Nous poursuivons nos travaux avec une audition consacrée ce matin à la gestion de la crise en République de Corée.
Je vous prie d'excuser l'absence du président Milon, retenu dans son département.
Nous entendons ce matin MM. Jong-Moon Coi, ambassadeur de la République de Corée en France, et Philippe Lefort, ambassadeur de France en République de Corée.
La Corée a elle aussi été confrontée à une éruption violente de l'épidémie en février dernier. Comme en Grand Est, un rassemblement religieux a été à l'origine de nombreuses contaminations, mais la comparaison avec la France s'arrête là. Le pays a mis en place une stratégie de tests massifs, de contact tracing, de distanciation sociale et de port du masque qui a produit de bons résultats.
En matière de tests, le pays est devenu l'un des premiers producteurs mondiaux de kits de dépistage.
Nous avons donc souhaité consacrer une audition au retour d'expérience coréen sur la gestion de la crise sanitaire.
Je vais donner à nos intervenants un temps de parole d'environ 10 minutes avant de passer aux questions des rapporteurs, puis de nos commissaires.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe Lefort prête serment.
Monsieur l'ambassadeur de la République de Corée en France, vous avez la parole.
C'est un grand honneur pour moi de participer aux travaux de la commission d'enquête du Sénat ce matin. À cette occasion, je voudrais vous expliquer ce que la Corée du Sud a fait pour endiguer la crise sanitaire ces derniers mois.
L'objectif de ma présentation est le partage d'informations. Ce n'est ni un jugement ni une recommandation.
Le premier cas confirmé a été rapporté le 20 janvier, mais la situation a commencé à se dégrader rapidement fin février. La Corée du Sud est par la suite devenue le deuxième pays le plus contaminé par le virus après la Chine.
De nombreux pays ont alors averti leur population sur les risques de voyage en Corée. Quelques pays sont allés jusqu'à fermer leur frontière aux Coréens.
Sept mois plus tard, en Corée, le bilan s'élève à 21 400 cas confirmés et 340 morts, dans un pays qui compte 52 millions d'habitants.
Grâce à sa gestion de la crise sanitaire, la Corée du Sud a pu éviter un confinement total. Les élections législatives se sont tenues mi-avril sans encombre. La Corée du Sud n'a également jamais fermé ses frontières aux autres pays.
Selon le rapport de l'OCDE publié voilà deux semaines, l'économie de la Corée du Sud devrait se contracter cette année, mais de manière limitée, à - 0,8%.
J'aimerais maintenant évoquer la façon dont mon pays a agi pour éviter une dégradation de la situation. Depuis 2000, la Corée a été frappée par une série d'épidémies qui n'ont que très peu touché l'Europe : le SARS, le H1N1, le H5N1, et enfin, le MERS, en 2015. Sur la base des leçons tirées de chaque épidémie, le Gouvernement a mis en place deux mesures principales.
En 2015, une loi pour mieux réagir à de futures épidémies a été votée à l'Assemblée nationale. Elle permet notamment au centre coréen de contrôle et de prévention des maladies ou KCDC, agence indépendante créée en 2004, de voir ses ressources financières et humaines augmenter.
Par ailleurs, le rôle des gouvernements locaux est primordial. Sur le terrain, leurs agents ont été de véritables soldats sur le front de la lutte contre les épidémies. Un nouveau système de collaboration entre le Gouvernement central et les collectivités territoriales a alors vu le jour.
Face à la covid-19, la stratégie du KCDC peut se résumer en trois « T » : tests, traçage et traitements.
Dès le début de la crise sanitaire, et avant même que le premier cas soit confirmé en Corée, le Gouvernement et des entreprises de biotechnologie locale ont commencé à travailler ensemble sur le développement d'un kit de test. Un mois plus tard, nous avons atteint une capacité de dépistage allant jusqu'à 40 000 par jour.
La seconde étape a été de faciliter l'accès aux tests. Environ 600 centres de dépistage, publics et privés, ont été ainsi mobilisés pour les personnes présentant des symptômes, ainsi que pour les cas de suspicion de contamination ; 48 stations de tests mobiles (drive-through) ont même été aménagées, permettant aux conducteurs de l'effectuer sur place, sans sortir de leur véhicule.
Les cas confirmés sont étroitement suivis par les équipes d'enquête épidémiologique du KCDC, lequel publie les données relatives aux déplacements des cas confirmés, mais seulement quand l'ensemble des personnes potentiellement concernées n'ont pas pu être identifiées. Ces données sont obtenues au moyen d'outils numériques variés, comme les historiques de transaction de cartes de crédit, la vidéosurveillance ou les données GPS des téléphones portables.
Cette procédure a été mise en place sur la base de la loi adoptée par consensus à l'assemblée nationale coréenne en 2015. Elle avait alors consulté des experts, des associations, et bien sûr, l'opinion publique, ce qui explique l'adhésion des Coréens à la loi, considérée comme étant au service de l'intérêt commun.
De plus, toutes les informations collectées sont gérées et contrôlées, dans leur intégralité, de manière anonymisée, dans le respect des lignes directrices fixées par la commission nationale des droits de l'homme. Après utilisation, ces informations sont détruites par les autorités sans délai.
Sur la base de ces chaînes de contamination vérifiées et rendues publiques par le KCDC, des entreprises privées développent et diffusent des applications destinées à la population. Grâce à ces applications, les Coréens ont la possibilité de vérifier s'ils ont fréquenté les mêmes endroits que des personnes contaminées ou s'ils les ont croisées.
Dans la lutte contre le virus, le mot clé est la transparence. La transparence libère la population d'une peur diffuse. Les Coréens ont le droit d'être informés des dernières évolutions épidémiques et des réponses qui seront apportées.
En ce qui concerne la dernière étape, celle du traitement, en l'absence de vaccin ou remède, les mesures mises en place par les différents gouvernements ne peuvent qu'être similaires. La différence majeure en Corée tient à son système de gestion des patients, particulièrement ceux présentant des symptômes légers. Afin de prévenir la propagation du virus, ils sont provisoirement isolés dans des établissements non hospitaliers, appelés « centres de traitement », et suivis médicalement.
Monsieur le président, dans cette crise, rien n'aurait été possible sans la coopération active et volontaire des citoyens.
Tout comme le gouvernement français, le gouvernement coréen a lancé une stratégie pour renforcer l'adhésion et l'engagement de la population. Cette stratégie a encouragé la distanciation physique, ainsi que la suspension de voyages inutiles et de certaines activités sociales.
Les citoyens coréens ont répondu de manière très positive à la campagne sur les gestes barrières, dont le port du masque. J'entends souvent dire que les Coréens sont culturellement familiarisés avec le port du masque. Or ils trouvent aussi le port du masque étouffant et inconfortable. Cependant, grâce à l'expérience des précédentes épidémies et aux conseils suivis des experts, les Coréens, dans leur grande majorité, ont accepté le port du masque. Ils ont surtout simplement conscience de l'importance de se protéger les uns les autres.
Dans la ville côtière de Busan, presque 7 millions de personnes se sont rendues sur la plage pendant ces vacances. Cela n'a pas causé de nouveau foyer de propagation. Les efforts menés par la mairie de Busan pour la surveillance du respect des gestes barrières semblent avoir été efficaces, particulièrement sur le port du masque.
La propagation du Coronavirus constitue une crise non seulement sanitaire mais aussi économique. Le gouvernement coréen, comme d'autres, a lancé un programme budgétaire pour minimiser les conséquences négatives sur l'économie. Le Gouvernement a ainsi injecté presque 200 milliards d'euros dans l'économie nationale via trois budgets rectificatifs et différentes mesures d'aide financière.
La pandémie ne connaît pas de frontières. C'est pourquoi l'ensemble de la communauté internationale doit coopérer. À cet égard, le leadership de la France dans le combat contre la crise sanitaire mondiale dans un cadre multilatéral est très apprécié. De notre côté, étant à la présidence des groupes de l'amitié pour la sécurité sanitaire mondiale à l'ONU, à l'OMS et à l'Unesco, nous faisons des efforts pour promouvoir la coopération internationale.
Par ailleurs, la Corée et l'Organisation internationale de normalisation (ISO) travaillent ensemble sur la standardisation des mesures prises par le gouvernement coréen, dont les tests mobiles, drive-through et walk-through, les centres de traitement, l'autodiagnostic sur smartphone et les applications d'auto-isolement.
Pour finir, à l'échelle bilatérale, nos deux pays coopèrent étroitement. Après l'échange téléphonique entre le président Moon Jae-in et le président Emmanuel Macron, des projets variés sont en cours, y compris le développement d'un traitement par l'Institut Pasteur en Corée.
en visioconférence) Merci de l'honneur que vous nous faites et de l'attention que vous portez à l'expérience coréenne. Bienvenue, si j'ose dire, à l'ambassade de Corée virtuellement, et j'espère bientôt physiquement.
Mon collègue a dit l'essentiel sur les grands traits de l'expérience coréenne. Je vais me contenter de trois réflexions, qui, à mon sens, expliquent le succès coréen dans la lutte contre la pandémie, puisque le pays n'a jamais été confiné et que les frontières sont restées ouvertes, mais contrôlées, et contrôlées de façon très sérieuse. Par conséquent, l'impact de la pandémie sur la croissance a été limité par rapport à d'autres économies majeures, avec des estimations qui varient, selon les instituts, d'une perte de 0,5 % du PIB à 2 % en cas de démarrage d'une nouvelle phase.
Les atouts de la Corée dans cette épreuve étaient à mon avis les suivants.
Le premier, c'est certainement une conscience plus aiguë que partout ailleurs dans le monde de la présence et de la proximité du danger. La Corée est un pays voisin de la Chine, et la Chine est souvent à l'origine, pour des raisons géographiques et démographiques, d'un certain nombre de crises sanitaires. Il y a donc une conscience accrue du risque sanitaire au sein de la population coréenne, laquelle a été, de surcroît, particulièrement stimulée par le précédent de la crise du MERS. Le MERS, qui est une forme de coronavirus passant par le chameau, en l'occurrence, et qui était originaire du Moyen-Orient, a occasionné une crise douloureuse pour les Coréens en 2015, crise qui n'a pas forcément été très bien gérée à l'époque. Le Gouvernement et l'administration avaient été fort critiqués, mais ils ont su en tirer des enseignements très opérationnels. Enfin, comme l'a dit mon homologue, il y a la culture du masque, liée au fait que les gens ont l'habitude de se protéger avec le masque facial lors des périodes de petites pollutions aux microparticules. Je ne répondrai pas aujourd'hui à la question que tout le monde se pose sur l'utilité du masque face à la pandémie, mais je puis vous assurer que le masque a un effet visuel très impressionnant qui constitue une forte incitation à la distanciation.
L'autre atout, c'est l'existence d'une véritable structure d'état-major prépositionnée, montée en puissance au moment de la crise, avec un plan d'escalade préétabli. De façon générale, la gestion d'une crise se passe toujours à peu près de la même façon, et le modèle est foncièrement militaire : cela repose d'abord sur le renseignement et l'information, ensuite sur l'analyse, puis sur le commandement, et, enfin, sur l'échelle d'exécution. S'agissant du KCDC, je vous ferai passer une petite infographie en complément de mon intervention pour vous en montrer les structures. C'est une organisation qui a été réformée à l'occasion de la crise du MERS et qui répond à ces impératifs.
L'information a été, je crois, l'atout spécifique de la Corée dans la gestion de cette crise, puisque, de l'expérience du MERS est venue la certitude qu'il fallait très rapidement disposer des données permettant de remonter les chaînes de contamination et ainsi contrôler les agrégats. Souvent, on a une vision un peu excessivement technologique de la Corée. En réalité, les technologies qui ont été mises en oeuvre sont tout à fait ordinaires et disponibles. C'est tout d'abord l'agrégation des données de bornage de téléphonie mobile. Ce n'est pas très précis en ville, mais cela permet effectivement de délimiter un carré d'environ 50 mètres. À la campagne, les antennes sont plus rares et c'est plutôt de l'ordre de 200 à 300 mètres, mais elles sont utilisées avec les données de paiement. En Corée, on paie beaucoup avec des cartes de crédit et de débit - même les plus petits commerçants acceptent ce moyen de paiement -, ce qui laisse des traces de géolocalisation. Enfin, il y a le croisement des données issues des caméras de vidéosurveillance, qui, elles aussi, sont présentes à peu près dans tous les espaces.
Le tout est échangé par les opérateurs par voie d'e-mail, ce qui n'a rien d'exceptionnel. À partir du moment où le dispositif de crise est monté en puissance, on a fait appel, d'une part, à une industrialisation des échanges de données avec les opérateurs, et, d'autre part, à l'utilisation de moyens plus modernes. Les Coréens sont allés chercher ce que l'on appelle un système d'information géographique, tiré de leurs travaux sur la ville intelligente, et qui permet, effectivement, la représentation des données sur une carte. Au départ, donc, rien de miraculeux.
S'agissant des effectifs, il y a eu de fausses informations qui ont circulé en France, puisque l'on a parlé de 20 000 personnes impliquées dans les enquêtes épidémiologiques. Le véritable chiffre, que nous avons vérifié auprès du KCDC, est de 403, dont 300 à l'état-major, et le reste auprès des collectivités territoriales, au contact avec les centres de dépistage. Cette organisation, qui a prouvé son efficacité, ne repose donc pas que sur une accumulation de moyens.
Tout cela s'est fait conformément à une législation très protectrice des données, pratiquement équivalente à celle du règlement général sur la protection des données (RGPD) en Europe, et sous le contrôle de la commission de protection des droits de l'homme, qui, en Corée, est une organisation placée en dehors des pouvoirs publics. Elle ne relève ni du législatif ni de l'exécutif ou du judiciaire, et elle est appelée à s'autosaisir de questions impliquant notamment la protection des données personnelles. Il y a eu effectivement quelques petits incidents en la matière puisque, en dehors de l'agrégation des données autorisée par la loi, les Coréens ont aussi une politique de communication consistant, en cas d'incertitude, à signaler les cas anonymisés en envoyant des messages du type SMS, sous l'autorité des collectivités territoriales et du KCDC. Les données étaient un peu trop riches, en quelque sorte, et il y a eu quelques cas où des personnes ont été identifiées dans des lieux peu convenables, ou avec des personnes avec lesquelles ils n'auraient pas dû être. La commission des droits de l'homme a été saisie mi-mars et a donné des consignes au KCDC pour dégrader la qualité des données transmises à l'ensemble de la chaîne d'exécution.
Enfin, les questions de commandement ont été organisées de façon tout à fait sérieuse, avec un maximum de niveau 4, qui implique effectivement la prise de direction de l'ensemble du dispositif par le Premier ministre, autour duquel se tenait une réunion tous les matins à 8 heures avec l'ensemble des autorités impliquées dans la lutte contre l'épidémie.
En résumé, on a un système de renseignement, d'analyse et de commandement clair, ajouté à une chaîne d'exécution prédestinée qui a bien fonctionné. Elle est fondée essentiellement sur des dispensaires gérés par les collectivités territoriales dans les grandes villes ou au niveau des cantons.
La réponse à la crise, sous l'autorité du Gouvernement, et plus précisément du KCDC, a permis, avec un numéro de téléphone unique, le 13-39, de séparer la chaîne de tests et de prise en charge des malades suspectés de porter le virus du reste des urgences médicales, ce qui a permis d'éviter la saturation du système hospitalier.
Je le répète, ce dispositif est directement issu de l'expérience du MERS en 2015.
Il y a aussi la chance, qui a son importance. L'avantage de la Corée, par rapport à d'autres pays, dont le nôtre, c'est qu'elle n'a pas de frontière terrestre, la zone démilitarisée (DMZ) ne pouvant être considérée comme telle. C'est naturellement beaucoup plus facile de contrôler des frontières aériennes ou maritimes. Les Coréens ont aussi eu la chance d'avoir un seul gros agrégat lié aux activités de l'église, en février à Daegu, au milieu du pays. Certes, il y a quand même eu 25 000 personnes touchées, mais le cluster est resté circonscrit grâce à une forte mobilisation des pouvoirs publics.
La Corée a traité la pandémie de la même façon que l'on traite des incendies de forêt. On ne peut pas éviter les départs de feu, mais il faut éviter que ceux-ci se transforment en incendie. C'est ce qu'ils sont parvenus à faire jusqu'à présent, à une petite nuance près. Après le 15 août, en effet, il y a eu un petit rebond des contaminations, avec une situation qui a un peu inquiété nos amis coréens, car ils n'arrivaient pas très bien à retracer les chaînes de contamination. Ils ont donc décidé la fermeture temporaire des écoles pendant quelque temps.
Je termine en appelant votre attention sur les activités de la Corée en matière de recherche médicale et biomédicale. Les choses avancent moins vite qu'on ne le voudrait, mais il y a plusieurs pistes très significatives qui sont en cours d'études en Corée, en collaboration avec d'autres pays, dont la France, car il y a peu de cas actuellement sur place. Qu'il s'agisse de médicaments génériques, des anticorps, du traitement par plasma ou du vaccin, j'espère que nous aurons de bonnes nouvelles dans les mois qui viennent.
Je vous montre maintenant quelques éléments d'infographie, qui vous seront distribués, afin d'illustrer mes propos.
Tout d'abord, la chronologie, avec les grandes dates dans la lutte contre la pandémie en Corée. Vous le voyez, le niveau d'alerte a été très rapidement activé, dès janvier, en raison de la proximité avec la Chine. L'autre avantage de la Corée, c'est qu'elle a rapidement eu à sa disposition les éléments sur le code génétique du virus, ce qui lui a permis de mobiliser très rapidement son industrie pharmaceutique pour développer des tests.
Le 18 février, c'est l'explosion de l'agrégat de Daegu, avec le patient 31. Très rapidement, avec la mise en place du dispositif de traçage, l'épidémie est circonscrite. Au mois de juin, plusieurs jours de suite sans cas déclaré, puis le rebond post-15 août, qui conduit temporairement à un renforcement du dispositif de distanciation sociale.
Les statistiques nous montrent que, en gros, on est sur un ordre de grandeur de 1 à 10 avec ce que nous avons connu en France et dans d'autres pays européens.
J'y insiste, tout ne repose pas sur les technologies. La Corée est une démocratie, mais il y a beaucoup plus d'acceptation sociale de l'utilisation des données personnelles par le Gouvernement. C'est un élément important dans le succès de leur stratégie. Cette demande sociale forte s'est exprimée à la suite de la crise du MERS.
Je vous montre maintenant les quatre niveaux d'alerte épidémiologique qui ont été mis en oeuvre : bleu, jaune, orange, rouge. On est passé directement en février du niveau 2 au niveau 4, avec le pilotage de la crise en direct par le Premier ministre, et l'élargissement des compétences de l'autorité centrale du Gouvernement sur les dispositifs locaux gérés par les collectivités territoriales. On est à l'heure actuelle au niveau 2,5 à cause de l'épisode du rebond. Vous avez également la structure de l'état-major, qui est quasiment militaire. Enfin, le contenu des données de géolocalisation disponibles chez les opérateurs et la description des applications à destination des personnes en quarantaine. Vous le voyez, les contrôles sur les mouvements de ces personnes sont beaucoup plus stricts.
En conclusion, la coopération internationale est indispensable dans la gestion de ces crises. La coopération franco-coréenne a été particulièrement dense, notamment au travers du réseau des instituts Pasteur, mais également en matière industrielle. Nous devons maintenant nous efforcer de construire le monde post-covid dans un cadre multilatéral.
Merci, vos exposés sont très instructifs, compte tenu des résultats que la Corée a obtenus dans la gestion de la pandémie. Je souhaiterais néanmoins avoir quelques précisions.
Si j'ai bien compris, le KCDC est une autorité de santé indépendante, chargée de piloter la réponse à une épidémie, mais comment s'articule-t-elle avec les autorités politiques, notamment le ministère de la santé, sachant que l'ambassadeur Lefort nous a décrit une structure très verticale, centralisée, avec le Premier ministre au sommet ?
Ensuite, je m'interroge sur la place des tests dans votre stratégie. Je crois savoir que vous en faisiez 40 000 par jour au plus fort de l'épidémie, ce qui n'est pas énorme. Êtes-vous toujours au même niveau ? Quelle est votre stratégie en la matière ?
Le KCDC a été créé en 2004, lors de la crise du SARS, mais ses pouvoirs ont été considérablement accrus en 2015 lors de l'épidémie de MERS. Il est affilié au ministère de la santé et des affaires sociales, mais, compte tenu de son expertise en épidémiologie, il est assez indépendant en matière d'organisation et de fonctionnement. Par exemple, le ministère des affaires étrangères a dû suivre ses recommandations pour la gestion des frontières. Il va même très prochainement voir ses pouvoirs et ses moyens devenir encore plus importants, notamment au niveau local.
En matière de tests, c'est l'anticipation qui a fait la différence. Avant même le premier cas confirmé, notre industrie biotechnologique avait développé un test. Nous avons eu une approche maximaliste dès le début. N'importe qui, présentant ou non des symptômes, pouvait être testé s'il le désirait. Il s'agissait d'isoler le plus vite possible les porteurs asymptomatiques.
Aujourd'hui, nous effectuons entre 20 000 et 40 000 tests par jour, mais nous avons une capacité de 70 000 tests par jour.
Messieurs les ambassadeurs, j'ai trois questions à poser. Tout d'abord à M. l'ambassadeur de la République de Corée. Qu'en est-il de votre autonomie en matière de production d'équipements de protection individuelle ? Est-ce à la suite des crises précédentes que vous avez adapté votre appareil de production ? Étiez-vous prêt au mois de janvier ?
S'agissant de l'impact économique, vous avez déclaré que votre pays avait été relativement épargné, n'ayant pas eu à confiner sa population ni à fermer ses frontières. Le Gouvernement a pourtant injecté 200 milliards d'euros dans l'économie. Quelles sont les activités qui ont été touchées pour justifier un tel plan ?
Enfin, ma dernière question s'adresse à M. l'ambassadeur Lefort. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'état des recherches de l'Institut Pasteur en Corée ?
Comme il s'agit de recherche clinique en cours, je ne vous répondrai que de manière générale, parce que nous sommes soumis à certains impératifs de discrétion. L'Institut Pasteur de Corée est effectivement indépendant du dispositif de recherche coréen. Il s'insère dans le réseau Pasteur, qui ouvre l'accès à toutes les bibliothèques d'agents infectieux en Europe. C'est un laboratoire de niveau 3, donc à très haut niveau de sécurité.
Il y a également des investissements très importants qui ont été réalisés dans le domaine de l'imagerie biologique. Depuis le départ de la crise, ils se sont beaucoup investis dans l'analyse in vitro de l'activité d'environ 150 molécules génériques ou non. Ils ont réussi à en sélectionner trois, dont la capacité est effectivement très prometteuse. Il s'agit d'un anti-coagulant, d'un anti-parasitaire et d'un anti-inflammatoire. À l'heure actuelle, des recherches ont été engagées en Corée sur le premier médicament, qui était un générique employé depuis 40 ans en Corée et au Japon. Son historique de sécurité est donc indéniable. C'est l'une des pistes véritablement prometteuses sur lesquelles la Corée et d'autres travaillent actuellement.
Il y a aussi des recherches très actives de la part de plusieurs entreprises pharmaceutiques coréennes, notamment sur des médicaments à base d'anticorps destinés à empêcher la pénétration du virus à travers la « protéine ». Ces recherches avaient été entamées au moment des épidémies Ebola et MERS. Il y a enfin des recherches très actives sur des personnes guéries. Un certain nombre de pistes justifient dans certaines entreprises la préparation de capacités industrielles de production. Je crois que l'on n'est pas loin d'une solution thérapeutique, mais il faut naturellement respecter tous les stades requis par la méthodologie. C'est frustrant, parce que l'on voudrait aller plus vite, et c'est tout naturel. Pour terminer, je précise que la Corée est le pays où le montant de dépense publique par habitant pour la recherche est le plus important, devant Israël.
Dès le 20 janvier et le premier cas confirmé, le Gouvernement a imposé les gestes barrières et le port du masque à l'intérieur. Il y a eu consensus dès le départ entre le Gouvernement et les autorités médicales sur l'utilité du port du masque. Pendant le premier mois, il y a eu quelques problèmes d'approvisionnement, mais, très vite, la production est montée en charge et il n'y a pas eu de rupture. Nous avons connu quelques achats de panique après le rebond du 15 août, ce qui a occasionné des tensions. Néanmoins, il faut savoir que les pharmacies sont regroupées dans une base de données publique pour éviter que des fraudeurs ne tentent de se procurer plus de masques que ce qu'autorise le Gouvernement. Tout se fait dans la transparence.
Le Gouvernement incite à produire des masques par des réductions de taxes, des aides au recrutement, des subventions pour les heures supplémentaires. Nous avons eu une pénurie de masques fin février, mais le problème a été réglé en mars. En juillet, nous n'avons plus de rationnement. Début février, nous produisions 10 millions de masques par semaine ; fin août, 273 millions.
Nous avons des stocks de vêtements de protection, et pas de problème d'approvisionnement. Nous étions très dépendants de l'étranger pour les matériels médicaux centraux. Le Gouvernement a subventionné la production locale de douze appareils importants ; la Corée possédait la technologie, mais il était parfois plus simple d'acheter ces appareils à l'étranger. Nous allons développer des appareils dits ECMO (oxygénation par membrane extracorporelle), des thérapies de remplacement rénal continu, des tests PCR (réaction de polymérisation en chaîne) dont il faut améliorer la technologie.
De nombreux secteurs, comme le tourisme ou la restauration, ont besoin du plan de relance. Nous avons un New Deal vert qui aide les industries vertes, afin de lutter contre le changement climatique. Ce plan de relance attribue aussi une aide financière à chaque foyer. Nous vous enverrons des documents précis sur ce sujet.
Je vous remercie, messieurs les ambassadeurs, pour la qualité de vos communications, qui seront très instructives pour notre rapport.
Monsieur Choi, combien de temps restent les patients isolés dans les établissements non hospitaliers, dans lesquels ils sont suivis médicalement ? Un test est-il réalisé avant leur sortie ?
Vous avez rappelé avoir une capacité de test importante. Sont-ils fabriqués en Corée ?
Monsieur Lefort, quels traitements ont été testés en Corée lors d'essais cliniques ? En France, il y a eu des débats sur l'hydroxychloroquine et des essais sur le Remdesivir notamment. Cette dernière molécule a-t-elle été testée en Corée ?
Ce sujet est un peu sensible, et je parlerai sous le contrôle de l'ambassadeur Choi. En Corée, la réponse médicale a été très largement décentralisée, auprès des médecins et surtout des institutions hospitalières, qui rédigent traditionnellement des recommandations thérapeutiques. Différentes pistes ont pu été proposées initialement selon les régions et les hôpitaux. Mais dans l'ensemble, la première réponse était d'utiliser la combinaison antivirale Kaletra ainsi que le Remdesivir. Le Remdesivir a été autorisé ponctuellement, mais avec peu d'enthousiasme. À ma connaissance, il n'y a pas d'essai clinique sur le Remdesivir. Le Kaletra a été complètement abandonné. En revanche, l'hydroxychloroquine a été prescrite par beaucoup de médecins en Corée, dans un second temps, après la publication de l'étude chinoise. Tout cela figure dans ma réponse écrite.
Un des essais cliniques coréens porte sur l'hydroxychloroquine, mais la combinaison avec l'azithromycine n'est pas trop utilisée, à ce stade. De nombreux essais sont menés par la Corée avec des pays tiers sur l'utilisation de génériques, d'anticorps et de plasma. Cela devrait donner des pistes intéressantes dans les prochaines semaines. Les Coréens font de la recherche sur les vaccins, mais sans véritable essai à grande échelle en Corée.
Vous évoquez une réponse médicale décentralisée. Cela signifie-t-il que les médecins locaux pouvaient prescrire ce qu'ils voulaient, selon les connaissances du moment ?
Oui, des exceptions ont même été permises par rapport au remboursement des médicaments, afin que les médecins aient le maximum de marge de manoeuvre.
Une fois que le cas est confirmé positif, le médecin évalue si les symptômes sont graves ou légers. En cas de symptômes graves, le patient est transféré à l'hôpital pour être soigné. Au début de l'épidémie, les patients avec des symptômes légers allaient à l'hôpital, mais la charge est devenue trop lourde pour les établissements. Ils ne pouvaient rester à la maison, au risque sinon de propager le virus. Nous les guidons donc vers l'un des 140 centres de traitement ou d'isolement - qui sont des résidences où se déroulaient des séminaires d'entreprise. Les médecins passent les voir deux fois par jour, et si leur cas s'aggrave, ils sont transférés à l'hôpital.
Dès le début de l'épidémie de coronavirus, nous avons défini 70 hôpitaux dédiés à la covid. Le Gouvernement leur a alloué un budget spécifique. Dans une centaine d'hôpitaux, un quota de lits est réservé à des patients atteints du coronavirus, et des lits supplémentaires ont été ouverts.
Au total, la Corée a eu 300 décès liés à la covid ; 50 % sont des octogénaires, 30 % des septuagénaires, 12,5 % des sexagénaires. Dans les établissements à haut risque, l'équivalent de vos établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), nous avons eu un premier cas le 20 janvier. Le Gouvernement a limité les visites dans ces centres, et dès qu'un membre du personnel avait des symptômes, il était isolé. L'admission de nouveaux résidents a été retardée pour mieux surveiller la situation. Chaque jour, un point d'étape est réalisé sur la situation du coronavirus.
Faut-il un test négatif pour sortir d'un centre de traitement ? Les tests sont-ils fabriqués en Corée ?
Nous sommes autosuffisants, les kits de dépistage sont à 100 % produits en Corée. Nous avons été les premiers, dans le monde, à les produire en masse. Nous avons exporté - vendu ou donné à titre d'aide humanitaire - des kits à 149 pays.
Effectivement, une personne sort d'un centre de traitement uniquement lorsqu'elle a un test négatif. On dit souvent que la Corée est très stricte, et que cela gêne les Coréens. Mais lorsque vous avez dîné avec un cas confirmé, vous êtes un cas contact et vous êtes donc testé. Même si vous êtes testé négatif, il y a un risque de contamination puisque la période d'incubation est de 14 jours : on vous demande de vous isoler. La plupart du temps, la population accepte ce dispositif. Durant ces 14 jours, un fonctionnaire communique avec la personne à l'isolement via une application. Cette personne peut demander de voir un médecin, et elle est suivie.
Allez-vous conserver la durée de 14 jours, ou souhaitez-vous réduire ce délai pour ce qui est plus un isolement qu'une quarantaine ? En France, la personne peut rester avec sa famille...
La durée s'applique à partir du dernier contact avec la personne contaminée. Si vous avez dîné avec une personne positive il y a 5 jours, il vous reste 9 jours d'isolement. Pour l'instant, nous n'envisageons pas de réduire cette durée.
Monsieur Choi, quelle est la procédure appliquée pour les voyageurs arrivant en Corée à l'aéroport, Coréens de retour ou étrangers ? Prévoyez-vous des mesures au départ ? J'ai lu que vous seriez en capacité de tester tous les étrangers à l'aéroport, est-ce vrai ? Combien de personnes sont ainsi testées ? Comment gérez-vous les flux de passagers ? Notre commission va se rendre à Roissy-Charles de Gaulle, qui fait preuve d'un certain amateurisme en matière de sécurité, avec de nombreuses lacunes. Je suis très intéressé par vos procédures. Fin juillet, un décret du Gouvernement français exigeait des tests PCR au plus tard 72 heures avant le vol pour certains pays.
Sénateur des Français établis hors de France, monsieur Lefort, je m'intéresse aux 4 500 Français résidant en Corée, que ce soit pour leur situation économique - par le biais de la chambre de commerce franco-coréenne - financière - avec l'Alliance française et l'Institut français- ou sanitaire. Est-il possible pour eux de voyager et de revenir en France ? Quels impacts a eu la pandémie, notamment sur le lycée français, sur l'obtention de bourses, sur l'aide sociale négociée difficilement ?
Merci de vos présentations rigoureuses et passionnantes. Les ressortissants français sont français. Nous avons beaucoup à apprendre de votre pays, dans lequel l'anticipation, l'organisation sont érigées comme des sciences. C'est notamment dû au fait que vous avez l'expérience d'autres épidémies comme le SRAS, les grippes H1N1, H5N1, le MERS - lequel a, selon M. Lefort, provoqué un électrochoc. Quel bilan en faites-vous ? Les Coréens font preuve d'une autodiscipline formidable pour le masque, et la loi a été votée de manière consensuelle. Comment est sanctionné le non-port du masque, par une amende ? Combien de citoyens ont été verbalisés pour cette raison ?
Pour lutter contre le virus, il faut de la transparence. Vous avez évoqué la vidéosurveillance, et consulté experts, associations et opinion publique. Comment cette dernière a-t-elle été consultée ?
Monsieur Lefort, on ne peut pas éviter un départ de feu, mais l'important est la rapidité de la réponse. Compte tenu de l'expérience de la Corée, la réaction immédiate a-t-elle été importante ?
La communauté française est un peu plus nombreuse que le chiffre que vous citez : nous comptons 6 000 foyers enregistrés. C'est une communauté très active, engagée dans les affaires. La France est l'un des premiers investisseurs en Corée. Le socle français en Corée est cinq fois supérieur au socle d'investissements coréens en France. Nous voulons développer ces investissements, notamment industriels, en France. La communauté française a réagi avec beaucoup de sagesse et de discipline. Nous avons dû traiter le cas de personnes plus fragiles et précaires, notamment les jeunes qui ont des visas vacances-travail. L'organisation de leur départ était compliquée. Nous n'avons pas eu de problème massif de situations sociales précaires, mais nous avions prévu un dispositif mutualiste avec la chambre de commerce franco-coréenne - en plus des aides publiques, assez faibles. Actuellement, ce sont surtout les auto-entrepreneurs qui sont en difficulté. Mais il nous reste de la réserve pour les mois à venir.
En revanche, il était difficile de faire rentrer en France ou surtout de faire rentrer en Corée des ressortissants français, en raison de la quatorzaine. Je m'y suis moi-même plié. Par ailleurs, le Gouvernement coréen a restauré l'obligation de visa pour les courts séjours, en contrepartie du rétablissement de la frontière Schengen. Nous avons levé les contraintes, nous aimerions que la Corée lève cette obligation de visa pour faciliter les échanges.
La communauté a été peu touchée par le virus - au maximum cinq personnes. Nous avons détecté à la fois des voyageurs et des résidents, dont une jeune femme qui a été hospitalisée plusieurs semaines, avec des complications. Heureusement, elle est guérie.
En 2015, lors de l'épidémie du MERS, 38 personnes sont décédées ; nous étions le deuxième pays touché après l'Arabie saoudite. Mais à la différence d'aujourd'hui, nous n'étions pas encore prêts, d'où ce nombre de décès. Le système a été amélioré et est aujourd'hui plus performant. Comme le disait M. Lefort, nous recourons au big data, aux nouvelles technologies, qui nous sont très utiles.
Dans les aéroports, nous avons supprimé, à partir de fin mars, l'exemption de visa pour un séjour de moins de 90 jours qui valait pour les ressortissants de certains pays visitant la Corée, car 10 % des cas confirmés étaient importés. Nous avons alors demandé un test négatif pour visiter la Corée. La personne arrivant en Corée repasse un test en arrivant, car elle a pu être contaminée entre sa demande de visa et son arrivée en Corée. Le résultat est disponible dans les 24 heures. Les mêmes règles s'appliquent à tous, qu'il s'agisse de ressortissants coréens ou étrangers. Les personnes positives vont à l'hôpital, tandis que les autres sont auto-isolées, et ne peuvent partager le même espace que d'autres personnes. Cette mesure n'est pas stricte à 100 %, des exemptions sont possibles en cas de funérailles, réunion économique stratégique ou signature de contrats par exemple.
Les amendes pour non port du masque s'élèvent à 70 euros. En Corée, le port du masque fait consensus : on se protège soi-même, et on protège les autres. En 2015, le KCDC a obtenu des pouvoirs accrus, dont le pouvoir de traçage, le plus important, pour collecter des données. Il y a 300 parlementaires en Corée, dans une chambre unique. Une trentaine de parlementaires a proposé un amendement à la loi. Certains craignaient une atteinte à la vie privée. Nous avons eu de nombreux débats avec la société civile et l'opinion publique. La loi a été votée avec 247 voix pour, aucun vote contre, et deux abstentions, soit une majorité écrasante. Il y a un consensus de la population par rapport à cette loi, et le KCDC est expert en ce domaine.
Vous nous confirmez donc qu'il y a bien eu une consultation publique avant l'adoption de cette mesure ?
Oui, et nous avons débattu pour rassurer et atteindre un consensus. Il y a 52 millions de citoyens coréens ; vous en trouverez toujours qui sont opposés à ces mesures sanitaires, mais l'écrasante majorité y est favorable.
Tous les passagers, qu'ils soient coréens ou d'un pays tiers, sont-ils testés à l'aéroport ? Que faites-vous des passagers durant les 24 heures en attendant le résultat du test ?
Toutes les personnes arrivant sur le territoire coréen sont testées à l'aéroport. Elles sont ensuite emmenées dans des établissements dédiés près de l'aéroport pour attendre le résultat ; le transport est pris en charge par le Gouvernement car il y aurait sinon un risque de contamination.
Une de mes nièces vivait en Corée avec son mari et ses deux enfants. Ils sont rentrés il y a un mois en France. En février, nous étions inquiets pour eux ; depuis mars, ce sont eux qui s'inquiètent pour nous. Et depuis qu'ils sont rentrés, ils sont sidérés par le laisser-aller et par l'absence de mesures sanitaires en France. Ils n'étaient pas inquiets à Séoul, ils sont paniqués par la scolarisation de leurs enfants à Paris.
Monsieur Choi, vous habitez Paris, et vous savez parfaitement ce qui se passe en Corée. Si vous étiez conseiller du Gouvernement français, quelles seraient les deux propositions que vous lui feriez pour réduire la force de la pandémie ? Vous avez eu 300 morts, nous en avons eu 40 000...
Monsieur Lefort, vous connaissez parfaitement la France et vous habitez à Séoul. Compte tenu de votre expérience, quelles seraient aussi les deux mesures que vous proposeriez au Gouvernement français pour lutter contre la recrudescence de la pandémie ? Certes, il y a en Corée une unité de l'opinion publique par rapport à la vision médicale et aux autorités. Il n'y a eu aucun débat sur le port du masque, les tests, les mesures prises, ce qui est loin d'être le cas en France...
Monsieur Choi, quelle est l'importance du stock de réserve que vous évoquiez ? Est-il réservé aux professionnels de santé ou à toute la population, et avec quel délai d'autonomie prévu ? J'ai bien compris que les équipements de protection individuels (EPI) étaient fabriqués en Corée.
Avec la réorganisation des hôpitaux, qu'avez-vous fait de leur activité habituelle et programmée durant cette période ?
Monsieur Lefort, qu'avez-vous dit au gouvernement français sur la crise sanitaire lorsque vous avez vu qu'elle risquait d'être mondiale ? Avez-vous communiqué sur la manière dont le gouvernement coréen a traité la crise, lui qui a tant d'expérience en la matière ?
Monsieur Choi, vous évoquiez la plage et les vacances et notamment la manière dont la mairie de Busan a pris des mesures pour éviter la propagation du virus durant les vacances.
En France, nous avons travaillé avec le ministère et l'Association nationale des élus du littoral - que je préside - pour rédiger un document afin que le maire et le préfet puissent éventuellement reconfiner dans les meilleures conditions. Tout cela est devenu obsolète avec les exagérations estivales ; une partie de la reprise virale serait due à la promiscuité dans les stations balnéaires. Quelles mesures avez-vous prises en dehors du port du masque ? Chez nous, il était difficile, voire quasiment impossible, d'exiger le port du masque sur la plage - c'est déjà plus facile sur une digue. Quels moyens avez-vous également pris pour vérifier que ces mesures étaient bien appliquées ?
L'identification faciale fait-elle partie de la législation coréenne sur l'utilisation des données personnelles ? Tous vos laboratoires sont-ils classés P3 ou sont-ce seulement les laboratoires de recherche de l'Institut Pasteur ?
Comment est composée la KCDC ? De quels moyens financiers dispose-t-elle ?
Vous dites que les cas confirmés sont suivis par les équipes d'enquête épidémiologique de la KCDC ; les autres épidémiologistes sont-ils occultés ?
La différence fondamentale entre l'approche coréenne et l'approche européenne - car nous avons beaucoup communiqué avec l'Allemagne - est l'utilisation des données des opérateurs pour tracer les chaînes de contamination. En Corée, il y a un absolu consensus sur la nécessité de donner au centre de crise de la KCDC tous les moyens pour identifier les clusters et établir des chaînes de contamination pour éteindre les foyers le plus rapidement possible. Cela n'a pas posé de problème au public, aux partis politiques ni aux relais d'opinion.
En France, j'ai senti une grande réticence sur le fait de confier ces données à une administration. Or le RGPD comprend une exception au principe de consentement en cas d'épidémie, dans des termes très proches de la loi coréenne de 2015, prise à la suite de l'épidémie de MERS. C'est une différence d'approche et de sensibilité. En Corée, il y a un niveau de confiance envers le Gouvernement et l'administration largement supérieur à celui existant en France.
Lorsque nous referons l'historique de la crise, il faudra réfléchir à de tels dispositifs, tout en mettant en place des garanties, un tiers de confiance pour un bon usage des données personnelles. En Corée, il n'y a jamais eu de suspicion de détournement des données personnelles par le KCDC, ni demande d'un tiers de confiance pour s'assurer que les données étaient bien utilisées et ensuite détruites.
Il n'y a pas eu pénurie d'EPI ; c'était davantage un problème d'approvisionnement, et notamment en raison des achats de panique. L'offre est largement supérieure à la demande. Nous n'avons eu aucun problème, pas même pour les équipements de protection. Nous avons suffisamment de filtres MB (melt blown) pour les masques.
Il y avait des risques de contamination dans les hôpitaux qui accueillaient des patients atteints, c'est pourquoi nous avons transféré ceux-ci dans des hôpitaux dédiés aux coronavirus.
Vous évoquiez la plage de Busan ; à Biarritz, cet été, j'ai été étonné que le masque soit si peu porté... À Busan, la distance de deux mètres entre deux personnes est strictement respectée. Il y a 50 % de parasols en moins. Différentes mesures sont mises en place... Les vacanciers coréens respectaient toutes les mesures sanitaires ; c'est une évidence en Corée. La mairie a réagi avec efficacité, et cela a été compris par la population.
Nous n'avons pas utilisé les outils de reconnaissance faciale, uniquement ceux de traçage. Ces outils, comme le bornage des téléphones mobiles et des cartes de crédit, sont très utiles à tout un chacun pour reconstituer son emploi du temps : essayez de dire précisément où vous étiez et qui vous avez vu avant-hier ou la semaine dernière, vous verrez que c'est difficile et combien les nouvelles technologies peuvent vous y aider - ces outils sont utiles, plutôt qu'intrusifs.
Pendant le confinement, j'ai relu La Peste, le chef d'oeuvre d'Albert Camus, il m'a fait réfléchir aux relations humaines, à la liberté, à la mort. Dans un monde parfait, on pourrait lutter efficacement contre l'épidémie sans limiter en rien aucune liberté individuelle - mais chacun sait que le monde n'est pas parfait. Le Parlement coréen entend protéger la population coréenne tout en respectant les libertés individuelles, qui comptent parmi nos valeurs fondamentales - les mesures prises répondent à une situation de crise et elles ont visé à protéger la population, c'est sur cette base que le consensus a été possible au sein du Parlement coréen.
Le KCDC compte un millier d'employés, dont une centaine d'enquêteurs épidémiologistes, la plupart sont médecins, auxquels s'ajoutent les enquêteurs rattachés aux collectivités locales. Cette épidémie a révélé des manques d'enquêteurs, nous allons renforcer leur nombre.
Avez-vous été conduit à déprogrammer des opérations pour donner la priorité à des patients atteints par la covid-19 ?
Au plus fort de la crise, la Corée a compté seulement 160 patients gravement atteints par la covid-19, leur prise en charge n'a guère nécessité de report des opérations d'urgence, d'autant que la population, par peur de contracter le virus, se rendait moins à l'hôpital. Ensuite, la téléconsultation, normalement interdite en Corée, a été autorisée pendant la crise.
Les services de l'ambassade ont-ils interrogé les autorités coréennes sur les mesures prises en Corée pour faire face à la crise ?
Oui, nous avons informé régulièrement la chancellerie et les assemblées parlementaires sur ce que nous voyions, en particulier sur la gestion des données par le KCDC. Dès le 15 mars, nous avons fait savoir que le traçage nous semblait avoir fait preuve de son efficacité, et qu'il était la clé pour éviter un débordement des services sanitaires - c'est l'élément fondamental face à cette crise sanitaire.
Vous mentionnez la date du 15 mars, mais vos échanges d'informations sur le sujet remontent bien au 20 janvier ?
Oui, mais il faudrait que je revoie la correspondance pour être plus précis. Nous avons correspondu de façon au moins hebdomadaire sur l'évolution de la crise et les mesures prises par les autorités coréennes.
Vous mentionnez 430 personnes dans le KCDC, l'ambassadeur de Corée nous parle d'un millier de personnes : quel est le bon chiffre ?
Les deux : le KCDC compte un millier de collaborateurs en incluant l'ensemble de ceux qui sont mis à sa disposition par les autres ministères, et 439 est le chiffre qui m'a été communiqué en mai dernier pour les personnes chargées de la collecte et de l'intégration des données.
Je ne suis effectivement pas en mesure de vous répondre maintenant.
Nous poursuivons nos travaux avec une audition consacrée à la gestion de la crise à Taïwan.
De nombreux éléments nous intéressent dans la gestion de la crise à Taïwan. La géographie a sans doute rendu nécessaire une alerte précoce dans la gestion de l'épidémie et la mise en place rapide de contrôles aux frontières. Au-delà, fort de l'expérience des épidémies de SRAS et de MERS, et de la résilience de la population, le pays a mis en place une stratégie de protection, d'isolement et de traçage qui a, semble-t-il, permis d'éviter un confinement général.
Quelles ont été les orientations retenues en matière de tests ? La pénurie d'équipements de protection a-t-elle été ressentie ? Comment les lieux accueillant des personnes fragiles, en particulier les personnes âgées, ont-ils été gérés ?
Autant de questions que nous nous posons sur le retour d'expérience taïwanais sur la gestion de la crise sanitaire.
Je vais donner à nos intervenants un temps de parole d'environ 10 minutes avant de passer aux questions des rapporteurs, puis de nos commissaires.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Jean-François Casabonne-Masonnave, représentant de la France à Taïwan, de prêter serment.
Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-François Casabonne-Masonnave prête serment.
Quelques mots de contexte. Taïwan est un État d'une population de 24 millions d'habitants, c'est-à-dire deux fois la Belgique et l'équivalent de l'Australie. Le PIB taïwanais est légèrement supérieur à celui de la Suède. Au niveau commercial, nous importons plus que l'Australie, la Russie et le Brésil et nous exportons plus que la Suisse, la Belgique, l'Espagne et l'Inde. Taïwan est une île dont la superficie équivaut à celle des Pays-Bas ou de la Belgique. Il est à noter que Taïwan n'a jamais été confinée et que la croissance économique s'est maintenue à un taux de 1,5 % pour cette année.
Taïwan est séparée de la Chine par un détroit large de 150 kilomètres et les échanges de part et d'autre sont denses : 40 % des échanges commerciaux de Taïwan se font avec la Chine. En 2019, 2,7 millions de Chinois se sont déplacés à Taïwan pour du tourisme et chaque année, 4 millions de Taïwanais voyagent en Chine. Pourtant, depuis l'apparition de la covid-19, Taïwan n'a recensé à ce jour que 495 cas confirmés, 7 personnes sont décédées et 13 personnes sont actuellement à l'hôpital pour une mise en quarantaine.
La réussite de Taïwan à endiguer l'épidémie jusqu'à ce jour tient à six facteurs, que je vais détailler : l'expérience, la vigilance, l'efficacité, la confiance, les masques et la technologie.
L'expérience, d'abord : nous avons su tirer les leçons du passé. Taïwan a été l'un des pays les plus touchés par l'épidémie de SRAS en 2003. À l'époque, 346 personnes ont été infectées et 81 sont décédées, soit un taux de plus de 20 % de létalité. Par manque de coordination entre le gouvernement central et local, un hôpital municipal de Taïpei a été confiné, causant la mort de 7 professionnels et des suicides. Des images apocalyptiques de personnes confinées voulant forcer la ligne de confinement et la directrice municipale de la santé portant une combinaison spatiale pour rentrer à l'hôpital ont traumatisé la population de Taïwan.
La vigilance, ensuite. Dès l'aube du 31 décembre 2019, Taïwan a exprimé ses craintes à l'OMS sur la possibilité d'un virus transmissible entre humains à Wuhan en Chine. À partir du 31 décembre 2019, le ministère de la santé taïwanais a commencé à effectuer des prises de température systématiques et des examens complets pour les cas suspects dès l'atterrissage des vols en provenance de Wuhan puis, très rapidement, sur tous les vols en provenance de Chine et ce jusqu'à la fermeture complète des frontières. Le 25 janvier, le gouvernement taïwanais décide de fermer les frontières aux touristes chinois. Tous les groupes de touristes chinois à Taïwan ont dû repartir avant le 31 janvier. Le 7 février, l'entrée à Taïwan a été interdite aux ressortissants étrangers qui se sont rendus en Chine au cours des 14 derniers jours. Enfin, le 18 mars, a été décidée l'interdiction d'entrée sur le territoire pour les ressortissants étrangers et la quatorzaine pour tous les voyageurs taïwanais entrants.
Troisième facteur, l'efficacité. Nous avons activé le Centre de commandement central des épidémies à partir du 20 janvier 2020 sous la responsabilité du ministre de la santé : le ministre dispose de toutes les ressources de l'exécutif, y compris le recours à l'armée si nécessaire.
Quatrième facteur, la confiance : la transparence des informations a inspiré confiance à la population. Une conférence de presse présidée par le ministre de la santé lui-même pendant 140 jours consécutif est tenue quotidiennement et les journalistes peuvent poser des questions illimitées. Cela permet de rassurer la population sur la pandémie et de combattre la manipulation d'informations.
Cinquième facteur, l'indépendance rapide de la production des masques : alors que Taïwan dépendait beaucoup de la production des masques en Chine, nous sommes devenus le deuxième plus grand pays producteur de masques au monde. Le 31 janvier, le Gouvernement a décidé de mettre en place une « équipe nationale » spécifique dédiée à la covid-19 ; il réquisitionne alors et supervise l'installation de 92 chaînes de production supplémentaires pour faire passer la production de masques de 2 millions à 20 millions d'unités par jour. Le 3 avril, le gouvernement taïwanais décrète le port de masque obligatoire pour les usagers des transports en commun y compris dans les taxis.
Enfin, sixième facteur, la technologie accompagne une politique de mise en quatorzaine très stricte pour les personnes soupçonnées d'être infectées. Pour améliorer le suivi des voyageurs entrants, le gouvernement taïwanais a imposé une déclaration de santé obligatoire à tous les passagers à leur arrivée. Une déclaration inexacte est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 4 500 euros. Cette déclaration obligatoire a permis de classer les voyageurs dans différentes catégories à risques et de mettre en oeuvre une politique de quarantaine adaptée. Une fois placé en quatorzaine, tout individu est dans l'obligation de respecter des consignes strictes sous peine de six mois de prison ferme et 30 000 euros d'amende. Le gouvernement taïwanais fournit aux personnes mises en quatorzaine un téléphone portable qui permet de faire respecter l'interdiction totale de sortie du domicile. Ce système a permis également au gouvernement taïwanais de prioriser les tests sur les personnes présentant les symptômes caractéristiques du coronavirus.
Le recours à l'application des technologies est autorisé par l'article 7 de la loi spéciale de prévention de la covid-19 d'assistance et de relance, adoptée le 25 février 2020, qui permet au Commandant du centre de mettre en oeuvre toutes les mesures d'urgence nécessaires pour prévenir et contrôler l'épidémie.
Taïwan a gagné une première bataille contre la covid-19 mais n'a pas encore gagné la guerre. L'opinion publique taïwanaise exige que le Gouvernement utilise tous les moyens à sa disposition pour endiguer le virus en dehors des frontières nationales sans confinement général de la population.
La prospérité de Taïwan dépend fortement de ses échanges avec le monde extérieur. Dans ce contexte, il est crucial pour Taïwan de trouver un équilibre d'ouverture des frontières avec la communauté internationale car le virus, selon toute vraisemblance, va continuer à circuler. C'est un défi auquel Taïwan doit faire face.
Nous pensons néanmoins qu'il est très difficile de porter un regard sur les réponses d'un autre pays qui a ses propres facteurs et ses spécificités à prendre en compte pour limiter la propagation du virus. Pour autant, dans un monde où les échanges entre chaque pays ne font qu'augmenter, il serait indispensable de pouvoir partager, au niveau bilatéral et multilatéral, les expériences dans la lutte contre cette crise sanitaire qui ne connait pas de frontières. Je pense que cette invitation de la commission d'enquête au Sénat constitue d'ores et déjà une première étape vers l'intérêt commun pour nos deux pays et pour celui de l'humanité.
Nous avons convenu avec M. Wu que je ne répèterai pas ce qu'il vient de dire, et que je reprends à mon compte. L'expérience de Taïwan est unique : celle d'une île directement exposée à la pandémie qui, parce qu'elle a réagi immédiatement, en est indemne, comptant seulement 500 cas et 7 morts. Cette réussite tient à l'anticipation : avant même que la covid-19 ne se manifeste à Taïwan, tout le monde était prêt, du chef de l'État au simple citoyen. La clé, c'est l'expérience acquise avec le traumatisme du SRAS. Le phénomène s'est produit aussi à la suite d'un tremblement de terre survenu en 1999, lequel a occasionné une reprise en main des outils de gestion de crise.
Les autorités ont agi rapidement et avec cette conscience que dans une société démocratique, l'efficacité dépend de la confiance envers les autorités. Mes interlocuteurs me l'ont répété, une fois que les mesures prises avaient démontré leur efficacité et qu'ils étaient en confiance. Le point d'information quotidien, suivi par toute la population, et animé par le ministre de la santé - dont la popularité culmine aujourd'hui à 90% -, est un élément majeur de la stratégie.
Deuxième exemple, les masques. Lorsque, début janvier, le risque a été identifié, la production nationale atteignait 2 millions d'unités par jour, loin de suffire aux besoins ; en cinq mois, elle a décuplé, passant à 20 millions d'unités quotidienne. Comment cela a-t-il été possible ? Dès janvier, le ministère des finances a débloqué des fonds pour l'achat de machines en Allemagne, l'armée a été mobilisée pour les monter, et elles ont été mises à disposition des industriels, qui sont les mieux placés pour la fabrication de masse. La montée en puissance a été si rapide et maîtrisée que, dès le début mars, mes interlocuteurs du ministère de l'économie se montraient sereins et tout à fait disposés à partager leur expérience. Cette production de masques a donc vite permis de lever une pression de la population, qui a pu être approvisionnée de manière efficace.
Chaque nation a sa propre expérience, le résultat taïwanais tient à des raisons objectives. Aujourd'hui, les autorités taïwanaises se trouvent comme piégées par la qualité de leur gestion, car la population ne supporte pas l'idée que le virus entre sur l'île et elle demande des contrôles toujours plus stricts et rigoureux, ce qui peut aller contre l'intérêt de l'économie de l'île, si ouverte sur le monde - j'ai participé à une réunion où les représentants des pays européens demandaient plus de souplesse, au moins pour les entreprises.
Il semble que les tests aient été réalisés d'abord sur les personnes symptomatiques, puis que le contrôle ait été élargi à un ensemble plus large de la population : où en est-on ? Ensuite, sur les traitements : quels sont les médicaments utilisés et quelles sont les études cliniques conduites à Taïwan ?
Les tests ont d'abord été ciblés sur les personnes présentant des symptômes, la stratégie d'ensemble étant d'empêcher le virus d'entrer sur l'île. Nous avons aussi testé les personnes en contact avec des malades. Cependant, le test est accessible à tous, chacun peut se faire tester à ses frais. Le ciblage a été préféré à une stratégie qui aurait consisté à tester tout le monde, stratégie qui nous est apparue peu soutenable, on l'a vu ensuite avec le cas de l'Allemagne. La quatorzaine a été appliquée de façon très stricte : l'un de mes amis, ambassadeur en Thaïlande, a été confiné 14 jours alors qu'il rentrait pour prendre des fonctions ministérielles, et c'est confiné chez lui qu'il est entré dans ses fonctions...
Le nombre de personnes touchées est si réduit, que l'on ne peut guère tirer de leçons stratégiques pour le traitement de la maladie dans d'autres pays : nous parlons d'à peine 500 malades, de quelques dizaines d'hospitalisations graves, il n'y a guère de statistiques significatives à cette échelle. On peut dire que c'est l'un des problèmes de Taïwan pour la recherche sur la covid-19 : il n'y a pas suffisamment de malades pour y conduire des recherches...
Avez-vous eu besoin d'un plan de relance ? De quel montant, pour quel secteur, et comprenait-il des mesures de chômage partiel ?
L'économie taïwanaise fonctionne bien mais nous avons eu besoin d'un plan de relance, en particulier dans les secteurs des spectacles ou encore du tourisme ; le plan avoisine les 30 milliards d'euros.
Taïwan est une société riche, l'État est peu endetté - environ au tiers de son PIB -, il peut mobiliser des moyens et son gouvernement d'orientation sociale-démocrate l'a fait sans états d'âme pour protéger la population et l'économie. Les transports, le tourisme, en particulier le tourisme d'affaire ont souffert, la restauration aussi - mais le goût bien connu des Taïwanais pour la ripaille a repris le dessus dès que les restaurants ont rouvert... Les plans de soutien à l'économie ont été très ciblés, avec un soutien aux chômeurs et, de façon très large, un soutien à la consommation par un système de bons d'achat.
Le système en est assez simple : le consommateur doit commencer par dépenser une certaine somme, ce qui lui donne droit à des bons d'achat d'une valeur supérieure délivrée par le Gouvernement. En réalité, tous les secteurs économiques se sont adaptés, pour inciter à la consommation.
Des mesures ont été prises également dès le mois d'avril pour l'action culturelle. L'économie a aussi bénéficié de secteurs florissants, comme celui des semi-conducteurs - le confinement a fait bondir les commandes de puces électroniques, secteur où Taïwan est leader mondial, et l'entreprise phare Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TMSC) a même vu son cours remonter alors qu'elle venait de perdre successivement deux clients très importants, Apple puis Huawei...
Merci pour vos explications, des points communs apparaissent avec la situation coréenne, en particulier la proximité géographique avec le foyer de l'épidémie et la mémoire récente d'une autre épidémie. Vous parlez d'un pilotage par le ministre de la santé, mais dispose-t-il d'une agence ? Quid, ensuite, des controverses scientifiques, telles que nous les avons connues, qui ont un impact sur la compréhension des phénomènes par l'opinion ? Quelles mesures prises pour le masque ? Enfin, comment pensez-vous que l'expérience taïwanaise puisse être mieux partagée avec d'autre pays ?
Le ministre de la santé s'appuie sur le Centre de commandement, lequel réunit tous les spécialistes de la santé. Il y a eu des tensions, des débats, par exemple lorsqu'un médecin a décidé de son propre chef un dépistage massif dans une localité, sans en informer le niveau central. Cependant, le problème a pu être réglé. Sur les masques, ensuite, il y a eu une sorte de progressivité : pendant le rationnement, le Gouvernement a assuré l'accès de chaque citoyen à un nombre minimal de masques ; ensuite, nous avons pu lever le rationnement et, même, envoyer des masques à l'étranger, cela dès le mois d'avril.
Le centre de crise est activé en cas de besoin, il est présidé par le ministre de la santé. À Taïwan, comme dans d'autres pays d'Asie, le port du masque est naturel en cas de maladie, avec cette idée qu'en se protégeant, on protège les autres et qu'en protégeant les autres, on se protège soi... Le masque n'est donc pas vu comme un signe de désocialisation, mais d'inclusion dans la société - et tout le monde porte le masque, y compris les enfants. Les règles d'accès au masque ont varié dans le temps, l'approvisionnement s'est libéralisé, aujourd'hui on vit à Taïwan quasiment sans masque, les consignes sont allégées. La visibilité de Taïwan s'est accrue, pour de bonnes raisons, j'ai ressenti beaucoup de curiosité envers cette île.
Quant aux coopérations scientifiques, mon expérience m'enseigne qu'elles ne peuvent guère être montées à chaud. La coopération scientifique avec Taïwan existe, elle est riche et diverse, et nous avons constaté que pendant la crise, ont travaillé ensemble les équipes qui coopéraient déjà. Je suis donc optimiste sur les coopérations.
Vous parlez du traumatisme vécu lors de l'épidémie de SRAS en 2003, mais les chiffres que vous nous donnez sont très faibles par rapport aux dizaines de milliers de décès que nous devons déplorer.
Sur la production des masques, comment les choses se sont-elles passées concrètement ? Aviez-vous anticipé la possibilité d'aller chercher des machines en Allemagne ? Avez-vous rencontré des pénuries, des moments de tension ? Où avez-vous trouvé la main d'oeuvre, alors que votre pays compte si peu de chômage ? Vos propos donnent l'impression de facilité... Enfin, que pensez-vous du vocabulaire que nous utilisons, celui des gestes « barrières » plus que de protection ? Quelles sont les expressions utilisées à Taïwan ?
Parmi les victimes de la covid-19, quelle est la part des personnes âgées ?
L'armée est intervenue en France pour soulager les hôpitaux, nous avons déployé une médecine de guerre en particulier dans les départements de l'Est ; quel rôle l'armée a-t-elle tenu à Taïwan ?
Comment fonctionne le contrôle aux départs et aux arrivées à l'aéroport ? Tous les passagers sont-ils testés ? Quelles sont les procédures ?
L'épisode du SRAS en 2003 a été traumatique moins par le nombre de victimes, que par les conditions dans lesquelles il a eu lieu. Nous savions que le virus était très mortel, qu'il venait du continent, et la décision avait été prise de confiner l'hôpital où entraient les malades ; le personnel soignant y entrait mais n'en sortait pas, et chacun y entrait avec une combinaison complète, les images étaient très fortes, elles ont marqué les esprits. Aujourd'hui, la connaissance médicale est bien supérieure, les technologies numériques aident, le confinement sur place est possible.
Le nombre de malades de la covid-19 à Taïwan étant très faible, nous n'avons pas de statistiques par catégorie d'âges.
Enfin, l'armée taïwanaise est intervenue dans la production des masques, elle a fourni de la main d'oeuvre pour la production.
À l'aéroport, il y a un appareil thermique permettant de tester les voyageurs arrivant. En cas de fièvre, les voyageurs étaient immédiatement envoyés à l'hôpital pour un contrôle. Toute personne entrante pouvait être confinée 14 jours, dans l'attente de symptômes éventuels. Ce qui change de la France, c'est que les arrivées sont moins nombreuses.
Nous ne pouvions pas nous permettre de laisser pénétrer le virus, car notre système hospitalier n'aurait pas pu résister.
S'agissant des masques, il y a eu des tensions dans la chaîne d'approvisionnement en février. Il a fallu gérer la pénurie, mais il n'y a eu aucune hésitation sur le principe même du port du masque. Les débats portaient plus sur le point de savoir si une dotation de 9 masques pour un adulte et de 5 masques pour un enfant était suffisante. Les jeunes, les étudiants sont parfois victimes de leur précarité, mais on peut assister à des scènes amusantes dans les bus, lorsque des grands-mères leur donnent des masques. Il y a eu aussi des tensions lorsque des étrangers refusent de le porter.
Il faut bien comprendre qu'une stratégie individuelle ne peut pas marcher face à une telle épidémie, car nous ne sommes pas tous égaux face au virus. Seule une action collective est efficace. J'ai suivi les débats sur telle ou telle limite concernant le port du masque ou la prise de température dans les aéroports, mais il faut se dire que si cela marche essentiellement, globalement, il faut le faire. En France, en Europe, on a trop tendance à s'appuyer sur des démarches individuelles. C'est une différence culturelle. On a appris à manger des sushis et à faire du judo ; de la même manière, on apprendra à porter un masque.
L'armée a été utilisée au début pour la mise en place des chaînes de montage, mais, très vite, l'industrie a pris le relais.
Enfin, les patients gravement malades ou décédés ont été, comme partout, des personnes assez âgées ou déjà malades, mais je ne dispose pas de statistiques précises sur ce point.
S'agissant des mesures dans les aéroports, la situation est différente pour les nationaux et les étrangers. Avec une quinzaine de pays dont la situation est jugée satisfaisante, la procédure est allégée pour les hommes d'affaires. De manière générale, il faut un test PCR moins de 72 heures avant le voyage. Pour les nationaux, l'accès est ouvert, mais les contrôles se font dès l'atterrissage. Les gens se déclarent souvent d'eux-mêmes lorsqu'ils ressentent un symptôme. Il arrive même qu'ils rentrent exprès pour se soigner et bénéficier de la qualité du système taïwanais. En ce qui me concerne, j'aurai droit à une semaine de quarantaine chez moi à mon retour la semaine prochaine. Pour les nouveaux arrivants, il existe des hôtels spécialement dévolus, ainsi que des taxis. Voilà, c'est extrêmement balisé et personne ne peut passer entre les mailles du filet. Mais les Taïwanais peuvent aussi être indisciplinés : cet été, il en a été repéré un au karaoké, alors qu'il aurait dû être en quarantaine.