Délégation sénatoriale aux outre-mer

Réunion du 18 octobre 2022 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • exercice
  • hollandaise
  • statut
  • île

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Chers collègues, nous poursuivons cet après-midi notre cycle d'auditions sur les perspectives d'évolution institutionnelle outre-mer avec la collectivité de Saint-Martin. Son président Louis Mussington, étant actuellement retenu par la visite de M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer, il est représenté par M. Alex Richards, son conseiller spécial.

Nous vous remercions vivement, Monsieur le conseiller, de vous être rendu disponible pour répondre à nos questions.

Il s'agit de notre quatrième audition, après Saint-Barthélemy, La Réunion, et Wallis-et-Futuna.

Lors d'une audition en juin 2020, le président Daniel Gibbs avait regretté l'insatisfaisante délimitation de la répartition des compétences entre l'État et la collectivité : le transfert de la compétence en matière d'urbanisme par exemple, sans celui des compétences environnementales, a posé d'importantes difficultés dans la rédaction du plan de prévention des risques naturels (PPRN). Où en êtes-vous à Saint-Martin dans vos réflexions ?

Je vais vous céder la parole pour votre exposé liminaire. Avec Micheline Jacques, co-rapporteur, nous vous interrogerons ensuite - au travers d'un questionnaire comme fil conducteur - et je ne doute pas que mes collègues auront également de nombreuses questions à vous poser. De plus, les personnes auditionnées sont invitées à nous adresser les supports écrits qu'ils jugeraient utiles à nos réflexions. Nous sommes pour l'heure sur un échange verbal, qui peut être complété ultérieurement de façon plus formelle.

Je vous laisse la parole.

Debut de section - Permalien
Alex Richards, conseiller spécial du président du conseil territorial de Saint-Martin

Merci, Monsieur le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Je tiens à excuser l'absence de M. Louis Mussington qui est en effet retenu par la visite du ministre délégué chargé des outre-mer.

M. Daniel Gibbs, président de la collectivité de Saint-Martin lors de la précédente mandature, avait en effet regretté les lacunes dans l'exercice de la compétence en matière d'urbanisme, du fait notamment que le transfert de cette compétence n'était pas accompagné de celui de la compétence en matière d'environnement. Ces sujets ont été réglés depuis, notamment avec l'adoption du plan de prévention des risques naturels (PPRN). Il est vrai que lors du mandat de Daniel Gibbs, cette compétence a fait défaut au moment du passage du cyclone Irma en 2017 qui a fait apparaître de nouvelles problématiques, telle celle de la submersion marine qui avait concerné toutes les zones côtières du territoire. En effet, le cyclone a soufflé depuis l'ouest et le nord-ouest, contrairement aux épisodes climatiques précédents qui soufflaient généralement de l'est.

Le changement institutionnel opéré en 2007 - qui a conduit à la création de la collectivité d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution - a répondu aux attentes de la population. Jusque-là, Saint-Martin était une commune de la Guadeloupe, très excentrée, étant située à 350 kilomètres au nord de cette île ; la commune avait alors le sentiment d'être abandonnée et laissée pour compte. À ce titre, Saint-Martin demandait depuis 1945 une prise en compte de ses spécificités, comme en témoigne une délibération du conseil municipal d'alors. Cette île est en effet entourée dans sa sous-région géographique de territoires anglophones. D'ailleurs, sa population est à 95 % anglophone et les Saint-Martinois de souche sont d'origine anglo-saxonne.

L'évolution statutaire a répondu au souhait de se voir accorder un statut nouveau différent des communes de France, avec une claire distinction par rapport à la Guadeloupe. Toutefois, au bout de quinze ans, l'engouement n'est plus aussi fort. Les nouvelles compétences acquises en 2007 requerraient en effet de trouver les bonnes personnes pour les assumer ainsi que les expertises nécessaires. Cependant, la collectivité fait le constat que le transfert des compétences ne s'est pas accompagné d'un transfert de moyens, alors même que la commune de Saint-Martin avait pris la peine d'évaluer le coût de ces transferts - notamment celui des compétences du département et de la région -avec le département et la région de Guadeloupe. Force est de constater que cela n'a pas été pris en considération. Par conséquent, la toute nouvelle collectivité de Saint-Martin a dû assumer seule une très lourde charge avec les seuls moyens dont elle disposait en propre. Les dix premières années d'exercice ont été particulièrement difficiles. Ce manque de moyens a obligé les Saint-Martinois à inventer des solutions adaptées aux besoins spécifiques du territoire, avec le peu de moyens dont ils disposaient. Un tel constat est toujours aussi prégnant aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Sur un tel constat, pensez-vous que la collectivité souhaiterait voir certaines compétences revenir à l'Etat ?

Debut de section - Permalien
Alex Richards, conseiller spécial du président du conseil territorial de Saint-Martin

Non, telle n'est pas la demande de Saint-Martin. Il n'est pas question aujourd'hui de faire marche arrière et de demander à l'État de reprendre certaines compétences transférées en 2007. Cependant, nous demandons à l'État de nous donner les moyens de les exercer. Entre-temps, la collectivité s'est entourée des expertises requises, notamment par le biais de recrutements et par celui de la formation de jeunes Saint-Martinois. Toutefois, les moyens financiers manquent cruellement pour assurer une gestion nettement meilleure.

Par ailleurs, la collectivité territoriale ne souhaite pas exercer des compétences dans de nouveaux domaines. Elle souhaite dans un premier temps avoir les moyens d'exercer pleinement les compétences d'ores et déjà transférées.

De même, la collectivité ne souhaite pas récupérer de compétences normatives supplémentaires. Elle est satisfaite d'avoir la possibilité de s'exprimer sur l'ensemble des projets de décrets, dans le cadre d'une consultation systématique qui lui permet de demander d'éventuels amendements aux textes. Néanmoins, des marges de progrès importantes demeurent. Ainsi, le Code général des collectivités territoriales (CGCT) est aujourd'hui appliqué en faisant référence au cas de la commune, du département ou de la région, mais sans pouvoir prendre en compte la spécificité de Saint-Martin qui exerce ces trois niveaux de compétences.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Je tiens à préciser tout de même que toutes les collectivités sont bel et bien intégrées au CGCT, qui reprend l'ensemble des lois organiques relatives à chacune d'entre elles.

Quoi qu'il en soit, vous mettez en lumière le sujet très intéressant de l'adaptation des normes aux spécificités du territoire. À ce sujet, vous avez souligné l'absence d'effort depuis quinze ans pour tenir compte des réalités de Saint-Martin. La collectivité a-t-elle formulé des demandes d'habilitation comme le CGCT l'autorise ? Ou les demandes d'avis, auxquelles la collectivité a répondu, n'ont-elles pas été suivies d'effet de la part des différents gouvernements ?

Debut de section - Permalien
Alex Richards, conseiller spécial du président du conseil territorial de Saint-Martin

Il est vrai que quelques demandes d'avis n'ont pas été suivies d'effet. D'autres ont fait l'objet d'une réponse nous précisant qu'elles traduisent des prétentions qui outrepassent notre statut actuel. Elles ne répondaient pas au principe de l'identité législative. Toutefois, il reste problématique de ne pas disposer de textes répondant à la particularité de Saint-Martin.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

La collectivité ressent-elle le besoin de faire clarifier des points du CGCT ?

Debut de section - Permalien
Alex Richards, conseiller spécial du président du conseil territorial de Saint-Martin

Oui. Il conviendrait de clarifier certains points de la loi organique, afin de disposer de dispositions sur mesure.

Par ailleurs, la collectivité territoriale ne souhaite pas restituer des compétences à l'État et compte au contraire toutes les conserver. Néanmoins, dans certains cas, un transfert progressif aurait été judicieux. En effet, un transfert brutal requiert d'assumer du jour au lendemain la totalité de la compétence alors que la collectivité ne dispose ni des moyens financiers ni de la technicité nécessaire. En pareil cas, un transfert plus progressif aurait été bienvenu. Pour autant, il est hors de question de restituer certaines compétences à l'État.

La collectivité de Saint-Martin ne souhaite pas non plus un passage au principe de spécialité législative. Nous l'avons fait savoir dès le démarrage du projet. En effet, nous rencontrons d'ores et déjà suffisamment de difficultés dans le cadre du principe d'identité législative sans vouloir récupérer en plus une compétence quelconque, qui excéderait les moyens dont nous disposons. La réponse est identique, même si le sujet est circonscrit à certaines matières. À ce sujet, l'article LO.6351-12 du CGCT prévoit que « le conseil territorial peut adresser au ministre chargé de l'outre-mer, par l'intermédiaire du représentant de l'État, des propositions de modification des dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ( ... ) » Cette disposition est d'ores et déjà appliquée et a été rappelée par le président Louis Mussington au ministre chargé des outre-mer. En effet, la collectivité de Saint-Martin réfléchit actuellement à un certain nombre de demandes, sans pour autant passer au régime de la spécialité législative.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Comment ces demandes ont-elles été accueillies ? En effet, le Gouvernement est enclin à accompagner un tel mouvement. À ce sujet, le ministre a fixé un planning pour des groupes de travail et le président Louis Mussington a dû être destinataire d'un courrier cosigné par Gérald Darmanin et Jean-François Carenco, précisant que des évolutions des statuts seront possibles si elles sont nécessaires à la réussite des politiques publiques et des réformes souhaitées. Savez-vous si tel a été le discours tenu à votre endroit ?

Debut de section - Permalien
Alex Richards, conseiller spécial du président du conseil territorial de Saint-Martin

En effet, telle a été la réponse du ministre lors de ses échanges avec le président de la collectivité territoriale.

Par ailleurs, nous avons fait usage des mécanismes permettant de solliciter des habilitations à adapter les normes en matière fiscale. Ils se sont avérés fonctionnels. Toutefois, la difficulté demeure sur la mise en oeuvre des dispositions en raison du manque de moyens alloués. Aujourd'hui, la collectivité a signé des conventions avec les services fiscaux de l'État; par conséquent, il leur revient d'exercer le pouvoir de collecte et de contrôle sur le territoire de Saint-Martin. Néanmoins, cet exercice coûte extrêmement cher. La collectivité aurait souhaité assumer seule une telle mission; malheureusement, elle ne dispose pas des moyens nécessaires. Suppléer à l'État en la matière s'avère extrêmement coûteux.

Par conséquent, la collectivité est favorable à la possibilité de demander des habilitations pour adapter les normes. Il conviendrait toutefois de disposer des moyens adéquats requis par ces adaptations. Depuis quelques années, les Saint-Martinois font preuve d'un civisme remarquable qui rend la perception de l'impôt très efficace. Cependant, cette collecte n'est pas suffisante pour permettre à la collectivité d'exercer la totalité du contrôle fiscal, en plus de la gestion du territoire.

La collectivité territoriale a à nouveau exprimé au ministre son regret du manque de moyens qui accompagnent les transferts de compétence.

Saint-Martin est dotée d'une certaine autonomie qu'elle peut exprimer au travers des compétences dont elle dispose, des adaptations obtenues et des habilitations qu'elle a demandées. Pour l'heure, elle se satisfait de sa situation et ne considère pas comme urgente de profondes évolutions en la matière, même si le souhait pourra être exprimé à l'avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Quel est le point de vue de la collectivité sur l'organisation des institutions ?

Debut de section - Permalien
Alex Richards, conseiller spécial du président du conseil territorial de Saint-Martin

Nous ne nous en plaignons pas. Toutefois, le régime parlementaire français repose sur le principe de séparation des pouvoirs. Or force est de constater que ce principe n'est pas respecté à Saint-Martin. En effet, le président de la collectivité territoriale préside à la fois le conseil exécutif - équivalent du conseil des ministres - et le conseil territorial - équivalent du Parlement. Nous comptons demander l'aménagement de cette situation qui n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes du fait de la centralisation des pouvoirs sur une seule personne. La personnalité de l'actuel président permet un exercice modéré du pouvoir ; pour autant, la réelle distinction des deux pouvoirs est nécessaire.

Par ailleurs, nous n'avons pas relevé de points de blocage au niveau institutionnel. En revanche, les dysfonctionnements peuvent se faire jour du fait de la non-séparation des pouvoirs exécutif et législatif, alors que chacun dispose de compétences clairement définies et réparties.

La question de la prise en compte de la partition de l'île entre la France et les Pays-Bas par la loi organique, voire par la Constitution, est très importante. Elle fait appel à deux réalités : d'une part, Saint-Martin est une collectivité française qui partage le même sol qu'une entité étrangère, qui est très différente d'un point de vue institutionnel et administratif. Pour autant, il s'agit d'un seul territoire et d'une seule population. Par conséquent, la dichotomie entre les deux pays n'est pas vécue au quotidien. En effet, les problématiques sont les mêmes de part et d'autre de la frontière qui constitue d'ailleurs une ligne de démarcation virtuelle. Les problématiques sont les mêmes sur l'ensemble du territoire de l'île. Même si la dichotomie entre les deux pays doit être gérée d'une manière technique au sein de l'administration territoriale, les habitants de l'île ne font pas de distinction au quotidien entre les parties nord et sud du territoire.

En outre, la réalité du territoire peut être illustrée par le dicton local : « quand le cyclone souffle, il ne s'arrête pas à la frontière ». Par conséquent, la réalité des deux parties de l'île est la même et un événement survenu dans l'une impactera très rapidement l'autre. De plus, les deux parties de l'île vivent d'une seule et même industrie, celle du tourisme. La promotion de cette destination s'attache à l'ensemble du territoire et son accès est rendu possible par la seule partie hollandaise. En effet, l'accès par la partie française nécessite un transit par la Guadeloupe.

De même, les questions de protection de l'environnement ne peuvent pas être traitées en se limitant aux frontières. Tel est également le cas du développement économique ou du réseau routier. Les problématiques communes sont nombreuses du fait des interactions incessantes entre les deux parties.

Le statut européen est tel que la partie française est une région ultrapériphérique (RUP) et la partie hollandaise, un pays et territoire d'outre-mer (PTOM). Saint-Martin est par conséquent le seul cas de coexistence sur un territoire de deux régimes européens différents sans démarcation ni contrôle précis. Comment améliorer une telle situation ? Il serait judicieux de s'intéresser à la possibilité offerte par le droit européen de créer un groupement européen de coopération transfrontalière (GECT), qui réunirait des représentants de la partie française et des représentants de la partie hollandaise pour gérer les problématiques communes à l'ensemble du territoire. À ce sujet, une demande sera prochainement formalisée pour que la France accompagne Saint-Martin dans une telle démarche auprès de Bruxelles afin d'en étudier la faisabilité.

Nous avons bénéficié d'un programme relativement exceptionnel, le programme opérationnel de coopération territoriale (POCTE), accompagné d'une enveloppe de 10 millions d'euros afin de régler les problématiques communes aux deux territoires. Néanmoins, un tel outil s'est avéré peu pertinent tant pour la France que pour les Pays-Bas, alors qu'il était très intéressant pour les deux parties du territoire, car il permettait de coopérer au quotidien sur les problématiques communes, de disposer de financements fléchés sur de telles problématiques sans trop entamer les budgets respectifs et d'apporter la preuve concrète d'une possibilité de gestion commune du territoire. Ce programme opérationnel n'a pas fonctionné correctement et est devenu désormais un sous-programme du programme INTERREG géré par la région de la Guadeloupe, qui n'a pas porté ses fruits pour Saint-Martin. C'est pourquoi nous maintenons que la meilleure solution serait la mise en place d'un GECT, qui offre des possibilités plus larges que celles du POCTE, car son pouvoir de décision est plus étendu et permettrait d'appliquer des solutions sur les deux parties de l'île de manière équivalente.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Ce questionnement est très intéressant au regard de la situation frontalière de votre territoire que j'ai pu personnellement constater lorsque j'étais président de l'association des pays et territoires d'outre-mer, l'OCTA.

Par ailleurs, comment percevez-vous le rôle de l'État ?

Debut de section - Permalien
Alex Richards, conseiller spécial du président du conseil territorial de Saint-Martin

Nous ne nous en plaignons pas. Toutefois, je formulerais un léger reproche de manière générale, même s'il est vrai que nous ne pouvons rêver meilleure symbiose que celle des relations entre l'actuel préfet et le président de la collectivité, qui permet un accompagnement très satisfaisant. Nous avons le sentiment que, sur les douze dernières années, l'État a davantage joué son rôle de contrôleur que celui d'accompagnateur au quotidien. Certes, le contrôle est nécessaire, notamment pour la conformité des actes ; cependant, l'accompagnement de l'État est primordial dans l'exercice des compétences de la collectivité territoriale, surtout quand ces compétences sont nouvelles et que nous ne disposons pas des moyens financiers nécessaires. Quoi qu'il en soit, la situation actuelle relève de l'idéal.

En outre, un accompagnement supplémentaire est nécessaire, en termes de moyens au regard des compétences transférées par l'État français. En effet, la situation est rendue très complexe du fait d'un budget très contraint qui oblige la collectivité à négliger certaines politiques publiques.

S'agissant de la déconcentration, il me semble que l'État serait plus à même de répondre à une telle question. En tout état de cause, ce qui nous intéresse dans nos relations avec l'État est un réel accompagnement technique. À ce titre, nous bénéficions quasiment toutes les semaines de réunions de coordination et de concertation qui permettent de recueillir les avis et conseils de l'État et parfois des moyens supplémentaires. Nous souhaiterions voir de tels dispositifs mis en place de manière exemplaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Micheline Jacques

S'agissant des relations entre les deux parties de l'île, comment pensez-vous qu'il soit possible d'harmoniser ou de rapprocher les différentes législations ? Je prendrais pour exemple la collecte de l'impôt sur le revenu des résidents de la partie hollandaise, ou la question des soins prodigués en partie française à ces mêmes résidents, ou enfin le règlement de la question de la légalisation du cannabis. Pensez-vous que le programme de coopération transfrontalière pourrait vous aider à régler de telles questions ?

Debut de section - Permalien
Alex Richards, conseiller spécial du président du conseil territorial de Saint-Martin

Dans le cadre d'une délibération datée de 1945, le conseil municipal de Saint-Martin avait demandé à la France de lui permettre de rédiger ses délibérations en anglais, afin de les communiquer aux dirigeants de la partie hollandaise et de favoriser ainsi l'harmonisation de l'administration du territoire. Par conséquent, cette préoccupation existait bien avant l'évolution statutaire. En effet, les instances de chaque partie de l'île ont conscience de la portée de leurs décisions pour l'autre partie. Depuis, les deux territoires ont évolué statutairement ; la partie française en 2007 et la partie hollandaise en 2010, date à laquelle elle est devenue un pays à part entière à l'intérieur du Royaume, alors qu'elle était auparavant membre de la fédération des Antilles néerlandaises.

Quant aux impôts sur le revenu, depuis la fin des années 50, ils font l'objet d'un prélèvement à la source en partie hollandaise, non sans poser d'énormes difficultés aux personnes habitant en partie française et travaillant en partie hollandaise, car ils devaient prouver s'être déjà acquittés de leurs impôts.

Depuis les deux évolutions statutaires, plusieurs actions de coopération ont été mises en place. Ainsi, les tribunaux des deux parties sont désormais en contact constant et se transmettent leurs arrêts respectifs. De même, les déclarations hollandaises d'impôt sur le revenu peuvent faire l'objet d'une traduction pour justifier d'un paiement auprès des services fiscaux français. En revanche, la taxe foncière n'existe pas en partie hollandaise. Les personnes habitant en partie française s'en acquittent bien entendu.

Il est parfois mentionné le sujet de l'évasion fiscale concernant Saint-Martin. Il convient d'être plus mesuré. En effet, certaines personnes héritent d'une parcelle de terrain en partie hollandaise, tout en vivant en partie française; elles vont naturellement faire construire sur une telle parcelle. De même, le choix d'une école hollandaise pour scolariser ses enfants alors que la famille vit en partie française ne relève pas d'un contournement de législation. Dans ma propre famille, certains de mes neveux et nièces ont été scolarisés selon les cas en partie française ou en partie hollandaise. Pour autant, certains d'entre eux ont choisi des études supérieures en France après avoir suivi un cursus en partie hollandaise. En effet, les situations ne suivent pas une simple et stricte partition entre les deux parties ; des passerelles peuvent être mises en place.

S'agissant de la santé, il est vrai que la question se pose de faire ou non bénéficier les personnes de la partie hollandaise des avantages sociaux français. Nous avons des exemples de personnes qui profitent du système de santé français, telles les femmes vivant en partie hollandaise qui sont sur le point d'accoucher et qui se présentent alors à l'hôpital de la partie française, sachant qu'elles bénéficieront de facto de certains avantages. Ainsi, l'hôpital Louis Constant Fleming - qui est l'un des plateaux médicaux les mieux équipés de la région - accueille des patients en provenance des deux parties de Saint-Martin, d'Anguilla, de Saint-Barthélemy, de Saba, de Saint-Eustache, de Saint-Kitts, de Nevis, etc. Cela pose un problème car toutes ces personnes ne sont pas forcément en mesure de payer les soins qui leur ont été prodigués. Il convient de mener à ce sujet une véritable réflexion, notamment pour harmoniser les soins entre la partie française et la partie hollandaise, en projetant de doter cette dernière d'un plateau médical équivalent, afin de rééquilibrer l'offre de soins. En outre, les assurances hollandaises sont acceptées pour la prise en charge des soins prodigués en partie française. Quant à la Sécurité sociale hollandaise, elle accepte de couvrir de tels frais. L'harmonisation est par conséquent progressivement à l'oeuvre, afin de rétablir un certain équilibre et faire en sorte que la partie française ne soit pas « perdante ».

En revanche, je n'ai aucun commentaire à apporter sur la légalisation du cannabis.

La question de l'éducation se pose également : elle est gratuite et obligatoire en partie française ; alors qu'elle est payante en partie hollandaise, dès l'entrée à l'école maternelle. Ce déséquilibre qui devrait entraîner un afflux massif d'écoliers dans les établissements français est atténué par une forte coopération entre les deux parties.

Quant aux acteurs du transport public, ils assurent des dessertes quotidiennes de part et d'autre de la frontière, sans que le droit international ne prévoie une telle situation et ne permette de gérer simplement un accident de la circulation impliquant des voyageurs étrangers. Il conviendrait en pareil cas de démêler les responsabilités de chacun : le transporteur, l'administration gérant le réseau routier, etc.

Depuis quelque temps, nous avons mis en place une coopération entre les polices, les douanes et les garde-côtes, avec un droit de poursuite, qui permet à un corps de police ou de gendarmerie d'agir au-delà de ses frontières, en avertissant ses homologues de la partie étrangère. Ce principe suivi entre les deux parties, française et hollandaise, l'est également avec l'île d'Anguilla, sous juridiction anglaise.

Par ailleurs, la révision des articles 73 et 74 de la Constitution est une question qui a fait couler beaucoup d'encre à Saint-Martin. En effet, la distinction entre ces deux articles relève d'une sorte d'artifice juridique. Notre collectivité est régie selon l'article 74, mais toujours dans le principe de l'identité législative. La réflexion sur l'évolution statutaire nous a amenés à nous interroger sur les notions de spécialité et d'identité. Avons-nous besoin de l'article 73 pour avoir le sentiment d'avoir évolué statutairement ? Le débat reste ouvert sur les conséquences d'opter pour l'un ou l'autre de ces statuts. En outre, Saint-Martin dépend de l'article 74, mais est encore une région ultrapériphérique (RUP) contrairement à Saint-Barthélemy, qui a opté pour le statut européen de PTOM.

De plus, en 1982, la mise en place de la décentralisation et de la déconcentration nous a amenés à nous interroger sur la pertinence à se satisfaire d'un tel statut ou sur l'opportunité de poursuivre le processus plus avant. De même, en mars 2003, la mention d'une République décentralisée dans l'article 1er de la Constitution posait la question de se suffire d'une telle mention au lieu de se référer à l'article 74. Or, Saint-Martin a décidé de pousser plus avant le processus et de ne pas se contenter de l'article 73.

En outre, le principe de subsidiarité nous a amenés à nous interroger sur la pertinence de se référer à l'article 74 plutôt que de rester régis par l'article 73. De même, l'alinéa 2 de l'article 72 mentionnait la possibilité de prendre des décisions permettant la meilleure mise en oeuvre possible des compétences à l'échelon de la collectivité. Cet alinéa laissait entrevoir la possibilité d'opter pour l'article 73. Après mûres réflexions, Saint-Martin a décidé d'abandonner ce statut au profit de celui de l'article 74, afin de disposer d'une administration distincte de celle de la Guadeloupe.

Pour autant, ces questions restent d'actualité. En effet, autant nous sommes satisfaits de l'évolution de 2007, autant nous regrettons que les moyens attribués n'aient pas suivi le transfert des compétences. Pourtant, nous sommes convaincus que cette évolution était la plus appropriée dans le contexte de Saint-Martin. Par conséquent, il conviendrait de faciliter l'adaptation des décisions prises au niveau du territoire afin d'en accroître l'efficacité. En effet, l'article 74 prévoit le transfert de compétences aux collectivités qui en font la demande ; encore faut-il qu'il s'accompagne du transfert des moyens.

Nos réflexions depuis une quinzaine d'années nous amènent à distinguer clairement les différents statuts : DOM, ROM, DROM et COM. Il ne s'agit pas de la même chose. Nous avons opté pour une COM car elle permettait de mettre l'accent sur ce qui différencie Saint-Martin de la Guadeloupe et de la Martinique. Pour autant, nous restons au sein du même ensemble national. Nous considérons en effet qu'à l'intérieur d'une même nation peuvent cohabiter des entités différentes. Les Saint-Martinois sont des Français à part entière avec toutefois des spécificités, par rapport à leurs voisins d'un même ensemble caribéen (Guadeloupéens et Martiniquais, notamment).

Par ailleurs, je ne considère pas que la différenciation soit une notion négative en soi. À ce titre, je ne suis pas favorable à la refonte en un seul article des articles 73 et 74. Il convient au contraire de distinguer les collectivités régies par chacun des deux articles. En effet, celles régies par l'article 74 disposent d'une plus grande mesure d'autonomie, y compris dans le principe de l'identité législative.

En outre, nous ne souhaitons voir modifier aucune des dispositions de l'article 74.

J'estime également que l'article 74 permet dans certains cas l'adoption par les collectivités des mesures justifiées par les nécessités locales concernant l'accès à l'emploi, le droit d'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle ou la protection du patrimoine foncier. Toutefois, il est complexe de juger de l'application de ces dispositions protectrices car il s'agit de compétences partagées avec l'État. Par conséquent, nous ne sommes pas les seuls décideurs. Par exemple, nous nous heurtons à de vraies difficultés quand nous devons apprécier la demande de travailleurs étrangers souhaitant rejoindre notre territoire, alors que leur droit de résidence est régi par l'État. Nous devons en effet nous justifier de notre décision et partageons des compétences sur des sujets pour lesquels nous ne disposons pas d'une appréciation commune des problématiques.

S'agissant de la participation de la collectivité à l'exercice de certaines compétences de l'État, telle l'adoption de sanctions pénales, j'ai un exemple très récent à vous partager. Nous avons dû mettre en place dernièrement des contrôleurs dans les transports publics, sans pour autant disposer de la compétence pénale. Dans ces conditions, ces contrôleurs ne pourront pas verbaliser les contrevenants. La résolution de cette question nécessite de faire accompagner les contrôleurs de gendarmes ou de lancer pour eux une procédure d'assermentation. Nous nous heurtons encore une fois à la problématique du partage de l'exercice de certaines compétences, qui sont pour une part transférées à la collectivité et qui restent pour une autre part du ressort de l'État. Dans ce cas particulier, nous ne pouvons pas garantir la présence d'un gendarme pour toutes les situations de contrôle ; nous ne sommes pas certains que l'assermentation du personnel suffise pour l'application de sanctions pénales.

Enfin, je peux vous confirmer l'adhésion de la population au statut de COM, car elle apprécie de disposer de mesures adaptées aux spécificités de son territoire. En effet, les Saint-Martinois sont pour la plupart anglophones, très tournés vers l'Amérique et très sensibles aux réalités caribéennes. Par conséquent, leur adhésion est totale et ils ne souhaitent pas remettre en cause ce statut de collectivité territoriale d'outre-mer.

Une éventuelle révision constitutionnelle susciterait des inquiétudes s'il s'agissait de faire marche arrière et des espoirs si l'objectif était d'aller plus loin.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Nous vous remercions de vous être rendu disponible. Nous vous serions reconnaissants de nous faire parvenir vos réponses écrites et vos réflexions, que nous relaierons auprès du groupe de travail « Décentralisation » mis en place par le président du Sénat et que nous intégrerons dans le rapport de la délégation aux outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Chers collègues, nous entendons à présent le président Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, accompagné de M. Arnaud Poirier, directeur général des services.

Nous vous remercions vivement, monsieur le président, de vous être rendu disponible pour répondre à nos questions.

Il s'agit donc de notre cinquième audition, après Saint-Barthélemy, La Réunion, Wallis-et-Futuna et Saint-Martin.

Le conseil territorial à Saint-Pierre-et-Miquelon exerce les fonctions du conseil départemental et du conseil régional.

L'objectif sur ce territoire -- que je connais bien -- est plutôt de parfaire la pratique du statut et d'apporter des aménagements à la marge.

J'ai évoqué encore récemment l'idée que l'exécutif local puisse par exemple saisir le juge administratif pour avis dans un cadre plus élargi, possibilité réservée aujourd'hui au représentant de l'État. Je sais que d'autres questions se posent pour votre territoire.

Je vais vous céder la parole, monsieur le président, pour votre exposé liminaire, sachant qu'un questionnaire vous a été adressé au préalable pour préparer cette audition. Nous souhaitons que vous nous communiquiez par la suite des réponses écrites qui seront incluses par la délégation dans son rapport.

Avec Micheline Jacques, nous vous interrogerons ensuite pour développer les différentes problématiques.

Debut de section - Permalien
Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

Je vous remercie de nous avoir sollicités dans le cadre de vos travaux. Ces derniers font suite à ceux de votre prédécesseur, le président Michel Magras, que j'avais rencontré à plusieurs reprises.

Le cadre institutionnel du territoire évolue avec le temps. Saint-Pierre-et-Miquelon est le plus ancien territoire d'outre-mer français ; son rattachement date en effet de 1816. Il est devenu un territoire d'outre-mer (TOM) après la Seconde Guerre mondiale, puis au milieu des années 70 un département d'outre-mer (DOM), en 1985 une collectivité territoriale de la République et enfin en 2007 une collectivité d'outre-mer (COM) avec des prérogatives particulières, puisque le droit commun s'applique sur ce territoire à l'exception de quelques domaines, pour lesquels la collectivité exerce des compétences spécifiques : la fiscalité, les douanes, le cadastre, l'urbanisme, la construction, le logement, la création et l'organisation des services et établissements publics.

La loi organique est récente et sa mise en oeuvre requiert du temps et quelques actions de toilettage dans la relation institutionnelle avec l'État, notamment sur des sujets comme la mise à disposition des fonctionnaires de l'État, l'adoption d'un cadre pour la politique d'aménagement du territoire ou la mise en oeuvre d'un plan territorial de l'habitat.

Ce statut encore récent n'a pas encore fait l'objet d'une exploitation pleine et entière par la collectivité. La compréhension du statut par les différents ministères et le Gouvernement est aussi un sujet. Ce statut spécifique n'est pas toujours maîtrisé par celles et ceux qui rejoignent notre territoire - notamment les hauts fonctionnaires - et cela nous oblige à justifier sans cesse nos particularités en lien avec les possibilités offertes par le statut.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Je vous propose de poursuivre ce bilan que vous venez d'esquisser et d'aborder d'un point de vue institutionnel les compétences que vous souhaiteriez voir attribuées ou restituées à votre collectivité.

Debut de section - Permalien
Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

Aujourd'hui, le champ de compétence de la fiscalité est bien couvert par les services mis à disposition de la collectivité. Les dispositions institutionnelles laissent à cette dernière une certaine latitude pour la mise en oeuvre d'une politique, véritablement orchestrée dans le cadre de la loi organique du 21 février 2007. Ce statut nous a en effet permis de disposer des moyens de nos ambitions, tant dans le domaine des douanes que dans celui de la fiscalité. L'exercice de ces compétences nécessite un éventuel toilettage au niveau local et une perpétuelle évolution des dispositions concernées. Quoi qu'il en soit, il nous permet d'appliquer l'action décidée par les élus au sein du conseil territorial.

S'agissant des dispositions foncières d'aménagement du territoire, plus de sept ans ont été nécessaires après la promulgation de la loi organique pour construire un schéma territorial de l'aménagement et de l'urbanisme et disposer ainsi d'une véritable politique d'aménagement du territoire. Nous poursuivons cette action avec la rédaction d'un plan territorial de l'habitat, qui aboutira à la création d'un code de la construction locale, qui intégrera des normes adaptées, notamment sur les aspects thermiques.

L'une des dispositions qu'il convient de faire évoluer est celle concernant la mise à disposition des fonctionnaires. La loi organique prévoit que l'ensemble des fonctionnaires d'État puisse être mis à disposition des besoins de la collectivité. Or, la convention établie à ce sujet entre l'État et la collectivité en 1989 est désormais dépassée. En effet, en 1989, la collectivité comptait onze fonctionnaires territoriaux ; ils sont aujourd'hui deux cents. De ce fait, une mission menée par six inspecteurs généraux de l'État a été l'occasion pour la collectivité de clarifier les souhaits à ce sujet. D'une manière générale, en cas de besoin de clarification, la collectivité fait appel à l'accompagnement de l'État sans pour autant remettre en cause toutes les dispositions des conventions concernées. En l'espèce, la loi organique de 2007 rappelle la relation entre la collectivité et les fonctionnaires d'État.

S'agissant du logement, nous aurions besoin d'une clarification car la collectivité ne bénéficie pas de certains dispositifs existants en métropole, tels que les aides personnalisées au logement (APL). Depuis 2016, elle ne bénéficie plus de la ligne budgétaire unique (LBU), ce qui a créé une tension financière forte, en dépit de l'action de la collectivité dans le cadre de l'aménagement du territoire. En l'absence de tels leviers, et après clarification de la position de l'État sur ce tel sujet, la collectivité pourrait s'interroger sur la question de conserver ou pas une telle compétence.

Quant à la compétence de l'environnement, elle pourrait faire l'objet d'une demande d'habilitation législative, puisque la collectivité ne dispose pas à ce jour de compétences dans ce champ d'attribution. Nous en avons discuté avec le président de la collectivité de Saint-Barthélemy.

Nous avons d'ailleurs été conduits à formuler des demandes d'habilitation législative à plusieurs reprises durant ces dernières années. Il semblerait que le Gouvernement ne soit pas prêt à étudier de telles éventualités. À ce titre, nous avons adopté une délibération pour solliciter une habilitation législative concernant la délégation de service public en fret. Il a fallu intervenir au plus haut sommet de l'État pour que notre demande soit étudiée. Elle fait aujourd'hui l'objet d'un accord entre la collectivité et l'État sur une solution alternative qui consisterait en une convention entre l'État et la collectivité. Pourtant, la loi organique permet de nombreuses adaptations, qui restent méconnues dans les ministères. À l'heure où sont évoquées la différenciation et la décentralisation et où nous disposons des outils adéquats, force est de constater que nous nous heurtons à de profonds dysfonctionnements, du fait d'incompréhensions, de méconnaissances ou parfois d'une absence de volonté pour faire confiance aux élus du territoire. Cela n'est évidemment pas antinomique d'un accompagnement des services de l'État et de transferts financiers à la hauteur des projets portés par les territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Jugez-vous le dispositif de consultation préalable satisfaisant ?

Debut de section - Permalien
Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

En pratique, nous recevons fréquemment de la part de la préfecture des saisines en urgence, dont le délai d'examen est de quinze jours seulement. Certaines saisines n'ont aucun intérêt pour notre territoire ; et il revient à notre service juridique - constitué pour notre collectivité d'une seule personne - d'en mener l'analyse et d'identifier les éventuelles conséquences. Il conviendrait que la préfecture nous consente des délais moins contraints et sélectionne en amont les sujets ayant un véritable intérêt pour la collectivité. Quoi qu'il en soit, les décisions que nous prenons sont rarement prises en considération et ne font l'objet d'aucun retour.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Avez-vous relevé des points de blocage ou d'autres difficultés en matière de fonctionnement ?

Debut de section - Permalien
Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

Nous avons identifié des points de blocage et des éléments d'incompréhension entre les communes et la collectivité. Pour autant, le cadre institutionnel est aujourd'hui clairement défini. Il fait toutefois l'objet de certaines divergences d'interprétation sur le territoire et d'interrogations portées par les services de l'État. Par conséquent, l'exercice nécessite parfois davantage d'explications, notamment pour éviter une exploitation politique, ce qui a pu être le cas par le passé. Mais depuis deux ans, et le renouvellement des deux équipes municipales, aucune mésentente particulière n'est à déplorer sur les champs de compétences des uns et des autres. Nous avons pu noter sur certains sujets un champ d'intervention de la collectivité plus large que prévu, y compris d'un point de vue financier.

Des clarifications sont souhaitables. Tel est le cas pour l'intervention de la collectivité sur l'entretien du réseau routier de la commune de Miquelon-Langlade. La collectivité s'en acquitte. Mais la législation mériterait un toilettage sur ce sujet.

Mais en général, les dispositions législatives sont claires. Par exemple les services d'incendie et de secours sont du ressort des communes et cela a conduit à des dotations supplémentaires pour permettre la prise en charge de frais de fonctionnement par les deux communes de Saint-Pierre, d'une part, et de Miquelon-Langlade, d'autre part.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Comment percevez-vous le rôle d'accompagnement de l'État ? Pensez-vous que les services de l'État présents sur le territoire sont suffisamment dotés ? Le décret du 18 avril 2020 qui permet au préfet de déroger aux règles communes dans certaines conditions a-t-il été mis en application sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon ?

Debut de section - Permalien
Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

À ma connaissance, le décret de 2020 n'a pas fait l'objet d'application.

Les relations avec l'État ont été quelque peu tumultueuses entre 2012 et 2022, notamment entre 2014 et 2022, période durant laquelle l'accompagnement de l'État a été particulièrement inexistant. Désormais, nous sommes dans une relation plus sereine et même une véritable relation de confiance avec le nouveau ministre. L'avenir nous dira si les projets politiques de la collectivité seront dans les faits correctement accompagnés sur le territoire. En effet, certains engagements de l'État notamment sur des investissements qui n'étaient pas considérés comme prioritaires par les autorités locales ont été concrétisés en raison d'un rapport de force politique avec la préfecture. Depuis les élections de juin 2022, les relations sont plus sereines et nous ont permis d'entreprendre de nouvelles démarches, aboutissant notamment à un conventionnement permettant aux ferries de la collectivité de transporter du fret, tant sur Miquelon qu'à l'international, participant ainsi au désenclavement du territoire, dans un contexte de vie chère. Voilà un exemple concret qui démontre que la situation a évolué positivement sur notre territoire en l'espace de quelques mois. Dans ces conditions, il est désormais plus facile d'utiliser son énergie pour le développement du territoire que par le passé.

Debut de section - PermalienPhoto de Micheline Jacques

Quel est votre avis sur une éventuelle fusion des articles 73 et 74 de la Constitution, ouvrant la voie à un statut sur mesure et mettant fin à la dichotomie historique entre DOM et COM ?

Debut de section - Permalien
Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

Nous avons bénéficié, grâce à l'action des anciens élus de davantage d'autonomie et d'un statut se rapprochant du sur-mesure. Par conséquent, je suis favorable à une telle évolution. Il conviendra toutefois de veiller à sa mise en oeuvre. De même, le gouvernement actuel et les suivants devront accepter que les décisions puissent être décentralisées.

Nous constatons depuis de nombreuses années de grandes difficultés de mise en oeuvre malgré les discours répétés sur la différenciation et la déconcentration. La République est une et indivisible et nous ne sommes pas moins français en étant à des milliers de kilomètres de la France hexagonale. C'est pourquoi il convient de faire confiance à celles et ceux qui souhaitent disposer des outils nécessaires à leur développement. En effet, quand les décisions ne sortent pas des sphères parisiennes, elles n'incitent pas les élus à prendre davantage de responsabilités.

Bien entendu, il appartiendra à chaque président de DOM ou de DROM de définir le champ de compétences souhaité. Mes discussions avec les présidents de départements ultramarins m'amènent à penser que cette évolution serait une véritable opportunité, si tous les moyens sont mobilisés pour sa mise en oeuvre. Je vous ai exposé l'incompréhension de certaines demandes d'habilitation concernant notre territoire de six mille habitants ; j'imagine cet impact à l'échelle d'une région comme La Réunion, qui compte près d'un million d'habitants. C'est pourquoi il conviendrait de fluidifier ce mécanisme législatif sur les dispositions spécifiques à un territoire de taille modeste, tel celui de Saint-Pierre-et-Miquelon, pour en tirer les enseignements permettant de les étendre aux DOM ou DROM désireux de plus de différenciation territoriale sur-mesure et en lien avec les demandes exprimées par les élus.

Debut de section - PermalienPhoto de Micheline Jacques

Quel sens donnez-vous aux notions de différenciation et de responsabilisation ? Quel contenu concret y attacheriez-vous ? Où situeriez-vous la limite avec la notion d'autonomie ?

Debut de section - Permalien
Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

La différenciation est extrêmement importante et permet plus d'autonomie et de responsabilité. Elle incite également les élus à être davantage partie prenante dans le développement socio-économique des territoires. Il convient d'établir une relation de confiance et de permettre aux territoires de s'approprier davantage les outils afin de répondre aux enjeux climatiques et sociaux qui se posent de façon spécifique sur chaque territoire. Tel a été dernièrement le cas en matière de santé mentale. En effet, je considère que les référentiels nationaux doivent pouvoir être adaptés aux réalités du territoire, sur le modèle des projets académiques et des projets d'établissement pour l'éducation nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Micheline Jacques

En cas de réécriture de l'article 74 de la Constitution, quelles dispositions souhaiteriez-vous voir modifiées ?

Debut de section - Permalien
Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

S'agissant de l'immatriculation des navires, cette compétence peut être conservée. Elle nécessite toutefois la mise en place d'un registre particulier, ce qui exige de mobiliser une ingénierie dont nous ne disposons pas pour l'heure sur notre territoire.

Par ailleurs, un avis du Conseil d'État d'octobre 2019 pourrait permettre d'accroître nos compétences en matière d'environnement. Ce sujet pourrait être discuté avec Saint-Barthélemy qui a de l'expérience dans ce domaine.

Quant à la délégation de service public sur le fret, elle pourrait être améliorée en assouplissant le modèle d'importation des biens sur le territoire, qui date de plus de 40 ans.

En tout état de cause, l'application de certaines dispositions pourrait être réexaminée sans modifications de la loi, éventuellement par ordonnance.

Debut de section - PermalienPhoto de Micheline Jacques

L'article 74 de la Constitution et la loi organique permettent à la collectivité de participer, sous le contrôle de l'État, à l'exercice de certaines compétences qu'il conserve, et en particulier les sanctions pénales. Quelle analyse faites-vous de ce dispositif ?

Debut de section - Permalien
Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

Notre schéma territorial de l'aménagement et de l'urbanisme prévoit l'application de sanctions pénales. Néanmoins, nous ne disposons pas du pouvoir de police. Par conséquent, la question de la mise en oeuvre n'est pas à ce jour résolue.

Debut de section - PermalienPhoto de Micheline Jacques

La population adhère-t-elle à ce statut de COM ? Des souhaits d'évolution s'expriment-ils dans le débat public ? Qu'en est-il des socio-professionnels ? Une possible révision constitutionnelle suscite-t-elle des inquiétudes ou des espoirs ?

Debut de section - Permalien
Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

Les sujets constitutionnels ne constituent pas la préoccupation première de la population. Nous mettons en avant notre statut particulier. Il nous a permis d'obtenir des financements européens relativement importants - de l'ordre de 35 à 40 % des budgets d'investissement. Nous soulignons le fait que ces dispositions particulières favorisent une autre relation à l'Europe, en qualité de territoire associé. De telles enveloppes pourraient disparaître à la faveur d'une révision constitutionnelle qui rendrait nécessaire une ingénierie dont nous ne disposons pas pour obtenir et gérer des fonds tels que ceux reçus par la Guadeloupe, la Martinique ou la Guyane.

En outre, la fiscalité propre au territoire permet un réinvestissement de l'impôt dans l'économie locale. Nos acteurs économiques sont attachés à ce statut hybride, tout en revendiquant un attachement viscéral à la France et aux valeurs de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Je vous remercie pour ce volet constitutionnel très important pour les collectivités et pour vos éclairages.

N'hésitez pas à nous faire parvenir vos réponses écrites et tous documents que vous jugerez utiles pour nourrir la réflexion.

Debut de section - Permalien
Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon

Je vous remercie de votre attention et vous souhaite bonne continuation dans vos travaux. Je me félicite aussi de l'intérêt du Gouvernement pour la construction de relations fortes avec les territoires ultramarins, pour mener conjointement ces travaux. À ce titre, l'action de la délégation est utile pour ceux qui souhaitent voir évoluer la Constitution et les statuts de nos territoires.