Commission des affaires économiques

Réunion du 15 novembre 2016 à 9h30

Résumé de la réunion

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  • couverture
  • débit
  • innovation

La réunion

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La réunion est ouverte à 9 h 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Madame la Ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2017. En matière de numérique, elle est marquée par une ouverture d'autorisations d'engagement pour le déploiement du plan France très haut débit plus importante que ce qui était initialement prévu, à 409,5 millions d'euros au lieu de 150 millions d'euros. Alors que ce plan vient d'être validé par la Commission européenne, c'est un signal fort envoyé dans le contexte d'une attente toujours plus pressante du terrain, et qu'il importera donc de concrétiser dans les faits. L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) bénéficiera également d'une hausse de ses crédits afin d'effectuer ses nouvelles missions dans des conditions satisfaisantes, en lien avec la publication, le 8 octobre dernier, de la loi pour une République numérique. Au-delà de ces considérations directement liées à l'examen du projet de budget, nous souhaiterions connaître les évolutions récentes de la démarche « French Tech », notamment au regard de son ambition de voir naître en France les prochains Google. Plus largement, quelle régulation souhaitez-vous pour les grands acteurs du net, que l'on désigne généralement par l'acronyme « GAFA », pour Google, Apple, Facebook, et Amazon ? Enfin, j'imagine que vous nous direz quelques mots sur les propositions de réforme du « paquet télécoms » présentées par la Commission européenne le 14 septembre dernier, sous la forme notamment d'une proposition de directive établissant un code européen des communications électroniques et d'un plan pour le déploiement de la 5G. Après vos propos, je donnerai la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent intervenir.

Debut de section - Permalien
Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique et de l'innovation

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Rapporteurs, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de me recevoir. Je vous présenterai, à titre liminaire, les deux programmes relatifs au budget de mon ministère. Je reviens d''ailleurs de Bruxelles où j'ai pu m'entretenir sur ces sujets avec deux Commissaires.

L'économie, vous le savez, est l'une des grandes priorités de notre Gouvernement. Depuis 2012, nous nous attachons à développer un environnement favorable et les mesures que nous avons prises en ce sens sont nombreuses qu'il s'agisse du CICE, Pacte de responsabilité, Crédit Impôt Recherche, Crédit impôt innovation, renforcement du dispositif Jeunes entreprises innovantes, « choc de simplification », ou encore de la nouvelle génération du Programme des Investissements d'Avenir. Le choix du Gouvernement est de tirer l'économie par le haut, via la compétitivité-prix et la compétitivité-qualité qui suppose d'innover dans l'appareil productif et de recruter des personnes compétentes. Ils permettent à la France aujourd'hui d'avoir des résultats concrets. Je pense aux marges de nos entreprises qui sont passées de 29,4 % de la valeur ajoutée en 2014 à 31,3 % fin 2015. Ces marges retrouvées ont permis de relancer l'investissement des entreprises qui a progressé de 2,8% en 2015 et dont la hausse devrait être de 4 % cette année. Ces critères peuvent être mis en avant et nous permettre de penser que la France se situe au-dessus de la moyenne européenne en matière de croissance économique. Les crédits de la mission « Économie » s'inscrivent dans cette politique économique volontariste. Ils ont, je le rappelle, pour but de favoriser la mise en place d'un environnement propice à une croissance durable et équilibrée de notre économie. C'est parce que l'économie est une priorité que le Gouvernement a souhaité préserver les crédits de cette mission : les moyens alloués à la mission en 2017 s'inscrivent dans les grandes orientations du budget triennal 2015-2017, et connaitront en 2017 une quasi-stabilité par rapport au budget 2016. Cette mission est en effet essentielle pour le Gouvernement, car elle permet à l'État d'être auprès des acteurs de notre économie et ainsi de les aider sur le chemin de la reconquête économique et industrielle.

Le montant des crédits du budget est ainsi maintenu à 1,6 milliard d'euros. Ceux-ci permettent de conforter les différents acteurs qui sont au service de nos entreprises - je pense ici notamment à la DGE, la DGCCRF, BpiFrance ou encore Business France - et qui contribuent plus particulièrement au développement de nos PME et ETI. La mission participe également aux efforts partagés de redressement de nos comptes publics, impliquant la stabilisation des emplois publics, puisque 136 équivalents temps plein quitteront la fonction publique en 2017. Le ministère que je représente participe ainsi à cet effort financier au même titre que les autres.

Le programme 192 voit ses crédits globalement stabilisés et vient directement soutenir l'innovation de nos entreprises au moyen de plusieurs outils : Jeune Entreprise Innovante (JEI), Fonds unique interministériel (FUI), aides directes aux entreprises, mais aussi via BpiFrance. Soulignons que le budget de BpiFrance, acteur désormais incontournable du financement de l'innovation, a été multiplié par 1,7 depuis 2013 ; soit un montant total d'1,3 milliard d'euros, et 5.300 entreprises soutenues en 2015. Nous préconisons ainsi un modèle mélangeant les interventions privées et publiques que l'on retrouve d'ailleurs en Israël, dont l'écosystème en matière d'innovation est loin d'être reconnu comme le moins performant !

Parmi l'ensemble des services offerts, les aides individuelles à l'innovation constituent un outil efficace, utile et rapide. Octroyées le plus souvent en moins de soixante jours, elles répondent aux attentes des entreprises sur le terrain. En outre, des subventions directes sont proposées notamment aux start-ups de la French Tech que le Gouvernement continue de soutenir grâce à l'emploi de bourses French Tech. Ce sont ainsi 1034 projets qui ont été soutenus en deux ans par la BPI pour un total de 27 millions d'euros, avec une moyenne de dotation de 25.000 euros par projet en 2015. Il s'agit de financements d'amorçage destinés à favoriser les projets de création d'entreprises.

Le financement public de l'innovation ne se limite d'ailleurs pas au seul budget général de l'État. Le Programme des investissements d'avenir y contribue de manière significative notamment à travers le Fonds national pour la Société Numérique (FNSNU), qui vise à soutenir le développement des technologies numériques et des usages associés, ainsi qu'à accompagner les start-ups du numérique à fort potentiel pour en faire des champions mondiaux. Ce fonds permet de financer des projets de R&D technologiques, mais aussi des projets d'innovation non technologiques sur les nouveaux usages, contenus et services numériques. Pendant trop longtemps, la seule innovation technologique a été privilégiée ; or, dans une telle perspective, des opérateurs comme Google ou Twitter n'auraient pas pu voir le jour en France. Force est ainsi de constater que l'innovation d'usage prend une part grandissante dans l'économie et implique la modification des modèles économiques jusqu'à présent en vigueur. Des innovations de procédés, de marketing et d'organisation permettent ainsi de faire éclore de nouvelles entreprises pour créer les emplois de demain. Ainsi, sur ce volet « usages, contenus et services numériques innovants » du FSU, au 30 juin 2016, ce sont 788 millions d'euros de subventions et d'avances remboursables qui ont été engagés.

J'en viens au programme 343 consacré au Plan France Très Haut Débit et au déploiement de la couverture mobile, qui figure pour la première fois dans le budget de l'État et qui fait l'objet d'une constante attention des élus locaux.

S'agissant du Plan France Très Haut Débit, nous avions pris, fin 2015, un certain nombre de mesures pour en accélérer la réalisation, à commencer par un renforcement des moyens d'instruction des projets au sein de l'Agence du numérique qui a été créée l'année dernière et dont le nombre d'agents a été doublé, afin d'accompagner les projets présentés par les collectivités locales. Le rythme d'instruction des projets a ainsi doublé par rapport à 2015 et ce sont désormais plus de 12,5 milliards d'euros qui sont mobilisés pour construire plus de huit millions d'accès à la fibre optique dans les territoires ruraux. J'insiste sur le fait que les territoires ruraux sont ciblés par le Plan France Très Haut Débit, puisque le Gouvernement a décidé de consacrer la totalité des financements publics aux zones rurales, considérant que la concurrence joue à plein dans les zones démographiquement plus denses. C'est pourquoi les décaissements, qui interviennent une fois les réseaux déployés et à la suite de la réception de la lettre dans laquelle le Premier ministre s'engage, vont aussi commencer à augmenter fortement cette année pour atteindre un rythme de croisière de 500 millions d'euros par an à compter de 2019. L'accélération du plan se traduit aussi par l'atteinte, avec un an d'avance, de l'objectif intermédiaire de couverture THD de 50% de la population. Nous y serons à la fin 2016. La couverture totale de la population d'ici 2022 devrait être assurée. Le rôle des collectivités locales est déterminant dans la mise en oeuvre de ce plan dont près de cent départements sont parties prenantes. Le dernier facteur d'incertitude entourant le plan, à savoir l'accord de la Commission européenne au titre des aides d'État, vient d'être levé, comme l'a annoncé la Commissaire Vestager. Ce plan est d'ailleurs cité comme un exemple pour les autres pays en Europe, puisque l'investissement public y fournit la garantie nécessaire à l'intervention des opérateurs privés. Ainsi, les opérateurs viendront à terme commercialiser les réseaux construits par les acteurs publics. Cette interaction toute française entre le local, le national et l'Europe est désormais mise en avant par la Commission européenne pour encourager d'autres États à lancer des chantiers analogues.

La Commission européenne s'intéresse également aux actions du Gouvernement dans les zones AMII, dont la complexité est accrue du fait de la présence en leur sein de zones grises dans lesquelles l'intervention publique est juridiquement beaucoup plus difficile à justifier. Nous avons ainsi demandé aux opérateurs de signer des conventions et nous avons inscrit dans la loi le principe de l'opposabilité de ces conventions et du respect de leur engagement devant le régulateur des télécommunications qu'est l'ARCEP. Ce modèle, qui doit encore être renforcé par le dialogue avec les opérateurs, intéresse nos homologues européens qui s'interrogent, tout comme nous, sur la manière optimale de couvrir rapidement leur territoire.

L'innovation de ce plan très haut débit réside dans le volet dédié à la couverture mobile. C'est là un changement de direction pour Bercy et les collectivités locales dont les élus ne disposaient pas d'interlocuteur identifié en cas de problème. Nous avons ainsi créé, avec le soutien de toutes les associations de collectivités et avec le financement de l'État, un outil très performant. Ce sont ainsi 1 300 sites qui seront couverts d'ici quatre ans avec des antennes mobiles qui permettront l'arrivée de la 4-G mutualisée entre les quatre opérateurs pour un niveau de couverture maximal.

S'agissant de la réforme du Paquet Télécom, j'ai pu rencontrer hier le Commissaire Günther Oettinger, bientôt en charge du budget européen, et le Commissaire Ansip, vice-président de la Commission européenne, qui suivent cette question. Nous demandons une égalité des conditions (Level Playing Field) de concurrence et d'accès au marché entre les opérateurs de télécommunication, d'une part, et les géants de l'internet, les plateformes (Over the top - OTT), d'autre part.

Aujourd'hui, nous sommes face à un paradoxe. D'un côté, nous avons engagé une forme de rapport de forces avec les opérateurs auxquels nous demandons d'investir plus que jamais. J'espère d'ailleurs que ce rapport de forces sera maintenu puisqu'il demeure la condition de pérennisation de l'implantation du numérique dans notre territoire. Mais, de l'autre, ces opérateurs doivent assumer toutes les réglementations, en matière de confidentialité des contenus ou de cybersécurité par exemple, à l'inverse des géants de l'internet qui fournissent pourtant des moyens de télécommunication, comme SKYPE. Il est ainsi important d'égaliser les conditions réglementaires applicables à l'ensemble des acteurs économiques sur ce terrain.

Le second enjeu est que l'Europe se saisisse pro-activement du sujet de la question de la couverture des territoires notamment ruraux. La France pousse pour que le service universel, dont elle a été l'ardent promoteur dans les années 1990, soit redéfini à l'aune des usages contemporains du numérique. Une vraie bataille idéologique se joue d'ailleurs à Bruxelles sur ce point. De très nombreux pays considèrent que les pouvoirs publics n'ont pas vocation à préciser les obligations d'un service universel dans un domaine soumis au principe de libre concurrence. J'aurais souhaité que soit inclus le mobile dans ce service universel. La partie n'est certes pas gagnée, puisque la France est très minoritaire dans ce combat. En revanche, nous y avons inclus internet, avec la couverture haut-débit. En outre, le Gouvernement pousse désormais, après y avoir été longtemps opposé, pour qu'un accord soit conclu en matière de suppression des frais d'itinérance (« roaming »). Nous sommes ainsi devenus le pays grâce auquel un accord entre les États du Nord et du Sud sera possible sur cette question de l'itinérance mobile.

Je pense que le paquet Telecom va dans le bon sens et je mesure à quel point la France est écoutée et défendue. Les propositions françaises sont bien souvent écoutées par les instances européennes, ce qui témoigne de notre capacité d'influence dans les conseils Télécom et Compétitivité. Nous avons ainsi une réelle capacité d'influence sur les choix européens dans ces domaines.

La French Tech a le vent en poupe et bénéficie des initiatives des entrepreneurs ainsi que de la dynamique territoriale notamment des métropoles et des régions. Celles-ci ont compris l'importance des créateurs de la valeur économique et des emplois de demain. Les chiffres illustrent cette bonne santé de la French Tech. Ainsi, lors de ma nomination en 2014, le financement des start-ups s'avérait insuffisant et les jeunes pousses devaient, parvenues à un stade critique de leur développement, s'installer aux États-Unis à la demande des investisseurs privés, seuls en mesure d'investir d'importantes sommes pour leur développement. Une telle évolution était vécue comme une quasi-fatalité par les entrepreneurs français. Il ne saurait y avoir dans ce domaine de fatalité et l'on sent que le vent tourne. En effet, la France devance désormais l'Allemagne en montants de capitaux levés par les start-ups et colle de très près le Royaume-Uni. Qui aurait prédit une telle situation il y a quelques années en matière d'investissement pour le capital-risque dans les start-ups ? Une telle tendance ne s'explique pas seulement par le Brexit, mais par la qualité de l'écosystème qui est offert aux investisseurs, à l'instar de ce qui était proposé par la Silicon Valley, Stockholm, Hong-Kong ou encore la Corée du Sud. La France est ainsi en train de devenir un leader incontournable de l'innovation et cette évolution est positive, non seulement pour l'économie en elle-même, mais aussi pour les plus jeunes. En effet, la French Tech est désormais perçue comme un facteur d'émancipation individuelle et collective qui va bien au-delà du seul acte de créer une entreprise.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Madame la Ministre, je ne partage pas votre optimisme. Même si je salue les réussites de la French Tech, le déploiement des réseaux, sans lesquels tous les Français ne pourront bénéficier du numérique, me pose problème. L'inscription de crédits d'engagement est certes riche de promesses, mais je ne vois pas de crédits de paiements. Les réalisations sur le terrain dans les zones rurales n'avancent pas et, dans les zones urbaines, vous avez beau dire qu'on fait pression sur les grands opérateurs, mais cette pression ne semble guère induire d'effets probants, dans la mesure où ces grands opérateurs s'organisent entre eux. Dans un tel contexte, l'État, avec l'ARCEP, tente alors, avec beaucoup de difficultés, d'orienter les choses. Pourquoi ne publiez-vous pas un tableau de bord précis sur les réalisations, prévues et réalisées, des réseaux en zone urbaine et rurale, année par année ? Au-delà des querelles de vocabulaire, nous voudrions des données précises sur la situation des villes et des campagnes.

En outre, s'agissant du tarif postal des revues à caractère professionnel, un danger guette un certain nombre de presses dont le seul moyen d'acheminement demeure la poste. Où en sommes-nous sur cette question ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Rome

Madame la Ministre, je partage avec vous la vision positive que vous nous avez exposée. Jamais les choses n'ont avancé aussi rapidement et l'Europe vient de lever la principale inquiétude - et vous n'y êtes pas pour rien - qui pesait sur les collectivités territoriales. Le Plan Très-Haut-Débit vient d'ailleurs d'être validé par les hautes instances européennes qui le reconnaissent comme un modèle de mixage des financements. Je modulerai toutefois cet enthousiasme : certes, l'objectif a été atteint en 2016 mais selon les normes définies pour le Très-Haut-Débit, grâce à la montée en débit. Encore ne faudrait-il pas que cet avantage initial nous éloigne de l'objectif final du FTTH (Fiber to the Home) pour tous à l'horizon 2022 ! Cependant, quand pourra-t-on imposer aux opérateurs nationaux d'être clients des réseaux d'initiatives publics dont la création mobilise une centaine de départements ? La commercialisation des offres des opérateurs permettrait de sécuriser ces réseaux, ce qui est loin d'être le cas à ce jour. En outre, dans le cadre de l'adoption unanime du projet de loi « République numérique » que vous avez porté avec talent et efficacité, nous avions obtenu des opérateurs quelque cinq cent sites supplémentaires de téléphonie mobile dans le cadre de la mutualisation, parfois contrainte, de leurs implantations. Qu'en est-il du suivi effectif de ces implantations qui avaient été sécurisées par un courrier signé par l'ensemble des opérateurs ? S'agissant enfin des difficultés des zones AMII, il se murmure qu'un nouveau partage pourrait être opéré suite à une demande de SFR. Or, Orange en détient 80 % et semble en freiner le développement. Êtes-vous prête à donner suite à la demande de SFR de reconsidérer la distribution des zones AMII entre les deux opérateurs historiques ? Si d'autres venaient s'y joindre, nous n'y verrions que des avantages.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Lamure

Sur le budget, vous avez évoqué le programme 192 qui resterait stable cette année. Or, les sociétés de recherche sous contrat nous ont fait part de leur inquiétude quant aux aides à l'innovation qu'elles perçoivent via BpiFrance. L'année dernière, ces aides, d'un montant de 8,5 millions d'euros en 2015, tomberaient à quelque trois millions d'euros en 2017. Une telle diminution relève-t-elle uniquement d'une répartition opérée par BpiFrance ou êtes-vous en mesure d'intervenir sur ces crédits d'innovation très attendus ? Par ailleurs, si l'acceptation par Bruxelles du Plan France Très Haut Débit est une très bonne nouvelle, encore faut-il reconnaître la très forte attente sur le terrain de nos concitoyens et aussi de nos entreprises. Or, celles-ci sont inquiétées par l'échéance de 2022 et l'absence de couverture de certaines zones dissuade leur implantation lorsqu'elle n'encourage pas leur réimplantation ailleurs. On s'achemine ainsi vers une forme inquiétante de désertification économique. Avez-vous des projets visant la simplification de la vie des entreprises ? Nous étions en déplacement aux Pays-Bas et avons pu y constater l'existence d'un site uniquement dédié aux entreprises et garantissant l'exhaustivité des informations des pouvoirs publics les concernant. Les citoyens bénéficient également d'un site dédié analogue. De tels sites sont-ils en cours d'élaboration en France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Effectivement, France-Très-Haut-Débit et le succès de l'accord de Bruxelles pourraient nous satisfaire. Mais sur le terrain, les choses ne se passent pas toujours aussi favorablement. Dans la Région Grand-Est, où, pour une fois, la totalité des acteurs publics - soit la Grande Région, les départements et les structures intercommunales - travaille sur l'objectif, les agents économiques considèrent que l'objectif de 2022 est tout à fait inapproprié. L'exclusion de ces agents économiques, qui se trouvent dans un autre monde que ceux de la French Tech, est manifeste et ils n'ont d'autre choix que celui de quitter le territoire sur lequel ils sont implantés. L'ambition budgétaire actuelle ne permet pas de prévenir l'exclusion de ces territoires, dans un contexte où le temps se raccourcit et où la vie économique n'est plus en cohérence avec l'objectif qu'on a pu fixer. Par ailleurs, notre commission a auditionné EUTELSAT, entreprise française. Pourquoi n'avons-nous pas utilisé la solution satellitaire pour apporter une réponse aux territoires les plus exposés et raccourcir les délais ?

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Je souhaitais saluer votre travail à la tête de votre ministère et la réorientation de ce domaine d'action que la France vient d'opérer afin de répondre aux enjeux considérables du numérique pour la croissance de notre pays. Sur la question des infrastructures, je regrette que la démarche adoptée pour développer le réseau Très-Haut-Débit n'ait pas été calquée sur les modalités de l'électrification rurale à l'issue de la Seconde guerre mondiale. Nous allons aboutir à un système où les coûts supportés par nos concitoyens diffèrent d'un département à l'autre. On s'éloigne ainsi du principe de la péréquation tarifaire en matière d'accès au service qui nous tient tous à coeur. Nous ne parviendrons pas à câbler tous les citoyens sans recourir à d'autres technologies comme le satellitaire. Comment concevez-vous cet enjeu ? Sur la question des contenus, je n'ai rien vu, dans la perspective de la nouvelle France industrielle (NFI) qui se dessine actuellement, en matière de ciblage des territoires ruraux pour la création d'écosystèmes numériques. En effet, la question de l'économie numérique ne se limite pas à ce qui pourrait se passer dans les métropoles françaises. C'est là un enjeu pour les villes moyennes et les territoires ruraux, voire hyper-ruraux, qui peuvent leur être associés.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Derrière les propos des uns et des autres, un même constat est partagé. Nous représentons les territoires au Sénat et chacun de nos territoires compte au moins une partie rurale. Le constat est clair : jamais la fracture n'aura été aussi forte, puisque la progression des investissements sur le territoire national aggrave la situation des territoires oubliés où l'exaspération s'exprime à l'occasion des échéances électorales. Je souscris également à ce qui a été dit par notre collègue M. Frank Montaugé : sans la péréquation tarifaire et l'implication des collectivités locales, jamais le pays n'aurait été électrifié au sortir de la Seconde guerre mondiale. Certes, aujourd'hui, les collectivités locales sont impliquées pour payer, mais elles ne participent pas à la décision. Je suis préoccupé par la tendance suivie par les décideurs lesquels, lorsqu'ils n'évincent pas immédiatement le raccordement des territoires les plus reculés, les invitent à en payer intégralement le coût. Sommes-nous dans une situation où la République existe encore avec ses valeurs ? Par ailleurs, comme le soulignait notre collègue Daniel Gremillet, nous savons que certains territoires ne disposeront jamais du haut débit. Ce constat est dressé par les entreprises qui sont en charge de ce dossier. On observe, sinon une réticence, du moins une hostilité, vis-à-vis du satellite qui est certes plus onéreux, mais ne pourrait-on pas mutualiser certains surcoûts qui s'imposent dans certains territoires ? On ne peut certes apporter la fibre optique dans tous les foyers, mais il y a certainement des solutions. Nous avons en effet auditionné les représentants d'EUTELSAT et, sans qu'ils l'aient mentionnée, je sais qu'une sourde campagne est ourdie contre le satellite en France pour en décourager les consommateurs. Madame la Ministre, je vous demande de croire qu'un grand nombre de Français ne supporte plus d'être les grands oubliés du numérique !

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Madame la Ministre, votre travail est difficile. J'interviendrai à la suite de notre collègue Daniel Gremillet dont le département jouxte le mien. Comment expliquez-vous le contraste entre l'absence d'infrastructures dans les Vosges et leur présence en Haute-Marne ? Des choix ont été opérés par les départements et en Haute-Marne, nous avons, de notre propre chef, bâti un Réseau d'initiative publique (RIP) de 1.900 kilomètres et la totalité des habitants y dispose du triple-play ; la Région prenant le relai pour assurer le FTTH pour quasiment tout le monde ! Les autorités locales ont ainsi leur responsabilité et il y a mieux à faire que de construire des salles des fêtes et des piscines !

Debut de section - Permalien
Axelle Lemaire, secrétaire d'État

Je vous remercie de vos questions. J'essaie de toujours me rendre dans les zones rurales et d'aller au contact direct des populations lors de réunions publiques. Vous êtes les premiers à recevoir les critiques mais 85 % des courriers que je reçois concernent la couverture numérique du territoire. Il serait coupable de demeurer inactif sur ce sujet. La vision de l'innovation défendue par le Gouvernement est celle des territoires. L'émergence d'immenses clusters régionaux est une tendance actuelle, avec la Silicon Valley, ou encore la Finlande, l'Ecosse, la Corée du Sud voire Hong-Kong. Or, nous démontrons que l'innovation peut naître absolument partout grâce à la connectivité, dès que les entrepreneurs sont aidés à donner corps à leurs idées, en bénéficiant d'un écosystème favorable impliquant un accompagnement financier et humain de qualité, ainsi qu'une bonne connexion. Notre gouvernement fait ainsi le pari de la France des territoires et nous tenons ce discours auprès des autorités européennes face, parfois, à des interlocuteurs qui pensent que seule la métropole de Paris devrait être bénéficiaire de la French Tech et de l'intérêt des investisseurs internationaux.

Quelle est la place des territoires ruraux dans l'innovation ? Je compte beaucoup sur la ligne budgétaire du programme des investissements d'avenir (PIA3) qui va être lancée à partir de janvier 2017 et concerne les territoires collaboratifs. 500 millions d'euros seront ainsi consacrés aux projets d'innovation collaborative ; secteur dans lequel la France a une carte à jouer, avec notamment la valorisation des circuits courts, de l'artisanat, des communautés associatives développant des tiers-lieux et des initiatives de proximité grâce notamment à la télé-distance. Je vous encourage à investir cette ligne des territoires collaboratifs des PIA3, car tout est à construire dans ce domaine.

L'observatoire France Très Haut Débit, que Monsieur le Sénateur Leroy appelait de ses voeux, est déjà accessible sur le site www.france.thd.fr. Il s'agit d'un outil de transparence sur le développement des réseaux d'accès internet. La situation de l'ensemble des territoires, ainsi que les projets de déploiement jusqu'à leur stade final pour toutes les technologies, y compris le satellite, y sont retracés ! Comme vous le constatez, nous ne faisons pas de discrimination satellitaire ! L'article de la loi République numérique consacré à l'open-data de la couverture mobile des opérateurs va ainsi fournir une connaissance plus précise de la qualité de leur réseau. D'ailleurs, les opérateurs auront désormais l'obligation de retracer sur un site public, qui est en cours d'élaboration avec l'ARCEP, la réalité du service de couverture mobile offerte dans les territoires, en complément des informations déjà disponibles sur les réseaux fixes. Je crois d'ailleurs beaucoup en la pression publique pour placer les opérateurs face à leurs responsabilités. Le Gouvernement et les collectivités locales sont au rendez-vous de leurs obligations et les opérateurs doivent également y parvenir.

L'outil France-mobile, qui sera ouvert aux élus locaux, sera mis en service en décembre prochain. Ceux-ci pourront ainsi identifier les zones qu'ils estiment mal couvertes ; ces informations seront ensuite évaluées par les différentes commissions de concertation régionale pour l'aménagement numérique du territoire auxquelles nous avons confié une nouvelle mission concernant la couverture mobile, avec des référents de l'État dans les différents niveaux de collectivités territoriales afin qu'il existe une instance de discussion et de concertation sur ce sujet. Un tel dispositif reposera également sur votre soutien, grâce auquel il sera pérennisé.

Sur la commercialisation des RIP par les opérateurs, il serait interdit à l'État d'imposer la présence des RIP sur les réseaux. Le secteur Télécom a été privatisé durant les années 1980 et il est impossible de comparer avec le secteur électrique au sortir de la Seconde guerre mondiale. Les situations juridiques sont, de ce point de vue, très différentes. L'ARCEP travaille également sur la question de l'égalisation des conditions tarifaires et les opérateurs nous ont fait part de leurs difficultés dans l'adaptation de leur offre selon les départements d'une même région. Les conditions techniques doivent également être harmonisées et il n'est pas évident de proposer une plateforme interopérable d'un point de vue technique par l'ensemble des opérateurs. C'est là un enjeu puisqu'il faut que tous les opérateurs puissent s'arrimer sur les RIP de manière aisée. Ce travail est en cours.

Sur SFR, il y aurait beaucoup à dire ! Avant de dénoncer les conventions AMII, encore faudrait-il tout d'abord les signer ! SFR couvre bel et bien 20 % des conventions AMII dont le reste incombe à Orange. Sur ses propres zones, SFR n'est pas toujours au rendez-vous, comme en témoigne le constat de carence dressé par le préfet du Nord. D'autres procédures sont en cours et toutes les zones AMII n'ont pas été conventionnées ! Avant d'envisager la réécriture des conventions signées, j'aimerais que cet opérateur se conforme à ses obligations. En outre, la loi dispose pour la première fois l'opposabilité face au régulateur des conventions signées par les opérateurs qui sont sanctionnables en cas de non-respect.

Je répondrai par écrit à Madame Lamure, à la question sur les sociétés de recherche sous contrats. S'agissant du Plan France Très Haut Débit, l'échéance 2022 inquiète les entreprises et c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de l'accélérer en modifiant le cahier des charges en conséquence. Lorsque l'État accorde des financements, les collectivités locales ont désormais l'obligation de fibrer en premier lieu les entreprises ou, à défaut, de les couvrir avec un internet en haut débit. Nous allons également alléger la réglementation relative au déploiement de la fibre. Je rejoins ainsi M. Bruno Sido lorsqu'il rappelle que l'initiative incombe désormais aux collectivités auxquelles l'État a décidé de faire confiance. On ne peut nous demander la décentralisation et le partenariat, tout en se plaignant de la lenteur de certains dossiers. Néanmoins, nos concitoyens n'ont pas conscience de l'ampleur que représentent ces chantiers. Songez qu'il a fallu vingt-cinq-ans pour déployer le téléphone fixe en France ! Nous sommes en sous-capacité de production de fibre et il nous faut l'importer d'Europe de l'Est, quand bien même nous disposons d'entreprises spécialisées dans ce domaine ! Il faut également former les ouvriers du bâtiment au travail spécifique que requièrent ces chantiers d'infrastructures ! Certes, bien que nous accélérions au mieux de nos capacités, les délais de ces grands chantiers d'infrastructures peuvent paraître insupportables à certaines entreprises qui ne sont pas en mesure de transmettre leurs données à leurs clients. Une course contre le temps s'est en effet engagée et je recommande aux élus locaux de se tourner vers leur département, lorsqu'ils pensent que les choses n'avancent pas assez vite, et d'en faire un sujet public !

Sur la simplification, France-Connect, qui est un portail encore en devenir mis en oeuvre par la Direction générale de la modernisation de l'action publique, va permettre à l'ensemble des usagers des services publiques, grâce à un identifiant unique, de se connecter et d'entrer dans leurs différents portails. Parallèlement, les administrations se connecteront afin d'échanger les différentes informations. Une telle démarche a induit des modifications législatives et réglementaires. Aujourd'hui, les caisses d'allocations familiales et les services des impôts sont accessibles en numérique. Je vous incite à proposer que vos collectivités soient connectées à la porte d'accès unique que représente France-Connect au-delà des différents sites individuels.

Le Gouvernement n'éprouve aucune hostilité envers le satellite et ce, à l'inverse de certains élus locaux qui considèrent cette technologie comme plus onéreuse et moins efficace. Gardez tout de même à l'esprit qu'EUTELSAT est une entreprise qui exerce son lobbying comme les autres et qui souhaiterait obtenir l'exclusivité sur certaines zones ! Mais, la technologie satellitaire est financée au même titre que les autres technologies par le Plan France Très Haut Débit. Si un département fait le choix du satellite, nous financerons cette couverture.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Une telle exclusivité n'a pas été évoquée devant nous par les dirigeants d'EUTELSAT auxquels je vais transmettre vos observations.

Debut de section - Permalien
Axelle Lemaire, secrétaire d'État

Je tiens à votre disposition la liste très exhaustive des zones qui seront, dans le cadre du Plan France Très Haut Débit, couvertes par le satellite et financées par l'État. Je n'ai rien contre le satellite ; au contraire, des annonces ont été faites, dans le cadre du Plan Montagne, pour lancer un nouveau satellite d'ici quelques années. Notre problème est plutôt celui de la saturation de la couverture satellitaire en France qui concerne près de la moitié du territoire national. En revanche, s'agissant de l'industrie satellitaire, je regrette notre inactivité face à des opérateurs comme Google qui ont, quant à eux, compris que la demande se portait vers des satellites de plus petite taille et d'un coût n'excédant pas vingt millions d'euros, tandis qu'une belle entreprise, disposant d'un actionnariat public, comme EUTELSAT, se fait « uberiser » par de tels opérateurs. Soit nous continuons à être dans le déni en considérant qu'il faut vivre des subventions publiques, soit nous adaptons notre offre d'innovation à cette nouvelle réalité et la France continuera à être l'un des grands acteurs satellitaires. Tel est l'enjeu industriel pour que nous conservions demain des emplois dans ce secteur.

Sur la Nouvelle France Industrielle (NFI) évoquée par M. le Sénateur Frank Montaugé, je regrette que les programmes d'innovation soient avant tout destinés aux entreprises innovantes, soit 20 % de leur ensemble. Le but de la NFI et l'enjeu pour notre pays est de rendre innovantes les 80 % restants. C'est également l'objectif du projet, que je vais présenter avec mon collègue Michel Sapin, de numériser les TPE et les PME. Nous procédons à une réorientation, qui peut s'avérer chronophage, de ces dispositifs vers les PME industrielles créatrices d'emplois. À cet égard, nous demandons à BpiFrance de cibler les plus prometteuses d'entre elles qui sont en capacité d'innover, afin qu'elles puissent bénéficier de prêts dédiés pour la transformation par l'innovation de leur modèle industriel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Merci, Madame la Ministre.

La réunion est close à 10 h 35.