La commission examine les amendements sur le texte n° 562 (2013-2014) adopté par la commission, sur la proposition de loi facilitant le déploiement d'un réseau d'infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l'espace public.
La réunion est ouverte à 14 heures.
Nous avons six amendements à examiner.
Article 1er
Je suis tout à fait favorable à l'exonération de redevance prévue par la proposition de loi, afin de faire décoller la filière du véhicule électrique. Mais une fois le modèle économique stabilisé, il n'y a pas lieu de la maintenir car c'est une forme de subvention indirecte. Mon amendement n°5 rectifié propose qu'un décret en Conseil d'État encadre cette mesure dans le temps. Mon sentiment personnel est que cette durée pourrait être comprise entre cinq et dix ans.
Je comprends la proposition de notre collègue Louis Nègre. En effet, le déploiement des bornes pour les opérateurs qui en seront chargés ne sera pas un investissement rentable à court terme, ce qui justifie la mise en place de l'exonération. Mais cela ne sera peut-être pas toujours le cas, notamment avec la montée en puissance attendue du parc de véhicules électriques.
Pourtant, il semble difficile de déterminer aujourd'hui quelle durée précise pourrait être fixée. Je crois que nous gagnerions à ne pas limiter ce dispositif, d'autant que le manque à gagner pour les collectivités territoriales sera faible. Il sera toujours temps d'y revenir plus tard.
Je propose donc que l'amendement soit retiré, sinon avis défavorable.
La commission demandera le retrait de l'amendement n° 5rectifié pour lequel elle a émis un avis défavorable.
Mon amendement n° 1 vise à ce que les plans retenus soient rendus transparents. Je crains en effet que pour certaines régions, il n'y ait pas d'opérateur volontaire.
Je vous propose de demander des garanties au ministre en séance et, ensuite, de retirer votre amendement.
La commission demandera l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 1.
L'amendement n° 2 propose d'inclure dans la concertation sur l'implantation des infrastructures de recharge les personnes morales de droit public mentionnées à l'article L. 2224-37 du code général des collectivités territoriales dont le projet a déjà fait l'objet d'une délibération de l'organe délibérant.
L'auteur de la proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé sur laquelle nous devons émettre un avis la semaine prochaine m'a fait part de son souhait de venir la défendre devant la commission.
L'article 18 du règlement du Sénat dispose que les auteurs de propositions de loi non membres de la commission sont entendus sur décision de celle-ci.
Êtes-vous favorables à la demande formulée par votre collègue ?
La demande recueille l'assentiment général.
La réunion est levée à 14 h 25.
- Présidence de M. Raymond Vall, président -
La commission procède au dépouillement du scrutin portant sur la candidature de M. Stéphane Saint-André aux fonctions de président du conseil d'administration de Voies navigables de France, en application de l'article 13 de la Constitution.
Voici les résultats du scrutin du mardi 27 mai 2014 concernant la candidature de M. Stéphane Saint-André aux fonctions de président du conseil d'administration de Voies navigables de France : 7 voix pour et 2 votes blancs.
- Présidence commune de M. Raymond Vall, président et de M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques -
La réunion est ouverte à 18 h 05.
Nous sommes très heureux de vous accueillir, à l'issue d'un cycle d'auditions des opérateurs de télécommunications, très riche d'enseignements, à l'heure où ce secteur connaît d'importantes évolutions. Nous souhaiterions vous entendre sur la situation économique de ce dernier à court et moyen termes : les règles de la concurrence sont-elles respectées ? La viabilité économique des opérateurs conduit-elle à la concentration ? Les investissements exigés par le déploiement de la fibre seront-ils effectivement réalisés ? Le plan France très haut débit devra-t-il être réactualisé ? Avant de céder la parole au président Vall, qui vous interrogera sans doute sur la couverture numérique du territoire, enjeu capital pour nous tous et relevant plus particulièrement des compétences de sa commission, je ne puis passer sous silence une proposition de loi relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques, dont il nous faudra revoir le dispositif, formé d'une sédimentation de compromis... Nous devrons mettre au propre le « brouillon » de l'Assemblée nationale.
Les membres de la commission du développement durable sont également très heureux de vous accueillir. L'aménagement du territoire est en effet au coeur de nos compétences ; aussi est-ce sur cet aspect que nous souhaitons vous interroger, alors que certains schémas ont bien avancé, mais rencontrent des difficultés sur le terrain. Le président de l'association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca), notre collègue Yves Rome, sera sensible aux possibilités d'optimisation des infrastructures, alors que certaines d'entre elles existent, mais n'apparaissent pas dans ces schémas. Nous avons bien du mal à les exhumer !
Nous n'avons pas encore résorbé les effets de nature sismique de l'arrivée d'un nouvel opérateur, Free, décision qui fut prise dans des conditions peut-être justifiées politiquement, mais dont les conséquences n'ont pas été anticipées. Tel ou tel opérateur est-il, pour autant, condamné ? Non, car il revient aux pouvoirs publics de décider et de mener une politique qui ne peut se résumer à l'intensification de la concurrence. Telle n'est en effet pas la position de ce gouvernement. La concurrence est parfois nécessaire, mais elle aussi destructrice ; il faut agir de façon pragmatique, équilibrée et raisonnable. Le premier effet de la concurrence est de faire baisser les prix, ce qui représente un avantage pour le consommateur, dont il faut se féliciter. Cependant, cette situation n'est pas durable ; elle est même dangereuse, quand des opérateurs faisant des offres de services se livrent à une véritable guerre des prix. Notre pays est l'un de ceux, avec Israël, où les prix sont les plus bas au monde. D'où les dégâts sociaux, économiques et industriels que nous connaissons : accélération de la délocalisation des centres d'appels ; recherche d'équipements low cost par les opérateurs , arrivée de Huawei sur le marché européen au détriment d'Alcatel, ce qui a entraîné un plan social, même si ce n'en est pas la cause unique ; remise en question du système des services offerts en boutiques, avec des destructions d'emplois ; liquidation de Phone House ; plan social chez SFR, dont on a peu parlé, parce que les indemnisations étaient assez généreuses ; et autre plan à venir chez Bouygues Telecom, qui serait plus important... Beaux résultats ! Les prix baissent, certes, et les consommateurs y gagnent, mais au prix de la santé des entreprises et de l'emploi.
Cela n'est pas sans conséquence sur les investissements : il est question de consacrer des milliards d'euros au déploiement de la fibre. Les opérateurs devront investir, s'ils le peuvent et parce que c'est leur intérêt. Mais s'ils ne le peuvent pas, le contribuable sera à nouveau sollicité. Aussi, depuis deux ans que j'ai la charge de ce secteur, j'ai multiplié les déclarations, qui vont toutes dans le même sens : la situation européenne, et non pas seulement française, n'est plus acceptable. Combien d'opérateurs pour 300 millions de clients américains ? Disons trois et demi, avec les consolidations en cours. Pour les 800 millions de clients chinois, deux et demi ou trois... Et pour les 400 millions d'Européens ? 120 ! Cette balkanisation, cet émiettement de l'offre affaiblit les opérateurs. Combien d'opérateurs européens sont en bonne santé ? Je ne donne pas de chiffre, mais allez voir leurs comptes et vous constaterez les effets de l'idéologie obsessionnelle de la concurrence, y compris sur les infrastructures ! Cette stratégie européenne ne me convient pas.
J'ai noté des éléments d'inflexion depuis quelques mois. Avec la précédente ministre déléguée chargée de l'économie numérique, Fleur Pellerin, nous avions saisi l'Autorité de la concurrence, qui a admis que doive cesser la concurrence par les infrastructures, permettant ainsi le partage du territoire. Cet avis, qui date d'un an, fonde juridiquement des évolutions - bienvenues - de la doctrine européenne en la matière. Nous attendons, ce mois-ci, des décisions de la direction générale de la concurrence, concernant l'Allemagne et l'Irlande. Le Gouvernement est favorable à la consolidation autour de trois opérateurs. Celle-ci n'est pas synonyme d'entente. Il y eut des ententes à quatre et il peut y avoir de la concurrence à trois. Le maintien de Free exerçant une pression sur les prix, nous favoriserons le renforcement des opérateurs sur le plan national, tout en préparant une consolidation européenne que nous appelons de nos voeux et à laquelle nous travaillons, sans nous immiscer dans les choix stratégiques des opérateurs. Le rapprochement entre SFR et Numericable n'a pas permis cette consolidation à trois. Ces problèmes restent donc devant nous. C'est pourquoi nous incitons publiquement les opérateurs à rechercher les voies et moyens d'un rapprochement, autant qu'ils le voudront et selon les combinaisons qu'ils pourront imaginer.
Face à la concentration dans le secteur, après l'annonce d'une réforme territoriale qui suscite des questions sur le rôle des départements, fondamental pour la mise en oeuvre du plan France très haut débit, mais aussi sur les contours des régions, il est tout à fait légitime que les élus et les parlementaires en particulier s'interrogent : le plan de déploiement de l'internet à très haut débit sera-t-il remis en cause ? La question se pose autant dans les 53 % du territoire en zone dite « AMII » (appel à manifestation d'intention d'investissement), où les opérateurs privés sont autorisés à déployer la fibre dans le cadre de contrats avec l'État et les collectivités territoriales, que dans les zones dites « blanches », qui regroupent les 47 % restants, où les autorités publiques et les collectivités locales interviennent pour déployer le très haut débit. Remettre en cause ce plan reviendrait à remettre en cause l'engagement du président de la République de déployer la fibre optique d'ici à 2023.
Soyons lucides et relativisons ! Dans cette période charnière, les opérateurs doivent être en mesure de continuer à investir. L'État s'est fortement engagé, à hauteur de 3,3 milliards d'euros : c'est le plus grand chantier d'infrastructures de ce début de siècle, le plus grand du quinquennat. Toutes les études montrent que le très haut débit entrainera un gain de valeur économique, de croissance et d'emplois. Il n'est pas question de remettre en question l'engagement de l'État. Le plan France très haut débit procède d'un cadre souple, fondé sur un dialogue avec les acteurs, animé par la mission du même nom. Il n'y a plus d'opposition de principe entre les opérateurs et les collectivités locales, sous l'arbitrage de l'État. Le dialogue prime et porte ses fruits, puisque les projets des départements ont été validés. Ce cadre souple permet aux opérateurs de mobiliser leurs capacités financières au service de nouvelles infrastructures en fibre optique, le plus rapidement possible dans les zones prioritaires, comme les écoles, visées par le plan École connectée que nous avons récemment lancé avec Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. Déjà, 54 dossiers ont été déposés pour obtenir le soutien du fonds numérique, afin d'offrir à quatre millions de foyers l'accès au très haut débit, et à 600 000 autres un meilleur débit sur le réseau de cuivre. Cela répond à une demande des élus, que le Gouvernement doit entendre. Nous ne refusons pas par principe un mix technologique, car il y a urgence, pour combler la fracture numérique, sans remettre en cause, je l'ai dit, l'engagement du président de la République.
Le volume global des investissements s'élève à 7 milliards d'euros à ce jour : 3,2 millions de logements accèdent au très haut débit, dont 600 000 en dehors des zones les plus denses. Une dynamique est engagée. Le Gouvernement veillera à ce qu'elle ne soit pas enrayée, à ce que la concentration bénéficie à tous, à ce que les engagements soient respectés, comme les 450 millions d'euros supplémentaires de SFR et Numericable dans le plan « France très haut débit », de 2015 à 2017, pour les zones denses, et les 50 millions d'euros supplémentaires pour amorcer l'arrivée des grands fournisseurs d'accès à internet sur les réseaux publics.
Nous travaillons à l'accélération de cette dynamique au profit des territoires : ainsi, la réglementation de l'accès des immeubles à la fibre ne doit pas la pénaliser par rapport à d'autres technologies. Nous encourageons les montages de long terme, par lesquels les investisseurs accompagneront les investissements des opérateurs. Nous réfléchissons aux moyens de faire en sorte que la concurrence entre infrastructures bénéficie aux usagers.
Le plan cible les besoins prioritaires, pour le raccordement des entreprises et des services publics et pour le raccordement rapide des zones les moins favorisées. Le Gouvernement n'a nullement l'intention de remettre à plat l'ensemble de ce plan. Il entend, bien au contraire, rassurer les usagers et les opérateurs. Nous tiendrons compte des conséquences de la concentration du secteur et de la réforme territoriale pour trouver des outils de financement innovants, permettant de répondre aux besoins spécifiques, en particulier dans les zones denses.
N'y a-t-il pas des priorités à modifier, pour établir les zonages ? Je passe la parole à Pierre Hérisson, co-président du groupe d'études communications électroniques et poste, puis à Yves Rome, président de l'Avicca.
Quelles que soient nos sensibilités politiques, nous souscrivons à l'essentiel de ce que vous avez déclaré l'un et l'autre. Je suis ce dossier depuis 1996 au Sénat, et nous avons connu des étapes plus ou moins inquiétantes. Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, l'autorisation délivrée au quatrième opérateur a fait baisser la plus grande part de la capacité d'investissement de l'opérateur historique et des nouveaux entrants.
Heureusement, l'évolution technologique nous a éloignés d'une conception idéologique, à tel point que le bon sens et la raison sont en train de l'emporter sur l'absurde « tout ou rien ». J'en veux pour preuve un paragraphe de la réponse que nous a adressée Fleur Pellerin sur les infrastructures, qui mentionne, non seulement la fibre optique, mais aussi les autres technologies, dans une logique de complémentarité, pour assurer la couverture du territoire. Oui, nous nous en rapprochons, depuis les promesses des deux candidats présents au second tour de la présidentielle, de notre capacité d'investissement et de la réalité. Avec son service universel, toujours en vigueur, maintenu par l'opérateur historique, la France a couvert la totalité de son territoire par un réseau de cuivre, au moyen d'un échange donnant-donnant avec le détenteur du monopole. Si France Telecom y est parvenu sans aide publique, à l'exception de l'enfouissement des réseaux financé en grande partie par les collectivités locales, c'est grâce à l'argent du consommateur. Le moment est venu de faire preuve de réalisme, en donnant aux opérateurs les moyens de couvrir le territoire là où ils le peuvent, en complémentarité avec les collectivités locales là où ce n'est pas possible pour des raisons d'équilibre économique. Placer sur le même plan les réseaux d'initiative publique (RIP) et les obligations des opérateurs me paraît trop rapide, alors que les collectivités sont là pour accélérer les décisions.
Avec notre collègue Bruno Retailleau, également spécialiste de ce dossier, nous nous sommes interrogés sur le plan France très haut débit : sera-t-il corrigé, réorienté, avec la fusion de deux opérateurs ? La France connaîtra-t-elle une situation « à l'allemande » ? Les Allemands n'ont pas fait le choix de la fibre, mais utilisent le coaxial pour le parcours terminal, ce qui permet de couvrir avec un débit moyen de 50 Mbit/s, l'ensemble du territoire. Je rappelle toutefois que si en France 80 % de la population est répartie sur 20 % du territoire, en Allemagne, cette proportion est de 40/60, ce qui facilite l'équilibre économique... Où en est le projet de création d'une agence du numérique, que nous sommes plusieurs à défendre ici ?
Je tiens enfin, madame la ministre, à vous remercier de vous être exprimée, juste avant cette audition, devant la mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'internet.
Je ne partage pas totalement l'analyse de Pierre Hérisson. Il y a quelques années, notre collègue Philippe Leroy a permis aux collectivités territoriales d'agir dans le domaine du numérique. Près de dix ans après, nous en sommes à la croisée des chemins. Le plan France très haut débit représente un effort très positif. Pas moins de 64 collectivités locales ont adopté un schéma d'aménagement numérique ; une dizaine d'entre elles, dont un département, ont passé des marchés, pour quelques centaines de millions d'euros, pour déployer des réseaux, rendant possible l'accélération du plan France très haut débit. Au total, plus d'un milliard d'euros a été attribué aux collectivités territoriales. J'ai bien entendu la ministre, qui a voulu nous rassurer sur les 3,3 milliards d'euros, mais, à ce jour, je n'en ai trouvé nulle trace budgétaire. Ces sommes sont pourtant indispensables pour que les collectivités locales puissent envisager une issue favorable aux dossiers qu'elles ont déposés.
Il faut consolider les opérateurs. Nous partageons l'analyse du trouble occasionné par l'arrivée du quatrième opérateur, s'il s'agit de consolider les engagements et les investissements dans les zones AMII. Quid des véhicules financiers susceptibles d'être mobilisés au profit des opérateurs afin qu'ils tiennent leurs engagements dans ces zones ? J'ajoute que la réforme territoriale inquiète au plus haut point l'ensemble des collectivités territoriales, qui se sont fortement engagées. Que vont-elles devenir ? Qu'adviendra-t-il de leur gouvernance ? Quid des syndicats mixtes ouverts, que la plupart des départements - appelés à disparaître - et des régions - dont l'architecture est bouleversée - ont mis sur pied pour accompagner les efforts du Gouvernement ? Et je ne parle pas des intercommunalités ! Or, il faut que l'ensemble des échelons territoriaux soit mobilisé pour que se réalise l'objectif présidentiel. La plupart des projets bénéficient du Fonds européen de développement régional (Feder), du Fonds national pour la société numérique (FSN), des crédits des régions, des départements, et ne peuvent parvenir à l'équilibre économique sans l'apport des communes et des intercommunalités. Quel sera le sort du Feder, alors que les notifications européennes des investissements des collectivités locales soulèvent des difficultés ? Monsieur le ministre, les collectivités territoriales ont besoin d'être sécurisées dans leur engagement massif en faveur de cette priorité du président de la République.
C'est Axelle Lemaire qui est chargée de mettre en oeuvre ce plan très haut débit et je l'en remercie. C'est un travail considérable et il importe, pour le mener à bien, d'écouter les représentants des territoires que vous êtes. Avant de lui céder la parole, je tiens à rappeler l'esprit dans lequel nous travaillons. Nous souhaitons faire aboutir ce plan. Les événements qui affectent les opérateurs ne doivent pas influer sur notre détermination. Nous avons une vision pragmatique de ce projet ambitieux. Nous tenons notre cap. Les réformes de toute nature ne doivent pas nous faire dévier. C'est la compétitivité de notre pays qui est en jeu, alors que nous nous interrogeons sur l'utilisation de l'espace, face au défi démographique considérable que représentent la croissance de notre population et l'exode urbain : dix millions de Français disent vouloir quitter les grandes villes pour vivre à la campagne. Des mutations du monde du travail en découleront, des changements de société, puisqu'il ne s'agit pas que de relier des êtres humains, mais de connecter des milliards d'objets par internet, ce qui entraînera des applications dans tous les domaines de la vie quotidienne. La France dispose d'atouts extraordinaires pour relever ces défis. C'est pourquoi le plan très haut débit est un objectif stratégique. Vous avez évoqué la réforme des départements, la modification de la carte des régions, la consolidation des opérateurs... nous nous donnerons les moyens de ne pas nous démobiliser. Que demanderons-nous aux opérateurs, en contrepartie de la consolidation à trois ? De « pousser les murs », de faire davantage pour les investissements... Soyons intelligents ! Utilisons l'avis de l'Autorité de la concurrence sur la mutualisation des moyens.
Lors des auditions, on nous a beaucoup dit que la mutualisation serait un « cancer », que les opérateurs n'y survivraient pas...
La compétitivité de l'État, des collectivités locales et du secteur privé est au coeur du plan France très haut débit. Nous l'envisageons sans naïveté : il faut un maximum d'investissements de la part des opérateurs privés. Le plan, je le répète, n'est pas remis en cause. Le Gouvernement reste très vigilant sur les engagements pris par les opérateurs. J'en discuterai avec M. Patrick Drahi ce jeudi. Il serait difficile de pousser les opérateurs à s'engager sur les investissements sans entendre leurs difficultés. Ils doivent retrouver leurs marges et nous devons les y aider. La question de la concentration se pose au niveau européen. C'est Angela Merkel elle-même qui a remis en cause l'application du droit de la concurrence, en considérant qu'elle a affaibli la position de nos opérateurs européens dans le secteur des télécommunications.
Cela dit, reconnaissons l'effort qu'ils ont accompli : leurs investissements ont beaucoup progressé depuis trois ans. Cet effort doit être amplifié. Est-ce soutenable, dans un contexte de baisse des revenus ? D'où la question de la mutualisation des infrastructures, essentielle pour que les opérateurs retrouvent les marges nécessaires à leurs investissements. Et que nous encourageons, autant pour le déploiement de la fibre que pour le réseau mobile. Ce problème est circonscrit. Ne le surestimons pas !
Les zones moins denses concernent quatre à cinq millions de prises, pour 1 500 communes. L'État y sera particulièrement vigilant.
Yves Rome, je vous assure que l'engagement de l'État, à hauteur de 3,3 milliards d'euros, sera tenu. Je comprends votre souci de le retrouver dans les lignes budgétaires ; j'y veillerai.
Quant à la gouvernance des syndicats mixtes ouverts (SMO), observons que le plan, au fil des ans, s'est adapté aux changements institutionnels. La Bretagne, tout comme certains départements, se sont engagés dans la construction de réseaux. Le ministère de l'intérieur avait décrété que cette compétence n'est pas sécable. Ce principe sera inséré dans le projet de loi de décentralisation, avec une exception pour les SMO, dont beaucoup sont d'envergure régionale ou départementale. Le plan très haut débit accorde une prime aux projets qui ont fait l'effort de se réunir pour accéder à une échelle suffisante pour attirer les investissements des opérateurs.
Nous aurons le débat relatif aux SMO dans le cadre de la prochaine loi de décentralisation.
L'État compte également beaucoup sur un financement du plan France très haut débit par le Feder, qui joue un rôle essentiel dans l'équilibre des territoires à l'échelle de l'Europe. Un commissaire européen a émis l'idée que ce plan et les autres programmes nationaux soient financés plutôt par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Quoi qu'il en soit, le Gouvernement a entendu vos préoccupations, dont nous avons fait part à la Commission européenne. Nous avons le soutien de la commissaire Neelie Kroes, et la décision qu'elle rendra devrait nous être favorable. Croyez en la pleine mobilisation du Gouvernement pour solliciter le Feder. Le cas échéant, je me rendrai à Bruxelles pour convaincre nos interlocuteurs.
Vous m'inquiétez autant que vous me rassurez. Il y a dix ans, Jean-François Le Grand et moi-même avons été à l'origine de l'article de loi autorisant les collectivités territoriales à s'engager pour lutter contre la fracture numérique. Les technologies ont évolué, mais la fracture demeure. Elle a partie liée avec la mixité technologique. Je n'ai rien contre celle-ci : dans mon département, nous utilisons toutes les technologies, satellite compris. En réalité, c'est le renoncement à l'objectif de la fibre optique pour tous qui aggravera la fracture numérique. Les besoins en débit augmentent partout car, en zone urbaine comme en zone rurale, les quantités de données échangées sont amenées à exploser avec les objets connectés. Renoncer à la fibre pour tous, c'est faire durer les solutions conçues comme provisoires, et laisser des zones entières à l'abandon. Les réseaux mobiles permettront de se passer d'un réseau fixe, entend-on parfois. Non ! Évitons de ne dépendre que des réseaux hertziens, qui de plus ne sont pas sans conséquences sur la santé.
Dans le cadre du plan France très haut débit, nous devrions reconsidérer les réseaux câblés, que nous avons à ce jour traités de façon trop légère. Numericable, qui était un réseau de télédistribution, se transforme en réseau de télécommunication : quel sera son statut juridique à terme ? Faudra-t-il l'ouvrir à la concurrence ? Le soumettre au contrôle de l'Arcep ? Le rachat de SFR lui permet de développer un vrai réseau très haut débit sur son infrastructure câble, ce qui risque de freiner SFR dans ses investissements...
Notre politique s'adresse à tous les Français. Pour développer la fibre pour tous, nous demandons aux opérateurs d'investir, et promouvons une régulation intelligente. À ce propos, chacun son rôle : le Gouvernement agit, le Parlement contrôle, et le régulateur régule ; j'ai eu maintes fois l'occasion de critiquer l'Arcep lorsqu'elle a cru pouvoir se prendre pour le ministre. Nous remplirons nos objectifs par l'alliance de tous les acteurs publics - collectivités, État, Europe - et privés. Si avec cela nous ne sommes pas capables de couvrir l'ensemble du territoire français, c'est que nous sommes manchots !
Pour y parvenir, nous devrons nous unir et répartir les efforts. Le câble complique les choses, dites-vous. Certes, tous les engagements des opérateurs n'ont pas été tenus, car ils se font la guerre entre eux et n'ont pas de marges suffisantes pour investir. À part Orange, qui arrive à suivre, il y a une interruption du service public délégué de la fibre aux opérateurs. Nous souhaitons que leurs investissements reprennent. Nous éluciderons pour cela les problèmes de concurrence sur le câble. Dans la bagarre entre Numericable et Bouygues, le Gouvernement a pris une décision très claire. Le board de Vivendi en a certes pris une autre, mais l'affaire n'est pas encore réglée. Le Gouvernement défend l'intérêt général de tous les Français - qui ne coïncide pas toujours avec les intérêts privés. Soyez-en sûrs : nous saurons rappeler les opérateurs à leurs engagements.
Le ministre a fait référence à l'échelle européenne. Or nos opérateurs ont une vision strictement hexagonale des choses ; l'Europe est sortie de leurs radars. Ne serait-il pas souhaitable de favoriser les investissements à cette échelle ?
Nous sommes très conscients du risque de fracture numérique. Le plan France très haut débit vise justement à confronter les stratégies des acteurs de l'internet pour couvrir l'ensemble du territoire. Le risque de zone blanche demeure bien réel. Il ne date pas du plan très haut débit. Le temps est venu de faire le bilan des engagements pris depuis dix ans, commune par commune, y compris en couverture basique de type 2G. Certains bourgs, nous le savons désormais, ont par exemple perdu le bénéfice de leur couverture à la suite d'une fusion de communes.
Le risque de fracture sociale est moins souvent évoqué. Or, internet est un outil d'insertion sociale et d'accès à l'emploi. Si la part des Français n'ayant pas accès à internet est de 20 %, celle des personnes gagnant moins de 900 euros par mois est de 40 %. D'où la nécessité de penser ensemble les infrastructures et les usages. Ce n'est pas un hasard si mon conseiller télécommunications est chargé des réseaux de communication électroniques et de l'inclusion numérique. Les opérateurs ont aussi un rôle à jouer dans la diffusion des usages, pour qu'internet soit plus facilement accessible à tous. Pour le reste, Philippe Leroy, dire qu'il faut moins jouer sur la concurrence dans les infrastructures dans les territoires déjà pourvus en câble, fibre, cuivre ou 4G ne remet aucunement en cause l'objectif du déploiement complet de la fibre optique à l'horizon 2023.
Quelle que soit l'infrastructure considérée, il faut des règles équitables. Nous nous ferons confirmer les intentions de Numericable, et les engagements pris par SFR dans les zones dans lesquelles ont été lancés des AMII. La question du statut du câble reste ouverte.
Un mot sur les concentrations en Europe. Les opérateurs français ont coutume de déplorer la baisse de leurs marges - alors qu'ils étaient champions du secteur il y a dix ans - et de l'imputer au défaut d'ambition industrielle européenne en matière de télécommunications, à l'arrivée de nouvelles plateformes numériques et à la concentration des acteurs étrangers. Cette analyse n'est pas fausse. Mais le temps est venu, pour les opérateurs, les gouvernements et la Commission européenne, de dresser un constat partagé. Je tiens ce discours en France comme à Bruxelles.
La Commission européenne, dans une décision relative aux concentrations dans le secteur en Allemagne et en Irlande, a autorisé le passage à trois opérateurs, ce qui est une bonne nouvelle pour consolider les marges de ces entreprises et progresser vers une véritable stratégie européenne. Mais la Commission pose des conditions très strictes : une capacité doit être laissée aux opérateurs virtuels d'intégrer le réseau. L'idée selon laquelle l'arrivée possible d'un quatrième acteur aurait un effet vertueux sur les opérateurs présents demeure à vérifier d'un point de vue économique. Les fréquences doivent en outre pouvoir être cédées à tout nouvel entrant potentiel. La chancelière Angela Merkel a estimé qu'il fallait revoir les règles de la concurrence en Europe : je vois dans le cas des télécommunications l'illustration parfaite de cette idée. J'aurais aussi pu évoquer le cas des géants du web 2.0, presque tous américains, dont les stratégies horizontales de déploiement de services leur permettent de contourner les règles de la concurrence.
Il faut désormais mettre en place une véritable stratégie industrielle. Les États doivent en être les principaux relais, face à la Commission européenne qui sera formée à l'automne et aux opérateurs privés. Ce chantier est essentiel pour les 505 millions d'utilisateurs européens de réseaux numériques, surtout quand on sait que les opérateurs américains s'appuient sur un marché équivalent.
Merci madame la ministre. Nous nous reverrons prochainement à l'occasion de l'examen de la proposition de loi relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d'exposition aux ondes électromagnétiques.
La séance est levée à 19 h 45.