Nous poursuivons aujourd'hui nos auditions sur les stratégies d'aménagement territorial, les conflits d'usage et les outils de planification, thème auquel est consacré le troisième et dernier volet de notre étude sur le foncier.
Après avoir entendu la position des administrations centrales des ministères de l'environnement et du logement, ainsi que du ministère de l'agriculture, nous engageons aujourd'hui une série de visioconférences avec nos territoires ultramarins pour mieux appréhender leurs différentes orientations stratégiques et leurs contraintes spécifiques. Nous commençons par la Guyane avant de joindre, demain matin, La Réunion.
Nous procéderons en deux temps : la première séquence sera centrée sur la stratégie des collectivités territoriales, la seconde réunira les acteurs socioéconomiques dont l'activité dépend de la capacité à mobiliser le foncier.
Pour la première séquence de notre visioconférence, je remercie de leur présence Madame Hélène Sirder, première vice-présidente de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), que nous avions eu le plaisir de rencontrer à Cayenne lors de notre étude sur la gestion du domaine de l'État et Monsieur Patrice Pierre, secrétaire général de l'Établissement public d'aménagement de Guyane (EPAG).
Merci de votre invitation. L'EPAG constitue un outil de mise en oeuvre de la politique de la CTG. Les réponses que je peux vous apporter relèvent d'aspects essentiellement techniques. La question de la prise en compte du schéma d'aménagement régional (SAR) dans les projets d'aménagement est essentielle, mais il n'y a pas d'autre choix pour un opérateur comme l'EPAG que se baser sur les outils de planification mis en place par la CTG pour proposer des projets d'aménagement et les réaliser. Il me semblait important de le rappeler en introduction.
L'EPAG est un établissement public de l'État qui intervient sur trois missions principales :
- une mission d'aménagement : construire la ville équatoriale ;
- une mission foncière : aider les collectivités territoriales, les personnes publiques et l'État à définir des stratégies foncières ;
- une mission d'intervention rurale, à l'instar de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) pour accompagner les installations d'agriculteurs.
Sa gestion est paritaire. Il est administré par six administrateurs issus de l'État et par six administrateurs représentant les élus, dont quatre provenant de la CTG.
Vous connaissez la situation particulière de la Guyane : l'État y est propriétaire de la très grande majorité du foncier. Or, nous ne cessons de demander la rétrocession du foncier depuis 2011. Nous avons réclamé 60 000 hectares pour assurer le développement économique de la région. Nous avons ensuite demandé 40 000 hectares supplémentaires en forêt. Cependant, nous n'avons pas obtenu de réponse satisfaisante à nos demandes de rétrocession pour 10 000 hectares au total. Je n'ai nul besoin de vous convaincre de la situation anachronique dans laquelle la Guyane se trouve : l'État est le propriétaire principal du foncier. Les textes existent pourtant pour permettre la création de forêts régionales, mais ils n'ont pas trouvé d'application en Guyane pour l'instant. Même sur ce point nous n'obtenons pas satisfaction.
Permettez-moi d'en venir aux conséquences. Les conflits d'usage résultent des besoins d'une population en forte croissance. Les besoins explosent pour répondre à l'impératif d'industrialisation et de développement économique de la Guyane. Nous avons besoin de développer notre pays, un pays en train d'émerger. Or, nous nous heurtons, de la part de l'État et du Conservatoire du littoral en particulier, à une politique de protection systématique des espaces naturels. Cette politique semble s'infléchir dans les discours, mais pas dans les faits.
Pourtant, nous disposons en Guyane d'une superficie suffisante pour effectuer les aménagements que nous jugeons nécessaires. Nos revendications sont claires, nous souhaitons que des espaces de développement soient aménagés à côté de nos espaces naturels. Nous désirons aussi créer des emplois en valorisant les espaces, notamment en matière d'écotourisme et de recherche. Le Conservatoire du littoral a pour credo : « je protège, je protège, je deviens propriétaire foncier mais je n'aménage pas, je n'ai ni plan, ni financement pour aménager ». De nombreuses zones se trouvent ainsi gelées.
Autre caractéristique, l'État propriétaire a distribué du foncier sans avoir de politique foncière. Ce manque de stratégie a créé du mitage. Nous constatons une explosion des habitats spontanés illégaux, notamment sur terres agricoles. Aujourd'hui, l'ampleur du phénomène est telle que les « constructions spontanées » dépassent les constructions de logement régulières. Il n'a pas été endigué. L'État admet aujourd'hui son impuissance, malgré la création de l'EPAG en 1998 qui avait aussi pour mission de travailler à la résorption de cet état de fait.
Nous déplorons surtout un manque de lisibilité. Ceux qui s'installent de façon anarchique, sans précaution, sont aussi ceux qui vont être relogés en priorité alors que d'autres respectent les démarches régulières pour s'installer. Nous demandons à l'État de nous céder du foncier. La cession de terrains constitue une condition de l'efficacité des politiques de la CTG.
Nous souhaitons gérer en propre le foncier, conformément à la loi. En effet, la loi de 2011 créant la CTG nous a accordé de nouvelles compétences, en particulier sur le foncier et le domaine forestier. Elle prévoit notamment que l'État cède le foncier à la CTG qui le répartit aux communes, en procédant par voie de convention. Aucune défiance vis-à-vis de la CTG ne serait justifiée. Nous sommes en phase de définition de notre stratégie foncière, que je ne pourrai hélas détailler aujourd'hui.
Nous soulevons par ailleurs le problème de l'Office national des forêts (ONF). Il souffre d'un déficit financier, traduisant selon moi la fin d'un cycle. La forêt de Guyane n'a jamais été véritablement valorisée. Tout le domaine forestier a été mis sous le boisseau, alors qu'il faudrait, au contraire, le rendre disponible pour la recherche de ressources du sous-sol et leur exploitation. Je déplore que des terres aient été données pour de l'agriculture, alors qu'elles recèlent de nombreux et précieux gisements, en particulier en carrières et en sable. Précisément, je songe à un gisement sableux à Iracoubo, cédé pour un projet de biomasse. J'estime que ces décisions étatiques manquent cruellement de cohérence. En tant qu'élus de la CTG, nous nous attelons au contraire à définir les cadres d'une véritable stratégie foncière.
Merci Madame. Monsieur le Secrétaire général de l'EPAG, souhaitez-vous ajouter quelques éléments ?
Je m'inscris totalement dans le constat et l'analyse formulés par Madame Sirder. J'estime qu'elle a parfaitement cadré la problématique, celle de la gestion par l'État de son domaine. Cette gestion nous semble dépourvue de vision globale à l'échelle du territoire ou d'un secteur. Elle nous paraît strictement comptable et administrative. Sans doute est-ce naturel de la part des services de l'État dont c'est le mode de fonctionnement quotidien.
En résumé, une vision stratégique et de développement s'avère nécessaire pour avancer plus efficacement dans la valorisation du territoire. La transformation à opérer devrait s'incarner dans de nouvelles personnes et institutions : la CTG et l'EPAG. Les enjeux demeurent considérables, tant la superficie et la valeur du domaine privé de l'État s'avèrent conséquentes. La CTG a entamé avec l'EPAG la définition et la mise en oeuvre de stratégies d'aménagement. En premier lieu, nous devons mieux maîtriser le territoire, qui est mité très régulièrement, voire quotidiennement, de manière légale et illégale. En particulier, lorsque les instructions individuelles des procédures de cession de parcelles appartenant à l'État se poursuivent sur une durée jugée prohibitive, les populations prennent possession elles-mêmes du foncier.
Je répondrai à vos questions précises et techniques sur la stratégie et l'aménagement. En ce qui concerne les aspects réglementaires, n'oublions pas que de nombreux textes et règlements existent, mais ne sont pas appliqués. Par conséquent, il serait préférable de faire appliquer ces textes plutôt que de créer une couche réglementaire supplémentaire. Surtout, nous devons comprendre les raisons justifiant leur inapplication.
Par exemple, le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) permet depuis quelques années la constitution, pour les collectivités et les communes, de forêts communales. Or, aucune forêt communale n'a vu le jour à ma connaissance. Pourtant, disposer de forêts est un élément essentiel pour que les collectivités puissent répondre aux besoins économiques et de la population. Nous constatons donc que malgré les volontés affichées par les responsables des exécutifs et les textes existants, le transfert de compétences vers la CTG et les communes ne s'opère pas. S'agit-il d'un problème d'instruction, de montage de dossier ou d'application de textes ? Je ne peux que constater la non-application des textes.
Vous venez d'aborder les problématiques de gestion foncière, sous les angles économiques d'aménagement et d'habitation. La définition et la mise en oeuvre du schéma de développement économique (SDE) et du schéma d'organisation du territoire, deux rendez-vous majeurs, ne permettront-elles pas d'apporter des réponses aux questions cruciales que vous venez de poser ? L'État sera alors mis devant ses responsabilités. En effet, j'imagine mal l'État vous demander cet exercice, sans vous accorder les moyens nécessaires de mener à bien cette projection dans le futur.
Nous avons déjà conçu et formulé de nombreuses programmations et schémas. Nous sommes actuellement en phase d'élaboration de nos stratégies. Par conséquent, nous ne pourrons guère être très précis aujourd'hui sur les stratégies économiques, territoriales et forestières. Nous mettons en place les schémas parallèlement à l'installation de la CTG. Les outils de planification existent, nous verrons comment mieux les appliquer.
Nous demanderons des habilitations sur la fiscalité du foncier. Nous souhaitons également intervenir sur la gestion de l'ONF. Nous considérons que l'État s'exonère de ses responsabilités. Nous souhaitons un droit de propriété complet, et non un simple droit d'usage. Quoi qu'il en soit, nous désirons avancer dans notre stratégie. Nous voulons valoriser notre foncier et bâtir notre territoire.
Nous disposons des outils de planification nécessaires : le SAR et la charte du parc naturel régional (PNR), qui se met en place actuellement. Cependant, nos outils de planification devront être appliqués. En effet, ils n'empêchent ni les constructions, ni le contrôle, ni l'éradication des habitations spontanées. D'une part, nous ne disposons pas des moyens pour contrôler. D'autre part, l'État ne réagit pas et s'est dessaisi de ses missions régaliennes. Il n'assure plus la protection des terrains des propriétaires privés touchés par les habitats spontanés.
Notre démarche se veut constructive, vous l'avez bien compris. Vous avez insisté sur la jeunesse de la CTG, collectivité créée par la loi de 2011. Cependant, vous avez déjà engagé des démarches très concrètes auprès de l'État, qui ne réagit pas.
Quel est le degré de concertation avec les communes ? Autrement dit, quelle est la qualité de la relation entre la CTG et les communes de Guyane ? Les échanges ont-ils lieu et les jugez-vous satisfaisants ? Considérez-vous que les communes sont prêtes à récupérer du foncier ? Par ailleurs, quels sont vos rapports avec le Conservatoire du littoral ? Je connais sa politique, il n'a pas vocation à gérer les terres qu'il a achetées.
Nous souhaitons que la CTG soit reconnue par les autres collectivités guyanaises, comme la collectivité majeure de la Guyane. La CTG a explicitement pour mission d'aménager le territoire, avec l'ensemble des partenaires institutionnels. Nous nous y employons. Notre demande porte sur le transfert du foncier de l'État vers la CTG. Celle-ci se chargera ensuite de la répartition entre et avec les différentes communes, en fonction des orientations d'aménagement et de développement économique choisies.
En ce qui concerne le Conservatoire du littoral, ma position est claire et bien connue. Le Conservatoire se conduit comme un propriétaire foncier, qui n'aménage pas. J'ai échangé avec ses dirigeants. Ils m'ont répondu que le Conservatoire s'occupait de foncier et non d'aménagement. Je m'inscris en faux contre ses pratiques. De fait, le Conservatoire a reçu de nombreux hectares, gratuitement ou à très bon marché. Dans la plupart des cas, le Conservatoire a obtenu ces terrains sans proposer de plan d'aménagement par la suite. Par conséquent, le Conservatoire ne valorise pas le territoire. Il ne crée pas non plus d'emplois de gardes pour surveiller les intrusions.
La CTG a été évincée de la nouvelle stratégie de compensation foncière en cas de projet de développement économique mis en place par l'État. La direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal) discute directement avec les propriétaires : le Centre national d'études spatiales (Cnes) par exemple, pour le projet Ariane VI à Kourou. La Deal a demandé au Cnes des compensations foncières, qui ont été accordées au Conservatoire du littoral. Je suis intervenue rapidement dès que je l'ai appris. Avec l'aide de la commune de Kourou, je me suis démenée pour que le foncier revienne au PNR de Guyane, et que le Cnes finance sa valorisation pour trente ans. Ce principe a été validé, mais n'a pas encore été conclu formellement. Pendant ce temps, des pans entiers de foncier continuent de nous échapper, morceau par morceau.
En outre, je déplore la faible représentativité de la Guyane au sein du Conservatoire du littoral. Ce dernier est un établissement public de l'État. J'ai déjà indiqué que je trouvais anormal que son conseil d'administration, situé à Paris, ne compte qu'un seul représentant pour tous les outre-mer. Par conséquent, la CTG n'a pas véritablement voix au chapitre. Nous regrettons que l'aménagement s'effectue sans notre participation. Mais sachez que nous restons vigilants sur les politiques menées, dans la mesure du possible.
Je partage parfaitement la position de ma collègue et amie, première vice-présidente de la CTG. En effet, l'histoire du foncier en Guyane relève de l'arbitraire et de l'injustice depuis la départementalisation, et même depuis bien avant.
Depuis plus d'un demi-siècle tous les exécutifs, locaux, départementaux, régionaux par la suite, ont déposé des rapports. Députés et sénateurs ont rédigé des rapports, des contre-rapports. Ils ont effectué tout ce qui était en leur pouvoir. Mais rien n'y fait, l'État continue de garder jalousement sa propriété.
La superficie de la Guyane, 84 000 km2, est supérieure à celle de l'Autriche. Au total, l'État dispose de 19 665 km2 de terrains potentiellement sans contraintes et aménageables, appartenant à son domaine privé. Or, l'effort de l'État se montre nettement insuffisant.
Avec le président de la CTG et mon collègue de la Guyane, Georges Patient, nous étions hier à l'Élysée pour mettre au point la dernière touche du Pacte d'avenir. Nous sommes déçus des engagements de l'État. Pourtant, les besoins demeurent considérables. L'État considère qu'il accomplit un effort majeur, alors qu'il s'avère très insuffisant s'il rétrocède chichement 100 000 hectares à la CTG, pour toutes les communes et collectivités.
Je crains que ce sujet sensible ne se règle que par l'établissement d'un rapport de force. Pour ma part, j'estime que l'État doit rétrocéder ces 19 665 km² de domaine privé à la Guyane. L'État n'a-t-il pas cédé, facilement, 1 000 km² au Centre spatial guyanais, soit quasiment la superficie de la Martinique ? Nous devons mener ce combat.
Lors de nos échanges au sein de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, certains collègues ont fustigé la gestion de l'ONF. La Guyane est le seul territoire de France sans forêt communale, ni territoriale. Il existe seulement une forêt domaniale d'État. Il en résulte une spéculation foncière, des habitations illégales et des phénomènes de squats, dessinant une forme d'anarchie.
La Guyane constitue un véritable sujet et mérite un traitement plus attentif. À ce propos, je remercie la délégation et son président d'avoir pris l'initiative de cette audition. Nous disposerons ainsi d'éléments tangibles pour peser auprès des institutions. La Guyane mérite une véritable politique foncière et forestière. Je crains que le règlement du différend ne se déplace dans la rue. Souvenons-nous des événements en Nouvelle-Calédonie dans les années 1980...
Lors du Congrès des maires de Guyane, auquel je participais la semaine dernière, les questions sur le foncier ont suscité un débat approfondi. Les élus ont estimé être bien représentés par les sénateurs. Ils m'ont confié partager les conclusions du rapport de notre délégation sur la gestion du domaine de l'État outre-mer rendu public en 2015.
Je m'en réjouis. La délégation applique sa stratégie. Nos trois rapports sur le foncier se complètent. Le premier volet s'intitulait « trente propositions pour mettre fin à une gestion stérile et jalouse » du domaine de l'État. Notre diagnostic a été reconnu. Le second volet portait sur l'articulation entre propriété coutumière et droit civil. Le dernier traite maintenant de l'aménagement et de la planification du foncier.
J'ai toujours considéré qu'il était anormal que l'État soit propriétaire de plus de 90 % du territoire guyanais, sans que la population ne puisse en disposer. Cette situation me semble aberrante. Nous ne détenons certes pas de pouvoir contraignant mais notre rôle consiste à placer les sujets sur l'agenda.
Vous évoquez l'État ; or, nous sommes l'État ! Selon moi, nous ne pouvons parler d'État guyanais, ni d'État réunionnais. Je suis passionné par la nature, pourtant celle-ci constitue une forte contrainte à La Réunion : volcans, rivières... Or, je signe avec l'ONF une convention de gestion de la forêt domaniale. Via cette convention, ma commune devient propriétaire de son foncier.
Pour autant, je ne souhaite pas mettre « sous cloche » le foncier. En effet, nous souhaitons également un développement intégré et durable. Sur une forêt domaniale, au coeur d'un espace naturel exceptionnel, j'ai signé la mise en place d'aménagements : gestion de boxes, de snacks, de restaurants...
Par ailleurs, vous exprimiez votre insatisfaction à l'égard du Conservatoire du littoral. Par définition, celui-ci a vocation à conserver. À La Réunion, nous travaillons aussi avec le Conservatoire. J'estime que la relation avec ce dernier dépend d'une question de personnes. Le responsable du Conservatoire du littoral de Guyane ne peut mener une politique dissemblable de celle de son homologue de La Réunion. Or, je viens de signer avec le Conservatoire une autorisation d'occupation temporaire (AOT). Le Conservatoire nous a même accordé l'autorisation de construire un snack sur le sentier littoral, appelé sentier des laves.
En résumé, je ne conçois pas de distinguer plusieurs États. La France compte un seul État, une seule République. De plus, gardons en mémoire que les institutions survivent largement aux hommes. Ce ne sont pas les hommes qui font la loi, mais les institutions. Ayez donc confiance.
Par ailleurs, Madame Sirder, vous avez dit compter davantage d'habitats spontanés que légaux ? Pourriez-vous le confirmer ? Les populations bénéficient-elles des commodités les plus élémentaires (eau, électricité, sanitaires, ordures ménagères) ? Si ce n'est pas le cas, vous vous trouvez sur un champ de mines !
J'invite à se référer aux rapports de notre délégation. Je les défends bec et ongles. Nos rapports sont des études transversales et comparatives. Nous nous étions rendus en Guyane pour examiner très concrètement le statut et la gestion du foncier domanial. Nous avons formulé des propositions fortes. Nous revenons vers la Guyane pour parler de stratégie d'aménagement. En effet, disposer d'exemples précis et localisés permet de prévenir certaines erreurs et de s'inspirer des réussites.
Les concessions de foncier ne s'opèrent pas toutes aussi bien qu'à La Réunion. À Mayotte, par exemple, l'État rechigne à céder des terrains sur la fameuse bande littorale appelée zone des cinquante pas géométriques (ZPG), où les prix sont élevés. Même sur la partie urbanisée de la bande littorale, l'État renâcle à transférer des espaces à la collectivité, contrairement à Saint-Martin où le transfert s'est effectué, malheureusement sans moyens et sans accompagnement. Par conséquent, nous devons persévérer, car, à force d'insistance, nous parviendrons à débloquer ces situations aberrantes.
Je salue et envie la chance de Monsieur Vergoz. Il a obtenu tout ce qu'il avait demandé. Peut-être pourra-t-il nous livrer quelques secrets de sa réussite. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas ménagé nos efforts. Ainsi, comment expliquer que la Corse ait obtenu un transfert de toute sa forêt et que la Guyane n'obtienne rien, alors même que nous avions formulé notre demande en nous fondant sur le précédent corse ? Le Conservatoire du littoral nous remet simplement un document intitulé « stratégie foncière » et nous demande notre avis sur ce document. Par conséquent, j'estime que nous sommes laissés de côté : nous ne sommes même pas consultés.
Monsieur Vergoz, vous considérez un État unique. Certes, mais pour ma part, je distingue aussi l'État local de l'État central. Ce dernier comporte le Gouvernement, le ministère des finances, les directions des administrations centrales. Au sein de l'État local, c'est-à-dire les administrations déconcentrées, en Guyane, je considère en effet, comme vous, que l'efficacité de notre travail résultera grandement de la compétence de nos interlocuteurs et de la qualité de nos relations. J'ai confiance en la loi. Je crois beaucoup également aux relations humaines et aux conventions que nous pouvons établir.
Quoi qu'il en soit, nous aurions dû pouvoir avancer plus rapidement. Les résultats s'avèrent très insatisfaisants. En 2016, je confirme que l'habitat spontané, dépourvu d'eau, d'électricité, de gestion des déchets et de transport, est plus nombreux que l'habitat légal. De plus, les plans de lutte contre l'insalubrité s'avèrent totalement inopérants. Les élus de Guyane devraient disposer des moyens nécessaires pour aménager et développer le territoire, conformément aux stratégies pour lesquelles ils ont été élus.
Je partage le sentiment de Monsieur Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, sur les blocages de l'État. Nous vivons en effet une situation similaire en Guyane. Nous n'expliquons pas la réticence de l'État. Peut-être sommes-nous victimes d'une vision de la forêt amazonienne devant être extrêmement protégée et conservée. Fort heureusement, les discours étatiques de « mise sous cloche » refluent à mesure que les besoins d'aménagements émergent cruellement.
Vous êtes dotés en Guyane du SAR, document devenu exécutoire en 2016. Or, vous déplorez être pieds et poings liés. Comment l'expliquez-vous alors que le SAR a été validé par la CTG et donc par les Guyanais eux-mêmes ?
L'habitat spontané n'est pas traité dans le SAR car nous ne pouvons le prévoir et le planifier. Pourtant, nous le subissons. Je vous démontre donc par l'exemple que nos projections ne peuvent pas systématiquement coïncider avec la réalité de la situation guyanaise. Dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) en cours d'élaboration, nous prévoyons d'alimenter la Guyane en énergie renouvelables, à partir d'hydraulique et de biomasse principalement pour valoriser notre forêt. Pourtant, les dossiers n'aboutissent pas. Ils ne sont pas instruits. Nous devons redéfinir nos stratégies afin qu'elles soient plus cohérentes, qu'elles soient mieux mises en oeuvre et enfin contrôlées dans leur application.
La CTG intervient à deux niveaux : d'abord, elle intervient de façon classique pour définir les outils de planification et éclairer la ligne de développement du territoire. C'est ainsi pour tous les acteurs, dont l'EPAG qui est un des instruments de cette stratégie. Ensuite, la CTG a aussi la volonté de mettre en oeuvre cette politique en tant que quasi-maître d'ouvrage. Ce n'est pas en faisant des statistiques sur la mise en oeuvre du SAR que cela va spontanément s'améliorer. La CTG veut donc prendre la main.
L'EPAG constitue un outil de mise en oeuvre de la politique d'aménagement sur des terrains de l'État, sur des parcelles publiques et privées, y compris de la CTG. La CTG aura le choix de ses outils de mise en oeuvre et de planification calendaire de son schéma stratégique. Pour l'EPAG lui-même, la question de la propriété foncière se ramène surtout à celle de l'accélération des procédures. À ce titre, je souhaiterais vous soumettre un exemple éloquent. L'EPAG peut bénéficier de terrains gratuits pour réaliser ses missions. Or, le délai d'instruction moyen pour obtenir un acte de transfert de terrain de l'État est actuellement de quatre ans, à partir du moment où le projet a déjà été validé. Avec une CTG plus volontariste et propriétaire foncière, nous pourrions sans doute aller plus vite pour réaliser nos projets d'aménagement, au service du développement économique.
Je vous remercie de ces précisions. Vous nous avez permis de mieux connaître et comprendre la situation qui est la vôtre et les retards.
Cette audition confirme les conclusions de nos précédents rapports. La Guyane présente de fortes particularités et ne peut pas être assimilée à La Réunion, par exemple.
En ce qui concerne l'habitat dit spontané, une distinction s'impose entre les habitats indignes comme les bidonvilles insalubres et les habitats informels, accaparés de manière opportuniste lors de chantiers sur le long des routes.
En Martinique comme en Guyane, l'objectif consiste en un transfert des domanialités de l'État vers la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) et la CTG. La difficulté supplémentaire en Guyane, c'est qu'elle subit une déferlante migratoire très difficile à canaliser.
Permettez-moi de replacer cette audition dans le contexte des travaux de la délégation. Nous avons déjà produit deux rapports d'information sur la thématique foncière en Guyane : un premier sur le domaine de l'État ; un deuxième sur l'indivision et les problématiques de droits coutumiers. Nous échangeons aujourd'hui autour de l'utilisation du foncier, des conflits d'usage et des difficultés d'aménagement.
Nous avons déjà entendu les administrations centrales, les ministères de l'environnement, du logement et de l'agriculture. Nous venons d'échanger par visioconférence avec les représentants de la CTG et de l'EPAG.
Madame Joëlle Prévot-Madère, présidente de la CGPME Guyane, est présente à Paris avec nous et participera également à notre visioconférence.
La SIMKO constitue l'un des bailleurs sociaux de Guyane. À cet égard, nous sommes directement concernés par l'aménagement du foncier, qui conditionne les constructions de logements sociaux.
La disponibilité de foncier viabilisé s'avère fondamentale pour la construction de logements sociaux. Or, le foncier viabilisé manque cruellement en Guyane. Des études répétées engagées par la Deal ont établi qu'il faudrait construire près de 3 500 logements par an, pendant dix ans, afin de résorber le déficit actuel, estimé à 13 000 logements, soit l'équivalent de l'ensemble du parc social actuel, et de faire face à l'accroissement naturel et au flux migratoire.
Si l'on considère une densité moyenne de 20 logements à l'hectare, il faudrait donc produire et viabiliser annuellement environ 175 hectares. Or, la production de surfaces viabilisées annuellement atteint seulement 50 hectares. Nous sommes donc loin du compte.
Les trois grands pôles urbains, l'île de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent du Maroni constituent, naturellement, les zones les plus tendues en matière de foncier viabilisé disponible. Sa production se heurte à des freins de différents ordres. Il faut d'abord considérer les obstacles financiers. Dans les centres urbains, le foncier est trop cher. Le coût du foncier a explosé en périphérie immédiate des agglomérations, compte tenu de sa rareté et de la forte demande de terrains viabilisés. Certes, le coût du foncier nu diminue si l'on s'éloigne des centres urbains, mais les réseaux primaires (eau potable, eaux usées, électricité, téléphone) demeurent inexistants. Généralement, les voiries et réseaux primaires devraient pourtant être pris en charge par les collectivités locales, les réseaux secondaires par les aménageurs et les réseaux tertiaires par les promoteurs. Dans les faits, les communes ne participent pas au financement des infrastructures primaires, faute de moyens financiers. Par conséquent, la prise en charge échoit finalement aux promoteurs privés ou sociaux, qui supportent donc l'intégralité du poids de la viabilisation.
À cela s'ajoutent les obstacles géographiques. Dans les communes de l'intérieur ou sur les fleuves, le coût du foncier viabilisé est renchéri par les frais d'approche. Hormis dans certaines zones très limitées (Mont Baduel, Mont Cabassou, rivages et littoral à Cayenne, Rémire-Montjoly et Kourou), les expositions aux risques s'avèrent peu contraignantes.
Enfin, existent des aléas juridiques. Les occupations illégales de terrains privés comme publics ne cessent de progresser, principalement par des populations immigrées. Par ailleurs, les procédures se révèlent extrêmement longues lorsque l'État rétrocède des terrains. Cependant, l'État accorde un abattement du prix de vente quand les terrains sont destinés à des opérations de constructions de logements sociaux. Enfin, à notre avis, beaucoup trop de terrains aptes à l'urbanisation, situés en zone littorale, sont grevés de zones protégées ou de zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).
Vous nous avez demandé notre appréciation du travail effectué par l'EPAG. Nous estimons que le bilan de l'EPAG en matière de logement est positif. Cependant, la production de zones d'aménagement concerté (ZAC) est freinée par l'insuffisance des crédits du fonds régional d'aménagement foncier urbain (FRAFU), censés pallier l'absence de participation des collectivités.
En ce qui concerne la charge foncière, son coût atteint 460 euros le m² de surface de plancher, soit environ 25 % du coût de la construction. C'est considérable. La charge foncière s'enchérit en raison de la mauvaise portance ou qualité des sols, qui nécessitent souvent de réaliser des fondations profondes.
Vous nous interrogez sur le plan logement outre-mer. Mon jugement est abrupt. Ce plan n'étant pas doté d'enveloppe financière propre, l'impact sur l'emploi dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) se révèle totalement insignifiant.
En conclusion, tous les espoirs des bailleurs sociaux en Guyane reposent sur une augmentation des crédits de la ligne budgétaire unique (LBU) et du FRAFU, et sur la mise en oeuvre de l'opération d'intérêt national (OIN).
Je vous remercie de nous associer à votre réflexion. L'ONF est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), dont la mission principale est la gestion des forêts publiques, qu'il s'agisse des forêts domaniales de l'État ou de celles des collectivités, le cas échéant.
L'ONF remplit des missions régaliennes, comme la surveillance de l'intégrité du domaine qui lui est remis en gestion et l'établissement des actes qui ont pour objet l'utilisation ou l'occupation des bois et forêts de l'État. L'ONF a également la charge de valoriser le domaine qui lui est confié, sur le plan environnemental, social et économique. Cela passe notamment par l'approvisionnement de la filière bois, une filière importante pour le développement endogène de la Guyane. La valorisation peut aussi toucher le tourisme et le secteur minier.
Or, en tant que gestionnaire d'un domaine aussi vaste que celui de la Guyane, l'ONF est confronté à des conflits d'usage. Il doit trouver les moyens de les anticiper et de les régler. Ces conflits s'expliquent notamment par la multifonctionnalité des espaces forestiers. À cette fin, nous disposons d'un outil de planification, appelé l'aménagement forestier. Il a pour objet de planifier, sur un horizon de 20 ans, l'utilisation du domaine forestier public. Nous arbitrons entre les différents usages en sectorisant les enjeux. Ainsi, nous distinguons les espaces plus particulièrement dédiés à l'exploitation forestière, à l'exploitation minière, à l'accueil du public, à la préservation de la biodiversité ou de la ressource en eau.
Le code forestier confie la rédaction et la préparation de cet aménagement forestier à l'ONF. Toutefois, cela nécessite tout naturellement une concertation étroite avec le propriétaire (le cas échéant, pour les forêts des collectivités) et les différentes parties intéressées (communes de situation dans le cas des forêts domaniales, associations d'usagers, etc.). Les documents d'aménagement sont ensuite arrêtés par l'autorité administrative, via un arrêté ministériel ou préfectoral. Ce cadre général s'adapte aux spécificités du territoire guyanais : un espace vaste, essentiellement boisé et relevant très majoritairement du domaine privé de l'État.
En Guyane, l'ONF assure la gestion d'un patrimoine forestier supérieur à six millions d'hectares. Il assure également l'approvisionnement d'une filière bois générant un chiffre d'affaires annuel de 75 millions d'euros, hors industrie de la biomasse. Le secteur représente 830 emplois directs et 1 245 emplois induits. Il s'agit donc d'une filière structurée et productrice de richesses pour le territoire. De plus, son potentiel de développement est élevé et prometteur, notamment avec l'émergence d'une importante filière de biomasse.
Les massifs forestiers ouverts à l'exploitation forestière sont clairement identifiés dans les documents de planification de l'aménagement du territoire. En particulier, le SAR identifie deux millions d'hectares d'« espaces forestiers de développement », ouverts à l'exploitation forestière. Ces terrains sont juxtaposés à des espaces forestiers à vocation principale de conservation et d'espaces forestiers destinés à être convertis en zones de développement agricole ou urbain.
Par ailleurs, une activité minière légale importante se développe sur les terrains gérés par l'ONF. L'action de l'Office y est plus limitée puisqu'il s'agit d'un régime de concession : l'État concède des titres miniers à des opérateurs. Cependant, l'ONF est chargé d'encourager l'exploitation, sur des fondements de recherche de rentabilité économique et de respect des milieux et des autres usagers. En particulier, l'ONF se montre très impliqué dans la lutte contre l'orpaillage illégal. Ce dernier affecte gravement les milieux et la pérennité économique de la filière légale. Enfin, le patrimoine forestier géré par l'ONF constitue également un support de développement de l'écotourisme. Cette activité demeure embryonnaire pour le moment. Cependant, son avenir est prometteur.
En conclusion, l'action de l'ONF et la mise en oeuvre d'outils de planification conformes aux grands schémas d'aménagement (SAR, SCOT, schéma de cohérence écologique, trame verte et bleue...), permettent d'anticiper et d'aplanir les conflits d'usage. Certes, l'action de l'ONF présente un coût important. En Guyane, le déficit financier de l'ONF atteint 2,4 millions d'euros, soit 25 euros par m² vendu. L'ONF étant un opérateur national, des mécanismes de péréquation et de solidarité permettent une compensation.
Les arbitrages suscitent parfois des mécontentements. Par exemple, la fermeture des pistes forestières à la circulation publique est très contestée. Je signale que des projets de plantations forestières à grande échelle, souhaités par des acteurs de la filière bois, risquent de se heurter à des problèmes de disponibilité foncière et d'interférences conflictuelles avec des zones à vocation agricole ou de conservation environnementale.
Je précise enfin qu'en cas de transferts fonciers vers les collectivités territoriales ou des opérateurs privés, le code forestier continue de s'appliquer. Les principes de planification de la gestion forestière, détaillés dans le code forestier, restent aussi valables dans une moindre mesure pour la propriété forestière privée.
Je remercie la délégation sénatoriale d'avoir associé le MEDEF à ces échanges. Nos adhérents dénoncent le coût bien trop important du foncier viabilisé au regard des capacités de financement des entreprises. Lorsque l'on trouve du foncier, bien souvent il n'est pas viabilisé. Monsieur Mathis a fait part du coût prohibitif du foncier viabilisé qui ne permet pas à de nombreuses entreprises de l'acquérir, malgré leurs besoins.
De plus, la rareté du foncier viabilisé dans les zones denses force les entreprises à s'éloigner des centres de population, et donc à s'éloigner de leurs bassins de consommation potentiels. Elles se heurtent alors au problème de la desserte en transports qui complique encore leurs décisions d'investissement.
En résumé, l'absence de foncier viabilisé grève lourdement le potentiel de développement des entreprises.
Je vous remercie de nous donner la parole. Le Grafoguy comprend douze associations adhérentes et quelques autres qui gravitent autour de lui. Notre groupement représente environ 3 000 familles, qui n'ont guère l'occasion de faire entendre leur voix. Je vous remercie donc, à nouveau, d'avoir associé notre groupement à votre réflexion.
Le Grafoguy existe depuis 2003. Nous défendons les intérêts de nos associations adhérentes. Nous souhaitons mettre en valeur les terrains de l'État, en l'occurrence des parcelles de un à deux hectares nous concernant. L'objectif consiste à mettre en valeur ces terrains à des fins de production agricole en vue de parvenir à l'autosuffisance alimentaire du territoire.
Nous souhaitons nous installer sur les terrains de l'État, si possible en parfaite coordination avec lui ; jamais sur des terrains appartenant à des propriétaires privés. En effet, nous combattons les installations sauvages. Par conséquent, nous collaborons activement avec l'État depuis 2004, afin de respecter les procédures réglementaires. Nous nous appuyons sur les plans locaux d'urbanisme (PLU).
Jusqu'à présent, nous avons financé nos actions sur nos fonds propres. Le Grafoguy a valorisé des centaines d'hectares de terrains et construit des kilomètres de voies. Le groupement n'a reçu aucune aide pour le moment, alors que nos actions permettent de lutter contre le chômage, l'exclusion sociale et le manque d'intégration. Afin de nous aider dans notre développement, nous souhaitons obtenir des financements de l'État. Alors que la société guyanaise est en perte de repères en raison de difficultés économiques, permettre à la population d'accéder à un lopin de terre se révèle crucial.
Nous sommes aussi convaincus que les attributions foncières pourraient permettre d'intégrer les populations migrantes à condition de les réorganiser. La situation migratoire impose une réaction collective. Nous souhaitons travailler en bonne harmonie avec l'État. Nous rencontrons encore des difficultés dans l'accès aux titres de propriété permettant aux personnes occupantes de jouir pleinement de leurs droits sur leurs terrains. Nous avons mis en place une procédure de société civile immobilière d'attribution (SCIA). Elle a vocation à aider les personnes installées sur des terrains de l'État à devenir propriétaires de leur logement. Cette procédure, pourtant préparée en concertation avec l'État, rencontre des difficultés de mise en place.
Je souhaite appuyer mon propos sur des données statistiques. La superficie de la Guyane atteint 83 534 km², dont 76 211 km², soit 91 % du territoire, constituent des zones protégées au titre d'une multitude de dispositifs : zones de coeur et de libre adhésion au PAG, PNR, réserves naturelles, Conservatoire du littoral, arrêtés de biotope, ZNIEFF et enfin RAMSAR pour les zones humides.
Il reste 9 % non classés, mais tous ces terrains ne sont pas mobilisables. L'État possède 95,2 % du territoire guyanais, comme le rappelait votre premier rapport de 2015 sur le domaine de l'État. Les 4,8 % restants du territoire constituent des zones déjà occupées et habitées, appartenant à des propriétaires privés, les collectivités ne disposant quasiment pas de foncier. Encore faut-il considérer les phénomènes d'indivision et de carence de titrement que vous avez analysés dans votre deuxième rapport de 2016 sur les titres de propriété. Cette accumulation de contraintes explique largement les difficultés considérables rencontrées pour développer l'agriculture et pour accéder à des terrains disponibles pour du logement, en particulier social. Comme l'a souligné la SIMKO, les terrains disponibles - de droit privé sans être en indivision - présentent un coût trop élevé. Par conséquent, on ne peut répondre à la demande en matière de logement social. Je me suis rapprochée de la Chambre d'agriculture qui m'a transmis les éléments suivants. Parmi les 50 000 hectares environ du domaine de l'État mis à disposition de personnes à des fins agricoles, 27 000 hectares seulement sont effectivement utilisés pour de la production agricole. Par conséquent, que faire pour traiter les autres demandes de terrain ? En particulier, de la part de jeunes souhaitant s'installer. De plus, les terrains les plus facilement accessibles et valorisables ont déjà été accordés. Il faut donc aller de plus en plus loin, s'enfoncer de plus en plus profondément dans la forêt pour réaliser des attributions foncières. Dans ces espaces plus reculés, le coût du déboisement atteint 3 500 à 5 000 euros par hectare. De tels prix s'avèrent prohibitifs pour les jeunes agriculteurs qui se lancent.
La chambre d'agriculture a estimé que l'EPAG avait accompagné de manière satisfaisante une opération à Wayabo. Cependant, l'opération n'a pu être menée jusqu'au bout, puisque l'électrification n'a pu être mise en place alors qu'elle est essentielle. En Guyane, lorsqu'un jeune agriculteur obtient un terrain, ce dernier est boisé, dépourvu d'accès à l'eau et à l'électricité et de toute voirie. Par conséquent, il s'avère extrêmement difficile et lourd de développer l'agriculture guyanaise dans de telles conditions.
Comment développer plus solidement l'agriculture guyanaise à l'horizon 2030 ? La Chambre d'agriculture s'est penchée sur le sujet et a établi une projection, principalement sur la filière d'élevage. Pour les bovins, l'objectif consiste à parvenir à 50 % de taux d'occupation de surface, contre 17,3 % actuellement. La cible de 50 % est la même pour les porcins, elle est fixée à 30 % pour les ovins et 20 % pour les volailles. À cet effet, il faudrait installer 100 agriculteurs par an et attribuer globalement 3 200 hectares par an, sachant que l'État reste maître de 400 000 hectares mobilisables environ.
En ce qui concerne les logements, je me suis rapprochée de la cellule économique régionale de la construction de la Guyane (CERC Guyane). Ils ont vérifié les données relatives aux volumes de logements sortis et aux démarrages de chantier. Il semblerait que la CERC commence à être rassurée. Elle s'inquiétait de constater que le volume d'appels d'offres n'avait cessé de diminuer depuis 2012, soit bien avant le début de la crise du logement en 2014. Par conséquent, la filière ne vivait depuis 18 à 24 mois que sur des stocks accumulés lors des pics de construction de 2011 et 2012. L'année 2015 s'est révélée catastrophique et les stocks de travaux s'étaient épuisés. Cependant, la reprise est apparue en 2016. En effet, le volume d'appels d'offres, en termes d'ordres de services (OS) et de démarrages de chantier (DEM) atteint déjà en novembre 2016 un niveau supérieur à l'année entière de 2015. La demande redémarre. L'augmentation de la ligne budgétaire unique (LBU) versée ces deux dernières années commence à porter ses fruits. Il est donc impératif que, non seulement son montant ne diminue pas, mais encore qu'il continue d'augmenter. En effet, les besoins demeurent considérables. L'objectif est de parvenir à 3 500 nouveaux logements par an.
En ce qui concerne les préconisations pour soutenir les demandes de Grafoguy, la chambre d'agriculture suggère de fournir des parcelles constructibles sur le domaine de l'État à tout Guyanais qui souhaite acheter sa parcelle pour construire sa maison.
Monsieur Dubois, vous avez confié que la gestion forestière assurée par l'ONF permettait aux collectivités d'en tirer un réel bénéfice. Pourriez-vous nous préciser quelles sont la nature et l'étendue de ces bénéfices ? De plus, vous avez souligné avoir été amené à fermer des pistes forestières. Pourriez-vous nous réexpliquer la raison de cette fermeture, qui peut donner lieu en effet à des contestations ?
Par ailleurs, Monsieur Léandre, vous avez signalé être en relation avec l'État. L'État met-il des terrains à votre disposition par convention ? Le cas échéant, de quels types de conventions s'agit-il ? En outre, jugez-vous la relation avec l'État satisfaisante ?
Les bénéfices que j'évoquais concernent les retombées économiques de la filière bois. Un peu plus de 2 000 emplois sont générés par les activités d'exploitation forestière, de sciage, d'utilisation du bois dans la charpente et la construction. Le bois constitue ainsi l'une des richesses du territoire guyanais. Son exploitation participe du développement endogène du territoire et permet de répondre à une part importante de ses besoins, notamment en substitution à des importations.
Le déficit opérationnel de l'ONF vient du fait que les produits des ventes de bois et le montant des redevances cumulées sont inférieurs aux coûts de gestion. La forêt ne constitue pas pour l'instant une richesse pour son propriétaire. Nous souhaitons parvenir à rendre rentable l'exploitation forestière en Guyane. Cet objectif d'efficience s'avère d'autant plus important si nous avons pour horizon - et je pense que c'est le sens de l'Histoire - de restituer tout ou partie des terrains aux collectivités territoriales.
Si la forêt ne représente pas une source de richesse pour l'État, en revanche les revenus induits par la gestion de l'ONF demeurent non négligeables pour le territoire. En particulier, la filière de l'exploitation de bois, ainsi que d'autres secteurs comme le tourisme, bénéficient de la gestion forestière assurée par l'ONF. La forêt est bien une richesse pour le territoire.
Vous m'interrogez sur les causes de la fermeture au public de pistes forestières. Celles-ci remplissent une fonction extrêmement importante, essentiellement pour l'exploitation forestière et le trafic de grumiers et d'engins pour les activités minières. Or, la circulation de ces véhicules rend impossible l'ouverture à la circulation des pistes forestières, pour des raisons de sécurité. De surcroît, les coûts d'entretien induits par une mise en conformité des pistes à la circulation publique seraient absolument rédhibitoires. En effet, le budget annuel que nous consacrons à l'ouverture de pistes et à leur entretien s'élève respectivement à deux et un million d'euros. Nos revenus propres ne nous permettent donc pas d'entretenir un patrimoine routier qui soit compatible avec l'ouverture au public.
Par ailleurs, l'ouverture des pistes forestières aurait un impact environnemental fort, en favorisant la chasse dans des zones jusque-là préservées de toute activité humaine. La fermeture au public des pistes forestières constitue souvent une clause conditionnelle d'attribution des aides à l'investissement. Cette décision n'émane pas de l'ONF. Elle a fait l'objet d'une discussion et a été validée par l'autorité administrative.
Partant de ces constats, auriez-vous des préconisations pour rendre plus rentable l'exploitation du bois ? L'État y consacre-t-il suffisamment de moyens ?
L'exploitation forestière est structurellement complexe en Guyane, en raison notamment de la très forte saisonnalité. Pendant la saison des pluies, il est quasiment impossible de sortir du bois des massifs forestiers. De plus, les distances entre la zone de récolte et la zone de transformation s'avèrent très importantes.
En outre, la forêt guyanaise constitue la seule forêt tropicale humide d'Europe. De ce fait, elle bénéficie d'une attention particulière et a une obligation d'exemplarité. Elle est notamment soumise aux contraintes de l'exploitation dite à faible impact écologique. Or, les précautions imposées engendrent un surcoût. En particulier, l'éco-certification engendre un niveau de prélèvement relativement faible, de cinq tiges à l'hectare, afin de ne pas bouleverser l'écosystème. Il s'agit d'une exploitation diffuse employant de forts moyens de mécanisation avec des coûts d'approche importants.
Par ailleurs, afin de soutenir financièrement la filière en Guyane, le prix de vente du bois est en effet fixé par l'administration, à un niveau volontairement bas. Ce prix ne permet pas à l'ONF de couvrir ses frais de gestion. Il soutient cependant la compétitivité de la filière bois. Les aides européennes de la politique agricole commune (PAC), via le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) tendent à diminuer au cours des dernières années. Les acteurs de la filière bois de Guyane cherchent à obtenir un dispositif analogue à celui du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) des agriculteurs. Ce système compenserait les handicaps naturels liés à la difficulté de l'exploitation des massifs guyanais.
J'entends bien votre propos sur les aides de l'État et sur les aides européennes, en l'occurrence pour le FEADER et le POSEI. Cependant, une économie subventionnée ne peut être pleinement compatible avec un développement endogène durable.
Vous avez souligné les conséquences néfastes de la circulation humaine pour la chasse. Or, je connais des pays qui exploitent du bois sans compromettre aucunement la biodiversité ni la richesse biologique, ni la vie même de la forêt. Par conséquent, vous satisfaites-vous de la situation actuelle ou estimez-vous que des portes sont à ouvrir pour la Guyane ? J'entends que 91 % du territoire guyanais est protégé. Cependant, la protection exclut-elle de manière systématique, définitive et radicale, la possibilité pour l'homme de valoriser son environnement ?
J'ajoute que les sociétés exploitantes de bois souhaiteraient obtenir des quotas plus élevés. Or, l'ONF le refuse en général. L'office accorde seulement un pourcentage de production supplémentaire en fin d'année, lorsque tous les besoins n'ont pas été satisfaits. Nous l'avons auditionné au Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur la gestion des forêts. Chaque année, les exploitants forestiers guyanais émettent la demande de quotas supplémentaires, sans qu'elle soit satisfaite.
Auparavant, les exploitants de bois coupaient principalement les essences précieuses. Depuis, des experts ont mené des études. D'autres types de bois bénéficient désormais de certifications de la part de l'Union européenne. Auparavant, seules les essences précieuses pouvaient être coupées, ce qui engendrait un surcoût important puisque les bois précieux étaient dispersés sur de grandes surfaces diffuses.
Nous étions en visioconférence précédemment avec les responsables de la CTG et de l'EPAG. Les élus de Guyane se demandent pourquoi aucune forêt territoriale ou communale n'existe en Guyane. Sur tous les autres territoires de France hexagonale, la différenciation entre forêt domaniale et forêt de collectivité existe. S'agit-il pour l'ONF de mieux protéger les massifs, en raison d'une fragilité financière des communes guyanaises qui ne leur permet pas de soutenir une politique de gestion et d'aménagement de la forêt ?
Je salue mon ami Roland Léandre, président du Grafoguy. S'il nous a indiqué avoir aujourd'hui de bons rapports avec l'État, je peux le confirmer, cela est le fruit d'un travail difficile. Il y a une trentaine d'années, nous étions déjà descendus dans la rue pour réclamer une rétrocession du foncier. Nous ne comprenions pas que les citoyens guyanais puissent être parqués dans des HLM, dans des tours, alors que nous disposions d'une superficie de 84 000 km². Or, le Grafoguy reprend nos revendications des décennies précédentes. Il fédère des associations et défend le droit des Guyanais à la propriété, droit républicain inscrit dans la Constitution française et né de la Révolution française.
Je souhaiterais poser une question à Madame Prévot-Madère. Vous rappelez que 91 % du territoire guyanais est protégé. En outre, 95 % de la superficie de la Guyane appartient à l'État. Par conséquent, la population guyanaise dispose de peu de terres disponibles pour ses activités. Estimez-vous indispensable de protéger 91 % du territoire guyanais, de surcroît lorsque les besoins exprimés par les experts en construction s'élèvent à 3 500 nouveaux logements par an ?
En France métropolitaine, les terrains sont interdits à la construction lorsqu'ils menacent la sécurité des populations ou protégés pour préserver l'environnement faunistique et floristique.
Un quart du territoire de la Guyane est classé en ZNIEFF, soit près de 23 000 km². La décision de classer des espaces est censée se fonder sur des critères précis. La procédure réglementaire pour les espaces classés impose un cadre strict. En effet, un arrêté préfectoral doit être signé, affiché en mairie et mentionner un bureau d'études. De plus, le propriétaire doit être prévenu. Or, pour de nombreuses ZNIEFF de Guyane, nous ne sommes pas en mesure de disposer de l'ensemble des pièces justificatives et des actes nécessaires. Nous nous interrogeons.
Je ne remets pas en cause la légitimité des ZNIEFF. En revanche, les besoins d'espaces préservés doivent pouvoir se concilier avec d'autres espaces, à disposition des besoins de la population. Des terrains constructibles sont nécessaires afin de répondre à l'augmentation de la population. La natalité reste vigoureuse et la Guyane reçoit de nombreux migrants sur son sol. Or, si l'État n'accède pas à la demande de logements, les personnes s'installent et construisent illégalement. Le défaut de contrôle du territoire par l'État se pose également. En effet, l'État français se trouve en difficulté en Guyane et à Mayotte pour assurer ses prérogatives régaliennes de surveillance des frontières face à une immigration très importante.
Le Grafoguy reçoit des terrains pour construire. Quelle est la nature juridique de l'accord conclu entre l'État et le Grafoguy ? S'agit-il de conventions ?
Les terrains attribués présentent une vocation agricole, avec un objectif d'autosuffisance alimentaire et de diversification de l'agriculture, en fonction des capacités et des propriétés des sols. C'est bien la production agricole et non la construction de maisons qui est visée.
Quels sont nos rapports avec l'État ? Nous avons dû frapper sur la table, afin de nous faire entendre. En 2004, avec le soutien du président de région de l'époque, Antoine Karam, les associations et l'État se sont réunies. Les premières rencontres ont été difficiles pour définir des procédures. Progressivement, nous avons pu obtenir le principe que l'État nous cède à un prix avantageux et abordable des parcelles, autour de 400 euros l'hectare, dans des zones plus ou moins périphériques des villes. L'évaluation a été établie sur des bases saines, sans spéculation. Les collectivités devaient donner leur accord quant à la destination des terrains. Progressivement, des terrains ont pu être vendus à des particuliers. Près d'un millier d'actes de vente ont été réalisés par l'intermédiaire du Grafoguy. Cependant, la conjoncture a changé. Depuis quelques temps en effet, l'investissement de l'État s'est fortement ralenti. Les effectifs dans l'administration ont décru ou n'ont plus la disponibilité pour entériner les actes. Pourtant la demande reste forte. Par conséquent, de nombreux dossiers demeurent en souffrance.
Pour pallier les retards dans l'instruction des dossiers, nous avons fait le choix de la constitution d'une société civile immobilière d'attribution (SCIA), afin que les parcelles soient vendues dans leur ensemble à la SCIA, sans devoir rédiger autant d'actes que d'adhérents. Nous constatons malheureusement un revirement de l'État qui se traduit par la volonté d'imposer unilatéralement de nouveaux prix de vente des parcelles, sur une frange comprise entre 8 000 et 15 000 euros l'hectare, au lieu des 400 euros initiaux. Pourtant, le Grafoguy a lui-même mis en valeur les terrains qui lui ont été confiés : construction des routes, électrification. De plus, l'augmentation substantielle du prix des terrains compromet la justice sociale, puisque ces terrains étaient principalement destinés à des populations fragiles. L'État entend-il écarter le citoyen guyanais de l'accession à la propriété ?
Votre propos a le mérite de la clarté. Hélas, nous sommes arrivés au terme de notre discussion. Je vous remercie des réponses que vous avez pu nous apporter et qui enrichiront notre rapport.