Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 18 juin 2014 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

Source

La commission examine les amendements sur la proposition de loi n° 212 (2011-2012) relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l'exemple de la guerre de 1914-1918.

Article unique

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

L'amendement n° 1, que j'ai déposé, à titre personnel, avec mon collège Michel Billout, est, mot pour mot, celui que je vous avais soumis la semaine dernière en tant que rapporteure. Il vise à proposer une rédaction alternative de l'article unique du texte, tendant à permettre une réhabilitation morale, symbolique des fusillés, plutôt qu'une réhabilitation juridique. En conséquence, elle ne prévoit pas l'attribution à ceux-ci de la mention « mort pour la France ».

En revanche, cette rédaction autoriserait l'inscription des noms des fusillés sur les monuments aux morts, ce qui, dans les faits, se pratique déjà.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

La position de mon groupe, exprimée la semaine dernière, n'a pas évolué. Voter ce texte affaiblirait les mesures prises par le Gouvernement. Les déclarations qui ont été faites, l'ouverture d'une salle consacrée aux fusillés au Musée de l'Armée, la numérisation des dossiers des fusillés, sont des mesures beaucoup plus fortes. En outre, est envisagée une commission qui étudierait les dossiers au cas par cas. Il serait intéressant de prévoir que les demandes soient d'abord présentées par l'intermédiaire d'un parlementaire, lui-même saisi par un maire, au Défenseur des droits, qui réaliserait un premier examen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Je salue encore une fois le travail de notre rapporteure, qui a apporté sa dimension humaine, sa sensibilité, son engagement dans le traitement de ce dossier. Nous restons également sur la même position que celle exprimée la semaine dernière, nous ne souhaitons pas aller plus loin que les mesures annoncées par le Gouvernement.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

La séance est levée à 10 heures 10.

La séance est ouverte à 18 heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Nous accueillons M. Fayez Tarawneh, Chef de la Cour royale hachémite de Jordanie et, notamment, ancien Premier ministre du Royaume. Cette audition est d'ailleurs ouverte à nos collègues membres du groupe interparlementaire d'amitié France-Jordanie.

Excellence, notre commission est très honorée de vous recevoir, et ses membres en sont très heureux. Le Président de la République, François Hollande, lors de sa visite à Amman, il y a un an, a eu l'occasion de rappeler les relations fortes, marquées par l'amitié et par la confiance, qu'entretiennent la France et la Jordanie, dans tous les domaines - politique, économie, culture... Il a souligné l'attachement de notre pays à approfondir, toujours davantage, ces relations : votre présence parmi nous en est, pour le Sénat, une occasion dont je me réjouis.

La Jordanie se trouve, en raison de la géographie même, au centre des grandes tensions que connaît le Proche-Orient. De fait, votre pays joue un rôle majeur pour les équilibres géopolitiques de la région, sans être épargné, lui-même, par les crises que celle-ci traverse. Vous êtes donc, pour nous, un analyste précieux des enjeux des grands sujets de préoccupation actuels.

Parmi ces sujets, notre commission serait naturellement intéressée de pouvoir bénéficier de votre regard sur la guerre en Syrie, sur la question irakienne, et sur le conflit israélo-palestinien. Quelle attitude la Jordanie entend-elle adopter, aujourd'hui, dans ces trois dossiers ?

Mais nous serons également très attentifs à ce que vous voudrez bien nous dire de la situation interne de votre pays. Nous sommes fortement préoccupés par la situation humanitaire difficile que constitue la présence, sur le sol jordanien, de près de 600 000 réfugiés syriens, soit près de 10 % de la population jordanienne, dénombrés, au début de ce mois, par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Mes collègues, après votre présentation, ne manqueront pas de vous poser des questions. Je vous laisse donc la parole, Excellence, en vous renouvelant, très chaleureusement, mes souhaits de bienvenue.

Debut de section - Permalien
Fayez Tarawneh

Merci, Monsieur le Président, pour ces paroles et pour votre accueil. Permettez-moi d'abord, en retour, de vous transmettre, ainsi qu'à la commission dans son ensemble, les salutations de Sa Majesté le Roi Abdallah II. Comme vous l'avez souligné, la Jordanie et la France entretiennent des relations très fortes, et très confiantes, dans de nombreux domaines. Nous apprécions à sa juste valeur l'appui politique, moral et financier que nous accorde votre pays, y compris par le canal de l'Union européenne. C'est d'ailleurs grâce au soutien français que la Jordanie a été l'un des premiers États du Proche-Orient à signer un accord de partenariat avec l'Union européenne.

Je répondrai aux questions que vous avez bien voulu me poser en commençant par évoquer la situation interne de la Jordanie. Les Jordaniens vivent sans prêter une attention excessive à ce qui se passe autour d'eux dans la région. Notre pays est un pays paisible, dont l'économie et la vie politique fonctionnent normalement, en dépit du contexte régional difficile que vous savez.

En matière économique, un programme de réformes est en cours. La Jordanie a des projets pour le développement de son industrie, notamment dans le domaine des phosphates. Sa Majesté le Roi Abdallah II a inauguré, voici un mois, un important centre d'investissements.

Au plan politique, environ le tiers de notre programme de réformes constitutionnelles a été mis en oeuvre. La Jordanie, au lendemain de son indépendance, a été l'un des premiers pays arabes à se doter d'un Parlement, organisé suivant le principe bicaméral. Notre pays constitue une monarchie héréditaire constitutionnelle. Nous espérons qu'il connaisse, un jour, une vie politique pleinement démocratique, régie par le pluralisme politique, mais il n'est pas encore mûr, aujourd'hui, pour une telle évolution.

Le « printemps arabe », depuis quatre ans, a fortement déstabilisé des pays voisins du nôtre, dont l'Égypte et la Syrie. L'Irak, pour sa part, est instable depuis la chute du régime de Saddam Hussein. La Jordanie, bien que située, de ce point de vue, dans l'oeil du cyclone, parvient à préserver sa stabilité. Cette situation semble faire l'admiration des chefs d'État et de gouvernements qui, lorsqu'ils nous rendent visite, nous interrogent systématiquement sur la clé de cette stabilité que nous parvenons à maintenir au milieu même des crises de la région. Cette clé, c'est la société jordanienne, qui est très homogène, et par conséquent très soudée, au contraire, notamment, des sociétés irakienne, libyenne ou syrienne.

La Jordanie, du reste, est un modèle de cohabitation harmonieuse entre musulmans et chrétiens. Ces derniers représentent 2 % à 2,5 % de la population du pays, mais notre Constitution leur garantit des quotas de représentants, au sein du Gouvernement et au Parlement, trois fois supérieurs à cette proportion.

Bien sûr, nous connaissons des manifestations traduisant un mécontentement populaire ; nous avons même assisté, il y a deux ans, à de grandes manifestations. Mais un gouvernement peut rarement satisfaire toutes les exigences d'un peuple... Consigne a été donnée aux forces de l'ordre de traiter les manifestants d'une manière pacifique, contrairement à ce que l'on a observé dans certains pays touchés par le « printemps arabe ».

Quant aux relations de la Jordanie avec la communauté internationale, nous les voulons fondées sur le respect du droit.

Cela étant, nous subissons de plein fouet, aujourd'hui, les conséquences de la crise en Syrie, dont les réfugiés sont venus s'ajouter à ceux que la Jordanie avait déjà accueillis, par le passé, en provenance de la Palestine et de l'Irak. Compte tenu de ces affluences successives, les réfugiés sur le sol jordanien représentent actuellement, au total, 1,4 million de personnes, soit, non pas 10 %, mais 20 % de notre population. Une minorité de ces réfugiés, de l'ordre de 10 % à 20 %, se trouve dans des camps, mais la plupart d'entre eux vivent dans nos villes et nos villages, avec la population jordanienne, et ils y disposent des mêmes droits que cette dernière.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Les réfugiés syriens vous paraissent-ils pouvoir retourner en Syrie, une fois que la crise actuelle sera terminée ?

Debut de section - Permalien
Fayez Tarawneh

Il n'y a guère d'espoir d'un tel retour tant qu'aucune solution politique à cette crise ne se fera jour. En outre, à supposer que cette issue politique soit trouvée, les réfugiés disposeront-ils encore d'un logement leur permettant de rentrer dans leur pays, alors que tant de bâtiments y ont été détruits ?

Aujourd'hui, nous redoutons une nouvelle vague de réfugiés en provenance, d'une part, de l'Irak, compte tenu des évènements en cours, et, d'autre part, du sud de la Syrie, zone frontalière de la Jordanie, si elle est exposée à de nouveaux combats. Il pourrait s'agir d'un demi-million de nouveaux réfugiés.

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

La Jordanie fait figure de pays sympathique pour les Français. Ils en connaissent, notamment, les ressources touristiques. Mais ils mesurent rarement le poids des problèmes qu'il affronte. La Jordanie, depuis une cinquantaine d'années, accueille les réfugiés de tous les conflits qui se succèdent dans la région. Votre pays, Excellence, représente pourtant l'un des seuls points de stabilité de cette dernière - avec Israël, dont il a reconnu l'existence.

L'aide de l'Union européenne vous est acquise. J'ai bon espoir que, sur le fondement de la proposition que j'ai faite à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, la Jordanie devienne bientôt membre de cette organisation. Il s'agirait en effet d'un appui supplémentaire, au bénéfice des réformes entreprises par votre pays, où, quoique beaucoup a été fait déjà, beaucoup reste à faire.

Je souhaiterai que vous nous fassiez part de votre point de vue sur deux sujets : en premier lieu, l'association du Fatah et du Hamas au sein du gouvernement de l'Autorité palestinienne, union nationale que l'Europe avait appelée de ses voeux, alors que les États-Unis pourraient considérer qu'il n'est pas possible de dialoguer avec un gouvernement au sein duquel siègent des représentants du Hamas ; en deuxième lieu, la progression en Irak de « l'Etat islamique en Irak et au Levant » (EIIL), mouvement interne au sunnisme, et le rapprochement que ce mouvement semble susciter entre l'Iran - shiite - et les États-Unis, au moment où les négociations sur les activités nucléaires sensibles iraniennes paraissent proches d'aboutir.

Debut de section - Permalien
Fayez Tarawneh

Notre pays apprécie pleinement le soutien que lui apporte l'Europe, en termes politiques ou économiques, ainsi que par le canal de la coopération. Je souhaite comme vous, Madame la sénatrice, l'intégration de la Jordanie au Conseil de l'Europe, attendue en 2015. Ce sera, comme vous l'avez souligné, un renfort d'importance pour la mise en oeuvre de nos réformes.

Vous venez d'évoquer les difficultés que l'afflux régulier de réfugiés cause à la Jordanie. Néanmoins, nous maintenons ouvertes nos frontières pour nos frères arabes : c'est là une part intégrante du message d'accueil que veut porter notre pays. Pourtant, les aides de l'Union européenne et des Nations unies ne couvrent que le cinquième des besoins qui sont les nôtres pour l'accueil des réfugiés ; le reste est pris en charge par la Jordanie, malgré les difficultés budgétaires. Quand la Banque mondiale débourse un milliard de dollars au titre de l'aide pour les réfugiés, nous dépensons pour notre part un milliard et demi de dollars, somme considérable pour un pays comme le nôtre. Aussi, tout en remerciant la communauté internationale pour son effort, nous nous interrogeons sur le caractère soutenable de la situation.

En ce qui concerne le mouvement EIIL, il s'agit d'un mouvement sunnite incompréhensible à mes yeux. Né en Irak, ce mouvement a été incité par le gouvernement de Nouri Al-Maliki à partir en Syrie, mais il a échoué à y réaliser son ambition d'un État islamique ; il est revenu en Irak, où le gouvernement de M. Al-Maliki l'a marginalisé. La situation actuelle n'induit pas de rapprochement particulier entre les États-Unis et l'Iran. Simplement, les États-Unis sont obligés de soutenir le gouvernement iranien aujourd'hui en place, qui a été élu par le peuple. Le respect de cette obligation n'est pas constitutif d'un rapprochement entre les deux puissances, dans le domaine du nucléaire encore moins que dans un autre.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Je tiens, Excellence, à vous féliciter pour l'action humanitaire de la Jordanie et la grande générosité que votre pays témoigne aux réfugiés syriens. En 2013, je me suis moi-même rendue dans le camp de Zaatari. Le Premier ministre jordanien m'avait alors dit son sentiment d'avoir été abandonné par la communauté internationale, et de devoir faire face seul à l'afflux de réfugiés. Il est vrai que l'aide internationale, comme vous l'avez souligné, n'est pas à la hauteur des besoins. La France, cependant, est présente à vos côtés ; par exemple, l'année dernière, nous avons inauguré un nouveau lycée français à Aman. Qu'attendez-vous de notre pays ?

Debut de section - Permalien
Fayez Tarawneh

Je rejoins le constat d'abandon de la Jordanie par la communauté internationale dressé par le Premier ministre que vous venez de citer. Celui-ci avait d'ailleurs exprimé le même propos devant le Parlement et les médias de notre pays. L'État jordanien ne parvient pas à maîtriser son budget en raison des dépenses qu'il doit consacrer aux réfugiés.

Pour répondre à votre question, ce que nous attendons de la France, comme de l'Union européenne et des Nations-Unies, c'est avant tout un regard différent sur l'aide internationale accordée pour les réfugiés. Cette aide est importante, certes, mais c'est nous, Jordaniens, qui devons traiter le problème sur le terrain. Ainsi, au camp de Zaatari, nous offrons aux réfugiés une tente et un repas par jour. Mais, comme je l'ai indiqué, la majorité d'entre eux vivent dans les villes et les villages de Jordanie. Ils représentent une charge considérable pour l'État. Aussi serait-il nécessaire de faire bénéficier l'État jordanien d'une partie de l'aide internationale, en contrepartie de l'effort qu'il consent pour les réfugiés ; l'emploi de cette aide, naturellement, serait contrôlé par les institutions de l'Union européenne et des Nations-Unies.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Y a-t-il des tensions entre les Jordaniens et les réfugiés, dans les villes et villages où résident ces derniers, voire dans les camps ?

Debut de section - Permalien
Fayez Tarawneh

Hormis peut-être quelques cas isolés, dans les camps, lors de retards dans la distribution des repas, il n'y a pas de tensions avec les réfugiés. D'ailleurs, les Jordaniens et les habitants du sud de la Syrie, qui sont aujourd'hui réfugiés en Jordanie, ont l'habitude d'échanges, commerciaux ou autres, en bonne entente de voisinage. Les blâmes de la population jordanienne s'adressent à l'État jordanien, pas aux réfugiés, qui sont pour nous des frères que nous accueillons, comme tels, bien volontiers.

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

Excellence, vous avez signalé qu'il n'existe pas encore de pluralisme politique en Jordanie. En l'absence de partis, comment votre pays organise-t-il la désignation de ses représentants au Parlement ?

Debut de section - Permalien
Fayez Tarawneh

Il existe bien de petits partis politiques, mais ils ne disposent pas de programme crédible, et ils n'ont pas su entraîner l'adhésion d'un électorat. Les sièges au Parlement, comme au conseil des ministres, sont répartis en fonctions des appartenances tribales. Cependant, des groupes se sont constitués au Parlement ; c'est à partir de la consultation de ces groupes que le Premier ministre El-Nsour, en 2012, a pu être désigné. Cet accord politique a marqué un grand progrès dans la vie politique et institutionnelle jordanienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Merci, Excellence, pour les éclairages que vous venez d'apporter aux travaux de notre commission.

La séance est levée à 19 h 20.