La réunion est ouverte à 16 h 05.
En janvier dernier, la table ronde sur les émissions des moteurs diesels organisée à l'initiative de Louis Nègre, rapporteur de la loi de transition énergétique et président du groupe de travail Mobilités et transports de la commission, nous avait fortement incités à poursuivre nos travaux. L'affaire Volkswagen n'a fait que renforcer cette préoccupation.
Les moteurs diesel émettent en particulier des NOx (oxydes d'azote) - objet de la fraude de Volkswagen - et des particules fines et doivent respecter des plafonds d'émissions fixés par l'Union européenne, les normes Euro, actuellement Euro 6. Nous souhaiterions faire le point sur la manière dont ces normes sont fixées et contrôlées. Nous avons donc invité Mme Joanna Szychowska, chef d'unité à la Direction générale Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME de la Commission européenne, M. Laurent Benoît, président-directeur général de l'Union technique de l'automobile, du motocycle et du cycle (Utac Ceram), accompagné de Mme Béatrice Lopez de Rodas, M. François Cuenot, représentant de la Fédération européenne pour le transport et l'environnement, et M. Bertrand-Olivier Ducreux, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Nous avions bien entendu invité PSA, Renault, Volkswagen et le Comité des constructeurs français d'automobiles ; aucun n'a souhaité venir. Je leur ai personnellement fait valoir au téléphone que la politique de la chaise vide n'était pas la meilleure, en vain.
Je regrette moi aussi cette absence des constructeurs, qui interpelle : ce n'est pas la meilleure façon de défendre leur position dans une situation catastrophique. En janvier dernier, ils étaient venus et avaient pu exposer leur point de vue dans une discussion élargie... Cette première table ronde avait fait apparaitre une suspicion sur la fiabilité des mesures d'émissions des véhicules diesel, ce qui nous avait poussés à préconiser la création d'un comité d'experts indépendants pour les superviser. Ce travail a continué avec la commission d'enquête sénatoriale sur le coût de la pollution de l'air, et dans le cadre du groupe de travail Mobilités et transports avec des auditions d'experts tels que MM. Cuenot et Ducreux ou des représentants d'IFP Énergies nouvelles.
Le scandale Volkswagen a confirmé ce constat et conduit Mme Ségolène Royal à suivre notre recommandation en créant une commission indépendante sur les émissions, à laquelle j'ai été invité à participer ; elle se contentera de tester une centaine de véhicules pris au hasard et n'abordera pas la question majeure des tests d'homologation et de leur décalage avec la conduite en conditions normales.
Comment sont fixées les normes d'émission ? Leur durcissement n'a-t-il pas conduit les constructeurs à tout mettre en oeuvre pour les contourner, frauduleusement ou non ? Qu'est-il prévu pour remédier à l'écart entre test en laboratoire et en conditions normales ? Pourquoi la Commission européenne a-t-elle tant tardé à apporter une solution ? J'ai cru comprendre que des alertes vous étaient parvenues d'autres pays sur des possibilités de fraude ; auriez-vous des précisions à ce propos ?
chef d'unité à la Direction générale Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME de la Commission européenne. - Je vous remercie de votre invitation ; c'est un honneur pour moi d'être parmi vous et de vous présenter l'état des travaux de la Commission et les mesures qu'elle a prises depuis l'affaire Volkswagen. La législation sur les émissions de NOx par les véhicules diesel existe depuis longtemps. Depuis le 1er septembre dernier, la norme Euro 6 s'applique : les véhicules nouvellement enregistrés ne doivent pas émettre plus de 80 milligrammes par kilomètre, ce qui était prévu depuis 2007. Où est le problème si la législation est claire ? Il tient à la manière dont les voitures sont testées et à la différence entre les résultats des tests en laboratoire et la conduite réelle. Nous sommes conscients de ce problème depuis 2011, grâce aux travaux du Centre commun de recherche, et la Commission a immédiatement établi un groupe de travail pour entamer la réflexion sur le cadre législatif adéquat. Elle a ensuite décidé d'adopter un paquet législatif en quatre parties, dit RDE (Real Driving Emissions). En mai, les États membres ont voté le premier paquet : à partir de 2016, les émissions seront mesurées avec un système embarqué, le PEMS (Portable Emissions Measurement System). Le deuxième paquet, en cours d'élaboration, porte sur les délais et niveaux intermédiaires auxquels les constructeurs devront se conformer avant d'atteindre progressivement 80 milligrammes par kilomètre. Nous en sommes au stade de la comitologie, puis la réglementation sera soumise au Parlement pour être votée, nous l'espérons, fin octobre. Les troisième et quatrième paquets porteront sur les particules et sur la conformité en service. Cela devrait permettre de diminuer, voire de supprimer les différences constatées aujourd'hui entre tests et conduite normale.
Sur l'homologation, nous avons entamé une réflexion il y a trois ans et sommes prêts à proposer un dispositif, mais avons interrompu nos travaux au vu de l'affaire Volkswagen pour en tirer toutes les conséquences. L'homologation décentralisée, confiée à chaque État membre, incite les constructeurs à rechercher le système le plus souple ou le moins cher : c'est le Type approval shopping. Nous voudrions nous assurer que les services techniques chargés de l'homologation sont suffisamment bien équipés et performants. La mise en oeuvre est entre les mains des États membres. Nous réfléchissons à la possibilité de donner un certain pouvoir à la Commission pour procéder à des vérifications.
Que fait la Commission face à l'affaire Volkswagen ? Si elle n'a pas de pouvoir d'enquête, elle ne reste pas pour autant inactive : elle a d'ores et déjà proposé aux États membres de mettre en place une plateforme de partage d'informations - les discussions ont commencé il y a une semaine. Certains États membres testeront les voitures en circulation, d'autres s'appuieront sur le résultat des tests allemands. Nous voudrions que le contrôle se fasse de la même façon partout ; avec les États membres et le Centre commun de recherche, nous proposerons donc une méthode commune.
La Commission savait depuis 2011, dites-vous. Pourquoi a-t-elle tant tardé ? Quels blocages sont à l'oeuvre ?
Elle n'a pas tardé, au contraire. Elle a pris connaissance des doutes en 2011 et immédiatement mis en place un groupe de travail. Les méthodes permettant de tester les véhicules en conditions réelles n'existaient pas ; il fallait commencer par les élaborer - ce sera les PEMS. Il fallait un cadre juridique ; nous avons commencé à l'élaborer en 2013 et adopté le premier paquet en 2014 ; le deuxième le sera dans les prochaines semaines Nous parlons de deux choses différentes : d'une part, le fait que les normes d'émissions soient dépassées, de l'autre, l'utilisation de defeat devices, ce qu'a fait Volkswagen.
Nous n'avons jamais eu connaissance d'une quelconque trace de fraude chez aucun constructeur. Nous avons simplement dit qu'il n'était pas exclu que le décalage entre les tests et la réalité soient dus à un defeat device, technique interdite par le droit européen depuis 2007. Mais le contrôle du respect de la législation incombe aux États membres. Ne mélangeons pas deux problèmes différents.
Aucun lanceur d'alerte ne vous a indiqué qu'un tel différentiel posait problème ?
C'est pourquoi nous avons lancé la législation RDE. Le décalage dû à la différence de méthode de test n'est pas comparable avec celui provoqué par l'utilisation d'un defeat device.
Plus précisément, le nouveau cycle de conduite parcourra bien plus de points sur lesquels les clients passent quotidiennement que l'ancien. Dès lors que le cycle correspondra à un parcours client, le décalage sera bien moindre qu'avec le cycle actuel, qui ne touchait qu'une partie des zones de fonctionnement du moteur.
Le grand public sait désormais qu'il y a un décalage entre le test sur banc à rouleaux et la réalité. Pouvez-nous nous en dire plus sur les modalités pratiques des tests, et ce qui est appelé à changer ?
Le test en laboratoire est un test de référence, réalisé dans des conditions normalisées de température et d'hygrométrie. Le véhicule est essayé sur route pour mesurer sa résistance à l'avancement, qui est reproduite sur un banc à rouleaux, de même que sa masse. Un guide de conduite suit le cycle New European Driving Cycle (NEDC), qui permet de mesurer les émissions de CO2, de NOx, etc.
Des flexibilités légales existent, comme une tolérance concernant la température, entre 20 et 30 degrés, le passage de vitesses, ou la charge de la batterie.
Nous travaillons depuis quatre ans sur un nouveau cycle et sur de nouvelles procédures pour minimiser les écarts, les Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures (WLTP), qui devraient être adoptées d'ici 2017.
La température devra être de 23 degrés, et un essai complémentaire à 14 degrés - la température moyenne en Europe - sera pris comme référence pour les émissions. Un logiciel calculera les changements de vitesse pour être au plus près de la réalité. Tous les paramètres ont été passés au crible et améliorés.
Oui, on sera plus proche de la réalité.
Nous devrions boucler l'exercice en janvier 2016 dans le cadre du forum mondial de Genève, pour une adoption courant 2016 et une application en 2017, en même temps que le RDE.
La comparaison entre deux graphiques représentant le rapport entre la puissance du véhicule et la vitesse d'avancement pour les deux cycles, NEDC et WLTP, montre que les accélérations sont identiques entre elles dans le cycle actuel, alors que la couverture du champ de fonctionnement moteur par les points de fonctionnement prévus sera plus exhaustive dans le cycle futur. Aujourd'hui, c'est comme si nous tentions d'empêcher que la fumée sorte d'une casserole avec un couvercle trop petit ; demain, nous utiliserons un tamis plus fin, qui couvrira toute la surface. Avec le RDE, il n'y aura plus de cycle prédéfini ; aujourd'hui, la pratique équivaut à donner à un étudiant le sujet quinze jours avant l'examen. Cela explique que bien des intervenants aient confiance dans les progrès que représenteront le WLTP et le RDE.
Que se passera-t-il après un an ou deux ? Comment être sûr qu'il n'y aura pas encore une différence considérable entre l'homologation et la réalité d'un véhicule ayant 20 000 kilomètres au compteur ?
Depuis la norme Euro 4, la réglementation européenne, comme la réglementation américaine, comprend une exigence de durabilité du système de dépollution, qui doit être démontrée sur 160 000 kilomètres. Les mesures sont faites à neuf ; la réglementation prévoit bien des contrôles de conformité en usage, mais de manière non contraignante.
Comme Saint Thomas, je ne crois que ce que l'on constate en conditions réelles d'utilisation. L'arsenal législatif existe mais jusqu'à ce jour, si je comprends bien, personne n'est allé vérifier sur le terrain la conformité des émissions avec la législation ?
Nous pratiquons des essais d'endurance pour mesurer la durabilité des dispositifs de post-traitement. Nous multiplions nos mesures à l'échappement par des facteurs de durabilité qui tiennent compte de la dégradation du post-traitement. Le contrôle en service consiste à vérifier au cours de la vie du véhicule qu'il respecte les obligations en fait d'émissions ; ce contrôle est fait par chaque pays de l'Union. Il sera renforcé dans le cadre du RDE - c'est le quatrième paquet dont parlait Mme Szychowska - grâce au PEMS.
Oui et non. Les règles existent ; la question qui se pose, c'est leur application par les systèmes d'homologation des États membres.
En France, oui. C'est l'Utac, service technique désigné par les autorités françaises pour les essais d'homologation, qui le fait, entre 15 000 et 100 000 kilomètres.
Nous constatons des dérives dans la limite autorisée par la réglementation, mais pas d'écarts comme ceux dont nous parlons aujourd'hui.
Quels sont les tests effectués aux États-Unis ? Évolueront-ils ? Se rapprocheront-ils des nôtres ?
Bonne nouvelle pour l'Europe, nous serons les premiers à faire des tests dans des conditions réelles, et non en laboratoire comme aux États-Unis.
Aux États-Unis, la norme d'émission réglementaire est - essence et diesel confondus - de 70 milligrammes au mile, soit 45 milligrammes au kilomètre. La norme Euro 6 est de 80 milligrammes au kilomètre, et la norme Euro 5 - à laquelle étaient soumis les véhicules Volkswagen concernés - est de 180 milligrammes au kilomètre. Il est possible que nous n'observions pas de divergences aussi marquées qu'aux États-Unis, car le seuil réglementaire n'est pas le même.
La durabilité demandée est de 160 000 kilomètres en Europe contre 120 000 à 150 000 miles aux États-Unis. Volkswagen a avoué avoir utilisé un defeat device explicitement interdit par la réglementation américaine, mais les écarts entre seuils d'homologation et usage réel n'ont pas besoin de fraude pour être très importants.
Les premières normes Euro sont apparues à une époque où les systèmes d'alimentation des moteurs étaient simplistes, avec un carburateur et une pompe d'injection mécanique, et où contraindre une toute petite partie du domaine de fonctionnement suffisait pour en contraindre l'ensemble. Le constructeur avait très peu de marge de manoeuvre. Avec les systèmes d'injection électronique - à partir de 1993 pour l'essence et de 2000 pour tous les moteurs diesel - le constructeur a une grande latitude pour fixer pour chaque point de fonctionnement du moteur, presque indépendamment des points voisins, le compromis des prestations qu'il doit respecter entre le bruit, la consommation, l'émission de polluants, l'agrément de conduite, etc. Le principe de la norme était pertinent à l'époque, mais il est pertinent aujourd'hui de s'adapter à l'évolution technologique.
La sévérisation des différentes normes, portant uniquement sur les facteurs d'émission limite, n'a pas apporté l'amélioration de la qualité de l'air espérée, au contraire. Il faut donc désormais privilégier la caractérisation des émissions du véhicule : changer la procédure et les méthodes de mesure. C'est ainsi que nous rendrons homogène le dispositif d'homologation par rapport à la situation réelle.
Observons maintenant un graphique mesurant le décalage entre mesure d'homologation et mesure en conditions réelles des émissions de NOx et de CO2 pour une quinzaine de véhicules...
C'est à partir de ce graphique que l'Environmental Protection Agency (EPA) américaine a lancé ses investigations. L'un des véhicules présentant les pires émissions est la Volkswagen Jetta.
La quasi-totalité des véhicules présentent un décalage entre test et usage réel, mais dans des proportions qui vont d'un ratio de deux à un ratio de vingt. Un seul respecte le facteur d'émission réglementaire. Cela ne dépend pas du système de dépollution : deux véhicules qui utilisent la technologie SCR (selective catalytic reduction) présentent des résultats très différents. Cela dépend de la philosophie, de l'éthique de calibration.
Il est difficile de définir l'usage réel d'un véhicule. Sur un site Internet qui commence à être réputé et où chacun peut mettre en ligne ses consommations de carburant, un même modèle, homologué à 5,5 litres et utilisé par 54 personnes différentes, a une consommation moyenne de 6,13 litres, minimale de 4,5 litres et maximale de 8,5 litres. La même hétérogénéité se constate pour un même conducteur à bord d'un même véhicule : sa consommation varie de 5 litre à plus de 7 selon les situations. Cela explique les difficultés à admettre le degré de représentativité du RDE. Chaque État membre ayant son propre service technique d'homologation, l'application plus ou moins stricte du RDE donnera des divergences importantes.
L'Ademe considère que les solutions technologiques déployées ont le potentiel pour remplir leur mission correctement et conformément à l'esprit de la réglementation - certains se contentent aujourd'hui de la lettre. Nous avons confiance dans le WLTP et le RDE pour avoir un effet sur la qualité de l'air. Il est néanmoins fondamental de garder une neutralité technologique. Le moteur diesel garde un avantage intrinsèque sur l'essence en termes de rendement énergétique favorable à la consommation ; la focalisation sur le diesel fait oublier que les émissions d'un moteur essence sont les mêmes que celles d'un moteur diesel : NOx, CO, HC, particules, autant sinon plus que sur un moteur diesel équipé d'un filtre à particules, et avec des effets sanitaires potentiellement pires. D'où l'importance de la neutralité technologique en matière de réglementation.
On entend en effet crier haro sur le diesel. Avant Euro 6, il polluait considérablement, soit. Mais lui préférer par dogmatisme l'essence, qui, nous venons de l'entendre, polluerait davantage, c'est problématique.
Nous sommes les représentants de la population française, pas des techniciens. Cela fait un moment que j'ai décroché. Je serais bien incapable d'expliquer ce que j'ai entendu, et je ne pense pas être la seule dans la salle. Je n'ai pas d'a priori contre votre conclusion qui renvoie dos à dos essence et diesel, mais je n'ai pas compris comment vous y arrivez ; je ne pourrai donc pas la relayer. Vous faites un usage surprenant du mot « philosophie ». Je sollicite donc des explications compréhensibles. Je ne comprends pas ce que représentent les taches vertes de votre graphique. Il ne faut certes pas attribuer tous les mérites à l'essence... Mais cela n'a jamais été le propos de ceux qui critiquent le diesel ou réclament plus de réglementation. Je dois être convaincue par des arguments compréhensibles par tous - c'est cela, la démocratie.
Nous allons entendre M. Cuenot avant de revenir sur les points qui méritent des éclaircissements.
Un mot sur les réponses différentes apportées par les États-Unis et l'Union européenne. Le constat, c'est la différence entre tests de laboratoire et conduite réelle. Qu'a fait l'Union européenne ? En 2011, elle avait été informée de cet écart par les services techniques de la Commission. En 2014, le rapport du Conseil international des transports propres (ICCT, International Council on Clean Transportation) a informé l'EPA. L'Europe a alors mis en place un groupe de travail et entrepris d'élaborer une législation supplémentaire. Cette réflexion, initiée en 2011, devrait bientôt aboutir, et les États membres se prononcer sur un deuxième paquet d'ici quelques semaines. Les États-Unis n'ont été informés qu'en 2014. Le pouvoir législatif a investigué, comme il en a le pouvoir, demandé des explications à Volkswagen et abouti, en un an, à la découverte d'un defeat device. Il y a donc deux systèmes très différents avec une répartition des pouvoirs également très différente.
En Europe, plusieurs problèmes d'homologation restent à résoudre : celui du test, qui est en train d'être réglé par le WLTP et le RDE ; celui du véhicule testé lors de l'homologation, golden car avec alternateur débranché, batterie chargée au maximum, pneus surgonflés qui a peu de choses à voir avec le véhicule de série ; celui de la conformity of production et du in service conformity ; enfin, celui de l'organisme de contrôle. Le cas Volkswagen a révélé de grosses lacunes : nous avons 28 États-membres avec autant voire plus d'autorités homologatrices en concurrence entre elles : le constructeur peut aller chez le voisin s'il est mécontent du résultat. Ainsi, au Royaume-Uni, la VCA (Vehicle Certification Agency) - l'équivalent de l'Utac ...
Pas exactement, la VCA est une autorité publique, à la différence de l'Utac. L'équivalent de la VCA serait le Centre national de réception des véhicules (CNRV), une autorité dépendant de la direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie.
L'Utac est considérée comme une autorité d'homologation au même titre que la VCA par les services de la Commission européenne. La VCA est agréée par le Royaume-Uni pour délivrer des certificats d'homologation avant la mise sur le marché. La part de son chiffre d'affaires provenant des constructeurs automobiles a augmenté pour passer de 50 % en 2005 à 70 % en 2015, ce qui représente 80 millions de livres sterling sur dix ans. Il y a un biais économique entre les constructeurs et les autorités d'homologation. Il est important que le Type Approval Framework revu par la Commission réduise voire supprime ce lien. Nous proposons qu'une autorité supranationale européenne supervise le travail des instances nationales d'homologation. En l'absence de base de données centralisée, la Commission ignore quels sont les véhicules homologués. Ce système malsain doit être remis à plat. L'Utac n'est sans doute pas le plus mauvais élève, mais les disparités sont fortes entre les instances nationales. Acceptons d'abandonner un peu de souveraineté et prenons exemple sur le système américain, qui a mieux fonctionné. Voyez les problèmes d'homologations qui ont été rendus publics : Kia et Hyundai sur la consommation de carburants, Volkswagen... Quand l'Allemagne a homologué un véhicule Mercedes avec un liquide réfrigérant non réglementaire, la France l'a fait savoir à la Commission, qui l'a signifié à l'Allemagne - mais l'agrément n'a pas été retiré et le véhicule continue à circuler dans toute l'Europe !
Cela montre bien les failles européennes. Je m'inquiète d'entendre que des véhicules de série seraient préparés pour l'homologation... La Commission, l'Utac le savent-ils ? Il faudrait plus d'Europe : on ne peut rester avec 28 autorités d'homologation toutes différentes. Quelle est la part du financement de l'Utac par les constructeurs automobiles ?
Nous ne sommes pas financés par les constructeurs. L'homologation représente 10 % de notre chiffre d'affaires - et non pas 50 % comme pour d'autres structures. Nous avons de nombreux métiers. L'homologation est un processus clair et transparent. Nous sommes un service technique contrôlé très précisément pour garantir des résultats clairs, nets et indiscutables. Sur 8 600 homologations réalisées depuis la mise en oeuvre de la réglementation européenne, il n'y a jamais eu aucune contestation. L'Utac est reconnu au niveau européen comme l'un des services techniques les plus sévères.
Il existe donc des différences !
Les législations et systèmes européens et américains sont différents. L'EPA n'a pas trouvé seule le problème Volkswagen : l'ICCT l'a informée en 2014, alors que les voitures truquées étaient depuis longtemps sur le marché ; c'est alors qu'elle a réagi. Nous avons commencé nos travaux dès le problème identifié. On ne peut dire que le système européen est moins efficace que le système américain, même s'il existe des marges de progrès.
J'avoue que je suis troublée. J'ai participé à la commission d'enquête sur le coût de la pollution de l'air. Lors de l'audition des représentants des constructeurs, certains d'entre nous avaient émis des doutes sur la fiabilité des tests, dont les conditions divergeaient fortement de l'usage réel. On nous a répondu que les tests étaient fiables. Nous étions prêts à y croire, maintenant c'est plus difficile...
Je pense au grand public : lorsque j'achète une voiture, je comprends ce qu'est la consommation aux cent kilomètres, mais au-delà je ne suis pas sûre de trouver un garagiste qui sache m'expliquer ce que vous venez d'exposer ! Le consommateur achète une voiture et respire l'air pollué, il est victime à ces deux titres. En plus, lorsqu'il achète un diesel, il est soupçonné d'être un pollueur ! Qu'acheter ? Une voiture électrique ? Nous avons besoin d'explications compréhensibles et sérieuses.
Il est urgent de mettre ce sujet sur la table pour plus d'harmonisation européenne. Le système américain est-il plus fiable ? Les 8 600 homologations de l'Utac n'ont jamais fait l'objet de la moindre contestation, dites-vous. Je veux bien croire ce qu'on me dit, mais comment ne pas penser que plus tard, un coin du voile sera levé ? Je suis très troublée, en dépit de tout mon intérêt, par ces auditions. J'en sortirai encore plus inquiète.
Je regrette l'absence des représentants des constructeurs automobiles car l'affaire Volkswagen est dans tous les esprits. Vous avez parlé technique, j'aurais voulu évoquer les préjudices subis par les constructeurs français spoliés. Les consommateurs, qui se sont fiés aux résultats donnés par la presse spécialisée, ont été floués, d'autant que certains achètent leur voiture en fonction des rejets de dioxyde de carbone au kilomètre. À l'échelle internationale, l'amende de Volkswagen devrait atteindre 18 milliards de dollars. Quelle part reviendra aux constructeurs européens ? Bosch était le concepteur de l'appareil. Qui était au courant, depuis combien de temps ? Les autres constructeurs étaient-ils au courant ?
Lors de la table ronde organisée en janvier 2015, tout le monde criait haro sur le diesel. Aujourd'hui, l'Ademe nous déclare que le moteur diesel garderait des « avantages intrinsèques » sur le moteur essence, émetteur de particules, et prône la neutralité technologique. J'aimerais en savoir plus, il faudrait remettre un peu d'ordre.
La table ronde du 14 janvier nous avait appris que les nouveaux moteurs diesel de norme Euro 6 ne polluent pas plus que les moteurs essence. Louis Nègre a donc procédé à des auditions dans le cadre du groupe de travail Mobilités afin d'obtenir plus d'informations.
La présente table ronde vise à faire la lumière sur ce qui s'est passé aux États-Unis. Cela pourrait-il se passer en France et en Europe ? Comment faire pour que cela ne se reproduise pas ? La solution passe-t-elle par une autorité de contrôle indépendante ?
Qui finance et met au point les méthodes de mesure des émissions, NEDC et WLTP ? Les constructeurs ? Des laboratoires indépendants ?
Nous sommes face à un problème de confiance, accentué par l'absence des constructeurs. Comment vérifier l'indépendance des instances d'homologation et de contrôle ? Les constructeurs financent-ils en partie l'Utac ou d'autres organismes d'homologation à l'échelle européenne ? Le débat est le même que pour l'homologation des dispositifs médicaux ! Les nouvelles normes sont censées résoudre la question de la pollution aux NOx et aux particules - mais les constructeurs sont-ils capables de respecter ces normes ? Si c'est techniquement ou économiquement impossible, cela nous renvoie à nos propres responsabilités. Le législateur n'est pas là pour dire quelle est la meilleure technologie, comme le rappelait le rapport de Louis Nègre sur les véhicules propres.
Nous avons veillé, dans la loi de transition énergétique, à ne pas réduire le véhicule « propre » au seul véhicule électrique.
Quelle que soit la technologie employée, le résultat doit être conforme aux aspirations de santé publique. L'émission de gaz polluants est un problème environnemental majeur, l'OMS l'a rappelé.
Le petit véhicule diesel est très important pour les industriels français - pensons à Renault ou à PSA, qui a beaucoup investi sur l'hybride. Aujourd'hui, on sait mesurer les émissions en conditions normales de circulation même si certains ont la semelle plus lourde que d'autres, on peut faire une moyenne. C'est affaire de volonté. Les tests en laboratoire ne disent pas grand-chose, rien ne vaut les conditions réelles, et chacun sait calculer ce que consomme son véhicule. Les tests de durabilité, pour positifs qu'ils soient, sont-ils réalisés dans des configurations réelles ? Les taxis ou les véhicules sanitaires légers (VSL) roulent jusqu'à 400 000 kilomètres !
J'apprends que les organismes chargés d'établir les normes ou de contrôler les résultats travaillent dans l'approximation depuis plusieurs années, et on nous dit qu'il faut quelques mois pour réaliser des essais concrets dignes de confiance. Il y a aura bientôt un système portable de contrôle dans chaque véhicule - on pourrait même imaginer que les résultats s'affichent au tableau de bord ! Je suis un défenseur du diesel, on le sait. Merci de rappeler que l'essence émet autant de particules ou de gaz nocifs que le diesel ! C'est un grand pas. J'attends des réponses.
L'Utac ne reçoit aucun financement des constructeurs. Nous nous finançons par les travaux et les services que nous vendons : essais de durabilité, essais sur route, essais pré-réglementaires, etc.
Les constructeurs, les équipementiers, les carrossiers, tous ceux qui sont sur la route. Mais il n'y a pas de financement direct des constructeurs.
Le nouveau cycle et le RDE nous permettront d'être conformes à ce que les conducteurs font tous les jours. C'est très positif, même si cela n'a pas été facile à mettre au point. La technologie sera disponible vers 2017. Nous entrons dans un monde neutre technologiquement, avec des réglementations de plus en plus strictes. Euro 6 correspond à des seuils très bas par rapport aux premières normes. Demain, les niveaux seront établis en conditions réelles et non en laboratoire. Les constructeurs pourront-ils assumer ? Tout résidera dans le coefficient admis entre le cycle sur le banc et les conditions réelles. Rassurez-vous, la réglementation a déjà progressé et cela améliore la qualité de l'air.
Je mettrai un bémol aux affirmations de l'Ademe sur les avantages intrinsèques du diesel. En termes de coût, les moteurs diesel ne sont pas en compétition avec les moteurs essence standard mais avec les moteurs hybrides essence, qui ont des performances en laboratoire bien meilleures sur les émissions de dioxyde de carbone. Toyota offre un même modèle en version diesel Euro 6 et en version hybride essence : la différence de coût sur cinq marchés européens est inférieure à 500 euros. Avec les nouvelles normes et la plus grande efficacité des filtres, le coût des véhicules diesel va augmenter, quand celui des véhicules hybride essence diminuera.
Je nuance ce bémol. L'Ademe considère que les technologies peuvent avoir des avantages et des inconvénients complémentaires. Le coût d'achat d'une Toyota hybride n'est pas représentatif des hybrides essence disponibles sur le marché. Au niveau énergétique, l'hybride n'est pas pertinent pour un usage grand routier, contrairement au diesel. Pour être optimal sur les impacts environnementaux, il faut se poser la question des usages. L'étape suivante est de demander s'il est pertinent d'avoir un véhicule individuel motorisé pour se déplacer en ville. L'Ademe répond non. C'est effectivement plus compliqué, mais pour optimiser les systèmes de mobilité, il faut discriminer entre les technologies selon les usages. Un diesel n'est pas pertinent pour faire dix kilomètres par jour en ville, mais le reste pour un camion de quarante tonnes reliant Paris à Marseille, d'autant qu'il est équipé de filtres depuis bien plus longtemps que les véhicules individuels.
C'est la Commission européenne qui met au point les nouveaux cycles. Elle fait un travail remarquable. Nous participons aux groupes de travail sur la RDE à Bruxelles. Les constructeurs sont très entendus, notamment dans certains États membres : ils demandent toujours plus et tentent de retarder le processus. La Commission a haussé le ton après l'affaire Volkswagen, c'est maintenant aux États membres de réagir.
Nous ne parlons pas d'un petit problème technique mais de confiance et de fiabilité du système. Ce n'est pas business as usual. Nous revoyons tout notre système d'homologation : la législation RDE n'est que le début. La proposition de la Commission est ambitieuse mais réaliste. Nous croyons que les fabricants seront en mesure de s'y conformer, en nous appuyant sur des études et sur des échanges avec eux. Nous espérons être en mesure de conclure ces débats lors de la présentation de notre dernière proposition le 18 novembre.
Il existe deux règlementations européennes, sur les deux à trois roues et sur les tracteurs, qui donneront l'exemple sur la surveillance des marchés. Si l'on homologue, il faut contrôler derrière. La Commission mettra prochainement sur la table le développement d'essais « surveillance des marchés » pour la réception des véhicules particuliers, comme le fait l'EPA. L'homologation gagnera en crédit.
Le scandale Volkswagen pourrait-il toucher d'autres entreprises ? La question est-elle taboue ?
L'Utac est missionnée par le Gouvernement pour investiguer, elle rendra ses conclusions dans quelques semaines. Difficile de vous répondre, s'agissant d'une tromperie : quel qu'aurait été le lieu d'homologation, le service technique n'aurait pas vu le problème car le dispositif était destiné à leurrer le système d'homologation. Il faudrait réaliser des essais partagés à l'échelle européenne pour piéger les systèmes de leurre.
Nous avons demandé à tous les États membres de vérifier les dires de leurs constructeurs. Nous attendons les résultats.
Vous ne m'avez pas répondu sur les distorsions de concurrence. La Commission a-t-elle prévu des compensations financières pour les constructeurs français lésés, qui ont souffert d'un manque à gagner du fait de l'affaire Volkswagen ? On dirait qu'il existe une omerta entre les constructeurs : aucun n'a réagi à l'affaire ...
La Commission n'a aucun pouvoir en matière de compensation, cela dépend des fabricants. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur ce sujet.
Un effort de pédagogie s'impose pour que chacun comprenne les enjeux. À l'issue de cette table ronde, nous allons surtout pouvoir exprimer des doutes, des méfiances, des voeux... J'ai compris que la Commission agissait, que les normes évoluaient. Mais la commission d'enquête sur la pollution de l'air, dont j'étais membre et dont le rapport a été voté à l'unanimité, chiffre les dommages des émissions de particules pour la santé : à l'échelle mondiale, des milliards d'euros et de nombreux décès prématurés.
La neutralité technologique est indispensable, dites-vous. Je ne défends pas telle ou telle technologie, tel ou tel moteur - même si je soutiens notre industrie - mais le citoyen européen lambda. Nous avons besoin de comprendre, c'est une question de démocratie.
Nous sommes troublés par ce débat. À la suite de la tricherie de Volkswagen, il était indispensable. Avec Louis Nègre, nous avons cherché à savoir quel carburant polluait le moins. En janvier, nous sommes sortis d'une rencontre persuadés que le diesel Euro 6 et le futur diesel Euro 7 étaient tout aussi pertinents - voire moins nocifs - que l'essence. En sommes-nous toujours là ? On peut le croire en entendant l'Ademe. Si c'est vrai, cela va dans le bon sens puisqu'on abaisse les seuils. Mais aujourd'hui, c'est une question de confiance.
Cette table ronde était nécessaire compte tenu de l'actualité mais cela n'enlève rien au travail de moyen à long terme effectué par Louis Nègre, notamment sur la neutralité technologique. Nous organiserons prochainement une nouvelle table ronde ouverte au public et à la presse.
Les sénateurs sont troublés, nos concitoyens également. Nous avons progressé par rapport à la table ronde de janvier 2015 où l'on découvrait les différences entre les tests sur route et la réalité. Bien sûr, ce n'était pas nouveau pour les spécialistes. Nous avons demandé, dans la loi de transition énergétique, que les particules fines ayant un effet néfaste pour la santé fassent aussi l'objet d'une évaluation. Nous nous attachons aux résultats, pas à la technologie. Nous avons besoin de pédagogie.
La tricherie de Volkswagen confirme que l'information dont nous disposions n'était pas la vérité ; sa médiatisation ébranle la confiance dans la fiabilité des mesures et fait peser un doute sur toute l'industrie automobile. Les constructeurs auraient pu nous éclairer sur ce point...
La commission d'enquête sénatoriale sur la pollution de l'air a confirmé la réalité du problème sanitaire. Le transport est responsable de 30% des polluants atmosphériques. Nous devons déterminer lesquels sont imputables aux différents types de moteurs, pour informer le citoyen. Nous n'avons pas besoin d'une position dogmatique mais d'explications.
Nous avons effectivement fait un grand pas aujourd'hui mais nous attendons toujours des réponses plus précises. Le groupe de travail Mobilités et transports poursuivra sa réflexion. Vous serez invités à participer à ses travaux, avant une nouvelle table ronde ouverte au public et à la presse. Preuve que le Sénat peut intervenir utilement pour la Nation dans des domaines cruciaux pour nos concitoyens.
Merci aux participants, tant pis pour ceux qui ne sont pas venus. Nous continuerons à travailler sur ce sujet.
La réunion est close à 17 h 55.