Nous allons entendre une communication de notre collègue Jean Bizet qui va nous faire un point d'actualité sur les questions agricoles.
Nous avons beaucoup travaillé sur la réforme de la politique agricole commune. Bernadette Bourzai, Odette Herviaux, Jean Bizet et Jean-Paul Emorine avaient animé un groupe de travail commun avec la commission des affaires économiques.
En avril 2013, nous avions adopté à l'unanimité une proposition de résolution présentée par Bernadette Bourzai et Jean-Paul Emorine sur la réforme de la PAC. Cette proposition avait été présentée à la commission des affaires économiques par Renée Nicoux et Gérard César. Elle était devenue par la suite résolution du Sénat. Grâce à ces travaux, le Sénat avait souligné la nécessité de préserver une politique agricole commune forte durant les prochaines années et donc une enveloppe budgétaire importante pour la politique agricole commune, pour la période 2014-2020.
La réforme est désormais actée. Nous aurons vraisemblablement l'occasion d'examiner ultérieurement les conditions de sa mise en oeuvre. D'ici là, il est important pour notre commission de s'intéresser à des questions d'actualité européennes qui concernent très directement notre agriculture.
C'est l'intérêt de la communication de Jean Bizet qui a retenu trois points d'actualité qui figurent à notre ordre du jour.
Je lui donne la parole.
Je remercie notre président d'avoir bien voulu accepter cette présentation inhabituelle puisqu'il s'agit en quelque sorte d'un « tir groupé » qui fait le point sur les affaires en cours dans le domaine agricole.
J'entends par « affaires en cours » à la fois les propositions de textes présentés par la Commission, mais aussi des sujets qui ont été évoqués par la presse récemment ou qui vont l'être prochainement.
L'actualité agricole est évidemment moins dense qu'en 2013, année du bouclage de la réforme de la PAC, mais il reste encore de nombreux sujets. J'en ai sélectionné trois. Il s'agit du clonage animal et des aliments issus du clonage animal, de la règlementation des produits biologiques et de la directive « nitrates ».
Le premier sujet est un ensemble de deux propositions de directives sur le clonage animal et les aliments issus du clonage animal.
C'est à la fois une question d'actualité et un engagement envers notre ancien président Hubert Haenel, car j'ai déjà traité de cette question, une première fois, en mai 2009. Le texte qui était alors examiné concernait les « nouveaux aliments ». Une appellation anodine pour traiter d'un sujet qui l'est beaucoup moins, car il s'agissait, en vérité, de réglementer la commercialisation des aliments issus d'animaux clonés. À l'époque, M. Haenel m'avait demandé de rester en alerte.
Pourquoi revenir sur ce sujet ?
Parce que la procédure législative avait échoué. C'est l'une des rares fois où le processus de conciliation entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission a échoué. Il y avait des divergences profondes tant entre les États membres qu'au sein du Parlement européen, entre partisans d'un certain réalisme, puisque, comme on le verra, les Européens mangent déjà des aliments issus de clones sans le savoir, et ceux qui s'inquiètent et dénoncent le principe même du clonage. Il y a un certain parallélisme avec ce qui s'est passé, il y a trente ans, lors de l'introduction de l'insémination artificielle des animaux. Ainsi, en mars 2011, il n'y avait pas eu d'accord et donc pas de texte.
La Commission revient sur ce dossier avec deux textes complémentaires.
La première directive sur le clonage animal est fondée sur l'article 43 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (relatif à l'agriculture) et relève de la codécision Parlement européen/Conseil.
Aucun texte ne régit actuellement le clonage des animaux d'élevage. Il s'agit donc d'une innovation juridique importante. Même si la pratique s'est beaucoup développée dans d'autres pays depuis la fameuse brebis Dolly en 1996.
La proposition vise à interdire « de façon provisoire » la technique du clonage des animaux, dès lors que ces animaux ont été élevés et reproduits à des fins agricoles. Heureusement, l'activité de recherche est préservée.
La proposition interdit également la mise sur le marché d'animaux clonés, y compris l'importation.
Cette proposition suscite quelques interrogations. D'une part, on relèvera le principe d'une « interdiction provisoire » sans terme affiché. D'autre part, si le principe énoncé est celui d'une interdiction des animaux clonés, rien n'est dit sur les descendants d'animaux clonés, alors que c'est le coeur du problème. Les animaux clonés ne s'échangent pas. Le commerce se fait sur leurs descendants.
La Commission se place par conséquent bien en dessous de la position défendue lors de la tentative de conciliation de 2011. Il est très peu probable que son texte soit accepté par le Parlement européen qui, sur ce sujet, est dans une position très fermée.
La seconde proposition de directive est relative à la mise sur le marché de denrées alimentaires issues d'animaux clonés.
Qu'appelle-t-on un aliment issu d'aliments clonés. Est-ce les farines animales ?
Non. C'est la viande issue d'un animal cloné, qui a été cloné parce qu'il a des particularités jugées intéressantes sur le plan économique ou commercial. En d'autres termes, c'est le steak que vous achetez chez le boucher. Une fois sur l'étalage, rien ne distingue la viande issue d'un animal cloné d'un autre.
La proposition se fonde cette fois sur l'article 352 du traité qui permet à l'Union européenne d'agir pour atteindre l'un des objectifs visés par les traités, sans que ceux-ci n'aient prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet. Mais la compétence relève cette fois du seul Conseil, à l'unanimité, après seulement l'approbation du Parlement européen.
La proposition impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour interdire, là encore de façon de façon transitoire, la mise sur le marché de denrées issues d'animaux clonés, y compris importés.
Sur le fond, il faut savoir que certains pays de l'Union européenne importent déjà beaucoup de viande en provenance de pays qui pratiquent le clonage à grande échelle. Comme c'est le cas des États-Unis et des États d'Amérique du sud. Ainsi, les Européens ne consomment pas d'animaux clonés - ce serait beaucoup trop cher - mais mangent d'ores et déjà des aliments issus d'animaux clonés, sans le savoir et dans une opacité totale. Combien ? Impossible de le savoir. Le ministère m'a même confié que les États-Unis avaient été soulagés par l'échec de la procédure en 2011 car cela leur permettait de poursuivre leurs exportations comme avant.
Les positions de principe, telles que l'interdiction, se heurteront vite aux réalités complexes. Après une ou deux générations, il sera pratiquement impossible d'identifier les denrées issues de descendants d'animaux clonés. Ce texte sera donc assez vain et, sur ce sujet, nous naviguons toujours entre la peste et le choléra, entre les grandes déclarations et l'hypocrisie.
Un nouvel échec sur cette proposition ne peut être exclu.
Le deuxième sujet porte sur une proposition de règlement sur la production biologique.
Sachant que le règlement en vigueur n'a qu'à peine sept ans, on peut s'interroger sur les raisons qui ont poussé à un nouveau texte.
Il y a d'abord un cadre juridique. Le règlement de 2007 prévoyait que la Commission présente au législateur européen un rapport sur l'application de la réglementation. Ce rapport a été publié en mai 2012. Il relève certaines difficultés notamment sur l'efficacité des contrôles, d'ailleurs dénoncée par la Cour des comptes à la même époque.
Il y a un cadre politique, puisqu'en mai 2013, le Conseil invitait la Commission à développer le secteur, en cohérence avec la stratégie 2020 et la réforme de la PAC.
Il y a un cadre économique, avec un marché de 18 milliards d'euros en Europe, dont 5 milliards en France, et une croissance annuelle de 5 %. La part des surfaces consacrées au bio est en Europe de 5,1 % du total de la surface agricole utile, mais seulement de 3,1 % en France. La croissance de la demande est du double de celle des surfaces.
Il y a aussi une part de médiatisation, car parler du bio est très porteur. Pour s'en convaincre, je me contenterai de relever que la consultation publique organisée par la Commission avant d'écrire sa proposition a recueilli près de 50 000 contributions. Un chiffre à comparer aux 173 contributions évoquées par notre collègue Gérard César lors d'une consultation publique sur la promotion des produits agricoles.
Enfin, il y a le facteur personnel. C'est le dernier acte agricole de la précédente Commission. Le commissaire Dacian Ciolos, alors en partance, voulait présenter une sorte de « testament politique ». Un texte qui soit favorable aux agriculteurs roumains qui font du bio souvent par défaut.
C'est en quelque sorte du bio « naturel », faute d'argent pour les traitements phytosanitaires.
Le texte présenté par la Commission définit à la fois des règles plus strictes et des procédures de contrôle plus souples.
Les règles plus strictes concernent trois volets principaux.
C'est le cas de la présence de produits non autorisés comme les résidus de pesticides par exemple. Le texte actuel laisse une marge d'appréciation au profit des États membres. Le nouveau texte fixe des seuils très bas repris de la directive sur les aliments pour nourrissons, dite directive « baby food », autant dire des seuils extrêmement bas.
Le texte actuel prévoit également plusieurs cas de dérogations, permanentes ou nationales, rassemblées dans un chapitre dit « flexibilité ». Il peut s'agir d'accepter le recours limité aux semences ou à une alimentation animale non bio ou à des additifs alimentaires. Ces dérogations seraient supprimées. Dans le nouveau texte, un produit bio est un produit 100 % bio. Dans le même esprit, le texte actuel autorise quelques mutilations animales telles que la réduction des cornes par exemple, ce qui facilite l'élevage. Une faculté qui serait supprimée dans le nouveau texte.
Le texte actuel autorise la mixité des exploitations, avec une part des surfaces en bio et une part en agriculture conventionnelle. Cet aménagement serait réservé à la période de conversion.
À l'inverse, les systèmes de contrôle seraient assouplis. Le système actuel repose sur le contrôle des procédés de production et non des produits et sur la certification des exploitations. Il s'agit donc d'une obligation de moyens et non d'une obligation de résultats. Les organismes de contrôle sont agréés par l'État qui doit établir les procédures et des listes de vérification, valider les plans de contrôle. La règle de base est qu'il y ait au moins une visite d'inspection des opérateurs par an.
Le nouveau texte prévoit une certification de groupe pour les petites exploitations et remplacerait ce système de contrôle annuel, sur place, par un contrôle allégé fondé sur une analyse de risque. Les opérateurs à faible risque seraient moins contrôlés. Des considérations locales ont pu jouer pour favoriser cette modification.
Dans l'ensemble, le texte ne recueille qu'un avis réservé. Cette nouvelle rigueur paraît excessive à plusieurs États membres. Notamment l'Allemagne, premier pays consommateur et la France. La principale inquiétude porte sur la fin de la mixité des terres qui serait réservée à la période de conversion. Or, il s'agit d'une solution très commode. La mixité permet une prise de risque raisonnable sur la surface bio, en gardant le confort de l'agriculture conventionnelle sur une autre partie de l'exploitation. Beaucoup craignent que la suppression de la mixité freine les conversions et entraîne des difficultés juridiques puisque les exploitants contourneront la contrainte de la mono-affectation en créant deux entités juridiques distinctes.
Le texte est soutenu par les Roumains et les Italiens. Les circonstances sont favorables puisque le Commissaire Ciolos a de bonnes chances d'être reconduit et que l'Italie prend la présidence du Conseil.
Rien n'est encore fait sur la nomination des commissaires. Un équilibre entre hommes et femmes devra être assuré dans la future Commission. Il y aura donc probablement des déconvenues chez les commissaires pressentis.
Le bio a pris une telle importance symbolique qu'il sera conclu dans l'enthousiasme d'une nouvelle Commission et d'un nouveau Parlement. Ce sera leur premier grand texte agricole. Le Conseil paraît plus réservé et le texte fera certainement l'objet de nombreux débats techniques.
Pour faire suite aux préoccupations du président Sutour, il me faut également relever une nouvelle fois l'importance prise par les actes délégués. Un chiffre suffit à mesurer le problème. Le régime actuel est fondé sur un règlement général du Conseil et deux règlements d'application de la Commission, l'un sur la production, l'autre sur les importations. Le nouveau texte comprend 45 articles dont 30 renvoient aux actes délégués. C'est au législateur européen d'encadrer ces délégations. Mais il y a là un sujet d'inquiétude.
Le dernier sujet à examiner ne concerne pas un nouveau texte, mais un contentieux, ou plutôt des contentieux autour de la directive « nitrates ».
Il y a une double actualité. L'actualité jurisprudentielle de la Cour de Justice et l'actualité scientifique et médiatique autour de la norme « nitrates ». J'ai été personnellement approché par un de nos collègues et par la profession agricole à ce sujet. Les élus des départements ruraux ont été certainement alertés, eux aussi, et il m'apparaissait utile de faire le point.
Le point commence justement par une mise au point. Il convient de faire la distinction entre la norme « nitrates » et la directive « nitrates ».
La norme concerne les seuils de nitrates autorisés dans les eaux de captage et les eaux de boisson. Elle a été fixée en Europe respectivement en 1975 et 1998. Cette norme est de 50 milligrammes par litre.
La directive « nitrates » de 1991 ne fixe pas un seuil, mais fixe des obligations aux États : l'obligation de définir des zones vulnérables et l'obligation d'engager un programme d'action.
Ces deux sujets sont contestés.
Nos collègues de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) l'avaient déjà évoqué, il y a quinze ans, mais cette contestation s'est accrue récemment avec des déclarations de nutritionnistes et de scientifiques qui, prenant le contrepied des craintes antérieures, affirment au contraire que les nitrates sont bénéfiques pour la santé. À chaque époque sa vérité.
Ces commentaires ont un grand retentissement dans le milieu agricole, souvent montré du doigt comme étant à l'origine de la détérioration de la qualité des eaux. La conclusion logique de cette controverse serait de réviser, voire d'abandonner ces seuils, fixés il y a près de 50 ans.
Cette révision paraît pourtant peu envisageable.
La controverse scientifique est inhérente à la matière, surtout lorsqu'il s'agit de déterminer des valeurs limites. Les rapports de l'OPECST ont établi le parcours chaotique des normes sanitaires et environnementales et les querelles sont fréquentes. Il n'est pas rare que deux équipes de deux États différents arrivent à des conclusions et des seuils différents. Ce n'est d'ailleurs pas propre aux règles sanitaires. D'ailleurs, concernant l'eau, la controverse sur les nitrates est loin d'être la seule. Il existe une controverse, encore plus marquée, sur le plomb par exemple.
La seule contestation ne suffit pas à faire changer la norme. Trois raisons peuvent être évoquées.
D'abord, il faut un très large consensus scientifique pour y parvenir. La contestation actuelle ne semble pas être suffisamment partagée pour entraîner l'ensemble de la communauté scientifique.
Ensuite, sur le plan juridique, le contrôle sous forme d'exception d'illégalité auprès de la Cour de Justice, semble inopérant au cas présent. On n'imagine pas que le juge tranche un débat d'experts alors qu'il n'y a pas de consensus général sur la révision des seuils, que le seuil actuel n'est pas manifestement excessif, que les obligations qui en résultent ne sont pas manifestement disproportionnées, que la valeur guide est de moitié inférieure au seuil contesté, et que certains États, en classant l'ensemble de leur territoire en zone vulnérable, ont reconnu implicitement la valeur des seuils actuels.
Enfin, il y a une question d'opportunité politique. La norme est à la fois sanitaire et environnementale. Cette dualité est un frein supplémentaire à son évolution. Dans certaines régions françaises, la contestation de la qualité des eaux est extrêmement vive. Une révision de la norme « nitrates » serait ressentie comme une provocation. On peut même considérer que la réglementation « nitrates » fait partie du socle de la législation européenne environnementale. Un socle fondateur, devenu emblème, avec quelques autres textes. Il paraît, en conséquence, extrêmement difficile de le changer. Je fais, là encore, un parallèle avec la loi « Littoral ». Il serait légitime de jouer la carte de la décentralisation, compte tenu de la diversité des situations. Les régions qui ont déjà bétonné peuvent continuer à le faire, tandis que les régions qui ont été en retard dans l'urbanisation sont complètement bloquées. Mais la révision de cette loi est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, compte tenu de la sensibilité du sujet. Dans ma région, il a fallu huit ans pour faire déplacer une thalassothérapie de quelques centaines de mètres. 200 emplois étaient à la clef. La création d'une nouvelle thalassothérapie en bordure de mer est, elle aussi, bloquée depuis dix ans. Sur certains sujets environnementaux, la sensibilité de l'opinion est extrêmement vive et bloque souvent l'évolution de la législation.
J'ajoute que le moment ne s'y prête pas. Car il est nécessaire de noter que, depuis deux ans, la France est directement exposée aux contentieux sur la directive « nitrates », dernier point de ma présentation.
Je rappelle que la directive de 1991 fixe deux obligations aux États : définir des zones vulnérables et adopter des programmes d'action. Sur ces deux points, la Commission européenne a engagé un contentieux avec la France auprès de la Cour de justice de l'Union européenne, considérant que la France n'avait ni défini convenablement les zones vulnérables, ni décidé de mesures correctrices suffisantes, par des programmes d'action pertinents.
Le premier point a été tranché par un arrêt de la Cour de justice du 13 juin 2013 qui a constaté le manquement de la France à respecter la législation européenne.
Avant l'arrêt, la France avait entrepris un nouveau classement. Mais ce nouveau classement reste critiqué par la Commission qui reproche à la France de continuer à tenter de se soustraire à ses obligations, en excluant les communes qui ne sont concernées que pour moins de 30 % de leur territoire, par exemple. La Commission s'apprête donc à entamer une nouvelle étape du contentieux sous forme de mise en demeure, assortie, cette fois, de pénalités financières.
Les programmes d'action sont eux aussi contestés par la Commission. Un nouvel arrêt de la Cour de justice est attendu à l'automne 2014.
L'actualité « nitrates » est donc chargée et nous verrons donc prochainement rebondir ces affaires.
La conclusion générale de ma présentation est que je suis favorable à la proposition de règlement bio, même si les règles sont plus restrictives, elles seront plus valorisantes pour les professionnels. Il y a une évolution très sensible des agriculteurs sur ce sujet et le bio fait maintenant partie des options envisagées.
Concernant les nitrates, la modification des directives me paraît inopportune. En revanche, il me semble qu'il serait bon de la compléter par de nouvelles règles sur la méthanisation et le traitement des effluents d'élevage. Contrairement à l'Allemagne, qui fait de la méthanisation à partir de céréales brutes, beaucoup d'éleveurs se sont orientés vers la méthanisation à partir de lisiers. Il s'agit d'une valorisation beaucoup plus difficile mais beaucoup plus intéressante. Et nous aurions intérêt à développer cette voie.
Je vous remercie pour ce point d'actualité et cette sélection de trois sujets agricoles. J'imagine qu'il pouvait y en avoir d'autres.
En effet, dans mon département on se préoccupe, en particulier, de la sortie des quotas laitiers. Le contenu agricole de la négociation du traité transatlantique est également un sujet de préoccupation.
Je vous remercie d'avoir parlé de la Roumanie. L'ambassadeur de ce pays se préoccupe de l'image de son pays en France. Dans 99 % des cas, on lui parle de la situation des Roms. L'ambassadeur regrette, en particulier, que l'on ne mette pas assez l'accent sur les qualités et le potentiel de l'agriculture de ce pays. Les agriculteurs ont bien compris que le marché du bio est en pleine expansion et qu'il serait préférable de produire à l'intérieur de l'Union européenne, plutôt que d'importer d'autant plus que les contrôles de la certification bio à l'extérieur de l'Union peuvent être suspects. Une production bio mieux encadrée dans l'Union européenne est une bonne solution. L'allègement des contrôles va dans le même sens.
Je laisserai de côté la présentation sur le clonage animal, n'étant pas spécialiste du sujet. En revanche, je souhaite apporter un éclairage sur le contentieux nitrate et le règlement bio. Il faut être prudent sur les controverses scientifiques. On peut toujours manipuler les chiffres et présenter des données de façon partiale. Lors de la controverse sur le changement climatique, certaines grandes entreprises américaines ont diffusé des spots sur l'utilité du carbone et de l'ozone. Tout est une question de mesure. Et il ne suffit pas qu'un scientifique donne une opinion pour anéantir un consensus de la communauté scientifique. Il est possible que certains pensent que les nitrates sont bons pour la santé, mais j'ai personnellement vécu dans une région où la consommation d'eau du robinet était prohibée pour dépassement des seuils de nitrates. Réformer la norme me paraît en effet totalement inopportun.
Le nouveau règlement bio va dans le bon sens. Les réserves du rapporteur portent sur la dissociation bio/non-bio. Je reconnais que le sujet est complexe, parce que quand les deux productions existent en parallèle, il peut se trouver que la première glisse vers la seconde et réciproquement. On peut se retrouver avec des produits non-bio, vendus comme du bio et inversement. La dérive existe aussi sur le commerce équitable. Lorsque la production référencée commerce équitable n'est pas écoulée, elle rejoint le marché traditionnel mais avec des prix d'achat très inférieurs. Il y a des vases communicants entre les deux secteurs qui ne sont favorables ni à la transparence ni à la confiance du consommateur.
Le dossier du bio est extrêmement complexe. Je reviens à cette notion de bio naturel évoquée tout à l'heure. Des productions naturelles peuvent être ancestrales. On en trouve en Roumanie, à Saint-Domingue ou en Grèce avec des oliveraies et des arbres centenaires qui n'ont jamais été traités. Les rendements sont faibles et les productions sont vulnérables aux attaques de nuisibles mais c'est du vrai bio authentique. Juste à côté, il existe des exploitants qui se sont engouffrés dans la vogue du bio, qui est planté massivement, mais qui, grâce à un marketing sympathique, vendent du bio qui n'est pas le même que celui des oliveraies ancestrales. Le contenu n'est pas le même pour tout le monde et il y a des pratiques qui sont à la limite de la tromperie. Une autre difficulté pratique est que les produits bio, souvent plus chers, sont aussi moins rapidement écoulés et, par conséquent, perdent en fraîcheur. La production peut être bio, mais le produit est moins vendable.
Dans le secteur du vin, plus des trois quarts des producteurs ne cherchent pas la certification bio parce que la procédure est trop longue, trop complexe. Un allègement des procédures, fût-ce au prix d'un durcissement des règles, pourrait diminuer le coût et permettre de développer le secteur. Je reste convaincu que les cultures ancestrales sont une bonne voie d'entrée pour les cultures bio. L'irrigation, par exemple, est évidemment utile mais fragilise les vignes. Certains plants dans des terres difficiles vont chercher l'eau à plusieurs mètres de profondeur et acquièrent une résistance que les jeunes plantations n'ont pas.
Je crois qu'il y a consensus sur le sujet. Les choses ont beaucoup évolué. Il faut éviter le dogmatisme de part et d'autre. Mais les mentalités agricoles ont bougé.
Je peux évoquer à ce sujet une des dernières réunions de la Chambre d'agriculture de Normandie qui fut consacrée à ce thème. Cela aurait été impensable il y quelques années. Il y a une nouvelle génération d'agriculteurs bio et les jeunes agriculteurs conventionnels sont très ouverts. Les pratiques bio font évoluer les pratiques agricoles de l'ensemble de la profession.
Il est très difficile de maîtriser la production bio, c'est pourquoi la coexistence de deux types de surface me paraissait bonne. J'ajoute que cela peut être utile aux producteurs bio eux-mêmes. Dans un territoire, le producteur bio isolé bénéficie de la lutte contre les prédateurs des autres exploitations. Quand de très grandes surfaces sont consacrées au bio, elles sont plus fragiles. L'agriculteur bio est en quelque sorte un agriculteur sans filet, c'est pourquoi la dualité des surfaces me paraissait utile. Mais le débat législatif fera sans doute évoluer ce sujet.
En revanche, le durcissement des règles ne me paraît pas inopportun. Elles peuvent être valorisantes pour l'exploitation et correspondent bien à l'objectif de la réforme qui consiste à rassurer le consommateur.
Le seul regret que j'ai concerne les prix. D'une part, le bio a un coût et plus les règles sont strictes et plus le coût sera élevé ; d'autre part, il y a toujours en France le problème du partage de la valeur ajoutée, car c'est toujours la grande distribution qui capte les bénéfices. On n'arrive pas à trouver le juste équilibre entre la rémunération du producteur et la marge du distributeur. En Allemagne, les industries agro-alimentaires sont plus puissantes et pèsent davantage face à la grande distribution. Hélas, en France, le face-à-face entre industriels et distribution se fait au détriment des agriculteurs.
La réunion est levée à seize heures cinq.