Nous recevons cet après-midi le président et la directrice générale de l'Agence nationale de l'habitat (Anah).
Monsieur Repentin, vous présidez l'Anah depuis 2020. Vous êtes également maire de Chambéry depuis la même année. Par le passé, vous avez présidé le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique. Vous avez été ministre délégué à la formation professionnelle et à l'apprentissage, puis ministre aux affaires européennes, sous la présidence de François Hollande. Vous avez été sénateur entre 2004 et 2012, ainsi qu'en 2014.
Madame Mancret-Taylor, vous avez été nommée directrice générale de l'Anah en 2018. Vous travailliez auparavant au cabinet du ministre de la cohésion des territoires. Vous êtes architecte urbaniste en chef de l'État.
Votre présidence et votre direction ont été marquées par la mise en oeuvre, en 2020, de la transformation du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) en prime de transition énergétique, mieux connue sous le nom de MaPrimeRénov', dont la distribution est assurée par l'Anah.
Dans la continuité des programmes « Habiter mieux », MaPrimeRénov' subventionne des travaux de rénovation énergétique pour les ménages, avec une aide modulée selon les revenus. Outre le dispositif de base, il existe également MaPrimeRénov' Sérénité, qui finance des opérations de rénovation globale pour les ménages modestes, et MaPrimeRénov' Copropriétés, à destination des syndicats de copropriétaires.
Il est indéniable que MaPrimeRénov' connaît un succès populaire : 416 000 primes ont été attribuées sur la seule période de janvier à août 2022, et le nom de MaPrimeRénov' est désormais bien connu d'une grande partie de nos compatriotes. MaPrimeRénov' est rapidement devenue la politique phare de la rénovation énergétique des logements privés.
Cependant, la prime fait aussi l'objet de nombreuses critiques et interrogations, qui sont au coeur de notre commission d'enquête. S'il y a bien 700 000 rénovations grâce au dispositif, il ne s'agit pas de rénovations globales. C'est toute la différence et, sans être réductrice, l'objet de notre commission d'enquête. L'Anah indique que le nombre de rénovations globales financées était de 66 000 en 2022, en prenant en compte MaPrimeRénov' Sérénité, auquel il faut ajouter le petit nombre de celles effectuées par MaPrimeRénov' Copropriétés.
Les chiffres pour le dispositif de base, qui concentre la majorité des financements, sont encore plus faibles. Un indicateur de performance rattaché au plan de relance indique que seuls 2 200 logements sont sortis des classes F et G grâce à MaPrimeRénov' sur un objectif de 80 000. Certes, il ne s'agit que du nombre de ceux qui ont fait les démarches pour obtenir un bonus de subvention, mais la réalité est-elle significativement différente ?
De nombreuses personnes auditionnées dans le cadre de cette commission d'enquête ont ainsi accusé MaPrimeRénov' de trop favoriser la rénovation par geste au détriment des rénovations globales. À cet égard, on estime que 80 % des rénovations permises par la prime sont monogestes - essentiellement, des changements de chauffage. Faudrait-il conditionner progressivement l'octroi de la prime à la réalisation de travaux de rénovation globale ?
Les démarches requises pour bénéficier de MaPrimeRénov' ont également fait l'objet de critiques. En particulier, la Défenseure des droits a rendu en octobre 2022 une décision qui fait état de « dysfonctionnements aux conséquences lourdes pour les usagers ». Parmi les griefs qui ont été soulevés à l'encontre du dispositif, les dégrèvements d'impôts ne seraient pas pris en compte pour apprécier la situation fiscale des personnes, alors que la direction générale des finances publiques (DGFiP) aurait indiqué que c'est techniquement possible, et des usagers ne seraient pas parvenus à enregistrer leur demande avant le début de leurs travaux, bien qu'ils aient entamé leurs démarches des mois auparavant. Que répondez-vous aux critiques de la Défenseure des droits ? Où en êtes-vous du règlement des dossiers problématiques depuis votre audition devant la commission des affaires économiques du Sénat en décembre ?
Enfin, des controverses ont porté sur la fraude à la rénovation énergétique. Les arnaques étaient courantes lors de la mise en place du dispositif, si bien que le démarchage téléphonique pour la rénovation a été interdit par la loi du 24 juillet 2020. Pouvez-vous faire un état des lieux en la matière, et nous expliquer le rôle de l'Anah dans la lutte contre la fraude ?
Ces séries de difficultés montrent l'importance de l'accompagnement des ménages à la rénovation énergétique de leur logement. Depuis son lancement le 1er janvier 2022, l'Anah est ainsi chargée du pilotage de France Rénov', un service public de conseil et d'orientation sur les travaux de rénovation. Par ailleurs, un arrêté du 30 décembre 2022 définit les missions et les conditions d'agrément des « accompagnateurs Rénov' », qui ont vocation à devenir une pièce maîtresse de ce service public.
Toutefois, le Cler-Réseau pour la transition énergétique, que nous avons auditionné la semaine dernière, indique que ce service public manque encore de « visibilité et de pérennité ». Son financement ne serait pas garanti au-delà du 31 décembre 2023. Pensez-vous que le service public de rénovation de l'habitat est à la hauteur des enjeux ? Quelles seraient les pistes d'amélioration ?
Cette audition est diffusée sur le site internet du Sénat et un compte rendu sera publié. Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Thierry Repentin et Mme Valérie Mancret-Taylor prêtent serment.
L'Anah s'engage depuis 50 ans aux côtés des ménages modestes et des collectivités territoriales pour améliorer l'habitat.
Plus que jamais, la transition énergétique des logements passe par la rénovation du parc existant. En effet, 80 % des logements de 2050 existent déjà. La rénovation énergétique est au coeur de l'actualité, et l'Anah au coeur de ces enjeux, avec le succès de MaPrimeRénov'. L'État fournit des moyens inédits : 4,2 milliards d'euros, dont 1,5 milliard d'euros d'aides à la pierre auprès des collectivités territoriales.
MaPrimeRénov' est une première étape. Quelque 82 % des ménages qui ont sollicité cette aide en sont satisfaits et 53 % disent qu'ils n'auraient pas lancé de travaux sans elle. Cette prime a engendré une dynamique de massification des travaux de rénovation énergétique. Depuis 2020, plus de 1,5 million de ménages en ont bénéficié, dont 68 % appartiennent aux quatre premiers déciles, c'est-à-dire les plus modestes. La cible sociale est donc atteinte.
Cette prime a permis à ses bénéficiaires de s'inscrire dans une dynamique vertueuse, avec la réalisation d'un premier geste. La moyenne d'économies finales par logement et par an est passée de 3,9 mégawattheures (MWh) avec le CITE à 5,6 MWh avec MaPrimeRénov', soit un gain de 44 %. L'ensemble des rénovations énergétiques soutenues par l'agence depuis 2020 ont permis une économie de 12,2 térawattheures (TWh), soit la consommation annuelle des habitants de Paris et Lyon cumulés.
Pour autant, pour certains usagers, le parcours peut être compliqué. La Défenseure des droits a fait part de dysfonctionnements dans près de 500 dossiers. Nous en sommes conscients, et avons mis en place une équipe pluridisciplinaire spécifique pour accompagner les personnes affectées.
Le sujet de la performance est souvent revenu dans les travaux de votre commission. La rénovation globale est la rénovation idéale -personne ne peut le contester. Néanmoins, il n'y a pas de recette miracle pour les ménages, qui doivent faire un choix technique et financier majeur. Il est dangereux d'opposer rénovation globale et rénovation par geste, car il faut offrir des choix sur mesure. Chaque cas est particulier. MaPrimeRénov' répond à chaque situation. Le traitement des ménages en forte précarité énergétique peut engendrer des coûts majeurs, en moyenne de plus de 60 000 euros par logement. L'Anah apporte également des solutions de financement via la lutte contre l'habitat indigne, notamment la résorption de l'habitat insalubre (RHI).
Depuis 2011, l'Anah a accompagné 600 000 propriétaires modestes vers des rénovations globales, dont 176 000 ces trois dernières années. MaPrimeRénov' Copropriétés progresse, malgré la crise sanitaire, passant de 7 000 logements en 2020 à 12 000 en 2021 et 25 000 en 2022.
Face à des enjeux énergétiques et climatiques sans précédent, la réussite ne peut être que collective. L'État a fait de la rénovation énergétique des bâtiments un axe prioritaire de France relance, avec 6,2 milliards d'euros. Nous devons pouvoir compter sur les collectivités territoriales, qui jouent un rôle moteur dans le déploiement de France Rénov'. Ensemble, nous devons accompagner toujours plus de Français. Grâce aux accompagnateurs de France Rénov', ils bénéficient désormais de conseils gratuits, fiables, indépendants, au plus près de leur domicile.
Toute la filière de la rénovation énergétique doit être mobilisée. Il faut l'aider à recruter, à former, et à mieux se structurer. Les banques ont aussi un rôle essentiel dans le financement des restes à charge, afin qu'ils ne constituent pas un obstacle.
Une dynamique sans précédent est lancée, même s'il y a certainement des améliorations ou des adaptations à apporter.
L'Anah intervient dans le cadre de l'habitat privé uniquement. La politique de rénovation énergétique connaît de profondes évolutions depuis une dizaine d'années. Grâce au programme « Habiter mieux », plus de 600 000 rénovations globales ont pu être financées, dont 176 000 ces trois dernières années sous une nouvelle appellation, MaPrimeRénov' Sérénité.
MaPrimeRénov' a marqué un basculement, en transformant un crédit d'impôt en aide directe. En 2020, elle était essentiellement centrée sur les ménages modestes et très modestes. Depuis début 2021, elle est ouverte à tous les propriétaires occupants et copropriétaires quelles que soient leurs ressources et, depuis l'été 2021, à tous les propriétaires bailleurs.
En trois ans, l'Anah comptabilise plus de 1,5 million de ménages accompagnés, soit plus de 7 milliards d'euros d'aides versées et 21 milliards d'euros de travaux générés grâce à ces aides publiques. Ces résultats montrent le chemin parcouru, mais il est encore en construction. Cette politique publique est jeune et connaît des évolutions. Ainsi, par exemple, l'inflation est désormais prise en compte.
La prise de conscience des citoyens est réelle : ils sollicitent très fortement nos aides. Soulignons aussi l'action des territoires. Les élus locaux s'engagent de plus en plus dans des politiques locales en faveur de l'habitat privé notamment.
Cette politique publique s'inscrit dans un temps long.
Le dispositif « Mon Accompagnateur Rénov' » est entré en vigueur le 1er janvier de cette année. Des équipes de suivi et d'animation sont désignées par les collectivités territoriales, ou se trouvent dans les espaces de conseil France Rénov'. D'ici quelques semaines, nous ouvrirons l'agrément, de façon à démultiplier le nombre d'accompagnateurs sur le territoire. L'objectif est que les ménages aient confiance, afin de s'engager dans des travaux.
La politique de rénovation énergétique concerne 20 millions de ménages, de toutes catégories socioprofessionnelles. Ils se posent de multiples questions. C'est pourquoi il est très important de les faire bénéficier d'un diagnostic solide et de les mettre en contact avec des entreprises de qualité.
Un travail important a été mis en place depuis plusieurs années pour faire converger l'ensemble des aides existantes, c'est-à-dire aligner leurs critères d'attribution, sur la base d'un même objectif, pour un reste à charge le plus faible possible.
Vous m'avez interrogée sur la fraude et l'escroquerie. Il est nécessaire de distinguer les deux. La fraude est très organisée : elle désigne l'usurpation d'identité d'usagers et d'entreprises, entrée dans les systèmes d'information et les plateformes de demandes d'aides publiques. L'escroquerie en revanche concerne des entreprises conduisant des ménages à demander des subventions plus élevées que ce qui correspond aux travaux effectués dans le logement.
L'Anah versant des subventions extrêmement importantes, elle lutte contre la fraude via un plan de contrôle et de maîtrise des risques. Nous effectuons un contrôle sur pièces systématique de l'ensemble des dossiers et sur place de 10 % des dossiers, avant le versement de la subvention. Nous sommes amenés dans certains cas à augmenter nos contrôles, lorsque nous observons des dérives.
Nous participons au groupe de travail de la mission de coordination interministérielle du plan de rénovation énergétique des bâtiments, dont M. Simon Huffeteau a dû vous parler.
Nous sensibilisons aussi les ménages, par des campagnes de communication. Nous rappelons que l'Anah ne fait jamais de démarchage, et qu'il n'est jamais nécessaire de se précipiter pour signer un devis. Il faut au contraire prendre le temps de réfléchir avant de s'engager dans des travaux sur son patrimoine.
Nous avons renforcé nos contrôles depuis l'été 2022, après avoir relevé des fraudes et escroqueries sur certains équipements. Cela a allongé des délais de paiement, sur lesquels nous avons communiqué à l'automne dernier, en fin d'année, et plus récemment.
Vous m'avez interrogée sur les propos d'Emmanuelle Wargon, selon laquelle le nombre d'artisans qualifiés stagne à plus ou moins 10 % ou 15 % de son niveau potentiel. Il est difficile de partager cette analyse. Nous sommes convaincus que la rénovation énergétique est l'affaire de tous. Il faut une aide de l'État de qualité, d'autres aides, mais aussi un réseau bancaire capable de permettre à tous les ménages d'accéder à des prêts, et des entreprises de qualité. La Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et la Fédération française du bâtiment (FFB) sont plutôt confiantes. Le nombre de dossiers déposés à ce jour suit les tendances des deux années précédentes et les entreprises ont la capacité d'y répondre. En revanche, l'appareil économique mériterait un examen approfondi -la Capeb et la FFB seront plus à même de vous répondre.
L'Anah est financée annuellement par le budget de l'État. Le budget de l'Anah a été multiplié par plus de cinq, pour répondre à la mise en place des politiques locales de l'habitat, et à la demande de subventions pour rénover les logements. Ce budget est de 4 milliards d'euros par an, dont 2,5 milliards d'euros pour MaPrimeRénov' par geste, et 1,5 milliard d'euros dédiés aux aides à la pierre. Le nombre d'opérations programmées, contractualisées entre l'Anah et les collectivités territoriales, ne fait qu'augmenter. L'Anah et l'État prennent, avec les collectivités territoriales, des engagements pluriannuels, sur de l'aide aux travaux et de l'ingénierie.
Depuis 2019, l'État renouvelle sa confiance à l'Anah en augmentant son budget. Il nous donne des moyens de fonctionnement et d'investissement. Nous augmentons nos effectifs de plus de 30 équivalents temps plein (ETP) chaque année. D'une centaine de collaborateurs en 2018, nous passerons à 250 fin 2023.
Mais on ne peut pas se limiter aux moyens de l'agence. Il faut aussi regarder les moyens des collectivités territoriales et des services déconcentrés de l'État.
Les prestations de conseil réalisées par des cabinets auprès de l'Anah sont de natures différentes. Nous avons sollicité Capgemini pour nous accompagner dans la mise en place d'un nouveau système d'information et d'un nouveau système d'instruction. En effet, 25 000 décisions sont prises chaque semaine sur MaPrimeRénov' dont la moitié relève d'engagements, c'est-à-dire des subventions, et l'autre moitié de paiements, après réalisation de travaux. Nous avons fait appel à Capgemini pour nous aider à élaborer une feuille de route sur le développement de notre système d'information, la construction de notre plateforme et l'ensemble des process. Capgemini est intervenu dans le cadre des marchés publics de l'État.
Nous avons aussi mis en place une relation usagers. Nous recevons 8 000 appels par jour, dont le taux de décroché oscille entre 85 % et 90 % depuis deux ans. Nous sommes « APIsés », c'est-à-dire que notre plateforme a des liens avec d'autres plateformes telles que celles de l'Ademe (Agence de la transition écologique) ou de la DGFiP, ce qui peut engendrer des problèmes lors de mises à niveau.
Les cabinets de conseil nous apportent une expertise sur des domaines très spécifiques, dans un contexte d'objectifs de résultats. Je veux rappeler qu'il n'y a jamais eu d'interruption de service de MaPrimeRénov', qui fonctionne 365 jours par an.
Nous avons transmis l'ensemble de nos données à la commission d'enquête sénatoriale sur le rôle des cabinets de conseil, il y a un an, mais nous restons à votre disposition.
Enfin, les missions que nous confions à Capgemini sont extrêmement techniques, dans un contexte de très forte tension du marché des compétences en informatique. L'apport de ce prestataire est tout à fait précieux.
Quel type de contrôles effectuez-vous ? Que vérifiez-vous exactement ?
Si l'on peut se satisfaire du nombre de bénéficiaires de MaPrimeRénov', on peut aussi s'interroger sur le faible taux de rénovations globales. Le remplacement de chaudières par de l'électrique non carboné pose des problèmes, surtout dans un bâtiment non isolé. Ne commence-t-on pas par ce par quoi on devrait conclure ?
La Défenseure des droits a révélé des difficultés. Certaines personnes de bonne foi qui se sont trompées dans leur dossier peuvent se retrouver dépassées, sans pouvoir revenir en arrière. Des questions de lisibilité et de droit à l'erreur se posent.
Quid de l'articulation avec les collectivités territoriales ? Des intercommunalités qui avaient mis en place des plateformes plutôt simples, qui fonctionnaient bien, disent ne plus rien comprendre et se plaignent de devoir tout remettre en place. Des taux de rénovation se sont totalement effondrés, par perte de lisibilité.
Nous contrôlons 100 % des dossiers sur pièces, et 10 % sur place, au moment de la demande de paiement, tant pour les aides à la pierre que pour MaPrimeRénov'. Certains contrôles sont aléatoires et d'autres sont réalisés au regard du contrôle sur pièces. Quelque 90 % des contrôles sur place révèlent que le paiement peut être effectué, tandis que 10 % montrent au contraire des travaux non réalisés ou moindres par rapport à ce que le devis et la facture prévoient. Dans ce cas, nous bloquons le paiement, mais nous faisons en sorte que le ménage concerné retrouve un parcours de travaux, pour pouvoir bénéficier pleinement de la subvention.
Pour ce qui est des aides à la pierre, les contrôles sont effectués sur place par les agents des services déconcentrés ou des collectivités territoriales ; pour MaPrimeRénov', ils sont réalisés par le bureau de contrôle Veritas, avec lequel nous avons passé un marché, qui s'assure que l'équipement signalé est le bon.
Ces contrôles constituent aussi pour les bénéficiaires l'assurance que les travaux ont été réalisés dans les règles de l'art.
La difficulté à les mener tient, parfois, au refus des ménages d'ouvrir leur porte au cabinet mandaté par l'Anah, qu'ils ne connaissent pas. Or, tant que les vérifications n'ont pas été faites, il y a suspicion de travaux non faits ou mal faits. Quand personne ne répond, le retard peut atteindre plusieurs jours, voire davantage. Nous sensibilisons donc les entreprises à la nécessité d'expliquer aux ménages que des contrôles pourront être menés au nom de l'Anah.
Le système actuel est fondé sur la labellisation d'entreprises, sans contrôle systématique en fin de chantier - vous avez parlé de 10 % de travaux contrôlés. Que pensez-vous de la logique inverse, consistant à privilégier le contrôle du résultat, comme en matière d'assainissement ?
Vous mettez le doigt sur l'enjeu de la confiance des ménages dans les travaux exécutés. Une des réponses, c'est Mon accompagnateur Rénov'.
En matière d'aides à la pierre, l'accompagnement est obligatoire depuis l'origine. Pour MaPrimeRénov', il est optionnel - et peu utilisé. En application de la loi « Climat et résilience » et du décret paru en fin d'année dernière, l'obligation d'accompagnement va s'étendre à toutes les opérations un peu ambitieuses.
De fait, le tiers de confiance est indispensable pour garantir un travail conforme à la prescription initiale et au devis.
Vous m'avez interrogée sur la rénovation globale. En la matière, la Cour des comptes fait état de 2 200 dossiers par an : ce chiffre ne porte que sur l'aide versée au niveau national, donc les forfaits sollicités par les ménages de catégories intermédiaire et supérieure ; il n'inclut ni MaPrimeRénov' Sérénité ni MaPrimeRénov' Copropriétés. En réalité, depuis trois ans, 176 000 dossiers ont été traités - et depuis 2011, plus de 600 000.
Pour bénéficier de ces subventions, les ménages doivent réaliser un gain énergétique d'au moins 35 % ; en moyenne, le saut constaté est de 50 %.
Le président de l'Anah a parlé de cette rénovation globale, « une fois une seule », comme du parcours idéal. C'est en effet la démarche que l'on peut souhaiter pour l'ensemble des ménages du parc privé. Néanmoins, elle n'est pas toujours possible, notamment du fait d'un reste à charge substantiel - même compte tenu d'éventuels certificats d'économies d'énergie (CEE). De ce point de vue, la complémentarité entre l'aide de l'État et les aides des collectivités territoriales fait la différence. Par ailleurs, certains ménages ne souhaitent pas s'engager dans une rénovation globale, qui représente parfois plusieurs mois de travaux : ils préfèrent une démarche par étapes. Il est important que les deux parcours soient proposés.
La décision d'entreprendre une rénovation globale dépend donc des aides financières - nationales, locales et liées aux CEE -, de l'appétence du ménage, de l'accompagnement qui lui est proposé et de l'existence d'un réseau d'entreprises de qualité et de confiance. Or l'artisanat dans le secteur du bâtiment est éparpillé et compte très peu d'entreprises générales accessibles aux petits particuliers. L'accompagnement permet une coordination des différents corps d'état, mais la coordination doit aussi s'organiser en leur sein, au niveau des entreprises, pour que l'offre de rénovation globale soit démultipliée et efficace en temps - rappelons que le logement est occupé le temps des travaux.
Le premier objectif de cette politique publique est la décarbonation. L'année dernière, 60 % des aides de MaPrimeRénov' ont concerné un changement de chauffage et 20 % des travaux d'isolation ; cette dernière proportion progresse, mais reste insuffisante. Idéalement, il faudrait des réseaux organisés au niveau territorial qui se renvoient les ménages pour bien les conseiller. Ainsi, constatant qu'une demande risque de ne pas être performante pour le logement considéré, un artisan devrait pouvoir renvoyer le ménage vers un espace conseil France Rénov'. Créer des liens entre les acteurs : tel est l'objectif que nous visons à travers le réseau France Rénov'. Il s'agit de s'assurer que les professionnels correspondent entre eux et convergent pour offrir au ménage le meilleur parcours possible.
La Défenseure des droits a signalé un certain nombre de situations difficiles : 500 dossiers sur 25 000 décisions hebdomadaires, dont la moitié étaient déjà résolus au moment de l'annonce publique de la Défenseure des droits. Nous sommes en contact avec ses délégués territoriaux et résolvons les dossiers au fur et à mesure.
Pour autant, ces 500 dossiers en difficulté sont 500 dossiers de trop. Nous avons donc mis en place une équipe dédiée, qui, dès qu'il y a signalement, prend en charge le ménage et le replace dans un parcours normalisé, ce qui peut être compliqué - blocage informatique ou incompréhension sur la pièce que nous attendons dans le cadre d'un contrôle renforcé.
Nous avons mis en place plusieurs outils demandés par la Défenseure des droits - qui étaient déjà en cours de réalisation : dossier de régularisation, accès au compte sécurisé par FranceConnect, fonctionnalités pour annuler une demande et demander une prorogation de dossier.
L'ensemble des observations de la Défenseure des droits ont été prises en compte.
S'agissant des avis de dégrèvement, ils n'étaient pas pris en compte dans les fonctionnalités mises à notre disposition par la DGFiP pour vérifier l'identité fiscale du demandeur. Depuis le 1er janvier dernier, grâce à une nouvelle interface de programmation d'application, ces avis sont automatiquement pris en compte, ce qui nous simplifie fortement la tâche. Les avis qui étaient en attente sont régularisés ou en voie de l'être.
Le service public France Rénov', en place depuis le 1er janvier 2022, regroupe les espaces conseil France Rénov' et les équipes de suivi-animation des opérations programmées d'amélioration de l'habitat et des programmes d'intérêt général ; il couvre aujourd'hui 98 % du territoire, au moyen d'espaces fixes ou, dans les secteurs ruraux, déambulants - souvent selon les jours de marché. L'Anah anime ce service public avec le souci de rapprocher deux cultures qui étaient très différentes : rénovation énergétique d'un côté, amélioration de l'habitat de l'autre. Nous voulons que tous les accompagnateurs de terrain travaillent dans cette double logique : la décarbonation comme premier geste, l'amélioration de l'habitat comme objectif principal à terme.
Le nombre de conseillers France Rénov' est passé d'un peu moins de 1 000 en 2019 à plus de 2 200 aujourd'hui ; le nombre d'Opah et de PIG de 700 à 950. L'engagement des collectivités territoriales en faveur des politiques de l'habitat privé a fortement augmenté au cours des trois dernières années.
Je ne pense pas que la complexification vienne de la plateforme France Rénov', qui regroupe les services existants. En revanche, il y a une évolution régulière des aides, pour correspondre de plus en plus aux attentes des ménages. La complexification vient plutôt de là.
Dans les chiffres nationaux, on ne voit qu'une progression des demandes d'aides. Pas d'effondrement, donc, ni sur MaPrimeRénov', ni sur MaPrimeRénov' Sérénité, ni sur MaPrimeRénov' Copropriétés. En revanche, nous sommes très attentifs aux effets de l'inflation, qui renchérit les travaux et pourrait entraîner des questionnements plus profonds chez les ménages avant de s'engager dans une démarche de travaux.
La constitution du réseau France Rénov', entité unique présente sur 98 % du territoire, a fait comprendre à nos concitoyens qu'un service public se mettait en place, d'autant qu'elle s'est accompagnée d'un plan de communication substantiel.
C'est sans doute ce qui explique le succès de notoriété que nous constatons : après un an, 64 % des Français identifient France Rénov', qu'ils associent au produit MaPrimeRénov'. Il est assez remarquable que, en une année, 6,8 millions de nos compatriotes se soient connectés sur la plateforme et que, chaque semaine, 35 000 appels téléphoniques soient reçus.
Il manquait une telle entité spontanément identifiable. Nous engageons une nouvelle campagne de communication pour conforter ce progrès.
Autre chiffre éloquent : plus de 50 % des personnes qui poussent la porte de France Rénov' avec un projet en ressortent avec un projet différent. L'accompagnement permet ainsi d'amener les ménages à s'interroger sur ce qui est réellement pertinent.
En 2020, 7 000 logements ont bénéficié de MaPrimeRénov' Copropriétés ; ils étaient 12 000 en 2021 et 25 000 en 2022. Il y a donc eu doublement chaque année.
Au début, les demandes émanaient surtout de copropriétés dites fragiles. Depuis 2022, la moitié des demandes proviennent de copropriétés saines.
L'aide a fortement évolué au 1er janvier dernier : le plafond de travaux a été rehaussé de 15 000 à 25 000 euros et les primes aux ménages modestes et très modestes ont été doublées, de 750 à 1 500 euros et de 1 500 à 3 000 euros. Les quatre premiers déciles de la population bénéficient ainsi d'un soutien supplémentaire, dans le cadre d'un dispositif qui, je le rappelle, concerne tous les copropriétaires.
Au cours du premier trimestre, nous avons constaté un quasi-doublement du nombre de comptes créés par rapport à la même période l'année dernière - mais il ne s'agit pas, à ce stade, de demandes de subventions, celles-ci se produisant en général au début de l'été et surtout à l'automne, après les assemblées générales.
Même si notre règlementation évolue, la subvention notifiée au conseil syndical reste inchangée - elle ne peut varier que si le programme de travaux évolue. C'est un facteur de sécurisation des collectifs de copropriétaires et un grand changement par rapport au crédit d'impôt, qui pouvait évoluer et dépendait de la situation de chaque ménage.
Enfin, seules des rénovations globales sont soutenues dans ce cadre : elles incluent des travaux dans les parties communes, une amélioration de l'isolation, une transformation du système de chauffage collectif et, souvent, une ventilation. Lorsque le chauffage est individuel, MaPrimeRénov' Copropriétés est combinée avec des aides par ménage.
Avez-vous des données géographiques permettant de voir si certains territoires sont plus allants que d'autres ? Si oui, pour quelles raisons, d'après vous, certains sont-ils plus engagés ?
Nous disposons de données géographiques, mais je ne suis pas sûre qu'elles soient très parlantes. En revanche, il apparaît que, dans les zones urbaines où les collectivités territoriales se sont engagées dans des opérations programmées d'amélioration de l'habitat tournées vers les copropriétés, l'effet de levier associé est important. Ces territoires assurent la plus grande partie de la dynamique observée.
J'insiste : il s'agit de rénovations globales - avec, donc, un gain énergétique d'au moins 35 % à la clé.
Lorsque la collectivité territoriale participe, l'effet est réel, d'autant que, dans ce cas, l'Anah majore ses propres subventions. C'est parfois ce qui provoque le déclic dans les assemblées générales de copropriétaires.
Pour 2023, nous avons anticipé plus de 40 000 logements ; cet objectif sera probablement dépassé, compte tenu de la prise de conscience environnementale, de la hausse des prix de l'énergie, qui contribue aux prises de décision, des mesures votées par le Parlement pour interdire la location puis la vente de logements ne remplissant plus des critères énergétiques et de la sortie de la période Covid, préjudiciable aux prises de décision dans les copropriétés.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous poursuivons nos travaux par l'audition de M. Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), accompagné de M. Pierre Laurent, responsable du département développement à la direction des prêts de la Banque des territoires.
Monsieur Sichel, vous êtes depuis 2020 directeur général délégué de la CDC. Vous êtes également directeur de la Banque des territoires, qui regroupe les offres de la CDC et de ses filiales au service des territoires.
En décembre 2020, le ministre de l'économie et des finances Bruno Le Maire et la ministre du logement Emmanuelle Wargon - que nous avons auditionnée - vous ont confié une mission visant à proposer des solutions concrètes permettant l'émergence d'offres adaptées à la massification de la rénovation ambitieuse des passoires énergétiques, en particulier celles qui sont occupées par des propriétaires modestes, que ce soit en maison individuelle ou en copropriété.
Cette mission a débouché sur la publication en mars 2021 d'un rapport, dont certaines préconisations ont été intégrées à la loi de 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Votre audition doit nous permettre de mieux comprendre les conclusions de votre rapport ainsi que les conditions de leur mise en oeuvre.
La recommandation phare de votre mission est la création de Mon Accompagnateur Rénov', effective au 1er janvier 2023. Vous avez proposé d'ouvrir l'agrément d'accompagnateur à des acteurs privés à but lucratif. Cette proposition, reprise par le Gouvernement, a pu faire débat, notamment au sein du secteur privé à but non lucratif, en raison de craintes pour l'indépendance et la neutralité du conseil en rénovation énergétique et, pour tout dire, de l'écodélinquance dont souffre le secteur de manière récurrente. Pourquoi avoir fait ce choix ? Quelles sont les solutions pour ramener la confiance ? Par ailleurs, comment jugez-vous le déploiement de ce dispositif ?
Votre rapport proposait également, comme solution de financement, non pas le développement du tiers financement, que vous jugiez trop complexe si mon souvenir de votre audition de l'époque est juste, mais la création d'un prêt hypothécaire, qui a été introduit dans la loi. Où en sommes-nous de la distribution de ce prêt ? Quelles sont les banques impliquées ? Quels sont les ménages bénéficiaires ? Combien sont-ils ? Pour quels types de travaux ?
Je voudrais aussi vous entendre sur les actions de financement, par la CDC, de la rénovation énergétique, plus particulièrement du logement social. Quels sont selon vous les enjeux dans ce secteur au regard de la santé financière des opérateurs ? Quelle est votre approche sur la proposition de seconde vie des bâtiments par l'Union sociale pour l'habitat ?
Enfin, la rénovation est aussi une question de politique industrielle et de construction d'une filière économique. Quelle est la vision de la CDC en la matière ? Comment s'engage-t-elle pour relever ce défi ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions par un propos introductif d'une vingtaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu en sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Olivier Sichel et Pierre Laurent prêtent serment.
Je suis heureux de m'exprimer aujourd'hui devant votre commission. Vous vous en souvenez peut-être, nous avons déjà eu l'occasion d'échanger lors de débats législatifs antérieurs. Il est très gratifiant de pouvoir donner suite à mon rapport, dont les préconisations ont été mises en oeuvre assez rapidement, et de manière efficace.
Que font la CDC et la Banque des territoires pour la rénovation thermique ? Même si la mission portait sur les logements privés, ce secteur ne fait pas partie des mandats confiés à la CDC - comme vous le savez du reste, puisque deux sénateurs siègent à la commission de surveillance. Pour autant, la CDC a depuis des années en charge la rénovation, notamment thermique, du logement social. Notre activité en la matière est un succès, à en juger par l'état du parc du logement social par rapport à celui du parc privé : le premier est très en avance. Il est vrai que les bailleurs sociaux sont des professionnels de l'immobilier : leurs équipes savent prendre en charge un parc immobilier, un patrimoine, et l'entretenir.
Depuis 2009, la CDC a réalisé 500 000 réhabilitations de logements sociaux en mobilisant 20 milliards d'euros, essentiellement par le fonds d'épargne, c'est-à-dire le livret A. Je parle ici des opérations qui ont réalisé un gain énergétique d'au moins 40 %, ou permis d'obtenir au moins un classement en étiquette D.
La CDC, qui s'est engagée très résolument vers la transition écologique depuis le nouveau mandat du directeur général Éric Lombard, agit pour la rénovation thermique des logements sociaux, mais aussi des bâtiments publics que sont les écoles, les bâtiments communaux, les collèges et les lycées. En cinq ans, nous avons rénové un million de mètres carrés de bâtiments publics.
Pour atteindre ces objectifs, nous essayons d'être aussi innovants que possible. Ayant auparavant travaillé dans le secteur du digital, j'avais plaidé pour la mise en place d'une plateforme. Nous nous efforçons de mobiliser l'innovation numérique pour favoriser la rénovation thermique. Par exemple, nous avons mis gratuitement Prioréno à la disposition des collectivités locales. Cet outil collecte en temps réel toutes les consommations d'électricité et de gaz, chez Enedis et GRDF, pour aider les élus à prioriser les rénovations. Il a remporté un grand succès, puisque plus d'un millier de collectivités locales l'utilisent.
Comme vous l'avez rappelé, madame la présidente, la première des recommandations du rapport était de mettre en place un accompagnement des ménages. Nous avions constaté combien ceux-ci étaient démunis, en effet, ce qui est la porte ouverte à tous les abus et à l'écodélinquance. J'ai considéré que, pour des politiques de rénovation relativement coûteuses - 3 milliards d'euros environ -, l'accompagnement financier devait être pris en charge par la puissance publique, à hauteur de 10 %. Comme il doit respecter un standard national, quel que soit le point du territoire - outre-mer, en milieu rural, métropolitain, en quartier ou en milieu montagnard -, cet accompagnement doit être pris en charge par l'État.
Sur le fond de l'aide, c'est-à-dire la rénovation elle-même, les collectivités territoriales pouvaient avoir toute liberté. Très légitimement en effet, selon leur mandat, leur politique et leur programme, les élus ont des objectifs différents. Je me souviens d'une discussion avec Pia Imbs, présidente de l'Eurométropole de Strasbourg, qui souhaitait favoriser les matériaux biosourcés, par exemple, ou d'un échange avec Patrick Vergriete, maire de Dunkerque, qui souhaitait faire surtout des rénovations de quartier. Chacun avait son programme. Si l'État prenait en charge 10 % du financement, je pensais que les 90 % restants devraient être laissés à la libre disposition de chaque collectivité locale pour orienter les politiques, non pas sur le conseil, mais sur le fond de la rénovation et l'essentiel de l'aide.
Mon rapport évaluait ce marché à 300 millions d'euros environ. J'ai pensé qu'il fallait l'ouvrir autant que possible à des prestataires, mais agréés et contrôlés par l'État. J'ai donc été étonné de voir émerger la problématique du conflit d'intérêts : il est assez facile de faire contrôler les prestations a posteriori par les services de l'État, qui donnent leur agrément et, de plus, rémunèrent. On a dit que, si EDF entrait sur ce marché, seule l'électricité serait priorisée - ou seul le gaz si c'était Engie. Il me semble pourtant que ce serait assez facile à contrôler : si 99 % des rénovations étaient faites en utilisant du gaz, il serait facile de le détecter et de corriger le problème. Plutôt que de faire un procès d'intention, donc, il m'a semblé plus intéressant d'ouvrir le plus largement possible le métier d'accompagnateur de rénovation, car les besoins sont considérables.
Ma première proposition était donc de généraliser Mon Accompagnateur Rénov' et de le rendre obligatoire, ce qui a été fait depuis le 1er janvier.
Cette mesure a pour but d'accompagner les ménages dans trois domaines critiques.
La phase du diagnostic, d'abord, pour comprendre ce qu'il faut faire pour rénover et trancher entre les avis divergents. Les ménages sont souvent perdus, en effet : par exemple, faut-il changer le système de chauffage, comme proposé par un chauffagiste, ou refaire d'abord l'isolation ? Ils ont besoin de pouvoir s'appuyer sur un conseiller fiable et indépendant.
Le plan de financement, ensuite. Beaucoup d'aides existent. Nous aurions pu préconiser de simplifier tout le dispositif de financement. Mais chacun veut aider, et l'existence d'une multitude d'aides est une bonne chose. Il faut simplement que cette complexité soit prise en charge par une instance capable de faire un plan de financement après recensement des aides.
Les modèles de tiers financement, recommandés notamment par France Stratégie, reposaient sur l'idée qu'il existerait une espèce de martingale : que les économies d'énergie obtenues financent les travaux. Nous n'avons pas trouvé cette martingale. Certes, les rénovations permettent de faire baisser la facture en diminuant la consommation. Mais la crise actuelle a bien montré que le prix du kilowattheure n'est pas fixe. Vous pouvez réaliser 20 % d'économies, si le prix de l'énergie augmente de 20 %, cela ne suffira pas à compenser le coût des travaux. De plus, les comportements changent : il suffit de s'équiper d'une voiture électrique, ce qui n'a rien à voir avec la rénovation thermique, pour que la facture d'électricité augmente. Ces modèles de tiers financement ne m'ont donc pas convaincu. Ils sont adaptés à certains cas, comme des copropriétés, ou à des systèmes où les performances peuvent être encadrées par des contrats de performance énergétique, mais ils ne peuvent pas répondre à la problématique majoritaire, qui est la rénovation de la maison individuelle.
Troisième mission : accompagner durant la phase des travaux, souvent angoissante. Où en est le prêt avance rénovation ? Seuls la Banque postale et le Crédit Mutuel le distribuent. Et seuls quelques dizaines de prêts ont été signés. J'ai interrogé les réseaux bancaires, qui m'ont signalé un blocage que je n'avais pas vu : il est conçu pour des ménages âgés, qui n'ont plus accès au crédit, mais pour une rénovation globale, qui implique de déménager pendant la période de travaux. Or, même si la solution de financement existe, il peut être angoissant de déménager pendant les travaux. Bien souvent, les ménages, passé un certain âge, se résignent à ne pas faire la rénovation. Nous devrions donc prévoir aussi un accompagnement à l'hébergement temporaire durant la durée des travaux.
Il faut envisager deux éléments de structuration de la filière. D'abord, la formation à Mon Accompagnateur Rénov' et à ces métiers. La Banque des territoires y participe et finance quelques écoles de rénovation, notamment l'École de la rénovation énergétique à Bordeaux, initiée par Thomas Cazenave, dont on connaît l'engagement sur ces sujets. Je pense que c'est extrêmement important, car ce sont des métiers techniques, dans lesquels il y aura beaucoup de besoins. Puis, le développement de la filière industrielle. Paradoxalement, nous avons de grands acteurs dans les matériaux de rénovation, comme Saint-Gobain, mais pas dans les métiers en proximité de l'usager, où nous sommes plutôt dans le monde de l'artisanat.
Enfin, je termine par votre question sur la seconde vie. Nous soutenons cette initiative et le Gouvernement a autorisé une expérimentation sur 900 logements, en donnant une aide de 16 000 euros par logement, qui transitera par le Fonds national des aides à la pierre (Fnap). Notre pays connaît actuellement une vraie carence dans la construction de logements. Tous les indicateurs sont au rouge. Donner une seconde vie au bâtiment permet de construire des logements sans artificialiser. C'est une idée très prometteuse.
Monsieur le directeur général délégué, je vous remercie pour vos explications et le balayage du sujet. En matière d'accompagnement à la rénovation, les collectivités locales ne sont-elles pas incitées à se désengager ? Les dispositifs existants peuvent être très différents selon les territoires, mais ils avaient le mérite d'exister. Avec Mon Accompagnateur Rénov', l'intervention de l'État peut conduire à un désengagement des collectivités. Vous aviez parlé d'un guichet unique. Pourquoi cette proposition n'a-t-elle pas été retenue ? Julien Denormandie y était opposé, considérant que cela n'empêcherait pas l'existence de dispositifs différents mis en place par les collectivités territoriales.
Vous évoquez dans votre rapport le risque de zones blanches, où l'on ne trouverait pas d'accompagnateur. Est-ce un problème aujourd'hui, ou bien le déploiement de ce dispositif se fait-il de manière égale sur l'ensemble du territoire ?
La neutralité et l'indépendance des conseillers soulèvent aussi des questions dans ce dispositif. Une confiance totale est indispensable. Constate-t-on qu'elle s'établit sur le terrain ?
Vous parlez des collectivités locales. À la page 17 du rapport, je propose que, « sur la base du cahier des charges d'agrément, il soit procédé à une consultation nationale et locale ». Mon idée était que l'accompagnateur étant agréé par l'État, il devait passer une convention avec la collectivité locale où il opère.
Concrètement, un architecte, un bureau d'études, une filiale d'Engie, s'il répond au cahier des charges de l'État, peut devenir Accompagnateur Rénov'. Il devrait alors se présenter à la collectivité locale et passer avec celle-ci une convention afin que son action s'articule bien avec les dispositifs existants. L'accompagnement est pris en charge par l'État de manière uniforme dans toutes les collectivités locales mais, pour les travaux, il faut avoir cette discussion avec la maison de l'Habitat. À Amiens, par exemple, nous venons de financer le réseau de chauffage urbain. Si la collectivité territoriale peut recommander un raccordement au réseau de chauffage urbain, nous pouvons nous mettre d'accord sur une subvention. Autre exemple, s'il existe une école de la rénovation énergétique, la collectivité territoriale peut souhaiter qu'interviennent surtout les entreprises du quartier.
L'accompagnement, en tous cas, doit être républicain et équilibré pour tout le monde. Les aides, elles, doivent être modulées localement pour tenir compte des réalités territoriales : la rénovation énergétique n'est pas la même en Martinique et en Savoie. D'ailleurs, il y a de la place pour tous les acteurs : nous parlons de plusieurs milliards d'euros d'aides et de subventions...
Sur la plateforme, par rapport aux montants engagés, nous ne disposons que de peu de données de pilotage. Nous avons les montants accordés sous forme de MaPrimeRénov', le nombre de rénovations effectuées, mais nous ne savons pas combien de tonnes de CO2 ont été évitées ni de combien la facture du ménage s'est réduite. Il serait pourtant utile de centraliser l'information, pour un meilleur pilotage.
C'est l'Agence nationale de l'habitat (Anah) qui était chargée de cette mission. Elle a informatisé en priorité le dispositif MaPrimeRénov'. Même ainsi, les délais d'instruction sont longs, et beaucoup de dossiers sont en attente de paiement. Ce n'est pas anormal, l'Agence a été complètement submergée par un afflux considérable de demandes, et je salue la capacité de montée en charge dont elle a fait preuve, sans que cela n'occasionne de problème de sécurité : il n'y a pas eu de détournement, contrairement à d'autres dispositifs.
Pour autant, le projet de plateforme n'est pas abandonné.
Mon rapport s'accompagnait d'un petit film qui expliquait comment les choses se passeraient dans un monde idéal. Nous partions d'un usager. Celui-ci appelait son Accompagnateur Rénov', qui lui posait un certain nombre de questions pour dégrossir le sujet : combien de mètres carrés ? Quelle facture énergétique ? Est-il propriétaire ou bailleur ? Rendez-vous était pris, et l'Accompagnateur Rénov' venait réaliser un diagnostic à domicile. Ce diagnostic était communiqué sur la plateforme et, suivant la recommandation du rapport, deux propositions étaient faites : une pour atteindre le niveau BBC (bâtiment basse consommation) et une autre plus modeste. Un plan de financement était également proposé, interconnecté avec les grands financeurs, notamment l'Anah, afin d'éviter les blocages liés au préfinancement de l'entrepreneur. Enfin, un modèle de suivi de la consommation était élaboré. Cette vision était assez ambitieuse, et correspondait plutôt à de la prospective pour 2030 qu'à une mise en oeuvre immédiate.
J'ignore s'il y a des zones blanches dans la couverture. Nous avons déjà 2 100 conseillers et 450 espaces France Rénov' recensés.
Nous avons auditionné tous les ministres qui, depuis 2012, ont été en charge de la transition écologique ou du logement. Mme Wargon a souligné que Mon Accompagnateur Rénov' proposait surtout un accompagnement technique, et indiqué qu'il était important d'avoir aussi un accompagnement social, à destination des ménages les plus précaires. Qu'en pensez-vous ?
Mme Pompili a fait état d'un déficit de communication. Mon Accompagnateur Rénov' serait difficilement repérable sur le site internet. Est-ce exact ?
Mme Wargon a raison, comme le montre le bilan décevant du prêt avance rénovation. Celui-ci a pour cible les ménages âgés, car 62 % des passoires thermiques sont occupées par des ménages de plus de 60 ans. C'est un âge où l'on n'a plus accès au crédit, mais où la maison est remboursée.
J'ai pris le sujet - comme trop souvent dans la rénovation thermique - sous l'angle financier. Quels financements ? Dans la réalité, les gens vous disent que, même avec un prêt, même s'il ne faut payer que les intérêts, le problème est ailleurs : manque de confiance dans les travaux, refus de déménager pendant quelques mois... Sur ce point, ce qui est valable pour les personnes âgées l'est aussi pour les personnes les plus démunies et les plus fragiles. Il y a donc vraiment un volet social.
C'est une chose qu'on maîtrise très bien dans le logement social, où la rénovation s'accompagne d'un fort accompagnement social. Par exemple, dans la tour Cézanne à Arras, située dans un quartier défavorisé, vivent une centaine de ménages. Nous y avons fait un magnifique projet de rénovation par l'extérieur, qui étend de quelque 11 mètres carrés chacun des logements. Frédéric Leturque m'a dit qu'il y a eu six mois de consultations, et un travail avec chacun des locataires. Certains, assez âgés, n'avaient qu'une préoccupation : comment cela va-t-il se passer pendant les travaux ? Pour une rénovation devant durer plus de deux ans, il faut communiquer, prendre le temps d'écouter, de construire un consensus. Il faut rassurer, aussi, sur le fait qu'il n'y aura pas d'augmentation des loyers, et démontrer que les économies d'énergie seront bien au rendez-vous. Cet accompagnement, on ne sait pas le faire dans le parc privé.
Je reviens sur la question des filières industrielles en matière de rénovation énergétique et sur la manière dont la Caisse des dépôts et consignations intervient. Certains matériaux viennent à manquer pour réaliser les travaux de rénovation énergétique. La question de la formation des entreprises se pose également. Quid des matériaux biosourcés (paille, chanvre, bois...) ? Leur utilisation est encore largement insuffisante, alors que l'on mesure bien l'intérêt qu'il y a à les développer à l'échelon local. Cela implique un travail substantiel de mise en place. Y accordez-vous une importance particulière ?
Tout à l'heure, vous avez parlé des opérateurs ensembliers et indiqué que l'idée de France Stratégie n'était pas forcément la meilleure, puisque le principe est de se rembourser sur l'économie d'énergie. Or cela a deux limites, à savoir l'augmentation des prix de l'énergie et le passage à des comportements différents une fois que le logement est isolé.
Des citoyens ont formulé la proposition suivante : pour véritablement avancer en matière de rénovation thermique, il faut en passer par l'obligation de réaliser les travaux nécessaires, mais cela signifie une prise en charge totale, c'est-à-dire un reste à charge zéro. Cela suppose par conséquent la mise en place d'un fonds national de la rénovation, qui attribuerait des prêts pour réaliser les travaux, lesquels seraient remboursés via une hypothèque sur l'habitation - le prêt serait remboursé à la cession du logement ou au bout de trente ans, si le logement n'est pas cédé. Quel est votre avis sur un tel montage ?
De nouveau, je pense qu'il ne faut pas appréhender ce sujet uniquement via le prisme financier.
Je prendrai l'exemple de la rénovation des bâtiments publics, qui sont à la charge des collectivités locales - les lycées pour les régions, les collèges pour les départements, les écoles pour les communes. L'argent ne manque pas, puisque c'est le livret A qui finance ; la durée ne manque pas, puisque nous pouvons prêter sur vingt, trente ou quarante, voire cinquante ans. Nous avons des dispositifs dits d'intracting qui nous permettent d'identifier les économies d'énergie dans le budget. Pour autant, le parc public est très en retard. Pourquoi ? Quand je discute avec les élus, je m'aperçois que le problème n'est pas tellement d'ordre financier : c'est la conduite de projets qui est assez lourde. En effet, il faut avoir une connaissance du patrimoine, passer des appels d'offres avec parfois des contraintes sur l'emploi - on sait bien que l'offre des entreprises n'est pas suffisante. Les interlocuteurs sont assez « purs », dans la mesure où ils savent très bien faire : ils connaissent le budget pour la rénovation thermique et le montant de la dépense d'énergie.
Quand il s'agit des logements, on est dans le diffus. Un fonds est un dispositif où l'on imagine se retrouver grâce aux économies d'énergie sur une longue durée - on sait bien que les amortissements dureront quinze ou vingt ans. Pour autant, il faut aller au bout de la démarche et je l'ai fait avec les équipes de France Stratégie : cela suppose de s'assurer de l'engagement du ménage à avoir le même comportement pendant toute la durée du prêt. Ainsi, il faut que M. et Mme Sichel, dont les travaux de rénovation s'élèvent à 80 000 euros, s'engagent à avoir la même facture énergétique chez Engie, c'est-à-dire le même type de consommation pendant les vingt prochaines années. On dit que ce sera garanti par Engie et EDF, mais cela dépend du prix du kilowattheure ! Pensez-vous qu'Engie et EDF ont été en mesure de contrôler le prix du kilowattheure ces deux dernières années ?
Si la construction intellectuelle de ce dispositif est attractive et intéressante, sa mise en oeuvre opérationnelle me paraît difficile et je n'imagine pas non plus de fonds capable d'encaisser les variations du prix de l'énergie. Dans le rapport que nous avons rédigé, nous avions déjà écarté ces scénarios-là avant de connaître l'explosion des tarifs de l'énergie. Cela ne me semble donc pas répondre à la problématique.
J'en viens à la filière. Chaque fois qu'on le peut, on est dans l'encadrement des filières. Maisons & Cités assure la gestion de 65 000 logements du bassin minier du Nord. Ce patrimoine ayant été classé par l'Unesco, les rénovations ne peuvent se faire que par l'intérieur, elles sont donc coûteuses : alors qu'une rénovation thermique coûte 40 000 euros, elle est ici estimée entre 80 000 et 120 000 euros. Vous imaginez le montant du fonds qu'il faut créer pour amortir une telle somme par l'économie d'énergie.
L'une des démarches de structuration de la filière - par exemple, le chanvre -, qui n'a pas donné tous ses succès parce qu'elle est tombée en plein dans la crise inflationniste et de l'énergie, est celle d'EnergieSprong, qui vient des Pays-Bas. C'est une approche de massification de la commande pour atteindre l'objectif d'un bâtiment à un niveau zéro énergie, en baissant les coûts de la rénovation et en étant systématiquement en recherche d'une consommation nulle.
Avec l'Union sociale pour l'habitat des Pays de la Loire, on a regroupé une dizaine de bailleurs sociaux en leur demandant de classer les différents logements par type - logements éclatés, logements des années 70, passoires thermiques -, de façon à passer des appels d'offres massifiés et ne pas faire de la rénovation immeuble par immeuble en recourant à un artisan. Il s'agit au contraire de passer des marchés de 500 logements à rénover qui ont tous les mêmes caractéristiques, pour essayer de structurer une filière qui fera de la fabrication hors site, après avoir pris les métrés et qui les posera ensuite de façon industrielle. Ainsi, au lieu de commander 20 pompes à chaleur, on en commande 400 du même type, ce qui a des effets de structuration et de massification de la filière. La démarche a bien fonctionné : on a eu des appels d'offres et plusieurs logements y ont participé - malheureusement pas à la hauteur de ce que l'on attendait, parce que la filière a été très touchée par l'augmentation des coûts de construction et par l'inflation.
Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' est encore tout récent, il a été mis en place au 1er janvier 2023. Malgré le peu de recul dont vous disposez, vous semble-t-il conforme à ce que vous préconisiez ? La dotation budgétaire vous semble-t-elle suffisante ?
Franchement, je n'ai pas pu suivre l'évolution des dotations budgétaires - c'est de la responsabilité du Gouvernement -, mais j'ai été invité par l'Anah au congrès de tous les Accompagnateurs Rénov'. J'ai été frappé du très fort engagement de la profession, qui est très animée d'une mission d'intérêt général et de service public et qui était plutôt submergée par la tâche en demandant à être en plus grand nombre pour répondre aux besoins des clients. Elle était plutôt en faveur des recommandations que j'avais formulées : il faut vraiment un accompagnement du ménage dans le temps pour être efficace.
Il en est ressorti que l'efficacité dans la rénovation énergétique ne pouvait se faire uniquement par le monogeste - isoler ses fenêtres, changer sa chaudière... - sans appréhender le problème globalement pour obtenir une véritable performance dans la rénovation énergétique du logement. Ils privilégiaient beaucoup la rénovation énergétique globale, laquelle ne peut se faire qu'avec un accompagnement global d'intervenants qui ont le niveau et l'expertise nécessaires pour le faire.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, les ambitions et les moyens de MaPrimeRénov' ont été revisités à la hausse, avec un budget de près de 2,5 milliards d'euros, soit une croissance de 25 %. On peut donc se féliciter des efforts consentis en faveur de ce dispositif.
Dans le rapport, vous évoquez des contrôles plus complets sur les travaux de rénovation thermique. L'Anah, que nous avons auditionnée, indiquait que seuls 10 % des contrôles avaient lieu sur site, la plupart se faisant sur dossier, à partir des devis.
Je souhaite avoir votre avis à ce propos, car on peut s'interroger. On accorde aux entreprises le label RGE (reconnu garant environnement) et l'on estime par conséquent que les travaux réalisés seront corrects. Pourtant, on pourrait inverser les choses, sur le modèle de ce qui se passe pour l'assainissement, à savoir procéder à un contrôle systématique de la réalisation des travaux en fin de chantier qui déclenchera le versement de l'aide. On constate qu'en termes de qualité et d'objectifs à atteindre certaines rénovations laissent à désirer.
Dans le film dont j'ai déjà parlé, se rendre sur place et s'assurer que tout a été fait conformément à ce qui était prévu faisait partie du rôle de Mon Accompagnateur Rénov'. C'était également une aide pour le ménage, qui pouvait s'appuyer sur un spécialiste, lequel confirmait que l'isolation avait été bien faite, que la chaudière était conforme, et pouvait dénoncer les éventuelles malfaçons. Pour ce qui est du contrôle de Mon Accompagnateur Rénov', je pensais qu'en cas de dérive ce serait le ménage lui-même qui signalerait à l'Anah que celui-ci n'avait pas donné satisfaction ou qu'il avait été malhonnête.
Pour ma part, j'étais favorable à ce qu'une visite systématique de Mon Accompagnateur Rénov' ait lieu à la fin des travaux du dispositif.
Messieurs, je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Après l'Agence nationale de l'habitat (Anah) et la Caisse des dépôts et consignations, nous recevons M. Boris Ravignon, président, et M. José Caire, directeur villes et territoires durables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Monsieur le président, vous exercez depuis décembre 2022 la présidence de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, établissement public industriel et commercial participant à la construction des politiques nationales et locales de transition écologique. Vous êtes également maire de Charleville-Mézières et président d'Ardenne Métropole depuis 2014 et vous étiez, jusqu'à votre nomination à l'Ademe, vice-président de la région Grand Est.
Votre audition doit nous permettre de mieux comprendre les missions, les objectifs et le bilan de l'Ademe en tant qu'acteur de la politique de rénovation énergétique des bâtiments : est-elle suffisamment associée aux politiques de rénovation énergétique ? Le partage des responsabilités avec l'Anah vous semble-t-il suffisamment clair ou doit-il encore évoluer ?
Cette audition doit aussi nous permettre d'examiner les préconisations effectuées par votre agence dans différents rapports au titre de sa mission d'animation de la recherche dans le domaine de la transition écologique.
Votre agence a ainsi publié en janvier 2021 un rapport sur la rénovation performante détaillant les inconvénients d'une rénovation partielle pour la performance énergétique des bâtiments, mais aussi pour le confort de l'habitant. Deux ans après, le Gouvernement a-t-il pris en compte les conclusions dudit rapport ? Les politiques publiques de rénovation énergétique favorisent-elles suffisamment les rénovations globales ? Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' permettra-t-il, selon vous, d'encourager les ménages à généraliser les rénovations globales ? À cet égard, certains ont plaidé devant nous pour un guichet unique, d'autres pour préserver la diversité des accueils, mais unifier le back office en ayant un dossier et une offre uniques pour les ménages. Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, avec votre regard d'élu local, comment percevez-vous ce dispositif d'accompagnement et l'association des collectivités à la rénovation énergétique ? Avec votre expérience de maire, de président de communauté d'agglomération et d'élu régional, quel est selon vous le meilleur niveau d'intervention ?
Plus récemment, en 2022, l'Ademe a publié un rapport sur le financement de la rénovation énergétique performante des logements. Vous y faites de très nombreuses propositions pour les logements individuels et pour les copropriétés, afin de répondre au déficit de financement actuel. Pourriez-vous nous indiquer les propositions qui vous semblent les plus urgentes pour améliorer le financement des travaux de rénovation ?
Cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et un compte rendu sera publié. Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Boris Ravignon, président, et M. José Caire, directeur villes et territoires durables de l'Agence de la transition écologique, prêtent serment.
Je vous remercie de cette invitation, qui me permet d'évoquer un sujet fondamental pour l'atteinte du grand objectif de la neutralité carbone à l'horizon 2050.
L'Ademe mène des politiques de soutien et d'accompagnement, mais elle se prête aussi, depuis de nombreuses années, à un exercice de prospective pour éclairer le débat public, notamment au Parlement, sur les trajectoires permettant de remplir notre engagement. Nous avons construit plusieurs scénarios fondés sur différentes solutions, mais tous consacrent le rôle central de la rénovation énergétique des logements et des bâtiments tertiaires.
Pour remplir nos objectifs, il faudrait que soient menées 700 000 rénovations de logements de niveau BBC (bâtiment basse consommation) par an - ce label équivaut à une consommation de 80 kilowattheures par mètre carré et par an, contre une consommation moyenne des logements de 200 kilowattheures actuellement, peut-être plus. Il reste donc du chemin à parcourir : il n'y a aujourd'hui que 40 000 à 60 000 rénovations BBC par an. Un doute subsiste sur le nombre exact, car certaines rénovations remplissent les critères, mais les propriétaires ne demandent pas le label.
Nous avons besoin d'aligner l'ensemble des instruments de politique publique sur la performance BBC. C'est central pour les équipes de l'Ademe. Un rythme de 700 000 rénovations BBC par an permettrait d'avoir, en 2050, 90 % du parc de logement à ce niveau de performance énergétique.
Pour y parvenir, il faut un accompagnement. Depuis quelques années, les politiques publiques ont évolué sur ce point. L'accompagnement n'était pas considéré comme une politique publique. Certains - collectivités et administration - en faisaient sans le dire, mais l'idée d'un service public de l'accompagnement n'est apparue que récemment.
La première apparition du terme date de 2015, mais la mise en oeuvre est postérieure.
La mise en place de ce service public de l'accompagnement à la rénovation énergétique a été une vraie avancée. Le financement ne suffit pas, il faut aussi aider les ménages. Nous reparlerons peut-être du bon quantum entre aide publique et financement privé, qui est encore en débat. Il faut un accompagnement pour faire passer le message qu'un geste unique ne suffit pas et qu'il faut les cumuler pour obtenir une vraie performance énergétique.
Les aides financières sont utiles, mais elles ne sont pas le seul outil. MaPrimRenov', les certificats d'économies d'énergie (CEE) devraient être plus tournés vers la performance. Mais n'oublions pas l'outil réglementaire : interdire à la location les logements classés F ou G est utile pour provoquer la rénovation des logements les plus énergivores.
Près de 20 milliards d'euros sont dépensés chaque année pour des travaux de rénovation, souvent pour plus de confort ou pour une mise au goût du jour : il faudrait doubler ce montant et l'orienter vers la rénovation thermique BBC.
Nous devons penser collectivement cette politique pour ce qu'elle est : le chantier du siècle. L'expression ne me semble pas galvaudée. Les conséquences économiques sont très importantes. En amont, il faut de nouvelles entreprises, l'apparition de nouveaux métiers... Je pense à des ensembliers capables de faire réaliser les travaux avec le niveau de performance attendu, de les financer et de s'engager sur l'atteinte de la performance. Cela existe très peu dans le secteur de la rénovation des logements pour les particuliers.
Nous avons besoin de former plus d'artisans et de compagnons du bâtiment à ces gestes. Des filières doivent émerger dans les savoir-faire et dans les matériaux, qu'il s'agisse de nouveaux matériaux ou de plus anciens qui sont redécouverts - ceux que la bioéconomie peut fournir. La politique de rénovation énergétique doit être soutenue par une filière qui reste encore à structurer.
Quel doit être le rôle de l'Ademe ? Éclairer l'avenir pour que la représentation nationale puisse faire ses choix de planification écologique. Nous considérons, par exemple, que nous n'avons pas encore trouvé les bons produits financiers.
Plus concrètement, l'Ademe doit concevoir le service d'aide à la rénovation énergétique. Une transition a lieu avec l'Anah sur ce sujet, sans oublier les collectivités. L'Ademe tient la compatibilité des rénovations des bâtiments tertiaires avec l'observatoire de la performance énergétique de la rénovation et des actions du tertiaire (Operat) et apporte une expertise auprès des collectivités locales.
L'Ademe est-elle suffisamment associée ? Nous sommes au coeur des réflexions ; sur l'aide à la rénovation énergétique, nous sommes en liaison constante avec l'Anah ; nous sommes consultés sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) et la labellisation des travaux, par exemple. Nos travaux sur le financement sont lus avec intérêt par l'administration centrale. Notre expertise est au service de l'État, qui s'en saisit.
Nous avons beaucoup insisté en 2021 sur le fait qu'une rénovation performante résultait de la combinaison de plusieurs gestes. Rénover n'est pas sans inconvénient pour les occupants ; c'est ce qui explique qu'il y ait peu d'occasions de faire des rénovations complètes. Les mutations sont sans doute le moment propice autour duquel il faudrait concentrer notre approche. Faut-il passer par l'incitation ou l'obligation ? Peut-être faut-il privilégier l'incitation, puis après un certain temps, l'obligation... Mais il est difficile de demander aux occupants d'un logement d'effectuer une rénovation complète qui touche les murs, le toit, les huisseries... Il faut donc cibler le peu d'occasions dont nous disposons.
Comment se présente notre trajectoire ? Les choses avancent, mais il y a encore des marges de progrès pour atteindre les 700 000 rénovations BBC dont nous avons besoin. Qui peut faire ce type de rénovations performantes ? Comment accompagner ? Comment donner des garanties de performance ? Car ce sont bien ces garanties qui peuvent débloquer le financement. À quel moment doit-on placer l'incitation ? De nombreux sujets restent à trancher.
Faut-il un guichet unique ? MaPrimRénov' semble aller dans ce sens. Mais si le guichet unique se traduit par une réduction de l'accompagnement, ce n'est pas une bonne idée. Nous avons mis en place un service, mais d'autres, créés par des associations ou des collectivités, continuent d'exister... Cela ne favorise certes pas la lisibilité du système, mais l'accompagnement des ménages est plus complet.
La politique de rénovation énergétique procède d'engagements internationaux et nationaux de notre pays. Cela empêche à mon sens une décentralisation, c'est-à-dire le transfert en un bloc de la responsabilité et des moyens de cette politique. Il faut garder une forte implication de l'État, tout en offrant aux collectivités qui ont des compétences voisines, comme le logement, la possibilité de s'articuler avec cette grande politique d'État.
Comme maire, je considère que la politique du logement, qui consiste à s'assurer que chacun puisse se loger dans un bassin de vie, y compris par l'urbanisme, pourrait faire l'objet d'une décentralisation globale. Mais pas la politique de rénovation thermique.
Je laisserai José Caire vous répondre sur l'étude de 2022 portant sur le financement de la rénovation des logements individuels et des copropriétés. Nous ne sommes pas au bout du chemin : il nous reste des concepts à forger. Ces investissements sont rentables, certes à long terme, entre vingt et trente ans, mais ils ont du mal à se réaliser. Nous devons nous interroger collectivement et continuer notre travail avec la place bancaire - je sais que la fédération bancaire française (FBF) se penche sur cette question. Nous ne sommes pas loin de la faille de marché : en économie de marché, en principe, il ne peut exister d'investissements rentables qui ne soient pas financés.
Concernant le financement, souvenons-nous de l'apparition, au début des années 1990, d'un contrat de construction de maison individuelle comportant la garantie d'un délai, d'une qualité et d'un prix. Il faudrait transposer cette façon de faire à la rénovation. C'est compliqué, car il s'agit de travailler sur un bâtiment existant et d'être capable de garantir une performance énergétique.
Dans le cadre de France 2030, l'Ademe lancera très prochainement un appel à projets pour trouver des solutions auprès de groupements qui comporteraient des concepteurs et des réalisateurs de travaux ainsi que des assureurs et des banquiers... Il faut en effet être très ouvert pour favoriser l'apparition d'opérateurs ensembliers capables de garantir un prix, une qualité, un délai, un résultat énergétique et une assurance contre le risque de défaillance financière du maître d'ouvrage. Nous espérons trouver suffisamment de groupements pour expérimenter et voir ce qui bloque. Nous accompagnerons cela d'une étude permettant de concevoir et de dimensionner un fonds de garantie pour ces opérateurs ensembliers. Après, il faudra du temps pour expérimenter le fonctionnement de ces groupements sur des cas réels, avant de généraliser et, le cas échéant, d'actionner la réglementation.
Pas à ma connaissance, même si nous n'avons pas procédé à un benchmarking dans tous les pays du monde.
Y a-t-il une différence entre votre initiative et les propositions de France Stratégie autour du tiers financeur, qui financerait les travaux et se rembourserait sur les économies d'énergie ?
Je pense que c'est globalement la même chose, même si je pourrai vous répondre plus précisément par écrit : peut-être les modalités de mise en oeuvre sont-elles un peu différentes. Le principe est le même : pour attirer les investisseurs, il faut des garanties.
Nous avons reçu en audition Mme Wargon, qui nous a fait part de difficultés de coordination entre l'Anah et l'Ademe. Avez-vous le même sentiment ? Cela a-t-il évolué ? Mme Wargon a indiqué que le pilotage de France Rénov' avait été confié à l'Anah pour éviter l'éparpillement. Qu'en pensez-vous ?
Nous avons reçu l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE). Quatre ans après sa création, qu'en retirez-vous ? Permet-il de disposer d'éléments fiables ?
Vous avez plaidé en faveur de la rénovation globale et de l'incitation à atteindre le label BBC. Comment voyez-vous les choses ? Certains disent qu'il faut une rénovation globale ou rien. D'autres considèrent au contraire la rénovation par gestes comme une porte d'entrée et indiquent qu'il est possible, avec un bon accompagnement, de mener une rénovation globale en plusieurs temps.
Vous avez évoqué les filières : celle du bâtiment doit monter en compétence et aura besoin de formations. L'Ademe mène-t-elle des travaux sur les matériaux biosourcés ? Avez-vous une visibilité sur ce qui se passe dans les territoires ? Les normes doivent permettre à ces nouveaux matériaux - qui ne sont pas si nouveaux que cela - d'être utilisés dans de la rénovation, ce qui n'est pas toujours possible.
L'Ademe et l'Anah sont deux agences en charge de politiques publiques certes voisines, mais assez différentes. L'Anah était initialement centrée sur l'amélioration qualitative du logement quand l'Ademe s'occupait davantage des politiques environnementales.
Depuis quelques années, nos deux agences articulent leurs actions autour d'une problématique devenue commune. La décision de faire porter le dispositif France Rénov' par l'Anah, par exemple, suppose une coopération accrue entre nos deux agences. L'Ademe a ainsi logiquement transféré les services d'aide à la rénovation énergétique sur lesquels elle avait commencé à travailler. Il s'agit d'une décision cohérente, qui vise à clarifier les différents champs d'intervention.
Je sais que tels n'étaient pas vos propos, monsieur le rapporteur, mais nous entendons parfois dire qu'il faudrait fusionner l'Ademe et l'Anah, parce qu'elles travaillent sur des sujets voisins. À cet égard, je voudrais souligner que nous travaillons aussi avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) sur les questions d'ingénierie des collectivités ou encore avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sur la question de la réhabilitation des sols et leur valorisation. Cela fait tout de même beaucoup à fusionner, au risque de devenir illisible.
Nous continuons d'agir sur des politiques quelque peu différentes. Il nous reste à mettre en oeuvre le partage des compétences qui a été mis en place et qui me semble à la fois clair et pertinent. À chacun de trouver ses marques désormais. Nous continuerons d'accompagner les collectivités locales dans une réflexion plus globale. La doctrine qui prévaut est simple : le métier de l'Anah, qu'elle est seule à réaliser, est d'accompagner les ménages ; l'action de l'Ademe porte davantage sur l'évolution des bâtiments dans la perspective d'atteindre la neutralité carbone.
La question est surtout de savoir comment rapprocher les branches énergie-climat et habitat-logement au sein des politiques publiques.
Cette question concerne tout le monde : d'abord les ministères, mais aussi les administrations, les agences d'État et les collectivités. Nous devons donc travailler ensemble, ce qui pose nécessairement des questions d'arbitrage entre les priorités de chacun. Une fois les curseurs positionnés, tout le monde doit opérer cette jonction.
Je tiens à souligner que l'Ademe était tout à fait consentante à la décision de confier France Rénov' à l'Anah. Cela participe d'un besoin de simplification et de clarification. Il s'agit de politiques extrêmement complexes, qui comptent beaucoup d'intervenants. Tout ce qui peut contribuer à davantage de visibilité est le bienvenu.
M. Ravignon a décrit la vision d'ensemble qui prédomine : l'Anah est en charge du parcours des ménages dans la rénovation et l'Ademe de celui du bâtiment. Notre problématique consiste à savoir comment disposer d'un parc de niveau BBC d'ici à 2050.
L'Anah se consacre au parcours des ménages. Il s'agit d'un sujet très compliqué, qui doit devenir un point d'entrée majeur. La question est d'ailleurs moins celle du guichet unique, que vous avez évoquée voilà quelques instants, que celle du parcours des ménages, c'est-à-dire de savoir comment les informer et les accompagner dans leur projet. Celui-ci comporte une problématique énergétique, mais pas seulement. Tout dépend des parcours de vie - handicap, vieillissement... Il est important que cet ensemble de problématiques soit intégré dans un seul service public, piloté par l'Anah.
Notre coopération avec cette agence se fait de manière constructive, et c'est tant mieux dans la mesure où il s'agit d'un travail au très long cours. Nous lui fournissons des éléments d'expertise technique sur différents sujets. Aujourd'hui, notre principal chantier commun est le co-portage du service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (programme SARE), qui va être prolongé. Il reste des relais de financement à trouver. Nous y travaillons main dans la main.
Il était important de créer l'Observatoire national de la rénovation énergétique. Les politiques publiques concernées sont parfois à cheval sur plusieurs ministères et impliquent des acteurs aussi bien publics que privés. Les différents échelons des collectivités territoriales sont aussi concernés. Essayer de forger des données réconciliées pour tous ces acteurs afin de donner une image précise de ce qui reste à accomplir en termes de rénovation énergétique à la fois en données agrégées nationales, mais aussi à l'échelon territorial, exigeait la création de cet observatoire.
Nous y participons un peu sur le modèle de ce que nous faisons avec l'Observatoire national de la précarité énergétique, qui s'occupe de ces problématiques sous un angle différent. Avec l'ensemble des organismes publics et privés d'importance et les collectivités, nous essayons de fournir des statistiques permettant ensuite de concevoir les politiques publiques.
En ce qui concerne les rénovations globales, vous avez raison, monsieur le rapporteur, faire tout le temps et tout de suite peut s'avérer compliqué. Nous n'excluons pas qu'il y ait plusieurs gestes ou plusieurs étapes. Cela étant dit, il ne faut pas qu'il y en ait trop : deux, trois au maximum. Il faut pouvoir combiner ces étapes assez rapidement. À défaut, il faudra dépenser beaucoup d'argent pour un résultat qui risque de se révéler assez déceptif pour les ménages.
La rénovation énergétique n'est pas aussi simple qu'elle paraît. Pour le grand public, les maisons, les appartements, les relations avec les entreprises, c'est concret. En réalité, la physique d'une enveloppe est une science assez complexe. On en est encore au stade des découvertes et de la recherche, notamment sur les matériaux. Assez peu d'entreprises maîtrisent la question de la migration de la vapeur d'eau à travers une paroi, par exemple.
Nos investigations ont permis de mettre en évidence de manière concrète la question de l'enchaînement de gestes qui ne sont pas efficaces. Très concrètement, au moment de changer des fenêtres positionnées à l'intérieur du mur, par exemple, on pose la nouvelle fenêtre au même endroit. Ensuite, on s'attaque à l'isolation qui, elle, doit être à l'extérieur du mur. Résultat : si on isole, on encombre la fenêtre ; si on n'isole pas, on crée un pont thermique. En définitive, au moment de faire l'isolation par l'extérieur, il faut enlever les fenêtres pour les positionner au même niveau que l'isolation.
Cette situation assez commune illustre toute la question des interfaces : un geste en lui-même ne se critique pas ; par contre, faute d'y avoir pensé en amont, l'interface entre les gestes fait perdre son efficacité à l'ensemble. Cela vaut aussi pour l'isolation d'un toit, celle d'un mur ou encore le dimensionnement de la chaudière... L'Ademe a publié environ 70 fiches pour traiter les interfaces soit matérielles soit conceptuelles.
Nous avons conclu qu'une rénovation de plus de trois étapes était à peu près vouée à l'échec - à la rigueur quatre, mais dans des conditions extrêmement précises. Il faut également avoir élaboré une vision d'ensemble dès le début pour suivre ces étapes dans le bon ordre.
Vous pouvez faire une isolation performante de votre enveloppe, mais si vous réalisez la ventilation après coup, votre maison ou appartement ne sera pas ventilé entre les étapes, ce qui implique de l'humidité et donc des pathologies et pour les habitants et pour le logement.
Ces connaissances ne sont pas si anciennes. La question est de savoir comment transformer cette vision technique en politique opérationnelle, comment la financer, comment mettre en place les compétences du côté des professionnels, comment accompagner les particuliers... Il y a encore du chemin à faire.
Lors l'audition de l'Anah, le discours était quelque peu différent : l'idée était qu'une rénovation en un seul geste, c'est déjà mieux que rien. Trois étapes, selon moi, c'est compliqué à mettre en oeuvre... Les politiques mises en place au travers de MaPrimeRénov' ou l'Accompagnateur Rénov' vous paraissent-elles bien calibrées pour aller dans votre sens ?
Comme je le soulignais, la technique ne suffit pas à elle seule pour mettre en place une politique publique qui fonctionne. Cette prise de conscience est récente et de plus en plus présente dans l'esprit des acteurs. La question de la rénovation globale performante est devenue un vrai sujet.
Les choses ne pourront se faire que progressivement. On voit aujourd'hui combien toute modification des politiques d'aide peut bouleverser la filière. Le chantier est ouvert. Nous verrons de quelle façon MaPrimeRénov' évoluera pour aller vers plus de rénovation globale. Bien évidemment, l'Ademe apportera sa contribution.
La prise de conscience est là et les choses vont évoluer. Il y aura forcément des exceptions ; je pense notamment aux publics les plus modestes dont les priorités sont différentes.
En ce qui concerne la question de la structuration de la filière, une mission de formation des professionnels nous incombe. Nous avons pris un certain nombre d'initiatives pour permettre la formation la plus large possible, mais le travail à accomplir est immense.
En ce qui concerne les matériaux nouveaux, nous avons lancé des appels à projets pour sélectionner non seulement des matériaux, mais aussi des conditions de mise en oeuvre.
La fonction de soutien à l'innovation de l'Ademe se déploie dans ce champ des matériaux et des filières. Je pense aux matériaux bois et biosourcés, aux combinaisons de matériaux - nous avons lancé voilà quelque temps un appel à projets « mixité » pour utiliser le meilleur de chaque matériau dans le cadre de combinaisons optimisées.
Nous menons beaucoup de travaux sur le bois et sur les autres matériaux biosourcés tels que le chanvre et le lin, par exemple. L'Ademe soutient la structuration des filières, notamment au travers d'accords-cadres avec les organismes professionnels pour soutenir le déploiement de ces filières biosourcées.
La normalisation relève davantage du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). On peut y contribuer en soutenant, par exemple, le développement des fiches déclaratives environnementales et sanitaires des matériaux. Quand un nouveau matériau est mis sur le marché, il faut savoir ce qu'il a « sous le capot ». L'Ademe cofinance avec le promoteur l'élaboration de ces fiches qui permettent aux matériaux concernés de rentrer dans les moteurs de calcul au même titre que les matériaux classiques.
Nous soutenons le développement de ces filières très ancrées dans les territoires. C'est de la proximité, donc du bas-carbone.
Monsieur le président, le 1er février dernier, à l'occasion d'une table ronde organisée par la commission de la culture du Sénat, vous nous disiez combien il était important à vos yeux d'accompagner la transition écologique du bâti tout en respectant sa valeur patrimoniale, historique ou architecturale. Avec la mise en oeuvre du nouveau DPE et l'arrivée du ZAN, on sent vraiment l'urgence de valider ces matériaux que vous venez d'évoquer, qui sont respectueux de ce type de bâtiments. Il s'agit de créer des labels, de diffuser des règles de bonne pratique pour éviter un saccage patrimonial et une banalisation du bâti de notre pays.
Vous avez aussi déclaré que l'Ademe concentrait son travail sur la recherche. L'Agence considère en effet que le bâti ancien dans toute sa diversité n'est pas encore suffisamment documenté en termes de caractéristiques thermiques, hygrothermiques et architecturales.
En 2011 déjà, un rapport sur la modélisation du comportement thermique du bâti d'avant 1948 avait été demandé par l'Ademe au Cerema. Il a été réalisé dans le prolongement d'études menées entre 2005 et 2007. Cela fait donc très longtemps qu'un travail est conduit sur ces particularités.
J'aurais voulu en savoir un peu plus sur ces matériaux biosourcés qui sont aujourd'hui validés ou en cours de validation et sur les possibilités de développement de filières locales de production et de transformation. À quelle échéance pourraient-elles voir le jour ?
Se pose également un problème de coût pour les particuliers qui préfèrent se tourner vers des solutions standards, qui ne sont pas adaptées. Fait-on suffisamment aujourd'hui pour promouvoir, soutenir financièrement et accompagner les filières locales et les particuliers ?
En vous écoutant, j'ai l'impression que l'on découvre encore comment fonctionne le bâti, alors qu'on est entré dans une phase d'injonction, notamment en termes d'isolation, pour les propriétaires bailleurs. Ne demande-t-on pas aux acteurs d'agir, alors même qu'ils ne sont pas véritablement informés des spécificités du bâti patrimonial ?
Après l'audition que vous évoquez, je m'étais de nouveau penché sur cette question avec mes équipes. J'avais été assez inquiet de constater qu'un tiers environ du bâti est antérieur à 1948. Dans une telle situation, on risque d'en venir à opposer la logique de rénovation énergétique, avec tout ce qu'elle implique en termes d'amélioration des conditions de vie, à la logique de conservation du patrimoine. J'avais transmis ces inquiétudes sur l'application du DPE au bâti pré-1948, dont il ne fallait pas négliger les spécificités. Il m'a été confirmé qu'un certain nombre de valeurs standards sont difficiles à apprécier en raison de la très grande diversité de ce bâti, ce qui pose parfois de vraies difficultés d'évaluation de la performance énergétique. Nous allons nous appliquer à avancer sur ces questions, qui avaient été identifiées depuis un certain temps déjà.
L'animation de la filière, qui est une vraie question, n'est pas vraiment du ressort de l'Ademe. Toutefois, nous devons pouvoir trouver des alliés pour travailler plus localement et donner envie à un certain nombre de collectivités et d'organismes, notamment aux chambres des métiers ou aux fédérations professionnelles du bâtiment, de s'engager dans une démarche de formation de leurs personnels et de leurs entrepreneurs sur cette question de la rénovation énergétique performante du bâti ancien.
La maîtrise physique de ces enveloppes spécifiques ne relève pas tant de la question des matériaux biosourcés que de celle des parois existantes. Entre un mur en granit, en tuffeau, en pisé, en colombage, en pierre - grosses ou petites - ou maçonné en terre ou en mortier de chaux, on fait face à une infinie variété de situations. Dès lors, la modélisation n'a plus rien à voir avec un béton parfaitement normé à la sortie de la centrale.
Cette variété implique de passer du temps pour aller chercher ces matériaux, les tester, les modéliser et les intégrer à un moteur de calcul. Cela a posé problème pour le DPE. Nous menons un travail avec le CSTB qui doit aboutir à la création d'un moteur de calcul thermique unique pour le neuf et l'ancien.
La physique de l'ancien, c'est aussi la physique du neuf. Les matériaux sont différents, mais les règles physiques sont les mêmes. Il devrait donc être possible d'avoir un moteur de calcul commun, avec des valeurs différentes selon les matériaux. C'est un peu le rêve de l'unification.
Il faudra encore quelques années pour arriver à l'unicité de ce moteur de calcul. Cela étant dit, le problème reste compliqué. Il faudra nécessairement faire des compromis. Pour une maison paysanne classique avec des murs en pierre de 50 ou 60 centimètres d'épaisseur, l'idéal d'un point de vue physique, c'est l'isolation par l'extérieur. Rien ne sortira, à condition que les matériaux d'isolation respirent. C'est là que les biosourcés sont extrêmement utiles. Le problème est qu'on change alors complètement le cachet de la maison.
Par contre, si l'on isole de l'intérieur, avec des murs qui font aussi 50 à 60 centimètres d'épaisseur entre la cuisine et la chambre, par exemple, on se trouve face à un pont thermique de 60 centimètres d'épaisseur contre lequel on ne pourra rien faire. De même, la poutre de 30 centimètres de côté qui supporte le plancher de l'étage rentre dans le mur. Or vous ne pouvez l'isoler sur toute sa longueur dans la cuisine et on se trouve de nouveau face à un pont thermique de 30 centimètres par 30 centimètres... Il faudra faire des compromis, sauf à accepter de sacrifier en partie l'aspect extérieur. La question se posera sans doute avec plus de force lorsqu'il fera très chaud chaque été...
Il n'existe pas de solution miracle, même si les techniciens, les scientifiques ont fait pas mal de progrès pour mieux appréhender ces questions d'isolation et de rénovation du bâti ancien.
En affinant les performances de chaque type de matériaux au sein du DPE on va pouvoir rendre justice à certains modes constructifs d'avant 1948 et montrer qu'ils offrent une vraie protection thermique en été avec de la fraîcheur comme peu de bâtiments modernes en sont capables et, à l'inverse, une inertie thermique intéressante en hiver. Il faut apprécier précisément le travail qu'il reste à faire pour atteindre les meilleurs objectifs. On est en droit de penser qu'un bel immeuble haussmannien, eu égard à la qualité des matériaux employés, offre tout de même certaines qualités thermiques que beaucoup de bâtiments plus récents n'auront jamais, tout du moins pas avant rénovation.
On évoque assez peu la question du confort thermique d'été, alors même que les projections montrent toutes que des épisodes de 50 degrés en ville vont se reproduire. Le DPE prend-il en compte cette question des performances thermiques d'été ? Selon les techniques mises en place, en toiture ou en façade, les résultats sont très différents. On peut ainsi être très bon sur le confort thermique d'hiver et très moyen sur celui d'été. Êtes-vous attentifs à ces questions ?
La question du confort d'été n'est pas concrètement mise en oeuvre dans le DPE. Cela a récemment été introduit dans la réglementation du neuf. Il s'agit d'une première étape.
Actuellement, dès lors qu'un audit est réalisé avec des préconisations de travaux, en particulier dans les régions les plus sensibles, le professionnel doit se pencher sur cette question du confort d'été - choix de l'isolant pour la toiture, déphasage, type de ventilation... Mais il ne s'agit pas encore d'un critère de notation au sein du DPE.
Nous vous remercions pour cette audition très intéressante. N'hésitez pas à nous transmettre tout élément complémentaire sur le questionnaire ou sur d'autres questions que nous aurions pu ne pas évoquer aujourd'hui.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 45.