La commission d'enquête poursuit sa revue exhaustive des autorités administratives indépendantes par l'audition de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), créée en 2000 dans la loi relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. Selon le code de l'énergie, la CRE concourt au bon fonctionnement des marchés de l'électricité et du gaz naturel au bénéfice du consommateur final, elle veille à ce que les conditions d'accès aux réseaux de transport et de distribution d'électricité et de gaz naturel n'entravent pas le développement de la concurrence, elle surveille les transactions entre fournisseurs, négociants et producteurs et la cohérence des offres.
Je suis accompagné par M. Jean-Yves Ollier, directeur général de la CRE.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Philippe de Ladoucette et Jean-Yves Ollier prêtent serment.
La CRE a été créée en 2000 suivant une obligation européenne. Comme les 27 autres régulateurs européens, elle est membre du Conseil des régulateurs européens de l'énergie (CEER) et du conseil d'administration de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (Acer), créée en 2009. Elle assure le bon fonctionnement des marchés de l'électricité et du gaz naturel et vérifie qu'il respecte les objectifs de la politique énergétique, notamment la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la maîtrise de la demande d'énergie et le développement de la production d'énergie renouvelable. L'ouverture des marchés de l'énergie, entre 2003 et 2007, a reposé sur la séparation entre activités : d'une part la gestion des réseaux de transport et de distribution d'électricité et de gaz, monopoles naturels ; d'autre part la production et la fourniture, ouvertes à la concurrence.
La première mission de la CRE est la régulation des réseaux. Elle veille à l'absence de discrimination dans l'accès aux réseaux en examinant les contrats entre leurs gestionnaires et les utilisateurs.
La CRE participe activement à la construction du marché européen de l'énergie, notamment par le couplage de marché en électricité, et à la rédaction des codes européens de réseaux en gaz et en électricité. Elle approuve les plans d'investissement des gestionnaires de réseaux de transport et les codes de bonne conduite.
Concernant la production et la fourniture, elle surveille les transactions sur les marchés de gros d'électricité, de gaz naturel et de quotas de C02, en coopération avec l'Autorité des marchés financiers (AMF) depuis la loi de régulation bancaire et financière de 2010. Elle est membre actif de la mission de surveillance des marchés européens dans le cadre du règlement européen sur l'intégrité des marchés de gros de l'énergie (Remit), en coordination étroite avec l'Acer.
La CRE surveille les transactions et les offres des marchés de détail, en particulier leur cohérence avec les contraintes économiques et leur transparence. En matière de gaz, le décret du 16 mai 2013 lui donne compétence d'analyser chaque année l'ensemble des coûts des vingt-cinq opérateurs historiques et de vérifier la bonne application de la formule tarifaire. Elle se concentre sur GDF-Suez, ne pouvant agir que de façon réduite pour les entreprises locales de distribution.
La CRE émet un avis sur les tarifs réglementés de vente d'électricité envisagés par le gouvernement. Au 1er janvier 2016, le système s'inversera, c'est elle qui les proposera, conformément à la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (Nome). La CRE applique d'ores et déjà la méthode de construction des tarifs d'électricité par empilement. Elle devra aussi fixer le prix de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh) pour les concurrents d'EDF, dès que les modalités de calcul seront établies.
L'ensemble des responsabilités de la CRE sur les tarifs de vente porte sur un montant de 15 milliards d'euros. Le montant des charges de service public, calculé par notre commission, s'élève actuellement à 6,2 milliards d'euros. Les agents de la CRE préparent les décisions des six membres du collège portant sur les composantes du prix de l'énergie, sur des montants cumulés annuels représentant près de 45 milliards d'euros, dont 23 pour les tarifs régulés, 15 pour la part fourniture des tarifs réglementés de vente et 6,5 pour la contribution de service public de l'électricité (CSPE).
L'activité de la CRE liée aux énergies renouvelables s'est fortement développée puisqu'elle émet à présent un avis sur les projets d'arrêtés fixant les tarifs de rachat et, surtout, gère les appels d'offres, qui ont triplé en nombre depuis 2011. En 2014, la CRE a instruit 2 000 dossiers de candidature. Cette année, 600 dossiers ont été déposés pour le dernier appel d'offres. En 2014, la Commission européenne a défini le recours aux appels d'offres comme le mécanisme de droit commun du soutien aux énergies renouvelables. La CRE devrait donc jouer un rôle renforcé dans ce domaine. Le projet de loi relatif à la transition énergétique accroît lui aussi les missions de la CRE sur la CSPE, les réseaux intelligents, le stockage de gaz, l'énergie dans les collectivités d'outre-mer.
La CRE organise des auditions, des consultations publiques, elle publie des rapports. La concertation a par exemple porté sur la fin des tarifs réglementés d'électricité et de gaz naturel pour les professionnels. Nous avons pallié l'absence de communication du gouvernement en adressant une lettre à 10 000 professionnels abonnés au gaz pour leur rappeler que, faute d'avoir choisi un opérateur au 1er octobre prochain, ils verraient leur facture augmenter de 20%.
La CRE en 2014, c'est 82 jours de commissions, 243 délibérations, en hausse de 34% par rapport à 2013, 98 auditions, en augmentation de 40%, 22 consultations publiques, 90 réunions de concertation. Les arbitrages budgétaires rendus depuis 2010 ont fortement réduit les effectifs de la CRE, passés de 131 emplois à temps plein, dont trois commissaires, à 130 en 2014 et 124 en 2015, dont six commissaires. La réduction devrait se poursuivre avec 119 emplois en 2016 et 115 en 2017, soit une baisse de 15% des effectifs. Nous n'avons jamais atteint le nombre d'emplois correspondant à nos besoins. Chez nos homologues, les effectifs sont plus élevés, de l'ordre de 700 au Royaume-Uni et de 200 à 300 en Allemagne, en Espagne ou en Italie.
En conséquence, nous avons strictement réduit les fonctions support au profit des fonctions opérationnelles de régulation et fusionné les directions chargées de la régulation des réseaux d'électricité et des infrastructures de gaz au 1er janvier 2015. L'organisation est sous tension et les conditions d'exercice de nos missions se dégradent. L'accumulation des compétences s'est faite sans considération des moyens budgétaires nécessaires. Le délai de rédaction des cahiers des charges des appels d'offres pour les énergies renouvelables est passé de deux à plus de six mois et la CRE risque de ne plus pouvoir assurer les délais d'instruction des dossiers. Les travaux de surveillance des marchés de détail ont été fortement ralentis, quand la fin des tarifs réglementés de vente impose pourtant une vigilance particulière. Ainsi, la CRE n'a pas publié de rapport sur les marchés de détail depuis 18 mois.
La faiblesse des moyens constitue un risque juridique. J'ai demandé au Premier ministre des moyens complémentaires dans le cadre du contentieux sur la contribution au service public de l'électricité, pour lequel la CRE a reçu 55 000 demandes de remboursement (dont 13 000 ont donné lieu à des recours contentieux), dès lors que la qualification d'aide d'État a été prononcée, concernant le soutien à la production éolienne financé par cet impôt. Le Conseil d'État pourrait condamner l'État à rembourser, ce qui nécessiterait l'embauche de 66 à 192 emplois à temps plein supplémentaires pour traiter les dossiers puisque le ministère de l'écologie a conclu à la compétence de la CRE.
Ces pouvoirs sont extrêmement importants, sans être assortis des moyens de les assumer dans de bonnes conditions. Ces dernières années, le Parlement les a considérablement accrus, sans jamais allouer de crédits supplémentaires.
J'ai omis d'évoquer le comité de règlement des différends et des sanctions (Cordis), cette instance rassemblant quatre commissaires, dont deux sont issus du Conseil d'État et deux de la Cour de cassation.
Avez-vous le sentiment que quelqu'un ou quelque chose fasse puisse vous faire obstacle ?
Oui : la loi, le juge administratif le peuvent. Les recours sont nombreux. L'encadrement juridique de la CRE est clair et elle dispose de pouvoirs moins grands que ses homologues européens.
Il est intéressant de voir ce qui s'y passe.
Le Cordis compte des membres du Conseil d'État, qui peut être amené à statuer sur ses décisions. N'est-ce pas problématique ?
Les choses sont un peu complexes : la Cour d'appel de Paris est compétente si le Cordis se prononce sur un différend, mais c'est le Conseil d'État qui l'est s'il s'agit d'une sanction. La règle du déport impose bien sûr aux commissaires de s'abstenir de siéger dans une formation qui examinerait leurs décisions.
Est-il raisonnable que des magistrats de la Cour d'appel de Paris se prononcent sur des décisions prises par des magistrats de la Cour de cassation ?
Je ne vois pas d'obstacle de principe dès lors que le risque de conflit d'intérêts est pris en compte.
La CRE est l'une des AAI ayant connu le plus de péripéties quant à la composition de son collège. Les modifications des règles et des membres ont été si nombreuses qu'elles en étaient presque inconvenantes, affectant la crédibilité de l'institution. Aujourd'hui, le mode de désignation est stabilisé. Le collège réunit divers parcours professionnels, expériences et convictions représentant la société française.
Voilà une réponse diplomatique. Quelles ont été les difficultés, plus précisément ?
Les parlementaires ont voulu modifier le collège pour conserver l'équilibre du système français, parce qu'ils avaient difficulté à accepter que la CRE prône la concurrence dans l'énergie, selon les directives de la Commission européenne.
Je n'ai pas souvenir de la présence d'hommes politiques au sein du collège, si ce n'est l'ancien sénateur Michel Thiollière, excellent commissaire, au point qu'il est devenu vice-président du Conseil des régulateurs européens de l'énergie et président des Régulateurs méditerranéens de l'énergie.
Les CV des membres ne me paraissent pas correspondre à cette appréciation.
Vous les trouvez très politiques ?
Oui, ce qui ne me surprend pas, si l'on considère les autorités de désignation.
Il fut un temps où le Sénat et l'Assemblée nationale désignaient chacun deux membres, le Conseil économique, social et environnemental, un membre, le reste l'étant par le gouvernement sur décret du président de la République. Était-ce plus ou moins satisfaisant ? Je l'ignore.
Je ne porte pas de jugement dessus, ne ressentant pas de caractère politique dans la nomination des actuels membres.
Nous sommes en effet six membres, dont trois femmes, soit dit en passant. Les expériences des uns et des autres reflètent bien ce qu'on peut attendre d'un collège prenant des décisions pesant sur la vie de nos concitoyens.
Comment un membre du collège qui possède une expérience professionnelle antérieure s'en détache-t-il ?
Un membre ne participe pas pendant six mois aux délibérations qui concernent l'entreprise dont il provient. Le mandat durant six ans, cela laisse le temps de se détacher intellectuellement.
Sur des sujets techniques, il serait gênant que la totalité ou la majorité des membres du collège soient des personnes extérieures au secteur. Posséder quelque expérience fait gagner du temps pour appréhender des sujets fort techniques - et le parcours professionnel antérieur ne rend pas nécessairement partial.
Comment vos pouvoirs sont-ils perçus par les entreprises régulées et l'État ?
Cela varie selon nos décisions ! Le groupe EDF n'est pas mécontent quand nous défendons des mouvements tarifaires qui lui sont favorables, il l'est lorsque nous retenons des tarifs d'accès aux réseaux inférieurs à ce qu'il aurait espéré... Les différends entre organismes régulés et régulateur sont plutôt un bon signe. Quant au gouvernement, je ne sais pas quelle est sa perception.
Nous avons des relations mécaniques avec les ministères de l'économie et de l'énergie, lorsqu'ils nous saisissent comme la loi le prévoit sur les évolutions tarifaires et les appels d'offres. En outre, nous dialoguons avec les cabinets. Ces neuf dernières années, j'ai toujours prévenu le gouvernement lorsque ses mesures risquaient d'entraîner de notre part un avis ou une décision embarrassante. Je n'ai pas toujours été écouté, et nous avons parfois rendu des avis négatifs. En 2006-2007, nous avions alerté sur le risque de formation d'une bulle dans les énergies renouvelables, en raison de tarifs d'achat trop élevés. Ce risque s'est produit dans le photovoltaïque, la bulle a fini par éclater.
Nous sommes indépendants dans nos décisions mais pas dans nos moyens - ce qui peut apparaître comme une façon d'atteindre à notre indépendance, mais est en réalité aussi gênant pour le gouvernement, car nous sommes dans l'impossibilité de finaliser dans des délais corrects les appels d'offre sur les énergies renouvelables - responsabilité que nous n'avons pas demandée...
Ce serait contraire aux directives européennes. En revanche, ils pourraient être confiés à un autre organisme.
La qualité et les délais s'en ressentent. J'alerte le gouvernement depuis longtemps sur le délai de préparation des appels d'offres en énergies renouvelables, passé à six ou huit mois.
Je reste plein d'espoir.
Votre budget a régulièrement diminué. Vous êtes soumis aux choix du gouvernement.
La CRE ne dispose d'aucune ressource extérieure, elle est totalement dépendante des crédits budgétaires.
Peut-on être totalement indépendant quand on est totalement dépendant financièrement ?
Cette dépendance budgétaire n'a jamais influencé nos délibérations. Le projet de loi sur la transition énergétique prévoit que nous puissions faire payer les entreprises que nous régulons si nous n'avons pas les moyens de mener convenablement nos missions, par exemple les audits pour lesquels nous sommes contraints de recourir à des cabinets extérieurs. Nous ne l'avons pas encore fait. Nous avons réduit les audits.
Le montant de la CSPE s'élève à 6 milliards d'euros et le Parlement n'a pas à en connaître. Qu'en pensez-vous ?
Notre mission porte seulement sur le calcul des montants de CSPE. Oui, il me semblerait normal que le Parlement s'exprime sur ce sujet. Nous avons publié un rapport montrant les évolutions potentielles de cette taxe jusqu'en 2020-2025 - en émettant des hypothèses très conservatrices quant à la volonté de développer des énergies renouvelables...
Un contentieux immobilier a coûté 440 000 euros à la CRE en 2014. Que pouvez-vous nous en dire ? Avez-vous travaillé avec France Domaine ?
Nous avons déménagé sous les auspices de France Domaine en 2010. Le propriétaire de l'immeuble que nous quittions nous a reproché de ne pas lui avoir signalé notre départ en temps utile. Nous avons préféré transiger sans attendre le jugement, qui nous aurait été défavorable. À cette époque, nous en avions encore les moyens.
Vous avez été renouvelé dans vos fonctions : cela est pourtant théoriquement impossible.
À l'occasion de la loi Nome, le gouvernement a entendu refonder la CRE. Un amendement des députés a autorisé la reconduction des membres de collège en cours de mandat. Il s'agit d'un acte législatif dont nous ne sommes pas responsables.
Mais est-ce ainsi que l'on garantit l'indépendance ? La logique voudrait que le mandat soit irrévocable et non renouvelable.
Dans d'autres pays, le principe limite le nombre de mandats à deux, chacun d'une durée de cinq à sept ans. Nous sommes dans la moyenne.
Avez-vous eu le sentiment que la création de la CRE correspondait à la suppression de postes dans les ministères, ou s'agit-il d'un étage de plus ?
Contrairement à l'Arcep, la CRE a été créée de toutes pièces en 2000, sans démantèlement de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), sans transfert des agents. Je ne parlerais pas d'étage supplémentaire car la CRE et la DGEC n'ont pas tout à fait le même métier, mais il existe certes des recoupements. La DGEC reste un outil ministériel. Actuellement 88% du personnel de la CRE vient du secteur parapublic ou privé... et y retourne, hélas ! Nous avons réussi à réduire le turn over et porter de deux ans et demi à quatre ans la durée moyenne des emplois, dans un secteur qui embauche bien.
Si la CRE n'était pas une AAI, elle serait un service de l'État.
Certainement pas ! L'indépendance n'existerait pas. L'administration ne peut pas être contre la position de son ministre. Le nombre d'avis négatifs que nous avons émis sur des propositions du gouvernement montre toutes les difficultés qu'une telle situation engendrerait, surtout dans un pays où l'État est actionnaire majoritaire des opérateurs de l'énergie. Le conflit d'intérêts serait total et la Commission européenne ouvrirait un contentieux avec la France.
Il faudrait des recours systématiques. De toute façon, il y a une obligation européenne.
Le marché du gaz et de l'électricité existe-t-il, ou est-ce une fiction à laquelle la CRE est chargé de donner une consistance ? Comment l'avenir, autre que la situation actuelle où l'on jouit des investissements considérables faits à une époque antérieure, est-il pris en compte dans vos décisions ?
Le marché n'est pas extrêmement développé en France, mais on ne peut pas dire qu'il n'existe pas : 32% des consommateurs de gaz sont sur le marché et la proportion de 11% dans l'électricité augmentera au 1er janvier puisque les tarifs verts et jaunes pour les professionnels disparaîtront. Même chose pour le gaz.
J'ai noté qu'EDF faisait partie des opérateurs du gaz, ce qui est amusant puisque, pour établir la concurrence, il fallait séparer les opérateurs. Maintenant, c'est l'inverse ! De fait, la source d'approvisionnement en gaz est extrêmement limitée, puisqu'il faut des pipelines pour le transporter. Ce n'est pas comme la production de voitures. Qui sera l'opérateur concurrent d'EDF en matière d'électricité ?
L'approvisionnement est pour l'instant limité, les gouvernements français n'ayant jamais envisagé d'autre opérateur qu'EDF en matière nucléaire. C'est un choix des pouvoirs publics. Pensons aussi aux réseaux et au transport d'électricité, que nous régulons. Nous menons un travail considérable sur le maillage et les relations au sein de l'Europe pour en assurer la plus grande fluidité. On a le droit d'être contre la décision d'ouverture à la concurrence, mais elle date de 1996 pour l'électricité, 1998 pour le gaz.
C'est une illusion complète ! En matière de production, on aboutira au mieux à un duopole, et sur les réseaux, le monopole demeure.
Il reste les fournisseurs, pouvant s'appuyer sur le marché.
Du marché de gros européen. La loi Nome a prévu de demander à EDF de vendre une partie de son électricité nucléaire à ses concurrents pour ouvrir le marché.
Ouvrir à la concurrence le produit de l'argent public, c'est un peu bizarre. Le marché, dites-vous, n'est pas une fiction selon vous. Il n'est pas encore au point, mais à l'avenir, il sera un bon vieux marché comme celui des automobiles ou des pommes frites.
Ces secteurs ne sont pas comparables... Nous allons doucement vers un marché intérieur de l'énergie. Par exemple, le développement des énergies renouvelables va de pair avec un foisonnement à travers les réseaux, les heures de pointe n'étant pas les mêmes partout en Europe. La production d'énergies renouvelables dans un pays européen sera utile à un autre. Cela a un sens.
Avant 2000 il y avait déjà des interconnexions. Ce système n'est-il pas un peu compliqué ?
En effet. Mais ce n'est pas parce qu'il est compliqué qu'il ne fonctionnera pas.
Une instance est-elle chargée de la prospective en matière d'approvisionnement ?
Le gaz est au centre de l'attention européenne en raison de la situation en Ukraine et en Russie. Les terminaux méthaniers ont été multipliés depuis quinze ans pour réduire la part des pipelines. La multiplication des moyens de transport est un élément de la sécurité d'approvisionnement.
Cette décision vient du pouvoir politique et des régulateurs. Depuis trois ans, les opérateurs gestionnaires de réseaux doivent préparer un plan d'investissement à dix ans et le transmettre aux autorités européennes. Le but est d'obtenir une vision générale de la construction de réseaux à venir et de l'acheminement futur du gaz, qui est un élément important de la sécurité. Bien sûr, pour la production d'électricité, l'équation est différente.
Ne serait-il pas possible de mutualiser certaines missions des régulateurs des différents pays européens ? Des autorités indépendantes dans chaque pays sont-elles nécessaires ? Un régulateur européen ne serait-il pas préférable ? Nos voisins ont-ils, eux aussi, un Médiateur national de l'énergie ? Une fusion du Médiateur et de la CRE est-elle possible ?
La création d'un régulateur européen aurait été préférable mais, à l'époque, quasiment infaisable. Il a fallu avancer à petits pas, compte tenu de la complexité du système dans chaque pays. Aujourd'hui, les régulateurs européens travaillent ensemble au sein de l'agence européenne, qui se trouve à Lubiana. Celle-ci prendra de plus en plus d'importance dans l'avenir. Surtout en matière de transport, car il serait bien difficile de calculer les tarifs pour l'ensemble de l'Union européenne. Des tâches subsisteront au niveau national.
À l'origine, le Médiateur de l'énergie était une émanation de la CRE. L'Assemblée nationale en a décidé autrement en le dotant de ses propres services. Les missions sont aujourd'hui fort dissemblables et il serait hasardeux de vouloir fusionner les deux institutions. Les associations de consommateurs préfèrent avoir affaire à un médiateur indépendant du régulateur. Peu de pays européens disposent d'un médiateur.
Pourriez-vous nous parler du collège de la CRE ? Les membres peuvent-ils après leur mandat exercer une activité rémunérée dans le secteur de l'énergie ?
La loi le leur interdit pendant trois ans. C'est le délai le plus long dans l'Union européenne.
Sur six personnes qui siègent dans votre collège, deux ont travaillé directement pour EDF. Cela ne pose-t-il pas de problèmes ?
Une personne a effectivement travaillé pour EDF, l'autre pour GDF-Suez. Nous avons décidé que pendant les six premiers mois, elles ne prendraient pas part aux débats et aux délibérations dans leurs domaines de compétence. C'est un choix : soit on nomme des hommes et des femmes n'ayant aucune expérience dans ces secteurs et leur formation prend beaucoup de temps, soit on réunit diverses expériences et compétences. Je vous rappelle enfin que ce sont l'Assemblée nationale, le Sénat et le gouvernement qui procèdent aux nominations. Je n'ai en la matière aucun pouvoir décisionnaire.
Dans votre excellent rapport, vous mentionnez uniquement des décisions de justice qui vous ont été favorables. Les opérateurs sont-ils toujours déboutés ? Y a-t-il eu des cas contraires ?
Il n'y a pas eu plus d'une ou deux décisions défavorables à la CRE sur une cinquantaine de recours. Ces chiffres reflètent la qualité de nos décisions. Il en va de même pour plusieurs dizaines d'autorités administratives.
Je vous remercie de le dire.
Dans votre rapport, vous insistez sur vos actions en faveur des smart grids qui sont effectivement essentiels pour l'économie de demain et vous formulez 41 recommandations. Mais est-ce à vous de vous préoccuper de cette question ?
Nous aurions pu effectivement nous contenter d'étudier les compteurs communicants, mais nous avons estimé en 2010 que le développement des réseaux intelligents était un enjeu important pour l'avenir. Sans avoir été saisis de cette question, nous avons organisé un premier colloque. Désormais, toutes les six semaines environ, nous réunissons divers acteurs à la CRE pour aborder ce sujet. Comme nous ne sommes pas partie prenante, notre objectivité est totale et nous nous considérons comme des facilitateurs entre les différents acteurs. Notre but est de faire partager les expériences les plus intéressantes. Nous nous rendons également sur le terrain où nous organisons des tables rondes, ce qui nous a permis de formuler ces recommandations en matière d'intelligence artificielle.
Elles sont fort intéressantes, mais vous dites ne pas disposer d'assez de moyens pour remplir les tâches assignées par la loi et vous vous lancez dans des domaines qui ne relèvent pas de vous ! Il serait désespérant de penser que l'État n'est pas apte à mener ces travaux prospectifs.
Nous ne menons pas ce travail seuls, mais avec divers partenaires, comme la DGEC, la Direction générale des entreprises ou le Commissariat à l'investissement. En 2010, nous avons eu l'intuition qu'il s'agissait d'un élément important dans la problématique des réseaux, au point de rencontre entre le monde informatique et le monde du cuivre. Nos colloques ont lieu dans nos locaux, le soir, et ces réflexions ne se font pas au détriment de nos autres activités.
Vous ne vous êtes pas contenté d'organiser des colloques, vous vous rendez sur le terrain et vous formulez 41 recommandations.
C'est le problème lorsque vous mettez ensemble des juristes et des ingénieurs : la production de textes est inévitable.
Certaines ont été reprises dans la loi de transition énergétique.
Nous avions formulé trois propositions d'ordre législatif dont l'une, qui visait à permettre la règlementation technique des outils de stockage, a été reprise. Les autres, qui concernaient le statut du contrat de recharge des véhicules électriques et les services de flexibilité, ne l'ont pas été jusqu'à présent. Des propositions opérationnelles ont été reprises dans les plans d'action des gestionnaires de réseaux de transport et de distribution.
J'aurais eu bien d'autres questions à vous poser si j'avais eu ce rapport entre les mains plus tôt.
Il n'est pas encore public : vous êtes le premier à en disposer.
A la page 53, vous dites que « la CRE a indéniablement un rôle de veille et de vigilance à jouer en prévenant l'autorité de la concurrence dès qu'est détecté un comportement suspect de la part des opérateurs du secteur ». Les autorités administratives indépendantes ne sont-elles pas en train de dériver, en élaborant un tel maillage entre elles ? Lorsque les AAI se lanceront dans la démocratie participative, le Parlement deviendra une aimable chambre où l'on prendra le thé à cinq heures.
C'est le Parlement qui en a décidé ainsi. Lorsque nous détectons un comportement susceptible de porter atteinte à la concurrence, nous devons saisir l'Autorité de la concurrence. Jusqu'à présent, nous n'avons guère eu l'occasion d'utiliser cette faculté - ce que la Cour des comptes nous a reproché. On ne peut parler de maillage entre les AAI.
Depuis que je suis à la tête de la CRE, nous le sommes régulièrement.
C'est d'ailleurs le seul contrôle possible, puisque vous êtes ordonnateur de la dépense. Le gouvernement vous donne-t-il des ordres ?
De temps à autres, nous sommes sollicités pour examiner tel ou tel sujet, mais nous n'avons jamais eu à subir d'injonctions. En neuf ans, j'ai reçu une seule fois un coup de téléphone du secrétaire général adjoint de l'Élysée, sur un sujet mineur.
Nous le négocions à Bercy. Il y a quelques jours, j'ai envoyé une lettre au Premier ministre pour l'alerter sur nos problèmes budgétaires.
Nous pouvons participer à la rédaction de textes règlementaires...
conformément aux textes. Ainsi, la loi du 15 avril 2013 le prévoit en matière d'effacement diffus.
Nous ne vivons pas en autarcie : nous avons bien sûr des rapports avec le gouvernement, qui est notamment chargé de la sécurité des approvisionnements, compétence régalienne s'il en est.
Dans la mesure du possible, nous essayons de parvenir à un consensus mais, quand il le faut, nous votons, et il m'est arrivé de me retrouver en minorité.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le contentieux lié à la CSPE ?
Le sujet est d'importance même si les conséquences éventuelles pour le budget de l'État n'ont pas encore été évaluées. Nous avons reçu au moins 53 000 dossiers et le ministère de l'écologie environ 7 000. Si le Conseil d'État décide que les pouvoirs publics doivent rembourser, nous aurons bien plus de dossiers à traiter. L'impact budgétaire sera considérable.
Pourquoi le consommateur s'adresse-t-il à vous lorsqu'il veut contester ?
Aux yeux du public, nous sommes compétents en la matière, même si nous nous contentons de communiquer aux entreprises le montant à acquitter. Nous sommes submergés de réclamations, si bien que nous avons été obligés de louer des locaux pour stocker les dossiers, le plus souvent volumineux, car montés par des avocats. Pour l'instant, nous attendons la décision du Conseil d'État. À notre avis, il n'est pas envisageable de rembourser, mais le Conseil d'État peut en décider autrement.
Oui. Pour l'heure, ce sujet n'a pas l'air d'émouvoir grand monde. Cela m'étonne...
Audition de M. Michel Valdiguié, président de la Commission nationale d'aménagement commercial et vice-président de la Commission nationale d'aménagement cinématographique
Nous recevons M. Michel Valdiguié, président de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) et vice-président de la Commission nationale d'aménagement cinématographique. M. Jean Gaeremynck, président de cette dernière, a récemment démissionné. La CNAC a pour fonction d'examiner en appel les décisions des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC), compétentes pour toutes les créations ou extension d'un commerce de plus de 1 000 mètres carrés de surface de vente. La CNAC a été qualifiée d'AAI par l'étude du Conseil d'État de 2001. La Commission nationale d'aménagement cinématographique examine, quant à elle, les recours exercés à l'encontre des CDAC qui délivrent des autorisations de création ou d'extension d'établissements de spectacles cinématographiques comportant plusieurs salles et au-delà d'un certain nombre de places. Elle a été créée par la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (ACTPE). M. Valdiguié est accompagné de MM. Nicolas Lermant, Bernard Rozenfarb, au nom de la CNAC et de MM. Eric Busidan et Lionel Bertinet, au nom de la CNA cinématographique.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Michel Valdiguié, Nicolas Lermant, Bernard Rozenfarb et Lionel Bertinet prêtent serment.
La loi Royer de 1973 a instauré une première instance consultative relative à l'aménagement commercial et urbanistique, qui avait rôle consultatif. La loi Sapin de 1993 a créé la Commission nationale d'équipement commercial (CNEC) devenue, en 2008, la CNAC. La loi de modernisation de l'économie (LME) a relevé le seuil de passage obligatoire devant les CDAC, de 300 à 1 000 mètres carrés, et elle a instauré les recours par des tiers. Le plus souvent, il s'agit de concurrents qui retardent les autorisations par des procédures dilatoires, des associations, des riverains. La CNAC a été confirmée en juin 2014 par la loi ACTPE qui a séparé de la CNAC l'aménagement cinématographique, dont les critères d'appréciation sont différents. La composition de la CNAC a été modifiée, elle comprend désormais huit membres, dont six hauts fonctionnaires : Cour des comptes, inspection des finances, Conseil d'État, dont le représentant était auparavant de droit président ; les deux autres membres sont des parlementaire, un député et un sénateur - votre collègue Yves Dauge nous a apporté une contribution active. La loi a prévu que la présidence ne reviendrait plus automatiquement au représentant du Conseil d'État. Le 26 mars, mes collègues m'ont élu président. Les recours sur nos décisions ne s'exercent plus devant le Conseil d'État mais devant les cours administratives. Enfin, cette loi a institué un dépôt conjoint du permis de construire et de l'autorisation d'exploitation commerciale. Les représentants du ministère de l'équipement et du développement durable ont donc désormais une plus grande influence sur l'aménagement urbanistique, l'insertion paysagère et les qualités architecturales.
Pour l'instant, je suis toujours vice-président de la CNA cinématographique, et en assume donc de fait la présidence, jusqu'à la nomination d'un représentant du Conseil d'État soit nommé, puisque l'ancienne formule est conservée pour cette commission. Celle-ci applique des critères différents, je l'ai dit : diversité cinématographique, respect de la création et des cinémas d'art et d'essai.
La structure institutionnelle de la CNAC est indéterminée. Le Conseil d'Etat a estimé qu'elle était une AAI, mais elle ne dispose ni de personnel ni de budget propres. Elle se réunit tous les quinze jours pour examiner les dossiers qui lui sont soumis. Sa mission de service public est essentielle : elle apprécie les décisions prises au niveau local qui n'auraient pas respecté les critères de la loi. La CNAC a pris un nouveau départ et elle a réaffirmé son indépendance au profit de l'intérêt général.
Étant des élus locaux, nous connaissons bien la CNAC, pour l'avoir souvent fréquentée avec plaisir mais aussi, parfois, avec déplaisir. Le statut d'AAI a-t-il un sens pour une commission comme la vôtre ?
Même si nous n'avons pas de moyens, nos décisions sont libres. Les commissaires votent à main levée. Nous ne suivons pas toujours les avis du commissaire du gouvernement et nous n'avons jamais subi de pressions. L'indépendance de la CNAC est connue et reconnue. Cela tient à la qualité et au sens du service public des hauts fonctionnaires, issus de l'Inspection générale des finances, du Conseil d'État, de la Cour des comptes et de l'Inspection générale de l'équipement, qui la composent. Certes, tous les élus n'apprécient pas nos décisions, mais nous prenons le temps de les recevoir et de les écouter exposer leurs dossiers : nous essayons toujours de prendre en compte l'aménagement urbanistique global. Il arrive que la commission change d'avis lorsque les élus représentent un projet tenant compte de nos remarques. Lors de nos débats, les nouveaux représentants de l'Association des maires de France, des conseils départementaux et régionaux et des communautés urbaines apportent toutes leurs compétences.
Lorsqu'un dossier est refusé par une CDAC, pourquoi passer devant la CNAC ? Pourquoi ne pas se tourner vers les tribunaux classiques ? Qu'apporte une commission nationale ?
L'objectif était sans doute de prévoir une étape arbitrale avant de passer à la procédure judiciaire. Lors de nos auditions, de plus en plus d'avocats représentent les porteurs de projets mais parfois aussi les élus. Sans doute la CNAC est-elle plus rapide que la justice, car nous devons examiner les dossiers dans un délai de quatre mois et nos décisions sont motivées. Ensuite, rien n'empêche les plaignants d'aller devant les cours administratives. Il ne s'en privent d'ailleurs pas.
Pourquoi êtes-vous considérés comme une autorité administrative indépendante alors que vous tenez vos réunions dans des locaux ministériels et que vous n'avez pas de budget ? En outre, si vos décisions interviennent plus rapidement que la justice, celle-ci est saisie dès que le dossier est important ou lorsque la commission a commis une erreur de procédure. Quelle est la plus-value apportée par la CNAC ? Ne sommes-nous pas en présence d'un mille-feuille juridictionnel ? Nous assistons à une guerre entre les grandes enseignes qui, pour certaines d'entre elles, font systématiquement des recours. À l'heure où le mot « simplification » est à la mode, ne serait-il pas temps d'en tenir compte en supprimant la CNAC ?
La réponse appartient au législateur, qui y a répondu il y a quelques mois. Malgré, ou peut-être à cause de ses moyens très faibles, cette commission a la grande ambition de tenir compte de l'aménagement du territoire, ce que ne font pas les tribunaux. Elle fait preuve de pédagogie à l'égard des enseignes, elle respecte les particularismes locaux et refuse les aberrations architecturales, en orientant les décisions dans un sens plus raisonnable et plus esthétique. C'est aussi un observatoire de l'implantation commerciale sur l'ensemble du territoire. Cette autorité de régulation a sa raison d'être et le législateur a d'ailleurs confirmé son existence il y a quelques mois.
Cette commission date d'il y presque un demi-siècle. À l'époque, il s'agissait de protéger le petit commerce face au développement anarchique des grandes surfaces. Mais les choses ont évolué. Aujourd'hui, les schémas de cohérence territoriale (Scot), les plans locaux d'urbanisme (PLU), les plans de déplacements urbains (PDU), les programmes locaux de l'habitat (PLH), les documents d'aménagement commercial (DAC) s'imposent à tous. Ces outils, élaborés avec les chambres de commerce, de métiers et d'agriculture, traduisent une réflexion globale en matière d'aménagement du territoire. Ne pensez-vous pas qu'avec ces multiples documents d'urbanisme, la CNAC et les CDAC soient désormais inutiles ?
Il ne semble pas nécessaire de faire remonter les dossiers au niveau national.
Même au niveau départemental ! J'ai tendance à faire confiance aux élus locaux qui veulent aménager leur territoire et qui sont désormais protégés des appétits des grandes enseignes par les documents d'urbanisme.
Je me souviens d'un dossier dans lequel la CNAC a finalement autorisé l'implantation d'une grande surface, contre l'avis unanime des élus locaux, sans se préoccuper le moins du monde des accès routiers - que les collectivités doivent désormais financer.
La question de l'intérêt de la CNAC se pose, notamment au regard des évolutions législatives sur les documents d'urbanisme. Souvent, votre commission se montre plus permissive que les instances locales.
Toutes les décisions des CDAC ne remontent pas jusqu'à nous. En 2013, la moitié des mètres carrés soumis à notre approbation ont été refusés.
Nous serions en effet inutiles si les CDAC appliquaient strictement la loi, ce qui est loin d'être toujours le cas. Quant aux Scot, ils ne sont pas établis partout et manquent parfois de précision. Les dossiers qui nous sont transmis mettent en évidence des trous dans la législation locale.
Dire que les conflits arbitrés par les CDAC opposent des grandes sociétés est une simplification. De nombreux contentieux opposent les grandes agglomérations aux secteurs ruraux qui les entourent. Or le poids des villes dans la composition des CDAC est très important, au point que des enjeux locaux de prééminence peuvent interférer dans leurs décisions.
Si ces dossiers étaient portés devant les tribunaux administratifs, ceux-ci se contenterait de dire le droit. Or la CNAC prend en compte l'aménagement local, la préservation de l'environnement, l'équilibre entre ville et campagne. Ma religion n'est pas encore faite, mais je suis très favorable au maintien de la CNAC qui, loin du théâtre des opérations, est en mesure de mieux comprendre les enjeux.
Quelle est votre marge de manoeuvre ? Êtes-vous tenus d'appliquer la philosophie du gouvernement, ou pouvez-vous transgresser le droit lorsque vous le jugez nécessaire ? Remarquons qu'au contraire du tribunal administratif, la CNAC est une instance où l'on vote.
Je ne peux qu'approuver vos propos. Notre rôle va plus loin que de dire le droit.
Si vous pouvez dire autre chose que le droit, il y a de quoi s'inquiéter ! Un tribunal a pour vocation de dire ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Que pouvez-vous faire qu'un tribunal ne peut pas ?
Deux exemples : les relations, et les éventuelles complémentarités, entre les commerces de centre-ville dans les petits bourgs et les nouvelles implantations commerciales en périphérie ; et la prise en compte du devenir des friches commerciales créées par les transferts d'activité.
Nous possédons une large capacité d'interrogation des personnes auditionnées, mais au moment de motiver la décision, nous nous en tenons au cadre fixé par la réglementation, qui énumère douze critères répartis dans trois rubriques : l'aménagement du territoire, le développement durable et la protection des consommateurs. Si le dossier d'une grande enseigne répond à l'ensemble des critères légaux, au nom de quoi le rejeter ? En revanche, si certains critères manquent, nous sommes en droit de demander davantage.
Nous avons une capacité non d'investigation mais de questionnement, à l'égard des élus comme des promoteurs. En somme, notre champ d'appréciation est large, mais notre champ de décision est circonscrit par la loi.
La CNAC est une instance à caractère décisionnel, dont les décisions sont susceptibles de recours devant la juridiction administrative. Elle compte en son sein un représentant de l'État. C'est la même chose pour les juridictions administratives et vous devez, comme celles-ci, appliquer les orientations de la loi. On peut par conséquent considérer la CNAC comme un étage de plus. Sachant que le temps perdu par rapport à nos voisins en matière de développement économique ne se rattrape pas, nous sommes fondés à nous interroger...
Je maintiens que les dossiers portés devant la CNAC relèvent surtout de la guerre entre les grandes enseignes. Nous l'avons tous vécu.
Plus généralement, alors que certains souhaitent mettre fin au cumul parlementaire sous toutes ses formes, je constate que nombre de représentants du Conseil d'État ou de la Cour des comptes siègent dans les AAI, tout en émargeant à divers autres comités et conseils, voire à d'autres AAI. Ce sont manifestement des surhommes ! Quel est votre avis sur cette question ?
Pour ma part, je suis à la retraite.
La présence de membres de ces grands corps dans divers organismes - peut-être excessive, je vous le concède - est prévue par la loi. Il est vrai que l'on pourrait se passer de certaines de ces instances, comme les organismes disciplinaires des professions judiciaires, qui au demeurant suscitent peu de candidatures.
Moi qui ai rejoint le secteur public par la troisième voie, après vingt années dans le privé, je témoigne néanmoins que ces serviteurs de l'État sont avant tout guidés par l'intérêt général. Faut-il limiter le cumul, vertical ou horizontal ? Peut-être.
Ce serait logique, d'autant que la limitation du cumul s'applique déjà aux administrateurs de sociétés.
Il conviendrait également d'augmenter la proportion de provinciaux, car la vision est peut-être parfois trop parisienne...
Voilà qui plaira à nombre de nos collègues ! Je ne connais pas d'AAI décentralisées.
Ne donnons pas aux nouveaux conseils régionaux l'idée de créer leurs AAI...
Vos décisions ont aussi une dimension politique, au sens noble du terme. Certes, des aspects juridiques interviennent mais la loi reste très générale, avec ses critères vagues de développement durable et de défense du consommateur. Pourquoi, dans ces conditions, la décision d'opportunité ne reviendrait-elle pas à des instances locales ? Si les élus ne respectent pas la législation, qu'ils en prennent la responsabilité.
Tout autant qu'une guerre entre enseignes, il existe une guerre entre communes. Est-ce à vous d'arbitrer entre deux communautés de communes pour l'implantation d'un village de marques, par exemple ?
Les Scot sont de plus en plus précis, avec des documents d'aménagement commercial. Quelle autorité pourra aller contre leurs dispositions ?
Les Scot ne sont pas toujours d'une précision absolue. De plus, en général, ils ne prennent pas en compte la spécificité culturelle, qui fait partie des critères de décision de la Commission nationale d'aménagement cinématographique.
J'ai le plus grand respect pour les élus locaux, l'ayant moi-même été, mais 90 % des dossiers soumis aux CDAC sont acceptés. Encore faut-il noter que dans les 10 % restants, le refus est parfois opposé à tort ! Dans un monde idéal, il suffirait d'appliquer les règles, mais il faut tenir compte du facteur humain. Nous avons l'avantage de pouvoir juger d'après des critères objectifs, comme la zone de chalandise, avec du recul.
Nous ne contestons pas la qualité de votre travail ni votre objectivité ; mais pourquoi ne pas laisser aux élus la responsabilité de leurs erreurs éventuelles ? Vous faites au mieux, et les décisions sont parfois complexes, mais il faut poser la question en principe.
Le principe fondamental qui guide notre action est la liberté d'implantation, qui n'est pas respectée par tous les Scot.
Il est de votre droit de contester notre utilité, qui vient cependant d'être réaffirmée par la loi, il y a à peine trois mois. Nous sommes prêts à repartir avec enthousiasme, avec toujours pour souci de servir l'intérêt général !
Nous venons d'entendre quelqu'un qui est à la fois président du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie, membre titulaire de la commission des infractions fiscales et membre suppléant de la CNAC... Tout cela n'est plus guère raisonnable.
L'existence de deux AAI distinctes - la Commission nationale d'aménagement commercial et la Commission nationale d'aménagement cinématographique - vous paraît-elle justifiée ?
Formellement, il n'en existe qu'une : la CNAC. Contrairement au Médiateur du cinéma, la Commission nationale d'aménagement cinématographique n'est pas une AAI : elle existe au sein de la CNAC, avec toutefois une autonomie et des critères d'appréciation spécifiques qui relèvent du ministère de la Culture.
Pour vous, la Commission nationale d'aménagement cinématographique est-elle une section de la CNAC ?
Non. Les deux instances n'ont plus de présidence commune, mais elles partagent plusieurs membres - dont moi-même - et ont quelques critères communs. En revanche, la diversité culturelle et la préservation des cinémas d'art et d'essai sont des critères propres à la commission d'aménagement cinématographique, qui s'appuie également sur les avis des directions régionales d'action culturelle (Drac).
Qu'est-ce que la commission cinématographique, si elle n'est pas une AAI ?
Le Conseil d'État a désigné la CNAC comme une AAI, ce qui ne laisse guère de doute sur la nature de la Commission nationale d'aménagement cinématographique. En revanche, la composition de celle-ci est différente : trois de ses membres sont nommés, directement ou indirectement, par le ministère de la culture, pour leur expertise en matière de diffusion cinématographique. L'un des principaux critères qui guident sa décision est l'apport d'un projet à la diversité de l'offre culturelle existante et la complémentarité entre les équipements, aspect sur lequel les Scot, faute d'expertise locale, sont souvent lacunaires. Un échelon national est donc indispensable.
Oui, même si le Conseil d'État ne s'est pas prononcé directement. La séparation entre fonctions d'instruction et de décision est l'un des critères constitutifs des AAI.
Le rapport de notre collègue Patrice Gélard désigne les deux instances comme des AAI, mais la Commission nationale d'aménagement cinématographique ne figure pas dans la liste établie par Légifrance. Une clarification serait bienvenue.
Je tiens à signaler que la CNAC rédige actuellement un nouveau règlement intérieur qui mettra l'accent sur le risque de conflit d'intérêts, notamment pour ce qui concerne les élus ou anciens élus. Il sera également précisé que ses membres ne sont pas habilités à commenter les décisions de la commission et ne peuvent prendre contact avec les parties prenantes.
Le ministère des finances met-il des fonctionnaires à votre disposition ?
chef du service tourisme, commerce, artisanat et services de la Direction générale des entreprises. - La CNAC bénéficie de l'appui du bureau de l'aménagement commercial du ministère des finances, qui compte dix-sept membres. Toutefois, ceux-ci ne sont pas à son service exclusif.
Il ne s'agit pas de personnel dédié, le président n'a pas d'autorité hiérarchique sur le personnel.
Le bureau que je dirige ne travaille pas que pour la CNAC. Il est également chargé de l'élaboration des textes législatifs, de la rédaction de notes pour le cabinet, de décrets d'application, etc. Il répond aux questions des secrétariats de CDAC, qu'il reçoit par une boîte fonctionnelle, et instruit les dossiers présentés devant la CNAC.
La CNAC travaille sur des dossiers préparés par des agents de l'État et compte dans ses rangs un rapporteur public. Si vous considérez la CNAC comme une autorité indépendante, je vous laisse la responsabilité de vos propos.
Nous ne remettons pas en cause le sérieux de votre travail, mais admettez que cette situation est difficilement compréhensible. Pourquoi une AAI, si c'est pour faire travailler du personnel du ministère ?
Le Conseil d'État a jugé que nous étions une AAI. L'instruction des dossiers donne parfois lieu à des frictions, car les membres du collège demandent à accéder à toutes les pièces produites par le ministère pour juger en toute indépendance, ou du moins en notre âme et conscience.
Je ne doute pas de votre intégrité, mais ce type de fonctionnement est très révélateur. Que vous en renvoyiez la responsabilité au législateur, je peux l'entendre !
J'ajoute que les membres de la CNAC ne sont indemnisés que depuis 1993, à un niveau très faible. Cette absence de tout avantage nous donne davantage de force, et peut-être d'indépendance.
Nous recevons M. Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), accompagné de MM. Jean-Christophe Niel, directeur général, et Alain Delmestre, directeur général adjoint. Notre commission s'est assigné pour tâche de procéder à une revue exhaustive de toutes les autorités administratives et publiques indépendantes.
La création de l'ASN par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, marque l'aboutissement d'un long processus visant à mettre en place une expertise en matière de sûreté nucléaire. Cela permet de faire converger le modèle nucléaire français avec celui des autres pays dotés d'installations nucléaires. Pouvez-vous nous en dire plus, car notre commission s'interroge sur la justification du recours aux AAI ?
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Pierre-Franck Chevet, Jean-Christophe Niel et Alain Delmestre prêtent serment.
Depuis 2006, la sûreté nucléaire relève en effet d'une autorité administrative indépendante, conformément à la pratique internationale. Compte tenu de la structure du parc nucléaire français, environ un millier d'agents sont chargés du contrôle des installations nucléaires, mais aussi de l'élaboration de la réglementation. Ils se répartissent pour moitié entre l'ASN et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), pour l'appui technique.
L'ASN n'intervient pas que sur les plus grosses installations que sont les réacteurs ou l'usine de retraitement de la Hague. Elle exerce également un contrôle de radioprotection dans le domaine médical, notamment en matière de radiothérapie - on se souvient de l'accident d'Épinal, où des irradiations excessives ont causé une vingtaine de décès - ou d'imagerie. Elle contrôle les sources de radioactivité sur les chantiers, notamment les radios pratiquées pour vérifier les soudures de tuyaux. C'est une activité diffuse sur tout le territoire.
L'essentiel du parc nucléaire français ayant été mis en service entre le début et la fin des années 1980, il approche de ses quarante ans. Ce n'est pas une date fatidique, mais un âge avancé qui appelle des évaluations pour décider de la prolongation ou non des installations, un examen approfondi et une mise à niveau en matière de sécurité. En effet, l'alternative à la prolongation est la construction d'une nouvelle centrale, avec des normes qui ont fortement évolué depuis quarante ans.
Les mêmes questions se posent pour les installations support destinées au recyclage des combustibles, comme l'usine de la Hague, et à la recherche, comme le CEA (Commissariat à l'énergie atomique), la conception des réacteurs de recherche étant encore plus ancienne, ce qui impose une mise à niveau en termes de sûreté.
L'enjeu central de la sécurité se pose également pour les nouvelles constructions que sont l'EPR de Flamanville et le projet de Centre industriel de stockage géologique profond pour les déchets les plus radioactifs (Cigéo).
Pour faire face à ces enjeux sans précédent, deux conditions doivent être réunies. Il faut d'abord des exploitants en état de marche, au plan technique comme à celui des moyens humains - et au plan financier. EDF a estimé à 55 milliards d'euros le montant à investir dans la mise à niveau. Les mêmes exigences s'imposent à Areva ou au CEA.
La seconde condition nécessaire est un système de contrôle de la sûreté en état de marche. Comme l'a souligné le rapport du sénateur Michel Berson, l'ASN a besoin d'environ 200 personnes supplémentaires pour faire face à la mise à niveau. Le Parlement a demandé au Gouvernement un rapport sur ce sujet à l'automne dans le cadre des discussions sur la prochaine loi de finances. Dans cette perspective, nous avons encouragé le gouvernement à diligenter une mission d'inspection sur l'ASN, pour apprécier la validité de notre demande et les moyens d'y répondre.
Merci. S'il est un domaine où l'indépendance est primordiale, c'est bien le vôtre. Le statut d'AAI et la loi actuelle vous conviennent-ils pour mener à bien vos missions ? Vous considérez-vous comme totalement indépendants ?
J'ai été nommé conformément à la procédure habituelle, sur proposition du Président de la République et après audition devant les commissions compétentes du Parlement. Quant à l'indépendance, nous avons toujours pu exprimer ce que nous avions à dire sans entraves, que ce soit vis-à-vis du Gouvernement ou des autres acteurs du nucléaire. Nous avons toujours rendu compte au Parlement en toute clarté. Nous participons à une ou deux réunion de commissions par mois, en plus du rapport que nous publions annuellement, en application de la loi, sur l'état de la radioprotection en France. Notre statut nous parait donc adapté.
La vraie question est celles de nos moyens humains, qu'il faut rapidement renforcer. Nous sommes financés sur le budget général de l'État, ce qui n'est pas dans une très bonne situation. Depuis Fukushima, nous anticipions une montée en charge. Alors que d'autres organismes voient leurs effectifs baisser, nous avons obtenu l'année dernière trente personnes supplémentaires, sur trois ans. Nous en avons remercié publiquement le gouvernement. Mais je doute que dans le système actuel de financement, nous puissions obtenir beaucoup plus. C'est pourquoi un financement par une taxe affectée, payée par les exploitants, après contrôle par le Parlement, sur le modèle des États-Unis, serait préférable. C'est la position que nous publions depuis quatre ans, puisque la loi nous fait obligation de rendre des avis sur nos moyens. Nous ne rêvons pas d'une absence de contrôle sur notre budget, mais d'un contrôle direct par le Parlement.
La nomination des membres du collège garantit leur indépendance ; la loi dispose qu'elle doit se faire en fonction de leurs compétences. Sur cinq commissaires, trois sont nommés par le Président de la République - dont le président, après validation par les commissions compétentes des deux assemblées -, un par l'Assemblée nationale et l'autre par le Sénat. Actuellement, nous sommes trois à avoir un profil d'ingénieur, plutôt spécialisé sur les grosses installations ; les deux autres sont compétents sur le volet médical. La sagesse collective a fait que cet équilibre précieux a été préservé.
Avec cinq commissaires permanents, à temps plein, les discussions sont maîtrisables et la diversité suffisante.
J'ai lu dans un hebdomadaire - sans y ajouter foi plus qu'il n'est raisonnable - que vous réclamiez de pouvoir arrêter un réacteur en cas de danger immédiat sans autorisation de l'exploitant ou du gouvernement, et que vous regrettiez l'absence de sanctions intermédiaires.
Dans le cadre de la préparation du projet de loi de transition énergétique, nous avons proposé un renforcement de notre statut et des mesures de transparence qui s'imposent en matière de santé publique. Le projet de loi renforce ainsi les compétences des commissions locales d'information, créées pour chaque installation en 1981, et qui fonctionnent bien : elles pourront demander à visiter l'installation après un incident et comporteront de plein droit des membres étrangers pour les commissions relatives aux installations frontalières.
Nous avons déjà aujourd'hui la pleine capacité d'arrêter à tout moment une installation nucléaire, sans autorisation de quiconque, exploitant ou gouvernement. Concernant le bas de gamme, nous pouvons mettre en demeure et dresser des procès-verbaux adressés à la justice. Mais nous aurions effectivement besoin de mesures intermédiaires pour sanctionner des anomalies qui ne justifient pas l'arrêt immédiat de l'installation, mais qui deviennent préoccupantes si elles durent. Ainsi, à la Hague, des déchets mal mis en forme il y a une trentaine d'années n'ont pas été repris, malgré nos demandes répétées pendant vingt ans. Ils sont conditionnés dans des silos qui ne tiendraient pas en cas de séisme - risque minime, certes, mais sur la durée, la situation n'est pas acceptable. Nous demandons donc de pouvoir infliger des amendes journalières ou mensuelles, qui abonderaient le budget général de l'État. C'est le point essentiel de la loi. Elles devront être bien dimensionnées, sachant que l'arrêt d'un réacteur pour un jour coûte 1 million d'euros... La loi prévoir la création, par ordonnance, d'une commission des sanctions, sur le modèle de ce qui existe à l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Vous avez onze directions territoriales, installées dans les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), dont les directeurs sont automatiquement nommés délégués territoriaux de l'ASN. Le confirmez-vous ? Cela n'est-il pas une atteinte à votre indépendance ?
C'est moi qui nomme les délégués territoriaux. Si je ne veux pas nommer le directeur de la Dreal, je ne le fais pas. Cela dit, il y a une grande connexité entre le contrôle des installations nucléaires et le contrôle des installations classées classiques, dont sont chargées les Dreal ; nombre d'agents de l'ASN proviennent d'ailleurs du contrôle classique.
Je croyais que cette nomination du Dreal comme délégué territorial était automatique ; cela a lieu dans 90 % des cas ?
Dans 100 % des cas, actuellement. Mais en tant que délégué territorial, il n'est pas sous l'autorité du préfet. Il organise ainsi des conférences de presse indépendantes, comme aujourd'hui à Strasbourg.
La loi prévoit que je nomme les chefs des entités territoriales de l'ASN.
Vous avez choisi de nommer le directeur de la Dreal dans 100 % des cas. N'y a-t-il pas là un certain mélange des genres ?
Nous avons besoin de l'échange permanent et organisé entre les agents de contrôle des deux types d'installations, classiques et nucléaires. Mais les délégués territoriaux de l'ASN agissent en tant que tel sous mon autorité - même s'il faut parfois le rappeler au préfet.
Sous quelle autorité hiérarchique le délégué territorial est-il placé ?
La mienne seule, lorsqu'il agit en tant que délégué.
Le même homme est donc soumis à deux autorités hiérarchiques, selon qu'il agit comme Dreal ou comme délégué territorial de l'ASN.
Avec des équipes de trente à quarante personnes seulement, nous ne sommes pas mécontents d'être appuyés localement par les services supports des Dreal. Pour moi, cela ne pose pas de problème d'indépendance.
Le Président de la République a déclaré vouloir fermer Fessenheim. Avez-vous engagé une procédure particulière à la suite de cette prise de position ?
Nous avons été amenés à nous prononcer sur Fessenheim, car la loi impose une évaluation de sûreté de toutes les installations tous les dix ans. En 2011, nous avons autorisé la prolongation d'activité pour dix ans, moyennant certaines améliorations. Le Président de la République, dans son rôle, dit autre chose ; soit.
Nous sommes indépendants de ceux qui portent une politique énergétique : exploitants, industriels, ONG et bien évidemment gouvernement et Président de la République.
Des parlementaires n'ayant pas un goût prononcé pour l'activité nucléaire ont jugé la situation de la sûreté nucléaire française fragile. Qu'en dites-vous ?
Dans notre rapport annuel, publié le 16 avril, nous avons jugé la situation globalement assez satisfaisante. En général, la manière dont sont exploitées les installations est bonne. Quand il y a des difficultés, nous le disons publiquement : à Romans-sur-Isère, nous avons mis l'installation sous surveillance renforcée. D'autre part, des mises à niveau sont nécessaires ; c'est la raison pour laquelle nous définissons des zones de vigilances. Il faut des exploitants en état de marche et une Autorité de sûreté qui puisse fonctionner correctement...
Pouvez-vous nous préciser la nature de votre collaboration avec l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui est un Epic ?
Le système français n'a pas beaucoup d'équivalent - le système américain, lui, est intégré. Mais j'en suis plutôt content : l'IRSN peut ainsi faire son travail d'expert sans subir le poids de la décision qui lui fait suite, poids qui incombe à l'ASN, celle-ci pouvant, si elle le juge utile, recourir à d'autres expertises. Les positions de l'IRSN sont rendues publiques, ce qui assure une double sécurité, avec une parole technique la plus libre possible. Les interfaces impliquent bien sûr des coûts de gestion. L'IRSN ne travaille pas que pour nous, mais aussi sur les installations de défense nucléaires. Enfin, la Cour des comptes a contrôlé l'ASN et l'IRSN et conclu que l'organisation actuelle était pertinente.
- Présidence de M. Michel Vaspart -
Peut-on véritablement envisager, au vu des sommes en jeu, d'arrêter un certain nombre de réacteurs ? Par quoi les remplacerait-on ? L'organisation actuelle de la production d'énergie, sous forme de grand marché, aidera-t-elle à résoudre ce problème ? Y a-t-il une alternative ? Nous avons tellement tergiversé jusqu'à présent que je ne vois guère d'issue...
Je me dois précisément d'être indépendant de ce genre de questions de politique énergétique. En termes de sûreté, on peut ne pas prolonger un réacteur. Ancien directeur général du climat et de l'énergie, je connais bien ces enjeux...
Le parc français est standardisé, donc homogène, ce qui est positif du point de vue de la sûreté puisque la détection précoce d'anomalies rend leur correction plus facile et plus efficiente. Mais cela peut aussi imposer d'un coup l'arrêt d'une dizaine de réacteurs sur la soixantaine que compte notre pays. Une telle situation n'est pas inenvisageable ; il y a plusieurs années, nous avions détecté une anomalie de corrosion sur le couvercle de cuves, entrainant une fuite et évité de très peu une fermeture massive, grâce à l'utilisation par EDF de renifleurs automatiques capables de capter la moindre fuite. Il faut donc que notre système de production électrique ait de la marge, que celle-ci provienne du nucléaire, d'énergies renouvelables, du charbon, d'un effacement de la consommation ou d'une capacité réservée sur le marché européen - ce n'est pas à moi de le dire.
Deuxième observation, le temps est compté pour prendre des décisions. Les centrales atteindront l'âge de quarante ans demain : la première, Tricastin I, dès 2019, ce qui nécessite un grand carénage. Le programme de travaux doit donc être bouclé dès aujourd'hui. Nous avons deux exigences de fond pour cette opération : vérifier que le matériel ne s'est pas détérioré, et se rapprocher le plus possible des standards de sûreté modernes. Les discussions ont commencé avec EDF. Il est indispensable de renforcer nos moyens. Dans les années 1980, on a mis en service jusqu'à sept centrales par an : imaginez qu'elles ne soient pas prolongées. Il est urgent de s'organiser pour faire face à cette éventualité. Le calendrier est plus que serré.
Nous avons plus que tardé. Où EDF trouvera-t-elle 55 milliards d'euros, surtout si le secteur n'est plus dirigé du haut, mais soumis à la concurrence ? Ce n'est peut-être pas votre problème, mais c'en est un.
D'où l'importance de s'assurer que les exploitants seront en état de marche. Nous connaissons la situation financière d'Areva, mais aussi d'EDF. Il faut que les ressources financières soient au rendez-vous.
Vous considérez que les pouvoirs publics suivent vos avis. Mais sur Fessenheim, avez-vous été entendus ?
L'ASN prend l'essentiel des décisions. Sont-elles appréciées ? Je l'ignore...
Oui, nous sommes globalement satisfaits des évolutions, tant législatives que réglementaires. Reste la question des moyens budgétaires, qui demeure pendante...
Si je résume, vous êtes satisfait d'être une AAI, mais vous avez besoin de plus de personnel pour mener à bien votre mission.
Absolument.
Avez-vous autorité sur les installations militaires, comme la base de Toulon, par exemple ? Les rapports affirment tous qu'il n'y a strictement aucun problème, que tout est impeccable...
Les installations militaires sont sous le contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire Défense (ASND), qui n'est pas indépendante par statut puisqu'elle dépend des ministres de la défense et de l'industrie, mais qui est très intéressée par les échanges avec nous, notamment pour faire valoir ses positions. Elle s'est ainsi inspirée de nos prises de positions après Fukushima pour imposer l'équivalent dans le domaine défensif.
Ne risquons-nous pas d'être confrontés à une situation à la japonaise, où l'entreprise Tepco a fait n'importe quoi ?
EDF exploite dans de bonnes conditions, avec un bien meilleur niveau d'investissement dans la sûreté qu'il y a quatre ou cinq ans. Au point que cela peut poser des problèmes de qualité de réalisation. Les travaux en arrêt de tranche ont été multipliés par deux en cinq ans. Le grand carénage supposera un investissement multiplié encore par trois ou quatre : c'est massif.
L'ASN a noté des incidents sur l'EPR. Sont-ils de nature à retarder sa mise en service ?
Nous avons constaté deux anomalies récentes. Il y en a eu dans le passé, notamment sur la qualité de réalisation du béton, ce qui avait conduit l'ASN à arrêter le chantier. Nous avons également eu des discussions sur le système de pilotage informatisé, qui a beaucoup d'avantages, mais peut tomber en panne : c'est toute la question de la sûreté des logiciels et du matériel informatique. Nous avons communiqué à chaque fois qu'une anomalie était détectée et nous sommes assurés qu'elles étaient résolues.
Plus récemment, nous avons constaté une anomalie dans la composition chimique des calottes des cuves qui pourrait avoir pour conséquence une certaine fragilité. Or il s'agit d'une composante cruciale, la moindre rupture est exclue. Nous l'avons rendue publique ; elle doit maintenant être traitée. Areva nous a adressé mi-mai un programme d'essais complémentaires dont nous analyserons les résultats. Cela prendra du temps, nous n'aurons pas de position tranchée avant le premier semestre 2016. Le chantier continue par ailleurs. Si nous avons un doute sur la fiabilité de la cuve, le réacteur ne démarrera pas. Nous pouvons aussi émettre des réserves, poser des conditions. Pour l'heure, je ne sais pas vous dire si le problème est rédhibitoire.
L'autre débat concerne la qualification des soupapes de protection du circuit, de conception allemande, pour lesquelles les premiers essais n'ont pas été très concluants. Reste à voir s'ils sont représentatifs. Il est normal qu'il y ait des anomalies sur un réacteur, le premier du genre à être construit après dix ans. Mais il faut être rigoureux, les détecter, les déclarer à l'ASN et les traiter avec beaucoup de sérieux.
Merci, nous avons appris beaucoup de choses.
La réunion est levée à 17 h 50.