Je suis heureuse d'accueillir M. Fabrice Fries, président de l'Agence France-Presse (AFP). Monsieur le président, vous avez été élu le 12 avril 2018, et il s'agit donc de votre première venue devant notre commission : soyez le bienvenu, et sachez que nous suivons avec beaucoup d'intérêt la situation de votre agence.
L'Agence France-Presse traverse une zone de turbulence. Votre prédécesseur, Emmanuel Hoog, militait en particulier pour un soutien accru de l'Etat et une évolution de votre statut, qui date de 1957 et a été rénové à la marge en 2015. Vous avez présenté un plan très ambitieux « AFP 2018-2022 - changeons ! », qui marque votre confiance en la capacité de l'Agence à se rénover. Vous subissez, comme tant d'autres, le choc numérique, une vive concurrence des GAFAM, devenus des intermédiaires incontournables, avec lesquels cependant des collaborations ont été engagées. En un mot, les défis ne manquent pas.
Je vous propose de vous entendre nous exposer votre vision de l'AFP, puis je passerai la parole à notre Rapporteur Michel Laugier, et à l'ensemble de nos collègues.
Enfin, je souhaite préciser que le sénat est représenté au conseil supérieur de l'AFP par notre collègue Céline Boulay-Espéronnier.
J'ai été élu en avril sur la base d'un projet connu de tous, commenté et décrypté. Comme je m'y étais engagé, dès mon élection j'ai lancé un exercice - certes courant dans les entreprises, mais qui n'avait pas eu lieu depuis longtemps à l'AFP -, de démocratie participative, sur la base d'ateliers. Il existe en effet de très nombreux rapports sur l'AFP, mais il me paraissait intéressant d'avoir l'avis des personnels. Le projet avait été réalisé par quelqu'un extérieur à l'AFP qui s'était appuyé sur les documents publics, et je souhaitais qu'il soit enrichi voire contesté si besoin. Ces ateliers ont connu un beau succès et étaient principalement axés sur la croissance. Une synthèse des travaux a été présentée au conseil d'administration début juillet. J'ai d'ailleurs eu la satisfaction de constater que le projet sur la base duquel j'avais été élu avait été confirmé dans son ensemble par ces travaux. L'ambition de ce document est simple : clarifier la stratégie de l'AFP. En effet, il me semblait que les priorités que s'était fixée l'AFP étaient trop nombreuses - intensifier le développement de la vidéo, développer l'offre vers les entreprises, gagner des clients supplémentaires, être un acteur du sport -, et accompagnées de trop peu d'indicateurs chiffrés.
L'AFP a aujourd'hui une seule priorité : développer la vidéo et dégager 30 millions d'euros de revenus additionnels en cinq ans. L'agence dispose d'une très bonne renommée en ce qui concerne les photos et les textes. D'ailleurs, on considère souvent que l'AFP est, avec Getty Images, l'une des meilleures agences photo au monde. Elle a cependant pris tardivement le tournant de la vidéo et elle s'est laissée distancer par Reuters et Associated Press. Elle l'a depuis développé, à l'initiative de mes prédécesseurs, et devient compétitive. Nous avons ainsi récemment gagné des contrats. Pour nous, cette branche représente une chance, car elle constitue un relai de croissance. Auparavant, l'image était complémentaire du texte. Maintenant, elle devient une porte d'entrée à l'information, particulièrement chez les plus jeunes, pour lesquels le texte devient complémentaire de l'image ou de la vidéo. C'est la raison pour laquelle je suis persuadé que l'AFP dispose d'un gisement de croissance, que la vidéo peut devenir un des coeurs de métiers de l'agence. Pour cela, nous avons accéléré les investissements - et pris aussi quelques risques -, que ce soit en moyens supplémentaires pour les régies et de nouvelles équipes. Aujourd'hui, les grandes chaînes de télévision et les portails Internet s'abonnent à deux flux d'images et de vidéos. Or, il existe trois grandes agences internationales : Reuters, Associated Press et l'AFP. Nous sommes donc en concurrence avec ces derniers pour être l'un des flux retenus.
L'Agence a besoin de retrouver la croissance. Entre 2014 et 2017, elle a perdu 10 millions d'euros de recettes, en raison, principalement, de la crise de la presse. Or, il est difficile de réformer une entreprise sans croissance. J'entends les critiques de certains expliquant que je vais sacrifier le texte. Aujourd'hui il représente 43 % des revenus, la vidéo 16 % et la photo 22 %. Mon objectif est de faire passer la part de l'image de 39 % à 50 % de nos recettes en cinq ans.
En outre, nous sommes en train de développer un outil technique, mais fondamental, relatif à la présentation de la livraison des contenus. Il existe deux sites Internet : un site grand public - afp.com -, et un site pour nos clients - AFP forum. Ce site n'est pas à la hauteur de celui de nos concurrents.
Enfin, nous devons développer une nouvelle stratégie marketing et commerciale. Certes, l'ADN de l'AFP est l'information et non la vente. Mais, il est indispensable de renforcer cet axe. D'ailleurs, j'ai tendance à penser que l'une des raisons de mon élection tient peut-être à mon expérience commerciale.
Pendant plusieurs années, l'AFP n'a pas pu mettre les moyens nécessaires sur l'innovation. Or, elle est essentielle pour lutter contre les fake news, par des logiciels de décryptage et d'identification d'altération de fichiers, ou contre le piratage. La directive sur le droit d'auteur, qui comporte des dispositions sur les droits voisins, va nous permettre de suivre plus précisément nos contenus.
En résumé, nous devons retrouver de la croissance en développant la vidéo, avec un outil de présentation des contenus compétitifs et une nouvelle dynamique marketing et commerciale.
Votre prédécesseur avait indiqué que 60 millions d'euros lui paraissaient nécessaires sur cinq ans pour donner à l'AFP les moyens de poursuivre son développement. Les premiers éléments du budget 2019 font état d'une hausse de la dotation de 2 millions d'euros. Quelle analyse faites-vous de ce chiffre et à combien estimez-vous vos besoins supplémentaires au cours des prochaines années ? En outre, vous avez expliqué vouloir revenir sur la priorité donné au sport par votre prédécesseur. Or, la France s'apprête à accueillir un certain nombre de grands événements sportifs. Pouvez-vous développer ce point ? De manière générale, nous ne disposons pas d'information sur la vision et le dialogue stratégiques entre l'État et l'agence.
En ce qui concerne les GAFAM, qu'attendez-vous vraiment de la directive « droits voisins » et de l'Europe ? Par ailleurs, avez-vous pu avancer sur un nouveau cadre de relations avec les GAFAM ?
La Cour des comptes propose un rapprochement entre France Bleu, France Trois et l'AFP. Quelle est votre position ?
Enfin, estimez-vous que votre élection a été fragilisée par une participation inhabituelle de l'État au processus de décision ?
Qu'entendez-vous par une participation inhabituelle de l'État ?
Le personnel de l'AFP s'est ému de ce que la position de l'État ait fait pencher la balance de votre côté.
Je vous invite à consulter les articles de presse relatifs à la précédente élection d'Emmanuel Hoog, notamment un article du Point. Je regrette que la presse n'ait jamais évoqué le processus de sélection, ni mentionné sa qualité. Il a été tout à fait transparent. J'ai eu connaissance de l'ouverture de ce poste en même temps que les autres candidats. À la fin du premier tour de sélection, nous étions six candidats. Je suis sorti en tête. Honnêtement, je n'ai jamais été le favori. Puis nous étions deux candidats à la fin du deuxième tour de sélection. J'ai dû alors faire connaissance avec les membres du conseil d'administration ainsi que le ministère de tutelle et me présenter à des gens qui ne me connaissaient pas. Il n'y a pas de collusion avec l'État, qui ne me connaissait pas quinze jours avant la décision finale. Il est très difficile d'être élu à la présidence de l'AFP. En effet, il faut recueillir 13 des 18 voix des membres du conseil. Or, les représentants du personnel s'abstiennent systématiquement, ce qui nécessite d'obtenir 13 des 15 voix restantes, soit une quasi-unanimité. Le matin du dernier tour, l'État - disposant de cinq voix - a fait savoir qu'il ne voterait pas pour Emmanuel Hoog. Ainsi, si en théorie, il pouvait quand même être élu, en pratique, cela était impossible et c'est la raison pour laquelle il a retiré sa candidature. C'est à ce moment-là que les syndicats ont publié un communiqué indiquant qu'il n'y avait pas de concurrence car il ne restait qu'un seul candidat. Pour ma part, j'ai eu l'impression d'être en concurrence permanente pendant trois mois. Je n'étais le poulain de personne. En outre, l'État ne dispose pas de la majorité des voix. Certes, il finance l'AFP à 44 %, mais il n'y a pas de candidat de l'État.
En ce qui concerne le sport, la volonté de mon prédécesseur était de se démarquer de la concurrence. Associated Press est très bien positionné sur le marché américain, Reuters sur l'économie et la finance. Toutefois, cette différenciation par le sport n'est pas, selon moi, la bonne solution. En effet, nous ne pouvons pas faire face au renchérissement des droits sportifs. Lors de la dernière coupe du monde de football, 140 de nos journalistes couvraient l'événement. Mais nous avions très peu de « high lines », c'est-à-dire les minutes des matchs, soumis au marché des droits sportifs. Nous disposions seulement des droits pour l'Afrique. En revanche, nous étions très performants sur les événements qui se passaient autour des matchs, des stades, dans les pays participants, ... Pour autant, cela ne signifie pas que nous allons abandonner le sport. Ce dernier irrigue aujourd'hui l'information. D'ailleurs, un quart de la conférence de rédaction est consacrée à la couverture sportive. En outre, le développement de la vidéo va servir le sport, car elle est au coeur de l'information sportive. Il nous faut également investir sur nos points faibles, telle notre couverture anglophone du sport.
Nous sommes soumis à des contraintes financières. C'est la raison pour laquelle nous devons passer des partenariats, notamment avec les GAFAM. Facebook vient d'acheter les droits sportifs de la Liga pour l'Asie. Nous pouvons faire jouer nos atouts, notamment pour la couverture des grands événements sportifs. J'étais, il y a quelques jours, à Tokyo dans le cadre de la préparation de la couverture journalistique de la coupe du monde de Rugby de 2019 et des Jeux olympiques de 2020. Notre expérience est reconnue par nos partenaires.
La Cour des comptes propose un rapprochement avec France Bleu et France Télévisions. Je n'ai pas encore ouvert ce dossier. J'ai rencontré Delphine Ernotte, qui a déjà beaucoup à faire pour rapprocher France 3 et France Bleu. En outre, pour l'AFP, les enjeux se situent surtout à l'international.
L'AFP a joué un rôle important de lobbying pour que le Parlement européen ne renonce pas à ses ambitions sur la directive relative aux droits voisins. Lorsque nous avons su que le Parlement européen avait repoussé le dossier et voté défavorablement lors de la première phase, l'AFP s'est engagée. Son but était de sortir du débat très théorique pour montrer les conséquences pratiques, par le biais de notre chef de bureau à Bagdad. Il a ainsi expliqué que les droits voisins permettaient au final de financer des reportages sur le terrain. Je me suis rendu récemment à Beyrouth, bureau à partir duquel nous couvrons l'Irak. Seuls cinq médias sont présents dans ce pays : les trois agences, le New York Times et le Washington post. Par rapport à il y a 15 ans, la couverture journalistique de l'Irak est dramatique. La position du Parlement européen a changé et désormais le trilogue est ouvert. Je ne sais pas ce que ces droits voisins vont représenter pour l'AFP, sans doute pas une manne pour nous. Mais il est important de reconnaitre la valeur de l'information et sa qualité dans un monde où nous sommes inondés de nouvelles. Aujourd'hui, il y a une double spoliation : les GAFAM mettent sans autorisation nos contenus sur leurs sites. Pour Facebook, l'information est la deuxième source de consultation de ce site. D'autre part, ils captent toute la publicité. Nous sommes aujourd'hui dans une situation duopolistique jamais connue auparavant. Facebook et Google captent 95 % de la publicité en ligne. Toutefois, nous ne devons pas nous présenter sur ce dossier comme des agences en déclin cherchant à grappiller quelques subsides car ne disposant plus de revenus. Aujourd'hui, tout grand titre de presse de qualité dispose d'un site Internet, mais les revenus publicitaires ne suivent pas et les investissements réalisés ne sont pas rémunérés.
On nous explique que les droits voisins constituent un dossier très compliqué, qu'il faudra mettre en place une société de gestion collective des droits, risquant de créer une usine à gaz. Or, des sociétés de ce type existent déjà, nous savons le faire. Il en est de même pour la complexité supposée de calcul de ces droits, qui existe dans tous les métiers.
L'AFP est très soutenue par l'État avec lequel elle entretient un dialogue de qualité, notamment lors de la négociation de la convention d'objectifs et de moyens. La Cour des comptes souligne cependant que l'État, le Quai d'Orsay ne précisent pas suffisamment leurs attentes.
Sur la période 2014 à 2017, les recettes commerciales ont diminué de 10 millions d'euros, soit de 3,6 %, alors qu'au même moment, les charges ont augmenté de 3,7 %. Cet effet ciseau a entraîné un déficit cumulé de 12 millions d'euros. Si l'on continue sur cette trajectoire, sans modifier les grands paramètres, les charges de personnel vont continuer à augmenter, et dès 2019, nous aurons un déficit d'exploitation de 6 millions d'euros. En cinq ans, le déficit cumulé atteindra 95 millions d'euros. Des mesures ont déjà été prises et une réflexion pour gérer au mieux les effectifs est engagée. Mais la priorité actuelle, et la plus compliquée à réaliser, est de retrouver de la croissance. Je présenterai demain au conseil d'administration un programme de réduction des coûts avec pour objectif de revenir à l'équilibre. Vous comprendrez que je doive garder la primeur de ces annonces pour le conseil d'administration mais il est impératif de contenir l'augmentation de la masse salariale pour préserver la capacité de l'Agence. Emmanuel Hoog demandait un soutien financier de l'État de 60 millions d'euros répartis à parts égales sur trois postes : 20 millions d'euros pour soutenir une politique de départs volontaires, 20 millions d'euros pour les investissements et la même somme pour le désendettement. L'État ne s'est pas prononcé sur cette demande afin de ne pas influencer sur la procédure d'élection du nouveau président de l'agence. Toutefois, depuis la réforme des statuts de 2015, l'État ne peut pas venir en sauveur financier. Il ne peut que compenser des mesures d'intérêt général. Cela est regardé de près par la Cour des Comptes et par Bruxelles. Dans ces conditions, un soutien de 60 millions d'euros me paraît impossible. L'État a déjà fait plus que ce qui est prévu dans la convention d'objectifs et de moyens. Il souhaite désormais que l'AFP fasse des efforts de son côté. Cela ne veut pas dire que l'État va se défausser. Mais toute subvention allouée doit l'être dans le respect du droit européen. Nous avons soumis un dossier de financement dans le cadre du fonds pour la transformation de l'action publique, à hauteur de 16 millions d'euros, selon nous compatible avec la règlementation des aides d'État. L'État attend pour sa part que l'Agence montre sa capacité à contenir la masse salariale. Toutefois, je ne parle pas ici d'une réduction des postes, et je peux vous assurer que le dialogue social dans l'Agence est solide.
Un des points évoqués par les syndicats est une rationalisation de l'espace de travail, ainsi qu'un déménagement du siège historique place de la Bourse.
Ce projet n'était pas inscrit dans mon projet initial. Je n'étais jamais venu à l'AFP. Il vaut savoir deux choses. Tout d'abord, la salle de rédaction est coupée en deux. Nous disposons de 3 000 m² d'un côté de la rue - rue Vivienne où nous louons les locaux - et de 11 000 m² de l'autre. Dans n'importe quelle rédaction aujourd'hui, il existe un seul plateau. Chez nous, en raison de ces contraintes, se trouve d'un côté de la rue le suivi de l'information française et de l'autre l'international ainsi que les photos, vidéos et l'infographie. Cela pose un problème d'efficacité que les journalistes sont les premiers à soulever. L'organisation de l'espace dans les bâtiments est celle du XXe siècle. Par exemple, je possède un immense bureau qui pourrait être réduit de moitié, voire plus. Tous les bureaux sont cloisonnés, à l'exception de la salle de rédaction. J'ai ouvert la discussion sur la cession du bâtiment. Un communiqué des syndicats publié hier témoigne de l'émotion suscité par cette annonce. Les trois charges principales de l'agence sont le personnel, les achats et le loyer ; elle possède un seul actif - l'immobilier. Le dossier est donc sur la table, pour une prise de décision en fin d'année. L'idée est de dégager une plus-value pour pouvoir se désendetter - notre dette est de 52 millions d'euros - mais aussi pour renforcer l'efficacité de l'Agence. Les salariés s'interrogent légitimement sur le lieu d'un éventuel emménagement. On ne trouvera jamais mieux que la place de la Bourse. J'aimerais rester dans Paris, même si l'on constate que tous les grands médias sont aujourd'hui en périphérie de Paris : Le Monde s'est ainsi installé à proximité de la Grande bibliothèque. Dans le quartier de la Bourse, il ne reste que Le Figaro et nous. Toutefois, il faut également être conscient que pour des raisons comptables, le coût de sortie fiscale ponctionnera 20 % de la plus-value. Dès lors, un déménagement ne se fera qu'à la double condition de ne pas trop s'excentrer et de dégager une plus-value suffisante.
Nous nous félicitons que l'AFP reste une grande agence mondiale. Les autres agences sont vos concurrents. Mais face aux GAFAM, elles sont placées dans la même situation. Y-a-t-il eu un front commun des agences, sur la directive « droits voisins » par exemple ? Quelles sont les discussions et les rapports de force aux États-Unis ? Enfin, y-a-t-il un risque, si les GAFAM décident que la directive « droits voisins » ne leur convient pas qu'ils arrêtent de référencer vos contenus ?
Depuis dix ans, plusieurs journaux de la presse quotidienne régionale ont résilié leurs abonnements à l'AFP. Je pense notamment à La Provence ou Nice Matin. Avez-vous mis en place un plan de reconquête ?
Vos deux concurrents sont anglophones. L'AFP est l'agence de la francophonie. Y-at-il un positionnement particulier de l'Agence en Afrique, notamment face à l'offensive de Chine Nouvelle ?
Vous voyez dans le développement de l'image et de la vidéo un gisement de croissance. Toutefois l'exigence de réactivité doit être mise en balance avec des informations de qualité. Twitter dispose de 500 millions d'utilisateurs et voit circuler 400 millions de messages quotidiennement. S'agit-il pour vous d'un haut-parleur, d'un allié de l'information, ou un contraire d'un concurrent, notamment en raison du piratage ?
Je me suis beaucoup intéressé à l'AFP. J'ai notamment publié un rapport à son sujet en 2010. Votre présentation est fondée sur des considérations financières. Mais la mission essentielle de l'AFP, dans un contexte de forte concurrence et de présence des réseaux sociaux est de rester une vitrine de l'information francophone de qualité : vérifier les sources, confronter les points de vue. D'ailleurs, aujourd'hui, lorsque l'on veut vérifier une information, on va voir ce que dit l'AFP. L'AFP est une vitrine internationale. C'est la raison pour laquelle l'État participe à son financement depuis 60 ans. C'est pourquoi l'approche financière est un peu réductrice. On oublie que pour arriver à ce niveau de qualité, qui est votre source principale de revenu, cela a un coût. Si la masse salariale diminue, vous risquez de perdre des clients. Dès lors comment s'assurer de ne pas toucher à ce joyau qu'est la qualité de l'information dans le plan d'économie ?
En 2016, en très bonne harmonie avec votre prédécesseur, j'avais déposé une proposition de loi visant à créer un droit voisin au profit des agences de presse. Je l'ai redéposée il y a quelques semaines, cosignée par l'ensemble des membres du groupe socialiste, en l'étendant à tous les éditeurs de presse. J'ai été conforté dans cette démarche par le vote du Parlement européen.
Enfin, s'agissant des fake news, sur lesquelles nous avons il y a peu légiféré, nous avons constaté que le véhicule législatif n'est pas forcément la bonne réponse. Il faut passer par l'éducation et s'interroger sur la manière dont les médias agissaient pour valider et disposer d'une information de qualité. Je trouve que l'AFP ne fait pas suffisamment de choses à ce sujet. Des médias ont mis en place des outils, ont engagé du personnel pour décrypter des rumeurs ou « informations ». Quelles sont vos actions en ce domaine ?
Je soutiens votre choix d'ordonner les priorités de l'Agence. Vous avez évoqué le piratage. Nous avions été sensibilisés à ce sujet avec les lois HADOPI I et II. Quant aux fausses nouvelles, une nouvelle lecture de la proposition de loi relative à la manipulation de l'information aura lieu au Sénat très prochainement. Des contenus de presse sont piratés. Quels outils sont développés pour y remédier ? Je suis en effet perplexe sur la manière de lutter efficacement contre ce fléau.
Parmi les trois grandes agences mondiales, l'AFP est la seule agence européenne. En effet, beaucoup de personnes l'ont oublié, mais Reuters n'est plus anglaise mais canadienne. Nous sommes également en concurrence avec Chine Nouvelle, l'agence d'État chinoise, qui fait un travail de qualité, mais aussi avec les agences russe et turque.
Il n'existe pas de front commun des agences de presse face aux GAFAM. Toutefois, l'avantage de la directive « droits voisins » est que les médias européens avancent désormais groupés face à la menace de déférencement.
Les difficultés de la presse quotidienne régionale font que nos relations commerciales sont tendues. Si certains titres se sont désabonnés, ils ont pu se réabonner par la suite. Des représentants de la presse régionale siègent à notre conseil d'administration. Je pense notamment au quotidien La Montagne. J'ai proposé la mise en place d'un groupe de travail pour sortir d'un face à face focalisé sur le tarif. Nous avons déjà proposés des formules particulières, par exemple « l'essentiel », qui est différent du fil d'actualités générales.
Chine Nouvelle est notre concurrent sur le continent africain et casse les prix. En outre, Reuters investit lourdement sur ce continent : ils recrutent beaucoup, ont fait une grande campagne de promotion vidéo il y a quinze jours. Cette agence dispose en effet de liquidités importantes. La vidéo est un point d'entrée clé, car les jeunes en consomment beaucoup.
Dans mon projet se trouve l'idée de développer des offres partenariales. Nous étudions l'idée d'une application mobile pour le public, sur le modèle de BBC world. Nous augmentons nos moyens pour développer l'offre francophone, mais aussi en langue arabe et russe.
En ce qui concerne l'équilibre à trouver entre la réactivité grâce à la vidéo et la qualité de l'information, je tiens à préciser que même pour les vidéos, nous procédons à des vérifications avant de les publier.
Twitter est à la fois un allié, un haut-parleur et un concurrent. Nous savons désormais que les nouvelles urgentes arrivent d'abord par les réseaux sociaux. Désormais, lors de tels événements, notre équipe se divise en deux : une partie va couvrir l'événement, comme auparavant, tandis que l'autre partie regarde ce qui se dit sur les réseaux sociaux. En outre, nous avons la chance de disposer de bureaux partout dans le monde - dans des fuseaux horaires différents. Ainsi, lors de l'attentat de Nice, c'est notre bureau de Montevideo qui a commencé à couvrir l'événement. Lorsque l'on voit une vidéo, notamment de particuliers, on procède à une validation, à une identification, puis nous demandons les droits.
La lutte contre les fake news est très importante pour nous. Cela participe notamment à la protection du journalisme de terrain. L'AFP a changé sa posture face à ce phénomène. Avant, elle ne relayait que des faits avérés. Maintenant, nous traitons les fake news, avec un format dédié, intitulé « factuel », en partenariat avec Facebook. Cette entreprise finance des postes dans des pays où se déroulent des élections. C'est le cas au Brésil actuellement. Lorsque des messages nocifs sont postés, Facebook nous les transmet, nous les décryptons et le cas échéant Facebook les déréférence. C'est une source de revenus pour nous car Facebook nous paye pour ce travail.
Je remercie le sénateur Assouline pour le dépôt de la proposition de loi relative aux droits voisins pour les agences et éditeurs de presse. Aujourd'hui, nos espoirs sont tournés vers le cadre européen. Toutefois, si cela se passait mal, une solution nationale pourrait être envisagée.
Nous sommes également investis dans l'éducation aux médias. Une personne à temps plein est chargée d'aller dans les collèges pour participer à cette démarche. Je vais la rencontrer très prochainement.
Enfin, concernant la lutte contre le piratage et les outils à développer, je vous invite à venir voir ce que nous faisons. Nous avons notamment développé des partenariats avec des starts-up.
Votre objectif est de porter les revenus des images et vidéos à 50 % de vos revenus. Or, les vidéos et images sont souvent un produit de consommation immédiate. N'y a-t-il pas un risque d'appauvrissement des contenus ? En outre, comment lutter contre les vidéos de particuliers, très réactives ? Quels outils et quels investissements sont nécessaires ?
Vous souhaitez renforcer la vidéo. Comment faire face aux chaînes d'information en continu qui sortent ces dernières en temps réel ?
Pour moi, l'image et la vidéo ne sont pas des produits de consommation immédiate et d'appauvrissement de nos contenus. D'ailleurs, nos archives photos sont colossales et sources de différenciation par rapport aux autres agences. La vidéo est le fruit d'un vrai travail journalistique. L'Agence a commencé à produire des vidéos via les magazines. Les jeunes regardent beaucoup les vidéos. Des agences comme Konbini font de façon très intelligente des vidéos de décryptage de l'actualité. Les chaînes d'information sont consommatrices de nos vidéos. En outre, nous commençons à développer le direct.
L'Agence France-Presse est une référence. Sachez que nous nous y intéressons de près et nous connaissons les difficultés auxquelles elle est confrontée. Nous vous encourageons dans votre projet. Je vous propose de revenir devant notre commission avant la fin de l'été 2019, lorsque la nouvelle convention d'objectifs et de moyens aura été signée. Ce sera une bonne manière de poursuivre nos travaux.
Mes chers collègues, nous allons procéder à la nomination des rapporteurs pour les avis budgétaires du projet de loi de finances pour 2019.
Ont été désignés :
Mission Action extérieure de l'État
Claude Kern
Mission Culture
Patrimoines : M. Philippe Nachbar
Création et transmission des savoirs et démocratisation de la culture: Mme Sylvie Robert
Mission Enseignement scolaire
Enseignement scolaire : M. Jacques Grosperrin
Enseignement technique agricole : M. Antoine Karam
Mission Médias, livre et industries culturelles
Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public : M. Jean-Pierre Leleux
Presse : M. Michel Laugier
Livre et industries culturelles : Mme Françoise Laborde
Mission Recherche et enseignement supérieur
Recherche : Mme Laure Darcos
Enseignement supérieur : M. Stéphane Piednoir
Mission sport, jeunesse et vie associative
Sport : M. Jean-Jacques Lozach
Jeunesse et vie associative : M. Jacques-Bernard Magner
La commission désigne Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure sur sa proposition de loi n° 706 (2017-2018) visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans.
La réunion est close à 11 h 25.