La réunion est ouverte à 14 h 30.
Nous recevrons successivement MM. Frédéric Saint-Geours, candidat proposé aux fonctions de président du conseil de surveillance de la SNCF, Guillaume Pepy, candidat proposé aux fonctions de président du directoire de la SNCF et Jacques Rapoport, candidat proposé aux fonctions de président délégué du directoire de la SNCF. Ces auditions, prévues par l'article 13 de la Constitution, sont ouvertes au public et à la presse. Elles seront suivies d'un vote à bulletin secret, sans délégation de vote. Les auditions ont eu lieu hier matin à l'Assemblée nationale ; le dépouillement sera effectué simultanément dans nos deux assemblées. Les nominations ne peuvent avoir lieu si l'addition des votes négatifs des députés et des sénateurs représente au moins les trois cinquièmes des suffrages exprimés.
La loi du 4 août 2014 a mis en place un groupe public constitué de trois établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic) : SNCF Mobilités, chargé de l'exploitation des services de transport, SNCF Réseau, qui regroupe des équipes auparavant dispersées entre Réseau ferré de France (RFF), SNCF Infra et la direction des circulations ferroviaires, et l'Epic de tête SNCF, qui assume des missions transversales pour l'ensemble du groupe. La SNCF est dotée d'un conseil de surveillance qui arrête les grandes orientations du groupe et en approuve les comptes consolidés et d'un directoire à deux, composé du président du conseil d'administration de SNCF Mobilités, qui en est le président, et du président du conseil d'administration de SNCF Réseau, qui en est le président délégué. La loi organique du 4 août 2014 a prévu l'audition, en application de l'article 13 de la Constitution, du président du conseil de surveillance de la SNCF, du président du directoire de la SNCF, qui est aussi président du conseil d'administration de SNCF Mobilités, et du président délégué du directoire de la SNCF, également président du conseil d'administration de SNCF Réseau.
Monsieur Saint-Geours, vous avez été désigné président par intérim du conseil de surveillance de la SNCF le 15 décembre dernier. C'est donc sur la confirmation de cette nomination que nous devons nous prononcer aujourd'hui. Après une carrière au ministère des finances et dans les cabinets ministériels, vous avez exercé pendant quinze ans d'importantes fonctions au sein du groupe PSA, vous avez présidé l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), avez été président du Groupe des fédérations industrielles et administrateur de BPI France. En quoi ce parcours vous prépare-t-il aux fonctions que vous sollicitez ? Quel regard portez-vous sur la situation actuelle et l'avenir du groupe SNCF ? Quelles orientations préconisez-vous pour ce groupe ? Comment allez-vous faire respecter le principe de la séparation entre les activités de gestionnaire de l'infrastructure et celles de transporteur, tout en assurant une meilleure cohérence entre les deux entités ? Que pensez-vous de la situation financière du groupe ? Quelles seront les conséquences de la libéralisation du transport par autocar dans les prochains mois et, plus généralement, de l'ouverture à la concurrence du transport de voyageurs ? Quelles sont les perspectives du fret ferroviaire ?
Merci de votre accueil. C'est la première fois que je me présente devant vous. Après une carrière dans la fonction publique, au ministère des finances, au cabinet du ministre de l'équipement et des transports, à celui du président de l'Assemblée nationale puis comme directeur de cabinet du secrétaire d'État au budget, j'ai rejoint le groupe PSA-Citroën où je suis resté pendant 27 ans, exerçant plusieurs métiers : directeur financier, directeur général de la marque Peugeot, membre du directoire pendant plusieurs années... Je me suis aussi beaucoup impliqué dans le développement international de ce groupe. Élu fin 2007 à la présidence de l'UIMM, je me suis efforcé de tout y remettre à plat, qu'il s'agisse des processus de décision, de la gouvernance ou de la transparence financière, pour en faire une organisation professionnelle moderne et ouverte au dialogue social. Je suis donc familier des problématiques industrielles, commerciales, financières et sociales, et j'ai appris à fonctionner dans le cadre d'un dispositif comportant conseil de surveillance et directoire.
La loi du 4 août 2014 et ses textes d'application créent les conditions d'une évolution favorable du système ferroviaire français pour trois raisons essentielles. D'abord, son organisation est simplifiée. Autrefois, les relations entre le gestionnaire des infrastructures et la SNCF étaient contre-productives, y compris pour les parties prenantes locales. Avec la constitution, avec SNCF Réseau, d'un gestionnaire d'infrastructures unique et intégré et celle, avec l'Epic de tête, d'un centre de services partagés, le dispositif est plus rationnel et engendrera des économies. En prévoyant des contrats décennaux entre l'État et le groupe public ferroviaire, la réforme donne une visibilité de long terme indispensable à la performance industrielle et à la constitution d'un véritable écosystème ferroviaire en France. Ainsi, les processus de production pourront être profondément transformés et des partenariats avec les entreprises de la filière ferroviaire pourront être développés, ce qui facilitera, entre autres, le développement international. Enfin, l'amélioration de la disponibilité des infrastructures fera que l'accroissement des performances bénéficiera à toutes les parties prenantes : clients, chargeurs, autorités organisatrices, collectivités publiques...
Le conseil de surveillance est un organe de gouvernance interne, qui n'a pas vocation à s'occuper de management opérationnel, celui-ci relevant de la responsabilité exclusive du directoire. Il décide des grandes orientations stratégiques, économiques, sociales, techniques et financières, et contrôle leur mise en oeuvre. Il a aussi un rôle d'interface entre le groupe et les pouvoirs publics. Enfin, il conseille, comme son nom l'indique, le directoire. Ses membres seront des personnes qui sont parfaitement capables d'exercer ces trois fonctions.
La priorité absolue, pour le groupe public ferroviaire, est la sécurité de ses clients et de ses collaborateurs. Cela implique une action déterminée et coordonnée entre SNCF Mobilités et SNCF Réseau, qui détiennent les certificats attachés à leur activité. La sécurité n'étant jamais un acquis, il s'agit d'adopter une culture de l'amélioration permanente et de la vigilance. Les principes de management que nous adoptons sont au service de cette exigence. Nous tirons toutes les conclusions des accidents du passé, en toute transparence.
Deuxième enjeu : la trajectoire financière. Le but de la réforme ferroviaire est le redressement du groupe. Nous bâtissons un plan de performance ambitieux pour stabiliser la dette. Pour établir des gains de productivité, SNCF Réseau et SNCF Mobilités sont en première ligne, mais l'Epic de tête n'est pas en reste ! Troisièmement, nous devons améliorer la qualité du service rendu à toutes les parties prenantes. Un défi majeur est de remettre en état le réseau en minimisant les conséquences des interventions sur les circulations de passagers et de marchandises, afin d'accroître la fiabilité et la régularité du trafic, surtout en zones urbaines, périurbaines et sur les principaux axes. Un meilleur dialogue entre l'opérateur et le gestionnaire d'infrastructures s'impose. SNCF Mobilités déploiera, grâce à la numérisation de son offre, de nouveaux outils pour améliorer sa relation avec ses clients.
Le classement du Boston Consulting Group (BCG) en 2015 place la France parmi les pays les plus performants d'Europe en matière ferroviaire. Notre ambition commune est d'améliorer encore notre rang !
Nous sommes heureux de vous recevoir. Quel humour de citer ce rapport du BCG ! J'ai demandé à auditionner le rapporteur, pour comprendre d'où viennent ces conclusions : nous le recevrons, avec M. Filleul, dans le cadre du groupe de travail « transport et mobilités. Si tout allait bien, pourquoi avons-nous créé un directoire, un conseil de surveillance ? Un article de presse paru récemment, dans ma région, notait : « Trop larges, les nouvelles rames TER sont aussi trop hautes chez nous »... Vous avez du travail ! Il n'est pas mauvais d'avoir été directeur de cabinet du secrétaire d'État chargé du budget pour s'occuper d'un groupe qui a accumulé plusieurs dizaines de milliards d'euros de dette. Vous avez tout remis à plat à l'UIMM. C'est ce que nous attendons de vous ici...
La Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) m'a envoyé une pétition appelant à la mobilisation pour sauver nos trains, qui sont en danger. Venant de l'industrie automobile, par quoi avez-vous été le plus surpris ? Quelle est la trajectoire financière de la SNCF ? Quid du contrat de performance ? Que faire pour que la dette ne dépasse pas 60 milliards d'euros ? Que pensez-vous de l'ouverture à la concurrence et des conditions du cadre social harmonisé ? Comment comptez-vous améliorer la qualité de service ?
Je suis heureux de vous rencontrer. Comme M. Nègre, je souhaite que notre système ferroviaire soit le meilleur possible. J'ai été stupéfait par le classement du BCG. Nous savons pourtant qu'il y a beaucoup à faire. J'ai été déçu par les propositions du Gouvernement sur les trains d'équilibre du territoire. Il faut aller plus vite et plus loin dans l'achat de matériel : 1,5 milliard d'euros, c'est insuffisant. Je sais qu'il y a 510 milliards d'euros de commandes en cours. Nous avons besoin d'un saut quantitatif et qualitatif pour que la SNCF soit concurrentielle. Vous avez remis à plat l'UIMM ; qu'allez-vous remettre à plat dans le système ferroviaire ? Je me réjouis que vous puissiez prendre appui sur la réforme de 2014, que j'ai tant souhaitée. Grâce à vous, l'Epic de tête pourra jouer le rôle que nous lui avons assigné. Comment réduire la dette ? C'est en partie une dette d'État. Son montant est actuellement de presque 48 milliards d'euros. C'est un étouffoir ! Comment envisagez-vous l'ouverture à la concurrence ?
Vous aurez un rôle de coordinateur et de stratège. Comment comptez-vous donner aux voyageurs l'envie de reprendre le train ? Sécurité, confort, régularité, tarifs laissent à désirer aussi bien sur les lignes à grande vitesse que sur les autres. La SNCF doit-elle développer des activités de transport routier ? Et le fret ferroviaire ne décolle pas...
Pourtant, nous avons un maillage extraordinaire ! La SNCF a investi dans des sites Internet de covoiturage, elle organisera du transport par autocar sur les autoroutes...
Nous attendons tous beaucoup de la SNCF, dont la gouvernance a été défaillante pendant des années. Résultat : une dette considérable, dont mon groupe demande qu'elle soit reprise par l'État. Vous devrez convaincre les Français et leurs représentants. L'industrie ferroviaire souffre de l'affaiblissement de son lien, autrefois naturel, avec la SNCF. Comment le renforcer ? Les gains de productivité obtenus récemment ne sont pas sans limite. Comment faire face à la dette ? Accroître la qualité du service rendu implique de renforcer la sécurité. Y a-t-il une réflexion sur la résistance de vos outils aux pics de chaleur ? Comment faire en sorte que les salariés restent fiers de travailler pour cette entreprise et contribuent à son amélioration ?
Pouvez-vous préciser la répartition des rôles entre le directoire et le conseil de surveillance ? RFF n'offrait-elle pas plus de garanties d'impartialité, notamment dans la perspective de l'ouverture à la concurrence, qu'une structure présidée par un membre du directoire ? Que pensez-vous du rapport de M. Duron ? Seuls 4 % des conteneurs acheminés par nos grands ports maritimes sont transportés par la SNCF, et cette proportion diminue. Comment comptez-vous développer le fret ferroviaire ?
Il y a une trentaine d'années, vous étiez membre du cabinet du ministre de l'équipement et des transports. En 2014, après une carrière assez exemplaire dans le secteur privé, avez-vous retrouvé des points de blocage que vous aviez identifiés alors ? Existe-t-il encore des freins à l'évolution de l'entreprise ?
Les sous-traitants de rang 1 ou 2 ont parfois du mal à s'y retrouver. Quelle est la politique de la SNCF en matière de gares ? Le TGV s'éloigne de la capitale. S'articule-t-il mieux avec les TER ?
Ces nombreuses questions témoignent de l'attachement que nous avons tous pour la SNCF, comme de notre inquiétude sur sa dette et la dégradation de son niveau de prestations. Comment redresser la barre ? En êtes-vous capable ? C'est un défi immense...
La SNCF jouit d'une culture d'entreprise très forte, qui suscite un engagement important de tous. Il me semble toutefois que la recherche des bonnes pratiques y est insuffisamment développée : il n'existe pas de dispositif interne pour les détecter et les répandre et, comme dans d'autres entreprises, on a tendance à considérer que ce qui se fait ailleurs est moins bon. Pourtant, en généralisant les meilleures pratiques à tout le groupe, on peut progresser très vite.
Nous sommes en train de bâtir des plans de performance qui stabiliseront la dette, non certes à son niveau actuel - car sa croissance annuelle atteint les trois milliards d'euros - mais avant qu'elle ne dépasse les 60 milliards d'euros. Nous disposons déjà de plans pour améliorer les process industriels au sein de SNCF Réseau : d'importants travaux de régénération du réseau, facilités par la suppression des tensions entre RFF et SNCF Infra, aideront au changement tout en réduisant le coût de la maintenance. Avec le regroupement, la capacité d'achat est améliorée. La digitalisation de SNCF Mobilités accroîtra sa performance tout en approfondissant la relation avec les clients. La stabilisation de la dette est donc possible. Mais pour l'heure, les 1,5 milliard d'euros de frais financiers à payer chaque année alourdissent considérablement le pilotage. J'espère que le rapport sur la dette, commandé pour 2017, abordera ce problème.
Comme je l'ai déclaré devant l'assemblée générale de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), la concurrence est déjà partout et elle est féroce : autocars, covoiturage, low-cost aérien... Certes, cette concurrence n'est pas ferroviaire, mais les coûts d'entrée y sont beaucoup plus faibles ! Loin de nous l'idée de refuser la concurrence ferroviaire. Mais nous devons avoir une idée précise du moment où elle sera lancée, afin de gérer la transition. L'autorité organisatrice des trains d'équilibre du territoire (TET) est l'État, mais le financement incombe à la SNCF. Il serait bon que vous en parliez avec le ministère !
La répartition des rôles entre le directoire et le conseil de surveillance est claire. Le président du directoire est président de SNCF Mobilités, le président délégué est président de SNCF Réseau. Leurs décisions pour l'Epic de tête seront donc cohérentes avec celles prises pour SNCF Mobilités et SNCF Réseau. Le législateur a fort bien fait de créer cette cohérence. L'indépendance de SNCF Réseau est garantie car son président est protégé par les textes. De plus, le directoire ne peut prendre de décision qu'unanimement. Il est prévu qu'en cas de désaccord le président du conseil de surveillance tranche, mais cela est fait pour ne pas servir ! Le conseil de surveillance ne se mêle pas de direction opérationnelle : il n'est ni un recours, ni un arbitre, mais un décideur stratégique.
Je suis convaincu que les progrès d'efficacité et de performance nécessiteront des partenariats avec les autres entreprises ferroviaires, françaises ou étrangères. Les contrats décennaux que la loi prévoit avec sagesse nous donnent la possibilité d'établir des partenariats de moyen terme. C'est l'occasion de bâtir un écosystème ferroviaire français, pour le matériel, les travaux ou le marketing, afin d'en faire un atout dans la compétition nationale : la SNCF a pour objectif que la part de son activité internationale passe de 25 % à 50 %. Nous devrons opérer un rééquilibrage entre dépenses de développement et dépenses de régénération.
Pourquoi la SNCF s'occupe-t-elle d'autre chose que du ferroviaire ? Chaque parcours est multimodal. Il est fondamental d'amener les passagers au train, par d'autres moyens de transport, y compris le covoiturage. Sinon, ils resteront en voiture jusqu'au point d'arrivée ! Concernant l'autocar, qui prendra comme en Allemagne très rapidement une part du marché, nous devons être présents avec une offre alternative.
Le cadre social comporte plusieurs étages, décret socle, qui ne dépend pas de nous, convention collective de branche et accord d'entreprise. Pour négocier la convention, nous devons convaincre les autres entreprises ferroviaires de nous confier mandat. Ce n'est qu'ainsi que nous créerons les conditions d'un écosystème ferroviaire, qui a besoin d'une convention collective plutôt que d'un décret plus étendu.
Le problème, c'est le temps. Vous nous avez fixé à juste titre juillet 2016 comme délai - nous ne devrons pas chômer. Nous ne pouvons pas être les seuls à la manoeuvre pour l'interpénétration entre les différents modes de trains, puisque l'autorité organisatrice est l'État pour les TET, la SNCF pour les TGV, les régions pour les TER. Une vue globale est indispensable, notamment face à la concurrence d'autres modes de transport. Un investissement de 2,5 milliards d'euros est prévu pour faire des gares un outil d'aménagement urbain, un lieu d'offre de train et un lieu de vie pour les clients. Un rapport nous dira ce qui est préconisé en cette matière.
Je vous remercie. Tous nos voeux de réussite vous accompagneront si vous êtes nommé, car nous sommes très attachés à la SNCF.
Nous sommes heureux d'accueillir M. Pepy, candidat au poste de président du directoire de la SNCF.
Vous êtes bien connu dans cette maison. Le hasard veut que l'actualité ferroviaire soit riche : utilisation du 49-3 pour valider la loi Macron, qui soumet le transport ferroviaire à la concurrence de l'autocar ; non-annonces du gouvernement sur les suites du rapport Duron ; mise en place des grandes régions ; situation sociale de l'entreprise ; évolution du fret. Au-delà, les usagers du train que nous sommes ont parfois le sentiment que la qualité des prestations n'est pas à la hauteur des attentes des voyageurs - le tout dans le contexte financier que l'on sait. Comment envisagez-vous d'améliorer la situation et de relever les défis qui vous attendent ?
Je suis intérimaire et pressenti pour être président-directeur-général de SNCF Mobilités et président du directoire. Un mot d'abord sur les trois responsabilités qui incombent au premier, sous réserve des décisions du conseil de surveillance.
La première priorité est de remettre à niveau les transports de la vie quotidienne. Nous avons déjà démarré : il y a beaucoup de travaux sur le réseau, la situation du RER s'améliore et la stabilisation de la facture TER pour les régions est entamée. Mais il faut aller plus loin. Je proposerai au conseil de surveillance de prendre la lutte anti-fraude à bras-le-corps, d'accélérer le développement des nouvelles technologies et de faire un nouvel effort de productivité pour baisser la facture des régions, qui ne peuvent plus payer autant. C'est sur les transports de la vie quotidienne que la SNCF est au coeur de la vie des gens, et qu'elle est attendue par les élus et les territoires.
Deuxième priorité, le train pour tous et le porte à porte. Le train est vécu comme trop cher, alors même que la collectivité prend en charge 70 % des coûts du TER et du Transilien. Il faut donc baisser les coûts pour baisser les prix, comme nous l'avons fait pour les Intercités et les TGV avec Ouigo, sans perdre d'argent. Le porte à porte existe déjà dans le fret et la logistique, d'usine à centre de stockage ou à point de vente. Pour les voyageurs, c'est une nouveauté ; ils veulent désormais être transportés non plus de gare en gare mais d'adresse à adresse. Notre métier s'étend, même si son coeur reste le ferroviaire. La SNCF n'est plus seulement le train, mais aussi les vélos en libre-service, le covoiturage, la location de voiture entre particuliers, les voitures électriques en gare, etc. Les mobilités partagées représentent 15 % des kilomètres parcourus, mais passeront à 30 % d'ici 2025. Le voyage connecté sera la capacité à combiner les différentes offres, avec un pass unique sur smartphone, pour tous les modes de transport, dont le bus.
La troisième priorité, c'est l'international. La SNCF est déjà un groupe d'envergure internationale, qui réalise y 30 % de son activité : cela nous rapporte de la croissance, de l'emploi et du bénéfice. Nous pouvons faire mieux, notamment en matière d'ingénierie, en faisant de notre filiale commune avec Systra le leader mondial ; accélérer au Moyen-Orient, où nous travaillons avec Alstom, Faiveley et des ETI françaises, mais aussi aux États-Unis, où il faut être présent pour être à la hauteur de nos concurrents allemands. L'objectif est de réaliser d'ici une dizaine d'années 50 % de notre chiffre d'affaires à l'international. Pour les activités fret, nous en sommes déjà à 40 % ; notre premier client, Arcelor Mittal, nous voit comme un opérateur européen.
J'en viens aux principaux problèmes à résoudre. D'abord, améliorer la qualité de service avec un tel niveau de travaux sur le réseau. Nous avons assaini le fret ferroviaire, au prix de cinq années d'efforts et de 6 000 suppressions de postes ; nous devons maintenant repartir en conquête, car c'est un secteur d'avenir. Sur l'ouverture à la concurrence, nous n'avons pas changé de position. Le pire service à nous rendre serait de nous faire basculer dans la concurrence du jour au lendemain, sans qu'aient été tranchées au préalable les questions de la régulation, du régime social des salariés, de l'expérimentation, de l'introduction progressive de la concurrence... Bref, ne réitérons pas l'expérience du fret !
Passons aux responsabilités du président du directoire. Depuis la loi du 4 août, nous avons beaucoup travaillé sur la mise en oeuvre de la réforme, en veillant à respecter les règles européennes sur la non-discrimination et les facilités essentielles du gestionnaire d'infrastructure. Rappelons que l'Allemagne est le pays où le chemin de fer est le plus intégré - avec non pas trois mais un seul patron, Rüdiger Grube - mais aussi le plus ouvert à la concurrence : 30 % du trafic TER ne revient pas à la Deutsche Bahn.
Nous devons rénover le pacte social d'ici le 1er juillet 2016 : cela suppose un décret, une convention collective, un projet d'entreprise. L'objectif est de rendre le rail plus compétitif et d'éviter que la SNCF ne décroche vis-à-vis du secteur privé. C'est un enjeu vital, l'avenir de la SNCF s'y joue. Nous avons trois sujets de négociation avec les syndicats : les métiers, aujourd'hui trop cloisonnés, et qu'il faut conserver tout en introduisant de la polyvalence ; l'accord sur les 35 heures, ce qui n'est pas facile ; la réorganisation du travail sur le terrain, pour gagner en compétitivité. Et tout cela, d'ici juillet 2016 !
Nous vous connaissons. Entré à la SNCF en 1989, vous y êtes toujours ; j'en déduis que vous êtes un homme de grande qualité. Vous avez pourtant évoqué des difficultés, comme le besoin d'avoir une meilleure qualité de service. J'ai ici une pétition de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut), pour sauver le train. Les usagers se plaignent des infrastructures et des matériels, en particulier dans ma région, avec les naufragés du TER. Je cite Nice-matin : « trop larges, les rames sont aussi trop hautes pour les tunnels » ! Il y a beaucoup de travaux, c'est vrai, mais nous avons dépensé plus de 150 millions d'euros pour une troisième voie entre Antibes et Cagnes-sur-Mer qui devait tout changer, or le service fonctionne aujourd'hui beaucoup moins bien, avec moins d'arrêts qu'avant en gare de Cagnes... Difficile, dans ces conditions, d'atteindre une qualité de service satisfaisante.
Je ne fais que citer une gare des Alpes-Maritimes.
On sait depuis 1991 que l'ouverture à la concurrence est une réalité dans le paysage européen, or nous en sommes encore à dire : « Encore un instant, monsieur le bourreau ! » Comment la SNCF s'y prépare-t-elle ? Êtes-vous prêt ?
Vous avez présenté, avec le talent qu'on sait, les ambitions du président du directoire par intérim. J'y suis plutôt favorable. Vous n'avez cependant pas parlé de la dette. Qu'envisagez-vous pour réduire ce poids terrible ? Autre problème majeur : la sécurité. Je ne parlerai pas des gares et des lignes de la région Centre...
J'ai travaillé sur la convention relative à l'exploitation des trains d'équilibre du territoire (TET), ce qui m'a beaucoup marqué. Le ministre nous a fait connaître ses ambitions mardi, mais j'ai été déçu par la faible ampleur des commandes de matériel. Je le dirai au gouvernement : il faut un programme interministériel plus ambitieux, la SNCF y trouvera son compte. Face à l'explosion des modes de transport concurrents, il faut des outils performants pour attirer les utilisateurs. Quelles seront vos exigences dans le cadre de votre convention avec l'autorité organisatrice de transports qu'est l'État ?
Nous connaissons vos qualités et votre parcours. Je vous repose la question que j'ai posée à M. Saint-Geours : comment redonner aux voyageurs le goût du train ? Vous avez parlé de diminuer les coûts. Allez-vous vous contenter de réduire les coûts de fonctionnement ou augmenter votre capacité d'investissement ?
La suppression de lignes de TET, préconisée par le rapport Duron, se traduira par une baisse du nombre de voyageurs et des inégalités croissantes entre territoires, au détriment des plus ruraux : baisse des cadencements, absence de travaux sur les lignes, tout cela contribue à détourner les voyageurs du train. Au bout du compte, on ferme les lignes, faute de voyageurs. C'est une spirale infernale. Remettons plutôt des voyageurs sur les lignes et modernisons-les !
Il y a un manque de volonté de développer le fret, alors qu'il serait un mode idéal pour transporter des céréales, par exemple, préférable à la multiplication des semi-remorques. Enfin, question plus iconoclaste : vous êtes entré à 31 ans à la SNCF ; quelle est votre motivation à y rester ?
Vous serez président de SNCF Mobilités, mais aussi du directoire : quelle est la part de chacune des deux entités dans ce directoire ? Vous dites que 70 % du coût des TER est assuré par les collectivités, mais aussi que 30 % de l'activité et une bonne part des bénéfices de la SNCF se font à l'international. Les collectivités participent-elles dans les mêmes proportions à l'étranger ? Comment expliquer ces bénéfices ?
Sans parler de ma gare, je parlerai de ce que j'y ai vu ce matin : mon train était à 7 h 18 ; trois minutes avant, on annonçait 20 minutes de retard - et on voyait passer deux TER, à quelques minutes d'intervalle, qui faisaient exactement le même trajet...
La concurrence est-elle véritablement honnête ? Est-il vrai que les concurrents de la SNCF utilisent des tractions thermiques sur des lignes électrifiées ? Et la SNCF ? A l'approche de la COP 21 ? Cela me paraît une question importante.
Au cours de la canicule, le matériel a souffert, les trains étaient en panne de climatisation. Y a-t-il une fragilité particulière ? Que prévoyez-vous pour y remédier, sachant que ces situations sont appelées à se reproduire ?
Le développement du fret ferroviaire en France est-il une réalité ? Le système du wagon isolé a été cassé et il sera difficile d'y revenir, malheureusement.
Enfin, nous avons vu circuler un document de travail de la SNCF sur les TET, encore plus radical que le rapport Duron : avez-vous demandé beaucoup pour obtenir un peu ?
Ces questions traduisent notre attachement à la SNCF, mais aussi nos inquiétudes. Nous avons souvent une vision trop hexagonale de cette grande entreprise internationale ; merci de nous rappeler cette dimension.
Permettez-moi une question impertinente : lorsqu'on change une structure, ne faut-il pas changer aussi son président ?
Sur les 5 950 000 trains qui circulent chaque année en France, la régularité est de 91 %, toutes catégories confondues. On peut regretter que 560 000 trains aient un retard - ou se réjouir que 4,6 millions de trains arrivent à l'heure. Il faut savoir resituer les choses : la part de notre chiffre d'affaire réalisée à l'international est passée de 12 % dans la période 2005-2007 à 30 %, et nous prévoyons d'atteindre 35 % d'ici 2017. C'est grâce à son image d'excellence que la SNCF remporte autant de marchés. La capacité française à s'auto-flageller et à flageller ses industriels confrontés à une concurrence féroce est délétère. Dire que les trains d'Alstom ou de Bombardier sont trop larges, trop hauts, quand ils ne sont pas tordus, affaiblit l'industrie ferroviaire française sur les marchés mondiaux.
L'ouverture à la concurrence relève d'abord du Parlement français : puisqu'il faut faire évoluer la loi d'orientation des transports intérieurs (Loti) pour la mettre en place. Un responsable d'entreprise publique n'a pas à faire de la politique. Nous faisons simplement observer que ne rien faire jusqu'à la date de l'ouverture, comme on a procédé pour le fret, est le pire service à rendre à une entreprise qui vous appartient, à vous représentants de la Nation. Expérimentation, progressivité, peu importe, il faut que le débat s'instaure et que l'on cesse de se voiler la face.
La concurrence ne peut pas être pure et parfaite en matière ferroviaire : nous ne vendons pas des yaourts. Il faudra donc qu'il y ait une régulation, et fixer les règles. Aura-t-on le droit de ne prendre que les liaisons rentables, fera-t-on des lots de liaisons, reprendra-t-on ou non les personnels ? Nous souhaitons que ces questions soient mises à l'examen car il est crucial que nous disposions d'un calendrier.
Dans la loi du 4 août, la dette de SNCF Réseau et la dette de SNCF Mobilités ne sont pas consolidées, il n'y a pas addition des deux dettes. La loi est volontariste : au lieu de demander un simple rapport sur le traitement de la dette, elle prévoit que le gouvernement fera des propositions. Il y travaille.
Je rappelle que ce n'est pas le président du directoire qui détermine la stratégie de la SNCF, mais le conseil de surveillance, qui incarne l'ensemble des parties prenantes, dont l'État stratège. L'État a souhaité être lui-même autorité organisatrice pour les TET. Il décide donc des arrêts, des fréquences, du matériel - comme le fait le Conseil régional pour les TER desservant Cagnes-sur-Mer. Nous sommes ravis de faire des trains Intercités, mais avec quel argent ? Ils ne peuvent être financés par les seuls voyageurs. Le système actuel d'économie circulaire ne tiendra pas longtemps : le gouvernement nous donne d'une main ce qu'il nous prend de l'autre. Il faudra trouver un nouveau mode de financement. Idem pour le matériel ; si l'État décide d'acheter deux fois plus d'Intercités, nous assurerons ce service avec plaisir.
Les trafics ne baissent pas ; ils sont même légèrement à la hausse.
Oui, la hausse est d'environ 1 %, contre 3 à 4 % il y a quelques années. Pour redonner le goût du train, j'identifie deux leviers : améliorer le rapport qualité-prix et faire circuler de nouveaux matériels sur les Intercités et en région Île-de-France. Des trains qui ont quarante ans ne sont pas attractifs. Dans la plupart des pays, en Asie notamment, les trains sont climatisés...
Concernant le fret et le transport des céréales, Jacques Rapoport vous répondra sur les lignes capillaires.
Quelle est ma motivation pour un second mandat de cinq ans ? Certains choisissent de faire une grande partie de leur carrière dans une même entreprise : personne ne reprocherait à Jean-Louis Beffa d'être resté 33 ans chez Saint-Gobain. En toute humilité, je me situe dans cette logique de fidélité à l'entreprise. Dix ans, deux mandats permettent de faire ses preuves. Mais j'estime qu'il ne faut pas aller au-delà.
Merci, monsieur Revet, d'évoquer le changement de gouvernance. Le contrôle du conseil d'administration sur le PDG était une plaisanterie : c'est moi qui le présidais ! Ce n'est pas le cas dans le nouveau système, à l'allemande. La direction dirige, le conseil de surveillance détermine la stratégie et contrôle la direction. Ce système redoutable a fait ses preuves : en Allemagne, le tout-puissant président du directoire de la Deutsche Bahn est interrogé par le conseil de surveillance tous les deux mois, pendant une journée entière.
Madame Didier, la restructuration du fret porte ses fruits. Les pertes ont été réduites des quatre cinquièmes. Nous repartons à la reconquête d'un marché où nous sommes en concurrence avec dix-huit opérateurs. Le wagon isolé n'a pas été abandonné : lorsqu'Arcelor Mittal va chercher des marchandises à Saint-Chély d'Apcher, c'est par wagons isolés. Mais les modes de production ont changé, il n'y a plus de gigantesques triages. Nous devons nous développer à l'échelle européenne.
La règle à la SNCF est que le bénéfice réalisé à l'étranger doit être au moins égal à la proportion du chiffre d'affaires : les activités à l'étranger doivent être au moins aussi rentables que les activités en France. C'est le cas aujourd'hui. Nous sommes présents dans les pays du Golfe, aux États-Unis, en Australie, en Chine, en Inde, où l'expertise française est bien rémunérée. Le système de financement dépend partout largement des collectivités locales. Certains pays financent l'infrastructure, comme l'Allemagne, d'autres, comme le Royaume-Uni, subventionnent l'opérateur ferroviaire, qui rémunère à son tour le gestionnaire du réseau. De manière générale, l'infrastructure routière - hors autoroutes - est financée à 100 % par l'argent public, alors que l'infrastructure ferroviaire l'est à 70 % par la collectivité et à 30 % par les usagers. Sur un billet de TGV à 100 euros, 38 euros vont au gestionnaire de l'infrastructure.
Dans la future convention entre l'État et la SNCF sur les TET, nous poserons trois conditions : qu'elle soit équilibrée financièrement, avec un financement sain et non circulaire - je ne connais pas de délégation de service public financée en fin de compte par le délégataire ! Il faut également un plan de renouvellement du matériel, sans lequel nous ne pourrons pas redonner le goût du train. Nous voulons enfin une autorité organisatrice forte, comme le sont les régions, qui connaissent vraiment les sujets. L'État doit se donner les moyens de ses ambitions.
Je vous remercie et vous souhaite bon courage, dans l'hypothèse où vous seriez renouvelé.
M. Jacques Rapoport est candidat aux fonctions de président délégué du directoire de la SNCF et de président de SNCF Réseau, c'est-à-dire de la structure qui compte le plus de défis à relever, à commencer par le vieillissement du réseau qui pose parfois des problèmes de sécurité. Vous avez à réunir au sein de SNCF Réseau plusieurs activités menées auparavant par RFF, SNCF Infra ou la Direction de la circulation ferroviaire, ce qui constitue une complication supplémentaire. Quelles sont vos priorités pour SNCF Réseau ? Que changeront-elles à vos relations avec SNCF Mobilités ? Quelles sont les conséquences des mesures législatives en cours d'adoption telles que la libéralisation des autocars et qu'en est-il de la présentation du rapport Duron ? Comment s'articuleront SNCF Réseau et l'EPIC de tête dont vous serez président délégué du directoire ? Convainquez-nous que vous êtes l'homme de la situation...
Vous me lancez un défi redoutable. Je suis candidat aux postes de président délégué du directoire de la SNCF et président de SNCF Réseau. Bien que l'histoire ait abondamment montré que changer les organisations pouvait déplacer les problèmes mais les réglait rarement, notre ambition est de redresser la qualité de service pour les usagers, passagers ou chargeurs, et de rétablir une situation financière très périlleuse. La solution de la loi est de remettre à l'endroit une organisation renversée par la séparation de la roue et du rail, ce qui n'était pas pertinent pour un transport guidé de bout en bout. Le métier des infrastructures était également coupé en trois, ce qui avait des conséquences négatives.
En tant que candidat au poste de président délégué du directoire, je dirai que la mise en place du groupe, lancée dès le vote de la loi, se passe bien. Cela n'avait rien d'évident. Beaucoup de fusions échouent à cause de différences de culture, qui sont ici considérables. L'opérateur historique est pétri de traditions, dans ce qu'elles ont de positif - un savoir-faire irremplaçable - et de moins positif - une réticence à l'adaptation. Il fusionnait avec un établissement tout récent, âgé de 17 ans, composé de jeunes diplômés à l'esprit de transformation beaucoup plus poussé mais aux compétences techniques bien moindres. Moins d'un an après le vote de la loi et une semaine après sa mise en oeuvre, c'est un succès. Les différences s'additionnent et se complètent au lieu de s'opposer.
Il est trop tôt pour que les parlementaires en recueillent les fruits. Néanmoins, en matière de sécurité, les plans d'action établis après l'accident de Brétigny-sur-Orge sont complètement dynamiques. L'organisation précédente aurait rendu impossible la construction des plans intégrés entre différents métiers du ferroviaire.
Guillaume Pepy et moi-même nous sommes félicités ce matin avec deux organisations syndicales signataires de l'accord d'intéressement pour tout le groupe, qui s'appliquera dès 2015. Les débats à ce sujet avaient débuté en 2005 et échoué jusqu'à présent. Un des défauts du système précédent était la coupure dans les affaires immobilières, qui intéressent beaucoup les élus.
Ne provoquez pas les élus, à qui on a demandé de ne pas parler de leurs gares...
En matière de gares, le groupe parle désormais d'une seule voix, ce qui facilite les choses. Les premiers éléments révélant la création de valeur de la constitution unique de ce groupe commencent à se manifester. Tout se fait dans le parfait respect de l'égalité d'accès, sous le contrôle de l'Araf, qui ne nous a adressé aucune critique à ce sujet. Bref, ce qu'a voté le législateur se met en place.
L'état technique du réseau ferré et son état financier, dégradé, sont des sujets difficiles. Si le législateur a décidé d'une réforme, c'est parce que le système marchait mal.
Le fil rouge des rapports, depuis celui de l'École polytechnique fédérale de Lausanne en 2005 jusqu'au tout dernier après Brétigny, en passant par celui que le Sénat avait commandé à la Cour des comptes, est que le réseau a anormalement vieilli. Environ 15% des 14 000 kilomètres les plus empruntés, soit la moitié du réseau, sont considérés hors d'âge. Sans être dangereux, ils auraient dû être renouvelés plus tôt. Il en est résulté une hausse des ralentissements d'un tiers depuis quatre ans. La situation est plus difficile encore sur les voies régionales. Les minutes perdues du fait des incidents ont augmenté de 40 %.
Le réseau ferré national étant un monopole naturel, il ne sait pas se comparer à l'extérieur, ce qui est indispensable. Il existe cependant une plateforme européenne des gestionnaires d'infrastructures ferroviaires, PRIME. L'âge moyen des voies et des aiguillages est de 33 ans en France contre 20 ans en Allemagne. Nous investissons 2,5 milliards en renouvellement contre 3,5 milliards pour les Britanniques dont le réseau est plus petit d'un tiers. Les Allemands, dont le réseau est légèrement plus grand, viennent d'obtenir l'augmentation de ce budget de 3 à 4 milliards par an. La contrepartie est une moindre maintenance courante : 1,7 milliard par an, contre 2 milliards en France. Le vieillissement du réseau dégrade la qualité et la productivité en accroissant le coût de la maintenance. Dernier élément du diagnostic : au total, nous investissons plus que les Allemands dans le réseau ferré puisque notre volume de développement, qu'il s'agisse des quatre LGV en construction ou des contrats de plan État-région (CPER), représente 3 milliards par an contre 1 à 1,5 milliard par an en Allemagne.
Ces projets de développement ont pour conséquence la saturation de l'appareil de production de travaux. Augmenter les effectifs ou la sous-traitance est faisable pour la construction de nouvelles lignes, mais plus délicat en maintenant la continuité du service sur un réseau marqué par cent ans de strates technologiques successives. Le savoir-faire des cheminots est sans équivalent. L'augmentation de la sous-traitance, dont je suis partisan, ne peut être que progressive. La nécessaire création d'un tissu industriel d'entreprises compétentes en travaux ferroviaires sur réseau exploité demande du temps. Les effectifs, eux, augmentent depuis quatre ans, mais les temps d'acquisition des compétences sont longs, en raison de ces strates technologiques. Enfin, notre réseau ferré, en étoile, compte très peu de voies d'évitement en cas de travaux et il est compliqué de couper des lignes très empruntées.
Vous pensez sans doute, après ce diagnostic, que je n'ai plus que mes yeux pour pleurer ? À moyen terme, la mise en place d'un groupe public ferroviaire offre les moyens de répondre à cette situation. Nous devons donner la priorité au renouvellement. Nous ne sommes pas hostiles au développement, mais il n'est pas possible de tout mener de front. Il faut une politique industrielle dynamique, ce que SNCF Réseau rend possible avec l'industrialisation des travaux, le développement d'un savoir-faire externe, le déploiement des innovations, notamment numériques. Si la situation est délicate, les solutions existent à condition d'avoir de la visibilité à moyen terme, ce que vous avez prévu dans la loi, avec le contrat de performance pour lequel mon impatience est grande...
Le redressement financier, ensuite. Notre dette explose depuis 2011, à un rythme de 3 milliards d'euros par an. C'est simple : quand on dépense plus que ses recettes, on s'endette. La dette est due à une très forte croissance des investissements techniques, en raison de ressources d'investissement trop faibles pour l'accélération du renouvellement et le grand nombre de projets de développement. La situation, sur le papier, n'est pas mauvaise. Les péages étant relativement élevés en France, les recettes commerciales couvrent totalement les dépenses de fonctionnement : nous atteignons le petit équilibre. La redevance d'accès de l'État et du Stif, fournit 2 milliards d'euros d'autofinancement, ce qui n'est pas suffisant. Cette somme, tout de même très importante, est malheureusement consommée par les frais financiers. L'autofinancement net des investissements est de quelques centaines de millions d'euros pour des investissements de six à sept milliards d'euros par an. La dette vient polluer un système de financement assez sain.
Nous avons trois solutions. La première est la règle d'or inscrite dans la loi ferroviaire et la loi Macron : en imposant que l'investissement de développement soit financé par ceux qui le demandent, elle supprime 1,5 milliard de dette supplémentaire par an.
La deuxième est d'améliorer la productivité. Je me suis engagé sur 500 millions d'euros de gains de productivité au cours des cinq premières années de SNCF Réseau. Nous allons les faire, parce que maîtriser complètement son activité offre au gestionnaire d'infrastructure une visibilité autorisant des plans industriels d'efficacité - la situation de Nantes-Saint-Gilles et Nantes-Pornic ne se reproduira plus dans un système intégré. Dans la deuxième moitié du contrat décennal, la productivité sera différente puisque les dépenses de maintenance auront baissé.
La troisième solution, sans parler de la réinternalisation des résultats de SNCF Mobilités, est de régler le problème de la dette. Nous sommes en mesure de stabiliser la dette en 2025. D'ici là, elle augmentera à un rythme plus lent, en raison des investissements forts.
Vous avez rappelé les rapports sur l'état catastrophique du réseau. La situation à laquelle vous essayez de faire face est très difficile. Vous dites que le gestionnaire unifié des infrastructures est positif. Notre soutien est unanime, comme il l'est à la priorité que vous donnez au renouvellement plutôt qu'au développement.
Vous, qui êtes inspecteur général des finances, dites que la dette sera stabilisée dans dix ans. Jusqu'où augmentera-t-elle encore ? Quel est son montant actuel ? J'ai entendu le chiffre d'environ 45 milliards d'euros. Les frais financiers de 1,5 milliard par an plombent les comptes.
Le ministre n'est pas pressé que le marché soit ouvert à la concurrence. Les opérateurs de fret alternatifs se plaignent toujours de la difficulté à accéder au réseau. Quel est l'avenir du fret, ouvert à la concurrence il y a dix ans ? De nombreux travaux dégradent la qualité de service, qui ne s'améliore pas lorsqu'ils sont terminés. Dans ma région, la troisième voie a coûté 150 millions, le service n'est pas à la hauteur. Enfin, qu'entendez-vous faire dans le domaine du grand plan de modernisation du réseau (GPMR) ? L'industrie française en attend beaucoup.
Votre présentation maîtrisée a répondu par avance à nombre de questions. Quels sont vos rapports avec l'Araf ? Vous avez évoqué la mise en place de la nouvelle organisation. Nous avons reçu beaucoup d'informations sur les refus du président de l'Araf, mais pas sur d'éventuelles acceptations. En avez-vous ? L'interopérabilité des réseaux européens est-elle réalisée ou reste-t-il beaucoup à faire ? Quant à la sécurité, le ministre avait expliqué en début d'année que l'essentiel des moyens d'investissement seraient déployés sur le réseau francilien. Les avez-vous reçus ?
Avez-vous des objectifs en prévision de la COP21 ? Faites-vous en sorte que des machines électriques, et non diesel, circulent sur le réseau électrifié ?
Votre projet de gains de productivité de 500 millions d'euros n'est possible qu'avec l'assentiment des personnels. En avez-vous parlé avec les syndicats ? L'accident de Brétigny a démontré des défaillances dans la maintenance du réseau. Le risque existe-t-il toujours sur certains points du réseau ?
Quelles sont vos solutions pour un fret ferroviaire plus actif, plus efficace ? C'est très demandé au coeur de notre pays. Quel est votre point de vue sur l'aménagement du territoire ? Les opérateurs de télécommunication s'installent là où ils seront rentables. Ferez-vous de même, laisserez-vous tout un territoire isolé du ferroviaire ? Qui décidera demain de la faisabilité des projets ? Vous avez la main lors du débat public, puis pour le choix proposé. Quelles relations souhaitez-vous entretenir avec les collectivités territoriales ? On a parfois l'impression que RFF a déjà arrêté son idée et que le débat public n'est organisé que pour la forme, sans que les élus soient entendus.
Les affiches vantaient jadis un trajet de deux heures entre Étretat et Paris ; Le Havre est maintenant à deux heures dix de Paris. On parle depuis des années de la LGV Normandie. Peut-on imaginer des voies dédiées utilisant les gares de triage ?
On voit l'hôpital de Caen de la tour du Havre, mais en train, il faut passer par Rouen... Pourrait-on construire un tunnel sous l'estuaire ? J'ai été le rapporteur de la loi sur les ports maritimes. Ne pourrait-on mieux utiliser les gares de triage où l'on voit rarement des trains, notamment en direction de la région parisienne ?
Sénateur de la Vendée, j'ai noté que vous avez cité l'exemple des lignes Nantes-Pornic et Nantes-Saint-Gilles-Croix-de-Vie, belle station balnéaire dont la population passe de 8 000 à 70 000 habitants l'été. La restauration de 86 kilomètres de cette ligne a coûté 108 millions, dont la moitié pour les collectivités territoriales. L'inauguration, fixée le 5 juillet - les cartons étaient arrivés ! - a été reportée au mois de septembre pour des raisons clairement présentées par SNCF Réseau. Les trains circulaient à moins de 60 au lieu de 140 kilomètres heure. Ce retard met en difficulté les communes accueillant des touristes. Comment éviter ce type de désagréments ?
La dette de SNCF Réseau est de 37 milliards d'euros. Celle de SNCF Mobilités est une dette industrielle normale : un opérateur dégageant 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires finance une partie de ses investissements par de la dette. Le total, de 44 milliards d'euros, est juste arithmétiquement, mais pas économiquement. La dette de SNCF Réseau est maastrichtienne à hauteur de 10 milliards d'euros. Elle est autant une dette de l'État qu'une dette ferroviaire.
Elle est née du fait que nos investissements n'ont pas de ressources...
alors qu'ils sont subventionnés dans les autres pays d'Europe.
Les deux milliards d'euros de redevance d'accès équivalent, économiquement parlant, à une subvention d'investissement, mais les trois quarts sont consommés par les frais financiers. De fait, les investissements sont financés par de la dette. Celle-ci sera de 51 milliards d'euros en 2025. Les 14 milliards supplémentaires viennent d'abord des quatre LGV en construction, de la suspension des paiements de certains financeurs, à commencer par l'Afitf (Agence de financement des infrastructures de transport de France). Le retard de paiement s'élève à 400 millions d'euros pour Strasbourg et Tours-Bordeaux. Une collectivité m'a même assigné en remboursement des sommes déjà réglées. Nous proposons au gouvernement, dans le cadre du projet de performance, un transfert partiel des investissements du développement vers le renouvellement. Le budget d'investissement de SNCF Réseau doit baisser de 7 milliards d'euros à 5,5 ou 6 milliards d'euros, dans un budget qui baisse globalement. Le renouvellement n'étant pas autofinancé, il génère mécaniquement de la dette.
Il peut arriver que la qualité de service ne soit pas au rendez-vous ; gardons-nous d'en faire une généralité. L'entreprise n'ayant pas investi sur le réseau pendant vingt-cinq ans. Elle a perdu son savoir-faire industriel. Nous avons piétiné pendant un an pour le plan rail Auvergne, qui représentait 800 millions d'euros d'investissement, avant de nous remettre à niveau. Nous devons retrouver notre savoir-faire industriel. C'est la mission du président de SNCF Réseau.
Toutes les leçons de Brétigny ont été tirées en matière de sécurité. Les Suisses, les meilleurs d'Europe, ont subi en dix-huit mois quatre accidents impliquant des victimes physiques. En la matière, la première qualité est l'humilité, avec la vigilance absolue. La sécurité est inscrite dans les gènes des cheminots. Personne ne s'en désintéresse.
La situation du fret est difficile. Le niveau de péage payé par les entreprises de fret est plutôt compétitif à l'échelle européenne. Nous sommes en haut de la fourchette pour les voyageurs, dans la moyenne voire un peu en dessous pour le fret. Le premier problème est le réseau en étoile et l'augmentation de l'offre TER, qui nous impose des travaux de nuit, c'est-à-dire lorsque les trains de fret circulent. La solution est l'industrialisation des travaux, la coactivité, la réalisation de plusieurs chantiers en même temps. Le capillaire fret n'est pas non plus accessoire : 30% du fret commence ou s'achève sur un capillaire. Le réseau est en très mauvais état. Les solutions ne seront trouvées que localement. Au niveau national, ce serait la guerre des principes des uns contre ceux des autres. Le ministre a dégagé 30 millions d'euros sur trois ans, soit un gros tiers de la remise à niveau, qui nécessite 20 à 25 millions d'euros par an. Les chargeurs doivent aussi participer. Les péages fret couvrent 15% du coût. Un train-kilomètre coûte 15 euros à SNCF Réseau, le péage n'étant que d'1,70 à 1,80 euro. On nous a reproché d'envisager un renouvellement trop cher. Nous l'estimons à 300 000 euros par kilomètre de capillaire - contre 1,5 million d'euros sur le réseau principal. On nous rétorque qu'il est possible de baisser ce coût à 100 000 euros. Nous travaillons avec Colas et Europorte. La différence vient de la pérennité attendue. Pour des voies fiables pendant quinze ans, le tarif de 300 000 euros ne suffirait même pas. Je suis partisan de joint ventures avec les industriels pour avancer dans ce domaine.
Le GPMR et la relation avec les industriels sont au coeur de notre projet réseau 2020, qui repose sur l'industrialisation, l'externalisation et l'innovation. Les compétences pour les travaux sur réseau exploité n'existent pas à l'extérieur, actuellement : vous aurez du mal à trouver un opérateur extérieur pour remettre à niveau la ligne Toulouse-Tarbes. Nous devons, avec le contrat de performance, voir l'avenir plus clairement pour entrer dans un dialogue partenarial avec des industriels qui acquerront des compétences. Les Chinois ne sont pas intéressés par nos TGV. En revanche, ils sont intéressés par le vieillissement, dont ils n'ont pas l'expérience.
La notion d'État-stratège est inscrite dans la loi. Le rôle d'un opérateur comme SNCF Réseau est d'aider les pouvoirs publics à préparer les décisions stratégiques puis de les mettre en oeuvre. Nous apportons une expertise. Les élus peuvent considérer que nous en avons un quasi-monopole. Mais de grandes sociétés d'ingénierie, pour la plupart publiques, peuvent challenger notre expertise. Le Stif le fait et j'ai suggéré à l'Association des régions de France (ARF) de créer son bureau d'études. J'en serais ravi, même si elle débauche nos ingénieurs, parce que cette concurrence est une façon de progresser.
M. Mandelli a cité nos difficultés. Il est insupportable de planter des lignes desservant des stations balnéaires à la veille de la saison estivale. Je me suis immédiatement rendu sur place. Nous avons diligenté un audit et garanti la prise en charge de la totalité des coûts. L'indignation des élus est parfaitement légitime. Nous aurons à résoudre une par une d'autres vieilles affaires nées de la guerre entre RFF et la SNCF : comme je l'ai dit devant l'ARF, il y a des cadavres dans les placards. Il n'y en aura plus.
La COP 21 offre une occasion unique de valoriser le transport public et le mode électrique. Nous veillerons à transporter tous les acteurs de cette conférence : vous verrez, madame Didier, une SNCF déterminée et active...
mais non triomphante. L'interopérabilité est un sujet fondamental. L'Europe du rail n'existe pas, parce que pour des raisons de sécurité et de défense nationale, chaque pays avait choisi un système non compatible avec celui de ses voisins. L'interopérabilité commence à exister, même si chacun a une version différente du système européen de surveillance du trafic ferroviaire (ERTMS). Nous allons, à la demande du gouvernement, l'implanter sur le corridor fret qui va du Luxembourg à la Suisse ; la dépense est évaluée à 250 millions d'euros, mais il peut y avoir des surprises - nous rendons des financements sur la LGV-Est ! En outre, l'ERTMS est un système de contrôle de la vitesse des trains ; or toutes nos lignes, sauf la ligne de la Roya, sont équipées d'un contrôle de vitesse. Qui finance ? Jusqu'à présent, la dette de SNCF Réseau.
Nos relations avec l'Araf sont de deux ordres. Pour les péages, elle nous met l'épée dans les reins à propos des sillons. En principe, certains sont fermes et d'autres à l'étude, mais il arrive que les fermes ne le soient pas complètement, de sorte que les menaces de pénalités sont utiles à la qualité du service. À partir de cette année, le régulateur donne, par ailleurs, son avis sur les enjeux financiers de SNCF Réseau ; je suis ravi qu'il regarde notre dette, le financement des investissements, l'équilibre maintenance courante-renouvellement. Nous commençons avec le budget 2016 que nous ne pourrons adopter définitivement qu'après l'avoir transmis à l'Araf.
Quant à la productivité, les 500 millions d'euros de gains seront réalisés grâce à la mise en place du gestionnaire d'infrastructure unifié, à conditions de travail inchangées. Au demeurant, les cheminots, qui ont la culture du travail, ne comptent pas leurs heures et sont les premiers à souffrir des dysfonctionnements.
Il n'y a aucune résistance sociale, au contraire, à des relations de long terme avec les fournisseurs, à une meilleure organisation des chantiers, ou à l'introduction du numérique. La question du cadre social et de la convention collective est différente.
Il ne me reste qu'à vous remercier de vos réponses avant de vous raccompagner et d'ouvrir le vote.
La commission procède aux votes sur les candidatures de M. Frédéric Saint-Geours, proposé aux fonctions de président du conseil de surveillance de la SNCF, de M. Guillaume Pepy, proposé aux fonctions de président du directoire de la SNCF, et de M. Jacques Rapoport, proposé aux fonctions de président délégué du directoire de la SNCF, en application de l'article 13 de la Constitution.
Voici les résultats des scrutins. Pour la candidature de M. Saint-Geours : 11 voix pour et 1 abstention ; pour celle de M. Pepy : 12 voix pour et pour celle de M. Rapoport : 12 voix pour.
La réunion est close à 17 h 35.