Nous recevons M. Dominique Libault pour qu'il nous présente les conclusions de la concertation sur le grand âge et l'autonomie. Cette réunion fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande.
La concertation sur le grand âge et l'autonomie a été lancée par le Gouvernement le 1er octobre 2018 et ses conclusions ont été rendues le 28 mars dernier. Au cours de ces six mois, le contexte a changé de façon radicale. Une première fois déjà, la crise de 2008 a stoppé net les ambitions du Gouvernement d'alors sur la prise en charge de la dépendance. Il est à craindre que la crise des gilets jaunes n'ait raison de la relance de ce dossier par l'actuel Gouvernement. Nous sommes notamment passés, au cours des six derniers mois, d'une relative embellie des comptes sociaux à un retour des déficits. Surtout, l'injonction contradictoire de la baisse des impôts et de l'augmentation des dépenses publiques interroge en profondeur la notion même de solidarité, que l'on imagine dès lors plus volontiers pour soi-même que pour les autres. En dehors des solutions faciles comme la lutte contre la fraude ou la taxation des riches, particuliers ou entreprises, l'équation budgétaire paraît, à bien des égards, insoluble. Dans ce contexte, la prise en charge des besoins des personnes âgées dépendantes dans notre pays est devenue une question beaucoup plus complexe, bien que tous s'accordent sur l'objectif. Nous avons examiné hier le rapport de Mme Meunier et M. Bonne sur ces questions.
Merci de votre invitation. Mon rapport résulte d'une concertation, ce n'est pas le travail solitaire d'un expert. La concertation sur le grand âge et l'autonomie a pris la forme de dix ateliers au niveau national. La seule liste des thèmes retenus montre le désir d'embrasser une vision panoramique du sujet : la gouvernance et le pilotage, la prévention, le reste à charge, le panier de biens et services, l'offre de demain, l'hôpital et les personnes âgées, les métiers, les nouveaux financements, le parcours des personnes âgées, le cadre de vie et l'inclusion sociale. Il y a aussi eu cinq forums régionaux et une forte participation citoyenne, avec 416 000 participants. Des focus groups ont permis de recueillir la parole de personnes âgées, d'aidants et de professionnels - et vous retrouverez dans le rapport certains verbatim parfois très parlants, et touchants.
Ce rapport part de constats que nous connaissons tous, et sur lesquels la concertation a révélé une forte convergence. D'abord, nous avons un défi démographique majeur devant nous : il y aura 4,8 millions de personnes de plus de 85 ans en 2050, soit une multiplication par 3,2 par rapport à la situation actuelle. On passerait de 1,2 à 2,2 millions de personnes en perte d'autonomie, même s'il y a des incertitudes liées à l'importance et à l'intensité de la politique de prévention.
Vous avez évoqué les questions financières, monsieur le président. Il faut resituer les montants par rapport à l'ensemble des dépenses publiques et aux dépenses de protection sociale. On estime à environ 30 milliards d'euros les dépenses consacrées, en France, à la perte d'autonomie. La dépense publique, sur ces 30 milliards d'euros, atteint 23,7 milliards d'euros, soit environ 80 % du total, ce qui équivaut à 1,2 % du PIB. L'ensemble des dépenses publiques de protection sociale atteint 34,3 % du PIB. Ainsi, la perte d'autonomie dans le grand âge coûte environ 3 % des dépenses publiques de protection sociale. C'est une masse financière non négligeable mais relativement faible par rapport aux sommes consacrées à la retraite ou la santé.
La concertation a montré que les Français manifestent une forte inquiétude sur la qualité de la prise en charge du grand âge. Nous connaissons tous les cas de maltraitance révélés ici ou là - qui ne traduisent pas la généralité des formes de prise en charge, la majorité des professionnels sont très engagés. Il est vrai que la qualité est hétérogène - et pas toujours au rendez-vous. L'inquiétude porte aussi sur l'adéquation des formes de prise en charge aux attentes, notamment de la génération à venir. Les solutions proposées ne respectent pas assez le libre choix de la personne, qui souhaite souvent continuer à vivre sa vie dans un certain chez soi, et dans un certain chez soi qui la met aussi en relation avec les autres : l'inclusion, la citoyenneté de la personne ne sont pas suffisamment mises en valeur dans les formes de prise en charge que l'on propose actuellement. On a le choix, en quelque sorte, entre l'isolement chez soi ou l'isolement avec d'autres personnes âgées, dans des établissements souvent éloignés de la vie de la cité.
Deuxième constat : il y a un besoin urgent et prioritaire de revalorisation des métiers du grand âge. Les acteurs du domicile et ceux de la prise en charge dans l'établissement signalent tous des difficultés pour recruter, pour fidéliser et pour maintenir les effectifs, au point qu'ils doivent formuler des refus de prise en charge. Dans certains établissements, les conditions de travail difficiles génèrent un fort absentéisme et un taux de maladies du travail et d'accidents professionnels élevé. Avec la médiatisation de cas négatifs, on entre dans un cercle vicieux, alors même que nous allons avoir de très forts besoin dans les années à venir, vu la poussée démographique du très grand âge. Or les écoles d'aides-soignants ne font plus le plein ! Si on ne fait pas un effort sur les métiers du grand âge - notamment en faveur des aides-soignants et des auxiliaires de vie - on ne pourra pas accroître la qualité ni développer le soutien aux aidants. Il y a un cercle vertueux à enclencher : c'est en proposant une forme de prise en charge plus intéressante, passant plus par la stimulation de l'autonomie que par la gestion de la dépendance et des actes purement techniques, qu'on rendra de l'attractivité à ces métiers.
Troisième constat : si le reste à charge est à peu près maîtrisé à domicile, grâce aux efforts importants consentis dans les lois récentes, il reste important en établissement, où il atteint en moyenne 1 850 euros, ce qui excède le montant des trois quarts des retraites.
Quatrième constat : il y a une demande générale de simplification des prestations et du parcours. Pour beaucoup, être confronté à la perte d'autonomie, c'est commencer un parcours du combattant ! Les offres existent mais elles sont souvent illisibles, et la dichotomie entre le sanitaire et le social n'aide pas à les appréhender. Il faut une logique de continuité et de coordination dans le parcours : lorsqu'on est en perte d'autonomie à domicile - ce qui est la préférence générale, malgré le taux élevé d'institutionnalisation en France - on est confronté à un risque de discontinuité et de manque de coordination des acteurs amenés à intervenir. Des expérimentations intéressantes sont en cours, mais elles n'ont pas été généralisées.
La prévention de la perte d'autonomie n'est pas suffisamment investie. Notre espérance de vie est plutôt bonne, même si elle stagne depuis quelques années, mais nous avons des résultats médiocres en termes d'espérance de vie en bonne santé, notamment par rapport aux pays d'Europe du Nord, qui investissent très fortement dans la prévention à tous les âges de la vie.
Il faut soutenir et renforcer les solidarités de proximité autour de la personne âgée, en commençant par l'appui aux aidants. L'État, la puissance publique, les collectivités ont un rôle à jouer, mais cela ne doit pas faire oublier celui des solidarités de proximité. La lutte contre l'isolement ne relève pas exclusivement des pouvoirs publics, même s'ils peuvent l'encourager. La personne âgée doit être toujours dans la société et pouvoir compter sur les solidarités de proximité. L'approche du rapport n'est d'ailleurs pas uniquement médico-sociale, car toutes les personnes âgées ne sont pas en perte d'autonomie. Et il existe une demande de penser le grand âge dans l'ensemble de la vie de la cité, qu'il s'agisse de transport, de logement, de l'accès aux services publics ou aux loisirs. Changer le regard sur le grand âge est un impératif sociétal qui nous interpelle tous, et pas seulement l'État. Le rapport propose de changer notre regard sur les personnes âgées et d'affirmer leur citoyenneté pleine et entière. Plusieurs propositions favorisent cela, par exemple en sensibilisant les jeunes dès l'école sur ces sujets, par une journée de l'expérience qui permettra de généraliser les échanges entre personnes âgées et les enfants. Nous proposons aussi de favoriser l'engagement citoyen et le lien intergénérationnel en mobilisant le service civique et le service national universel, et de diffuser une culture de la vigilance et de l'attention dans l'ensemble des lieux accueillant du public.
La première priorité est d'investir dans l'attractivité des métiers du grand âge, à domicile comme en établissement. Nous faisons des propositions concrètes sur la montée en compétence de l'ensemble des professionnels, sur une refonte des référentiels de compétences et de l'offre de formation correspondante, ou sur la généralisation des fonctions de responsabilité de vie pour les aides-soignants en établissements - car il faut penser aux parcours professionnels et, dans les petites unités de vie, le fait d'avoir des cadres au-dessus des aides-soignants est un gage de qualité, et de plus grande continuité de la qualité. Nous proposons aussi de favoriser des qualifications professionnelles d'aide-soignant en gériatrie, pour accroître l'attractivité de ces professions.
Parmi les propositions pour structurer la filière, il y a l'idée de développer une logique de filière, en associant le secteur public et le privé, à but lucratif ou non. C'est un chantier de long terme, mais j'ai noté avec satisfaction que la ministre en a fait une priorité.
En ce qui concerne les conditions de travail, nous proposons d'augmenter le taux d'encadrement dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), car le profil des personnes accueillies a changé considérablement dans les dernières années sans que ne changent en proportion les conditions de travail du personnel. Nous proposons une augmentation de 25 % d'ici à 2024 par rapport aux dernières données disponibles, de 2015.
Nous n'oublions pas le domicile, et la réforme du financement des services d'aide et d'accompagnement à domicile nous semble très importante. Actuellement, le domicile est financé uniquement à travers une rémunération horaire : n'est considérée que la prestation de face-à-face de la personne, et pas ce qu'il y a autour. Or la qualité du service à domicile passe aussi par du coaching, de l'accompagnement et du temps de dialogue. Aussi proposons-nous de compléter le mode de rémunération actuel.
Nous proposons en outre de généraliser la télégestion, et de créer une nouvelle prestation pour l'autonomie, afin de favoriser le domicile et le droit au répit : actuellement, il faut avoir saturé le plan d'aide à domicile pour pouvoir utiliser le répit, qui n'est par conséquent pas suffisamment mobilisé.
La troisième priorité est de piloter par et pour la qualité. Nous proposons de créer un fonds qualité pour les établissements et structures d'accompagnement et de soins à domicile, de promouvoir la labellisation des établissements en finançant notamment des formations sur la qualité pour les équipes. Nous proposons de recueillir et de publier des données fiables sur la qualité de service pour chaque établissement. Nous suggérons de lancer un plan de rénovation des Ehpad, en particulier publics, car trop d'entre eux sont encore vétustes, ce qui rend difficile de proposer de bonnes conditions de travail et d'accueil.
La quatrième priorité est de mettre fin aux parcours en silo. Nous formulons diverses propositions allant de la mise en place d'une maison des aînés et des aidants, qui serait une forme de guichet unique co-construit par le département et l'agence régionale de santé (ARS), à la généralisation d'un parcours de droit commun, c'est-à-dire une continuité et une coordination systématiques dans la prise en charge des personnes âgées sur l'ensemble du territoire. Nous fixons aussi un objectif de zéro passage évitable aux urgences, en organisant des vraies filières d'admission directe dans les services hospitaliers. Ces propositions ont été travaillées avec la direction générale de l'offre de soins, et un directeur de CHU qui participait à l'atelier.
La cinquième priorité est de développer une nouvelle offre pour concrétiser le libre choix de la personne. Nous proposons un fonds d'accompagnement pour restructurer l'offre, et un nouveau statut d'établissement territorial pour personnes âgées, qui permette de coupler le domicile et l'hébergement. Nous proposons de mieux structurer l'offre publique en encourageant les mutualisations. En effet, l'offre publique est trop atomisée, alors que le secteur privé est très bien organisé. L'idée est de décloisonner le domicile et l'établissement en offrant des possibilités de passer plus facilement de l'un à l'autre et en généralisant les accueils de jour, les accueils de nuit et les hébergements temporaires.
La sixième priorité porte sur le reste à charge en établissement. Cela a des conséquences en termes de dépenses publiques. Nous avons donc ciblé les propositions sur le reste à charge sur les Français modestes. Nous proposons une baisse de 300 euros par mois du reste à charge pour les personnes gagnant entre 1 000 et 1 600 euros par mois, et la création d'un bouclier autonomie pour la perte d'autonomie lourde : après un certain temps en Ehpad, la solidarité nationale prendrait le relais.
La septième priorité est de lutter contre l'isolement des personnes âgées et des aidants. C'est un sujet extraordinairement important. La conciliation du rôle d'aidant et de la vie professionnelle doit devenir un sujet obligatoire du dialogue social. La conciliation entre vie de famille et vie professionnelle est devenue naturelle en ce qui concerne la garde d'enfants mais, lorsqu'il s'agit de s'occuper de ses parents, cela reste très compliqué. Nous proposons que les conférences des financeurs puissent financer des initiatives innovantes de soutien aux aidants. Et nous proposons d'indemniser le congé de proche aidant.
La dernière priorité est d'augmenter l'espérance de vie en bonne santé en renforçant la prévention. Nous devons déployer une nouvelle approche de la prévention alignée sur les standards internationaux, notamment de l'OMS, qui visent à maintenir les fonctions de la personne plutôt que de guérir telle ou telle maladie. La stratégie va de l'inscription de la prévention dans la formation initiale et continue des professionnels au renforcement d'un pilotage national de la politique de prévention de la perte d'autonomie et à la systématisation des formations des personnels au repérage des fragilités.
Tout cela nous amène à considérer ce nouveau risque comme un vrai risque de protection sociale. Nous proposons donc qu'il soit inclus dans la loi de financement de la Sécurité sociale, afin d'être discuté chaque année au Parlement.
L'évaluation financière amène à dire qu'il faudrait augmenter de 35 % la part de la richesse nationale consacrée à la perte d'autonomie d'ici à 2030. Cela équivaut à prévoir 6,1 milliards d'euros de dépenses publiques nouvelles chaque année à partir de cette date - sans compter l'évolution démographique, qui porte la somme à 9 milliards d'euros. Cela revient aussi à passer de 1,2 % à 1,6 % du PIB, ou de 3 % à 4 % des dépenses de protection sociale. Nous proposons des ressources, conformément à la lettre de mission signée par le Premier ministre. À la fin de la dette sociale, en 2024, une partie des 24 milliards d'euros pourrait être utilisée pour la gestion de la perte d'autonomie. La condition est que la France respecte des trajectoires de finances publiques correctes : il ne peut y avoir d'utilisation d'une partie du remboursement de la dette que si la France a commencé son chemin de désendettement... Il n'y a pas de recette miracle ! Mais il y a des recettes qui permettent d'asseoir de façon pérenne un financement fort du risque en France et qui sécurisent nos concitoyens. Cela ne nous dispense aucunement de prioriser et de limiter des dépenses.
Il y a beaucoup de critiques sur la gouvernance, vue comme un système complexe et chronophage. Ce n'est pas le sujet le plus simple ! Il faut examiner la plus-value qu'apporte chacun des acteurs. Ce n'est pas uniquement un sujet médico-social. Le département nous semble légitime pour intervenir dans la prise en charge de la personne âgée dans son cadre de vie. Aussi proposons-nous de le renforcer dans ce rôle. Les maisons des aînés et des aidants pourraient être un symbole du rapprochement du sanitaire et du social et du décloisonnement des différentes sphères. Nous proposons qu'elles soient co-pilotées par les départements et les ARS. Nous proposons une simplification de l'offre médico-sociale par la fusion des sections soins et dépendance pour les Ehpad. Nous proposons l'expérimentation de la gestion de cette nouvelle section par des départements. Il n'y a pas de solution unique, mais il faut progresser vers l'unicité et la simplification, pour consacrer moins de temps à la tarification entre plusieurs acteurs et plus de temps au soutien à l'autonomie des personnes âgées.
Ces propositions ont pour but de changer de regard sur le grand âge et de construire une société avec les personnes âgées en s'inscrivant dans la lignée de ce qu'écrivait Pierre Laroque, dans son fameux rapport sur la vieillesse, qui préconisait, pour éviter de faire naître chez les personnes âgées un sentiment de dépendance, de « respecter le besoin qu'elles éprouvent de conserver leur place dans notre société normale et d'être mêlées constamment à des adultes et à des enfants ».
Bravo d'avoir en si peu de temps réussi une concertation aussi large ! La plupart des propositions reprennent celles évoquées par notre rapport de l'an dernier. Elles font consensus. Nous avons toutefois des divergences sur le financement, et notamment sur l'utilisation de la CRDS. Il est important d'insister sur la prévention. Il faudrait utiliser davantage l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) à domicile, que les personnes ont tendance à refuser car on fait appel à leurs ressources. Vous avez raison d'appeler à une revalorisation des métiers qui tournent autour de la personne dépendante. Il faut poursuivre les expérimentations et donner beaucoup plus de souplesse, localement, à ceux qui peuvent proposer des solutions alternatives.
Pour le reste à charge, vous avez retenu le chiffre de 1 850 euros par mois, qui est un chiffre médian et hors aide sociale à l'hébergement (ASH). Nous estimons le reste à charge moyen à 490 euros, plutôt, en divisant la somme totale de 7 milliards d'euros par 1,2 millions de personnes. Pourquoi cette divergence entre nous ? Êtes-vous certain que la dette sociale sera remboursée en 2024, et que la totalité de la CRDS servira au financement de la dépendance ?
Pouvez-vous nous préciser le rôle du conseil départemental dans la compétence tarifaire ? Avez-vous constaté de grandes disparités et de grandes différences entre les départements ? Quelles sont vos préconisations pour réformer l'APA ?
Bravo pour le niveau de précision de votre rapport. Celui-ci propose des mesures afin d'améliorer la situation des aidants, comme l'indemnisation du congé du proche aidant, qui renvoie à des négociations avec les branches professionnelles. Le Sénat a formulé des propositions fortes à travers la proposition de loi de Jocelyne Guidez. Hélas, ce texte a été substantiellement vidé de son contenu l'Assemblée nationale, et en particulier sur l'indemnisation du congé du proche aidant. Les propositions que vous avez formulées permettront-elles de faire progresser les droits des aidants ?
Vous donnez la priorité au maintien à domicile. Existe-t-il une évaluation nationale sur ce sujet ? Vous dites que le temps professionnel auprès de la personne âgée est insuffisant. Certes, mais que faire, vu la médicalisation de plus en plus forte ? Quant à l'attractivité des métiers et des perspectives de carrière, il y a longtemps qu'on a pensé à former plus spécifiquement le personnel soignant, à travers des DU de gériatrie par exemple. Pourquoi les tarifs sont-ils si hétérogènes ? Entre les départements, ils varient de 1 800 euros à 3 500 euros. Donner du sens au grand âge, oui, mais comment ? Parlez-vous de la représentation de la personne âgée dans notre société ? Quant au mode d'habitat intermédiaire, quid d'une personne âgée ou d'un couple de personnes âgées qui habitent au huitième étage d'un immeuble sans ascenseur ? Enfin, piloter par la qualité, pourquoi pas ? Mais dans un contexte où le personnel s'essouffle, comment garantir la qualité et la sécurité des soins ?
Vous proposez de diminuer immédiatement de 300 euros par mois le reste à charge pour les résidents à revenu moyen qui ne bénéficient pas de l'ASH. Envisagez-vous de moduler cette somme non seulement en fonction des ressources mais aussi du coût de la prise en charge dans l'établissement ? Le coût mensuel n'est pas le même entre les départements et les territoires.
À la suite de la loi de Mme Touraine, on a vu fleurir un certain nombre de « village seniors » dans notre pays, qui ne relèvent ni de l'ARS, ni des départements. Pour des raisons de coût d'investissement et de remplissage, certains villages ont accueilli des personnes en GIR 3, et font appel aux services d'aide à domicile pour intervenir. N'est-ce pas une dérive par rapport ce qu'on attend d'une résidence autonomie ?
Vous soulignez la nécessité d'un nouveau regard sur le grand âge. J'insiste à cet égard sur le rôle de la formation à tous les métiers de services à la personne, dont vous indiquez qu'il faut les revaloriser au travers d'un plan national des métiers du grand âge. Pour l'instant, ils sont peu reconnus et peu valorisés, parce que les hommes et les femmes y sont peu diplômés. Ils comportent une forte pénibilité, et sont considérés comme métiers à risques, avec un grand nombre d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Il faut donc les faire évoluer pour plus d'attractivité. Comment associer à ce plan les collectivités ? Je pense en particulier aux régions, qui ont compétence en matière de formation des demandeurs d'emploi.
En 2017, il y avait 1,3 million de personnes en perte d'autonomie. Elles seront 2,2 millions en 2050, avec un nombre important de personnes de plus de 85 ans - et nous savons que plus les personnes sont âgées, plus elles sont dépendantes. Ne faudrait-il pas travailler à l'égalité territoriale pour que l'ensemble des départements soient au même niveau ? Nous sommes préoccupés par les fermetures de lits de soins de suite et de réadaptation. Nous avons deux propositions alternatives pour financer la dépendance. Nous suggérons, comme notre groupe l'a demandé depuis plusieurs années, notamment par la voix de mon prédécesseur Dominique Watrin, de remplacer la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) de 0,3 % sur les retraités, qui est une contribution injuste, par une Casa de 2 % sur les dividendes. Nous trouverions un milliard d'euros immédiatement ! Nous proposons aussi de modifier les cotisations patronales en mettant à contribution les revenus financiers et en modulant le taux selon la politique salariale et écologique de l'entreprise.
Sur les services d'aide à domicile, votre rapport préconise d'augmenter le temps passé auprès des personnes âgées à domicile et d'améliorer les carrières et les conditions de travail des personnels. Il propose notamment d'augmenter les salaires et de créer un tarif unique national sur la base d'une tarification de référence à 21 euros et d'une dotation forfaitaire équivalente en moyenne à 3 euros par heure de prestations. Pour notre part, nous sommes favorables à l'instauration d'un tarif unique national de référence, pour tirer vers le haut les tarifs pratiqués par les départements. Actuellement, 98 % des aides à domicile sont des femmes, dont près de la moitié déclarent un revenu mensuel inférieur à 900 euros. C'est donc un métier extrêmement précaire et physiquement très fatigant. Si la somme de 21 euros va vers le mieux, elle demeure largement insuffisante. Nous estimons que le tarif unique national de référence devrait se situer autour de 25 euros, et être modulé selon les politiques des départements, puisque les tarifs varient de 18 à 26 euros. Qu'en pensez-vous ?
Votre rapport souligne l'aspiration globale à vivre sa vie dans un certain chez soi. Le comité économique des produits de santé vient de mettre en place un plan d'économies de 150 millions d'euros. Le décret vient de paraître, et s'appliquera au mois de mai. Sur ces 150 millions d'euros, 95 millions d'euros concernent l'incontinence, la perfusion et les lits médicaux. N'est-ce pas amputer le public fragile dont nous parlons d'une certaine forme de maintien à domicile ? D'ailleurs, ce public, c'est ce qu'on appelle les retraités ! Or le Sénat a pris position pour qu'il n'y ait pas d'augmentation de la CSG et que leurs rentes soient indexées sur le coût de la vie. C'était simplement pour leur laisser une forme de dignité, et notamment celle de gérer leur budget.
Merci pour vos constats et diagnostics, monsieur le président, mais dans nos départements, on les a déjà faits depuis quinze ans ! Et nous avions les mêmes réflexions avec les ministres successifs lorsqu'ils faisaient de grands colloques... Parmi vos propositions, deux m'ont marqué. Vous estimez qu'il faut augmenter de 25 % l'encadrement. Je suis d'accord avec vous, mais les départements ont du mal à répondre à tous les besoins. Lorsqu'on augmente de 0,3 ou 0,4 % le prix tarifaire dans nos maisons de retraite, il est difficile de prévoir aussi des augmentations de personnel et d'animation. Vous avez parlé de la nécessité de réhabiliter et de rénover. Nous en sommes tous conscients depuis vingt ans, mais nos partenaires nous ont abandonnés ! Comment la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) voit-elle le partenariat avec les départements ? Oui, il faut donner au département plus de marge de manoeuvre. Mais le mot de copilotage m'agace. On ne veut plus en entendre parler ! Mieux vaut clarifier les responsabilités. Nous avons une ARS qui regroupe treize départements : ce n'est plus crédible...
Sur le financement, ne craignez-vous pas que le Gouvernement ne vous lâche en rase campagne, monsieur le président ? Vous faites appel à la CRDS : nous avons déjà entendu certains membres du Gouvernement qui avaient de bonnes idées sur son affectation à partir de 2024. Vous parlez d'excédent de la Sécurité sociale, et il n'y en a déjà plus, après le plan de 10 milliards d'euros. Vous évoquez la non-indexation des pensions prévue pour 2020. C'est intéressant, car les ministres nous disent déjà qu'ils ne comptent pas l'appliquer : encore quelques milliards en moins ! Vous tapez dans le fonds de réserve des retraites, mais c'est pour l'équilibre des retraites et pas de la dépendance. Et il y a une cacophonie sur le plan national, où l'on parle de reculer l'âge de la retraite pour financer la dépendance des personnes âgées, alors qu'il s'agit de deux sujets bien distincts.
Votre rapport mentionne le plan de rénovation des Ehpad, avec de nouvelles offres. Vous avez également évoqué les petites unités de vie, qui sont des structures beaucoup plus humaines. Si celles-ci pouvaient rester implantées dans les communes et les territoires ruraux, cela aiderait à maintenir l'emploi local, donc l'économie et l'attractivité de zones déjà bien mal desservies. Mais on nous rétorque qu'un établissement doit offrir au minimum 80 places pour être économiquement viable. Dans la Sarthe, un site qui reposait sur quatre Ehpad va en fermer un pour créer une grosse structure de 80 lits.
Vous privilégiez le maintien à domicile, mais la maltraitance à domicile existe aussi. Comment les moyens du suivi à domicile seront-ils maintenus ? Les éventuelles économies faites sur les Ehpad seront-elles reportées totalement sur ces moyens ? Y a-t-il une garantie pour que ce suivi à domicile soit de grande qualité ? Pouvez-vous nous citer une expérimentation ?
Je note nos convergences sur les constats et les orientations. Oui, il faut plus de souplesse pour favoriser les dynamiques sur les territoires, avec des innovations. Il faut aussi mutualiser les bonnes pratiques. Ce sera le rôle des départements, des ARS et de la CNSA. Le conseil départemental a un rôle important sur le cadre de vie. Moins de copilotage, oui, mais alors il faut du partenariat. En tous cas, il faut décloisonner entre sanitaire et social.
Les disparités nous ont été signalées. Un barème national existe sur la rémunération du domicile. Un meilleur système d'information nous aiderait à savoir exactement ce qui se passe et à travailler sur l'homogénéité des réponses données aux personnes âgées. Les Maisons des aînés et des aidants, dans tous les départements, doivent sortir des expérimentations et déboucher sur un droit commun de la réponse et du parcours, ce qui sera aussi une façon de lutter contre ces inégalités.
Pour aider à la rénovation Ehpad, nous proposons des sommes importantes : 3 milliards d'euros. C'est aussi une façon de lutter contre des restes à charge trop élevés car le coût de la rénovation se retrouve dans le coût de l'hébergement. Comment progresser sur la qualité et la sécurité des soins, à domicile comme en établissement ? La Haute Autorité de santé aura un rôle de certification. Comme pour les hôpitaux, cela devrait faire progresser la qualité et la sécurité des soins. Je ne saurais trop insister sur l'importance de la formation de l'ensemble des personnels et sur celle de la coordination. Vous parliez de maltraitance à domicile : le risque est quand la personne intervenante est toute seule, sans aucun contrôle. Il faut donc des échelons au-delà de la personne qui intervient directement, pour la contrôler.
Il y a des établissements de 120 lits, mais organisés avec de petites unités de vie, qui leur confèrent une dimension humaine. Nous n'avons pas imaginé la modulation en fonction des coûts, mais travaillé sur une baisse pour l'ensemble des intéressés, l'important nous semblant de maintenir sur l'ensemble du territoire, de façon accessible, une offre à coût raisonnable. Je n'ai pas d'expertise sur les villages seniors.
Pour conclure, je dirais que ce rapport est un point de départ, une rampe de lancement. Je souhaite qu'il soit le creuset d'une nouvelle prise en charge du grand âge. La réflexion va continuer : merci d'en être les acteurs.
Merci.
La réunion est close à 14 h 50.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.