Mes chers collègues, nous entendons ce matin M. François de La Guéronnière, président de section à la Cour des comptes, sur l'enquête demandée par notre commission, en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières sur le 100 % santé.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.
Dès l'adoption de ce dispositif, notre commission avait souhaité un suivi rigoureux de sa mise en oeuvre afin d'en limiter les effets de bords, notamment en termes de qualité du service rendu aux assurés, d'évolution des tarifs des complémentaires et de coût pour la sécurité sociale.
Si j'ai bien lu votre enquête, le bilan ne peut être que provisoire mais je vous laisse la parole pour nous livrer les premières recommandations de la Cour.
Je vous remercie vivement de m'avoir invité à présenter ce rapport de la Cour des comptes sur la réforme du 100 % santé. Je voudrai tout d'abord rappeler le cadre dans lequel cette réforme a été mise en oeuvre. Le 100 % santé était une promesse électorale du président de la République formulée durant la campagne de 2017. La réforme ne remet pas en cause l'articulation entre l'assurance maladie obligatoire et l'assurance complémentaire santé. Si les premiers éléments de cette réforme se sont concrétisés dès 2018, son entrée en vigueur intégrale n'a eu lieu qu'en 2021. La Cour n'a donc disposé que d'un recul limité pour procéder à ce premier bilan de mise en oeuvre du 100% santé, bilan qui repose sur des données parcellaires. Enfin, la réforme a été percutée par la crise sanitaire qui a probablement retardé sa mise en oeuvre.
Ma présentation s'articulera autour de trois points : un rappel des objectifs de la réforme, une présentation des premiers résultats, une évaluation des coûts.
La persistance de restes à charge élevés dans le champ de l'optique, du dentaire et de l'audioprothèse est le fondement de la réforme. Ces restes à charge étaient moindres en optique du fait de l'existence d'offres sans reste à charge. Ces restes à charge étaient à l'origine de renoncements aux soins, renoncements plus fréquents lorsque les personnes ne disposaient pas d'une assurance santé complémentaire, alors que ce mode de couverture n'est que peu concerné par cette réforme.
La réforme a procédé à la création de trois paniers de soins différenciés (100 % santé, libre, avec un reste à charge maitrisé). Son objectif est de plafonner le prix des soins des paniers 100 % santé et de proposer un remboursement intégral par le biais de l'assurance-maladie obligatoire et de l'assurance complémentaire santé.
Pour les prothèses dentaires et auditives, le dispositif supprime les restes à charge sur des équipements déjà consommés par une partie de la population. En optique, le dispositif introduit de nouveaux produits sans reste à charge, d'un niveau de prix très inférieur à celui des équipements majoritairement consommés jusqu'alors.
Cette réforme bénéficie également aux assurés de la complémentaire santé solidaire, les équipements proposés dans les paniers 100 % santé étant de gammes supérieures à celles des produits qui leur étaient proposés jusqu'alors. En contrepartie, le remboursement de l'assurance maladie obligatoire hors paniers 100 % santé a été réduit en optique et le plafonnement du remboursement des lunettes abaissé pour les complémentaires santé.
Les premiers résultats de cette réforme diffèrent selon les secteurs.
Pour le dentaire les résultats sont plutôt favorables. Le panier sans reste à charge et le panier modéré représentent une part très majoritaire des actes prothétiques réalisés (respectivement 55 % et 21 % en 2021). Une diminution des restes à charge de 21,2 % en 2019 à 18,3 % en 2020 est constatée. Le nombre de patients recourant aux soins est en augmentation (avec un nombre d'actes prothétiques par patient qui a augmenté de 2,28 en 2018 à 3,08 en 2021) mais cette évolution est encore incertaine.
Pour l'audioprothèse, le recours au 100% santé concerne 40 % des aides auditives vendues en 2021. Selon les informations communiquées à la Cour par l'Unocam, une diminution des restes à charge a pu être constatée. Cette forte augmentation du nombre de patients doit être confirmée dans la durée (avec un nombre d'aides auditives par patient qui a augmenté entre 2018 et 2021, pour passer de 1,82 à 1,94) tandis que les prestations de suivi doivent faire l'objet d'une attention soutenue et de contrôles réguliers.
C'est dans le domaine de l'optique que le bilan est le plus contrasté. Des offres sans reste à charge existaient déjà avant la mise en oeuvre de la réforme, dont l'apport est limité. Seuls 17 % des équipements sont délivrés avec au moins un bien du panier sans reste à charge. Ce taux n'est que de 9% lorsque les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire sont écartés du panel. Aucune progression du taux de recours n'est constatée, au contraire, nous assistons à une augmentation du reste à charge de 23 % en 2019 à 27 % en 2020.
Au vu de ces résultats nous nous sommes interrogés sur les leviers qui pouvaient être mobilisées pour rendre la réforme plus effective.
Le premier levier concerne le renforcement de la communication. En direction des assurés, d'une part, puisque seule la moitié d'entre eux aurait connaissance du dispositif. En direction des professionnels concernés, d'autre part, puisque les trois quart (72%) des établissements contrôlés par la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) dans les secteurs de l'optique et des audioprothèses présentent au moins une non-conformité, dont près de 40 % s'avère en lien, direct ou indirect, avec la réforme du 100 % santé.
Le deuxième levier concerne l'évaluation de la qualité des équipements, notamment pour vérifier l'adéquation du contenu des paniers avec les besoins de la population (par exemple pour les grosses corrections en optique).
Enfin, il faut constater que l'obligation de proposer le tiers-payant intégral pour les actes du panier 100% santé est encore insuffisamment mise en oeuvre. Des taux faibles sont constatés, particulièrement en dentaire. Ces difficultés ne sont pas spécifiques au 100 % santé mais il importe de trouver des solutions pour mieux faire respecter cette obligation.
La cour s'est également penchée sur le coût de cette réforme qui, à ce stade, est difficilement évaluable. L'équilibre financier de la réforme a été construit sur deux principes. D'une part, un équilibre entre des surcoûts (issus des remboursements à 100 % des audioprothèses et des prothèses bancaires) et des économies (moindres remboursements et baisse des prix, notamment dans l'optique). D'autre part, une parité des coûts prévisionnels pour l'assurance maladie obligatoire et l'assurance complémentaire en santé.
Cet équilibre reposait sur des hypothèses insuffisamment documentées et très volontaristes s'agissant de l'optique, d'ailleurs non partagées par les organismes complémentaires, qui projetaient de moindres économies sur l'optique que le Gouvernement.
Le coût prévisionnel de la réforme estimé par le ministère de la Santé s'élevait à 170 millions d'euros, dont 87 millions d'euros d'ici 2023 pour l'assurance maladie obligatoire (économies attendues sur le dentaire et l'optique) ; 80 millions d'euros pour les complémentaires (fortes économies sur l'optique en contrepartie de fortes hausses sur le dentaire et l'audioprothèse).
La cour n'ayant pas accès aux comptes des complémentaires santé, les chiffres qu'elle a recueillis reposent sur les données déclarées par ces derniers.
La mise en oeuvre de la réforme fait apparaitre des dépenses inférieures aux prévisions pour l'assurance maladie obligatoire mais supérieures pour les complémentaires. Les dépenses cumulées pour l'assurance maladie obligatoire seraient de 127 millions d'euros (2019-2021) contre 150 millions d'euros attendus. Le surcoût constaté sur les dépenses d'audioprothèse est contrebalancé par des économies supérieures à celles anticipées sur l'optique. Un surcoût potentiellement conséquent est constaté dans le champ des complémentaires santé. Une moindre économie de 265 millions d'euros serait constatée, du fait de l'optique pour l'essentiel. La Cour estime toutefois que ce chiffrage est à prendre avec précaution et doit faire l'objet d'analyses supplémentaires.
L'incidence de la réforme sur les secteurs économiques concernés par la réforme est quant à lui difficilement évaluable. Il est a priori très favorable dans l'audioprothèse, plutôt favorable dans le dentaire et encore incertain dans l'optique.
Avant de présenter les recommandations de la cour, je voudrais évoquer les outils de régulation qui accompagnent cette réforme. Un seul outil de régulation financière est disponible, il concerne le secteur des audioprothèses. Un mécanisme prix/volume devait s'appliquer si le volume vendu pour les adultes excédait 650 000 unités sur 9 mois ou 935 000 unités sur l'année 2021. Ce seuil fixé avec les acteurs a été largement dépassé en 2021 (1,38 million d'unités ont été remboursées à fin novembre 2021), pour autant aucune baisse de prix n'a été réalisée.
Dans le dentaire, une clause de rendez-vous, peu opérante, applicable uniquement en cas de déséquilibre dans la répartition observée des actes prothétiques dentaires entre les trois paniers est prévue. Enfin aucun mécanisme de régulation n'existe en optique, sauf la possibilité offerte aux complémentaires santé de réduire leurs garanties (pour lesquelles il n'existe pas de réel dispositif de suivi).
Ces constats dressés, la Cour formule trois recommandations. Premièrement, mettre en place un partage des données entre l'assurance maladie obligatoire et les assurances complémentaires santé en veillant à la mise à disposition de données de remboursement par ces dernières et assurer, sur cette base, un suivi identifiant les dépenses exposées au titre de la réforme.
Deuxièmement, réviser à la baisse les prix limites de vente des audioprothèses du panier 100 % santé.
Troisièmement, prévoir, dans le cadre de futures négociations conventionnelles avec les syndicats de chirurgiens-dentistes une clause permettant d'agir en cas de dérapage de la trajectoire des dépenses de prothèses dentaires ; renforcer les contrôles de la mise en oeuvre du 100% santé par les chirurgiens-dentistes.
Merci pour ce point d'étape sur une réforme importante, affectée il est vrai sur certains points par la crise sanitaire.
Une remarque d'abord : la ligne de partage entre l'assurance maladie obligatoire et l'assurance maladie complémentaire n'étant pas modifiée par la réforme, le 100 % santé ne concerne pas les assurés dépourvus de complémentaire, tels par exemple ceux dont les revenus sont situés juste au-dessus du plafond d'accès à la C2S... Les classes moyennes sont par conséquent pénalisées. Et quand la prise en charge par l'assurance maladie au-delà du panier 100 % santé se réduit, c'est la double peine.
Vous avez en outre insisté sur la nécessité de suivre finement la réforme, notamment la qualité des prothèses prises en charge. Or le coût des matériaux et des produits finis a augmenté depuis 2019. Cela aura-t-il un impact sur le montant des cotisations ? Le coût des prothèses ne finira-t-il pas par dépasser le montant du tarif remboursé par l'assurance maladie obligatoire ? Dans cette hypothèse, on ne pourrait plus parler de 100 % santé...
Dès lors que la réforme ne bénéficie que très partiellement aux personnes ne disposant pas d'une couverture complémentaire, dans quelle mesure diriez-vous que la réforme a atteint sa cible en réduisant les inégalités dans l'accès aux soins et le renoncement aux soins des populations les plus fragiles, et comment faire en sorte que ces objectifs soient mieux atteints - en gardant à l'esprit l'objectif d'équilibrer les comptes sociaux ?
Votre rapport regrette que les données permettant de mesurer l'effet de la réforme sur les primes et les prestations des complémentaires santé soient aujourd'hui limitées. Une hausse des primes vous semble-t-elle néanmoins justifiée par la santé financière des organismes complémentaire, qui ont engendré en 2020 d'importants excédents ?
Les dépenses induites par la réforme se sont révélées inférieures aux prévisions pour l'assurance maladie obligatoire mais largement supérieures aux prévisions, en revanche, pour l'assurance complémentaire. Ce déséquilibre, s'il se révélait structurel, devrait-il conduire à une redéfinition du partage de l'effort entre ces deux volets ?
Vous êtes-vous appuyés, dans le cadre de vos travaux, sur les conclusions du comité de suivi mis en place par le PLFSS pour 2019 ? Cette structure vous paraît-elle adaptée aux besoins de suivi ? Vous semble-t-elle avoir eu un rôle efficace jusque à présent dans le pilotage de la réforme - j'ai cru comprendre de vos propos que la réponse devait être négative ?
Une actualisation des paniers de soins doit être engagée cette année. Elle pourrait notamment conduire à une diminution du prix limite de vente des aides auditives, préconisée dans votre rapport. La révision doit-elle selon vous poursuivre d'autres objectifs ? Les paniers, notamment, doivent-ils être enrichis, par exemple pour les fortes corrections en optique, pour les piles pour audioprothèses, ou pour les prothèses en céramique pour molaires ?
Une série de réunions avec les organismes complémentaires devait être programmée en 2022 afin de lever les obstacles techniques à la mise en oeuvre du tiers-payant intégral. Avez-vous pu constater, au cours de vos travaux, des avancées en la matière ?
Si le législateur s'était saisi de cette question en 2021, la disposition a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel. Le recours à la loi vous semble-t-il nécessaire ?
Quel regard portez-vous sur les propositions d'extension du 100 % santé, par exemple aux prothèses capillaires, aux semelles orthopédiques, ou à l'orthodontie, formulées par la CNAM dans son dernier rapport sur les charges et produits ? Une telle extension vous paraît-elle réaliste à court ou moyen terme compte tenu des difficultés dans le pilotage économique du dispositif ?
En bref, j'insiste, il faudrait veiller à, si j'ose dire, ne pas mentir aux Français sur la réforme du 100 % santé.
Que les personnes dépourvues de complémentaire santé n'aient pu bénéficier du 100 % santé est en effet inhérent aux modalités de la réforme. Si nous n'avons pas cherché, dans notre enquête, à sortir du cadre intellectuel qu'elle a établi, nous avons bien relevé cet état de fait. Les résultats montrent que la réforme a des effets positifs pour les personnes concernées, mais pour les personnes dépourvues de complémentaire, à savoir majoritairement les chômeurs, les inactifs en âge de travailler ou les jeunes adultes, il faudrait distinguer le cas des personnes bénéficiant de la C2S, pour lesquelles le panier de soins proposé est devenu plus favorable, et les autres, qui n'ont bénéficié d'aucune amélioration.
La Cour a toutefois déjà eu l'occasion de réfléchir à l'articulation entre l'assurance de base et la couverture complémentaire dans son rapport de l'an dernier, réalisé à la demande de l'Assemblée nationale, où nous envisagions plusieurs hypothèses, telles le décroisement des risques, le bouclier sanitaire, ou le renforcement de la régulation.
La Cour recommande effectivement un meilleur partage des données entre l'assurance maladie obligatoire et les complémentaires. Le code de la santé publique prévoit déjà que, dans le cadre du système national des données de santé, les complémentaires mettent à disposition un échantillon représentatif des données de remboursement. Or cette disposition n'est pas appliquée. Veiller à l'application de cette disposition pourrait être l'occasion d'enrichir le dispositif, en y ajoutant des données sur les garanties offertes par les différentes complémentaires.
Cette disposition n'étant pas appliquée, nous ne disposons que de données un peu anciennes. Le dernier rapport de la Drees fait état d'excédents légèrement supérieurs en 2020 - 637 millions d'euros - à leur niveau de 2019 - 462 millions d'euros. Il est néanmoins difficile d'en tirer des conclusions très assurées : il s'agit d'une moyenne, et l'on ignore la situation financière de ces différents organismes complémentaires en 2021.
Vous nous interrogez encore sur l'opportunité de modifier le partage des efforts entre assurance maladie obligatoire et la couverture complémentaire. Le rapport n'apporte pas de réponse à cette question, mais il est vrai que la réforme s'insère dans cet enjeu plus large. En matière de soins dentaires par exemple, la convention dentaire qui mettait en oeuvre un certain nombre de dispositions de la réforme prévoyait 635 millions d'euros de l'assurance maladie obligatoire pour des soins conservateurs, contre 80 millions seulement pour les complémentaires. Si l'on devait toucher à l'équilibre entre assurance de base et assurance complémentaire, il conviendrait de le faire de manière plus globale, dans le cadre de la nouvelle convention dentaire, lorsqu'elle sera renégociée.
Nous avons eu accès aux documents du comité de suivi, créé par la LFSS pour 2019. Il a montré son utilité, en permettant aux parties prenantes d'être informés de l'avancement de la réforme. Un certain nombre d'acteurs nous ont toutefois indiqué que ce comité avait pu se révéler un peu trop descendant ou, disons, insuffisamment participatif, ne permettant guère de mettre sur la table tous les sujets. Surtout, les données financières actualisées permettant de mieux suivre la réforme ont manqué ; or c'était l'objectif premier de sa création.
J'en viens à la question de l'éventuel enrichissement des paniers. Nous avons vu que la Cnam nourrissait progressivement ses dossiers sur cette question, notamment sur les fortes corrections optiques, les piles pour audioprothèses ou les prothèses en céramique pour les molaires. Nous n'avons toutefois pas encore les éléments permettant d'en tirer un bilan complet, notamment le résultat d'enquêtes auprès des patients permettant de savoir si le panier actuel est adapté. Il nous semble qu'il conviendrait de procéder d'abord à une telle évaluation avant d'envisager des extensions.
S'agissant du tiers payant intégral, nous n'avons pas eu de remontées particulières sur ce point de la part des administrations. Le cycle de réunions que vous évoquez n'a sans doute pas donné d'effet probant jusqu'à présent. Si la situation venait à se figer, seule une disposition législative pourrait lever les blocages constatés.
Vous abordez dans votre rapport les soins conservateurs en matière dentaire en mentionnant qu'ils seraient moins concernés par la question des délais importants d'accès aux soins que d'autres secteurs comme l'optique. Ce n'est pas le sentiment que nous avons dans nos départements.
Le tiers payant intégral est particulièrement important si on veut que le 100 % santé contribue à améliorer l'accès aux soins. Pourquoi n'est-il pas bien respecté ? Est-ce en raison d'une trop grande complexité du tiers-payant avec des procédures de recouvrement trop longues et fastidieuse ou bien est-ce parce qu'il existe des indices de non-respect des tarifs ? Vous avez dit que les leviers pour débloquer la situation du tiers payant intégral relevaient du domaine législatif. Ce n'est pas le cas de cette question.
L'ambition générale du 100 % Santé, c'est un meilleur accès aux soins dentaires, aux audioprothèses et à l'optique. Or, à vous écouter, j'ai le sentiment que pour les audioprothèses, l'amélioration est perceptible mais que cela est moins vrai sur l'optique. Me confirmez-vous cette impression ?
Sur la première question de Monsieur Jomier relative aux difficultés du tiers payant intégral, les contrôles effectués par la Cnam ne permettent pas de relever un non-respect des tarifs. En revanche, les difficultés sont multifactorielles. La question de la granularité des données transmises aux organismes complémentaires a notamment émergé avec la réforme. La nouvelle nomenclature des données est devenue beaucoup plus fine et les opticiens refusent parfois de transmettre des informations très précises sur leurs patients. Or, les complémentaires estiment que sans ces données, elles ne peuvent mettre en oeuvre la gestion du risque. Cette situation freine la mise en place du tiers payant intégral.
D'autres réticences ou craintes de la part des professionnels sont liées au délai de remboursement. Un amendement proposé il y a un an répondait à ce sujet et réglementait la nature des données transmises. Sur cette question, il s'agit bien d'une réponse législative.
Sur l'ambition d'un meilleurs accès aux prestations, vous avez la bonne appréciation des choses. Le taux de recours au panier 100 % Santé est bien le plus élevé pour l'audioprothèse. Nous avons constaté une augmentation du nombre de personnes s'étant équipé d'audioprothèses ainsi qu'une diminution du reste à charge. Cette hausse du taux de recours est flagrante à tel point que nous nous sommes interrogés sur la pertinence du recours à certains équipements. Les deux oreilles sont beaucoup plus systématiquement couvertes alors que ce n'est pas toujours nécessaire. Nous recommandons donc d'investiguer sur ce domaine en particulier.
Dans le secteur de l'optique, le taux de recours demeure beaucoup plus faible. J'ai déjà rappelé une circonstance explicative qui réside dans le fait que des offres de « zéro reste à charge » préexistaient à la réforme avec les contrats responsables ou les contrats de la complémentaire santé solidaire. Le 100 % Santé a donc eu un apport moindre que pour les audioprothèses. En outre, les moyens ont été concentrés sur les paniers 100 % et se sont détournés des autres paniers. Puisque le recours au panier 100 % Santé n'a pas été à la hauteur des objectifs, il en a résulté une hausse du taux de reste à charge. Le bilan est donc nettement moins favorable.
À la sortie de nos travaux sur le contrôle des Ehpad, je porte une attention particulière sur le contrôle et le suivi des prestations. Quels sont les moyens de contrôle sur les audioprothèses ?
Les contrôles sont effectués par le service médical de la Cnam mais, comme nous l'avons indiqué, ils n'ont pas été suffisants. Nous appelons à leur déploiement.
Quel rôle peut-il être attribué à la crise sanitaire dans les difficultés de mise en oeuvre du 100 % Santé ?
La crise, en saturant l'espace médiatique, a bien entendu une responsabilité dans la méconnaissance de la population sur le dispositif de la réforme. Nous préconisons dorénavant de renforcer l'effort d'information dans ce domaine.
Il n'a pas été mis en place de dispositif de suivi spécifique de la réforme notamment pour les aspects financiers. Il est donc très difficile de voir ce qui relève de la réforme 100 % santé et ce qui relève du bouleversement de la consommation médicale occasionné par la crise. Un moindre recours aux soins a été constaté durant la crise. Il est donc certain qu'une part des changements, certes difficile à mesurer, est due à cette dernière. L'année 2022 sera très importante pour l'évaluation de la mise en oeuvre de la réforme.
La crise a en effet bouleversé les pratiques de la population qui n'a pas pleinement connaissance du dispositif 100 % Santé comme vous l'avez souligné. Ce n'est donc pas la période idéale pour évaluer la réforme.
Il faudra regarder l'incidence pour les patients mais aussi pour les professionnels comme les dentistes, les audioprothésistes et les opticiens et en tirer les conséquences dans la nuance et la mesure. Certains opticiens m'ont indiqué être contrôlés de manière excessive ! Il faut également regarder si la réforme n'a pas mis en danger des entreprises françaises fabricantes de lunettes, comme c'était notre crainte lors du vote de la réforme. Des fabricants jurassiens de montures nous avaient interpellés sur le risque de favoriser les lunettes importées au détriment de la production nationale.
Sur l'audioprothèse, nous partions effectivement de plus loin que pour l'optique. La montée en charge a donc été plus forte. Toutefois, ce que j'entends aussi de la part des audioprothésistes, c'est que la qualité des produits éligibles au 100 % santé ne correspond pas toujours au besoin des patients qui sont obligés de revenir plusieurs fois auprès des professionnels pour régler des problèmes techniques de leur équipement.
Pour les dentistes, j'ai l'impression que la mise en place du 100 % Santé a favorisé les soins de type « inlay » et « onlay », dont le coût est plus élevé, au détriment des soins prothétiques. Il y a là un point à corriger. En somme, sans faire un procès à l'ambition de toucher le plus de personnes dans la population, il ne faut pas privilégier la quantité à la qualité. Il faut également garder à l'esprit que des professionnels dans tous ces domaines ont besoin de gagner leur vie.
Nous n'avons rien à redire aux remarques que vous formulez. Concernant l'incidence sur les professions, nous avons observé que dans le secteur de l'optique, le panier 100 % Santé est peu proposé aux patients, ce qui a contribué au faible effet de la réforme dans ce secteur.
Nous nous sommes penchés sur l'incidence du dispositif sur les entreprises. La formulation de la réforme a été différente selon le secteur : dans le secteur optique, contrairement aux deux autres, le choix a été fait de développer des produits nouveaux avec des prix très bas. Compte tenu de ces prix, il est exact que les lunettes sont probablement en très large partie importées.
Une des conclusions principales de notre rapport est qu'il faut examiner l'adéquation des produits encouragés par la réforme avec les véritables besoins avant de faire évoluer le dispositif.
Notre système de prise en charge des dépenses qui voit coexister des interventions de l'assurance maladie obligatoire et de l'assurance complémentaire santé est affreusement compliqué. La question des avantages qu'apporteraient l'existence d'un seul financeur mérite d'être posée.
La question de l'articulation entre régime obligatoire et régime complémentaire n'est pas examinée dans la cadre de ce rapport. La coexistence de deux catégories d'acteurs chargés de la couverture d'un même risque est une des caractéristiques principales de notre système de santé. Dans d'autres pays européens, ce système n'existe pas. En Allemagne par exemple, le régime obligatoire et le régime complémentaire interviennent sur des champs différents. Chaque financeur est responsable de son domaine d'intervention. En outre, se pose en France la question des frais de gestion engendrés par cette organisation.
Ce mode d'organisation complique l'évaluation de la réforme du 100 % santé car la transmission des données se fait de manière incomplète, c'est pour cela que la Cour recommande la mise en place d'un partage des données entre l'assurance maladie obligatoire et les complémentaires santé.
Notre rapport remis à l'Assemblée nationale en 2018 esquissait des scénarios pour régler cette question des champs d'intervention respectifs de l'assurance maladie obligatoire et des complémentaires santé.
Je vous remercie pour cette présentation. La commission autorise la publication de cette enquête sous la forme d'un rapport d'information.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Soucieuse de veiller à l'effectivité et à la qualité de l'accès aux soins sur l'ensemble du territoire national, notre commission des affaires sociales avait décidé de réaliser en 2020 une mission à Mayotte.
En raison de l'épidémie de covid, ce déplacement a dû être plusieurs fois reporté, mais il a finalement pu se dérouler du 28 février au 5 mars dernier.
La délégation de la commission des affaires sociales était composée, outre moi-même, de Laurence Cohen, Jean-Luc Fichet et Dominique Théophile. Viviane Malet a pu rejoindre certains entretiens qui se sont tenus à La Réunion et nous avons été accompagnés pour certains déplacements à Mayotte par Thani Mohamed Soilihi.
S'il me revient de vous présenter aujourd'hui les principales observations que nous avons pu faire et les recommandations qu'il nous apparaît utile de formuler, je sais pouvoir y associer mes collègues. En effet, je pense que la situation que nous avons pu constater dépasse largement les clivages politiques.
Je commencerai par rappeler quelques éléments de contexte. Mayotte est un département avec une population extrêmement jeune. Pour autant, celle-ci n'est pas nécessairement en bonne santé. Un habitant de Mayotte sur neuf s'estime en mauvaise ou très mauvaise santé selon l'Insee.
Dans une situation de pauvreté considérable, Mayotte connaît encore des phénomènes sanitaires qui ne trouvent de comparaison dans aucun autre département français, avec une résurgence de choléra au début des années 2000 ou des épidémies de fièvres typhoïdes ou d'hépatite A.
Mayotte doit en plus relever les défis sanitaires contemporains dans des proportions plus graves : 26 % de la population est aujourd'hui obèse, et la mortalité infantile atteint 9,6 %o, près de trois fois le taux hexagonal.
J'évoquais à l'instant de graves épidémies. Celles-ci sont liées à la situation matérielle dans laquelle se trouve la population. Quatre logements sur dix sont en tôle et 29 % des foyers n'ont pas accès à l'eau à l'intérieur de leur logement. Parmi eux, 9 % sont ainsi contraints d'utiliser, y compris pour l'alimentation de nourrissons, l'eau des rivières, qui servent pourtant de déversoir pour les déchets et les latrines et où vivent notamment les zébus dont les déjections polluent directement les eaux. C'est cela aussi, la situation dans laquelle vit une partie de la population.
Nous avons pu nous rendre dans les bidonvilles pour accompagner des équipes de dépistage de la gale avec l'agence régionale de santé (ARS) et la réserve sanitaire de Santé publique France. Nous avons vu l'extrême précarité des logements, l'impossibilité souvent des mesures d'hygiène élémentaire. Face à cela, et alors que les collectivités n'ont pas investi sur la distribution gratuite d'eau, l'ARS a agi avec un réseau de bornes fontaines, accessibles via des cartes prépayées, ainsi qu'avec des rampes d'eau. Cette action est nécessaire et efficace, et nous avons constaté qu'autour de ces bornes se nouaient également des actions de santé communautaire en matière de prévention.
J'en viens désormais à l'accès aux soins en tant que tel en commençant par un chiffre, celui du non-recours : 45 % des habitants ont reporté ou dû renoncer à des soins en 2019. C'est considérable et cela concerne les assurés comme les non assurés.
Le système de soins repose à Mayotte essentiellement sur le centre hospitalier de Mayotte, le CHM. Celui-ci comprend le site principal de Mamoudzou, quatre centres de référence qui disposent d'une maternité et d'un accès aux soins 24 heures sur 24 dans les autres zones de l'île, et douze dispensaires ou « centres de consultations périphériques ».
Nous avons pu nous rendre au CHM à Mamoudzou, qui compte 420 lits mais aussi visiter le nouveau site Martial Henry, sur Petite-Terre, qui regroupe désormais des activités de médecine, une maternité mais aussi des lits de soins de suite et de réadaptation (SSR). Nous sommes également allés dans le Nord et le Sud de l'île pour visiter des centres de référence assurant l'activité de maternité et des centres de consultations. Ces établissements sont dans l'ensemble en bon état, certains sont très récents ou rénovés et sont bien équipés, il est important de le souligner.
Je ne vais pas commenter ce matin l'activité globale du CHM, mais je voudrais signaler qu'avant la crise sanitaire, en 2019, l'établissement totalisait 39 148 séjours. Ce que nous avons vu, c'est un établissement débordé et qui n'est pas en capacité de faire face aux besoins, alors qu'il est souvent le seul offreur de soins. Il assure les naissances, les actes de chirurgie mais doit aussi pallier les lacunes d'accès aux soins primaires ou encore les faiblesses reconnues de la protection maternelle et infantile.
Les capacités hospitalières sont très en-deçà de la moyenne nationale : 0,69 lit de médecine pour 1 000 habitants contre 2,06 dans l'Hexagone ; 0,37 lit contre 1,26 pour la chirurgie !
Avec quels résultats ? Des files d'attente très longues dès l'aube devant les centres de consultations et les hôpitaux. Des soins qui, de fait, se concentrent sur les soins non programmés et les soins urgents. Pas de prévention possible, peu ou pas de chirurgie programmée. Pour cela, il faut aller à La Réunion. La réalité, c'est donc que les Mahorais doivent parfois attendre, faute de bloc disponible, et être finalement opérés en urgence quand leur état se dégrade. Comme nous l'ont dit certains personnels soignants lors de nos visites , « c'est une médecine de catastrophe ».
Il n'est pas normal qu'un hôpital soit constamment à bout de souffle. Il n'est pas acceptable que des examens ou actes de chirurgie programmables ne puissent pas être réalisés sur l'île.
J'ai mentionné plusieurs fois les maternités. C'est le coeur de l'activité du CHM, avec 10 704 naissances en 2021 et plus de 11 500 attendues en 2022. C'est le seul indicateur où Mayotte dépasse l'Hexagone en capacité : 1,79 lit contre 0,57 dans l'Hexagone.
Les médecins, sages-femmes, infirmiers, nous ont tous parlé d' « industrialisation », de maternités « usines » voire parfois de maltraitance, tant les cadences imposées aux soignants comme aux parturientes sont dures. Ce sont des mots forts, mais la réalité est réellement saisissante.
L'hôpital, comme partout en France certes, manque de personnel. Ces manques pèsent sur les personnels présents au point d'en faire parfois des charges insupportables qui ont amené certains à démissionner.
Dans les centres de référence, relevons qu'il n'y a souvent pas de médecin obstétricien ni anesthésiste en salle d'accouchement. C'est une pression supplémentaire pour les sages-femmes. C'est aussi l'impossibilité de proposer une péridurale.
À la maternité du site central, il faut avoir en tête qu'une femme en bonne santé sans risque majoré doit quitter l'hôpital avec son bébé à « H+3 » : trois heures seulement après l'accouchement, la mère et le bébé sont transférés vers un centre périphérique pour désengorger les services. Tout cela pour un ratio de grossesses à risque bien supérieur à celui constaté dans l'Hexagone !
Je tiens à souligner notre ressenti lors de nos déplacements dans les hôpitaux mahorais. Dans les chambres de maternité, services de pédiatrie ou de néonatologie, nous avons constaté la surcharge des soignants et la sur-occupation des chambres, y compris des berceaux en néonatalogie. Pourtant, les services étaient toujours calmes : Mayotte est en crise mais les personnels font face de manière résiliente. Les soignantes et soignants que nous avons rencontrés ont tous montré leur détermination, dans un contexte extrêmement difficile, à assurer leur mission du mieux qu'elles et ils le peuvent. Nous tenons à saluer leur engagement au quotidien.
Je souhaite également insister sur une chose : beaucoup ont souligné l'intérêt immense qu'ils avaient à travailler à Mayotte. Professionnellement, Mayotte est un territoire avec des activités et pathologies qui sont parfois rares dans le reste du pays. De même, la situation de tensions fait que les professionnels sont amenés à dépasser souvent les compétences habituellement prévues dans l'Hexagone ou à trouver des méthodes de travail différentes. Cette situation particulière, attractive notamment pour des internes en médecine mais surtout pour certaines sages-femmes, doit pouvoir être valorisée.
J'ai évoqué longuement la situation du CHM, pour une bonne raison : je le disais, le CHM est le principal offreur de soins de l'île. Les libéraux sont peu nombreux : 389 professionnels seulement en 2021, dont 27 généralistes.
Ce manque de médecine de ville est un véritable problème dans l'accès aux soins. La structuration d'une médecine de ville et de filières de soins, notamment en soins visuels par exemple, est un réel défi. Là encore, l'enjeu principal est celui de l'attractivité pour le personnel.
Le problème est similaire concernant l'offre de soins en établissements privés : elle est aujourd'hui limitée à la prise en charge des dialyses. Des projets ont été évoqués d'ouverture d'une clinique à Mayotte ainsi que d'activités de SSR et de santé mentale.
Je le disais, ce système de soins est plus qu'en surchauffe. Il faut être lucide sur les raisons de celle-ci. Des défauts de capacités, certainement, mais aussi, face aux moyens existants, une démographie galopante portée notamment par une vague migratoire non maîtrisée en provenance des Comores. Celle-ci fait peser une charge lourde sur le système de soins et génère des tensions préoccupantes avec les Mahorais. Comment garantir le bon accès aux soins des assurés qui se sentent souvent moins bien pris en charge face à la pression des non-assurés ?
Nous nous sommes déplacés durant une période de reprise d'émeutes sur l'île. La sécurité a été abordée lors de chacune de nos rencontres. Comment attirer des professionnels de santé quand l'insécurité est le quotidien des Mahorais ? Comment faire revenir les étudiants mahorais qui partent se former à La Réunion ou dans l'Hexagone ?
J'en viens maintenant au rôle de La Réunion dans l'offre de soins de Mayotte. L'accès aux soins pour les habitants de Mayotte ne se conçoit qu'avec La Réunion. L'île, distante de plus de 1 400 kilomètres, assure un rôle de recours absolument indispensable.
Nous avons pu nous rendre sur place au début de la mission et visiter notamment le CHU au Nord de l'île. De 500 en 2010, les transferts ont atteint plus de 1 400 en 2021. Ils concernent principalement : les tumeurs, faute de chirurgie disponible à Mayotte et de plateau carcinologique approprié ; les pathologies de l'appareil cardio-respiratoire ; dans une moindre mesure, les pathologies de l'appareil génito-urinaire, principalement les fistules de dialysés qui ne peuvent être prises en charge à Mayotte ;enfin, la natalité et la périnatalité, pour des grossesses pathologiques ou avec une analyse chromosomique nécessaire.
C'est une activité absolument considérable et qui connaît une croissance soutenue. Par ailleurs, il faut avoir en tête qu'un développement de l'accès aux soins sur place à Mayotte renforcera le recours à La Réunion : c'est le cas par exemple des dépistages du cancer du sein à Mayotte.
Les partenariats entre les établissements hospitaliers mahorais et réunionnais semblent efficaces et particulièrement éprouvés. Au-delà de l'accueil de patients, le groupement hospitalier de territoire (GHT) de La Réunion réalise aussi des missions médicales sur place, avec l'envoi de médecins, sur un large champ de spécialités. 24 missions ont été réalisées en 2021.
D'autres formes de coopérations sont en développement, notamment des postes partagés entre La Réunion et Mayotte, mais aussi des stages d'internat favorisés à Mayotte.
Enfin, je souhaite aborder le rôle de l'Agence régionale de santé. Nous avions prévu le déplacement pour 2020, année où l'ARS de Mayotte devenait une ARS de plein exercice et non plus une délégation de l'ARS océan indien chargée de La Réunion et Mayotte.
Cette décision d'autonomisation de l'agence était une promesse du plan Mayotte à la suite des troubles de 2018. Il y avait aussi à Mayotte le sentiment d'être souvent oublié de La Réunion dans les décisions de l'ARS océan indien...
Cette création d'agence n'avait rien de facile mais le pari semble réussi. Celle-ci a été accompagnée d'une montée en puissance substantielle des crédits du fonds d'intervention régional, qui a triplé entre 2017 et 2020.
Le pilotage de l'agence, que Dominique Voynet a structurée en tant que première directrice générale, a parfois été qualifié de « politique », mais reconnu comme efficace. Force est de constater que c'est bien ce que certains ont décrit comme une action « interventionniste » de l'agence qui a permis de débloquer au coeur de l'épidémie de covid-19 l'achat d'un hélicoptère pour le SMUR, facilitant largement les transports sanitaires des urgences sur l'île, mais qui a aussi permis de réaliser l'achat en urgence d'un avion sanitaire pour faciliter les transferts vers La Réunion.
Il faut le dire, l'action de l'ARS Mayotte est à saluer et réconcilie ceux qui pourraient être sceptiques quant aux missions des ARS et j'ai confiance dans l'action du directeur général et de ses équipes au service de la santé des Mahoraises et des Mahorais. Cette agence est également un bon exemple de la capacité des ARS à mener des projets concrets et pertinents si l'on veut bien leur accorder une marge de manoeuvre dans la définition et la mise en oeuvre de leurs actions, au moyen du fonds d'intervention régional (FIR), notamment.
Je souhaite pour finir insister sur une chose. Je ne veux pas que l'on retienne de ce travail un tableau sombre. Oui, Mayotte connaît une situation extrêmement délicate. À la fragilité sociale s'ajoutent des problèmes criants de sécurité, et la pression migratoire venant des Comores fragilise l'île et nourrit un climat de tensions particulièrement préoccupant.
Mais ce territoire est en développement et il doit être vu comme un lieu d'opportunités, y compris pour des innovations dans l'organisation du système de santé. Le développement de Mayotte, et avec lui la structuration durable d'un système de santé adapté aux besoins, ne pourra se faire qu'en assurant l'attractivité du territoire.
Ce n'est pas un département à l'abandon ; l'État est là, il agit. Pour les hospitaliers comme pour les libéraux, Mayotte offre des perspectives professionnelles qu'il faut valoriser. Être lucide et honnête sur les constats ne doit pas conduire à laisser Mayotte sombrer et décourager ceux qui y vivent et développent l'île au quotidien. Il faut au contraire accompagner ce développement.
Voilà, mes chers collègues, les observations que je souhaitais vous communiquer. J'en tire une série de recommandations, que je soumettrai à votre approbation comme il en est désormais d'usage.
La première, pour tirer les conséquences de cette situation qui n'a rien de commune, est de permettre d'adapter le cadre juridique. Le droit commun doit s'appliquer partout où c'est possible, mais il faut savoir l'adapter quand cela est nécessaire, et c'est ici justifié.
Je pense ici à des dispositions qui ne trouvent pas à s'appliquer, ou qui s'appliquent mal, et qui au quotidien sont des freins à un bon fonctionnement ; c'est le cas sur les obligations en matière d'union régionale des professionnels de santé, mais aussi concernant les seuils d'exercice coordonné.
Il s'agit aussi surtout de situations de fait auxquelles on ne trouvera pas de solutions dans l'immédiat et qui doivent trouver un cadre juridique sécurisé. C'est le cas notamment des salles d'accouchement dans les maternités périphériques, où les sages-femmes exercent le plus souvent sans médecin. Des dérogations temporaires au droit commun doivent être avancées.
Des dérogations doivent pouvoir être accordées plus simplement sur demande des directeurs généraux d'ARS outre-mer. Il faut plus de souplesse et de confiance quand les acteurs de terrain prennent leur responsabilité.
La deuxième est celle d'un contrat d'engagement de l'État pour fixer un cap clair pour la structuration du système de soins à Mayotte. Le suivi du plan Mayotte 2025 n'est pas suffisant.
La modernisation du centre hospitalier de Mamoudzou, l'ouverture du centre Martial Henry sur Petite-Terre et la rénovation de centres de référence vont dans le bon sens. Ils sont le résultat d'investissements structurants lourds qu'il faut saluer. Mais il faut de la visibilité pour l'ARS comme pour le CHM et les professionnels de santé libéraux.
Le nouveau projet régional de santé est en cours d'élaboration. Je souhaite que celui-ci puisse comporter un volet plus prospectif sur les besoins à un horizon de vingt ans et que l'État contractualise un plan durable d'investissements en santé dans le département. Le deuxième grand site du centre hospitalier est déjà lancé, mais il ne suffira pas, nous le savons déjà. Là encore, alors que les diagnostics sont là et que des acteurs sont prêts à se mobiliser, il faut que l'État accompagne.
Cette structuration emporte un deuxième impératif, celui de l'attractivité. C'est avec des équipements de qualité et des établissements en bon état de marche que l'on peut correctement attirer des professionnels pour y travailler. Mais je veux aussi que l'on puisse réfléchir aux conditions d'exercice dans les outre-mer. Peut-être faut-il ouvrir davantage de contrats sous forme de « missions » de plusieurs mois ou, idéalement, plusieurs années.
Il faut aussi que le CHM trouve à terme sa place dans cette offre. Est-ce à l'hôpital d'assurer tous les soins ? Le CHM n'a pas vocation à pallier les lacunes des PMI en termes de vaccination infantile par exemple, ou à accueillir uniquement les non-assurés. Il devra demain se recentrer sur son activité propre et les missions essentielles de l'hôpital. La question de son mode de financement se pose aussi : la dotation globale n'est pas viable sur le long terme et ne permet pas la bonne intégration des missions d'intérêt général qu'assure le CHM.
La troisième, corollaire de cette consolidation durable des structures de soins, concerne la manière même d'accéder aux soins. Il faut arriver à organiser une offre de soins programmés et sortir du « tout non programmé », particulièrement pour les assurés mahorais.
Les dispensaires doivent sans doute être complétés : certainement par une offre libérale, mais aussi par une offre plus classique de soins programmés, y compris dans des structures qui seraient encore sous l'égide du CHM. Parallèlement, il me semble que sur « l'aller vers », beaucoup reste à faire. À ce titre, je pense qu'il faut que des équipes de l'hôpital, et sans doute régulièrement peut-être de la réserve sanitaire, ne soient pas déployées seulement sur des missions de lutte anti-vectorielle mais aussi sur des interventions de dépistage ou soins basiques itinérants, pour des populations qui ne se déplacent parfois pas, notamment dans les bidonvilles. C'est sans doute de l'ordre de la médecine humanitaire, mais c'est aussi probablement un moyen pour anticiper certaines prises en charge de pathologies « simples » avant qu'elles ne se dégradent et prennent davantage de temps en urgence, et ainsi désengorger l'hôpital.
La quatrième concerne les droits à l'assurance maladie à Mayotte. La Cour des comptes a récemment constaté dans son rapport sur Mayotte que la promesse de déploiement de la CMU-C à Mayotte ou l'exonération de ticket modérateur n'avaient absolument pas été mises en oeuvre. Il faut que l'accès aux soins des assurés soit facilité, notamment dans la médecine de ville et pour l'accès au réseau officinal. Avancer sur l'alignement des droits ne sera sans doute pas plus coûteux, mais probablement plus efficace. Je veux que soit engagé un alignement vers la protection universelle maladie, la PUMa.
Il en va de même pour l'aide médicale d'État (AME). Il n'y a pas d'AME aujourd'hui pour ne pas attirer de clandestins, mais tout cela est bien hypocrite : les soins sont bien pris en charge, et tout le monde le sait, mais c'est l'ARS qui paye avec le FIR, et non l'État ! Cela ne simplifie rien, notamment lors de soins dans le privé ou de transferts à La Réunion, bien au contraire. Dire cela ne veut pas dire cesser de lutter contre l'immigration illégale, ni ouvrir les vannes aux « kwassas sanitaires » qui arrivent à Mayotte.
La dernière enfin concerne l'accès à l'eau. Je ne conçois pas qu'en France, l'accès à l'eau ne soit pas garanti. Il faut soutenir l'action de l'ARS et renforcer le réseau de bornes fontaines, mais il faut aussi que les collectivités assument leurs missions sur ce point et mettent des points d'accès gratuit également en complément. Ce n'est pas forcément populaire, mais il s'agit là du minimum en matière de santé publique.
Je partage en effet l'analyse que la présidente vient de faire de la situation à Mayotte, qui reflète ce que nous avons pu voir sur place durant ce déplacement intense et particulièrement riche, et révélateur d'une réalité que nous ne soupçonnions pas.
Je souhaiterais revenir sur l'une des séquences de ce déplacement, au coeur des bidonvilles. Nous avons pu accompagner des équipes de l'ARS chargées de la lutte anti-vectorielle, accompagnées de renforts de la réserve sanitaire, dynamiques et volontaires, dans une mission de dépistage de la gale.
J'ai été frappée de voir combien, à l'occasion de ces missions, les médecins et infirmiers ne pouvaient que constater les besoins de la population en soins de base - en cas de gale, donc, mais aussi de tout autre symptôme - sans toutefois pouvoir les prodiguer. Telle mère dont l'enfant présentait une énorme hernie ombilicale a ainsi été poliment envoyée vers un centre de consultation - qu'il est douteux qu'elle ait finalement contacté.
La présidente a évoqué la nécessité de renforcer « l'aller vers » : c'est selon moi déterminant, mais il reste qu'une grande partie de la population des bidonvilles ne se déplace pas, sauf en cas d'urgence, car il s'agit pour beaucoup de personnes en situation irrégulière, ne parlant pas le français et qui, nous l'avons vu, ont peur des contrôles de police et limitent donc leurs contacts. Leur seul recours reste alors le centre hospitalier de Mamoudzou, mais une provision de dix euros, et parfois plus, est exigée, qui constitue une véritable barrière aux soins. Médecins du Monde nous a notamment alertés sur ce sujet.
Autre barrière qui nous a été signalée : la complexité administrative. L'assurance maladie a par exemple besoin du compte bancaire du patient pour effectuer un remboursement. Or beaucoup d'habitants des bidonvilles, pour ne pas dire tous, n'en ont pas ! L'affiliation à la caisse de sécurité sociale de Mayotte est possible, mais il faut pour cela se rendre au CHM... Et je n'ai encore rien dit des problèmes de transports pour se rendre à Mamoudzou. Enfin, le renouvellement du titre de séjour prend du temps et, dans l'intervalle, l'accès aux soins est souvent rompu.
Je partage pleinement les recommandations de la présidente sur l'accès à l'eau. Nous parlons d'accès à l'eau, mes chers collègues ! En France ! Il s'agit de salubrité publique, d'hygiène de base et de santé, et il est désarmant d'entendre les difficultés que peut avoir l'ARS à acquérir des parcelles pour implanter des fontaines ou les réticences constatées de certains politiques pour l'accès à ce bien élémentaire.
Concernant l'hôpital, la présidente a décrit la situation et les paradoxes parfois criants du CHM : des centres bien équipés, des soignants investis mais à bout de souffle et des capacités largement dépassées alors même qu'elles ne cessent de croître. Les professionnels ont pourtant de grandes capacités pour intervenir, et l'on ne trouve pas à Mayotte les problèmes de cloisonnement des actes que l'on rencontre dans l'Hexagone. Une sage-femme a ainsi éclaté de rire quand nous nous sommes étonnés de l'absence d'un gynécologue pour intervenir : comme si, en cas d'urgence, un tel formalisme devait l'emporter !
Mayotte paye en matière de personnel des années de retard ; les capacités hospitalières du CHM sont très loin de la moyenne nationale et le rattrapage n'est pas pour demain.
Surtout, il faut bien voir que le développement d'une offre privée reste marginal. La présidente l'a dit : nous avons rencontré des personnels très engagés, mais pour beaucoup au bord de la rupture. Les professionnels manquent et l'attractivité est un réel enjeu. Il faudra également régler le problème majeur de l'insécurité, qui fait que beaucoup de professionnels s'en vont.
Nous avons fait une première étape à La Réunion, qui fait avec Mayotte un contraste saisissant. Il est évident que Mayotte dépend de La Réunion et ne peut structurer seule une offre de soins qui couvrirait l'ensemble des besoins. Elle ne dispose pas d'une population suffisante mais, surtout, à court terme, n'en a pas les moyens humains et matériels. Les partenariats et actions qui nous ont été présentés par le CHU de La Réunion sont tout à fait encourageants. Le CHU semble avoir pleinement intégré le flux de patients provenant de Mayotte qu'il doit prendre en charge à son projet médical mais aussi à ses capacités. Je pense qu'il serait ainsi utile que la bonne coordination entre les deux îles fasse l'objet d'une lettre de cadrage ministérielle, en amont de la définition des documents stratégiques et sans ajouter un nouveau document à négocier.
Voilà les quelques observations complémentaires que je souhaitais formuler. Il faut que ces déplacements et les comptes rendus que nous en faisons fassent l'objet d'un suivi, que nous soyons aussi des relais.
Je serai bref car beaucoup de choses ont été dites.
Mayotte a une population de 288 000 habitants, en croissance de 4 % par an, ce qui représentait 12 000 naissances en 2022, soit une classe d'école chaque jour !
Mayotte n'est pas à l'abandon, mais l'île part de très loin. Moi qui suis de Guadeloupe, je peux vous dire que, si nous avons certes raison de dénoncer régulièrement l'écart qui nous sépare de la situation dans l'Hexagone, l'écart qui nous sépare de Mayotte est lui aussi immense. Près de 55 % des habitants de Mayotte ont moins de 20 ans, ce qui en fait le territoire le plus jeune de France. Il y a dans cette jeunesse de l'espoir, mais elle rencontre aussi de grandes difficultés, de formation par exemple.
Je salue les évolutions de l'ARS, car les Mahorais se sentaient sous la coupe des Réunionnais. J'ai eu l'occasion d'en discuter avec le futur directeur général du CHM, qui a dirigé le CHU de Guadeloupe, et guadeloupéen lui-même.
La beauté de Mayotte en fait un territoire d'avenir. L'organisation d'un système de santé étant un atout de développement, Mayotte a tout intérêt à progresser dans ce domaine pour que l'île devienne un joyau des territoires d'outre-mer.
Le chiffre de la mortalité infantile repose-t-il essentiellement sur la mortalité périnatale ? La mortalité infantile de Mayotte pèse-t-elle lourd dans la mortalité infantile au niveau national ?
Y a-t-il suffisamment de pédiatres à Mayotte ?
Que peut faire le service de santé des armées pour envoyer de jeunes médecins sur place ?
Le chiffre que j'ai indiqué est celui de la mortalité infantile, pas de la mortalité périnatale. Compte tenu des volumes, il est douteux que la mortalité infantile à Mayotte pèse beaucoup sur la mortalité infantile au niveau national. Par ailleurs, les chiffres de mortalité sont souvent présentés en distinguant l'Hexagone des outre-mer.
Le service de santé des armées n'intervient pas ; il s'agit de la réserve sanitaire de Santé publique France. Cette dernière intervient, sur demande, pour des risques épidémiologiques, pour des missions de dépistage par exemple. Dans l'équipe de dépistage où je me trouvais, certains étaient assez dubitatifs sur la priorité que constituait le dépistage de la gale, qui se traite bien, compte tenu des autres urgences sanitaires du territoire. La sécurité est un autre sujet majeur ; des médecins nous ont même dit qu'ils recevaient des blessés d'altercations entre des Mahorais et des clandestins.
M. Théophile a dit qu'il y avait 12 000 naissances par an ; compte tenu de la population, cela représente un nombre d'enfants par femme et par an absolument énorme, et veut donc dire en réalité que de nombreuses Comoriennes viennent accoucher à Mayotte. Aux Comores, les Chinois ont construit un hôpital ultra-moderne mais dépourvu de personnel médical. La question est donc plutôt de savoir ce que fait la France non pas pour que les Comoriens ne puissent pas venir à Mayotte, mais pour que les Comoriennes puissent accoucher convenablement aux Comores.
C'est en effet un sujet politique entre les Comores et la France, car les médecins accueillent par hypothèse tous ceux qui se présentent à eux. Si les équipements existent aux Comores, ils ne fonctionnent pas, faute de personnel. D'ailleurs, les Mahorais eux-mêmes s'en prennent aux Comoriens, en considérant qu'ils les pénalisent dans leur accès aux soins. Les tensions sont préoccupantes et le résultat des élections à Mayotte montre d'ailleurs assez bien le climat politique.
C'est une situation que la France doit traiter directement avec les Comores. Le pourrissement ne peut plus durer. Un établissement flambant neuf construit par la Chine a en effet vu le jour aux Comores, mais la concertation a été faible, la négociation sur le personnel s'est mal passée, au point que le matériel a été repris, voire pillé, et que l'établissement ne peut plus fonctionner. C'est en effet devenu un sujet pour le ministère des affaires étrangères.
Nous sommes allés à Mayotte en 2015 au moment où les Comores étaient en pleine campagne électorale dans laquelle s'affrontaient deux candidats à la présidence aux positions antinomiques sur la politique à mener avec la France. Quelle est aujourd'hui la politique des Comores vis-à-vis de la France ?
Il serait peut-être intéressant que nous menions une audition sur les relations entre les Comores et la France pour avoir un éclairage sur ce noeud du problème, qui certes n'entre pas directement dans les compétences de notre commission mais dont découlent beaucoup des difficultés du système de soins de Mayotte.
Des solutions sont apportées par l'ARS de Mayotte dont nous avons rencontré le directeur.
D'autres politiques menées nous ont laissés sceptiques. Lors de notre déplacement, nous avons reçu des représentants de l'Agence française de développement (AFD) laquelle conduit une étude sur les besoins de formation sanitaire et sociale.
Le coût de cette étude paraissait particulièrement élevé pour aboutir à des constats de besoins qui sont déjà bien connus...
Il faut limiter les missions d'analyse et agir, le diagnostic est bien posé.
Je vous félicite pour le travail que vous avez accompli. Vous avez pu échanger avec de nombreuses personnes. Avez-vous rencontré des associations d'usagers pour savoir comment ils vivent les choses ?
Nous avons rencontré des partenaires sociaux, des personnels dans chacun des sites de l'hôpital, des représentants de la sécurité sociale, des représentants de la Croix-Rouge et de Médecins du Monde, des représentants d'assurés mais pas spécifiquement des représentants d'usagers.
Je suis très intéressée par votre déplacement ; j'ai moi-même des proches ayant vécu plusieurs années à Mayotte. En dépit de tout ce que vous décrivez, votre rapport est malheureusement encore pudique sur ce que les gens vivent réellement...
La relation avec les Comores, c'est le vrai problème. Cette solidarité avec les populations comoriennes est naturelle, surtout s'agissant de mères prêtes à accoucher, mais Mayotte ne peut pas accueillir tout le monde. Il ne faut pas occulter la suite des parcours de vie de tous ces enfants nés à Mayotte. Comment formons-nous et accompagnons-nous tous ces jeunes ? Il faut regarder tout ce qui suit la maternité. C'est pourquoi je suis très favorable à l'audition que vous évoquez. La relation avec les Comores est le prérequis fondamental à tous les autres sujets.
M. Théophile, vous parliez à raison de la beauté de l'île de Mayotte. Pourtant, le tourisme est inexistant et quasiment impossible... Pour faire du tourisme, les Mahorais partent à La Réunion.
Nous parlions d'insécurité, le problème est réellement considérable. Le nombre d'agressions et de viols est tellement élevé à Mayotte ! Des personnes de l'Hexagone y sont mutées et découvrent alors une violence inouïe. Beaucoup renoncent à sortir même en début de soirée, surtout les femmes, face à des risques d'agressions extrêmement inquiétants.
Il faut régler ce problème migratoire avec humanité. Vous indiquez qu'après l'accouchement, les nouveaux-nés ne sont gardés que durant trois heures à la maternité de Mamoudzou. Si la France ne peut pas assurer un accueil humain et digne, il faut qu'elle aide le développement des Comores plutôt que d'accueillir ces populations dans des mauvaises conditions.
Vous parlez, Mme Gruny, de la formation des jeunes. Les écoles sont malheureusement à l'image des hôpitaux : complétement débordées...
Je ne pense pas que Mayotte puisse vivre de son tourisme et pourtant c'est véritablement une île magnifique avec une barrière de corail très éloignée. Il y a deux prérequis pour que le tourisme puisse se développer. Il faut un système de santé robuste et la sécurité. Ce sont ces deux éléments qui conditionnent l'envie de voyager dans une région. Mayotte part de très loin sur ces deux aspects. Pour surmonter ces difficultés, il faut davantage de coordination entre les Comores et Mayotte. C'est l'immigration qui nourrit l'engorgement du système de santé et l'insécurité.
Par retenue, nos collègues, sénateurs de Mayotte, ne nous alertent pas suffisamment sur cette réalité dans l'hémicycle. On ne peut se rendre compte du problème qu'après s'être rendu à Mayotte. Nous devons être les relais sur les problèmes de santé.
À la question de l'insécurité s'ajoutent d'autres difficultés comme le problème du transport. Une seule route très embouteillée permet de se déplacer sur l'île. Le personnel du CHM est donc soumis à des horaires très durs pour prévoir les temps de trajets. Les infirmières et aides soignantes doivent partir très tôt quitte à dormir dans leur voiture devant l'hôpital pour pointer à 7 heures !
L'insécurité est en effet une préoccupation centrale. Nous avions prévu une rencontre avec les partenaires sociaux à laquelle un des syndicalistes n'a pas pu être présent car il ne pouvait ensuite rentrer chez lui sereinement...
Les témoignages sur l'insécurité au quotidien étaient nombreux et plus qu'alarmants. Il nous a aussi été rapporté le cas d'un médecin psychiatre venu travailler à Mayotte. Son épouse et lui ont été agressés dans les premières semaines suivant leur arrivée ; ils sont repartis aussitôt pour l'Hexagone...
Comme l'a dit Laurence Cohen, il faut que nos travaux et les déplacements que nous réalisons dans les territoires puissent servir à relayer les messages de nos collègues ultramarins au service des populations. Trop souvent, les outre-mer se sentent oubliés des politiques publiques.
Je vous propose donc d'adopter le rapport d'information et les recommandations que nous avons présentées. L'offre de soins à Mayotte, sous pression, toujours au bord de la rupture et dans une situation de débordement chronique, appelle un traitement puissant et coordonné. C'est pourquoi, au-delà de la métaphore médicale, je vous propose de retenir comme titre « Mayotte : un système de soins en hypertension ».
La commission approuve la publication du rapport.
Je vous propose de reconduire nos rapporteurs pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Sont désignés rapporteurs sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 :
Sont désignés :
- Mme Corinne Imbert, pour l'assurance maladie ;
- M. René-Paul Savary, pour l'assurance vieillesse ;
- M. Olivier Henno, pour la famille ;
- Mme Pascale Gruny, pour les accidents du travail et maladies professionnelles ;
- M. Philippe Mouiller, pour l'autonomie.
Nous devons également désigner nos rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances.
La commission désigne les rapporteurs pour avis suivants sur le projet de loi de finances pour 2023.
Sont désignés :
Jocelyne Guidez, pour la mission Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ;
René-Paul Savary, pour la mission Régimes sociaux et de retraite ;
Jean Sol, pour la mission Solidarité, insertion et égalité des chances ;
Alain Duffourg, pour la mission Cohésion des territoires - Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ;
Annie Delmont-Koropoulis, pour la mission Santé ;
Brigitte Micouleau, pour la mission Direction de l'action du Gouvernement ; Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, Action 15 du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » (Mildeca) ;
Frédérique Puissat, pour la mission Travail et emploi.
La réunion est close à 11 h 35.