
Nous travaillons à faire avancer le volet ravitaillement et avons pris, au-delà, une décision patrimoniale. Nous avons formulé des propositions. En particulier, la mise à disposition de nos capacités de soutien logistique et de maintenance pour les pays qui choisiraient le même avion. En matière de transport et de ravitaillement, la mutualisation peut donner une réelle impulsion.
Troisième grand volet, les drones. Il s'agit pour nous de conforter l'Agence européenne de défense en matière de certification et de navigabilité, d'avancer sur la question du drone Male, mais aussi sur celle des drones de surveillance de troisième génération. Il serait bon que les chefs d'Etat et de gouvernement décide de travailler de concert sur cette question. Pour commencer, l'AED pourrait engager un travail de spécification de base.
Nous entendons recourir aux fonds de la Commission européenne. Sur la troisième corbeille, des divergences demeurent entre Etats membres, mais nous souhaitons que les chefs d'Etat et de gouvernement soulignent la contribution de la base industrielle et technologique de défense européenne à la sécurité, à l'autonomie stratégique, à l'emploi. Ce, afin de progresser sur la définition du périmètre, comme sur l'opérateur européen. Nous manquons, aujourd'hui, d'une perception commune.