La commission procède d'abord à l'examen du rapport de M. Éric Bocquet, rapporteur spécial, sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et article 60).
Nous entendons notre collègue Éric Bocquet, rapporteur spécial, sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et l'article 60, en présence de Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Avec 15,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est la quatrième du budget général, et la première en termes d'intervention de l'État auprès des ménages. Constituant le coeur du financement par l'État de la solidarité en faveur des personnes vulnérables, elle est concentrée sur quelques dispositifs d'intervention coûteux, mais fondamentaux pour notre cohésion sociale, particulièrement en ces temps difficiles : l'allocation aux adultes handicapés (AAH), les établissements et services d'aide par le travail pour les travailleurs handicapés, le revenu de solidarité active (RSA) « activité » et la protection juridique des majeurs.
Le budget triennal 2015-2017 prévoit la poursuite de l'augmentation des crédits, qui atteindront environ 16 milliards d'euros en 2017 - hors compte d'affectation spéciale « Pensions ». Il s'agit d'une augmentation d'environ 500 millions d'euros en deux ans. Cette hausse résulte principalement de l'évolution de deux dépenses : l'AAH, qui coûtera 8,5 milliards d'euros en 2015, et la partie « activité » du RSA, qui représente plus de 1,9 milliard d'euros. Si nous nous référons aux années passées, il est à craindre que l'augmentation de 500 millions d'euros programmée soit insuffisante. Le Gouvernement a engagé en 2013 une revalorisation du montant du RSA de 2 % par an sur la durée du quinquennat, engagée en 2013. Elle absorbera à elle seule la moitié de la hausse de 500 millions d'euros. Si l'on y ajoute la hausse de l'AAH, les mesures de protection juridique des majeurs et d'autres prestations obligatoires prévues par la mission, il n'y a guère de doute que le plafond sera dépassé.
Le programme n° 304, le principal pour l'inclusion sociale, porte essentiellement les dépenses de RSA « activité » et de protection juridique des majeurs. Ses crédits augmentent fortement car son périmètre change. Il accueille deux actions jusqu'alors portées par le programme n° 106, qui disparaît. Cette simplification de la maquette est bienvenue. Par ailleurs, le Fonds national des solidarités actives (FNSA) était jusqu'en 2014 financé par une ressource propre, issue du prélèvement de solidarité sur les revenus du capital, complétée par une subvention d'équilibre de l'État, qui était portée par le programme n° 304. Pour des raisons de clarté et de prévisibilité des recettes, le Gouvernement a décidé de faire porter l'intégralité du financement du FNSA par la subvention de l'État du programme n° 304, qui augmente donc de 1,7 milliard d'euros. Cette re-budgétisation était souhaitable en raison de la volatilité de la recette affectée.
Malheureusement, cette clarification est mise à mal par une affectation exceptionnelle de 200 millions d'euros en provenance du FNSA, opérée, qui plus est, en violation de l'article de loi créant la contribution de solidarité des fonctionnaires. La tuyauterie budgétaire doit respecter les utilisations prévues pour chaque contribution.
La dépense de RSA « activité » va augmenter fortement, en raison du contexte économique difficile et de la revalorisation exceptionnelle, pour atteindre 1,9 milliard d'euros en 2015.
Le Gouvernement supprime l'aide personnalisée pour le retour à l'emploi (APRE), coup de pouce à l'insertion des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), dont j'avais souligné l'utilité l'an passé dans mon rapport de contrôle budgétaire. Je regrette que, sous l'effet de la contrainte budgétaire, la mission « solidarité » se réduise à ses seuls dispositifs de guichet et que disparaissent ou soient réduites les interventions plus ciblées ou les subventions aux associations, qui animent sur le terrain la politique de solidarité.
Le programme n° 304 comporte également d'autres dispositifs d'intervention, dont l'aide alimentaire, qui nous tient particulièrement à coeur, et à laquelle 32 millions d'euros sont alloués en 2015, en complément de quelque 70 millions d'euros provenant d'un fonds européen. Cette somme finance notamment les épiceries solidaires et sociales, initiative très intéressante qui aide les plus démunis tout en leur permettant de conserver, ou de retrouver, la dignité et l'estime de soi dans l'acte de consommer.
Au programme n° 157, le plus important de la mission, les crédits de l'AAH augmentent légèrement pour atteindre 8,524 milliards d'euros. Par rapport à la prévision de dépense actualisée de 2014, cette augmentation n'est que de 50 millions d'euros. Or, la seule revalorisation annuelle normale liée à l'inflation représente 80 millions d'euros. Si l'on y ajoute la progression continue, quoique légèrement ralentie, du nombre de bénéficiaires, il est très probable que cette ligne budgétaire soit sous-dotée et qu'un abondement en cours de gestion soit nécessaire.
Je regrette la faiblesse de l'effort programmé pour les établissements et services d'aide par le travail (ESAT), qui font travailler des personnes handicapées, notamment des handicapés mentaux : aucune nouvelle place n'est construite et l'aide à la modernisation se limite à 2 millions d'euros, alors que les premières conclusions de mon contrôle en cours sur ce sujet montrent des besoins criants en la matière.
Le programme porte également les crédits de fonctionnement de l'État pour les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). La baisse de 10 millions d'euros est compensée par une contribution exceptionnelle de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Cette tuyauterie budgétaire, destinée à compenser provisoirement la raréfaction des ressources de l'État, est regrettable.
Le programme n° 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » est le plus faible de tout le budget général, avec seulement 25 millions d'euros. Il comporte essentiellement des subventions à des associations, globalement stables depuis trois ans - c'est-à-dire qu'en tenant compte de l'inflation, elles diminuent.
Le programme n° 124 est le grand programme support des politiques sociales, sanitaires, de la jeunesse et des sports. Il contient les crédits de fonctionnement et de personnel de ces administrations, au niveau central et au niveau déconcentré. En hausse de 10 %, les dépenses informatiques s'établissent à 27 millions d'euros, afin de combler ce que la directrice générale de la cohésion sociale, Sabine Fourcade, a qualifié de « sous-informatisation » du ministère. Par exemple, les décisions d'orientation des personnes handicapées ne sont pas suivies. Le plafond d'emploi des directions est réduit de 253 équivalents temps plein travaillé (ETPT) - uniquement dans les catégories C et B. Celui des agences régionales de santé (ARS) est réduit de 100 ETPT. Au total, depuis 2011, les administrations sociales ont perdu plus de 800 postes, soit près de 10 % du total, ce qui est considérable. Peut-on continuer ainsi sans remettre en cause les missions qui leur sont confiées ?
Ainsi, malgré l'importance de cette mission pour la cohésion sociale dans notre pays, je propose, en raison de ces baisses continues d'effectifs dans l'administration, de la suppression des dispositifs d'intervention ciblés comme l'aide personnalisée de retour à l'emploi (APRE), comme de la probable sous-dotation de l'AAH, de ne pas adopter les crédits de la mission.
Comme chaque année depuis 2011, cet article rattaché à la mission prolonge le financement dérogatoire du RSA « jeunes » par le FNSA, c'est-à-dire par l'État.
Le RSA « jeunes » bénéficie aux jeunes de moins de 25 ans qui ont travaillé pendant au moins deux ans. Comme le RSA, il devait être financé par les départements pour la partie « socle », et par l'État pour la partie « activité ». Dans l'attente de la montée en charge du dispositif, il a été prévu de façon dérogatoire que l'État, via le FNSA, le financerait en totalité. La montée en charge n'a pas eu lieu : pis, le dispositif reflue puisqu'il ne bénéficie qu'à environ 8 000 personnes, contre 10 000 en 2011. Trop complexe, il n'a pas trouvé son public.
Cette année encore, le Gouvernement sollicite une reconduite du financement dérogatoire du RSA « jeunes » par le Fonds national des solidarités actives (FNSA), dans l'attente de la réforme globale du RSA « activité » promise depuis trois ans. Bien que le Président de la République ait renouvelé récemment cette promesse, nous ne voyons venir aucun texte. Il n'est plus possible de reconduire, année après année, des dispositifs dérogatoires dans l'attente d'une réforme qui n'arrive jamais. C'est pourquoi, pour marquer notre volonté d'y procéder de façon urgente, je vous propose de ne pas adopter cet article. Certes, cela signifie que la partie « socle » du RSA « jeunes » sera financée par les départements. Mais la dépense est faible, étant donné l'échec du dispositif : 18 millions d'euros, à répartir entre tous les départements. Et il s'agira d'un signal politique important, pour amener le Gouvernement à se saisir de cette réforme du RSA, dont le RSA « jeunes » devra faire partie.
Merci pour votre invitation, et bravo au rapporteur spécial pour la qualité de son travail. La commission des affaires sociales donnera son avis d'ici trois semaines après qu'elle aura auditionné les principaux acteurs. Les crédits prévus suffiront-ils dans la situation économique et sociale actuelle ? Pour le RSA, on constate un décalage entre l'objectif affiché en termes de nombre de bénéficiaires et la réalité. La répartition du financement entre État et départements ne va pas de soi, non plus que l'évolution du RSA « jeunes ». Le rapprochement entre la prime pour l'emploi (PPE) et le RSA a aussi été évoqué par le Gouvernement.
Les principaux risques de dépassement du budget concernent l'AAH, dont le nombre de bénéficiaires potentiels augmente fortement, et qui a été revalorisée. Le nombre de places en ESAT est figé, alors que les besoins augmentent. Le vieillissement des personnes handicapées doit être anticipé : au-delà d'un certain âge, il n'y a plus de structure adaptée. Le fonctionnement des MDPH varie selon les départements. Parfois, les lourdeurs administratives sont fortes et les délais de traitement nuisent à la qualité du service...
Je connais cette mission pour en avoir été le rapporteur spécial. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la sous-dotation de l'AAH se renouvelle d'année en année. J'avais constaté une grande variation de la dépense d'un département à l'autre, laquelle a d'autres causes que le nombre de places en établissement. Par ailleurs, il est problématique que la revalorisation du RSA soit décidée unilatéralement par l'État, dès lors qu'elle pèse aussi sur les départements...
Vous nous avez présenté ces masses financières très importantes avec beaucoup de pédagogie. Le RSA est un dispositif complexe, qu'il s'agisse de ses bénéficiaires ou de son financement, partagé entre l'État et les départements. Quelles seront les compensations financières pour ceux-ci ?
Le programme n° 157 représente 11,6 milliards d'euros. Comme le rapporteur, je regrette le manque de moyens des ESAT qui, au-delà de leur aspect humain, participent à la vie économique au travers de partenariats avec des entreprises. Les associations qui les portent regroupent des salariés mais aussi des bénévoles.
L'action 5 finance des associations actives dans le domaine de l'accompagnement des personnes âgées dépendantes. La somme en jeu est infime, pourtant elle baisse de 22 %. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Malgré la clarté de votre exposé, je ne suivrai pas votre préconisation. J'ai souligné ici même, devant Christian Eckert, et cela avait fait sourire certains, que dans un contexte budgétaire difficile, ce budget avait du coeur, car il préserve la solidarité envers les personnes les plus en difficulté : l'augmentation des crédits se poursuit sur le triennal, pour atteindre 16 milliards d'euros en 2017. Le 1er septembre 2015, le RSA augmentera exceptionnellement de 2 %, au-delà de l'inflation, en application d'un engagement pris en janvier 2013 à l'issue de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté. L'AAH sera aussi revalorisée de 1,30 %. Bref, certaines de nos préoccupations concernant les plus défavorisés sont prises en considération.
La re-budgétisation du FNSA améliore la prévisibilité de son financement, ce qui est bienvenu. Cependant, le RSA « activité », lancé à grand renfort de communication sous la mandature précédente, a des résultats contestables : en 2011, seuls 32 % de ses bénéficiaires potentiels le sollicitaient. Votre rapport évoque des pistes pour faire monter cette proportion à 50 %. Bien sûr, cela accroîtra la dépense. Fusionner le RSA avec la PPE, pourquoi pas ? Mais il faut trancher au plus vite.
Pouvez-vous préciser en quoi vous considérez que la ligne budgétaire consacrée à l'AAH est insuffisante ? Je ne regrette pas la suppression de l'APRE. Des programmes inopérants ou inefficaces doivent être réformés, pour que les aides soient mieux ciblées.
Je suivrai l'avis du rapporteur, quoique ce soit pour des motifs différents des siens. Il manque 226 millions d'euros au budget de l'AAH. Ne pas les avoir inscrits dans la loi de finances initiale manque de sincérité. Comment l'augmentation de 13,87 % prévue pour le FNSA sera-t-elle financée ? Je suis défavorable à la revalorisation exceptionnelle de 2 % du RSA, parce que nous n'en avons pas les moyens : en 2015, cela coûtera 512 millions d'euros, financés par de la dette que les générations futures auront à rembourser. Notre système social est déjà généreux, surtout en comparaison avec d'autres pays d'Europe.
J'ignorais que l'État finançait les épiceries sociales et solidaires. Comment celle que j'ai créée peut-elle bénéficier de l'aide de l'État ?
Le vieillissement des personnes handicapées est en effet un enjeu croissant. Je travaille actuellement à un rapport particulier sur la situation des ESAT. Des pistes existent : dispositif de préretraite, transition vers des foyers de vie, etc.
Oui, monsieur le rapporteur général, les différences entre départements persistent en ce qui concerne l'AAH, surtout dans la deuxième catégorie, qui concerne les personnes ayant entre 50 % et 80 % d'incapacité. Il faut continuer à harmoniser les critères, mais dans les MDPH, les commissions sont souveraines.
L'action n° 5 concerne essentiellement les associations qui luttent contre la maltraitance. Il s'agit de la mise en place d'une plate-forme nationale d'accueil téléphonique et d'antennes de proximité pour recueillir les signalements effectués par les familles, les associations ou les élus.
Dans mon département, nous dépensons mille euros par minute pour financer le RSA. C'est dire qu'il ne reste pas grand-chose pour le reste... Auparavant, une fraction du prélèvement de solidarité sur les revenus du capital, de 1,7 milliard d'euros, alimentait directement le FNSA. Les évolutions du marché des titres rendaient cette ressource volatile, ce qui posait aux gestionnaires un problème de prévisibilité. La subvention de l'État ne présente pas cet inconvénient.
La fraction du prélèvement de solidarité est-elle versée directement au budget de la sécurité sociale ?
Oui, avant d'être, jusqu'en 2014, reversée au FNSA. Les épiceries sociales et solidaires commencent à connaître un certain succès, tant mieux. Les subventions passent par les structures régionales.
La dotation prévue pour 2015 est à peine supérieure à la dépense vraisemblable pour 2014, qui est de 8,5 milliards d'euros. Or la dépense d'AAH en 2015 pourrait avoisiner les 8,7 milliards d'euros. Les revalorisations du 1er septembre 2014 et du 1er septembre 2015 coûteront à elles seules environ 80 millions d'euros.
Sur les 200 millions d'euros de coût supplémentaire, seuls 50 millions ont été prévus...
La modification du financement du FNSA aboutit à un gonflement simultané des dépenses et des recettes de 1,7 milliard.
Pourquoi les crédits de paiement augmentent-t-ils de 13,66 %, pour passer de 13,8 milliards d'euros à 15,7 milliards d'euros ?
La subvention augmente en effet, mais pas les dépenses du FNSA. Nous vous ferons parvenir une note détaillée sur ce point.
Je partage la préconisation de notre rapporteur spécial et vous propose de rejeter les crédits de cette mission.
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et de ne pas adopter l'article 60 du projet de loi de finances pour 2015.
La commission procède ensuite à l'examen du rapport de MM. Gérard Longuet et Thierry Foucaud, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Enseignement scolaire » (et article 55).
Avec 66,4 milliards d'euros en crédits de paiement pour 2015, la mission « Enseignement scolaire » constitue le premier budget de la France, du moins tant que les taux d'intérêt restent mesurés... Elle figure parmi les seules missions du budget de l'État dont les crédits augmentent (+ 2,21 %), alors même que les effectifs sont stables, dans le primaire comme dans le secondaire. Cette tendance devrait se poursuivre : sur l'ensemble de la programmation triennale 2015-2017, les crédits de la mission progresseront de 1,31 %.
Dans cette mission, 93 % des crédits sont alloués à des dépenses de personnel. Le plafond d'emplois de la mission représente à lui seul 43 % du total de l'État au sens large. Le moindre éternuement sur le statut des personnels a donc un impact budgétaire massif.
Le projet de budget qui nous est soumis présente des aspects positifs. Ainsi, certains auxiliaires de vie scolaire pourront prétendre à un contrat à durée indéterminée (CDI) après six années de contrat à durée déterminée (CDD). L'État respectera ainsi ses obligations, comme tout autre employeur. Les efforts des précédents gouvernements pour améliorer la scolarisation des enfants handicapés seront également poursuivis. Enfin, le renforcement de la formation initiale des enseignants, pour complexe que le dispositif en puisse apparaître, est bienvenu : il s'agit d'un des paramètres de la performance de notre système scolaire.
En revanche, ce budget comporte deux biais majeurs. Il se concentre sur la question des effectifs d'enseignants, comme si c'était la seule solution à tous les problèmes, et il laisse de côté des questions plus fondamentales. Qui sont les élèves et comment l'enseignement devrait-il être organisé pour eux ? Une politique conservatrice des effectifs se substitue à une réflexion qualitative plus globale sur l'offre scolaire.
Nous connaissons les enjeux comme élus, parents, voire grands-parents : décrochage scolaire, persistance voire accroissement des inégalités selon l'origine sociale des enfants, résultats très médiocres des élèves français dans les comparaisons internationales. L'unique réponse du Gouvernement semble consister à augmenter les effectifs. Ainsi, 9 561 postes seront créés en 2015, pour un coût direct annuel de 300 millions d'euros - à multiplier par les quarante années de vie professionnelle - et un coût indirect considérable, dans le primaire comme dans le secondaire, lié à la formation.
Cette politique du chiffre se heurte à une réalité qui n'avait pas été prévue lorsque le Président de la République a pris l'engagement de créer 60 000 postes supplémentaires dans l'éducation, mais l'analyse de l'exécution 2013 fait apparaît un faible rendement des concours : seulement 72 % des postes ont été pourvus dans le second degré. Dans les académies de Créteil et Versailles, le taux d'amission s'élève à plus de 60 % au concours externe 2014 de professeur des écoles, ce qui est problématique : la poursuite de cette politique du chiffre ne risque-t-elle pas de se traduire par une diminution du niveau attendu aux différents concours de recrutement ? Le turnover de la profession augmente. Si les plus anciens retardent leur départ en retraite pour bénéficier du taux plein, les départs en cours de carrière se multiplient. Il faut en tenir compte.
La politique d'augmentation des effectifs se traduit par une diminution du contingent d'heures supplémentaires effectivement réalisées depuis 2012, de sorte que l'offre scolaire n'augmente pas en proportion du nombre de postes. C'est la contrepartie de ce qui a été fait entre 2007 et 2012, où la réduction apparente des effectifs était compensée par le maintien de l'offre scolaire, grâce à toutes sortes d'artifices, par exemple en augmentant les heures supplémentaires ou en jouant sur la comptabilisation des stagiaires. Ne vaut-il pas mieux des professeurs qui travaillent plus, sont mieux payés, plus présents et deviennent expérimentés que des effectifs plus nombreux, qui travaillent moins et quittent plus facilement l'enseignement parce qu'ils n'y trouvent pas leur compte ?
Le foisonnement des options, en particulier dans le secondaire, a un coût et il renforce les inégalités. Bien sûr, comme sénateurs, nous nous attachons à défendre nos établissements. Mais les moyens dépensés dans les régions qui perdent des habitants manquent cruellement dans celles qui en gagnent.
L'augmentation des moyens ne s'est pas traduite par une amélioration des résultats enregistrés par le système scolaire français. Les rapports anciens sur le sujet reflètent la nostalgie d'une école du passé idéalisée. Le système d'évaluation actuel permet du moins des comparaisons internationales. Le système scolaire français y enregistre des résultats moyens, voire médiocres, et déclinants. Surtout, l'écart entre les élèves les plus forts et les plus faibles tend à s'accroître. Cela n'augure rien de bon, et témoigne des effets limités de l'école républicaine sur l'ascension sociale.
Dans Comment sommes-nous devenus si cons ?, Alain Bentolila considère que cette stagnation du niveau des élèves français tient à la fois à des facteurs exogènes et à des phénomènes plus profonds, à des effets de groupe. Je suis très préoccupé de l'avenir des jeunes hommes dans notre pays
La télévision et les jeux vidéo, le sport et l'extrême aboutissent à ce que les petits garçons rejettent l'éducation comme féminine et considèrent la lecture comme un refus d'intégration dans le groupe. Ce budget ne traite en rien les problèmes de la société. Les aborder serait pourtant plus intéressant que de remplir le tonneau des Danaïdes.
Il n'y aura pas de réussite scolaire sans un renforcement de l'autorité du chef d'établissement sur les élèves, comme sur leurs familles : tant qu'il n'y aura pas une menace crédible d'exclusion, cette autorité, partant, celle de l'enseignant sur la classe restera trop faible. Le statut matériel et juridique du principal, du proviseur et du directeur d'école est crucial. Voilà les raisons pour lesquelles je vous propose de réserver notre position sur les crédits de cette mission afin de nous laisser le temps d'obtenir d'autres explications.
Quant à l'article 55 rattaché à la présente mission, qui prévoit la prorogation partielle du fonds d'amorçage des rythmes scolaires, le compte n'y est pas. Le Gouvernement, qui a décidé seul de cette réforme, devrait en assumer les conséquences et trouver un financement pérenne. Ce n'est pas le cas pour l'instant. C'est pourquoi, je vous propose également de réserver cet article. Entre deux mauvaises solutions, mieux vaut choisir la réflexion. Si nous votons contre, les communes auront le sentiment que nous les abandonnons ; si nous votons pour, elles croiront que nous entérinons une réforme qu'elles récusent.
Je partage les remarques sur les élèves handicapés ou sur les concours de l'Éducation nationale. Je suis plus réservé sur ce qui a été dit de la politique du chiffre, d'autant que le Gouvernement précédent avait supprimé 80 000 emplois en cinq ans. Cette politique de recrutement est nécessaire, cela ne fait aucun doute. Le problème vient de la manière dont elle a été mise en oeuvre depuis 2012. Nous nous sommes heurtés au refus permanent de reconstituer un vivier d'enseignants mieux formés - les emplois d'avenir professeur ne remplacent pas un vrai pré-recrutement. Les derniers concours de recrutement n'ont pas attiré suffisamment de candidats. Par ailleurs, l'échec des candidats recalés s'explique bien souvent par le fait qu'ils ne disposaient pas des bonnes conditions pour réussir, c'est-à-dire de la possibilité d'étudier et de se préparer aux épreuves plutôt que d'officier comme remplaçants devant une classe.
Un plan pluriannuel de recrutement par discipline, s'appuyant sur les prévisions de départs à la retraite faciliterait les créations de postes tout en donnant de la visibilité aux étudiants souhaitant s'engager dans cette voie. Nous aurions d'ailleurs tout intérêt à relire le bon rapport sur le métier d'enseignant présenté en 2012 au nom de la commission de la culture par notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin.
L'on nous dit que les coûts ne cessent d'augmenter. Oui, pour les familles et les collectivités, mais pas forcément pour l'État.
Beaucoup de remarques se fondent sur des analyses déjà obsolètes, datant de 2005 et 2010. Les surnombres, par exemple, ont été fortement réduits par les 80 000 suppressions de postes. Idem pour la question des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED). Il est tout à fait normal de constater une diminution des heures supplémentaires, dans la mesure où il y a eu une embauche d'enseignants. Je ne partage pas le point de vue de mon collègue sur ce sujet.
Quant aux rythmes scolaires, ou bien nous nous rallions à la solution qui a été préconisée, ou bien nous proposons un amendement afin de pérenniser les aides. Comme Gérard Longuet, j'utilise mon « joker » et demande le temps de la réflexion. Le Premier ministre a annoncé la pérennité des aides dans les zones sensibles et celle des aides provenant des allocations familiales - disposons-nous de moyens suffisants ? Durant la récente campagne sénatoriale, cette question préoccupait fortement les élus ruraux.
Je vous remercie pour votre présentation de cette mission importante. La multiplicité des options offertes au choix des élèves est une particularité française. Elles sont parfois coûteuses. Sont-elles vraiment nécessaires ? Le budget de l'Éducation nationale, le premier de l'État, est consacré à 93 % aux dépenses de personnel. À combien estime-t-on les effectifs d'enseignants sans affectation ? Les professeurs d'allemand, notamment, seraient sous-employés. Il me semble sage de suivre les recommandations du rapporteur sur l'article 55, car l'Assemblée nationale nous transmettra une version sensiblement modifiée du dispositif.
J'ai enseigné pendant longtemps en Île-de-France, avant de devenir inspecteur général, puis de représenter la France à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) où j'ai âprement négocié sur le Programme international pour le suivi des acquis de l'élève (PISA). Nous regardons avec une décontraction étonnante notre système éducatif se défaire. C'est de la folie ! Depuis quinze à vingt ans, le niveau des élèves est en chute libre. Il est scandaleux de recruter des maîtres à tout prix, comme si leur mission se résumait à de la garderie, comme si l'école était une crèche. Nous cédons à l'obligation de faire du chiffre, à la pression des lobbies. Plutôt que de réfléchir, nous nous dispersons. Quand j'ai présidé un jury de bac, 27 options mobilisaient 27 enseignants, pour un seul élève parfois. Il est urgent de revenir aux fondamentaux pour que l'on ne puisse plus avoir son bac, grâce aux options et pas aux matières générales. Il faut avoir le courage de dire que notre système va à vau-l'eau.
Recentrons l'éducation sur ce qu'elle doit être : cinq ou six matières essentielles, connues et maîtrisées par des enseignants compétents. Créer 9 500 postes ne suffit pas. Pourquoi n'y aurait-il pas en Seine-Saint-Denis des enseignants de la même qualité qu'ailleurs ? Parce qu'on y envoie n'importe qui pour remplacer ceux qui ne veulent pas y aller. Sans un recentrage des matières et des compétences, le système explosera. On est devenu fou : on n'apprend plus le français, mais le secourisme ! On annonce que le prochain rapport PISA sera encore plus calamiteux. Dans un système à bout de souffle, nous ne pouvons pas en rester au quantitatif.
Nous devrions aller à la commission de la culture pour regarder le contenu des programmes.
Roger Karoutchi a raison : de la qualité plutôt que de la quantité ! Je remercie le rapporteur pour son travail documenté. Un tableau manque, néanmoins, que j'avais déjà demandé l'an dernier, pour évaluer le nombre d'élèves par classe et par enseignant. Il faudrait aussi décomposer les 989 000 emplois entre enseignants et non-enseignants pour mesurer l'évolution globale des personnels.
Les 989 000 postes ne sont pas tous occupés par des enseignants. Le Premier ministre a annoncé une aide de l'État pour achever la mise en place des nouveaux rythmes scolaires. Son montant serait de 307 millions d'euros. On a le sentiment d'une sous-dotation. Combien manquerait-il ?
Le problème scolaire ne date pas d'aujourd'hui. J'ai été maire d'une commune difficile, avec un fort taux de délinquance. Chaque année, 150 000 élèves sortent du circuit de l'Éducation nationale, sans connaissances ni compétences, sans métier ni ambition. Ils enchaînent collège, lycée, un ou deux ans d'université, puis plus rien. Ce n'est pas terrible pour un tel budget.
Le collège unique empêche la mise en place d'un enseignement professionnel organisé. Il gagnerait à être divisé en deux sections, l'une pour la formation professionnelle, l'autre pour la formation supérieure. Il n'y a plus de sélection, plus de note, plus de sanction, plus de récompense, bref plus de discipline. Le certificat d'études a été supprimé. Il vérifiait l'acquisition du socle commun de connaissances, à la sortie du primaire. Désormais, tout le monde passe au collège, sans forcément savoir lire, ni écrire. Il faut refuser ce budget, plein de dépenses inutiles.
J'ai entendu des remarques caricaturales. Le système est fortement perfectible ? Il a quand même donné quelques prix Nobel, récemment, et beaucoup d'autres réussites, sans doute. Pour discuter de ce budget global, notre approche doit être la plus large possible. Je récuse l'expression « politique du chiffre ». Grâce à la création de nouveaux postes, nous avons rattrapé notre retard et renforcé l'encadrement là où c'était nécessaire, avec le dispositif « plus de maîtres que de classes ». De récents rapports du Sénat montrent que la formation des maîtres, réorganisée avec succès, renforce la capacité des étudiants à apprendre leur métier d'enseignants.
Déjà, sous le ministère de Luc Chatel, la réforme des rythmes scolaires apparaissait comme une nécessité. On s'interrogeait pourtant déjà sur leur coût, avec la certitude que les communes ne seraient pas entièrement remboursées. Un effort réel a été réalisé par l'État.
Les performances de notre système éducatif doivent être améliorées. Il faudrait corriger cet effet pervers qui veut que l'argent, les meilleurs professeurs et le meilleur taux d'encadrement bénéficient à des élèves sélectionnés et déjà très bons. Chacun sait qu'un élève brillant donnera des résultats remarquables. Il faudrait réfléchir à d'éventuels redéploiements.
Le système éducatif français, c'est le système mandarinal par excellence : tout y dépend de la réussite aux concours, alors que la moitié du travail des enseignants consiste dans la pédagogie : comprendre les équations, c'est bien, savoir les enseigner, c'est encore mieux. Leur formation pose problème. Si l'enseignement primaire français est très bon - on nous demande d'ailleurs de plus en plus souvent à l'étranger de créer des écoles primaires françaises...
il en va, hélas, autrement de l'enseignement secondaire. Cela tient pour une bonne part au statut de nos enseignants, déconsidérés, mal formés et mal payés. On a rétabli ce que l'on appelait autrefois les Instituts universitaires de formation des maitres (IUFM) : espérons que cela aide à remonter un peu la pente. Cela étant, ce budget comporte des éléments positifs, je le voterai sans réserve.
Je m'efforcerai d'être bref, sous peine que notre commission des finances se transforme en commission « éducation et culture ». Sur une masse financière de 66 milliards d'euros, 90% sont affectés aux personnels. Quelle proportion de ces effectifs est réellement affectée sur le terrain, combien d'entre eux, employés dans la hiérarchie, du ministère aux inspections d'académie, n'enseignent pas du tout ? Nous autres élus de base n'avons pas voix au chapitre sur ces sujets.
Ce système va à vau-l'eau, et nous ne pouvons que constater le gâchis financier. Que fait-on pour remédier à l'absentéisme et à la multiplication des arrêts de travail sans remplacement qui portent préjudice aux enfants ?
Mon département doit gérer des ghettos sociaux où l'enseignement est très difficile. Les inégalités du système éducatif sont criantes : pour 1,2 million d'habitants, nous n'avons pas une seule classe préparatoire aux grandes écoles. Est-ce un drame ? Face aux inégalités, des initiatives surgissent sur le terrain. L'université de Cergy-Pontoise, par exemple, est maintenant le neuvième ou le dixième pôle mathématique. Et cette université a des résultats : ma modeste commune a produit Jean-François Clervoy, un des rares astronautes à avoir voyagé sur les navettes américaines. Quant au secteur de l'habillement et de la mode, il est très dynamique à Sarcelles. Ce système éducatif, qui se veut élitiste, l'est de moins en moins sur le terrain.
Tout se joue pour les enfants entre quatre et huit ans. Nous avons mené des expériences de classes bilingues immédiatement après la maternelle, avec des résultats étonnants. N'est-ce pas là qu'il faut concentrer les moyens, plutôt que dans un système qui ne produit pas ce que le marché, la civilisation et la mondialisation attendent ? Quoique le rapporteur soit de ma famille politique, je ne partage pas entièrement sa critique des rythmes scolaires. Le problème, ce sont les inégalités qu'ils engendrent : seules les communes qui ont les moyens créeront des tiers temps pédagogiques intéressants. Les jeunes de nos quartiers savent qu'il y a davantage d'emplois à prendre dans la culture, le sport ou les arts que dans la métallurgie : proposons leur une ouverture intelligente. Pour les 120 000 jeunes qui quittent le système sans aucune formation, l'apprentissage n'est qu'une issue parmi d'autres. Sortons de ce classicisme qui se voulait élitiste. Roland Drago dispensait de magnifiques cours sur les libertés publiques à Assas, mais l'université de Cergy-Pontoise offre une formation aux emplois municipaux, et ceux qui en sortent ne restent pas sur le carreau. Vivent les inégalités !
Je ne trouve pas du tout que le rapport soit caricatural. Il pose plusieurs questions pertinentes. Au-delà du débat gauche-droite sur les effectifs, le problème est de savoir ce qu'ils représentent dans le budget global. Les personnels ont-ils les moyens de remplir leurs missions ? Il semble que non : alors que nous avons 1,5 million d'élèves de moins que l'Allemagne, nos budgets de l'éducation sont à peu près équivalents. Et les enseignants allemands sont bien mieux payés : près d'un tiers de plus que les français. Il semblerait que notre handicap réside dans nos infrastructures : pour 15 000 lycées en Allemagne, il y en a 37 000 en France. Une politique d'aménagement du territoire est-elle envisagée pour y remédier ?
Je souhaiterais par ailleurs ajouter, même si cela est une question annexe, que la drogue se diffuse particulièrement dans les établissements scolaires. Si le malaise entre ministères de l'intérieur et de l'éducation sur ce point est perceptible, je me demande comment ce dernier travaille à trouver la bonne solution.
Nous avons entendu un excellent rapport, qui donne lieu à un débat fort. Je suis pour ma part opposée à la création de nouveaux postes : nous n'avons pas les moyens d'une telle fuite en avant. Nous venons d'assister à un tour de passe-passe budgétaire à hauteur de 3,6 milliards d'euros pour faire plaisir à Bruxelles, en voilà assez : efforçons-nous de fonctionner désormais à budget constant, et d'accroître la qualité plutôt que la quantité.
Je ne croyais pas aux rythmes scolaires, mais je me suis efforcée de les mettre en oeuvre. Pour quel résultat ? Les enseignants eux-mêmes viennent maintenant me demander de ne pas multiplier les activités le vendredi parce que les enfants sont fatigués. On marche sur la tête ! Il s'agit de calmer le jeu, et pas seulement en maternelle.
Sur le fonds d'amorçage, tout a été dit : nous devrions le maintenir. Je m'inquiète surtout des crédits des Caisses d'allocation familiales (CAF). Je vais en bénéficier, ma notification m'est arrivée il y a quelques jours. Mais leur répartition se fait à périmètre constant : ce qui est consacré aux rythmes scolaires nous est retiré sur d'autres postes. Ce siphonage est extrêmement dangereux, il nous incombe de le dire clairement !
Nous avons lieu de nous inquiéter de la qualité du recrutement des enseignants : seuls 70 % des postes ouverts au CAPES de mathématiques, par exemple, ont été pourvus. Pourquoi ? Quant à leur formation, j'avoue que je suis un nostalgique des écoles normales d'instituteurs. Mes parents les avaient faites. Recrutés par concours, ces jeunes gens étaient motivés. S'ils étaient ensuite lâchés dans la nature, c'était après avoir reçu une formation solide.
Il est vrai qu'il y a trop d'options au lycée : pour ma part, je préfèrerais améliorer le menu ordinaire, quitte à simplifier la carte, d'autant que le choix des options est en réalité un moyen de choisir son établissement. Les notes au bac connaissent d'ailleurs une inflation impressionnante : on notera bientôt sur vingt-cinq, les mentions « très bien » pleuvent, alors qu'elles devraient rester exceptionnelles.
On crée des postes, mais le Lot en perdra vingt ou vingt-cinq l'année prochaine. Allez donc expliquer cela à nos administrés !
En tant que vieux radical attaché à l'instruction publique, je voterai ce budget, mais en tant qu'ancien professeur, je considère que l'on « pourrait mieux faire ».
Je découvre vos talents les uns après les autres, mes chers collègues, c'est un enchantement.
La richesse de notre débat reflète la qualité du rapport, qui a posé les bonnes questions. Au-delà des apparences, nous ne sommes peut-être pas si opposés les uns aux autres. Je n'en veux pour preuve que l'excellente intervention de mon prédécesseur.
Je voudrais revenir à l'article 55 : « Prorogation du fonds d'amorçage pour la mise en oeuvre des rythmes scolaires ». Il ne s'agit donc que d'une participation, non d'une prise en charge complète. Le terme d'amorçage fait craindre, de surcroît, que ce financement ne soit pas pérenne : la réforme ne serait-elle pas pérenne ? Quelle est la position de nos rapporteurs sur cet intitulé ?
Je m'inquiète de la dégradation de l'enseignement en milieu rural. La France étant en grande partie rurale, il est hasardeux de comparer le nombre de ses établissements scolaires à ceux d'autres pays.
Ma commune de 848 habitants voit se succéder les professeurs tous les trois mois, aucun n'étant renouvelé d'une année sur l'autre. À l'époque où j'étais fonctionnaire, il fallait rester deux ou trois ans dans un poste. Je ne comprends pas que la même règle ne soit pas appliquée par l'Éducation nationale.
En tant que président des maires ruraux de l'Ardèche, je sais que beaucoup de rectorats plaident pour des écoles de trois classes. D'un point de vue d'urbain, c'est une taille modeste ; en milieu rural, c'est énorme, un peu comme les communautés de communes à 20 000 habitants !
Sur les rythmes scolaires, on a créé une profonde inégalité, non seulement financière, mais aussi dans le recrutement des intervenants : comment une commune éloignée de quarante kilomètres de la ville moyenne la plus proche en trouvera-t-elle ? Alors que l'école doit être le creuset de l'égalité, le Gouvernement en fait celui des discriminations et de l'élitisme. L'école à deux vitesses est une catastrophe. L'État dispose d'un pouvoir régalien, qu'il en assume donc la responsabilité !
Nos rapporteurs ont demandé une réserve qu'il paraît convenable de leur accorder, afin qu'ils puissent prolonger leurs réflexions. Reste à déterminer le moment opportun pour examiner ces missions réservées.
Le mieux serait de les examiner à la suite du tome II du rapport général consacré aux articles de la première partie, le 12 novembre.
Je regrette que nous ne votions pas aujourd'hui : nous avons suffisamment d'éléments pour un vote négatif sur cette mission.
Les rapporteurs spéciaux ont exposé, avant votre arrivée, les raisons de ce délai.
Venant d'un département où la densité de population est de trente et un habitants au kilomètre carré - entre dix et quinze pour certaines intercommunalités - je connais, comme Jacques Genest, le problème des mobilités excessives. Cela recoupe la remarque de Jean-Claude Requier : les enseignants ne viennent dans ces zones que par obligation. Lorsque nous avions des écoles normales départementales, les instituteurs qui en sortaient avaient choisi un milieu qu'ils connaissaient. Il y a bien là, aujourd'hui, un problème de gestion du personnel.
Je suis plus nuancé sur les écoles de trois classes : leur pertinence dépend de la longueur du ramassage scolaire.
Je crois à la responsabilité du directeur d'école, je crois à son autorité sur les enseignants, je crois à la communauté éducative. Encore faut-il qu'il y ait une communauté éducative suffisante pour suivre les élèves...
Je ne reviens pas sur les inégalités introduites par le dispositif relatif aux rythmes scolaires : c'est une évidence.
Monsieur de Legge, sur l'article 55, attendons de savoir ce qu'en dira l'Assemblée nationale. C'est la raison pour laquelle nous demandons la réserve, Madame Des Esgaulx. Je suis un homme de conviction, mais je veux laisser à toutes les parties, y compris à la défense, le temps de s'exprimer.
Il s'agit bien à l'article 55 d'un amorçage. Cette affaire n'est pas terminée, parce qu'elle pose davantage de problèmes qu'elle n'en règle. Tout est dit - tout, à vrai dire, et son contraire. Comme le soulignait Francis Delattre, l'Éducation nationale se prive du concours des élus locaux, alors que ceux-ci déploient, à tous niveaux, des trésors d'imagination et parfois de générosité pour résoudre des problèmes qui leur sont familiers. Si les préfets et les recteurs, mutés presque aussi souvent que les instituteurs, ne connaissent pas le terrain, les élus ont le souci de se succéder à eux-mêmes : ils ont ainsi réglé, entre autres, les problèmes du périscolaire, avant et après les heures de classe : les garderies, les demi-pensions, le soutien scolaire... Nous n'avons pas attendu Vincent Peillon pour prendre notre part de responsabilité en fonction des moyens dont nous disposions. Toutes les difficultés récentes sont venues du caractère obligatoire du dispositif uniforme que l'on nous a imposé. Les élus sont pourtant des partenaires d'autant plus utiles de l'Éducation nationale qu'ils ont avec les parents un contact qui fait parfois défaut aux enseignants.
Le terme d'« amorçage » signifie bien que le Gouvernement a l'intention de se retirer lorsqu'il pourra le faire. Mais il en sera sans doute empêché par des raisons politiques liées à l'enjeu de l'égalité évoqué par Jacques Genest.
Je partage le point de vue de Jean-Claude Requier, mais le monde rural a changé. Il existe désormais des rurbains ou des ruraux périurbains, qui font du rural une utilisation passagère, et n'ont pas le même enracinement que les véritables ruraux. À l'heure du centenaire de la première guerre mondiale, je suis nostalgique des écoles normales départementales et des hussards noirs de la République.
Le problème, c'est que l'enseignement ne provoque pas de gains de productivité. Il faut toujours doter les élèves d'un enseignant. À titre de comparaison, voyez le nombre de vaches ou d'hectares dont peut s'occuper un agriculteur d'aujourd'hui, et combien il en exploitait hier. Tous les métiers ont gagné en productivité sauf celui d'enseignant : voilà la raison de la dégradation relative de sa situation. Nous verrons lorsque nous aborderons le statut des enseignants les réponses à y apporter.
Je rejoins Marie-Hélène Des Esgaulx : répondre aux problèmes de l'éducation nationale par la création de nouveaux postes n'est pas une bonne idée. Ce serait faire semblant de régler les problèmes, sans les traiter en profondeur. S'il y avait une négociation sur les pouvoirs des chefs d'établissement, leur autorité sur les enseignants, et la réforme du statut, nous pourrions faire des efforts dans ce sens, dans une logique donnant-donnant. Mais donner de nouveaux effectifs à un système qui ne les gère pas... Autant souffler dans un violon. Je remercie également Marie-Hélène Des Esgaulx d'appeler notre attention sur le siphonage des crédits de la CAF par le périscolaire.
Je suis entièrement d'accord avec Francis Delattre. Les élus locaux connaissent leur territoire : ils sont la réponse à l'évolution différenciée de l'enseignement selon les caractéristiques sociologiques des territoires. Tout se joue en effet entre quatre et huit ans. Les principaux partenaires restent les enseignants, les élèves et leurs familles. Or celles-ci ont de plus en plus vis-à-vis de l'éducation nationale une attitude de consommateurs : elles mettent leur enfant à l'école comme leur voiture chez le garagiste, et entendent récupérer celle-ci réparée et celui-là éduqué. Cela ne marche pas comme cela ! Les adultes doivent se montrer solidaires pour encadrer les enfants diaboliques - chaque enfant est tenté de manipuler les adultes pour tirer son épingle du jeu. Là où les élus locaux, les enseignants et les parents travaillent ensemble, le système fonctionne ; ailleurs, il ne marche pas.
J'ai été pendant deux ans président du conseil d'administration d'un lycée agricole. Entre les représentants du monde agricole, les parents qui choisissent d'y placer leur enfant, et les enfants, largement responsabilisés et généralement internes - l'internat facilite la vie communautaire et la prise de responsabilités -, la solidarité est forte et les résultats sont là.
Monsieur Dominati, vous avez raison sur la comparaison entre la France et l'Allemagne. Il y a deux explications. La densité de population d'abord : elle est de 120 habitants au kilomètre carré en France, mais de 350 en Allemagne, ce qui a pour conséquence que l'offre scolaire allemande est plus regroupée. Le fédéralisme ensuite : l'éducation est de la compétence des Länder. En France, les élus locaux demandent à Paris la diminution du budget - en fait celle des impôts - et dans leur territoire le maintien des collèges à moins de 100 élèves et des lycées professionnels qui en comptent moins de 300. Cette schizophrénie française favorise l'éparpillement de l'offre. La seule façon d'en sortir, c'est de demander aux gens de se prendre en main ! Nos collectivités territoriales sont cantonnées aux questions d'intendance, et ne s'occupent pas de la politique scolaire. Résultat : lorsque les parents leur demandent d'en faire plus, elles se retournent vers Paris ; le recteur ne fait qu'appliquer les décisions nationales, et finit par demander un changement d'affectation quand il n'en peut mais. Notre système n'est pas bon, j'en ai la certitude absolue.
Monsieur Laménie, le taux d'absentéisme dépend du degré : 76 % des enseignants du primaire sont face aux élèves, contre 92 % dans le secondaire. L'absentéisme dans le primaire s'explique largement par la féminisation de l'enseignement, et à certaines politiques de soutien. S'agissant des enseignants sans affectation, le rapport de Jean-Yves Chamard de 2005 a vieilli : l'actualiser pourrait faire l'objet d'une mission de contrôle de notre commission.
Richard Yung pense que la formation pédagogique s'améliore. Nous n'avons pas encore trouvé le bon système. Je doute que le Gouvernement ait trouvé le meilleur. Ce sujet reste à l'ordre du jour. Le primaire est-il ce point fort de notre système que les autres pays nous envient ? Peut-être. Le maillon faible est en tout cas le collège, car le primaire offre la perspective d'apprendre et de découvrir, le lycée celle d'être formé. Entre les deux, le collège a du mal à se positionner. J'étais partisan du collège unique en tant qu'habitant de zone rurale, où l'on ne peut pas diversifier les collèges, sauf à faire de l'internat. Je me pose désormais plutôt la question de l'autonomie de l'établissement, qui évite de faire la distinction entre les établissements à banquette en bois, et ceux à tapis rouge vers les classes préparatoires. Autonomie, modulation financière en fonction des résultats - sur la base d'une vraie politique, pas seulement aux meilleures écoles parisiennes - dont le suivi est assuré par les élus locaux, voilà les conditions d'un changement réel.
Maurice Vincent souligne que tout ne va pas mal, et il a raison. L'éducation nationale est un immense système. L'ennui, c'est qu'il y a une sorte de jeu de rôle : les enseignants se plaignent, l'administration temporise, et les élus, par fièvre, poussent des cris d'alarme et oublient. Ayons un travail constant sur ces sujets. À la vérité, si mon rapport servait à vous faire vendre une entreprise, vous achèteriez un chat dans un sac, autrement dit quelque chose dont vous ignorez tout ; manquent en effet les effectifs des élèves, ceux des enseignants, les pyramides des âges, les qualifications, les ratios aux niveaux national et régional... Toutes choses qu'il conviendra de faire.
Je rejoins également Serge Dassault. On ne peut pas faire vivre une collectivité sans autorité ni discipline. J'ai été ministre de la défense : les régiments fonctionnent grâce à la discipline. C'est la force des armées, mais aussi celle de l'enseignement. Nous sommes là pour former les jeunes, pas pour les écouter - nous les écouterons plus tard, ou ailleurs. En toute logique, ceux qui détiennent l'instruction la donnent, ceux qui ne savent rien apprennent. Cette conception des choses est un peu traditionnelle, je le reconnais, mais elle me semble adaptée à un public qui n'a pas le bonheur de disposer d'un soutien familial. Certains chefs d'établissements de banlieue difficile ont de bons résultats : il faut les aider. Ils ne le seront jamais par une administration centralisée, qui gère des effectifs globaux, des statistiques, des moyennes. Réintroduisons les élus locaux dans la vie des établissements.
Roger Karoutchi a raison : acceptons le jugement objectif de l'enquête PISA de l'OCDE. Ne nous renvoyons pas à la figure nos échecs respectifs. Certes, l'OCDE n'a pas toujours raison ; mais acceptons de nous comparer - tout en sachant que se comparer ne suffit pas toujours pour se comprendre.
Un tiers des classes est en sous-effectifs, en raison de la multiplicité des options, tandis que les classes des enseignements standards sont surchargées. La Cour des comptes a dénombré en 2013 375 voies disciplinaires de recrutement possibles dans le secondaire, et 272 matières enseignées. Cela explique aussi le nombre d'enseignants sans affectation. La gestion active des carrières doit être une priorité du ministère, qui est sans doute la direction des ressources humaines la plus inhumaine qui soit. Pourquoi ne pas imaginer des carrières différentes, fut-ce pour 2 % des effectifs, ce qui fait tout de même 20 000 enseignants ? L'armée s'en accommode même pour les officiers supérieurs.
Chacun détient une part de vérité. L'année dernière et la précédente, Claude Haut et moi avions reçu les représentants des enseignants des secteurs public et privé. La question essentielle reste celle de la formation.
Par ailleurs, la situation a changé ; la crise politique et morale dans laquelle nous somme touche l'école : le père de famille sans profession n'a plus l'autorité du père d'hier, qui travaillait...
Absolument. La géographie de la France - ruralité, urbain, périurbain - a changé elle aussi. L'intelligence existe partout, y compris dans les quartiers difficiles. Apprendre à apprendre est devenu un enjeu fondamental. Je ne crois pas que nous ayons trop d'enseignants. Notre situation budgétaire nous oblige bien sûr à prendre en compte la quantité, mais ne perdons pas de vue la qualité. C'est une revendication des enseignants eux-mêmes. Si nous n'apprenons pas à apprendre aux enfants des quartiers difficiles, la vie deviendra plus difficile dans notre pays.
Marie-Hélène Des Esgaulx a raison d'attirer l'attention sur les CAF. Ces fonds seront-ils pérennisés pour les communes ? Des moyens complémentaires seront-ils donnés aux CAF ?
J'ai été maire pendant trente-deux ans. En tant qu'élu local, on voit bien ce qu'il en est. On a fait croire aux gens que leurs enfants pouvaient tous devenir ingénieurs ou médecins. Résultat : nous manquons de plombiers, d'électriciens, de couvreurs... Ce sont des métiers nobles et valorisants. Il faudrait réorienter les formations en fonction de ces besoins.
Je m'abstiendrai sur ces crédits.
La réserve ayant été demandée, nous ne voterons pas sur ces crédits ni sur l'article rattaché ce matin. En attendant, nous veillerons à travailler sur ces questions avec la commission de la culture : les problèmes de fond évoqués ce matin sont plus de leur compétence que de la nôtre, essentiellement financière. Je rappelle que le président du Sénat organise depuis plusieurs années l'opération « Talents des cités », qui récompense de jeunes gens de quartiers que l'on pourrait croire plus fragiles et qui ont pourtant fait leur chemin dans la vie. Ayons ces éléments d'optimisme à l'esprit.
À l'issue de ce débat, la commission décide de réserver sa position sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire » et sur l'article 55 rattaché.
La commission procède ensuite à l'examen du rapport de M. Serge Dassault, rapporteur spécial, sur la mission « Engagements financiers de l'État », les comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et le compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce ».
Je vous ferai d'abord part de mes observations sur la situation des finances publiques, que je trouve alarmante, puis je développerai les solutions qui me semblent nécessaires pour retrouver des finances avec moins de déficits et moins de dettes.
Le Gouvernement prévoit pour 2015 une croissance de 1 %, alors que le président du Haut Conseil des finances publiques, Didier Migaud, indique dans son avis du 15 octobre dernier que cette prévision lui paraît optimiste. Il affirme qu'un tel niveau de croissance suppose « un redémarrage rapide et durable de l'activité que n'annoncent pas les derniers indicateurs conjoncturels ». D'une part, l'environnement international pourrait se révéler moins porteur, comme en attestent les dernières prévisions de croissance du commerce mondial de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). D'autre part, la reprise de l'investissement productif pourrait être significativement retardée.
Il est anormal que les hypothèses de croissance présentées par le Gouvernement ne tiennent aucun compte de l'avis de Didier Migaud. Cela met en cause la crédibilité de ces prévisions. Le Gouvernement n'a même pas cherché à entrer en contact avec lui pour s'en expliquer. On se demande à quoi sert ce Haut Conseil si le Gouvernement ne tient pas compte de ses avis, pas plus d'ailleurs que de ceux de la Cour des comptes.
Il y a deux façons de présenter des prévisions : la plus dangereuse consiste à faire des prévisions optimistes pour donner confiance, au risque de graves échecs dans le cas où elles ne se réalisent pas ; la moins risquée consiste à faire des prévisions pessimistes ou à tout le moins prudentes, qui peuvent être meilleures que prévu, ce qui démontre la qualité de la gestion. C'est cette dernière méthode que pratiquent les entreprises.
Didier Migaud observe que tant que la France ne respectera pas ses engagements européens en termes de réduction de déficits, sa dette publique continuera à augmenter. Alors que l'Allemagne a présenté un budget en équilibre pour 2015 et prévoit de dégager un excédent record de 16,1 milliards d'euros, ce qui lui permet de commencer à rembourser sa dette, la France s'apprête à voter un nouveau budget déficitaire et il ne sera pas le dernier. Cet état de fait d'une France qui ne respecte pas ses engagements est de plus en plus inacceptable pour nos partenaires européens car il montre la légèreté de ses prévisions.
J'en viens au budget 2015 proprement dit. Notre besoin de financement atteindra 196,6 milliards d'euros. Ce montant correspond au déficit budgétaire, soit 75,7 milliards d'euros, et au refinancement de 119,5 milliards d'euros de dette arrivant à échéance en 2015. Le besoin en financement sera couvert par un emprunt de 188 milliards d'euros. Le solde sera financé par 4,1 milliards d'euros de disponibilité du Trésor et 4 milliards d'euros de recettes de cession de participations de l'État.
Nous emprunterons en 2015 environ 188 milliards d'euros : 113 milliards pour rembourser les échéances de notre dette et 75 milliards pour combler le déficit prévisionnel. On emprunte donc pour rembourser. C'est dramatique ; cela s'appelle de la cavalerie.
Notre dette ne commencera à être remboursée qu'avec un équilibre, voire un excédent budgétaire. Ce n'est pas demain la veille ! Les dépenses totales de l'État en 2015 seront en réalité de 491 milliards d'euros, dont 119 milliards d'euros pour financer le remboursement des emprunts venant à échéance en 2015, contre des recettes de 292 milliards d'euros. Nous dépensons presque deux tiers de plus que nous ne percevons de recettes. Nous vivons nettement au-dessus de nos moyens !
Cette situation alarmante de nos finances publiques a aujourd'hui toutes les raisons de perdurer. Les faibles économies proposées, loin d'être réalisées, les augmentations de dépenses qui se multiplient, notamment celle de la masse salariale des fonctionnaires, et l'absence de croissance malgré les annonces optimiste, feront croître notre dette inexorablement, sauf si le Gouvernement se décide à prendre les décisions qui s'imposent.
Tant que la France peut emprunter à des niveaux exceptionnellement bas - c'est la réponse toute faite du Gouvernement à chacune de nos remarques - le mal n'apparaît pas. Mais cela ne durera pas éternellement. Déjà le projet de loi de finances prévoit que le taux à 10 ans passera de 1,25 % actuellement à 1,9 % fin 2014 puis 2 % fin 2015. Un choc plus violent ne peut être exclu, tant les doutes des investisseurs et des agences de notation sur la situation économique et la politique de la France commencent à apparaître, Chaque point de taux d'intérêt supplémentaire représenterait un coût de 2,4 milliards d'euros la première année ; 5,3 milliards d'euros la deuxième ; 7,4 milliards d'euros la troisième. Notre charge de la dette augmentera considérablement et diminuera d'autant nos recettes fiscales. Nous courrons à la catastrophe ! La Commission européenne, les agences de notation et nos investisseurs risquent de ne plus nous faire confiance. Ces derniers refuseront nos emprunts ou les prendront à des taux exorbitants. C'est ce qui est arrivé à l'Argentine en 2002, à la Russie en 1998 ou encore à l'Islande en 2008 et ce sera la cessation de paiement et la faillite.
Comme l'a écrit plusieurs fois le premier président de la Cour des comptes, il faut tout faire pour réduire nos dépenses et nos impôts. Mais pour le Gouvernement, ce n'est pas à la Cour des comptes de gouverner la France, et il ignore ses excellentes propositions : à quoi sert dans ces conditions la Cour des comptes ?
Voilà pourquoi c'est la réduction des déficits qui doit être la priorité absolue du Gouvernement, et non la réforme territoriale, les rythmes scolaire, ou le mariage pour tous avec lesquels il nous amuse. Je vais vous faire maintenant quelques propositions .
L'État devrait se doter de nouvelles règles de bonne gestion budgétaires : la règle d'or, qui obligerait tout Gouvernement à présenter des budgets équilibrés, proposée par Nicolas Sarkozy mais abandonnée à cause du refus des socialistes de la voter. Préparer les budgets avec une croissance prévisionnelle voisine de 0 %, ne réservant que de bonnes surprises ; le plafonnement de la dette par la Constitution : sans limite, elle augmente de 80 milliards par an ! Ça va vite !
Éliminer drastiquement les crédits d'impôt et les exonérations de charges des entreprises et des contribuables.
Pour arrêter de fabriquer des fonctionnaires à vie, arrêter de titulariser - comme j'ai dû le faire à contrecoeur dans ma ville - tout le personnel des administrations et des collectivités territoriales et appliquer la règle du non remplacement d'un sur deux. Ce n'est pas compliqué ! L'embauche d'un fonctionnaire sur 60 ans - 40 années travaillées et 20 autres de retraite - représente plus de 1,5 million d'euros. Embaucher comme veut le faire le gouvernement 60 000 fonctionnaires dans l'éducation en cinq ans est une dépense d'au moins 90 milliards d'euros que l'on devra financer par l'emprunt, pendant soixante ans.
Mener une vraie politique de croissance en réduisant les impôts des entreprises et des entrepreneurs, les véritables créateurs d'emplois et de richesse, et en supprimant l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), au lieu d'assujettir les dividendes aux charges sociales... Les investisseurs français partent et les étrangers ne viennent plus !
Flexibiliser l'emploi pour réduire le chômage, en rendant les licenciements automatiques en cas de baisse d'activité et en créant des emplois de mission, comme les vendangeurs ou dans le secteur du bâtiment. Il faudra supprimer les 35 heures qui paralysent notre économie et relever les seuils sociaux.
Il serait enfin judicieux de refonder notre fiscalité en transformant l'impôt progressif en impôt égalitaire, avec le même taux pour tous les revenus : la Flat Tax, comme la pratique la Russie à 13 %. Ainsi la contribution sociale généralisée (CSG) rapporte plus que l'impôt sur le revenu qui empoisonne tout le monde !
Mes observations rejoignent les analyses de la Commission européenne, du Haut Conseil des finances publiques et des organisations internationales. Ce ne sont pas des réformes de droite ou de gauche, ce sont des réformes de bon sens, pour l'intérêt de la France. Il est souvent dit que « la gauche a du coeur, mais pas de tête, et que la droite a de la tête, mais pas de coeur ».
Il faut avoir à la fois de la tête et du coeur, il faut à la fois travailler et distribuer pour sortir la France du marasme dans lequel elle est plongée.
Je vous propose d'adopter les crédits de cette mission, car la France doit respecter ses engagements à l'égard de ses créanciers.
Partageant certaines de vos analyses, je crois aussi qu'il serait difficile de rejeter les crédits consacrés aux intérêts de la dette. Je suivrai donc notre rapporteur spécial.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » ainsi que du compte d'affectation spéciale « Participations de la France au désendettement de la Grèce ».
La commission procède enfin à l'examen du rapport de M. Maurice Vincent, rapporteur spécial, sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».
Le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » est le support budgétaire des opérations conduites par l'État en tant qu'actionnaire. L'État détient en effet des participations, le plus souvent sous forme de titres de capital - des actions - dans plusieurs entreprises dans le secteur de l'énergie (GDF-Suez, EDF, Areva), de l'armement (Nexter, Thales), des télécommunications ou autres (SNCF ou RATP).
Comme dans tout compte d'affectation spéciale, il existe un lien entre ses recettes et ses dépenses. Celles-ci résultent de cessions de participations et celles-là de prises de participations, c'est-à-dire d'acquisitions de titres de capital. Le compte peut aussi financer le désendettement de l'État par des versements à la Caisse de la dette publique. Sa particularité tient aussi à sa programmation budgétaire, qui est partiellement formelle. Côté recettes, le Gouvernement ne veut pas s'engager sur un montant ou sur un rythme de cessions pour des raisons notamment de confidentialité et de stratégie - on le comprend. Il est donc inscrit pour 5 milliards d'euros de recettes dans chaque projet de loi de finances, montant bien évidemment jamais été atteint depuis la crise.
L'exercice prospectif est donc limité. C'est pourquoi nous examinons le « jaune budgétaire » intitulé « Rapport sur l'État actionnaire » qui dresse le panorama des actions menées sur la dernière année.
Depuis 2012, l'État actionnaire s'est lancé dans un grand chantier de modernisation pour adopter une gestion active de ses participations. Nous entendrons la semaine prochaine Régis Turrini, nouveau commissaire aux participations de l'État.
La doctrine d'investissement de l'État actionnaire s'articule autour de quatre principes d'investissement : par exemple, l'investissement dans des entreprises stratégiques comme celles de la défense, la possibilité d'intervenir pour des sauvetages exceptionnels, comme pour Dexia, ou encore des investissements contribuant à l'avenir de l'industrie dans notre pays. Cette doctrine a été présentée par Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg au Conseil des ministres du 15 janvier 2014. Une ordonnance publiée en août dernier permet à l'État actionnaire de disposer de plus de souplesse pour conduire à bien sa mission.
Depuis janvier, l'État a cédé 1 % du capital d'Airbus Group - non indispensable pour maintenir son influence - afin de financer une partie de l'acquisition de 14,1 % du capital de PSA, pour un montant total de 800 millions d'euros, au côté du groupe chinois Dongfeng. Autre exemple : l'État a cédé en juin 3,6 % du capital de GDF-Suez pour un montant de 1,5 milliard d'euros, recette versée à la Caisse de la dette publique pour contribuer au désendettement de l'État.
À la fin de l'année 2014, le solde créditeur du compte devrait s'élever à environ 2,25 milliards d'euros, dont 1,15 devra, en 2015 ou 2016, être utilisé pour finir de libérer le capital de la Banque publique d'investissement (BPI). La BPI est un outil propre d'intervention de la puissance publique au capital des sociétés. L'État détient 50 % de la BPI qui a sa propre doctrine d'investissement, complémentaire de celle de l'État.
Pour 2015, les dépenses certaines inscrites sur le budget sont estimées à 730 millions d'euros, dont 280 millions d'euros pour renforcer les fonds propres de l'Agence française de développement et 390 millions d'euros pour acheter au Commissariat à l'énergie atomique des titres Areva afin qu'il puisse dégager des ressources pour financer le démantèlement de ses installations.
Enfin, l'accord conclu avec Bouygues au mois de juin permet à l'État d'acquérir jusqu'à 20 % du capital d'Alstom, mais seulement s'il le souhaite. Je ne sais pas s'il le fera.
Côté recettes, le budget prévoit comme chaque année une inscription conventionnelle de 5 milliards d'euros. L'année 2015 pourrait cependant être différente : le ministre de l'économie a annoncé que des cessions auraient effectivement lieu pour un montant compris entre 5 et 10 milliards d'euros, mais nous ne savons pas lesquelles. Ces recettes seraient en priorité affectées au désendettement ; une somme de 4 milliards d'euros est d'ailleurs inscrite sur le tableau de financement du projet de loi de finances pour 2015.
L'équilibre à trouver sera fin. S'il est loisible à l'État d'avoir une gestion active, il ne doit pas perdre de vue que les participations rapportent 3,5 milliards d'euros par an à l'État sous forme de dividendes versés au budget général. Plus on vend des actions, moins on a de possibilités de récupérer des dividendes.
La valeur du portefeuille côté de l'État a augmenté de 40 % sur un an, contre 16 % pour le CAC 40.
Je voudrais maintenant aborder trois sujets d'actualité.
Le sauvetage de Dexia, dont l'État est actionnaire à hauteur de 44 %, lui a déjà coûté 6,6 milliards d'euros. Même si le Gouverneur de la Banque de France a tenu des propos rassurant, avant-hier, devant notre commission, la santé de cette banque est encore précaire à cause de ses participations dans des banques italiennes ou espagnoles. Nous devrons rester attentifs. Son sauvetage a déjà coûté plus cher à la France que celui du Crédit lyonnais, qui, finalement, n'aura coûté que 4,5 milliards d'euros ; cela m'a aussi étonné : j'aurais pensé que c'était l'inverse.
Dans le secteur de l'armement, Nexter a engagé des négociations pour se rapprocher de son homologue allemand KMW pour une fusion égalitaire qui permettra des économies d'échelle. Pour l'instant, les deux sociétés ont signé un protocole d'accord qui encadre la négociation d'un futur accord sur leur rapprochement. Ce projet vise à renforcer les industries européennes de défense.
Enfin, la SNCM, dont l'État est actionnaire à hauteur de 25 % et à qui il a accordé des avances pour 30 millions d'euros en 2014, est sous le coup de jugements européens lui ordonnant de rembourser 440 millions d'euros.
Je vous remercie. Je suis membre du Conseil national d'orientation de la BPI : comment se passe la coordination de cette institution avec l'Agence des participations de l'État (APE) ?
Je ne me suis pas penché sur les détails ; la BPI a un parcours satisfaisant, en particulier dans le secteur des hautes technologies. Je n'ai pas connaissance de difficultés particulières.
En tant que maire, j'avais souscrit un emprunt auprès de Dexia ; j'ai reçu un courrier de la Caisse française de financement local : qu'est-ce que cela signifie ? L'État prend des participations dans PSA, fleuron de notre économie : pour quel montant ? Et dans Alstom ?
Nous entendons beaucoup parler des dividendes versés en ce moment, trop élevés, et qu'il faudrait taxer, mais il semble que l'État actionnaire soit autant sinon plus exigeant que les actionnaires privés : qu'en est-il ?
La gestion active comporte-t-elle des changements dans la pratique de l'État ? Je pense à la dernière réunion du comité de nomination de GDF-Suez et aux conditions de rémunérations dans cette entreprise.
Le dépôt de bilan de la SNCM est très probable. C'est une question de temps et c'est sans doute nécessaire. Le budget en tient-il compte ?
L'État céderait sa participation dans l'aéroport de Toulouse-Blagnac, qui dispose de 100 hectares de terrain qui excitent les convoitises. Qu'en sera-t-il des tarifs préférentiels dont dispose Airbus pour faire décoller et atterrir ses avions ?
Vous parlez d'un portefeuille qui augmente : quelle est sa valeur absolue ? La liste des participations est une liste à la Prévert ; j'y trouve par exemple le casino d'Aix-les-Bains, mais pas d'entreprises dans le secteur des nouvelles technologies de l'information. Ai-je mal lu ?
A Dexia ont succédé deux sociétés : Dexia, dont l'État détient 44 % et qui a hérité d'une minorité d'emprunts toxiques, et la société de financement local, la SFIL, détenue en totalité par des entités publiques - 75 % par l'État et le reste par la Caisse des dépôts et la Banque postale - qui détient la majorité des emprunts toxiques.
S'agissant de PSA, le montant de la prise de participation de l'État est de 800 millions d'euros. Quant à Alstom, au cours actuel, l'État pourrait débourser jusqu'à 1,6 milliard d'euros, mais, pour l'instant, ce chiffre reste très hypothétique.
Le taux de retour des investissements de l'État est plus élevé que dans le privé, mais je ne crois que ce soit le fruit d'une volonté délibérée : l'État veut avoir un retour correct, mais ce résultat tient sans doute plus aux secteurs spécifiques représentés dans son portefeuille.
Une ordonnance fixe une nouvelle stratégie qui rend les nominations de représentants de l'État dans les conseils d'administration plus souples que par le passé, où seuls des hauts-fonctionnaires pouvaient être nommés.
Le coût du dépôt de bilan pour la SNCM est, pour l'instant, évaluée à 30 millions d'euros : il s'agit des avances d'actionnaire consenti par l'État.
Certes, mais la SNCM étant une société non cotée, il est difficile d'apprécier sa valeur. En outre, elle peut aussi être reprise. Le dossier n'est pas suffisamment avancé pour en estimer le coût pour l'État.
La vente de la participation dans l'aéroport Toulouse-Blagnac est engagée : un appel d'offres a été lancé. Je ne peux pas vous dire si c'est dans le cadre d'une stratégie globale qui concerne tous les aéroports.
La valeur du portefeuille était de 84,7 milliards d'euros en avril 2014 pour les entreprises cotées, mais il y en a beaucoup d'autres. Les nouvelles technologies sont présentes dans ce portefeuille à travers Orange ; mais c'est surtout la BPI qui a vocation à prendre des participations minoritaires et à moyen terme dans ce secteur.
La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».
La réunion est levée à 12 h 45.