Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs

Réunion du 7 février 2019 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Nous poursuivons nos travaux en recevant conjointement deux personnalités aux expériences complémentaires sur la question des infractions sexuelles commises sur des mineurs au sein de l'Église catholique.

M. Alain Christnacht, conseiller d'État honoraire et président de la commission nationale chargée de conseiller les évêques dans l'évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles, accompagné de Mme Annick Feltz, magistrate honoraire, nous présentera l'activité de cette instance, en précisant la part des infractions sur mineurs dans les affaires qu'elle traite. Nous aimerons également connaître vos réflexions sur les abus sexuels au sein de l'Église et vos propositions sur les mesures qu'il conviendrait de prendre pour mieux protéger les enfants et les adolescents.

M. Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d'État et président de la commission indépendante installée par l'Église pour travailler sur les abus sexuels commis sur des mineurs, est, pour sa part, accompagné de M. Alain Cordier, inspecteur général des finances et membre de ladite commission. Vous nous éclairerez sur la mission assignée à cette instance, ainsi que sur ses méthodes, moyens et calendrier de travail.

Debut de section - Permalien
Alain Christnacht, président de la commission nationale chargée de conseiller les évêques dans l'évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles

La commission que j'ai l'honneur de présider a été créée par une décision du conseil permanent de la Conférence des évêques de France en date du 12 avril 2016. Elle a pour mission de conseiller les évêques qui la saisissent sur la situation de prêtres ayant commis des actes répréhensibles, lorsqu'aucune instance n'existe localement comme cela est le cas à Paris, Lyon ou Bordeaux par exemple. En ce sens, sa compétence est donc subsidiaire. Je dois ma nomination à mon indépendance, que nul n'a remise en cause dans le cadre de ma fonction de président. Ainsi, j'ai choisi seul les membres de la commission : Mmes Annick Feltz, ici présente, et Marie Derain, juriste spécialiste des droits de l'enfant, les professeurs Bernard Granger et Florence Thibaut, psychiatres, le docteur Bertrand Galichon, médecin urgentiste et président du Centre catholique des médecins français, à ce titre seul membre de la commission à entretenir un lien institutionnel avec l'Église catholique, enfin Mmes Martine de Maximy, ancienne juge des enfants, et Pascale de Lauzun, qui a assumé des responsabilités au sein d'une association de parents d'élèves.

Comme indiqué précédemment, notre commission ne peut s'autosaisir. Sur demande des évêques, elle émet des recommandations sur des cas de prêtres ayant commis des actes pédophiles à condition que la justice en ait déjà été saisie et qu'elle ait décidé de mesures provisoires, d'une condamnation ou d'un non-lieu. Nous devons alors conseiller l'évêque concerné sur les missions qui pourraient sans danger être confiées au prêtre incriminé. D'aucuns ont critiqué le fait même que la question puisse être posée, considérant qu'un prêtre mis en cause pour ce type d'acte devrait impérativement retourner à l'état laïc. Nous nous opposons à un tel automatisme.

Il convient, en effet, de distinguer entre différents degrés de gravité de l'acte commis. Un attouchement sans récidive ne peut être considéré aussi sévèrement que des actes répétés, voire un viol. Les psychiatres membres de notre commission ont établi plusieurs critères pour étayer nos recommandations : la nature de l'acte pédophile et son éventuelle récidive, l'âge de l'auteur et des victimes, le recours à la dissimulation, le suivi d'un traitement médical, la présence d'aveux au dossier, notamment. Nous sommes fréquemment amenés à demander au procureur des informations complémentaires, que nous ne communiquons évidemment pas à l'évêque responsable de la saisine, souvent pas destinataire de la copie du jugement.

Notre investigation se conclut fréquemment par une recommandation d'évaluation psychologique et psychiatrique, qui débouche elle-même généralement sur un traitement. Sur les conseils de Florence Thibaut, nous privilégions une prise en charge par les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violence sexuelle (Criavs). Nous recommandons également une affectation qui limite le risque de récidive, notamment une absence de lien avec les enfants et les adolescents, ainsi que la nomination d'un référent prêtre ou laïc auquel se confier en cas de nouveaux troubles. Dans certains cas graves néanmoins, nous n'envisageons pas de mission au sein de l'Église. Pour autant, le retour à l'état laïc reste décidé par Rome. J'estime, à cet égard, qu'il peut y avoir une dérive vers un comportement à la « Ponce Pilate » en excluant un prêtre pédophile. Lorsqu'existe un risque de récidive, un solide soutien interne peut, au contraire, s'avérer plus efficace. Pour garantir l'absence de contact d'un prêtre avec des mineurs, nous proposons souvent qu'il ne puisse être nommé curé, poste auquel il jouirait d'une certaine indépendance dans l'organisation de sa mission. Il peut en revanche être envisagé de le placer comme adjoint d'un curé dans une paroisse plus importante.

Le rôle de notre commission demeure modeste, mais elle dialogue en confiance avec les évêques qui la saisissent, par essence dans une démarche volontaire. Nous avons déjà traité vingt cas - dix-neuf prêtres, dont deux religieux, et un diacre permanent - à la demande de dix-sept évêques. Parallèlement, il n'est pas rare que des évêques, hors de notre recours, travaillent avec les Criavs ou suspendent directement un prêtre. Notre commission entretient un lien limité avec la cellule permanente de la Conférence des évêques de France, laquelle est toutefois destinataire de rapports sur nos constatations.

Il convient, à mon sens, de distinguer trois périodes s'agissant des réactions de l'Église face aux actes de pédophilie commis par des prêtres : autrefois, les affaires étaient traitées en interne pour taire tout scandale et éviter de dénoncer un membre de l'Église ; puis, à partir des années 2000, à la faute morale s'est ajoutée la faute pénale et la justice a presque systématiquement été saisie ; enfin, plus récemment, la dimension psychique de l'acte pédophile a été considérée. Dans certains cas, les évêques ont dénoncé des prêtres coupables de pédophilie, puis les ont, sans réfléchir à la nécessité, par exemple, de poursuivre un traitement, réaffectés en paroisse après leur peine. Progressivement, l'Église développe la prévention et améliore la détection des personnes à risque, qui recherchent systématiquement à se voir confier une fonction auprès d'enfants. Dans ce cadre, notre mission consiste à rappeler le mal que représente la pédophilie, qui autrefois, dans l'art ou dans les récits historiques, a pu faire l'objet d'une regrettable banalisation. D'ailleurs, parmi nos critères d'évaluation du risque de récidive figure la conscience que le prêtre coupable a de la gravité de ses actes.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je comprends votre argumentaire sur la graduation des actes pédophiles, mais les victimes peuvent en avoir un ressenti différent. Les entendez-vous ?

Debut de section - Permalien
Alain Christnacht, président de la commission nationale chargée de conseiller les évêques dans l'évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles

Les psychiatres membres de notre commission insistent effectivement sur le ressenti des victimes. Toutefois, nous n'entendons pas les victimes, pas plus d'ailleurs que les auteurs. Nous disposons, le cas échéant, des pièces du procès. Si l'affaire n'a pas été jugée, quelle serait notre légitimité à le faire ? Nos médecins estiment à cet égard qu'ils se trouveraient alors dans une position déontologique délicate. Cela étant, en règle générale, nos recommandations apparaissent plus poussées que celles de la justice, notamment en matière d'obligation de soins.

Debut de section - Permalien
Annick Feltz, membre de la commission nationale chargée de conseiller les évêques dans l'évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles

Nous avons, à plusieurs reprises, constaté que les pièces fournies par les évêques à l'appui de leur saisine n'éclairaient pas suffisamment notre réflexion sur la personnalité du prêtre incriminé et sur le risque de récidive. Ainsi que le rappellent les psychiatres qui siègent au sein de la commission, la pédophilie ressort d'une maladie psychiatrique fort difficile à guérir. Dès lors, la condamnation pénale ne règle absolument pas le problème. Il est donc essentiel à notre mission de disposer, lorsqu'elles existent, des informations relatives aux expertises psychiatriques et médico-psychologiques. L'article R. 156 du code de procédure pénale précisant qu'aucune pièce ne peut être délivrée à un tiers sans autorisation du procureur, nous avons obtenu du directeur des affaires criminelles et des grâces qu'il autorise les procureurs de la République et les procureurs généraux, par une circulaire en date du 20 octobre 2016, à nous fournir les documents demandés. Notre objectif est de disposer du maximum de renseignements sur les faits et, le cas échéant, sur le contenu du sursis avec mise à l'épreuve et sur l'effectivité du traitement imposé. Il ne s'agit nullement de réinstruire l'affaire, mais, dans l'intérêt supérieur des victimes, d'évaluer le risque de récidive.

Debut de section - Permalien
Alain Chrisnacht

Effectivement, notre mission n'est pas de condamner une nouvelle fois le prêtre pédophile, mais d'estimer un risque de récidive qui varie considérablement en fonction de la situation, comme je l'indiquais en mentionnant la gradation de la gravité des faits.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Sauvé, président de la commission d'enquête indépendante sur les abus sexuels sur mineurs commis au sein de l'Église catholique

J'ai été chargé, le 13 novembre dernier, de composer une commission indépendante chargée de faire la vérité sur les abus sexuels commis sur des mineurs et des personnes vulnérables par des prêtres ou des religieux. Il s'agit de donner des avis et d'établir des préconisations sur les mesures prises par l'Église en la matière, en tenant compte du contexte et de l'époque des faits. Notre commission mènera cette mission dans un délai de dix-huit mois à deux ans. Elle disposera à cet effet d'un accès aux archives épiscopales et pourra tenir des auditions.

Je rendrai publique dans la journée la liste des membres de la commission, qui se réunira pour la première fois demain. Par égard pour la représentation nationale, je vais néanmoins vous faire lecture des noms des vingt-deux membres qui la composent. Outre M. Alain Cordier ici présent, ancien directeur général de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-AH), y siègeront Mmes Laetitia Atlani-Duault, anthropologue à la Maison des sciences de l'homme, et Nathalie Bajos, sociologue-démographe à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), les professeurs Thierry Baubet et Florence Thibaut, psychiatres, et Sadek Beloucif, anesthésiste-réanimateur, M. Jean-Marie Burguburu, avocat, ancien bâtonnier de Paris et président du Conseil national des barreaux (CNB), Mmes Alice Casagrande, vice-présidente du Haut Conseil de la famille, de l'enfance, de l'âge et du Comité national d'éthique des personnes handicapées, Carole Damiani, docteur en psychologie, Anne Devreese, directrice générale de l'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse, MM. Antoine Garapon, Didier Guérin et Jean-Pierre Rosenczveig, magistrats, Mmes Astrid Kaptinj, professeure de droit canonique, Christine Lazerges, ancienne présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, et Laurence Marion, spécialiste des questions de bioéthiques, M. Joël Molinario et Mme Marion Muller-Collard, théologiens, et MM. Stéphane de Navacelle, avocat, Philippe Portier, historien et sociologue, et Jean-Pierre Winter, psychanalyste. J'ai choisi des personnes reconnues dans leur domaine de compétence, mais demeurant à distance des débats et des controverses sur le sujet de notre mission. J'ai également veillé au respect de la pluridisciplinarité - les membres de la commission oeuvrent dans les domaines du droit, de la médecine, de la sociologie, de l'éducation et du travail social -, au pluralisme religieux, à la variété des convictions et au mélange des générations. La moyenne d'âge des membres de la commission s'élève à cinquante-sept ans.

Notre commission fixera de manière indépendante ses méthodes de travail. Elle se tiendra évidemment à l'écoute des victimes, pour mesurer les traces profondes laissées par le traumatisme subi. En matière de fonctionnement, j'ai conclu avec la Conférence des évêques de France une convention précisant que notre commission bénéficiera des concours financiers et matériels nécessaires à l'exercice de sa mission. Si aucun budget n'a encore été fixé, il est d'ores et déjà convenu que l'Union des associations diocésaines de France prendra à sa charge le coût des locaux et du personnel permanent de la commission. Je disposerai, en outre, d'un compte bancaire pour engager les dépenses nécessaires, dont la nature demeurera confidentielle.

Nous devrons, dans un premier temps, préciser le champ de notre action : définir les notions de mineurs et de personnes vulnérables et affiner la liste des auteurs concernés - clercs, religieux, personnes en formation, membres laïcs d'associations de fidèles placés sous l'autorité d'un évêque, etc. Son périmètre géographique et temporel apparaît en revanche clairement établi, puisque nous travaillerons sur les actes commis en France métropolitaine et ultramarine depuis les années 1950. Il conviendra néanmoins de trancher le cas des actes commis à l'étranger par un auteur français.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je vous remercie de vos précisions. Je constate avec plaisir le quasi-respect de la parité au sein de votre commission, d'autant plus importante que la gestion des prêtres pédophiles a, à mon sens, parfois pâti d'un entourage ecclésiastique presque exclusivement masculin.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Votre commission, monsieur Sauvé, me semble effectivement prometteuse au regard de la qualité de ses membres.

Monsieur Christnacht, depuis la création de votre commission, quels changements avez-vous observés, notamment s'agissant de la vision de la gravité des faits, de l'omerta qui s'y appliquait et du déni des auteurs ?

Debut de section - Permalien
Alain Christnacht, président de la commission nationale chargée de conseiller les évêques dans l'évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles

Nous ne disposons pas d'une vision globale, car nous ne traitons que quelques cas, tandis que de nombreuses victimes ne se déclarent pas. Je crois néanmoins que, désormais, l'Église a absolument conscience de la nécessité de saisir systématiquement la justice. Les jeunes évêques le font d'ailleurs immédiatement, parfois sur de simples soupçons. La Conférence des évêques de France a réalisé un travail considérable en matière de formation initiale et continue des prêtres par des psychiatres, des psychologues et des psychanalystes. L'importance du volet sanitaire me semble également bien intégrée ; d'ailleurs, certains évêques saisissent directement les Criavs. Vous devez comprendre que la prise en compte de la dimension psychiatrique de ces situations représente pour l'Église une véritable révolution !

Notre commission entretient des relations avec la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui dispose d'une cellule spécialisée. Nous disposons d'ailleurs d'un conseiller en droit canonique. Nous rappelons régulièrement aux évêques que la Congrégation doit être saisie de tous les faits. Elle attend néanmoins pour agir que la justice du pays concerné se soit prononcée. Des consignes de sévérité sont désormais données au plus haut niveau, même si, hormis pour les mesures d'urgence, elle met parfois jusqu'à deux ans à répondre aux évêques qui la saisissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Pour combien de dossiers avez-vous conseillé un retour à l'état laïc, sur lequel j'ai bien entendu votre argument s'agissant de la responsabilité de l'Église ?

Debut de section - Permalien
Alain Christnacht, président de la commission nationale chargée de conseiller les évêques dans l'évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles

Une procédure est en cours, mais la décision n'a pas été prise. D'autres procédures de réduction à l'état laïc ont abouti dans des cas qui ne sont pas passés par notre commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Un prêtre à qui un autre prêtre confesserait avoir commis un crime de pédophilie doit-il saisir la justice, après en avoir informé la personne ayant révélé son crime qu'il est tenu de le faire ? Doit-il s'en abstenir en vertu du secret de la confession ? Comment cela est-il défendable en droit ? Accessoirement, que dit le droit canon de cette question ?

Debut de section - Permalien
Alain Christnacht, président de la commission nationale chargée de conseiller les évêques dans l'évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles

Je ne suis pas un spécialiste du droit canonique. Je pense que le secret de la confession reste absolu, mais que le confesseur peut et doit, quand un crime a été commis, convaincre la personne de se dénoncer elle-même à la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Cette question a déjà été évoquée hier. Il nous a été dit que le nombre d'aveux au cours d'une confession était assez faible. Cela étant, c'est un véritable sujet. Nous allons travailler sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Connaissez-vous la convention de Lanzarote sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels, que la France a ratifiée en 2011 et qui impose la criminalisation de tous les types d'infractions à caractère sexuel perpétrés contre des enfants ?

Debut de section - Permalien
Alain Christnacht, président de la commission nationale chargée de conseiller les évêques dans l'évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles

Cette convention impose aux États signataires de prévoir dans leur droit les mesures permettant de considérer comme crimes ou délits les actes de nature sexuelle perpétrés contre des mineurs. La France a un dispositif qui correspond aux stipulations de cette convention.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Vous avez une approche très « psychiatrisante » des pédocriminels, qui seraient atteints de troubles psychiatriques, et vous établissez une différence entre ces criminels en fonction de l'âge des victimes.

Je pense pour ma part que la prédation sexuelle sur des victimes, dont la vulnérabilité tient, en particulier, à leur incapacité à dire non, relève davantage d'un abus de pouvoir que de troubles psychiatriques. On entend toujours dire qu'il faut soigner les pédocriminels. Certes, on connaît tous des affaires terribles dans lesquelles les victimes étaient extrêmement jeunes, parfois des bébés, mais lorsqu'il s'agit d'adolescents, il me semble qu'il s'agit plus d'une absence de limites. C'est parce qu'il a le pouvoir qu'un pédocriminel a la possibilité de satisfaire ses désirs. Pour parler en termes psychiatriques, je parlerai plutôt de sociopathie, c'est-à-dire d'une incapacité à prendre en compte l'autre.

Dès lors qu'on psychiatrise la pédocriminalité, on en fait un dysfonctionnement individuel, au risque de passer à côté d'un dysfonctionnement du système, de tout le système de domination masculine.

Debut de section - Permalien
Alain Christnacht, président de la commission nationale chargée de conseiller les évêques dans l'évaluation des situations de prêtres ayant commis des actes répréhensibles

Dire qu'il s'agit d'un trouble psychiatrique n'est pas exonératoire de responsabilité.

Par ailleurs, la plupart des auteurs considèrent que la pédophilie est assez différente - c'est important pour ce qui concerne les soins - selon qu'elle est exercée sur des enfants pré-pubères ou des adolescents de différents âges. L'intérêt sexuel pour des enfants pré-pubères est lié, pour la plupart des auteurs, à un trouble de la construction de la personnalité. Ce qui a rendu ces actes possibles et ce qui explique les réactions souvent très limitées des victimes, c'est bien le système de pouvoir et de domination masculine que vous évoquez. On note tout de même quelques cas d'abus sexuels commis par des femmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

C'est arrivé dans l'Église, mais également dans le sport. Ces cas sont moins fréquents, mais ne sont pas exceptionnels.

Debut de section - Permalien
Alain Cordier, membre de la commission d'enquête indépendante sur les abus sexuels sur mineurs commis au sein de l'Église catholique

Nous devons établir des faits. D'un point de vue méthodologique, nous allons étudier ce qui s'est fait dans d'autres pays, où des commissions comparables ont été mises en place.

Une commission ministérielle de lutte contre la maltraitance a été récemment mise en place. Je trouve que leur triptyque est intéressant : comprendre, réagir, prévenir. Notre premier devoir est de comprendre. À cet égard, je me réjouis du choix fait par Jean-Marc Sauvé de la pluridisciplinarité de cette commission, qui nous permettra de porter un regard à la fois médical, sociologique, philosophique ou théologique. On gagne beaucoup à la confrontation des points de vue.

Nous devons entendre les victimes et d'essayer de percevoir ce qui s'est passé depuis les années cinquante. La tâche est grande. Les victimes sont parfois décédées, malheureusement, mais elles ont des enfants.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Nous vous remercions. Cette commission suscite beaucoup d'espoirs, y compris au sein de l'Église dont il est heureux qu'elle se soit saisie de ce sujet. Nous suivrons votre travail, dont la pluridisciplinarité est un aspect majeur : pour pouvoir formuler des propositions, il faut étudier le sujet dans sa globalité.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Nous recevons M. François Devaux, président, et M. Alexandre Hezez, co-fondateur de l'association « La Parole libérée », accompagnés de maître Nadia Debbache, avocate au barreau de Lyon, qui pourra nous apporter un éclairage sur les questions juridiques.

Votre association a été créée par d'anciens membres du groupe des Scouts Saint-Luc de la paroisse Sainte-Foy-lès-Lyon, victimes des agissements du père Preynat dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Vous vous êtes battus pendant des années pour obtenir un procès qui s'est finalement tenu au début de cette année, et dont le jugement a été mis en délibéré, le prévenu le plus emblématique étant le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon.

Notre but aujourd'hui est non pas de refaire le procès, encore moins de nous prononcer sur la culpabilité des uns et des autres, mais de recueillir vos témoignages. Comment un prédateur comme le père Preynat a-t-il pu agir pendant des années sans être dénoncé ? Quels mécanismes d'emprise empêchent les victimes de parler ? Quelle appréciation portez-vous sur la manière dont l'Église a géré cette affaire ? Comment avez-vous vécu la longue procédure judiciaire qui a conduit au procès que j'évoquais ?

Un film de François Ozon inspiré de votre expérience, intitulé Grâce à Dieu, va sortir prochainement. Vous pourrez peut-être nous en dire un mot.

Je vous propose de nous présenter votre association en une quinzaine de minutes. Je laisserai ensuite la parole à notre rapporteure et aux membres de la commission désireux de vous poser des questions.

Debut de section - Permalien
François Devaux, président de l'association « La Parole libérée »

Merci beaucoup de nous recevoir aujourd'hui.

Notre association a été créée le 17 décembre 2015, consécutivement à la procédure judiciaire ouverte à l'encontre de Bernard Preynat. Nous avons assez rapidement regroupé des victimes et pris la mesure du fléau. Nous avons constaté que le diocèse de Lyon avait été mis au courant à plusieurs reprises des déviances sexuelles de Bernard Preynat, qui dataient des années soixante. Avant le cardinal Barbarin, le cardinal Billé, le cardinal Balland, le cardinal Decourtray et le cardinal Renard avaient été mis au courant. C'est principalement cela qui a motivé la création de notre association. Nous n'avions pas besoin d'une association pour traduire en justice un prêtre pédophile, mais lorsque nous avons pris conscience qu'un prédateur avait été remis au contact d'enfants, nous nous sommes dit que nous avions un devoir citoyen.

Les objectifs de notre association étaient multiples : interroger sur la réalité d'un fléau et sur l'inconscience de notre société, essayer de changer l'image de la victime, infléchir la position du législateur sur la prescription, remettre en cause l'institution catholique, à la fois les fidèles et les évêques.

Nous avons acquis une certaine légitimité au fil du temps, auprès des médias et des victimes. On s'est rendu compte que la problématique ne se limitait pas au diocèse de Lyon et au cas Preynat, que les cas étaient nombreux en France. Nous avons essayé de guider les victimes et de les orienter vers des associations, comme « Stop aux violences sexuelles ». Nous n'avons pas la compétence pour accompagner les victimes, nous exerçons plutôt une activité de lobbying, notre but étant d'interpeller les consciences et les différentes institutions.

Si l'on a entendu parler à ce point pendant trois ans des affaires d'agression sexuelle, c'est parce qu'une parole qui se libère en entraîne une autre. De nouveaux cas ont été révélés, les victimes ont pu se regrouper et ester en justice ou créer des associations. Je pense que nous avons atteint une grande partie des objectifs que nous nous étions fixé lors de la création de l'association.

Debut de section - Permalien
Nadia Debbache, avocate au barreau de Lyon

J'interviendrai pour ma part sur les deux procédures judiciaires en cours, l'une contre le prêtre Bernard Preynat, dont l'instruction est en train de se terminer, et l'autre contre le cardinal Barbarin.

Il faut savoir que si ce prêtre a toujours reconnu les faits révélés par les victimes, il a tenté d'échapper à sa responsabilité au motif qu'ils étaient prescrits. Les procédures qu'il a diligentées ont été ressenties de manière violente par les victimes. Même si ces démarches étaient légitimes juridiquement parlant, il a été difficile pour les victimes, au moment où leur parole se libérait, où elle était reconnue, de voir qu'elle était dans le même temps contestée en justice. Il leur a fallu batailler sur le plan juridique, jusqu'à la Cour de cassation.

Au départ, il y avait quatre victimes non prescrites. Au total, trente-six victimes ont déposé plainte, mais seules douze d'entre entre elles sont non prescrites aujourd'hui et se sont constituées parties civiles. En outre, une victime prescrite s'est elle aussi constituée partie civile.

Il y a ensuite la procédure relative à l'affaire dite « du cardinal Barbarin ». Pour notre part, ce n'est pas « que » son affaire. Dès le début de la procédure, nous avons mis en cause plusieurs personnes du diocèse de Lyon et des autorités du Vatican. Les victimes ont réclamé un réquisitoire supplétif afin que ce dossier soit joint à la procédure d'instruction. Le procureur et le juge d'instruction n'ont pas accepté cette demande, peut-être pour ne pas créer d'amalgame entre les deux situations et permettre une enquête rapide. Il est pourtant clair que les deux affaires sont connexes, les éléments de l'une permettant de comprendre l'autre.

Une enquête préliminaire a été ouverte, à l'issue de laquelle le procureur de la République a décidé de classer sans suite cette affaire, les faits étant prescrits, mais aussi parce qu'il estimait que les faits n'étaient pas constitués, que l'élément moral justifiant l'obligation de dénoncer les faits d'agression sexuelle n'était pas constitué et qu'il n'y avait pas péril imminent.

Nous n'avons pas fait de recours contre ce classement sans suite, car on s'imaginait bien que si le procureur de la République avait pris cette décision, qui était certainement remontée au niveau du procureur général, la décision resterait la même. Nous avons demandé au procureur de la République que cette affaire parte à l'instruction afin que d'autres investigations puissent être effectuées, certaines personnes n'ayant pas été interrogées, mais il a refusé de nous suivre sur ce fondement. Nous avons finalement décidé d'utiliser une troisième voie, la citation directe par les victimes.

Nous avons au préalable lancé des consultations juridiques auprès d'universitaires, notamment du professeur Bonfils, sur la nature juridique de l'obligation de dénoncer les faits. Il nous paraissait aberrant, au regard des éléments de ce dossier si particulier, d'estimer, comme l'avait fait la Cour de cassation, que la non-dénonciation était une infraction instantanée et non pas continue. La loi du 3 août 2018 prévoit désormais qu'il s'agit d'une infraction continue.

Dans le cadre de cette procédure, nous avons cité à comparaître Luis Ladaria, secrétaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi au moment des faits. C'est lui qui a signé le courrier adressé au cardinal Barbarin dans lequel il lui demandait de faire en sorte que le prêtre ne soit plus au contact d'enfants et d'éviter le scandale public. C'est lui qui a donné des instructions pour que cette affaire reste au sein de l'Église.

Debut de section - Permalien
Nadia Debbache, avocate au barreau de Lyon

Il y a eu en fait deux courriers. De mémoire, ils sont datés du 26 janvier et du 3 février 2015.

Il nous a semblé vraiment important que les autorités de Rome aient à répondre devant la justice française d'une telle instruction. On ne peut pas interférer dans des affaires de cette nature sans avoir à rendre de comptes. Je dois dire qu'il a été extrêmement difficile de faire citer Luis Ladaria. Nous avons dû faire traduire les documents en deux langues et supporter les frais afférents. Au mois de septembre, les autorités de Rome nous ont opposé l'immunité diplomatique, ce qui n'a pas été beaucoup relevé, alors que c'est particulièrement choquant en pareil cas, et ce deux ou trois semaines après que le pape François, dans sa lettre du 20 août, a déclaré qu'il fallait réagir et ne pas accepter ce type de situation. C'est totalement incompréhensible pour nous, y compris au regard du droit international. Une réflexion doit être menée sur le fait qu'il soit possible pour une autorité spirituelle, en l'occurrence le Vatican, d'opposer une immunité s'agissant d'actes de pédophilie.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

En tant qu'association, qu'attendez-vous de la création des instances officielles mises en place par l'Église ?

Debut de section - Permalien
Alexandre Hezez, co-fondateur de l'association « La Parole libérée »

Il y a quelques mois, un débat s'est ouvert sur la nécessité pour les autorités publiques de mener une enquête sur les crimes sexuels, notamment dans l'Église. En réponse, la Conférence des évêques de France a mis en place une commission et affiché de fortes ambitions. Nous avons rencontré le président Sauvé au mois de décembre. La composition de cette commission vient de vous être annoncée. Elle est certes composée de gens de bonne volonté, tous des spécialistes, mais aucune victime ou association de victimes n'y est représentée.

S'il est trop tôt pour juger de l'ambition de cette commission, de nombreuses problématiques vont se poser. Nous ignorons ainsi de quels moyens elle disposera et quel sera son degré de liberté. Or, nous l'avons vu au sein de notre association, une telle commission a besoin de moyens financiers importants parce qu'il faut à la fois mener des enquêtes et amener les victimes à témoigner.

D'autres questions vont se poser, notamment celle de l'accès aux archives. Après l'affaire Pican en 2001, de nombreuses archives ont été détruites dans les diocèses pour éviter que d'autres cas ne sortent.

En outre, cette démarche de transparence sera non contraignante pour les évêques, qui sont de toute manière maîtres en leur diocèse. En plus, de nombreux évêques encore en place sont responsables de l'omerta instaurée depuis de très nombreuses années. Le travail de mémoire sera donc délicat, ce qui risque d'entacher la crédibilité de la commission.

Cette commission devra être légitime aux yeux de la société et des victimes. Depuis près de quatre ans, nous avons recueilli des centaines de témoignages. Si trente-six victimes ont porté plainte, nous avons recensé quatre-vingts victimes directes du père Preynat. D'autres associations ont été créées depuis. Nous recevons encore un ou deux mails par jour de victimes. Une grande majorité des victimes étant sorties de l'Église et ayant perdu toute confiance dans cette institution, la commission aura du mal à recueillir des témoignages.

Par ailleurs, un travail statistique de grande ampleur est nécessaire pour effectuer une analyse et proposer des solutions aux victimes. Les chiffres qui seront produits, si tant est que la commission parvienne à recueillir des témoignages, devront être comparés à ceux d'autres institutions afin de mettre en oeuvre une réponse à la fois éducative, préventive, mais aussi répressive. Or cette commission n'a pas la possibilité de faire tout cela.

À mon avis, le travail de cette commission se limitera à des discussions entre spécialistes, sur des sujets connus, alors que les problématiques ici sont davantage la prise de parole des victimes et l'action.

Debut de section - Permalien
Alexandre Hezez, co-fondateur de l'association « La Parole libérée »

Oui. Et la composition de la commission constitue déjà une réponse.

Debut de section - Permalien
François Devaux, président de l'association « La Parole libérée »

De toute évidence, mais c'est tout de même très surprenant qu'il n'y ait pas de victimes au sein de cette commission. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est grâce à qui ? Qui a permis de briser l'omerta et de faire évoluer la société et les différentes institutions ? Les victimes ont tout de même développé une certaine expertise, contre la volonté d'un certain nombre d'institutions.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Il existe une présomption de manque de sang-froid des victimes. C'est pourquoi on crée des commissions composées de gens ayant de la distance. C'est terrible. Pour ma part, je pense que, pour en être arrivés là où vous en êtes aujourd'hui, pour avoir donné autant de publicité aux faits que vous dénoncez, vous avez forcément pris de la distance.

Debut de section - Permalien
François Devaux, président de l'association « La Parole libérée »

Oui, cette présomption existe. Il faut savoir que lorsque nous avons créé l'association, nous étions seuls contre tous, contre la communauté catholique, contre le législateur. Nous avons été fortement décrédibilisés. Il nous a fallu gagner notre crédibilité et notre légitimité. Tout cela pour en arriver aujourd'hui à la création de cette commission, je pense, à la suite de notre action, d'où les victimes sont absentes !

Debut de section - Permalien
Alexandre Hezez, co-fondateur de l'association « La Parole libérée »

Les victimes qui ont siégé au sein des commissions vaticanes mises en place au départ, notamment par le pape, les ont pour la plupart quittées. C'est notamment le cas de Peter Sanders et de Marie Collins. Pourquoi ? Parce que ces commissions en restent à la théorie. Or les victimes ont besoin d'actions. Catherine Bonnet, qui est une professionnelle, a elle aussi démissionné.

Debut de section - Permalien
François Devaux, président de l'association « La Parole libérée »

Les victimes empêchent ce genre de commission de tourner en rond.

Debut de section - Permalien
Alexandre Hezez, co-fondateur de l'association « La Parole libérée »

Et de pratiquer la langue de bois !

Debut de section - Permalien
Nadia Debbache, avocate au barreau de Lyon

Lorsque les victimes posent les bonnes questions, sur la responsabilité de l'évêque, sur l'imprescriptibilité dans le droit canon, disent que les faits doivent être automatiquement signalés, elles n'obtiennent pas de réaction.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Je suis ravie de vous rencontrer et je tiens à vous dire bravo d'avoir libéré la parole.

On connaît l'omerta de l'Église, mais on ne parle pas beaucoup de la place des fidèles dans toutes ces affaires dramatiques. Or les fidèles et les familles étaient au courant et n'ont pas plus dénoncé les faits que les hommes d'Église. Avez-vous abordé cette question avec des familles ou des associations de fidèles ? Avez-vous réfléchi à cette question ? Les fidèles sont des citoyens, ils ont une obligation vis-à-vis des victimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Je vous remercie et je vous félicite également pour votre travail.

Ma question porte sur l'imprescriptibilité. Pensez-vous qu'il faudrait supprimer le délai de prescription pour les crimes commis sur des enfants ? Par ailleurs, pensez-vous que l'omerta soit généralisée et qu'elle règne dans tous les diocèses ?

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Pour ma part, je souhaite faire une observation. Je m'associe aux membres de la commission qui déplorent que les victimes ne soient pas représentées au sein de la commission Sauvé. Je ne comprends pas, en termes de fonctionnement, comment cette commission pourra travailler si elle n'a pas en son sein la totalité du prisme.

Cela étant dit, c'est devant la commission du Sénat qu'il faut dire les choses afin que nous puissions porter votre message. Notre commission est ouverte à l'ensemble de la protection de l'enfance, dans les milieux catholiques comme dans les autres.

Il est important que vous nous fassiez part des problèmes que vous avez rencontrés dans les procédures engagées, des actes de violence subis et des difficultés à les révéler afin de nourrir notre réflexion.

Debut de section - Permalien
François Devaux, président de l'association « La Parole libérée »

Un point me semble capital : il faut avant toute chose faire un état des lieux de la situation. Or nous ne disposons aujourd'hui d'aucun état des lieux statistique global sur la situation multi-institutionnelle. Quand le Gouvernement décide de mettre en place des mesures de prévention routière, il fait au préalable une étude statistique. Nous, nous tournons autour d'un sujet qu'on ne connaît pas et dont ignore l'évolution. On ne connaît pas les responsabilités institutionnelles. Et les responsabilités institutionnelles, je vous le dis très sereinement, ne sont pas du tout les mêmes dans l'Église que dans d'autres institutions. Il n'existe nulle part ailleurs que dans l'Église catholique un mécanisme de couverture des prédateurs sexuels à ce point développé, et ce de façon universelle.

Debut de section - Permalien
Alexandre Hezez, co-fondateur de l'association « La Parole libérée »

La question sur les fidèles contient une partie de la réponse. La plupart des fidèles sont fidèles à l'institution, ce qui pose question. Ils sont aussi des citoyens, mais d'abord des fidèles.

Quelques personnes ont été courageuses. Dans les années quatre-vingt, et plus tard dans les années quatre-vingt-dix, des personnes, à l'instar des parents de François Devaux, ont voulu alerter et dénoncer, mais ils ont subi de fortes pressions de la hiérarchie et de la communauté. On leur a reproché, comme dans la Bible, de créer le scandale, ce qui est répréhensible aux yeux de l'institution.

Il nous a fallu à nous de nombreuses années pour parler. Face à une situation d'omerta dans une institution, notamment de l'Église, on peut en effet se poser la question de l'imprescriptibilité. Le problème, c'est que dans une institution comme l'Église catholique, l'imprescriptibilité est une arme de silence. Elle laisse le temps d'exercer des pressions importantes. Si l'on y ajoute l'impact de certains concepts, comme la miséricorde et le pardon, qui empêchent la victime de réagir et d'agir une fois qu'elle a pardonné, il est extrêmement difficile de saisir la justice.

Il existe d'autres mécanismes d'emprise dans d'autres institutions, mais l'omerta et les pressions sont le fait de toutes les institutions, mais aussi des familles : on discute, on pardonne et on reste entre soi.

Les prêtres sont des prédateurs particuliers parce que l'Église, par certains sacrements, leur a donné une arme d'emprise spirituelle et psychologique importante. Notre association s'est battue contre le diocèse, car elle a jugé que sa responsabilité était très forte. En ne mettant pas en oeuvre des sanctions et un suivi une fois les faits révélés, il a permis à des prédateurs d'agir pendant de nombreuses années sans être inquiétés, en exerçant une emprise sur des enfants et des fidèles vulnérables.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Quel mécanisme conduit à la révélation des actes subis ?

Debut de section - Permalien
François Devaux, président de l'association « La Parole libérée »

Chaque cas est différent. Les professionnels de la santé ont évolué très récemment sur cette question. Par exemple, moi, je me suis construit avec ça, cela fait partie de ma vie. D'autres se sont enfermés dans le silence et ont dû faire un long chemin avant de prendre conscience de la réalité de leur vécu et de faire leur coming out si je puis dire. Il y a des cas d'amnésies traumatiques. On voit à quel point les conséquences psychiques peuvent formater le cerveau.

Je pense que lorsqu'on libère la parole, et c'est là notre réussite, on entre dans un processus salvateur et on avance. Sortir du silence permet une reconstruction personnelle. On passe une première partie de sa vie - et c'est là où la question de la prescription est très intéressante - à essayer de la construire et à panser ses souffrances du mieux qu'on peut, puis une seconde partie, vers quarante ou cinquante ans, à s'accepter et à se préparer à quitter cette terre en harmonie avec ce qu'on est. C'est le chemin de tout le monde, qu'on soit laïc, catholique ou athée. C'est le cheminement de la maturité en fait. Face à cela, les pressions ne tiennent pas, qu'elles soient familiales, culturelles ou spirituelles.

Vous êtes mieux placés que nous pour répondre à la question de l'imprescriptibilité. Vraisemblablement, elle pose un problème de constitutionnalité. Nous ne sommes pas compétents sur ce sujet. Cela étant dit, il me semble que c'est une question de bon sens. Le cadre législatif n'est-il pas fait dans l'intérêt des citoyens, et donc des enfants, qui représentent l'avenir de notre nation ? Les marques sont tellement indélébiles que l'imprescriptibilité semble une évidence absolue.

Debut de section - Permalien
Alexandre Hezez, co-fondateur de l'association « La Parole libérée »

Mon cas était prescrit, ma plainte aurait pu ne servir à rien, mais lors de l'enquête, on a trouvé des personnes qui n'étaient pas prescrites. On sait que les pédocriminels récidivent. Lorsque des victimes prescrites parlent, on en découvre d'autres qui ne le sont pas, ce qui permet de diligenter des enquêtes.

Debut de section - Permalien
François Devaux, président de l'association « La Parole libérée »

L'intérêt pour la victime d'ester en justice est de faire reconnaître un préjudice, mais il ne s'arrête pas là. Les prédateurs réitèrent leurs actes. On dit que le cas Preynat est emblématique, mais il n'est pas si emblématique que cela en termes de nombre de victimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Bonne

Merci pour votre action, qui a permis, malgré la prescription - la situation n'est pas satisfaisante sur ce point, c'est manifeste - de dénoncer ces pratiques. Notre mission d'information se doit de proposer des mesures de prévention. Vous avez incité d'autres victimes à parler et c'est tant mieux, car les prédateurs, on l'a compris en vous écoutant, sévissent parfois pendant plus de trente ans, et les effets de leurs actes sont dévastateurs, pour toujours... Vous avez évité d'autres victimes !

Je m'interroge sur le fonctionnement du milieu scout, et je m'étonne que durant toutes ces années, aucune dénonciation ne soit intervenue, de la part de ceux qui, adultes ou devenus adultes, connaissaient certainement les agissements de l'agresseur dont vous parlez. Comment est-il possible que l'on n'ait pas réagi plus tôt ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Je salue moi aussi le rôle essentiel que vous avez joué. Plusieurs d'entre nous souhaitaient la formation d'une commission d'enquête exclusivement consacrée à l'Église, en raison des conditions spécifiques à cette institution. Cela n'a pas été possible, malheureusement.

Que pouvons-nous faire pour vous aider dans votre combat ? La commission Sauvé ne comprend pas de représentants des victimes : son président a dû réfléchir à la question, mais rien n'interdit à notre mission d'information de lui adresser un courrier à ce sujet. Au-delà de ce point, que pouvons-nous faire pour vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Il faut réfléchir à des mesures de prévention, de punition réelle, d'éviction. Nous avons entendu de nombreuses personnes, lu beaucoup de livres, notamment celui de Christine Pedotti, Qu'avez-vous fait de Jésus ?, qui décrit de façon saisissante la hiérarchie et la chape de plomb au sein de l'Église, cette famille particulière, dans laquelle intervient une dimension de spiritualité, mais aussi d'emprise, voire de dérive sectaire, sujet sur lequel le Sénat a beaucoup travaillé.

En va-t-il pareillement des autres religions ? Nous n'avons pas encore entendu leurs représentants. Ne doit-on pas s'interroger sur la sexualité peut-être immature (je ne parle pas du célibat) des prêtres ? N'y a-t-il pas lieu de préconiser une formation durant leur cheminement pour devenir prêtre ? Aucune religion n'est au-dessus des lois de la République, tout fidèle est d'abord un citoyen de la République française. Je n'ai pas assisté à l'audition de M. Jean-Marc Sauvé, mais durant celle de M. Christnacht, j'ai été frappée par un discours très policé, très prudent. Il y a des victimes. Pour moi, la mission d'information doit être ferme : n'hésitons pas à taper du poing sur la table !

Me Nadia Debbache. - Parmi les mesures concrètes que vous pourriez promouvoir, la première concerne le secret professionnel. Dans notre dossier, on nous a opposé le secret de la confession - mais aussi un secret professionnel qui incluait des confidences, des discussions entre victimes et responsables de l'Église. Il faut le dire sans ambiguïté : il n'y a pas d'option de conscience à appliquer dans ce type de situations. Lorsque l'on est informé de faits d'agression sur mineurs ou personnes vulnérables, il est obligatoire de les dénoncer à la justice. Dans trois procédures où des évêques ont été mis en cause, celles impliquant Mgr Pican et Mgr André Fort et notre affaire, les tribunaux ont dit en substance qu'il n'était pas possible d'opposer le secret professionnel. Il faut être parfaitement clair, afin qu'il n'y ait plus de discussion ni d'hésitation possibles.

Quant à la prévention, une formation des futurs prêtres sur la sexualité, la pédocriminalité, les mesures à prendre, les mises en garde, elle me paraît indispensable. Une information nette et précise doit également être prévue sur les obligations liées à la justice de la République, sur le rapport entre droit canon et respect de la justice républicaine.

Notre association a travaillé pour proposer des réformes, car il est très difficile pour l'Église de prendre elle-même des mesures qui soient réellement efficaces. Dans notre dossier, nous avons pu pointer les dysfonctionnements, or aujourd'hui, il n'y a toujours pas de discussions sur les mesures à prendre au-delà de l'indemnisation des victimes. Par exemple, il convient, dès la révélation d'une affaire, de dépayser celle-ci vers un tribunal compétent, spécialisé, et loin du diocèse. Enfin, la responsabilité morale des diocèses doit être reconnue, comme elle l'est dans d'autres pays, mais pas encore en France.

Alexandre Hezez. - Comment cela a-t-il pu se passer ? Le phénomène n'est pas spécifiquement français. Nous avons rencontré des associations représentant vingt nationalités différentes. On le constate : partout, c'est le même mécanisme d'omerta, de crainte, notamment la crainte d'être exclu de l'institution. Dans les petites villes, à la campagne, l'omerta est encore plus forte que dans les grandes villes. Les personnes ne peuvent pas parler, parce que la communauté, c'est leur vie : l'Église représente toute leur existence sociale.

Que faire ? Éduquer les enfants et les adolescents, car il y a un problème évident de connaissance et d'éducation. Les programmes scolaires devraient inclure le sujet, non comme une matière en soi, à part, anxiogène, mais au sein des divers enseignements. Liberté du consentement, en philosophie ; droit de cuissage dans l'ancien temps, violences sexuelles comme arme de guerre, en histoire ; statistiques, en géographie, etc. Cela favoriserait une prise de conscience qui n'existe pas encore aujourd'hui. En sciences de la vie et de la Terre (SVT), on pourrait aussi étudier les mécanismes de sidération. Nous n'avions pas conscience de tout cela. L'aspect éducatif est fondamental.

Debut de section - Permalien
François Devaux, président de l'association « La Parole libérée »

Pour aller plus loin, il existe un mécanisme culturel fort au sein de l'Église avec le voeu d'obéissance, la culture du silence, la confession. Vous nous demandiez ce que vous pouviez faire pour nous aider, mais c'est la société qu'il faut aider. La meilleure façon d'aider est de mieux savoir ce dont on parle. La première étape indispensable est donc statistique. Tant qu'on ne fera pas cet exercice statistique, on ne saura pas ce dont on parle.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je vous remercie pour votre témoignage très utile à nos travaux.

La réunion est close à 13 h 15.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.