L'ordre du jour appelle l'audition de M. Jean-Christophe Niel, que je salue. Il est directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et va nous présenter son rapport d'activité 2018.
Nous entendrons ensuite la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2), également sur son rapport 2018.
Une différence doit être soulignée entre ces deux rapports : la présentation de celui de l'IRSN ne constitue pas une obligation légale, contrairement à celle des rapports de la CNE2 et de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) que nous avons entendue le 16 mai dernier.
Cependant, si ce n'est pas une obligation légale, c'est bien un élément du dispositif de réflexion sur la situation du nucléaire en France. Cette préoccupation est à l'origine de la création de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Cet Office a été renforcé par les lois de 1991 et 2006 dans sa vocation d'interface entre le Parlement - Assemblée nationale et Sénat - et les activités nucléaires, en particulier électronucléaires. Celles-ci se sont développées dans notre pays pendant plus de quarante ans avec une volonté constante de gouvernements différents, sans toujours une véritable participation des élus représentant l'opinion.
L'Office parlementaire a vocation à assurer cette interface. M. Jean-Christophe Niel, vous intervenez sur des sujets majeurs. Par exemple, nous sommes prêts à vous entendre sur la mise en service du réacteur EPR de Flamanville. Ce sujet, au coeur de l'actualité, vient de connaître une étape importante.
Grâce à vous, nous allons également disposer d'une procédure d'examen approfondi et régulier de la poursuite du fonctionnement des installations nucléaires françaises. L'opinion est très sensible au sujet du renforcement de la sécurité des installations et des transports nucléaires.
Vous avez certainement un regard attentif sur le futur cinquième Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) qui fait l'objet d'un débat national. Notre collègue Émilie Cariou le sait mieux que quiconque, elle qui a d'ailleurs honoré de sa présence, dans ce cadre, la modeste préfecture de la Meuse, à Bar-le-Duc, le 20 juin dernier.
Nous allons vous écouter sur l'amélioration des systèmes de radioprotection, sur les connaissances scientifiques portant sur l'exposition aux rayonnements ionisants. Vous nous parlerez également de la gestion des crises radiologiques et des crises nucléaires.
Vous avez face à vous des parlementaires extrêmement attentifs, quelle que soit leur assemblée d'origine. Deux d'entre eux, Mme Émilie Cariou, députée de la Meuse, et M. Bruno Sido, sénateur de la Haute-Marne, sont directement impliqués. Nous les avons désignés corapporteurs pour ce travail sur le cinquième PNGMDR.
C'est un devoir et un honneur de vous présenter notre rapport d'activité pour l'année 2018. C'est la deuxième fois que nous le faisons.
Lors de la création de l'IRSN, le Parlement et le Gouvernement ont souhaité, pour des raisons liées à la sensibilité de la matière traitée, que des dispositions spécifiques soient prises pour la mise en oeuvre des missions de l'IRSN qui relèvent de la défense et de la sécurité. En particulier, son directeur général est assisté par un directeur général adjoint (DGA), nommé par décret pris sur rapport des ministres de la défense et de l'énergie. Le DGA Défense est chargé de mettre en oeuvre les missions d'établissement dans les domaines de la défense et de la sécurité. M. Louis-Michel Guillaume, DGA Défense, est à mon côté. C'est donc lui qui répondra à vos questions sur ces sujets.
L'IRSN est l'expert public du risque radiologique et nucléaire. Il évalue les risques liés à l'usage des rayonnements ionisants, y compris en situation accidentelle. Ces risques peuvent concerner la sûreté nucléaire, dans le secteur civil comme dans le secteur de la défense, pour éviter ou gérer les accidents, les réacteurs, le cycle du combustible, les déchets, les transports, etc. Ils portent aussi sur la protection contre les rayonnements ionisants, celle des patients qui subissent un diagnostic ou une thérapie, celle du public et des travailleurs. En France, 380 000 travailleurs sont susceptibles d'être exposés aux rayonnements ionisants. Enfin, ces risques incluent la sécurité, c'est-à-dire la protection contre la malveillance. L'ensemble de ces risques est couvert.
Le spectre des activités suivies par l'IRSN est lui aussi très large, allant de la radiothérapie à l'agence immobilière. Je rappelle que pour mesurer la concentration en plomb, au titre de la réglementation sur le plomb dans l'habitat, ces établissements utilisent des appareils contenant de petites sources radioactives. Ce spectre va du réacteur nucléaire au rayonnement naturel, notamment le rayonnement cosmique qui intéresse en premier lieu le personnel navigant aérien, ou le radon, qui nous intéresse tous.
Cette diversité explique que l'IRSN ait cinq tutelles : environnement, énergie, santé, recherche et défense, et qu'il rassemble 1 800 femmes et hommes. Nos deux missions sont la recherche et l'expertise. Dans l'exercice de celles-ci, nous avons pour exigence de contribuer à un très haut niveau de sûreté et de sécurité nucléaires, ainsi que de radioprotection, en France et dans le monde. L'IRSN est reconnu à l'international. Dans un contexte de démocratie environnementale et de développement du numérique, l'IRSN doit également favoriser le dialogue avec les citoyens sur ces sujets.
Sur l'expertise, il s'agit d'apporter un appui technique aux autorités - l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l'Autorité de sûreté nucléaire défense (ASND) - ainsi qu'aux pouvoirs publics : ministères de la Santé, de l'Environnement, de l'Intérieur, et des Affaires étrangères, Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), etc. Toutes les institutions qui traitent, à un titre ou un autre, de risques radioactifs, peuvent solliciter l'appui de l'IRSN.
L'an dernier, nous avons rendu à la commission d'enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, présidée par M. Paul Christophe, et dont Mme Barbara Pompili était la rapporteure, un rapport sur la comparaison entre entreposage des déchets irradiés, à sec et sous eau.
Cette année, dans le cadre du débat sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), nous avons rendu deux rapports, à la demande de la Commission nationale du débat public (CNDP). Le premier complète celui réalisé l'an dernier pour la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, en approfondissant le sujet du stockage à sec et du stockage sous eau des combustibles irradiés. Le deuxième rapport présente un panorama international, une bibliographie détaillée ainsi que des recherches sur les alternatives au stockage géologique profond étudiées depuis les années 1950. Sur le PNGMDR, nous avons aussi rendu un avis à l'Autorité environnementale.
Tout un spectre d'institutions sollicitent donc l'IRSN. Nous sommes à leur disposition pour faire ce travail. Nous rendons environ 850 avis ou rapports par an. Ils sont en grand majorité publics, conformément à la loi de transition énergétique pour la croissance verte. On l'a vu, par exemple, sur les soudures du réacteur EPR de Flamanville, comme vient de l'évoquer le président de l'Office.
Cette expertise s'étend à la surveillance de l'environnement. L'IRSN dispose d'un réseau de balises surveillant l'environnement, que ce soit le rayonnement gamma ou les stations de prélèvement des aérosols, qui ont, par exemple, aidé à détecter le ruthénium-106 à la fin de l'année 2017.
L'expertise de l'IRSN porte aussi sur la surveillance des travailleurs. L'IRSN gère la base de données des doses reçues par les 380 000 travailleurs que j'ai évoqués, ainsi que leur historique. Cette base est importante.
Nous suivons aussi les sources radioactives, au titre de la radioprotection.
Notre expertise s'exerce en temps normal, mais aussi en temps de crise, avec deux fonctions. La première porte sur l'évaluation de la situation dans les installations ayant subi des accidents, en France ou à l'étranger. L'IRSN a été très mobilisé après l'accident de Fukushima. Nous nous appuyons notamment sur notre nouveau centre de crise, inauguré récemment en présence de certains d'entre vous.
Cette expertise à partir du centre de crise est complétée par la capacité de l'IRSN à déployer, à projeter sur le terrain, à la demande des pouvoirs publics, des moyens de mesure de la radioactivité, soit des personnes, avec une dizaine de véhicules, soit de l'environnement, avec une autre dizaine de véhicules. Au total, une vingtaine de véhicules peuvent être mobilisés de manière très opérationnelle sur le terrain pour contribuer à la gestion de crise, en appui des pouvoirs publics.
Nos activités de recherche concernent la radioprotection, la sûreté et la sécurité nucléaire. L'IRSN est aussi un organisme de recherche. 40 % de son budget est consacré à celle-ci. Notre budget total s'élève à environ 275 millions d'euros. Cette recherche vise à disposer de la meilleure expertise possible lorsque nous sommes sollicités par les pouvoirs publics. C'est aussi un moyen d'attirer des profils de haut niveau. Nous avons besoin de personnes très compétentes.
L'IRSN a une spécificité. Il réunit la sûreté nucléaire, la radioprotection, la sécurité nucléaire, le civil, la défense, la recherche et l'expertise. Ce choix a été fait à la création de l'Institut, en 2001. Votre Office y a largement contribué. Ce choix est favorable à la transversalité et à la multidisciplinarité. Il renforce notre capacité à évaluer les risques.
Conformément aux approches française et européenne du risque sanitaire, l'évaluateur du risque, en l'occurrence l'IRSN, est différent du gestionnaire des risques, c'est-à-dire l'autorité de sûreté et le ministère. L'importance de ce principe a encore été rappelée dans le récent rapport de votre Office sur l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux par les agences. L'IRSN est une agence sanitaire au sens strict, puisque nous menons une activité dans le domaine de la santé.
Ce même rapport souligne aussi l'importance de l'ouverture à la société, et de l'implication des citoyens dans la gestion du risque. Depuis sa création, l'IRSN met en oeuvre une démarche sur ce sujet, d'ailleurs intégrée dans ses contrats d'objectifs successifs avec l'État. Le dernier a été signé en janvier 2019. Cela nous conduit à des dialogues techniques, notamment sur la prolongation de l'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts au-delà de 40 ans, sur la cuve de l'EPR, ou de manière générale, sur des sujets tels que le lien entre rayonnements ionisants et santé. Nos interlocuteurs privilégiés sur ces questions sont les commissions locales d'information (CLI) et leur association nationale, l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI).
Nous portons aussi une attention particulière au scolaire et à la science. Je vous avais déjà présenté notre petit boîtier qui permet aux citoyens de réaliser des mesures dans l'environnement. Il est connecté et permet de rassembler l'ensemble des données collectées par les citoyens qui le souhaitent.
Notre action s'exerce dans un contexte d'enjeux considérables, présents et à venir, que ce soit dans les domaines de l'énergie, de la santé, ou des exigences de transparence et de démocratie environnementale.
La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) va conduire à une reconfiguration du paysage des installations nucléaires. D'un côté, il y a la gestion du parc existant, avec des questions comme la prolongation des réacteurs au-delà de 40 ans, les suites de l'accident de Fukushima, ou les réexamens de sûreté. De l'autre, il y a les installations en cours de conception et de construction : l'EPR de Flamanville, le réacteur Jules Horowitz (RJH), le Centre industriel de stockage géologique (CIGÉO), ou la piscine d'entreposage centralisé. Enfin, il y a les démantèlements et la gestion des déchets.
L'action de l'IRSN s'inscrit dans les objectifs de la stratégie nationale de santé 2018-2022, notamment avec les questions de l'amélioration de la qualité des soins et de la réduction de l'exposition aux substances nocives.
Concernant l'environnement, le baromètre annuel de l'IRSN sur la perception des risques par les Français sera rendu public à la rentrée. Comme tous les ans, et depuis longtemps, il démontre l'importance des questions de santé, d'environnement et de sécurité pour les Français. De ce point de vue, la connaissance de l'impact environnemental des activités mettant en oeuvre des rayonnements ionisants, et leur surveillance, sont donc essentiels.
Le contrat d'objectifs et de performance de l'IRSN pour la période 2019-2023 et notre rapport annuel détaillent ces différents aspects. Le rapport annuel comprend dix chapitres qui visent à rendre compte de notre activité dans l'ensemble de nos champs. Il est complété par les chiffres clés. Je souhaiterais maintenant vous présenter quelques éclairages issus du rapport.
Dans le domaine de la recherche, le rapport mentionne qu'en 2018 nous avons réussi un premier essai dans le réacteur expérimental CABRI. Dans une nouvelle configuration de ce réacteur, cet essai visait à tester le comportement du combustible en situation accidentelle, dans le cas d'un accident d'injection de réactivité (RIA ou Reactivity Initiated Accident), de type Tchernobyl. D'un seul coup, beaucoup d'énergie apparaît au sein du combustible. Nous devons connaître son comportement pour bien comprendre et maîtriser les accidents.
Dans le domaine médical, l'IRSN poursuit des recherches sur les cellules souches pour traiter les personnes ou les patients sur-irradiés. La sur-irradiation peut résulter d'une mauvaise manipulation d'une source radioactive qui se retrouve à dehors, ou des effets d'un traitement de radiothérapie mal contrôlé.
L'IRSN et le service de santé des armées, à l'hôpital d'instruction des armées Percy, ont développé une compétence rare au niveau international pour traiter les personnes sur-irradiées. Nous sommes régulièrement sollicités pour traiter de telles situations, la dernière ayant eu lieu en mai 2019.
Dans le domaine de la recherche, je voulais évoquer un cas de transfert technologique. Bien que ce soit un sujet mineur par rapport à l'ensemble des activités de l'institut, il est assez emblématique. Dans le cadre de nos activités de dosimétrie, nous avons voulu étudier des molécules particulières, pour mesurer la contamination d'un organisme. Nous ne sommes pas parvenus à nos fins. Par contre, nos chercheurs ont eu l'idée d'étendre cette démarche à un nouvel axe de recherche, qui a donné lieu au développement d'une nano-émulsion, sous forme de crème, efficace en cas d'urgence pour le traitement d'une contamination cutanée. Cette recherche a abouti à deux thèses, neuf publications, un brevet, puis un partenariat avec une société. Avant de commercialiser ce produit, nous nous sommes bien sûr assurés de son innocuité et de son efficacité. Sa commercialisation à destination des industriels du nucléaire permet de traiter des contaminations cutanées de manière beaucoup plus efficace qu'avant.
Notre contrat d'objectifs et de performance nous demande aussi de renforcer nos partenariats et de valoriser nos plateformes expérimentales.
Dans le domaine de l'expertise, les sujets sont très nombreux. Je peux supposer que vous allez m'interroger sur un certain nombre d'entre eux. Concernant l'EPR, l'IRSN poursuit son expertise sur le dossier de sûreté, et a par ailleurs expertisé récemment les soudures du circuit secondaire principal. Nous avons expertisé le dossier d'options de sûreté de la piscine centralisée d'EDF. Nous travaillons de manière très intense sur la prolongation au-delà de 40 ans des réacteurs de 900 mégawatts. À titre d'information, l'IRSN a investi sur ce sujet l'équivalent de 66 personnes en 2018. Cet effort est important. Nous avons prévu, en accord avec l'ASN, de rendre un avis conclusif sur ce sujet en mars 2020. J'ai aussi évoqué les deux expertises réalisées pour la CNDP.
Sur saisine de la direction générale de la santé et la direction de la sécurité sociale du ministère de la santé, nous avons évalué en 2018 l'état du parc de scanners, qui compte un peu plus d'un millier d'unités en France, au regard de la protection des patients. Nous recommandons le renouvellement des scanners de plus de dix ans, et de plus de sept ans pour les scanners pédiatriques, les enfants étant plus sensibles que les adultes aux rayonnements ionisants. Par ailleurs, nous recommandons le renforcement de la justification des actes, en insistant sur la nécessité pour les professionnels de santé de s'interroger sur la nécessité d'un scanner par rapport à des techniques alternatives sans irradiation telles que l'imagerie par résonance magnétique (IRM).
Globalement, l'IRSN essaie d'améliorer sa capacité d'expertise. Dans cette perspective, nos travaux portent sur l'expertise augmentée, avec le recours à l'intelligence artificielle et au datamining, pour exploiter aussi efficacement que possible un grand nombre de données. À ce sujet, nous venons d'être retenus par le Fonds de transformation de l'action publique pour le projet PIREX (Plateforme intégrée de retour d'expérience). Outre évidemment la recherche, les moteurs de la sûreté sont aussi les retours d'expérience, à travers l'analyse de tous les événements survenus dans les installations, en France et à l'étranger. L'IRSN reçoit des données concernant environ 1 200 événements par an. Notre base de données en rassemble plus de 40 000. Notre volonté est de mettre en oeuvre des dispositifs utilisant l'intelligence artificielle pour être beaucoup plus efficaces dans le traitement de l'ensemble de ces données.
Dans le domaine de l'ouverture à la société, notre contrat d'objectifs et de performance nous demande de poursuivre et de renforcer notre interaction avec les parties prenantes sur notre expertise. Votre récent rapport sur l'expertise des risques sanitaires et environnementaux le recommande également. Nous allons notamment mettre en place un comité de dialogue avec les parties prenantes sur l'expertise. Aujourd'hui, un tel comité existe dans le champ de la recherche. Il sera étendu à l'expertise.
Voici quelques exemples concrets d'ouverture à la société : une expérience pilote en Haute-Vienne, qui associe les habitants pour qu'ils appréhendent mieux le risque lié au radon et prennent en charge, le cas échéant, des améliorations de leur habitat pour le réduire ; une démarche scientifique de mesure de la concentration du tritium dans l'eau de pluie et d'interprétation des résultats avec des lycéens du Cotentin, à Cherbourg, Coutances et Saint-Lô, en lien avec notre Laboratoire de radio-écologie de Cherbourg-Octeville (LRC) ; ou encore une implication importante dans le débat public concernant le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR).
Je termine mon introduction par quelques mots à propos de la photo de couverture de notre rapport. Il s'agit d'une installation de l'IRSN : le tube en cristal photographié rassemble des billes métalliques. L'objectif est de les chauffer par radiofréquences, afin d'analyser le comportement de l'eau injectée sur ces billes chauffées. Cette simulation représente ce qui se passerait en cas d'accident nucléaire. Le combustible se dégraderait, formerait des débris. Les procédures prévues consistent à injecter de l'eau, pour voir comment celle-ci se comporte au contact de ces débris.
Ce programme est financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR), au titre des suites de l'accident de Fukushima. La France, comme tous les pays, a pris des mesures sur ses installations. Par contre, elle est l'un des rares pays, peut-être le seul, à avoir dégagé des ressources pour mener des recherches en sûreté nucléaire et radioprotection. Cette photo de couverture illustre l'une de ces actions de recherche. L'un des premiers essais a montré que l'eau ne rentrait pas forcément dans les débris. Elle peut en être expulsée et avoir tendance à faire le tour, ce qui n'atteint pas l'objectif de refroidissement. C'est cela que l'on veut tester dans cette installation.
Je conclus sur ces mots la présentation synthétique du rapport annuel de l'IRSN pour l'année 2018.
Dans son rapport d'évaluation, le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCÉRES) salue un certain nombre d'éléments très positifs concernant la recherche conduite par l'IRSN.
Cependant, le rapport indique un pilotage insuffisant de la dimension recherche au sein de l'institution, et regrette une trop faible ouverture des plateformes au monde académique. Considérez-vous que ce jugement soit justifié, et voyez-vous des éléments d'amélioration ?
En tant qu'organisme de recherche, l'IRSN obéit aux canons de la recherche, notamment à l'exigence d'évaluation. Le HCÉRES audite l'ensemble des organismes de recherche, dont l'IRSN. Cet audit a eu lieu en 2017, et ses résultats ont été rendus en 2018. Certains points sont très positifs, notamment le fait que l'IRSN a une identité bien marquée, un souhait de positionnement d'expertise, une ouverture à la société « remarquable » - ce sont les termes du HCÉRES - et des infrastructures d'envergure.
Évidemment, le but d'un audit est d'aboutir à des recommandations, que nous partageons, tout en les modulant. Pour le volet stratégie, en ce qui concerne le pilotage de la recherche par l'Institut, il faut déjà bien comprendre sa nature. L'IRSN ne ressemble pas aux organismes de recherche plus traditionnels, plutôt axés sur une thématique. Nous faisons de la recherche pour la sûreté nucléaire, la radioprotection et la sécurité, sur un spectre relativement large au regard de la taille de l'Institut. Nous sommes obligés d'étudier beaucoup de sujets, même si nous ne les regardons pas tous, parce que nous ne sommes pas les seuls en charge de la recherche, responsabilité première des opérateurs notamment.
En ce qui concerne le pilotage de la recherche, notre stratégie scientifique date de 2016. Nous sommes en train de la mettre en oeuvre. Le contrat d'objectifs et de performance nous conseille de la poursuivre.
Par ailleurs, dans l'organisation actuelle, nous avons une direction scientifique et une direction de la stratégie, ce qui peut induire une certaine confusion des rôles. Nous ne sommes pas complètement en désaccord avec le HCÉRES sur ce point. À partir de lundi, une réorganisation de la partie fonctionnelle et support de l'Institut va notamment conduire à rassembler l'ensemble du pilotage de la recherche au sein de la seule direction de la stratégie.
Concernant les plateformes, le HCÉRES estimait qu'elles étaient peu ouvertes au monde académique. En fait, nos plateformes sont très ouvertes au niveau international. En Europe, nous avons beaucoup de relations avec nos collègues et homologues. C'est un peu moins vrai pour les partenaires académiques français. Toutefois, l'IRSN accueille une centaine de doctorants et de post-doctorants rattachés à des écoles doctorales ou à des universités. Nous avons donc des relations fortes avec le milieu académique. Il faut néanmoins les renforcer sur nos plateformes.
L'IRSN a la chance de bénéficier d'un certain nombre de plateformes relativement récentes. Il est important de les valoriser, à la fois intellectuellement, budgétairement, et pour structurer nos partenariats. C'est l'un des axes de notre contrat d'objectifs et de performance.
S'agissant des fonds publics qui vous sont attribués, tout comme à d'autres organismes de recherche publique, l'un des points souvent en débat porte sur la manière dont votre stratégie de recherche est coordonnée avec celle du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). L'objet du CEA est un peu plus large, mais le nucléaire correspond à son ADN de départ. Finalement, on se dit souvent que les deux stratégies de recherche sont menées de manière parallèle, sans suffisamment de discussions entre l'IRSN et le CEA pour les coordonner. Avez-vous des informations à nous communiquer à ce sujet ?
En prenant la responsabilité de cet institut, j'ai souhaité travailler sur un rapprochement avec le CEA sur nos sujets. Les objets ne sont pas exactement les mêmes. En matière nucléaire, le CEA se positionne plutôt en appui des industriels et du développement. L'IRSN se concentre plus sur la sûreté et la sécurité. Cela étant, nous avons beaucoup de sujets communs. Par exemple, la photo de couverture de l'accident que je vous ai montrée est tout aussi utile pour les industriels que pour l'IRSN.
Nous avons engagé ce rapprochement de plusieurs manières. Ainsi, nous avons créé un groupe de travail commun pour optimiser le fonctionnement des réacteurs CABRI et RJH. Sur la radiobiologie et la radioprotection, nous avons engagé un processus pour générer des collaborations de manière très simple. Les deux organismes ont dégagé à cette fin un petit budget, charge aux équipes de l'IRSN et du CEA de trouver des sujets communs pour obtenir des crédits. Et ça marche ! Le premier appel à projets a été lancé voici un an, et nous allons en lancer un deuxième. C'est une vraie volonté, notamment pour la bonne utilisation des deniers publics.
Par ailleurs, le CEA et l'IRSN rassemblent une bonne partie des compétences en radiobiologie, au-delà de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), de l'Institut national du cancer (INCa), et même des sociétés savantes professionnelles, comme la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Nous menons des travaux sur ce sujet. Nous venons de répondre ensemble à un appel d'offres de l'INCa. Il existe donc une vraie volonté de travailler en commun, quand les sujets le permettent.
J'ai deux questions d'actualité et des questions plus classiques.
Tout d'abord, des mesures élevées de tritium ont été relevées dans la Loire, en aval de cinq centrales nucléaires. L'ASN a répondu qu'il n'existait pas de risque pour l'environnement ou pour le public. Néanmoins, dans un rapport demandé par l'ANCCLI, un scientifique du CNRS concluait en 2010 à une sous-estimation par les instances de radioprotection de la toxicité du tritium, seul radioélément dont les rejets autorisés augmentent en France. Ce rapport soulignait le manque de données sur les effets cancérigènes du tritium. Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet, sur la toxicité et sur les risques de cancer ?
J'ai une question plus classique sur la prolongation des centrales. Initialement prévus pour fonctionner 40 ans, les réacteurs nucléaires les plus anciens en France arrivent en fin d'exploitation théorique. EDF souhaite les prolonger. L'IRSN a formulé un certain nombre de préconisations à respecter. Plusieurs commissions d'enquête, et récemment le président de l'ASN, ont mentionné les difficultés à réaliser certaines tâches, notamment en termes de manque de main d'oeuvre et de compétences. Certains problèmes de sécurité et de qualité inhérents au recours excessif à la sous-traitance ont aussi été soulignés. Pouvez-vous nous éclairer sur votre vision de ces difficultés réelles à venir, et surtout sur leur étendue ? L'IRSN a-t-il les moyens de suivre les quatrièmes visites décennales, sachant qu'à partir de 2020 il faudra suivre deux à trois chantiers en parallèle ? Selon l'IRSN, quels sont les défis majeurs et les préalables techniques à une décision de prolongation ? EDF a-t-il les moyens techniques et financiers de garantir le niveau de sûreté qui sera requis ?
Enfin, j'ai une autre question d'actualité liée au réchauffement climatique. Les aléas climatiques évoluent et s'accentuent. Ils pourraient avoir un impact sur les installations nucléaires. Hier, vous avez diffusé un courrier pour éclairer le public sur les effets du réchauffement et de l'abaissement des niveaux d'eau : réchauffement de l'eau, baisse du débit du Rhône, risques d'inondations inclus, etc. L'IRSN prévoit-il de demander une actualisation des études d'impact environnemental à EDF dans le cadre des quatrièmes visites décennales ?
Je souhaite obtenir des éclaircissements plus précis, en complément de la question de ma collègue Émilie Cariou sur la contamination de la Loire, observée et démontrée suite aux mesures citoyennes de l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest (ACRO), qui incluent des mesures de l'eau de la Loire et de l'eau potable du robinet à Châtellerault. Les contrôles réalisés par le producteur et le distributeur d'eau ont-ils failli ? Ces derniers ont-ils oublié d'examiner un aspect ? Ces mesures élevées de tritium dans la Loire et dans l'eau potable ont été effectuées à l'aval du grand bassin de la Loire, en aval de cinq stations nucléaires. Comment peut-on faire la part des choses entre ces cinq stations nucléaires, sachant que ces mesures ont été publiées le jour où s'ouvrait à l'Assemblée nationale le débat parlementaire sur la loi énergie et climat, avec un article premier qui dessine la trajectoire du futur en matière de diminution du nucléaire ? Nous avons vraiment besoin d'être éclairés.
Vous avez dit que ces relevés ont été confirmés et que des compléments d'études seront fournis par l'IRSN. Disposez-vous d'un calendrier, puisque vous ne contestez pas les relevés effectués par l'ACRO ? Peut-on connaître les causes dans un délai raisonnable ?
Il est vrai que le tritium est l'un des rares radionucléides dont les rejets augmentent, en raison de deux phénomènes. La volonté de l'autorité de réduire le volume des rejets a conduit les opérateurs à engager beaucoup d'actions. De ce fait, les rejets de la plupart des radionucléides ont beaucoup diminué depuis une vingtaine d'années. Le tritium, quant à lui, est très difficile à piéger, et il est donc, pour l'essentiel, relâché. Le mode de gestion du combustible conduit à en utiliser davantage, et donc la quantité de tritium augmente. Comme il y a de moins en moins de radionucléides, et de plus en plus de tritium, il se voit encore plus.
Voici quelques années, suite à des travaux scientifiques et à des études en Angleterre, l'IRSN a mené des recherches sur les différentes formes de tritium. Elles ont conduit à changer le poids potentiel du tritium d'un facteur deux dans l'impact. Cela étant, les niveaux mesurés aujourd'hui dans la Loire par l'association ACRO, de 310 becquerels par litre, sont très inférieurs au seuil de référence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), fixé à 10 000 becquerels par litre. Sachant que la valeur d'entrée dans le système de radioprotection est d'un millisievert, pour atteindre cette valeur, il faudrait boire deux litres d'eau tous les jours, contenant du tritium à 75 000 becquerels par litre. Il n'y a donc pas d'enjeu sanitaire.
Il n'en reste pas moins que si l'on compare cette valeur à l'ensemble des valeurs mesurées depuis très longtemps, elle est atypique.
L'IRSN fait des mesures en aval des centrales. Notre méthode est différente de celle de l'ACRO, qui est un organisme sérieux, agréé par l'ASN au titre des mesures. L'ACRO a fait des mesures ponctuelles à un endroit et à un moment donné. L'IRSN fait des prélèvements toutes les dix minutes, rassemblés semaine après semaine, de façon à obtenir une moyenne mensuelle. Nous faisons une moyenne dans la durée. Dans ces conditions, il est normal que les mesures de l'IRSN et de l'ACRO diffèrent, en plus ou en moins.
Néanmoins, la mesure relevée par l'ACRO est inhabituelle, et doit, pour cette raison, faire l'objet d'une recherche pour comprendre l'origine du phénomène, même en l'absence d'enjeu sanitaire. L'IRSN y travaille. Je peux difficilement m'engager sur une date précise. Pour rester prudent, je dirais quelques semaines. Mais je le répète, il n'existe pas d'enjeu sanitaire.
Concernant la question du lien chronologique avec la loi énergie et climat, je n'ai pas de réponse.
S'agissant de l'eau potable, les mesures de l'IRSN sont effectuées dans les rivières. Les mesures d'eau potable sont de la responsabilité du ministère de la Santé et des agences régionale de santé (ARS). Nous sommes sollicités régulièrement en appui de ces organismes pour des questions de potabilité de l'eau, mais nous ne faisons pas de suivi régulier systématique aux points de prélèvement.
Je vais poursuivre sur ces mesures dans l'environnement Compte tenu des occurrences et de la dispersion dans l'environnement, je souhaiterais connaître le maillage des 470 balises évoquées dans votre rapport. Comment sont-elles réparties ? Sont-elles concentrées autour des centrales ? Quel est le maillage, sur le territoire français, de la surveillance de la radioactivité ? Vous avez parlé des boîtiers citoyens. Quelle publicité en avez-vous faite ? De combien en disposez-vous ? Comment les obtenir ?
La surveillance de l'environnement est l'une des missions de l'IRSN. À cette fin, nous disposons de plusieurs outils.
Les 470 balises pour mesurer les rayonnements gamma sont réparties de la manière suivante : une par département et les autres autour des installations nucléaires. Elles fonctionnent en parallèle des mesures réalisées par les exploitants nucléaires, par obligation réglementaire. Par exemple, EDF est le premier à mesurer le tritium dans la Loire.
Nous avons une quarantaine de stations de mesure des aérosols, des poussières sur lesquelles peuvent se fixer des produits radioactifs. Dix de ces stations sont à très haut débit. Le débit standard est de 100 m3 par heure, alors que le très haut débit s'élève à 800 m3 par heure. Dans le sud-est de la France, à Nice, Ajaccio, etc., ces stations à très haut débit ont détecté, fin 2017, le fameux ruthénium-106, à l'origine d'un certain nombre d'interrogations. Nous continuons à réaliser des prélèvements d'herbe, de lait, etc., pour disposer d'un maillage. Nous avons également une balise sur le toit de l'ambassade de France à Tokyo, suite à Fukushima, et une à Kiev.
Ces mesures sont toutes publiques et suivies par un dispositif de surveillance des valeurs. Dès qu'une valeur anormale apparaît, un système d'astreinte permet de l'analyser tout de suite, pour essayer d'en comprendre l'origine.
La France a mis en place le réseau national de mesures radioactives de l'environnement. Sous l'égide de l'ASN, l'IRSN est l'organisme opérationnel qui gère cette base de données. Sur le principe, l'ensemble des mesures réalisées par les opérateurs, mais aussi par tous les organismes qui acceptent de se faire agréer, alimentent ce réseau. Ces mesures sont aussi accessibles sur Internet.
Notre boîtier citoyen s'appelle « OpenRadiation ». Après Fukushima, les Japonais n'ont pas attendu les mesures de contamination faites par le gouvernement ou l'exploitant. Ils ont effectué des mesures eux-mêmes. L'IRSN a décidé de développer à son tour un petit appareil pour mesurer les rayons gamma. Il coûte 100 euros sur notre site. En temps de crise, je suis sûr qu'ils se vendront comme des petits pains. Ce qui est compliqué, c'est de mobiliser les gens en « temps de paix ». Pour ce faire, nous essayons de développer des partenariats et des actions avec les CLI et l'ANCCLI.
Les boîtiers sont connectés à un site ( www.openradiation.org), sur lequel on peut créer des sous-sites. Cet outil vise à développer des projets pédagogiques, pour sensibiliser les jeunes à la gestion du risque, et aussi pour les attirer vers des carrières scientifiques. Il semblerait que celles-ci ne soient pas suffisamment attirantes aujourd'hui.
L'IRSN travaille en partenariat avec IFFO-RME, Institut français des formateurs risques majeurs et protection de l'environnement de l'Éducation nationale, Planète Sciences, association promouvant la science auprès des jeunes, et le FabLab (contraction de fabrication laboratory, ou laboratoire de fabrication) de l'Université Pierre et Marie Curie.
Il existe d'autres détecteurs sur le marché, et nous souhaitons que notre site Internet puisse accueillir des mesures issues d'autres systèmes.
L'une des réflexions à développer porte sur l'usage de cet outil en cas de crise. Beaucoup de mesures seront réalisées par des personnes qui ne sont pas expertes. Comment faire de cet outil un appui à la gestion de crise ? La logique de validation des mesures n'est pas du tout celle des professionnels de la mesure, pour lesquels existent des agréments. Dans le monde connecté, si une valeur aberrante apparaît au milieu d'un grand nombre d'autres, on aura tendance à dire qu'elle est erronée. Nous devons travailler sur ce sujet.
Concernant la question de Mme Émilie Cariou sur la prolongation des centrales, c'est l'un des sujets majeurs de l'IRSN, qui y a consacré 66 équivalents temps plein en 2018. Plus largement, la première question concernait le problème des compétences, y compris de la sous-traitance. Voici plusieurs années, l'IRSN a réalisé un travail sur la sous-traitance d'EDF. Ce sujet est lié à la prolongation des centrales, puisque les arrêts de tranche correspondant à la prolongation de l'exploitation au-delà de la durée initialement prévue seront particulièrement importants. Lors de ces arrêts de tranche, 80 % des interventions de maintenance sur les gros matériels seront sous-traitées.
Dans le cadre des évaluations complémentaires de sûreté post-Fukushima, le nombre de modifications est également important, ce qui va aussi dans le sens d'un accroissement de la sous-traitance.
Notre étude est fondée sur les interviews d'un certain nombre d'opérateurs. Nous avions retenu qu'EDF avait mis en place des dispositions destinées à contribuer à la maîtrise de la sous-traitance. Trois points nous semblaient saillants : améliorer la capacité des entreprises sous-traitantes à répondre aux attentes des objectifs de sûreté, renforcer les moyens mis à disposition des prestataires pour faire face aux aléas et partager le retour d'expérience entre les sous-traitants et EDF. Concrètement, lors d'un dysfonctionnement, le sous-traitant peut ne pas être motivé à le faire remonter à EDF. Or, en termes de sûreté, il est très important de le partager. Globalement, pour aller dans le sens de la sécurité, l'idée serait de développer une relation co-construite, sans se limiter à une relation de donneur d'ordre à exécutant.
Quels sont les moyens de l'IRSN ? En permanence, nous hiérarchisons les sujets pour être en mesure de répondre. Nous pourrions toujours en faire plus. Le point important dans notre démarche d'expertise - à cette fin nous avons des processus internes - est d'évaluer les vrais enjeux et les vrais problèmes. Nous sommes très structurés dans ce domaine. Nous nous organisons pour cela. Récemment, nous avons mis en place un fonctionnement en mode projet sur deux sujets en lien avec l'ASN : l'EPR et la prolongation de l'exploitation au-delà de quarante ans. Les enjeux sont très conséquents, et les moyens mobilisés par l'IRSN très importants. 40 personnes ont travaillé sur l'EPR de 2015 à 2017.
Quels sont les défis majeurs pour la prolongation de l'exploitation au-delà de 40 ans ? J'en vois deux. Le premier concerne le renforcement de la sûreté, notamment la prise en compte des accidents graves avec fusion du coeur. Cette question est apparue lors de l'accident nucléaire de Three Mile Island. Les réacteurs d'aujourd'hui n'ont pas été conçus pour intégrer ce type d'accident, même si beaucoup de mesures ont été ajoutées depuis. À l'inverse, les réacteurs de troisième génération, comme l'EPR, ont été conçus pour gérer ces accidents graves. En cas de perte de refroidissement, le combustible s'échauffe, fond, traverse la cuve et tombe sur le radier. Sous la cuve du réacteur EPR, un récupérateur de corium permet à celui-ci de s'étaler et de se refroidir, afin d'éviter le transfert de la contamination à l'environnement.
L'une des premières questions posées à EDF dans le cadre de la prolongation de l'exploitation des réacteurs portait sur la possibilité d'installer un récupérateur de corium. Considérant que c'était techniquement impossible, EDF a proposé une méthode alternative basée sur des résultats de R&D. L'idée est la suivante : quand le corium arrive sur le béton, il est noyé dans l'eau. L'interaction entre le béton, le corium et l'eau va permettre une dissipation thermique suffisamment importante.
L'IRSN a participé aux essais sur l'interaction entre le corium et le béton, réalisés notamment aux États-Unis. L'avis que l'IRSN a récemment rendu à l'autorité de sûreté sur ce sujet indique que les réacteurs peuvent être répartis en deux grandes catégories, selon le contenu en silice du radier. S'il y a beaucoup de silice, nous ne sommes pas convaincus par la démonstration et recommandons de renforcer le radier par une couche de béton qui permettrait de mettre en oeuvre le mécanisme physique sur lequel travaille EDF. Pour les autres réacteurs, l'IRSN estime que les éléments apportés par EDF sont convaincants.
S'il est positif d'améliorer la sûreté d'un réacteur, il faut au préalable que celui-ci soit conforme à ce qu'il doit être. C'est un enjeu très important. Ajouter des mesures supplémentaires est inutile s'il existe « des trous dans la raquette ». L'IRSN estime que la conformité des installations représente un véritable enjeu. Si le niveau de sûreté des installations d'EDF est satisfaisant, l'IRSN considère néanmoins que des progrès restent à faire dans la maîtrise de la conformité.
Il existe donc deux défis majeurs : les accidents graves - celui du radier est majeur, mais il en existe d'autres - et la conformité, un enjeu très important qui va au-delà de la question des prolongations d'exploitation.
Concernant les moyens financiers d'EDF, je n'ai pas vraiment de réponse. L'IRSN ne s'occupe pas des finances. Néanmoins, s'il y avait des dérives, nous pourrions les constater au travers de la capacité d'EDF de répondre à nos questions, ou de la pertinence de l'organisation.
Le réchauffement climatique est pris en compte, notamment à l'occasion des quatrièmes visites décennales. Sur ce plan, il existe un référentiel « Grand chaud ». En 2003 et 2006, les températures ont été particulièrement élevées en France. Dans un certain nombre de centrales, les températures limites des équipements ont été dépassées. EDF a fait un important travail pour prévenir une reproduction de ces difficultés, notamment en installant des matériels résistant mieux à la chaleur, et en augmentant la capacité d'un certain nombre d'échangeurs de chaleur. Ce sujet est scruté.
Les alimentations électriques constituent l'un des éléments importants pour la sûreté des réacteurs. Chaque réacteur dispose de deux alimentations électriques externes, les grandes lignes arrivant sur les centrales, et de deux diesels de secours. Un troisième diesel, dit ultime, n'est pas encore en service dans l'ensemble des installations, l'ASN ayant autorisé par dérogation un report jusqu'en 2020. Ce dispositif présente certaine faiblesses.
Aujourd'hui, pour faire face à cette situation de canicule que nous n'avions pas anticipée, les deux diesels de secours sont donc essentiels. Voici quelques semaines, l'IRSN a recommandé à l'ASN de demander à EDF de tester leur fonctionnement en situation de canicule. En effet, ils utilisent l'air ambiant à la fois comme comburant et refroidisseur. De ce fait, une température élevée peut avoir un effet sur leur efficacité, et les rendre moins opérants qu'attendu en cas d'accident. Ces tests devaient être réalisés à la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly, en profitant de la canicule.
Dans votre contrat d'objectifs et de performance, vous devez examiner la mise en service du réacteur EPR de Flamanville. Ce sujet est assez grave, on n'est pas loin du scandale. Je pense que l'Office s'en saisira. Je voudrais vous parler de l'organisation. Au fond, quel est le fonctionnement et l'articulation entre les instituts, les autorités, les commissions, les services de l'État et l'opérateur EDF ? L'EPR de Flamanville est en construction depuis longtemps. On s'est aperçu au début qu'on ne savait plus faire du bon béton, ensuite qu'Areva ou ses sous-traitants avaient fait des faux en écriture pour les équipements sous pression. Maintenant on découvre des problèmes sur des soudures réalisées depuis longtemps, puisqu'elles sont à présent dans le béton coulé voici quatre ans. L'ASN nous dit qu'il va falloir refaire huit de ces soudures.
Pourquoi s'en aperçoit-on seulement quelques mois avant de charger cette centrale en combustible nucléaire ? Pourquoi ne s'en est-on pas aperçu voici trois ans, avant de couler le béton ? Que s'est-il passé ? Des gens font-ils autre chose que de regarder des rapports, en allant voir les soudures pour vérifier si elles sont bonnes, les radiographier, etc. ?
Bien que de nombreuses personnes, toutes plus intelligentes les unes que les autres, s'occupent de ce sujet, on laisse passer des défauts sur des soudures essentielles, et l'on s'en aperçoit trois ans après. Il faut tout casser, ce qui coûtera une fortune ! Qui est responsable, et qui va payer ?
Je ne suis pas sûr d'avoir la réponse à toutes vos questions. Ce qui est clair dans le cas présent, c'est qu'il y a une succession de défaillances. Concernant les soudures spécifiquement, sur un chantier de cette ampleur, il n'est pas anormal de relever des écarts et des dysfonctionnements.
Le cumul est particulièrement important. D'une part, il y a un défaut de transmission par Framatome des spécifications requises pour ces soudures au sous-traitant. Ces soudures s'inscrivant dans une démarche d'exclusion de rupture, elles ne peuvent pas se rompre. Cette démarche n'est pas qu'une déclaration administrative. Elle doit s'accompagner de preuves en termes de qualité de conception, de fabrication, de contrôle et de surveillance. Force est de constater que l'ensemble des échelons ont failli. L'IRSN l'a mentionné dans son rapport, mais cela renvoie à un autre sujet qu'un simple problème métallurgique. EDF doit s'interroger sur ses processus internes. Je peux difficilement vous en dire plus.
Il en va de même pour les déclarations. Apparemment, les problèmes étaient connus depuis un certain temps au sein d'EDF. Pour quelle raison n'ont-ils pas été remontés ? Je n'ai pas la réponse à cette question.
Sur 150 soudures en exclusion de rupture, un peu plus de 60 présentaient des défauts. EDF a admis assez rapidement qu'il convenait de réparer les soudures facilement accessibles, ce qui était conforme au point de vue de l'IRSN. Pour 8 soudures, EDF a souhaité, dans un premier temps, entrer dans une logique de démonstration de leur qualité suffisante. L'IRSN a considéré que c'était impossible et que la bonne solution consistait à réparer.
L'Office parlementaire sera conduit à approfondir ce sujet rapidement. La question posée par Bruno Sido est majeure, sur le fond naturellement, mais aussi en regard du rôle de notre institution. Nous ne sommes pas simplement un club épris de connaissances scientifiques à vulgariser et à diffuser auprès de nos collègues parlementaires.
L'Office, de par ses origines, son fondement juridique, en particulier les lois de 1991 et 2006, a vocation à évaluer les situations. Nous sommes une délégation parlementaire chargée de l'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Sur un certain nombre de sujets de nature technique, technologique et scientifique, nous avons à nous prononcer.
Ce qui nous a été dit par l'ASN était très intéressant, mais mériterait au moins une audition contradictoire. Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son. Nous sommes des maîtres d'ouvrage dans nos collectivités locales. Quand on connaît la complexité de la moindre construction scolaire ou sportive, je n'imagine pas un seul instant qu'il n'y ait pas des procédures itératives, permanentes, entre le maître d'ouvrage, le maître d'oeuvre, les équipementiers, les sous-traitants et la réglementation. Si ces procédures n'existent pas, c'est à se taper la tête contre les murs. On ne peut pas imaginer que ce qu'on demande au moindre élu local pour construire une crèche ne soit pas mis en oeuvre par des organismes nationaux pour construire une centrale nucléaire.
Je suggère que l'Office parlementaire puisse organiser rapidement une audition pour connaître au moins le point de vue des différents acteurs. Je ne parle pas d'une commission d'enquête, qui nous amènerait à conduire de nombreuses auditions. Nous saurions le faire, mais cela demanderait plusieurs mois. Une audition contradictoire permettrait de nous éclairer un peu plus. Le degré d'information dont nous bénéficions aujourd'hui à cet égard est très insuffisant pour assumer notre mission d'office parlementaire d'évaluation.
Cette situation est effectivement insatisfaisante. L'IRSN se tient complètement à votre disposition si vous engagez cette action.
Récemment, une députée allemande du parti des Verts m'a expliqué les causes de son engagement politique. Elle a grandi dans la région sud-ouest de l'Allemagne, entre Fribourg et Vieux-Brisach, dans le Bade-Wurtemberg. Quand elle était jeune, dans son école, ils faisaient des exercices en cas d'accident nucléaire à Fessenheim. Les enfants apprenaient à se mettre sous les tables, à prendre des pilules d'iode, etc. Elle en était sortie totalement traumatisée, ce qui est à l'origine de son engagement politique.
Cela suscite plusieurs questions. Mesure-t-on le fait que nos centrales, quand elles sont proches d'une frontière, entraînent des exercices d'accidents nucléaires dans le pays voisin ? Tout cela est-il discuté dans le cadre du réseau européen des organismes techniques de sûreté ETSON (European Technical Safety Organisations Network) ? Avons-nous des exercices similaires chez nous ? Le niveau d'évaluation est-il finalement le même ?
Par chance ou par hasard, les trois grands accidents nucléaires civils n'ont, à chaque fois, concerné qu'un seul pays de manière importante. Aux États-Unis, les rejets de l'accident nucléaire de Three Mile Island étaient limités. En URSS, les conséquences de Tchernobyl sont restées limitées au périmètre de la fédération. Aujourd'hui, l'Ukraine et la Biélorussie n'en font plus partie. Au Japon, l'essentiel de la contamination est partie dans l'océan.
En revanche, il est clair que des accidents nucléaires de ce type en Europe seraient transfrontaliers. Aussi existe-t-il un certain nombre d'actions partagées, notamment celles des autorités de sûreté, mais je ne vais pas m'exprimer en leur nom. En ce qui concerne les organismes d'appui technique, le réseau ETSON regroupe tous les équivalents de l'IRSN en Europe.
Comme indiqué dans mon introduction, l'IRSN rassemble l'ensemble des disciplines liées à l'évaluation des rayonnements ionisants. Ce champ varie selon les pays. Tous les organismes ne sont pas organisés de la même manière. Dans le cadre du réseau ETSON, notre objectif est de partager les approches d'évaluation de sûreté. Nous élaborons en commun des approches de sûreté, et dès qu'apparaît un sujet technique, nous avons beaucoup d'échanges. Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui en Europe, la logique est que la responsabilité, installation par installation, appartient au pays concerné, même s'il y a beaucoup d'échanges européens.
Nous mettons actuellement en oeuvre des échanges sur la gestion de crise. Les organismes techniques de sûreté n'étant pas tous impliqués dans ce sujet comme l'est l'IRSN, cela rend plus compliquée cette interaction. Après l'accident nucléaire de Three Mile Island, l'IRSN a mis en oeuvre une démarche très structurée intitulée 3D3P (triple diagnostic et triple pronostic). Les exercices réalisés en France, avec l'ASN, EDF et les pouvoirs publics, s'appuient sur cette démarche qui permet de structurer les échanges. Nous considérons que cette méthode est efficace. Aujourd'hui, nous la promouvons à l'international. L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) s'en est saisie et nous travaillons avec les Américains.
Je confirme que dans les journaux allemands. Fessenheim occupe une rubrique à part entière, alimentée quasiment quotidiennement. Par ailleurs, l'annonce de sa fermeture n'est pas pour rien dans la signature du traité d'Aix-La-Chapelle, renforçant l'amitié franco-allemande, en tout cas la coopération transfrontalière.
Concernant cette fermeture confirmée de la centrale nucléaire de Fessenheim, on imagine que, dans un premier temps, interviendra la dépose du combustible, éventuellement suivie d'une phase de démantèlement, dont on ignore l'ampleur. Le paragraphe de votre rapport annuel consacré au démantèlement, en page 22, concerne uniquement les installations du CEA. L'IRSN sera-t-il mobilisé par cet exercice nouveau consistant à déconstruire une centrale nucléaire, et dans quelle mesure ? Imaginez-vous qu'il puisse y avoir des risques pour l'environnement ou les populations durant cette phase ? Avez-vous une idée de la durée de cette opération ?
L'IRSN évalue l'ensemble des risques. Évidemment, nous serons sollicités pour le démantèlement des installations, qui comprend plusieurs étapes après leur arrêt définitif. La première étape consiste à évacuer toutes les matières présentes dans l'installation : le combustible qui concentre l'immense majorité du risque, mais aussi un certain nombre de produits issus de l'exploitation, comme des résines. Cette première étape permet de réduire de manière très importante le contenu radiologique.
Une fois cette étape réalisée, l'installation reste nucléaire. Ce n'est pas parce que le combustible a été évacué que les risques ont disparu. L'ensemble des procédures continuent à s'appliquer. Des enquêtes publiques et des décrets sont requis réglementairement pour entrer dans cette phase.
Techniquement, il faut distinguer les installations. Pour les 59 réacteurs à eau pressurisée français, EPR compris, l'IRSN considère qu'il n'existe aucun obstacle technique rédhibitoire à leur démantèlement. Aujourd'hui les techniques et les méthodes de démantèlement sont connues. Aux États-Unis, des réacteurs ont déjà été démantelés. Je parle bien des réacteurs existants.
Néanmoins, le démantèlement reste une activité à risque, lequel évolue dans le temps. Au début, le risque est beaucoup plus radiologique. Au fur et à mesure de l'élimination de la radioactivité, d'autres risques prennent le dessus, majoritairement pour les travailleurs, plus que pour l'environnement, même si les risques environnementaux ne peuvent être exclus, en raison de la contamination.
Ces projets sont complexes. Même si nous estimons qu'il n'y a pas d'obstacle technique rédhibitoire à la réalisation des démantèlements, nous considérons qu'ils doivent être gérés par des processus, comme tout projet industriel. Le démantèlement d'un réacteur à eau pressurisée demande vingt à trente ans. Cela peut être probablement plus rapide, en fonction des moyens mobilisés.
D'autres installations sont beaucoup plus compliquées à démanteler. En France, EDF n'a pas encore précisément identifié la manière de démanteler les six réacteurs nucléaires de la filière à l'uranium naturel graphite gaz (UNGG), qui comprend des empilements de plusieurs milliers de tonnes de graphite. EDF envisage un démantèlement très éloigné.
Même si l'on ne fait rien avec une installation, elle nécessite d'être entretenue et maintenue. Il existe des contrôles périodiques. On ne laisse pas une installation en l'état. Elle doit faire l'objet de réexamens décennaux de sûreté. La réglementation française demande un démantèlement aussi rapide que possible. Techniquement, c'est très satisfaisant, parce que cela permet de bénéficier des compétences et des connaissances disponibles. Il faut limiter le vieillissement. Donc, il y a un intérêt à démanteler très vite.
La présence du radon dans certaines habitations peut causer des problèmes de santé. Comment accompagner les habitants et les aider à remédier à ces problèmes ? Comment abaisser le niveau de concentration du radon dans les habitations ? Quels travaux, quelles actions sont réalisables ?
Ma deuxième question porte sur l'effet cancérigène des rayonnements ionisants. Il est établi, pour des doses modérées à élevées sur des personnes exposées fréquemment. Vous avez établi un bilan. Quel est-il ? Quelle suite donner à ce bilan ?
Troisième question : quelles leçons principales le Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle (CODIRPA) a-t-il tiré de l'accident de Fukushima ?
Le radon est un gaz issu de la désintégration de l'uranium. Quand le radon se crée, ce gaz a tendance à se propager dans les fissures et à atteindre l'air libre. Si c'est le sous-sol d'une maison par exemple, il peut s'accumuler à des niveaux variables, parfois importants.
Sur le principe, c'est assez simple à traiter. Il faut étanchéifier et aérer les maisons. Dans les faits, ce n'est pas toujours aussi facile. L'IRSN, dans sa démarche d'ouverture à la société et de sensibilisation à la gestion du risque, a réalisé une action en Haute-Vienne, en accord avec les élus locaux et les autorités locales. C'est une région où il y a potentiellement du radon.
Dans une première étape, nous avons proposé à des habitants de les doter d'appareils de mesure du radon. Environ 800 habitants sont venus en emprunter. La plupart de ceux-ci ont réalisé la mesure. Le seuil de référence est de 300 becquerels par m3. Nous avons constaté un dépassement de ce seuil dans une grande partie des maisons. 8 % étaient au-dessus de 2 500 becquerels par m3.
Dans une seconde étape, nous avons proposé aux personnes qui le souhaitaient d'effectuer des travaux elles-mêmes. Nous avons conclu un accord avec la Fédération française du bâtiment et un lycée technique local pour leur proposer des méthodes pour réduire le risque radon. Une partie des habitants l'ont réalisé de manière efficace. Il restait quelques cas où la concentration importante en radon a nécessité un suivi plus personnalisé des travaux d'étanchéité ou de ventilation.
L'IRSN n'a pas vocation à étendre cette action à toute la France. Cette démarche expérimentale visait à démontrer que la méthode pouvait fonctionner et être reproduite. L'IRSN a apporté une plus-value technique avec ses dosimètres, et surtout en montrant la faisabilité.
Quel est le risque du radon ? En 2018, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a rendu publique une étude commanditée par l'INCa, à laquelle les agences sanitaires françaises ont contribué, dont l'IRSN pour le risque ionisant. Cette étude posait la question suivante : quels sont les cancers attribuables à l'environnement, à la pollution, aux rayonnements ionisants, etc., ou au mode de vie (tabac, alcool....) ? Cette étude a conclu que 140 000 cancers sont attribuables à l'environnement, dont 6 000 aux rayonnements ionisants : 4 000 au radon et 2 000 au médical. Malgré les incertitudes importantes, cela donne une idée de l'ampleur du risque radon.
Si l'on retient 4 000 cancers liés au radon, ceux-ci ne représentent que 10 % à 15 % des cancers du poumon, leur cause principale étant liée au tabac. Statistiquement, l'essentiel de ces cancers concernerait des régions où la concentration en radon est inférieure au seuil de référence de 300 becquerels par m3, pour une raison très simple : ce sont les régions les plus nombreuses.
Nous avons deux axes de travail : un sujet de santé publique dans la durée, en travaillant notamment sur les normes de construction, et des sujets plus ponctuels, relatifs à des situations particulières. Les agences régionales de santé (ARS) ou la direction générale de la santé (DGS) nous saisissent régulièrement pour des habitations dans lesquelles les niveaux de présence de radon sont très importants. La contribution de l'IRSN est double : la dosimétrie avant et après travaux, ainsi que l'évaluation du risque induit par ces niveaux élevés.
Sur les effets cancérigènes des rayonnements ionisants, l'IRSN conduit un certain nombre d'études épidémiologiques. Depuis 50 ans, nous suivons une cohorte de 90 000 travailleurs dans le secteur nucléaire. Elle est très bien renseignée. La réglementation exige des examens médicaux, etc. La principale conclusion de cette étude est qu'aujourd'hui le système international de radioprotection, c'est-à-dire le concept de « relation linéaire sans seuil », n'est pas remis en cause : dès qu'on ajoute une petite dose, on ajoute une petite probabilité de cancer. Les résultats de nos études sont corroborés par les études internationales. Les hypothèses du système international de radioprotection ne sont pas remises en cause par ces études.
Je reviens sur le Comité directeur pour la gestion de la phase post-accidentelle (CODIRPA). Cette démarche post-accidentelle a été lancée en 2005. À l'époque, elle pouvait soulever un certain nombre d'interrogations d'acteurs français ou étrangers. L'accident de Fukushima a montré que ce n'était pas une vue de l'esprit.
Un premier travail a été mis en oeuvre après l'accident de Fukushima. Actuellement, nous sommes dans une phase de révision de cette démarche, évoquée dans le rapport. L'IRSN n'est pas le seul acteur à y contribuer. Parmi les grands sujets, il y a notamment l'interface entre la phase d'urgence et la phase post-accidentelle. Tant que les rejets de l'installation accidentée ne sont pas terminés, on est dans une phase d'urgence. Le risque essentiel est l'inhalation du nuage. Une fois que l'installation est raisonnablement maîtrisée, on passe dans la phase post-accidentelle où les vecteurs sont plutôt l'ingestion ou l'irradiation directe.
Avant Fukushima, on faisait une distinction assez claire entre ces deux phases. L'accident de Fukushima a montré que ce n'était pas le cas. La phase post-accidentelle commence alors que la phase d'urgence n'est pas terminée. Ce premier travail de mise en cohérence est en cours.
Le second axe de travail sur cette phase post-accidentelle vise à simplifier les zonages. Il existe différentes zones d'évacuation : celles où les gens ne peuvent pas revenir pour vivre, il en existe toujours au Japon, celles où il faut prendre des précautions pour la vie de tous les jours, et enfin d'autres zones pour la commercialisation des produits agricoles. L'expérience a montré que ce zonage était d'une extrême complexité. Autant la phase d'urgence nécessite des décisions rapides qui ne peuvent être prises que par les autorités, autant la phase post-accidentelle nécessite une implication très importante des populations. C'est un retour de Fukushima.
Le troisième axe de travail vise à tirer bénéfice des nouvelles méthodes de modélisation et de mesure, beaucoup plus efficaces qu'auparavant. Dans la phase post-accidentelle, il faut absolument connaître le degré de contamination de l'environnement. Plus cette information est rapide, plus les marges de manoeuvre sont importantes.
Ces exercices de sensibilisation dépendent beaucoup des CLI. Près du CEA Saint-Aubin, nous avons une CLI extrêmement dynamique, menant beaucoup d'exercices de sensibilisation, de confinement et de distribution de cachets d'iode à tous les collégiens et écoliers, sur un périmètre plus large que le périmètre officiel.
Nous traversons actuellement une canicule en France. Peut-elle avoir un impact sur la production et sur la sûreté des centrales nucléaires ?
En tant que rapporteur sur le budget de la recherche, j'ai une question subsidiaire : vous avez gagné huit projets européens dans le cadre de l'appel à projets H2020. Qu'est-ce qui a déterminé cette réussite, quels sont ces projets, et quelle spécificité vous a permis de les gagner ?
Les effets de la chaleur sur les centrales nucléaires sont multiples. Le premier est environnemental. Une centrale nucléaire doit être située au bord de l'eau, car il lui faut une source froide. C'est un principe de thermodynamique. L'eau est prise puis relâchée. Sur les centrales dotées d'aéro-réfrigérants, l'échauffement de l'eau relâchée est faible, mais pour les centrales qui n'en disposent pas, la température de l'eau peut augmenter de quelques degrés. Ces rejets sont encadrés réglementairement, pour protéger la faune et la flore. En cas de température trop élevée, cette réglementation pourrait aboutir à l'arrêt du réacteur.
Un deuxième aspect concerne la sûreté nucléaire. Les matériels utilisés dans les installations sont conçus pour résister à un certain niveau de température. Au-delà, ils pourraient dysfonctionner, le constructeur ne garantissant pas leur bon fonctionnement, notamment pour l'électronique. Il y a donc des niveaux de température à ne pas dépasser dans les installations nucléaires.
Un troisième aspect porte sur l'étiage. Si le niveau d'eau baissait trop, le réacteur pourrait être en incapacité de se refroidir.
À la connaissance de l'IRSN, il n'existe pas, à ce jour, d'effet direct de la canicule sur le fonctionnement des installations. L'épisode de chaleur d'août 2018 a eu des effets sur certaines centrales, qui ont alors dû réduire leur production. Ce n'est pas le cas cette année, notamment parce que cette canicule arrive vraiment trop tôt. Enfin, je l'ai déjà évoqué, dès les premiers épisodes importants de chaleur en 2003 et 2006, nous avons engagé une démarche générale de sûreté.
Concernant les projets européens de recherche, en réponse aux questions sur le HCÉRES, j'ai indiqué que l'IRSN est très impliqué avec les acteurs de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en Europe. Suite à l'appel d'offres dont les résultats viennent d'être publiés, l'IRSN est présent dans huit des treize projets retenus. Nous sommes leaders de l'un des projets sur les conséquences des accidents radiologiques de type Fukushima ou Tchernobyl, avec injection de réactivité (RIA).
L'IRSN est également présent dans des projets relatifs aux petits réacteurs modulaires SMR (Small modular reactors), aux réacteurs à sels fondus, aux données nucléaires, aux démantèlements, et aux nouvelles approches en radiothérapie. Enfin, l'IRSN participe au programme EURAD (European Joint Research Programme in the Management and Disposal of Radioactive Waste) relatif aux déchets radioactifs, piloté par l'ANDRA, qui est le plus important de cet appel à projets.
Notre succès tient à plusieurs facteurs. Tout d'abord, l'IRSN est un acteur important, de par ses productions, sa taille et les champs qu'il couvre. Ce n'est pas sans effet sur les résultats d'un tel appel d'offres. Ensuite, nous avons une stratégie internationale, dont l'Europe constitue l'axe prioritaire, que ce soit dans le domaine de la recherche ou de l'expertise. Nos outils sont reconnus, par exemple l'outil de simulation des accidents ASTEC (Accident Source Term Evaluation Code). Enfin, nous connaissons bien nos interlocuteurs.
Ces projets vont nous apporter 2,7 millions d'euros de financements, ce qui n'est pas négligeable. Mais ces appels d'offres deviennent de plus en plus compliqués, pour deux raisons : les budgets de recherche se réduisent, et ils attirent de nouveaux acteurs. C'est le cas, par exemple, sur le risque incendie, où l'on voit maintenant apparaître des acteurs non spécifiques, alors qu'auparavant il s'agissait surtout d'organismes de notre sphère.
En conclusion, je vais vous poser deux questions. La première fait suite à la demande qui vous avait été présentée par Mme Barbara Pompili, dans le cadre de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité nucléaire, relative aux alternatives à l'entreposage des combustibles en piscine. Je n'ai pas bien compris la demande de la CNDP sur un sujet à peu près comparable. L'Assemblée nationale est parfaitement légitime à poser ces questions, mais je ne comprends pas très bien dans quel esprit la CNDP vous avait sollicité à cette occasion.
La deuxième question est une observation. Dans votre rapport, en page 25, à propos du suivi du chantier EPR, vous indiquez : « en juillet 2018, l'IRSN a présenté au groupe permanent d'experts pour les réacteurs nucléaires placés auprès de l'ASN ses conclusions sur le rapport de sûreté transmis par EDF en 2015 ». Ce sont donc des conclusions sur le rapport de sûreté, et uniquement sur ce point-là. Vous dites : « à l'issue de son examen, l'Institut n'a pas identifié de points majeurs susceptibles de mettre en cause l'autorisation de mise en service du réacteur, même si des compléments préalables par EDF restent à apporter, concernant notamment la maîtrise des risques d'incendie, la fonction de filtration de l'eau... », enfin tout ce que vous nous avez expliqué.
Le dernier paragraphe m'interpelle. Vous écrivez : « par ailleurs, à la suite des écarts constatés sur des soudures des lignes principales de vapeur, de nombreux échanges avec EDF et l'ASN se sont tenus dans le cadre de l'analyse du programme de remise à niveau présenté par EDF. »
Si je comprends bien, l'ASN et EDF travaillent ensemble pour trouver une solution sur un problème qui avait été identifié et qui vous était connu. Pouvez-vous préciser ?
Je vais commencer par répondre sur l'EPR. Il y a deux grands sujets.
Le premier point concerne la conception et les études. Le principe général du réacteur a été fixé il y a longtemps, mais les études de sûreté ont été développées petit à petit. Le rapport de sûreté, de 40 000 pages, date de 2016-2017. C'est ce travail que l'IRSN a réalisé. Nous avons conclu que les études de sûreté étaient acceptables. Il y a eu beaucoup d'échanges, un certain nombre de sujets compliqués, avec beaucoup d'interactions techniques, notamment concernant les soupapes de sûreté du pressuriseur. Aujourd'hui, nous considérons globalement que le rapport de sûreté est acceptable. Sur le papier, le réacteur est conforme aux objectifs fixés. Il reste encore un certain nombre de questions à régler, mais il n'y a pas de raison qu'EDF n'y parvienne pas. C'est un premier point.
Le deuxième point porte sur la réalisation. Sur le terrain, le réacteur doit être conforme au réacteur prévu sur le papier. C'est toute la question des essais. En ce moment, EDF procède à beaucoup d'essais. Ceux-ci montrent des écarts dans un certain nombre de cas, mais c'est assez naturel, ce n'est pas anormal. Parmi ces écarts, il y a des écarts dans la réalisation.
S'agissant du niveau de sûreté, par rapport aux objectifs fixés au début des années 1990, l'IRSN considère que le compte y est, à quelques détails près. La dernière citation que vous tirez du rapport est une formulation malhabile, car il y a eu sur ce sujet des échanges techniques avec EDF, l'ASN et l'IRSN.
Ce sont des échanges à trois. Vous n'êtes donc pas simplement informé des échanges bilatéraux, vous participez aux échanges à trois.
Il existe des échanges entre EDF et l'ASN, puisque l'ASN a une autorité et une responsabilité que n'a pas l'IRSN, des réunions techniques entre l'IRSN et EDF, avec des experts qui se réunissent autour d'une table, et des réunions à trois avec EDF, l'ASN et l'IRSN, notamment dans le cadre du pilotage de l'instruction.
D'autant plus que sur ce sujet, il existe une spécificité française : l'ASN a des responsabilités techniques sur les équipements sous pression.
Concernant les deux rapports publiés à la demande de la CNDP, celle-ci nous a indiqué, suite à des échanges entre sa Commission particulière du débat public (CPDP) et certains acteurs, qu'elle souhaitait apporter des informations complémentaires au dossier de la maîtrise d'ouvrage, correspondant aux deux rapports mentionnés.
Comme je l'ai dit, le rapport sur les alternatives au stockage en couche géologique profonde est un recensement effectué par l'IRSN, non une position de l'IRSN sur la pertinence ou l'opportunité. Il s'agit vraiment d'une recension. Ce travail original est traduit en anglais. Nous avons travaillé sur des sources ouvertes, notamment de l'AIEA, de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et des agences nationales similaires à l'ANDRA.
Six grands axes ressortent de cette recension : la séparation-transmutation, le stockage par forage, l'entreposage de longue durée, le stockage des déchets sous la glace, au fond de l'océan, et dans l'espace.
Pour des raisons techniques et éthiques, ces trois dernières options ne sont plus explorées. Pour le stockage dans l'espace, la limite technique est la fiabilité du lanceur. Pour le stockage au fond de la mer, il existe deux options, notamment à l'endroit où les plaques se rejoignent, pour que les déchets soient absorbés sous les plaques. Concrètement, ce n'est pas aussi simple...
Il reste les trois premières options, qui continuent à faire l'objet d'études : la séparation-transmutation - à cet égard, cet après-midi, le prix Nobel de physique, M. Gérard Mourou, vient devant le Haut Comité ; le stockage par forage, étudié notamment aux États-Unis, et l'entreposage sur de longues durées, qui pose des questions sur le vieillissement des installations. Quel est l'aléa externe à prendre en compte sur une durée pluri-centennale ? Il est forcément différent que pour des installations qui ne vont durer que soixante ans.
Concernant le rapport sur l'entreposage de combustibles, celui-ci a été préparé dans un temps limité. Nous sommes donc allés à l'essentiel. Nous n'avons pas regardé la variabilité par rapport à un certain nombre d'hypothèses. Ce deuxième rapport élargit le champ de l'analyse de deux manières. D'une part, s'agissant de la nature des combustibles qui pourraient être entreposés à sec, on constate en pratique que les combustibles MOx entreposés dans les piscines de La Hague appartiennent à trois générations. La première génération, la plus ancienne, comprend le taux de plutonium le plus faible. Les combustibles sont sortis du réacteur depuis plus longtemps, donc ils ont plus refroidi. Par ailleurs, comme ils contenaient peu de plutonium, ils étaient moins chauds. En effet, plus la proportion de plutonium est élevée, plus la pente de la courbe de décroissance est faible. Ces combustibles ont donc doublement refroidi plus vite. À l'issue des calculs, nous montrons que les combustibles de première et deuxième générations seraient d'ores et déjà éligibles à l'entreposage à sec.
Pour la troisième génération, le taux de plutonium est de 8,6 %. Les combustibles sont trop chauds, et donc on passe à la deuxième question qui nous était posée relative aux évolutions envisageables de l'entreposage à sec. En effet, pour traiter la première partie de la question, nous nous sommes appuyés sur une référence de capacité thermique des assemblages combustibles, issue de la littérature internationale, de deux kilowatts. Pour la troisième génération, passer à trois kilowatts relâcherait un certain nombre de contraintes.
Vous avez répondu aux questions posées et ouvert des perspectives de réflexion. Surtout, vous prenez à coeur une mission absolument essentielle pour notre pays et nous vous en remercions.
Nous accueillons les membres de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2). Je laisse la parole à son président Jean-Claude Duplessy pour nous présenter le treizième rapport de la commission. Le sénateur Bruno Sido et la députée Émilie Cariou, désignés par l'Office pour évaluer le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), seront naturellement particulièrement attentifs à ses propos.
Je vais commencer très brièvement par ma présentation, puis passerai la parole à mes collègues qui interviendront plus en détail sur certains aspects de notre rapport.
Je voulais saluer également bien sûr tous vos collègues, bénévoles et volontaires, qui agissent par intérêt intellectuel, armés de leurs compétences.
Bénéficiant d'une retraite, après une carrière à l'université ou au CNRS, nous nous tenons à la disposition des pouvoirs publics pour réaliser, bénévolement en effet, des travaux scientifiques.
Nous allons commencer par évoquer le centre industriel de stockage géologique (CIGÉO), dont le site n'a pas été choisi d'un simple coup de baguette magique, ou par une décision arbitraire. Il reflète réellement le résultat d'une analyse scientifique approfondie.
Après le vote de la loi de 1991, M. Christian Bataille avait lancé une large concertation pour trouver des sites où les autorités locales accepteraient de recevoir un laboratoire souterrain de qualification, en vue d'un éventuel stockage ultérieur de déchets nucléaires. Trois sites ont été retenus en 1994 : dans le granite de la Vienne, dans l'argilite du Gard et dans celle de la Meuse - Haute-Marne.
Un ensemble de travaux de reconnaissance extrêmement approfondis ont alors été lancés. Ils ont permis d'opérer un choix sur des bases scientifiques solides, résultant de travaux menés par l'ensemble de la communauté scientifique nationale. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), ainsi qu'un ensemble de chercheurs et d'experts du CNRS et des universités, ont travaillé sur chacun de ces sites, en concertation étroite avec l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), en tant que pilote. Une collecte de données scientifiques de très haute qualité en est résultée. Rien n'avait été oublié.
La CNE avait alors constaté que le site granitique était absolument inapte au stockage de déchets nucléaires, pour une raison simple : ces granites ayant subi des tensions sous les contraintes causées par la formation des Alpes et des Pyrénées, ils étaient fracturés. Les sondages menés par l'ANDRA montraient l'existence de six fractures au mètre : une vraie passoire !
En tant que géochimiste, j'ai vérifié, à partir des analyses de l'ANDRA, les données isotopiques qui permettent de marquer l'eau. Celles-ci ont montré, d'une part, que le mélange est continu entre la nappe phréatique en surface, dans laquelle les agriculteurs pompent, et l'eau profonde dans le granite, d'autre part, que l'établissement du mélange se fait en moins de dix mille ans. Antérieurement, le climat et le marquage des eaux étaient différents.
En conséquence, ce site favorable politiquement n'était absolument pas apte à recevoir des déchets nucléaires. Cette caractéristique est à craindre pour l'ensemble des granites français. Nous n'avons pas la chance d'avoir le grand bouclier granitique dont bénéficient les Suédois et les Finlandais. Nous n'avons que de petites phases de granite, malheureusement peu adaptées à l'usage envisagé. Je ne parlerai donc plus de granite.
La CNE2 considère que le socle de connaissances scientifiques et techniques acquises par l'ANDRA et ses partenaires est solide. La commission apprécie également très favorablement l'effort de synthèse et d'analyse critique entrepris afin de préparer le dossier de demande d'autorisation de création (DAC) de CIGÉO. Aujourd'hui, l'ANDRA dispose des éléments scientifiques et techniques nécessaires pour envisager un dépôt de la DAC en 2020.
Pour autant, la CNE2 attire l'attention sur l'extrême complexité des procédures administratives préalables à la construction et à la mise en exploitation de CIGÉO.
Par ailleurs, la CNE2 constate que les principes de la gouvernance de CIGÉO se mettent en place progressivement, grâce à l'outil que constitue le plan directeur d'exploitation (PDE), élaboré en application de la loi sur la réversibilité. La CNE2 rappelle que la responsabilité du projet CIGÉO incombe à l'ANDRA. En conséquence, c'est à l'ANDRA de proposer le PDE au Gouvernement, en tenant compte des avis des différentes parties prenantes et des évaluateurs. Comment et par qui ces avis seront-ils remis à l'ANDRA pour la préparation, l'exécution, ou l'actualisation du PDE ? La CNE2 suggère la création d'un organe spécifique à cet effet. Enfin, la CNE2 organisera chaque année une audition entièrement consacrée au PDE.
L'extraordinaire complexité des procédures administratives n'est pas notre spécialité. Nous nous les sommes fait expliquer par l'ANDRA. Quand le premier dossier est bouclé, il faut en préparer un deuxième, la déclaration d'utilité publique ne suffisant pas. C'est extrêmement difficile et lourd. Au vu des facilités proposées pour la préparation des travaux de Notre-Dame, une réflexion pourrait être menée pour simplifier celle des dossiers de CIGÉO, dans la plus grande rigueur bien sûr.
Nous souhaitons attirer votre attention sur quatre éléments relatifs aux synergies, qui résultent des auditions de la CNE2.
Tout d'abord, dès lors que l'on se projette dans une phase de construction et non plus de recherche, l'ANDRA, maître d'ouvrage pilotant celle-ci puis l'exploitation, va devoir passer de compétences en matière de recherche à des compétences en matière d'ingénierie et de gestion de projet. L'ANDRA nous indique qu'elle anticipe ce mouvement. Deux cents personnes supplémentaires sont prévues pour travailler dans le domaine de l'ingénierie du stockage géologique.
Par ailleurs, ces mutations sont assez importantes, tant pour l'ANDRA que pour les territoires. Elles ont fait l'objet d'un accompagnement depuis le début des années 2000, qu'il faudra amplifier en matière de formation. Surtout, il faudra faire en sorte que la complexité du stockage ne représente pas un repoussoir pour les entreprises locales, qui doivent pouvoir participer au projet. C'est une question de formation, mais aussi de pilotage de projet avec des moyens modernes, tels que les maquettes numériques qui existent dans d'autres domaines. Aujourd'hui, dans la construction, la maquette numérique représente déjà un obstacle pour des ouvrages assez simples. Pour des ouvrages plus complexes tels que CIGÉO, l'obstacle sera plus grand. Là encore, il faut anticiper, même si l'on peut penser que nous avons un peu de temps avant le début de la construction.
De plus, sur un chantier aussi complexe, le partage des responsabilités est primordial. La CNE2 l'a examiné sur d'autres grands projets en dehors du secteur nucléaire. Il est important de parvenir à une culture collective, par des échanges réguliers, et surtout une ambition commune. La même synergie doit être construite autour de CIGÉO, ce qui nécessite que chaque intervenant, chaque sous-traitant, assume, aux étapes successives, des responsabilités clairement établies, et que l'ANDRA fasse le choix de garder en interne un certain nombre de responsabilités, probablement les plus importantes, qui lui incombent directement, comme elle l'a fait sur d'autres chantiers.
Enfin, cette construction va durer 120 ans. En France, ce sera le chantier du siècle, et probablement du siècle prochain. Il nécessitera une traçabilité et une mémoire inhabituelles pour des ouvrages de génie civil, fussent-ils très importants.
Concernant la gestion des déchets de faible activité, j'attire votre attention sur les déchets de très faible activité (TFA) et les déchets de faible activité à vie longue (FAVL). Pour chacune de ces catégories de déchets, la problématique porte sur la définition d'un inventaire, puis l'identification d'une filière permettant de les traiter.
En ce qui concerne les déchets de très faible activité, leur inventaire est assez précisément connu, dans la mesure où ils sont en grande majorité issus du démantèlement des installations du parc électronucléaire. Il reste quelques incertitudes liées au niveau d'assainissement qui sera souhaité lors du démantèlement des ouvrages. Celles-ci concernent essentiellement des terres et des gravats.
En 2017, la CNE2 a attiré l'attention de l'OPECST sur le transport de ces déchets. Nous sommes heureux de constater que des études d'impact environnemental du transport sont en cours dans le cadre du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). De ce point de vue, le PNGMDR apporte des réponses satisfaisantes, au moins sur le plan scientifique, pour les déchets de très faible activité.
Par contre, les déchets de faible activité à vie longue (FAVL) nous amènent à nous interroger, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, leur définition n'est pas tout à fait claire. Ils correspondent aux déchets qui ne peuvent être stockés ni dans CIGÉO, n'étant pas de moyenne ou haute activité, ni dans le centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES), n'étant pas non plus de très faible activité. Cette définition par défaut ne correspond pas à des caractéristiques précises.
De plus, il ressort des inventaires actuels que les filières ne sont pas identifiées. Il faudra probablement envisager des filières spécifiques à chaque famille de déchets au sein des FAVL que sont les radifères, les graphites et les bitumes. Ce n'est pas grave, mais il faudrait parvenir à les identifier. Identifier une filière, c'est concevoir un stockage, obtenir l'autorisation, le construire et l'exploiter. Il serait bon que les personnes concernées engagent des études qui aboutissent à des conclusions sérieuses.
Nous en avons terminé avec la partie sur la géologie en France et les centres de stockage. Nous allons aborder un second aspect : la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et ses conséquences sur les matières et déchets radioactifs.
Nous avons examiné la PPE en essayant d'imaginer ses conséquences sur la gestion des matières et déchets radioactifs. Une première chose nous frappe : toutes les recherches concernant les réacteurs à neutrons rapides (RNR) et leur déploiement sont repoussées à un horizon lointain. C'est un problème, car cela repousse d'autant toutes les recherches sur la transmutation, qui fondent le développement de ce type de réacteurs de quatrième génération.
Un second élément a une influence : l'absence de RNR pour consommer le plutonium conduit à voir augmenter progressivement la quantité de MOx usés, et par conséquent les besoins de capacités d'entreposage de ceux-ci. Pour éviter la construction de nouveaux entreposages, la PPE prévoit un multi-recyclage de l'uranium et du plutonium en réacteurs à eau pressurisée (REP). Ceci nécessiterait de déployer une nouvelle flotte de réacteurs EPR de deuxième génération, et de créer de nouvelles installations de fabrication et de retraitement d'un nouveau combustible MOx.
Une autre conséquence est celle de l'augmentation de l'inventaire des déchets de haute activité, en particulier ceux comportant le plus d'actinides mineurs.
Notre analyse des conséquences sur la gestion des matières et déchets radioactifs montre que la PPE s'écarte très significativement des objectifs de la loi de 2006. Le fondement d'une telle stratégie, qui repose sur une nouvelle gestion des matières et déchets radioactifs, paraît relativement fragile.
Cette nouvelle stratégie est souvent présentée comme une première étape dans la maîtrise d'un cycle du combustible RNR, puisque pour recycler de l'uranium et du plutonium dans des RNR, il faut aussi construire une usine de fabrication de combustibles et une usine de retraitement. La CNE2 remarque que ces investissements extrêmement lourds ne sont pas directement transposables à une nouvelle filière de RNR ultérieure, car les installations nécessaires ne sont pas exactement les mêmes. En définitive, des installations intermédiaires seront nécessaires pour réaliser le multi-recyclage de l'uranium et du plutonium en REP.
Par ailleurs, la France avait engagé le programme ASTRID, dans la lignée de Phénix et de Superphénix, ce qui la plaçait en pointe dans le domaine des RNR. Aujourd'hui, deux grands pays, la Chine et la Russie, montent significativement en puissance dans ce domaine. En Russie, les réacteurs à neutrons rapides BN-600 et BN-800 fonctionnent actuellement. La centrale nucléaire de Beloïarsk comprend un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium qui fournit à cette ville de l'énergie électrique et de l'eau potable, par désalinisation.
Un autre aspect préoccupe depuis longtemps la CNE2 : la physique, la chimie, et la physico-chimie des actinides sont des disciplines indispensables au développement d'une filière RNR, voire d'une filière de multi-recyclage de l'uranium et du plutonium en REP. Il faut garder une expertise dans ce domaine. Aujourd'hui, le retraitement est réalisé à La Hague. Nous devons continuer à avoir des spécialistes capables de gérer le parc actuel. Cette capacité scientifique et intellectuelle est importante. La CNE2 attire l'attention sur le danger, à terme, d'une pénurie d'experts. Après l'annonce de l'arrêt d'une filière, il est en effet relativement difficile d'attirer de bons cerveaux pour maintenir ce qui est en place.
M. Robert Guillaumont va présenter les nouvelles orientations de la recherche, ainsi que quelques actualités et suggestions.
La PPE laisse entrevoir des réalisations, en particulier le développement d'un avant-projet de réacteur modulaire de faible puissance (en anglais, Small Modular Reactor ou SMR). Ce type de réacteur aurait l'avantage d'être construit par modules, serait caractérisé par une sûreté passive, et pourrait accompagner en appoint le développement des énergies renouvelables, du fait de sa faible puissance et compte tenu de la possibilité de le déployer plus facilement que de gros réacteurs.
La perspective d'utiliser des RNR s'éloignant, une nouvelle approche est également apparue pour réaliser la transmutation des actinides. Pour transmuter des actinides du plutonium, notamment des actinides mineurs, il faut des neutrons. C'est ce que permettaient les RNR. Il faut donc trouver une autre façon de les générer. Un laser de puissance de nouvelle génération produirait des neutrons de 14 mégaélectronvolts (MeV) par une réaction de fusion. Ce laser pourrait accélérer des particules chargées qui, concentrés sur une cible, produiraient ces neutrons très énergétiques. La nouveauté porte sur cette réaction de fusion, les ions étant accélérés par les lasers. Les neutrons seraient injectés dans un réacteur à sels fondus, de conception quelque peu différente des réacteurs actuels, puisque leur combustible est liquide. Les actinides mineurs transmutés se trouveraient dans le combustible.
Si un tel projet peut être envisagé, des défis scientifiques et technologiques majeurs resteront cependant à surmonter. Il faudrait réaliser un laser de très grande puissance nécessitant une technologie innovante. Celle-ci n'en est qu'au stade du laboratoire et appelle d'importants développements. Ensuite, il faudrait développer une nouvelle filière nucléaire fondée sur l'utilisation d'un réacteur à sels fondus, alors qu'il n'existe toujours pas de prototype capable de démontrer sa fiabilité en pratique. Il faudrait également disposer d'une filière industrielle de séparation des produits de fission. Dans ce type de réacteurs, le combustible doit être retraité de façon permanente. Tout cela nécessite une installation télé-opérée de grande ampleur, immédiatement au voisinage du réacteur. Il faut donc coupler deux installations, dont il faut étudier la sûreté et la coexistence.
Compte tenu de leur nouveauté, la CNE2 suivra le développement des réacteurs à sels fondus avec attention. Au stade actuel des connaissances, l'ampleur des développements requis sur le plan scientifique, technologique et industriel pour l'accélération par laser de particules chargées est telle qu'il ne nous semble pas réaliste de fixer une quelconque échéance pour une éventuelle mise en oeuvre industrielle de cette solution. Par ailleurs, il convient de noter qu'elle ne fournirait pas d'électricité, et qu'on ne connaît pas non plus sa consommation en énergie ou son niveau de sûreté.
Tout ceci montre qu'il faut rester vigilant pour l'avenir du point de vue scientifique. Il reste du chemin à parcourir pour relever ces défis. La CNE2 recommande, à la suite de la PPE qui essaie de définir une politique électronucléaire pour l'avenir, de bâtir un nouveau programme de R&D, incluant une recherche fondamentale forte. Ce programme doit regrouper toute la communauté scientifique et technologique autour d'une action d'envergure. Pour attirer une nouvelle génération de talents, il ne faut surtout pas perdre en expertise. Même si les programmes ne sont pas parfaitement définis à ce stade, il faut garder les scientifiques et les technologues pour aborder cette nouvelle orientation résultant de la PPE.
Si l'on veut garder des compétences pour préserver le futur, la communauté scientifique doit s'impliquer fortement, en ayant le sentiment de réaliser quelque chose d'utile au pays, avec de belles publications internationales à la clé. C'est notre recommandation.
La CNE2 ayant notamment pour mission de suivre le panorama international, MM. Thegerström et Deconinck nous sont d'un précieux secours et je leur donne la parole.
Le stockage géologique des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue est la solution de référence dans quasiment tous les pays dotés d'un programme nucléaire. Ce point a été vérifié par des organismes internationaux.
Les pays nordiques, qui ne retraitent pas les combustibles, sont très avancés. Un stockage de combustibles usés est déjà en construction en Finlande depuis quelques années. En Suède, le dossier d'autorisation de construction (DAC) a été déposé en 2011, et le feu vert a été donné par les autorités de sûreté voici deux ans. La décision finale du gouvernement suédois est prévue en 2020.
Dans ces pays, la prise de décision comporte deux niveaux principaux : d'une part, les décisions sur la définition d'une démarche pour ces programmes très longs, le choix d'un site, le choix d'un concept de stockage - deux choix liés, le concept devant être adapté aux caractéristiques du site - et la préparation d'une demande d'autorisation de création d'un stockage ; d'autre part, les décisions concernant l'acceptation de la demande, laquelle peut demander plusieurs années, et l'autorisation de construire, d'exploiter et de fermer le stockage.
En Finlande, le processus évolue de manière positive. Mais dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni, l'Allemagne ou la Suisse, diverses initiatives n'ont pas abouti, en raison d'un manque de transparence et de participation des parties prenantes. Par contre, en Finlande et en Suède, les citoyens, les autorités locales, les autorités de sûreté et environnementales, ainsi que les évaluateurs scientifiques, ont été activement impliqués. Le franchissement de chaque étape requiert un processus transparent et participatif, associant l'ensemble de ces parties prenantes, pour permettre au Gouvernement de disposer des éléments nécessaires à la prise de décision.
La CNE2 souligne que, dans la plupart des pays, ces processus de décision transparents et participatifs sont souvent très longs, d'une durée supérieure à dix ans, avec des recours possibles. Il faut absolument éviter un enlisement des procédures parce que, d'une part, les connaissances et les procédures évoluent dans le temps, d'autre part, un tel enlisement pourrait reporter la charge de la gestion des déchets sur les générations futures. Or, c'est à nous qu'il incombe de trouver des solutions pour les déchets que nous générons.
Le tour d'horizon est terminé. Vous trouverez tous les détails dans notre rapport que nous rendrons public, si vous nous en donnez l'autorisation. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Je renouvelle les remerciements de l'Office parlementaire aux membres de votre commission nationale. Vos contributions ont le mérite de la précision, de la clarté, de la brièveté et de l'engagement. Je vous indique clairement que nous souhaitons naturellement la publication et la large diffusion de votre rapport.
Le projet de loi relatif à l'énergie et au climat est en cours d'examen à l'Assemblée nationale, et sera discuté au Sénat dans la deuxième quinzaine de juillet. On ne peut pas régler ces questions sur un coin de table, compte tenu de l'importance de l'enjeu et des décisions à prendre. En ma qualité de président de l'Office, je vous propose de nous rencontrer lors de cet examen au Sénat, car vous avez fait un lien pertinent entre la gestion des déchets, la continuité de la recherche, et les pistes ouvertes par les SMR. J'ai eu l'occasion d'effectuer une visite passionnante de TechnicAtome, qui porte ce projet. En revanche, le report du RNR est très problématique. Pour le reste, je n'ai pas d'autres observations.
Il se trouve que Mme Émilie Cariou, M. Bruno Sido et moi-même, sommes parlementaires de la Haute-Marne et de la Meuse. À titre personnel, avec Bruno Sido, nous avons toujours soutenu le projet CIGÉO en raison de considérations nationales. Il ne faut pas laisser aux générations à venir un problème sans solution. Par ailleurs, nous considérions que le développement d'une culture de la gestion des déchets nucléaires, avec toutes les technologies extraordinairement complexes associées, la création de nouvelles activités et la possibilité pour les entreprises existantes de développer leur savoir-faire, représentaient une opportunité pour nos deux départements.
Lorsque vous nous dites que la France ne bénéficie pas d'un bouclier granitique, cela dissipe la crainte qu'on dise qu'on choisisse la Meuse et la Haute-Marne simplement parce qu'elles acceptent des déchets venant de n'importe où ! Mais vous indiquez que le sous-sol a une véritable singularité, avec l'argilite du Callovo-Oxfordien qui constitue une richesse spécifique. J'étais ministre de l'industrie lorsque le processus de recherche des territoires a été lancé. Ce sous-sol adapté et unique légitime le caractère national de notre démarche. De plus, la densité de ces territoires étant limitée à une douzaine d'habitants au kilomètre carré, il est plus facile de discuter avec les populations et d'essayer de les convaincre.
Vous avez dit que le processus est long, qu'il ne faut pas qu'il s'enlise. Nous partageons totalement cette approche. Que le processus soit long, cela ne nous dérange pas, je parle en tant que sénateur de la Meuse. Au contraire, ce processus nous rassure. Nous préférons un système qui avance lentement mais régulièrement, avec méthode, rigueur et transparence, avec des analyses contradictoires, de sorte que nous puissions examiner les situations dans leur détail. D'ailleurs, l'ambiance n'est pas si mauvaise. Je suis témoin du fait que le débat public voulu par la CNDP a pu se tenir, y compris sur le site, ce qui n'avait pas été le cas il y a six ans lors du débat précédent.
La maturité de la population sur ce sujet s'est accrue, ainsi que l'exigence de transparence et d'information. À la demande de Mme Émilie Cariou, les solutions de stockage sont examinées en permanence, de façon parallèle, pour éviter tout risque de position unilatérale et un peu forcée.
Je vous remercie pour votre apport décisif à la réussite de cette filière que je pense profondément utile à l'avenir de notre pays, de l'Europe et du monde. Le nucléaire n'est pas le complément du renouvelable, il en est la condition.
J'ai plusieurs questions précises, notamment sur la réversibilité, dont on n'a pas beaucoup parlé. Selon quels facteurs évolue le coût technique et financier de sa mise en oeuvre ? Peut-on l'assurer jusqu'à la centaine d'années prévue par la loi ?
Concernant les filières de formation et la gestion des compétences, vous avez été très clairs sur l'importance de maintenir une expertise.
Comment allez-vous analyser, et, le cas échéant, prendre en compte les débats organisés par la Commission nationale du débat public (CNDP) ?
Vous avez évoqué le report du développement des RNR. Est-il justifié de continuer la fabrication du combustible nucléaire MOx recyclable, dont vous avez dit qu'elle augmenterait les stocks, alors même que son utilisation n'est pas assurée. Que recommandez-vous en la matière ?
Sur le plan international, vous précisez dans votre rapport que dans tous les pays, le franchissement des différentes étapes dans la réalisation d'un stockage requiert un processus participatif et transparent. Afin de disposer d'un point de comparaison, pourriez-vous présenter l'organisation de ce processus participatif dans les autres pays ?
Vous avez proposé la création d'un organe spécifique en charge du plan directeur d'exploitation (PDE). Celui-ci doit-il être indépendant, ou rattaché à l'ANDRA ?
Concernant la recherche en France, compte tenu des changements intervenus récemment dans l'orientation des recherches sur la gestion des déchets radioactifs, la répartition des rôles entre les différents organismes de recherche français vous semble-t-elle optimale, ou conviendrait-il de la revoir ?
Pour conclure, le processus administratif long et complexe ne me dérange pas. Je suis très attachée à la protection du patrimoine, même si je pense que les choix qui sont faits et les décisions qui sont prises ont moins d'impacts environnementaux et en termes de santé publique pour Notre-Dame que pour la gestion des déchets nucléaires.
Je vous ai bien écoutés, et je suis très surpris. Je crois savoir que les MOx usagés produisent des isotopes plus complexes, plus chauds, etc. Si j'ai bien compris, on va les recycler une deuxième fois. On va de complexités en complexités et d'interrogations en interrogations. À la fin des fins, il faudra bien stocker ces déchets en profondeur. Le problème se complexifie à chaque fois qu'on remet ces MOx dans un réacteur nucléaire.
Concernant le projet de loi « énergie et climat », je ne reviendrai pas sur la procédure qui me semble tout à fait extraordinaire, puisqu'il nous est demandé de déjà déposer les amendements au Sénat, alors que le texte est encore en cours de discussion à l'Assemblée nationale. Quant à la PPE, elle propose un nouveau réacteur SMR, dont on n'a presque pas entendu parler, contrairement au programme ASTRID, dont le concept était pratiquement finalisé. En l'abandonnant, on abandonne aussi les espoirs de transmutation.
Ce SMR est un réacteur à eau pressurisée traditionnel, d'une puissance réduite de 160 mégawatts, fabriqué à la chaîne en usine, et qui peut être installé seul ou jumelé. Le réacteur à neutrons rapides est beaucoup plus intelligent, compliqué et prometteur. ASTRID le préfigurait. Mais il est abandonné.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les RNR ? Je constate que la PPE semble contredire la loi de 2006, ce qui est grave. Un État doit avoir une continuité dans sa politique énergétique, quelle que soit la forme d'énergie, verte, renouvelable, etc. Si l'on change tous les cinq ou dix ans, cela ne peut pas fonctionner. Par conséquent, comment voyez-vous l'avenir de la filière nucléaire si l'on ne prend pas la décision de construire un réacteur à neutrons rapides ? Le RNR nous garantissait mille ans d'approvisionnement en énergie ! C'est un gâchis phénoménal. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ma première question porte sur les colis d'enrobés bitumineux. Conformément à votre proposition, que nous avons soutenue, une expertise scientifique pluridisciplinaire et internationale a été mise en place par l'ASN depuis l'été 2018. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l'avancement de ses travaux, auxquels certains d'entre vous ont peut-être assisté ?
Ensuite, j'ai la même question que ma collègue Émilie Cariou sur le processus transparent et participatif en Finlande et en Suède. Quelle comparaison peut-on faire avec la France sur la proportion de la population qui participe réellement, sur sa diversité, etc. Voyez-vous des différences et des points d'améliorations ?
Dernière question : en Allemagne, où la gestion des déchets de haute activité à vie longue issus des centrales nucléaires a posé quelques questions, savez-vous quelles solutions seraient envisagées à ce jour par nos voisins ?
Concernant la R&D, M. Robert Guillaumont a parlé de réacteurs à sels fondus. J'avais cru comprendre que cette technologie n'avait pas le vent en poupe. Pouvez-vous nous en dire plus ? Est-ce véritablement une piste pour l'avenir ?
Je m'intéresse plus particulièrement aux politiques de recherche. Votre rapport indique que l'ANDRA dispose désormais des éléments scientifiques et techniques nécessaires pour déposer la demande d'autorisation de création du centre de stockage CIGÉO pour 2020. Dans ces conditions, le laboratoire de Bure a-t-il encore une utilité pour les chercheurs, et si oui laquelle ? Serait-il envisageable d'en faire un grand instrument international de recherche, cela pourrait-il avoir du sens ?
D'un point de vue strictement financier, aujourd'hui, rien n'est prévu pour permettre d'exercer la réversibilité. Si quelqu'un souhaite revenir en arrière sur le stockage, il lui faudra fournir le financement pour le faire.
D'un point de vue technique, est-on capable d'assurer la réversibilité sur une centaine d'années ? L'ANDRA, conformément à la loi sur la réversibilité, a l'obligation de démontrer que, techniquement, il est possible de récupérer les déchets. Elle doit se mettre en capacité d'apporter les éléments techniques et scientifiques qui permettent de le faire. Ces éléments seront étudiés par l'ASN au moment du dépôt de la demande d'autorisation de création.
Nous proposons la création d'un organisme qui soit dédié au plan directeur d'exploitation (PDE). Dans mon esprit, il s'agirait d'une structure semblable aux groupes permanents d'experts de l'ASN. L'ANDRA est responsable du projet, de la même façon que l'ASN l'est de la sûreté. Les deux situations sont comparables. Au travers des groupes permanents placés sous sa responsabilité, l'ASN obtient l'avis des experts, et de la société civile. In fine, l'ASN prend la décision.
Il faut que l'ANDRA, responsable du projet, prenne la décision et la propose au Gouvernement, qui peut rejeter cette proposition. Il serait très malsain de déposséder l'ANDRA de son corpus de responsabilité, car sans responsable on irait n'importe où. Est-on obligé de faire une pause ? Est-il souhaitable de faire une pause ? Faut-il carrément revenir en arrière ? Tout ce qui concerne l'élaboration du projet de développement doit être décidé sous la responsabilité de l'ANDRA.
La responsabilité des travaux est bien du côté de l'ANDRA. Il revient à l'ANDRA de faire le travail. Par contre, il est important de confier les revues de réversibilité à un organe indépendant.
Si l'on prévoit de déposer la demande d'autorisation de création en 2020, le laboratoire est-il encore justifié ? Faut-il en faire un grand instrument international ?
Si mes souvenirs sont bons, la présence du laboratoire sur le site actuel est actée jusqu'en 2030. Faut-il le conserver ensuite ou le fermer ? Ma réponse n'est probablement pas politiquement correcte, mais les procédures pour construire CIGÉO étant longues, il n'est pas du tout sûr qu'en 2030 nous ayons les moyens de faire des expérimentations au fond, même dans le cadre de la phase industrielle pilote de CIGÉO. J'aurais tendance à dire qu'il faut se préparer à avoir besoin de grands instruments pour continuer à qualifier le stockage géologique. C'est peut-être une réponse de Normand, mais à ce stade je ne vois pas comment on peut envisager avec certitude la fermeture du laboratoire dès après 2030.
Une question complémentaire : pour ce faire, faut-il inscrire dès maintenant des financements supplémentaires dans les budgets ?
J'ignore la mécanique de financement des grands projets. Mais il est certain qu'il faudra bien financer ce qui ne se fera pas dans la phase industrielle pilote de CIGÉO.
- Présidence de M. Patrick Hetzel, député, vice-président de l'Office -
La question posée serait pertinente si l'on avait eu le détail du plan de financement des fameux 25 milliards d'euros. Je l'ai réclamé par amendement, et par question écrite. Pour l'instant, on n'a pas vraiment les projections financières. Effectivement, cela devrait faire partie de l'estimation financière des trois solutions de traitement des déchets.
Vous faites bien de rappeler qu'il serait temps que la représentation nationale puisse disposer des informations que vous indiquez. La discussion de ce matin montre tout l'intérêt de vos amendements.
Le même problème se pose en Suède et en Belgique. Je connais mieux la situation en Belgique, où le laboratoire souterrain existe depuis 1981. Les travaux scientifiques y continuent. L'exploitant de centrales nucléaires ENGIE n'est pas du tout enthousiaste pour continuer à payer pour la recherche dans le laboratoire souterrain. Mais nous considérons qu'elle est essentielle pour conserver les connaissances et motiver les chercheurs qui devront réaliser tout ce qu'il faudra dans la décennie à venir. Dans le cadre de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de Vienne, nous avons inscrit le laboratoire souterrain en tant que centre ouvert à tous les pays membres de l'Agence.
Pour conclure, le laboratoire souterrain est indispensable jusqu'en 2030. Ensuite, il faudra mener une réflexion. Quant à en faire un grand instrument international, nous avons l'excellent exemple de nos collègues belges. Le CNRS et l'ANDRA avaient examiné si ce laboratoire souterrain pouvait être utilisé pour des programmes de recherche complètement autres. Ils n'en ont pas trouvé. Par exemple, pour les physiciens nucléaires qui veulent étudier le rayonnement cosmique ou s'en affranchir, on dispose déjà du laboratoire souterrain de Modane, meilleur de ce point de vue. Lorsque j'étais au CNRS, on n'a pas trouvé d'utilisation du laboratoire souterrain pour des programmes de recherche autres que la géologie locale.
Je rappelle simplement que la Commission a suivi les travaux de la revue internationale sur le bitume. En tant qu'observateur, j'ai eu l'opportunité de participer à un certain nombre de réunions des experts missionnés sur le sujet des risques d'incendie des enrobés bitumineux. Leur rapport sera rendu d'ici quelques semaines tout au plus. Il ne me revient pas d'en dévoiler le contenu. Cependant, un élément important avait motivé cette revue internationale : l'utilité d'avoir l'oeil neuf de chercheurs sur ce sujet. De ce point de vue, ce rapport sera très positif.
Dès qu'il sortira, ce rapport nous sera transmis par les parties prenantes, ASN ou direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). J'espère que nous l'aurons au plus vite. Nous avons prévu, dès le mois de juillet, de commencer à y réfléchir, de façon à vous présenter l'avis de la CNE2 sur le sujet début septembre. Ce ne sera pas long, nous n'allons pas reprendre la totalité des travaux de la commission internationale, mais essayer de montrer les aspects positifs et négatifs.
De toute façon, le document écrit aura toute son utilité, car il permet d'avoir des éléments actés, en tant que tels. Nous verrons au sein du bureau de l'OPECST si l'on prévoit une audition. Notre agenda est relativement chargé cet automne. Je pense qu'on devrait pouvoir y arriver sur une durée d'une heure, au second semestre 2019.
Certaines des questions posées concernent les MOx et l'intérêt de maintenir une filière MOx. La CNE2 a pour mission d'évaluer les études et recherches sur la gestion des matières et déchets. La filière nucléaire est apparue après le choc pétrolier de 1973. À ce jour, on constate, d'une part, une thésaurisation de l'uranium appauvri provenant de l'enrichissement, d'autre part, une augmentation progressive de la quantité de plutonium immobilisé, à la fois dans les combustibles UOx et MOx usés.
Aujourd'hui, la filière des combustibles MOx, avec les réacteurs autorisés à les utiliser, permet d'économiser 12 % de l'uranium naturel importé, ce qui n'est pas négligeable. Presque tous les débats actuels reposent sur le très bas prix de l'uranium. Ce n'est certainement pas la façon la plus appropriée d'aborder le problème. J'attire votre attention sur le fait qu'il y a quelques années, l'uranium coûtait très cher. La question est la même que pour le pétrole. On entend dire aujourd'hui qu'on va peut-être fermer le détroit d'Ormuz : cela risque de provoquer un certain nombre de conséquences.
En termes d'indépendance énergétique, il s'agit d'utiliser l'uranium et le plutonium. La question véritable posée est la suivante : faut-il continuer à utiliser l'uranium et le plutonium dans les combustibles MOx, sachant que la concentration de plutonium dans les MOx actuels est beaucoup plus faible que dans les MOx destinés aux RNR, où elle s'élèverait à 15 % ? Nous pensons qu'il faut, de toute manière, garder une expertise sur les combustibles MOx, dans la mesure où celle-ci permet, d'une part, des économies d'uranium, d'autre part, de préparer la mise en oeuvre des RNR.
Nous avons beaucoup débattu du multi-recyclage en REP. Pour mémoire, l'utilisation d'un combustible MOx dans un REP nécessite de gérer la dégradation de l'isotopie du plutonium. Après plusieurs passages en réacteur, celle-ci ne permet plus de faire fonctionner le réacteur dans des conditions de sûreté satisfaisantes. Trois à quatre cycles sont envisageables, guère plus. Cela implique aussi que les réacteurs ne fonctionnent pas au maximum de leur taux de combustion. En général, ce taux diminue, pour éviter d'altérer trop vite l'isotopie du plutonium.
Initialement, nous avions mal compris cette proposition de recyclage. En réalité, elle concerne une future flotte de réacteurs EPR, qui reste à mettre en place. Dans ces conditions, la CNE2 estime qu'il y a probablement une étape intermédiaire nécessaire pour conserver cette filière, notamment le recyclage à La Hague. Mais en parallèle, il faut absolument développer, étudier et préparer la fabrication des MOx destinés aux RNR, avec 15 % de plutonium. Pour assurer la pérennité de la filière nucléaire, nous pensons absolument indispensable de continuer la fabrication et l'utilisation du MOx, avec les spécialistes capables de gérer cette filière.
La complexité évoquée résulte uniquement de l'isotopie du plutonium, pour le reste elle n'est guère plus grande qu'à l'habitude, avec des produits de fission, des actinides, etc. Il y en aura un peu plus, mais fondamentalement cela ne change pas le type d'associations d'éléments à retraiter. C'est essentiel.
Sur l'annonce récente des SMR, je serai très bref, car la Commission n'a pas encore pu avoir d'audition sur ce thème. Une ou deux sont prévues l'année prochaine. Le sujet n'est pas nouveau. Cela fait très longtemps que le CEA dispose de petits réacteurs en projet.
À ce stade, notre crainte serait que nous arrivions trop tard, les Russes en étant dotés et les Américains travaillant déjà sur le sujet. De plus, il nous a été indiqué que ces réacteurs seraient destinés à l'exportation. Or, en général, des réacteurs sont exportés après qu'on ait pu prouver qu'ils fonctionnaient en France. C'est intéressant, mais pour l'exportation, nous partons avec un handicap assez lourd.
Je vous signale aussi qu'existent dans les projets du CEA, j'ignore à quel niveau de développement, de SMR à neutrons rapides. Il existe une gamme de variantes étendue, qui n'est pas de notre ressort. Le CEA devra définir ses priorités et ce qu'il veut réaliser. La CNE2 examinera les SMR tels qu'ils seront envisagés.
Les réacteurs à sels fondus sont connus depuis les années 1960. Le premier prototype a vu le jour aux États-Unis. Actuellement, ils sont mis en oeuvre dans les sous-marins russes. Donc ils fonctionnent.
Pour produire de l'électricité, comme avec un REP, ces réacteurs présentent des avantages. Ce ne sont pas des réacteurs sous pression. Ils travaillent à pression ordinaire. Ils sont très compacts. Comme ils fonctionnent à haute température, leur rendement thermodynamique est bon. La sûreté n'est peut-être pas trop difficile à assurer, en raison de leur grande capacité calorifique. Ils ne se réchauffent pas comme les réacteurs refroidis à l'eau.
Les réacteurs à sels fondus ont aussi des inconvénients. Le premier, reconnu, concerne la corrosion par les fluorures. Cette difficulté explique d'ailleurs que la filière a été très longtemps abandonnée. Aujourd'hui, on connaît des matériaux susceptibles d'y résister, et des compositions de sels acceptables.
Un autre inconvénient, moins connu, concerne leur combustible liquide. Il n'existe pas de modérateur, l'ensemble du combustible est fondu et circule, même si au plan technologique la mise en route est peut-être difficile. Or, pour faire fonctionner un réacteur, il faut retirer les produits de fission. Comme on ne décharge jamais le combustible, il faut donc le retraiter « en ligne ». Les produits de fission seraient retirés avec une dérivation, puis remis dans le circuit du sel fondu.
Pour l'instant, ces réacteurs n'en sont qu'au stade de l'étude. Le CNRS étudie comment purifier le sel. À ce jour, toute la recherche sur les sels fondus, portée essentiellement par les physiciens de Grenoble, est réalisée sur papier. La PPE indique que leur développement sera surveillé, sans plus de détails.
Les problèmes de sûreté seront l'un des points à examiner. Le retraitement du combustible liquide en ligne nécessite une installation chimique de retraitement, avec des produits fluorés adjacents au réacteur. Je ne suis pas sûr que l'autorité de sûreté serait satisfaite qu'un réacteur nucléaire soit combiné à une installation chimique, constituant ce qui pourrait être qualifié « d'installation SEVESO nucléaire ». Comme vous le constatez, ce point pose problème. Malgré cela, c'est un système intéressant, méritant certainement un développement.
Nous en venons aux aspects sociétaux, en particulier sur la participation des populations, puis nous terminerons brièvement sur la partie enseignement et formation.
Aujourd'hui, des pays tels que la Finlande, la Suède, la France et beaucoup d'autres, sont parvenus à mener des processus participatifs à des niveaux analogues. Il me semble que des mécanismes de participation, des groupes de suivi, des CLI, etc. existent dans tous ces pays.
Des différences culturelles et sociétales subsistent néanmoins. Par exemple, dans les pays nordiques, le taux de confiance envers les autorités est plus élevé que dans des pays plus au sud, ce qui est vérifié par des études sociologiques.
Il existe une autre différence entre les pays nordiques et la France. En Suède ou en Finlande, le choix du site s'est fait dans des communes où la culture et l'expérience du nucléaire existent depuis les années 1970, avec des réacteurs proches du site de stockage. Cette connaissance des questions nucléaires par la population représente une différence importante.
Par exemple, la Suède a développé un vaste programme auprès de la population pour faire connaître son site de stockage géologique. Ce site, choisi en 2009, est situé à proximité de la centrale nucléaire de Forsmark, dans la commune d'Östhammar. Celle-ci compte 25 000 habitants, dont 30 % à 40 % ont pris deux jours pour aller visiter les laboratoires souterrains, explications à l'appui. Aujourd'hui, 75 % à 80 % de la population est favorable au stockage. Avant le choix, il existait même une sorte de compétition entre les deux communes candidates.
En Belgique, je peux donner l'exemple du stockage des déchets de faible activité, l'équivalent du centre de Soulaines-Dhuys. Dans les années 1990, l'Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies (ONDRAF), homologue de l'ANDRA en France, avait proposé une solution toute faite à la population, qui avait refusé.
Suite à ce refus, le gouvernement a demandé à l'ONDRAF de se concentrer sur les communes dotées d'installations nucléaires, en Wallonie près de Fleurus, où se trouve l'Institut national des radioéléments (IRE), et à proximité de Mol / Dessel, où se trouvent le Centre d'étude de l'énergie nucléaire (SCK-CEN), l'ancienne usine de retraitement, etc. L'ONDRAF s'est rendu dans ces communes en posant le problème des déchets de faible activité, et en proposant de travailler en commun pour trouver un concept adapté.
Quatre communes ont répondu positivement. Pendant trois à quatre ans, elles ont développé des concepts de stockage, non sous la direction, mais avec l'aide technique de l'ONDRAF. Les habitants, avec la boulangère, l'instituteur, etc. ont visité le centre de Soulaines-Dhuys, ainsi que d'autres centres. Toutes ces personnes se sont vraiment approprié la problématique, au point d'être fières de trouver et de proposer une solution opérationnelle. Une fois que le concept était prêt, ces communes ont été consultées par référendum. Deux communes ont refusé. Mol et Dessel ont accepté. Un projet en est résulté. Il est actuellement instruit par notre autorité de sûreté, l'Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN). C'est vraiment en s'appropriant la problématique que la population est devenue consciente de la nécessité d'une solution, et l'a proposée.
Je signale que la CNE2 a étudié ce problème sociétal dans le cadre du rapport n° 11 et de ses annexes. Dans ce cadre, nous avions mené des missions en Suède, en Finlande, et dans d'autres pays.
Si vous avez d'autres questions, nous nous ferons un plaisir d'y répondre.
Comme l'a indiqué le président Longuet, je vous remercie vivement pour le travail que vous avez collectivement réalisé, qui est très apprécié. Nos collègues n'ont plus de questions, ce qui prouve également l'exhaustivité de vos réponses ce matin.
La séance est levée à 13 h 05.