Notre mission d'information est réunie pour entendre MM. Jacques Rapoport et Grégoire Marlot.
Vos carrières professionnelles, messieurs, vous ont donné une grande autorité dans le domaine des transports collectifs et de la gestion des services publics. C'est en tant que président et co-rapporteur du comité sur la faisabilité de la gratuité des transports en commun en Île-de-France, leur financement et la politique de tarification que nous souhaitons vous entendre, et je suis heureuse de vous souhaiter la bienvenue.
Notre mission d'information s'intéresse à la problématique générale de la gratuité totale des transports collectifs et n'a nullement vocation à trancher le débat de la gratuité des transports d'Île-de-France. Nous connaissons trop les spécificités de Paris et de sa région en matière de transports, ne serait-ce que pour des raisons d'échelle : les transports collectifs représentent 20 000 trajets par jour à Niort, et 3 millions pour le seul RER !
Nous avons néanmoins souhaité vous entendre car le rapport que vous avez remis à la présidente de la région au début du mois d'octobre 2018 constitue une étude de fond, très complète et documentée, notamment à l'international, sur la gratuité des transports publics en général.
Je suis très heureux de vous présenter nos travaux. Ils nous ont mobilisés pendant plus de six mois, et nous avons remis nos conclusions en septembre dernier. Elles sont d'actualité, même si les rapports deviennent rapidement obsolètes.
Nous avons travaillé sur l'Île-de-France, car c'était la commande qui nous avait été passée. Cependant, nous avons veillé à prendre en compte dans nos études les villes moyennes où le sujet était pertinent.
Notre mission est née d'une initiative de Mme Anne Hidalgo, dans la foulée de l'instauration de la gratuité des transports à Dunkerque, première ville de 200 000 habitants à la prévoir. Mme Pécresse, présidente de l'autorité en charge des transports en Île-de-France, a mis en place un groupe d'experts que j'ai eu l'honneur de présider. Il était composé de trois professeurs d'université, de deux hommes politiques - M. Savary, spécialiste du ferroviaire, et M. Carrez, spécialiste des finances publiques -, ainsi que du président de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut), et d'un expert économiste d'entreprises, M. Alain Quinet. Le groupe était donc très diversifié, son principal défaut étant de ne pas respecter les principes de la parité. Les conclusions de notre travail ont été unanimes.
Chaque métropole a sa spécificité, de sorte que les enjeux de la mobilité diffèrent selon les endroits, tout comme les effets de la gratuité. L'Île-de-France, avec la capitale, représente 11 millions d'habitants et 41 millions de déplacements quotidiens. La part modale de la voiture y est très faible, dans la mesure où les déplacements liés au travail ou aux études représentent 70 % des flux de transports collectifs. On constate une dichotomie entre les transports collectifs utilisés pour les déplacements contraints et la voiture à laquelle on a recours pour des déplacements choisis. On note également une forte croissance de la mobilité en Île-de-France, tirée par les transports collectifs, avec une augmentation de 30 % du trafic en 15 ans. Cette croissance crée une tension forte dans les services, qu'il s'agisse du métro ou du RER.
L'Île-de-France se distingue d'autres villes comme Amsterdam ou même Berlin, où la part des modes de déplacement doux est plus importante.
Des frémissements à la hausse se font sentir, mais on part de très loin.
La seule ville comparable à Paris, en Europe de l'Ouest, c'est Londres. Les autres villes sont plus petites, ce qui justifie sans doute le trafic plus important à vélo. Cependant, je ne suis pas inquiet pour l'avenir de ce mode de transport à Paris.
Il reste aussi à développer la micro-mobilité. La tarification des transports collectifs est à mettre en regard de celle des autres modes. En Île-de-France, le réseau routier est gratuit en quasi-totalité. Les automobilistes ne paient que les taxes sur le carburant et ils créent beaucoup de nuisances, qu'il s'agisse de la congestion ou de la pollution atmosphérique.
La fiscalité générale sur l'automobile dépasse les coûts directs générés par l'automobile. L'entretien des réseaux routiers coûte moins cher que ce que rapportent les taxes sur les carburants. Cependant, en zone dense, la voiture génère des nuisances spécifiques qui constituent des coûts socio-économiques élargis.
Autrement dit, la voiture ne paie pas ses coûts sociaux.
Les usagers couvrent 22 % du coût total des transports collectifs, soit 2,8 milliards d'euros. Ce chiffre diffère de celui donné par Île-de-France Mobilités, qui ne prend pas en compte les dépenses d'investissement. Par rapport à un coût total des transports collectifs qui avoisine les 12 milliards d'euros et qui est en forte augmentation, la tarification a plutôt baissé, avec des zonages favorables.
La part que couvrent les usagers tient compte de la prise en charge par l'employeur de la moitié des frais de transport en commun des salariés.
Les différences de critères dans le calcul des chiffres faussent le raisonnement. Quel est le chiffre par rapport aux dépenses de fonctionnement ? Sachant que la route n'est pas facturée aux voitures...
On est à 27 % après les 50 % pris en charge par l'employeur. Le Medef est très défavorable à la gratuité à cause de l'évolution de la contribution des employeurs au financement des transports en Île-de-France. Cette contribution a augmenté de 60 % entre 2000 et 2017. Les autres contribuables paient 35 %.
Le versement transport (VT) est une exclusivité française.
Ce qui représente une part beaucoup plus faible.
Le VT pourrait augmenter au-delà des 3 % des revenus d'activité en Île-de-France.
Les coûts augmentent plus vite que l'inflation. Le réseau se développe et l'offre augmente. Dès lors que l'usager ne paie pas les coûts de fonctionnement, le déficit ne peut qu'augmenter. La généralisation des abonnements fait qu'un surcroît d'offre ne génère quasiment aucune recette. L'augmentation des recettes ne peut venir que des nouveaux abonnés.
Nous avons tenté d'évaluer ce que donnerait une gratuité totale des transports en Île-de-France, en travaillant à partir des chiffres fournis par la RATP et Île-de-France Mobilités. Les simulations montrent que 90 % des déplacements en voiture ne sont pas reportables sur les transports collectifs sans une perte de temps significative. La marge de basculement est donc réduite. Ceux qui se déplacent en voiture n'ont pas d'alternative. Ce sont surtout des personnes aux revenus modestes, travaillant en horaires décalés dans des endroits mal desservis.
Il suffit d'interroger les automobilistes : jamais vous ne les entendrez dire qu'ils prennent leur voiture parce que les transports collectifs sont trop chers. La gratuité des transports publics pourrait faire baisser le nombre d'automobilistes de 2 % tout au plus. On ne peut pas en faire un outil de lutte contre la pollution automobile.
Les deux tiers des déplacements à pied et le tiers des déplacements à vélo se feraient plus rapidement en transports collectifs. Les gens ont donc recours à ce type de transport pour des raisons écologiques ou pratiques.
Les automobilistes disent souvent que les trajets se font plus rapidement en voiture, ce qui n'est pas forcément vrai, mais cela correspond à leur ressenti. Même si l'offre des transports collectifs était meilleure, le report ne se ferait pas.
Sans doute pour des raisons de confort.
Notre travail s'appuie sur des données précises concernant les transports, pas sur des déclarations ou des perceptions.
La gratuité des transports collectifs a forcément des répercussions sur la perception des usagers.
Il faut rester prudent. Les modèles se construisent sur des statistiques élaborées à partir de faits et pas de perceptions.
Même si ces modèles sont imparfaits, ils prévoient l'avenir en fonction du présent et du passé. Ceux de la RATP, d'Île-de-France Mobilités et des universitaires sont concordants sur un point : il ne faut pas escompter de la gratuité des transports collectifs une diminution significative de l'usage de la voiture. Créer une qualité des transports collectifs inégalée au monde, et mettre en place des mesures restrictives en veillant à proposer une offre de transports alternative satisfaisante, telles sont les deux voies à développer si l'on veut qu'il y ait moins d'automobilistes.
C'est vrai pour l'Île-de-France, mais ce n'est pas forcément transposable ailleurs.
Les élus de Dunkerque, de Niort et d'Aubagne ont décidé d'instaurer la gratuité des transports dans leur ville et c'est parfaitement compréhensible.
En Île-de-France, l'effet de report modal est très faible. On constate une hausse significative du trafic des transports collectifs, à + 6 %, alors que les lignes sont déjà sous tension, ce qui laisse envisager une augmentation de la saturation du réseau préoccupante à terme.
En Île-de-France, près d'un million d'habitants bénéficient déjà de tarifs réduits ou de la gratuité des transports : 350 000 personnes au RSA bénéficient de la gratuité totale, 260 000 personnes bénéficient d'une réduction de 50 %, 300 000 personnes âgées ou handicapées bénéficient de réductions sous conditions de ressources et 200 000 jeunes bénéficient d'un abonnement à tarif réduit.
Ce système à deux étages est bien adapté, car il fait coexister des mesures générales de tarification sociale et des mesures locales. Selon nous, il faut que la tarification sociale soit ciblée. Par exemple, la Ville de Paris vient de décider de la gratuité des transports collectifs pour les retraités, sous condition de ressources. C'est une mesure ciblée.
Une gratuité totale des transports collectifs n'est pas forcément souhaitable pour les usagers. En 2017, les usagers des transports collectifs ont payé 2,8 milliards d'euros. Le passage à la gratuité créerait donc un manque à gagner de 2,5 milliards d'euros, si l'on estime le potentiel d'économies sur la billettique et le contrôle à 250 millions d'euros environ. Le contexte n'est pas favorable, car les coûts de fonctionnement augmentent de manière substantielle.
Quoi qu'on fasse, compte tenu des décisions en cours de réalisation, les coûts de fonctionnement du système de transports en Île-de-France vont augmenter de 1,5 à 2 milliards d'euros, ce qui implique un financement public plus important. Sans parler des 35 milliards d'euros nécessaires pour financer le Grand Paris Express.
Les 2,8 milliards d'euros que vous mentionnez sont directement payés par les usagers ?
D'où le manque à gagner si on passait à la gratuité totale.
Il est indéniable que le passage à la gratuité créerait une économie, mais qui n'est pas à la hauteur.
Le chiffre est hors remboursement employeur, car celui-ci n'a rien d'automatique.
Dire aux employeurs qu'ils paient pour rembourser quelque chose qui ne coûte rien n'aurait pas de sens.
D'autant que les investissements créent de l'emploi pour les entreprises.
Le réseau des transports génère des externalités positives.
Plusieurs hypothèses existent pour financer la gratuité. L'une d'entre elles consisterait à augmenter le versement transport, qui frôle déjà les 3 % à Paris et dans les Hauts-de-Seine et qui rapporte 4,2 milliards d'euros de recettes. Pour qu'il rapporte 2,5 milliards d'euros de plus, il faudrait l'augmenter de 2,5 %. Imaginez la réaction du Medef !
La Direction générale du Trésor estime que l'augmentation du VT aurait pour effet la destruction de plusieurs milliers d'emplois à court terme, jusqu'à 33 000 à long terme. Elle entraînerait aussi une perte de croissance évaluée à 4 milliards d'euros.
Les trois premières années, il y aurait cependant un effet légèrement positif sur le PIB, car les ménages récupéreraient de l'argent. Cependant, cette augmentation inciterait les entreprises à automatiser ou à délocaliser leur production.
Quant aux autres taxes, M. Carrez a fait des propositions dans son rapport sur les ressources du Grand Paris. La taxe sur les bureaux a rapporté 660 millions d'euros de recettes en 2017, celle sur les équipements 120 millions d'euros, et la taxe de séjour 70 millions d'euros. Les ordres de grandeur ne sont pas comparables. La taxe sur les propriétés foncières, qui présenterait un potentiel suffisant, pose un problème d'équité.
Le VT est la seule ressource pour faire face à une perte de recettes de 2,5 milliards d'euros.
Les péages urbains peuvent être une autre solution, mais un problème d'acceptabilité se pose.
D'autant que la loi d'orientation des mobilités ne fait qu'autoriser les péages urbains.
Le principe du péage urbain, c'est qu'il faut payer pour entrer dans un périmètre donné. Le tunnel de Lyon n'est qu'une autoroute payante.
On a un exemple de péage urbain à Londres. Il rapporte 230 millions d'euros par an.
Les nouvelles technologies garantissent la fiabilité du dispositif, le périmètre étant clairement défini.
Des études ont été réalisées sur la possibilité d'installer des péages urbains en Île-de-France. En supposant des tarifs à 5 euros en heures creuses et à 8 euros en heures de pointe pour entrer à l'intérieur de la zone circonscrite par le périphérique, la recette s'élèverait à 300 millions d'euros par an. Si l'on doublait le cordon de la petite couronne avec un tarif à 8 euros, par un autre cordon autour du centre également à 8 euros, soit 16 euros pour accéder au centre de Paris, les recettes seraient de l'ordre du milliard d'euros.
Encore faudrait-il que l'offre des transports collectifs soit satisfaisante. À cela s'ajoute la difficulté qu'il y aurait à convaincre la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) : la question a déjà été posée au sujet de la surveillance des voies dédiées au co-voiturage.
Un jour ou l'autre, Paris se dotera d'un péage urbain, nous en sommes convaincus. Cependant, les recettes nettes ne sont pas considérables. Aucune des villes où il y a un tel péage n'a mis en place la gratuité des transports publics. L'objectif n'est pas le rendement financier.
On peut distinguer trois types d'objectifs, environnemental, social et financier. Le but du péage urbain est de réduire la circulation automobile.
La gratuité en Île-de-France n'est pas souhaitable. Elle n'aurait d'impact ni sur la circulation des voitures ni sur les nuisances. Elle bénéficierait à des personnes qui sont tout à fait capables de payer les transports en commun. Elle aggraverait la situation des transports collectifs, et la perte de recettes limiterait l'amélioration de la qualité des services.
Ces conclusions ne remettent pas en cause les expériences menées dans des petites villes comme Aubagne, où la fréquentation des transports en commun est évaluée à 50 voyages par habitant chaque année, contre presque 400 à Paris. En outre, on dépense dix fois moins pour les transports collectifs à Aubagne qu'à Paris.
Passer à la gratuité suppose de remplir trois conditions. Le système de transports doit être peu coûteux, avec davantage de bus que de modes lourds. Les recettes commerciales doivent être faibles, de l'ordre de 10 % des dépenses à Dunkerque contre 30 % en Île-de-France. Il faut qu'il existe des gisements en VT, avec beaucoup d'industries à Dunkerque, par exemple. Dans une grande ville, où il y a des modes de transports lourds, où les coûts sont importants et où le trafic est soutenu, le passage à la gratuité n'est pas une mesure raisonnable.
On nous avait dit qu'à Aubagne les bus étaient pratiquement toujours vides, de sorte qu'il n'y a pas eu de charge supplémentaire. Il suffisait de remplir davantage les bus.
Le volume des recettes commerciales était très faible et il n'y a pas eu besoin d'augmenter le VT.
D'autant qu'ils avaient des marges de manoeuvre.
La situation à Marseille est comparable à celle de l'Île-de-France.
Le Groupement des autorités responsables de transport (GART) doit rendre son étude sur la gratuité à la mi-juin. On peut déjà anticiper les conclusions.
La position de la Fnaut est qu'il faut augmenter l'offre.
Notre étude peut être très utile pour des villes comme Lyon ou Marseille. Il faut dépassionner le débat : la gratuité, tout le monde est pour ; puis on s'aperçoit que les choses ne sont pas aussi simples.
Et lors des échéances électorales, toutes les oppositions sont favorables à la gratuité !
Mme Hidalgo, au moment où elle annonçait la gratuité pour les enfants de 4 à 11 ans, qui est une mesure ciblée, disait aussi que la gratuité n'était pas le nec plus ultra de la politique des transports. Le ciblage des populations que l'on estime devoir aider est par excellence une décision de l'autorité publique.
Le fait que les salariés ne paient que la moitié des abonnements constitue une mesure incitative, au même titre que le plan de déplacements d'entreprise (PDE) ou interentreprises (PDIE).
Avant tout, l'offre doit correspondre aux besoins, lesquels doivent être analysés car ils évoluent.
Dans les métropoles, l'enjeu réside dans l'inversion de la spirale qui entraîne l'augmentation des prix, la congestion du trafic et les besoins de financements publics : plus on baisse les prix, plus les phénomènes de saturation augmentent et plus il faut investir dans les transports. Il est difficile d'expliquer que cette spirale doit être inversée et qu'il faut augmenter les tarifs afin de réduire les points de saturation et les dépenses publiques.
Souvent, les métropoles - à l'exception notable de celle de Lyon - s'inscrivent dans une logique de baisse des prix et d'augmentation de l'offre ; un exemple en est le dézonage de la carte Navigo en Île-de-France, qui s'est traduit par une augmentation significative du trafic et un effet d'étalement urbain que l'on peut d'ores et déjà mesurer.
Cela montre le lien qui existe entre la politique des transports et celle de l'aménagement urbain. Une tarification très basse est une mesure incitatrice qui favorise, à long terme, le desserrement urbain.
Que pensez-vous de la mise en place d'une gratuité des transports lors des pics de pollution ?
Elle a un effet limité sur la fréquentation des transports publics, et nul si elle n'est pas associée à une mesure de restriction de la circulation. C'est aussi une question d'organisation : il est difficile de changer de mode de transport du jour au lendemain.
À Lyon, nous avons étudié ce sujet. Si l'on devait interdire la circulation de toutes les voitures en cas de pic de pollution, les transports publics ne pourraient pas absorber l'ensemble des flux de voyageurs.
Pour diminuer la circulation, on le voit à Paris intra muros, il faut toute une panoplie de mesures de restriction, lesquelles doivent être diverses mais surtout acceptables. Chacune d'entre elles doit être relativement anecdotique, afin de ne pas susciter de levée de boucliers. La circulation automobile est un sujet sensible...
À condition que chaque mesure ne les pénalise pas trop.
Dans la métropole Aix-Marseille-Provence, les disparités sont grandes entre les agglomérations en termes de mise en place de solutions. À Aix-en-Provence, les automobilistes peuvent laisser leur voiture dans un parc relais, pour un coût de deux euros, et ensuite emprunter une navette pour rejoindre le centre-ville. À Marseille, rien n'est prévu !
À Paris, les navettes fluviales n'ont jamais eu de succès...
Le problème que vous évoquez est celui des métropoles regroupant des agglomérations qui auparavant étaient très autonomes et menaient des politiques très différentes.
Il existe un autre problème, notamment pour les habitants des villages : le manque de complémentarité entre le rail et la route.
Les systèmes de transport de Lyon et de Marseille n'ont rien à voir. Lyon est ainsi la seule ville où le tarif payé par l'usager ne diminue pas et où la part modale des transports collectifs augmente ; c'est une politique constante depuis l'après-Seconde Guerre mondiale.
Je veux souligner une incohérence. Selon vous, la gratuité ne serait pas un outil efficace, car le transfert induit ne serait que de 6 % et la baisse du recours à la voiture de 2 %. Dans le même temps, vous dites que la gratuité n'est pas souhaitable parce que les transports collectifs ne pourraient pas absorber l'augmentation du nombre des usagers ; il y a là une contradiction !
Nous ne disons pas que les transports collectifs ne pourraient pas absorber une hausse de leur fréquentation, et ce pour une raison simple : le transfert a lieu essentiellement lors des heures creuses. Les personnes qui utilisent leur voiture pour aller travailler continueront à le faire. Le choix en faveur des transports publics concerne principalement les déplacements choisis.
Deux objectifs peuvent justifier la mise en place de la gratuité : la préservation de l'environnement et la justice sociale.
Nous avons observé, notamment dans les petites villes où les transports collectifs sont devenus gratuits, que la sensibilisation aux problèmes de pollution ne permettait pas de réduire la circulation automobile. Quant aux mesures sociales, nous préférons qu'elles soient ciblées car elles coûtent alors moins cher que les mesures générales, lesquelles bénéficient à des personnes qui n'en ont pas besoin.
Vous dites que le péage urbain est une mesure efficace. Pourquoi la gratuité ne le serait-elle pas ? C'est contradictoire...
Le péage urbain n'est efficace que s'il s'agit d'une mesure ciblée. Le mettre en place tout autour d'une agglomération ne serait pas raisonnable.
Mieux vaudrait rendre payantes les autoroutes urbaines qui sont aujourd'hui gratuites. Il faudrait aussi prévoir davantage de tarifications sociales ; c'est pour financer de telles mesures que nous proposons d'augmenter les recettes.
En Île-de-France, beaucoup de ceux qui sont dépendants de la voiture, notamment pour des raisons professionnelles, sont issus de milieux défavorisés. En interdisant les diesels dans les zones à faibles émissions (ZFE), par exemple, ce sont les ouvriers qui rejoignent leur chantier ou les salariés qui travaillent la nuit que l'on pénalise, dans la mesure où ils ne bénéficient pas d'offres alternatives.
Tout l'enjeu est de développer des solutions alternatives - c'est l'objectif du Grand Paris - et des incitations à se déplacer autrement, entre autres en recourant au covoiturage. Si nous ne préconisons pas la gratuité, c'est non pas au motif qu'elle ne serait pas efficace, mais parce que ses conséquences sociales seraient néfastes.
Notre proposition de mise en place de voies réservées aux véhicules partagés sur les axes routiers structurants sera testée en Île-de-France. Quant au covoiturage longue distance, il faudra que l'autorité organisatrice de transports s'empare du sujet en proposant une offre unique.
Nos propositions à court terme ne portent pas sur la tarification, mais sur l'usage de la voirie.
Une autre évolution à venir est la dématérialisation des titres de transport, qui permettra de supprimer les obstacles à la tarification à l'usage et de réintroduire le critère de distance dans la fixation du prix.
Il convient de faire payer davantage ceux qui le peuvent et qui utilisent les transports collectifs de façon non contrainte.
L'abonnement transport, pénalisant en termes de recettes pour l'exploitant, est en revanche la meilleure solution pour faire baisser la circulation automobile.
C'est aussi un outil très efficace de lutte contre la fraude.
En Île-de-France, environ 50 % des usagers des transports publics ont une carte Navigo. À long terme, la carte mobility as a service (MaaS), ou multiservice, s'imposera.
Le système actuel de tarification est un cercle sans fin dans lequel l'offre crée la demande, et vice versa, dont la forme ultime est l'étalement urbain. Nous proposons donc d'augmenter les tarifs afin d'éviter que la question des transports ne soit considérée comme négligeable lors de la prise de décisions en matière d'urbanisme, sans pour autant pénaliser les personnes modestes. Une solution serait de prévoir un abonnement uniquement dédié au trajet entre le domicile et le travail ou le lieu d'études.
Je relève deux points positifs au travers de cette problématique : la sensibilisation aux questions environnementales et les perspectives offertes par les nouvelles technologies.
Messieurs, nous vous remercions de nous avoir fait partager vos réflexions.
La réunion est close à 15 heures.