Commission des affaires européennes

Réunion du 9 juillet 2014 à 15h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Monsieur l'Ambassadeur, merci d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes en poste à Paris depuis dix-huit mois. Vous connaissez bien notre pays et sa capitale, puisque vous avez effectué une partie de vos études à Sciences-Po.

Nous fondons beaucoup d'espoirs sur la présidence italienne qui vient de débuter, car l'Italie et la France ont le même souci de voir l'Europe mettre en oeuvre une politique déterminée en matière de croissance et d'emploi. L'austérité ne peut pas continuer à tenir lieu de politique. Pour répondre à l'objectif de renaissance industrielle qui doit être celui de l'Europe, il faudra porter une attention particulière aux petites et moyennes entreprises. Elles sont le coeur du réseau industriel italien, comme nous le rappelait, hier encore, notre collègue Delebarre. C'est un atout.

Certains des enjeux que vous souhaitez promouvoir sont essentiels, comme les politiques sur le climat et les énergies à l'horizon 2030. L'Italie est comme la France un pays du sud de l'Europe, ce qui est positif.

Nous soutenons également votre volonté d'approfondir l'union économique et monétaire. L'Europe a besoin de cohésion. Combler le fossé social qui se creuse est une nécessité. L'Union européenne doit aussi remédier au climat de défiance que les dernières élections européennes ont mis en évidence. Nous serons attentifs à vos initiatives pour la rapprocher des citoyens.

La politique étrangère de l'Europe doit prendre de l'ampleur. Nous sommes nombreux à penser qu'un dialogue avec la Russie est inévitable pour trouver une solution durable à la crise ukrainienne. Enfin, nous attendons une politique active sur la Méditerranée. Matteo Renzi a appelé la semaine dernière à une stratégie efficace sur la Méditerranée et sur la question sensible de l'immigration. Peut-être nous direz-vous quelles actions vous entendez conduire.

Debut de section - Permalien
Giandomenico Magliano, ambassadeur d'Italie en France

Le programme de la présidence italienne pour ce semestre correspondra au début d'une législature. En effet, 2014 est l'année du renouvellement des structures européennes, avec un nouveau parlement, une nouvelle Commission en novembre et un nouveau président du Conseil de l'Union européenne, au 1er décembre. L'Italie souhaite inscrire son action dans cette dynamique de changement, en renouvelant le contrat entre les citoyens européens et les institutions communautaires. L'ambition du président Renzi est que les citoyens reprennent confiance en l'Europe.

Le programme de la présidence italienne s'articule avec celui du trio de présidences (Italie, Lettonie, Luxembourg) prévu pour dix-huit mois. Il se caractérise par une volonté de changement à la fois dans le rythme des politiques mises en oeuvre et, parfois, dans les chemins suivis. Matteo Renzi l'a dit clairement à Strasbourg : sans croissance, il n'y a pas d'Europe. Les citoyens ne peuvent accepter l'idée d'une Europe en récession permanente. Il faudra savoir conjuguer l'assainissement des finances publiques avec la croissance et l'emploi.

Un deuxième objectif sera de compléter l'union bancaire, pour renforcer l'économie européenne, fragilisée par la crise financière américaine. Les petites et moyennes entreprises qui maillent le territoire européen constituent un enjeu fondamental dans la relance de l'économie réelle. Quant au numérique, notre président du Conseil a convoqué, hier, un événement à Venise rassemblant les entrepreneurs, la commissaire européenne concernée, Mme Kroes, les patrons des sociétés européennes, parmi lesquels beaucoup de dirigeants français. Le numérique peut être un facteur de développement pour l'Europe à condition de définir une règlementation, et un plan favorisant l'émergence d'acteurs de taille européenne.

La politique extérieure de l'Europe est intimement liée à sa politique intérieure. En effectuant son premier déplacement en Ukraine, puis à Moscou, la ministre italienne des affaires étrangères, Mme Mogherini, a souhaité favoriser le dialogue, car les sanctions sont un instrument de pression, non un but en soi. Enfin, la Méditerranée est un axe fondamental pour définir une politique de l'Europe.

L'Italie, grand pays fondateur de l'Union, exerce la présidence européenne pour la neuvième fois, mais pour la première fois depuis la signature du Traité de Lisbonne qui a établi un président du Conseil européen permanent et le Haut représentant. Pour la présidence de la Commission, M. Jean-Claude Junker devrait être élu par le Parlement européen le 16 juillet. L'Italie souhaite que, lors de sa réunion extraordinaire qui se tiendra le même jour, le Conseil européen puisse se mettre d'accord sur les nominations à la présidence du Conseil européen, au poste de Haut représentant et aux autres postes de la Commission. Avec la France, elle a également souhaité qu'un agenda stratégique définisse le mandat de la Commission.

Un renforcement de la cohérence des différents conseils éviterait des clivages inutiles : en traitant des relations avec l'Ukraine et la Russie, on parle aussi d'énergie... Il reviendra à la Commission de veiller à la cohérence entre les politiques définies dans les différentes formations.

Ce semestre sera marqué par des rencontres importantes. Un sommet pour l'emploi des jeunes se réunira. Il fera suite à celui qui s'est tenu à Paris en novembre dernier. Un sommet sur l'emploi est également prévu à Berlin, puis un autre à Turin, à l'automne prochain. Nous vérifierons que la garantie jeunes - soit 6 milliards d'euros alloués - a bien été mise en oeuvre et qu'elle sera pérennisée, l'objectif étant de porter ce montant à 8 milliards. Nous veillerons également à ce que la coordination entre les différentes agences d'emploi nationales soit effective.

Le sommet de L'ASEAN se tiendra à Milan, les 16 et 17 octobre prochains. Cet événement gigantesque, qui se tient tous les deux ans, soit en Asie, soit en Europe, réunit les chefs d'État et de gouvernement des pays de l'Asie, dont la Chine et l'Inde, et des 28 pays européens. Nous ferons ainsi un pas de plus dans la coopération de région à région entre l'Europe et l'Asie. La conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement se tiendra à Rome, les 26 et 27 novembre. Enfin, l'Exposition universelle qui aura lieu à Milan au mois de mai 2015 est un grand rendez-vous où l'Italie affichera son engagement en matière de soutenabilité, de développement durable et de protection de la planète.

Si le trio de présidences parvient à donner suffisamment d'élan au « train européen », les citoyens constateront dans cinq ans les résultats d'une politique européenne efficace. Ses priorités sont ambitieuses : croissance, emploi, numérique, mais aussi avancement de l'Union économique et monétaire avec l'ébauche d'une harmonisation fiscale sur les entreprises et l'ébauche d'un budget propre. Les enjeux politiques sont de taille ; ils demandent une analyse technique solide - la coopération entre nos deux pays est très importante.

Pour le paquet climat-énergie 2030, la présidence italienne a l'ambition de faire agréer la plateforme d'engagements européens, afin que l'Europe aborde en leader les négociations qui auront lieu lors de la Conférence de Paris sur le climat en décembre 2015. Traduire la transition énergétique en politique commune est une tâche complexe. Il est également difficile de promouvoir cette politique auprès des pays émergents qui perçoivent comme une contrainte des impératifs écologiques qui constituent pour nous une opportunité.

Les partenariats commerciaux et stratégiques avec les États-Unis, le Canada et le Japon sont pour l'Europe une opportunité de relancer sa croissance, en s'ouvrant à ces pays. Les négociations se font dans un cadre communautaire, en harmonisant les positions entre pays producteurs et consommateurs, celles de l'Europe du nord et celles de l'Europe du sud. Des compromis restent à trouver, par exemple pour ouvrir le marché japonais, sans barrière tarifaire. Quoique compliquées par le processus décisionnel, les négociations devraient s'accélérer pour s'achever l'année prochaine.

Le programme de l'après-Stockholm définit les orientations européennes en matière de liberté, de sécurité et de justice. Nous veillerons à prendre en compte la politique de voisinage - dans les Balkans, certains pays ne sont pas candidats pour entrer dans l'Union européenne, tout en faisant partie de la famille européenne ; nous resterons également attentifs à la politique d'élargissement de l'Europe, puisque cinq pays sont candidats. Néanmoins, il s'agit là d'une question qui dépasse dans le temps les limites de la présidence italienne.

Nos propositions s'articulent autour de trois priorités. L'Europe doit d'abord favoriser l'emploi et la croissance économique, en définissant des plans d'investissement européens. Il faudra avoir recours à de nouveaux mécanismes financiers, donner plus de moyens à la Banque européenne d'investissement. Accroître la flexibilité dans la lecture des règles favorisera la reprise de la croissance économique. Cela nécessitera d'identifier les marges qu'autorisent les traités européens et le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) qui n'ont pas encore été exploitées. Par exemple, les réformes en cours devraient conduire à alléger le niveau de déficit d'un pays. De même, l'épargne devrait être prise en compte dans l'appréciation de la dette. En facilitant de la sorte les réformes, l'Italie souhaiterait enclencher un cercle vertueux. On sortirait ainsi de l'enchaînement vicieux « carton jaune », réduction des dépenses publiques, augmentation des impôts, récession, augmentation de la dette et du déficit...

Ensuite, l'Italie veut une Europe plus proche des citoyens, un espace de démocratie, de droits et de liberté. Des questions techniques se posent, notamment sur le droit d'asile que l'Italie souhaiterait rendre commun à tous les pays européens. Beaucoup de propositions ont été faites. Le manque de consensus a empêché de les mettre en oeuvre.

Enfin, l'Italie souhaite doter l'Union européenne d'une politique étrangère plus forte et plus lisible, sans laquelle elle ne pourra pas relever les défis auxquels elle est confrontée, en Afrique du nord, en Libye, en Syrie, en Iran ou en Ukraine. La promotion d'une stratégie macro-régionale est une autre priorité. Il faudra finaliser le plan d'action pour la région alpine qui inclut la Suisse. Un autre plan d'action concerne la région adriatique et ionienne, c'est-à-dire l'Italie, la Grèce et les Balkans.

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Je vous remercie de nous avoir exposé ce beau programme pour les six mois qui viennent.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Vous êtes l'exemple vivant de la sympathie que nos deux pays éprouvent l'un pour l'autre. Ils ont une culture et des intérêts communs. Il est rare que les citoyens connaissent le nom du pays qui préside l'Union européenne, c'est pourtant le cas avec l'Italie. Sans doute, est-ce dû au fait que votre jeune président du conseil présente des propositions novatrices et mène vivement ses décisions pour son propre pays.

Vous avez énuméré beaucoup d'objectifs, ce qui laisse craindre un manque de résultats. Quand l'Europe est colonisée par Google, Amazon, le GPS, c'est comme si, sous Gutemberg, une principauté germanique s'était adjugé le monopole de l'imprimerie. La situation est inacceptable, et pourtant l'Europe l'accepte. S'il est essentiel d'avoir une véritable politique étrangère européenne, sa mise en oeuvre reste difficile, car les pays les plus importants jouent leur partition individuelle.

L'Europe se comporte en petit caniche des Américains. Elle ne conserve aucune autonomie dans ses décisions. Les sanctions prises à l'encontre de la Russie pénalisent l'Union européenne : ses échanges avec la Russie représentent 450 milliards contre 40 milliards pour les États-Unis. De la même façon, les pays européens ont interdiction de faire du commerce avec l'Iran. Peugeot, qui détenait 40 % du marché automobile iranien, n'a pas le droit d'y vendre de pièces détachées. J'étais en Iran, il y a peu. Dans les rues, on voit des grands panneaux « General Motors is back » ! Le conseiller diplomatique du Guide, M. Velayati, m'a dit ne pas comprendre.

Ce qui se passe dans le domaine bancaire est également effarant. La finance internationale a été fragilisée par la deuxième guerre du Golfe, déclenchée avec des preuves fabriquées par les Américains. La crise des subprimes a déséquilibré le système bancaire mondial. Golden Sachs a certifié les comptes trafiqués de la Grèce. Et les Américains osent sanctionner BNP-Paribas ? L'Europe se couche devant les États-Unis. C'est effarant. Je ne fais pas preuve d'un antiaméricanisme atavique - j'ai reçu chez moi cinq ambassadeurs des États-Unis -, mais j'ai des convulsions quand je vois ce qui se passe.

L'Ukraine pose un vrai problème. Au statut des frontières, inamovibles, s'oppose le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La Crimée compte une population russe importante. La visite de Mme Ashton à Kiev a été consternante, se pliant aux volontés des Américains qui ont fait preuve d'un mépris insultant envers les Européens.

La présidence italienne est une chance. Votre président du Conseil est jeune, vif et créatif. L'austérité seule est stérilisante, mais nous devons payer nos dettes. L'exemple italien est une source d'inspiration. L'Union européenne doit avoir une véritable politique étrangère.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je me réjouis de cette présidence italienne naissante. Votre lecture du Pacte de stabilité, passée au prisme de la flexibilité, est axée sur l'opportunité d'exploiter des marges qui ne l'ont pas encore été. La précédente présidence avait orienté la politique de l'Union européenne par des bonus, des subventions à l'adresse des pays qui s'engageaient dans des réformes. Le succès n'a pas été total. Vous adoptez une ligne nouvelle, l'essentiel étant de ne pas transgresser le Pacte de responsabilité au risque d'inquiéter les marchés.

Nous ne sommes qu'au début des discussions sur le Traité transatlantique. Les Italiens ont toujours été des partenaires fidèles et pertinents de la France, sur les questions agricoles, notamment. On ne peut pas accepter que des lois américaines deviennent mondiales. Il y a l'affaire BNP-Paribas ; hier, c'était la loi d'Amato-Kennedy. Toute augmentation des transactions commerciales internationales est un plus. Néanmoins, à la faveur du Traité transatlantique, ne pourrait-on pas rediscuter le problème des indications géographiques protégées, ou plus généralement celui de la prééminence de lois américaines sur le reste du monde ?

La protection des données est un sujet qui nous tient à coeur. La mise en place d'une gouvernance européenne de l'Internet est indispensable. J'ai par ailleurs rencontré le secrétaire d'État à l'agriculture américain, M. Tom Vilsack, qui sur des barrières non-tarifaires parle de notion d'équivalence. Il faudra être attentif à ces évolutions et veiller à traiter le sujet avec le plus de transparence possible - cela rejoint votre souci de rapprocher l'Europe des citoyens. Les parlements des pays européens doivent pouvoir s'emparer du sujet.

Enfin, depuis ses débuts, l'Europe n'avance que grâce à quelques pays qui montrent le chemin. Le couple franco-allemand, qui l'a beaucoup fait, fonctionne moins bien qu'auparavant. Matteo Renzi envisage-t-il de promouvoir un couple franco-italien, ou bien italien-allemand ? Sur le site Internet de la présidence italienne, il n'y avait pas de traduction française. N'est-ce qu'une erreur technique ?

Debut de section - Permalien
Giandomenico Magliano, ambassadeur d'Italie en France

La traduction française avait été supprimée pour des raisons budgétaires. Nous avons bien entendu remédié à a cette erreur. Le français est une des langues de travail de l'Union européenne. L'Italie prône la parité de toutes les langues européennes. Elle ne veut pas d'un monopole de l'anglais, ni d'un système trilingue anglais-français-allemand. La combinaison des deux langues de travail et de celle de la présidence est tout à fait satisfaisante.

Miser sur le numérique suppose toute une architecture européenne qui n'existe pas encore ; le président Renzi a posé la question avec l'événement organisé hier à Venise. La politique étrangère commune doit être développée. L'Europe ne fait pas entendre sa voix sur la question israélo-palestinienne. La médiation américaine dure depuis un an ; l'Europe se contente de regarder et d'attendre. Chacun reconnaît qu'il y a là un vide à combler. Nous pouvons commencer à le faire à l'occasion de la crise ukrainienne, qui concerne d'abord l'Europe. A elle de concevoir les instruments et de les utiliser.

D'importance historique, les négociations sur le Traité transatlantique sont difficiles à mener. Elles risquent de durer plusieurs années et de s'enliser. D'ici un an et la fin de l'administration Obama, nous devrons choisir de valider ou non ce qui aura été acquis. La question des indications géographiques intéresse beaucoup l'Italie, mais sans doute moins les pays du nord de l'Europe. Le problème des standards reste à régler : doivent-ils être américains ou européens ? Une rencontre avec les ministres du commerce extérieur est prévue à Rome, à la mi-juillet. Les intérêts de la France et de l'Italie sont proches sur ces questions.

Sanctionner les transactions en dollars, en Suisse, par une banque française si elles sont faites avec le Soudan est un peu limite du point de vue du droit international public. L'Europe ne sanctionne pas des transactions faites en euros sur des marchés tiers. Ce type de législation, conçu aux États-Unis en pensant à Cuba, s'est ensuite largement étendu. La question doit être posée au niveau du G20. C'est ce qu'on appelle un level playing field. Quant à la protection des données, des discussions entre l'Union européenne et les États-Unis ont commencé. Ces chantiers, qui vont durer, exigeront des choix politiques. Il reviendra aux leaders de donner la ligne, de fixer le mandat, étant entendu qu'il n'y a qu'un leader du côté américain et qu'il y en a plusieurs du côté européen.

L'on souhaiterait que le triangle Rome-Paris-Berlin soit vertueux. Si l'entente entre Rome et Paris est très forte, le moteur franco-allemand est en panne pour plusieurs raisons objectives ; Rome et Berlin entretiennent des relations fluides, mais ne s'accordent pas sur le degré de flexibilité à adopter. La règle dit qu'il est possible de tirer sur l'élastique, sans le déchirer ; - encore faut-il le vouloir... Ce débat sera important dans les années à venir. L'Italie respectera les 3 % au titre du pacte de stabilité, mais elle ne pourra pas parvenir à 0 % de déficit structurel.

Si la dette existe indéniablement, il faut distinguer la dette passée et celle qui s'ajoute. On ne peut pas réduire l'arriéré d'un coup. La dette japonaise atteint 230 % de son PIB, tout en restant un pays crédible ; l'Argentine, dont la dette ne représente qu'une petite fraction de son PIB, n'inspire pas confiance aux marchés. Il convient de distinguer des pays qui ont été aidés après avoir subi la crise bancaire (l'Irlande ou l'Espagne) ou de dette souveraine (la Grèce) de pays comme la France et l'Italie qui doivent résoudre leur problème de dette sans s'étrangler. La dette de l'Italie atteint 130% de son PIB, parce que celui-ci a baissé ; la France, qui arrivera probablement bientôt à 100 % de dette sur son PIB, devra vivre trente ans avec ce déficit, avant de pouvoir commencer à le réduire. On ne peut pas faire l'impossible. Il faut ajuster les stratégies dans le temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Je vous remercie pour cette présentation passionnante. Le programme de la présidence italienne est riche - peut-être trop riche. Cette présidence intervient à un moment qui n'est pas neutre, au lendemain des élections européennes qui ont démontré que les institutions européennes ont perdu la bataille de l'opinion. La priorité est de reconquérir la confiance des peuples dans le projet européen. Ne vaudrait-il pas mieux affirmer des angles politiques plus aigus plutôt que d'énumérer des listes d'intentions, aussi légitimes soient-elles ? Comment l'Italie aborde-t-elle le manque patent d'Europe sociale ? Les progrès de la politique européenne n'ont pas été tangibles ni lisibles pour les opinions nationales. Comment envisagez-vous la nécessaire politique commune de l'immigration ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Nos deux pays, unis par une latinité commune, ont beaucoup de points de convergence. Comment réorienter les institutions et les postes ? La politique industrielle a été abandonnée à la DG IV qui est en charge de la politique de la concurrence ; la politique industrielle a été entravée par la réglementation de la concurrence qui empêche de mener des politiques dynamiques. Quels qu'aient été les mérites d'Antonio Tajani, commissaire à l'entrepreneuriat et à l'industrie, il a vu ses moyens d'action dévalués face à la toute-puissante DG IV.

Pour les technologies d'avenir, nous nous interdisons des moyens d'intervention politique : aides et crédits d'impôts sectoriels tombent toujours sous le coup de la règlementation européenne. Si nous voulons tenter de rattraper les géants américains dans le domaine d'Internet, par exemple, comment allons-nous nous doter d'instruments politiques ? L'Italie a-t-elle des idées pour rééquilibrer la politique de la concurrence et créer une vraie politique industrielle européenne ? Des débats ont lieu dans votre pays sur les eurobonds et les project bonds, qui sont des moyens de financement importants. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Giandomenico Magliano, ambassadeur d'Italie en France

Nos politiques sont diverses, mais liées par un principe de cohérence. Elles répondent à trois priorités seulement : la croissance et l'emploi, la démocratie et la sécurité, enfin un rôle accru de l'Europe dans le monde - du blé, du poisson, de la viande, un menu que l'on peut décliner. Cet ensemble équilibré autorise des choix politiques, par exemple sur le degré de flexibilité ; celle-ci est indispensable : qu'un pays y oppose son veto serait une impasse majeure pour l'Europe.

Quant à l'Europe sociale, son but principal est d'arrêter la progression du chômage, en particulier de celui des jeunes. Le travail technique qu'implique cet objectif est complexe, car nos systèmes sociaux et nos marchés du travail sont très différents. L'Italie a entrepris de réformer le sien pour y introduire plus de flexibilité. Si nous nous entendions sur des schémas européens, nous pourrions peut-être éviter les effets cycliques de nos amortisseurs sociaux.

Il demeure difficile d'harmoniser nos cultures, en particulier lorsqu'il s'agit de politique industrielle et de politique de la concurrence. Le commissaire Tajani a accompli un travail remarquable, mais sa compétence transversale s'est heurtée à des structures verticales peu intéressées par l'économie réelle. La question de la conciliation entre concurrence et croissance des entreprises ne trouve pas de réponse unanime. Le débat est quotidien entre pays producteurs qui souhaitent protéger leurs entreprises et pays acheteurs partisans d'une très grande ouverture. La présidence italienne entend assumer sa responsabilité mais elle est confrontée à des positions antagonistes.

Le monde a changé : ce qui était, il y a quarante ans, un abus de marché ou une position dominante en Europe ne représente plus rien à l'échelle du marché mondial. La défense européenne suppose elle aussi un appareil productif assurant son indépendance ; or nous ne sommes pas autonomes dans différents domaines, par exemple pour certaines technologies de défense.

La position italienne veut allier courage et ambition : ne pas reculer devant les difficultés, ne pas se contenter de changements marginaux lorsque des changements de structure s'imposent.

Il y a des mécanismes financiers pour puiser des liquidités sur les marchés, mais ils ne sont pas utilisés. La présidence italienne y travaillera, sans épuiser la tâche en six mois. De même, l'union bancaire est une belle construction, un choix audacieux de l'Europe, mais sa réalisation est trop lente. Nous ne parlons pas de cathédrales dont la construction demande des siècles. L'union bancaire aurait dû être faite en un an, non en trois : cette lente construction est moins convaincante pour les marchés, moins performante, et un peu baroque. Sachons faire plus simple et plus rapide pour l'union économique et monétaire. Le temps n'est pas une variable indépendante...

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Bailly

Je reviens à l'Europe sociale, car je pense comme Catherine Tasca qu'il importe de donner à nos concitoyens européens des signaux forts. Quel est l'avis de la présidence italienne sur la mise en place d'un salaire minimum européen ? La direction du Trésor y a récemment consacré une étude : ce pourrait être le début d'une belle aventure politique. Autre projet, une assurance chômage européenne, que l'Union aurait les capacités financières de porter. Comment la présidence italienne s'appropriera-t-elle ces questions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Vous avez fait allusion à l'élargissement. Parmi les candidats, quels pays voudriez-vous voir rejoindre rapidement l'Union européenne ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Quelle est la position de la présidence sur la politique d'immigration ?

Debut de section - Permalien
Giandomenico Magliano, ambassadeur d'Italie en France

La question de l'assurance chômage est inscrite à l'agenda du Conseil sur l'emploi du 17 juillet. C'est un domaine dans lequel on peut poser l'équation entre norme sociale et norme de croissance. Nous nous y emploierons avec beaucoup de conviction.

Quant au smic européen, les gouvernements italiens de tous bords ont évité le sujet car, dans notre système, un salaire minimum aurait entraîné de lourdes conséquences budgétaires, inenvisageables à l'heure où nous nous efforcions de ramener notre déficit à 3 %. Désormais entrés dans une phase vertueuse, nous sommes en mesure d'étudier la manière dont notre système social pourrait garantir un salaire minimum. Le Parti Démocrate en examine la possibilité. Dès lors qu'existera une convergence entre les systèmes sociaux européens, les évolutions seront plus faciles.

Quant à l'élargissement, l'Italie, depuis le traité de Rome, a toujours été fédéraliste. Nous sommes d'autant plus favorables à un fédéralisme léger que nous savons qu'il repose non sur des cessions, mais sur des transferts de souveraineté ordonnés autour du bien commun. Nous n'avons jamais été tentés par la position alternative, défendue notamment par le Royaume-Uni, de demander un élargissement accompagné d'une dilution. La famille européenne comprend toute l'Europe, et tout pays européen a le droit d'y accéder, pourvu qu'il respecte les critères de Copenhague. Moins il y a de trous sur la carte de l'Union, moins elle est exposée à des risques.

La perspective de l'intégration est en général un facteur de progrès ; gardons-nous cependant de donner des illusions qui auraient un effet boomerang sur le pays concerné. Les pays candidats (Turquie, Serbie, Monténégro, Macédoine et Albanie) ont à notre avis vocation à entrer dans la famille, mais les négociations doivent progresser chapitre par chapitre. Nous voudrions accélérer celles en cours avec la Turquie, de crainte de voir celle-ci régresser. L'Italie a beaucoup aidé l'Albanie dans les années 1990 et 2000, et, même si beaucoup reste à faire, y a rendu possibles des progrès considérables qui justifient pleinement que ce pays soit candidat à l'intégration. Si l'élargissement doit se poursuivre, il n'est cependant pas près d'aboutir ; nous avions donné le feu vert à la Turquie il y a longtemps, sans ouvrir la négociation sur tous les chapitres.

Quant à la politique d'immigration, l'Italie n'a pas de plan tout fait à présenter. Il manque le sentiment que les frontières nationales sont des frontières européennes : la Méditerranée devrait avoir la même importance pour les Baltes que la frontière de la Pologne avec l'Ukraine en a pour moi. Si nous souhaitons modifier le droit d'asile, nous ne sommes pas parvenus à inscrire à l'agenda stratégique la formule que nous proposions. En l'absence d'un dispositif européen pour quadriller la Méditerranée, notre marine conduit l'opération Mare nostrum et sauve tous les jours des migrants. Que faire de ces flux de réfugiés ? Comment lutter contre les trafiquants ? Une stratégie concertée est indispensable pour mettre fin à leur activité, de même qu'est nécessaire une politique européenne pour agir en amont contre la pauvreté, en Érythrée notamment. Cette action ne relève pas uniquement de la responsabilité des ministres de l'immigration, mais également de ceux des affaires étrangères, de la justice, de l'intérieur, de la coopération et du développement... À l'Europe de développer un plan global pour répondre au problème de l'immigration. Seule une impulsion politique pourra mobiliser en ce sens des administrations cloisonnées. La présidence italienne souhaite l'élaboration d'une telle politique européenne, qui soit ensuite déclinée de façon cohérente. (Applaudissements)

Debut de section - PermalienPhoto de Simon Sutour

Merci, monsieur l'Ambassadeur, d'avoir répondu avec précision aux interrogations de tous nos collègues.

La réunion est levée à 16h25.