Je donne la parole au rapporteur pour nous présenter l'amendement qu'il souhaite déposer sur l'article 28 du projet de loi appelé en seconde délibération.
Introduit contre l'avis de la commission et du Gouvernement, cet article prolonge de deux semaines le délai d'accès à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Il ne se rattache au projet de loi que de manière très ténue, du fait de la présence, à l'article 17 du texte déposé à l'Assemblée nationale, d'une mesure de simplification prévoyant la suppression de l'obligation pour les professionnels de santé concernés de réaliser, à des fins statistiques, un bulletin « papier » pour chaque IVG. Il intervient sans qu'aucune concertation préalable n'ait été menée sur ce sujet, notamment avec la communauté scientifique et médicale. Ce n'est pas dans ces conditions, ni dans ces circonstances, au terme de l'examen d'un texte portant sur l'organisation du système de santé, qu'un débat sur le délai d'accès à l'IVG doit être mené et tranché. C'est pourquoi je vous propose un amendement de suppression de cet article.
On peut se demander, face à de tels procédés, quels sont les droits de l'opposition. De nombreux autres votes se sont déroulés dans les mêmes conditions. Là, parce que le résultat ne convient pas, on demande une seconde délibération ! Il a d'ailleurs été dit en séance que la demande émanait de la commission, alors que nous ne nous sommes pas réunis pour en délibérer ; le président avait pourtant le droit de faire cette demande en son nom propre. Plusieurs scrutins publics avaient été demandés sur des amendements en lien avec l'IVG, mais en l'occurrence le président n'en avait pas demandé sur l'amendement sur lequel il souhaite revenir.
Je constate qu'à chaque fois qu'il est question de l'IVG, il y a une bonne excuse pour refuser les avancées. Comme d'habitude, le Gouvernement annonce qu'il va mettre une commission sur les rails pour dresser un état des lieux.
L'amendement du rapporteur va à contre-sens de l'histoire. La démarche est scandaleuse ; je me demande ce que je fais ici. Dans plusieurs pays voisins, le délai légal est plus long : en Espagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, il peut atteindre vingt-quatre semaines. La seule conséquence de l'allongement du délai serait de réduire l'inégalité face à l'IVG : en effet, certaines femmes n'ont pas les moyens de se faire avorter à l'étranger. Le manque de personnel soignant contribue à faire traîner les choses et peut conduire à dépasser le délai légal.
L'allongement du délai légal peut se concevoir dans certains cas ; c'est du reste le sens du vote de mes collègues Thani Mohamed Soilihi et Dominique Théophile qui ont voté, vendredi, pour cet amendement, comme le leur y autorise leur liberté de vote. En réalité, parmi les sénateurs du groupe La République en Marche, il y en a autant qui sont pour et contre l'allongement de ce délai. S'il n'y avait eu dans le projet de loi aucun article traitant indirectement de l'IVG, cet amendement aurait été considéré comme un cavalier. J'estime que ce sujet doit faire l'objet d'un texte à part entière. Ce sujet doit faire l'objet d'une réflexion approfondie, non d'un amendement au détour d'un projet de loi sur l'organisation du système de santé. Je voterai donc l'amendement du rapporteur ; je remarque simplement qu'une demande de scrutin public le jour du vote aurait abouti au même résultat.
J'approuve ce qui vient d'être dit. Une telle décision ne doit pas être prise dans ces conditions. Je voterai l'amendement.
Je voterai l'amendement et je salue le courage du rapporteur. Sur le fond, je rappelle qu'il y a eu, en 2000, une saisine par le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale du comité consultatif national d'éthique (CCNE), qui a considéré que « le débat éthique se situe en amont et pas seulement dans l'allongement du délai prévu par la loi ».
Il y a des questions de forme et de fond. Sur la forme, il est inédit de procéder ainsi ; j'ai pourtant déjà assisté à des votes serrés ! Ceci ne grandit pas l'image du Sénat et des sénateurs. On nous dit que ce n'est pas le bon moment ; mais dès qu'il est question de l'égalité et des droits des femmes, ce n'est jamais le bon moment ! On préfère différer encore la décision. Le problème du dépassement du délai légal s'est toujours posé et il est lié à celui de l'égalité d'accès à l'IVG. Il est préférable d'offrir une manière légale et sûre de dépasser les douze semaines ; je ne voterai donc pas l'amendement.
Il y a d'abord une question de procédure : je ne vois pas pourquoi le vote serait moins légitime que ceux qui sont intervenus le même jour, dans les mêmes conditions. Quant à l'argument selon lequel mon amendement n'aurait pas de rapport avec le texte, vous avez appliqué, Monsieur le président, l'article 45 de la Constitution avec beaucoup de rigueur. Or mon amendement n'a pas été déclaré irrecevable ; j'en déduis que vous avez estimé qu'il a un lien avec le texte. Nous n'avons pris personne par surprise. Ceux qui estimaient que ce vote était important auraient dû être présents. Les difficultés d'accès à l'IVG sont une conséquence des déserts médicaux : on est donc bien au coeur du sujet du projet de loi.
Ce n'est pas une question de circonstances. La semaine dernière, Monsieur le président, vous aviez une ambition : celle d'arriver en commission mixte paritaire (CMP) en position pour aboutir à un accord sur un bon texte. Or, avec l'article 28, vous êtes face à une contradiction : le groupe majoritaire est hostile à l'IVG - je rappelle la position de la tête de liste des Républicains aux élections européennes. Il aurait donc fallu que la ministre convainque les députés La République en Marche de revenir sur cet article, ce qui était loin d'être acquis puisque ces derniers ont fait connaître leur souhait de maintenir cette disposition. En réalité, nous discutons cet après-midi de la meilleure manière possible de conclure en CMP.
Je suis également perplexe : des amendements ont souvent été votés dans de telles conditions. J'estime que l'on devrait s'en tenir à ce qui a été voté. Chaque fois que l'on a abordé au Sénat un sujet touchant aux droits des femmes, cela a été compliqué : j'en veux pour preuve le débat sur les tests de grossesse. Sur la question de l'IVG, même après l'étude annoncée par le Gouvernement, nous n'avancerons jamais ; nos filles et nos petites-filles avorteront encore dans les mêmes conditions.
Tous les propos tenus sont respectables. À titre personnel, j'estime que certains amendements de Mme Rossignol auraient mieux trouvé leur place dans une loi de bioéthique. Les questions relatives aux droits des femmes ne sont pas l'apanage de la gauche : certains membres de ma famille se sont battus pour l'IVG. Je voterai pour l'amendement du rapporteur, mais ce n'est pas un vote contre l'émancipation des femmes.
Cette problématique du délai légal de l'IVG est liée à l'organisation du système de santé. En outre, c'est à ma connaissance la première fois qu'on revient de cette façon sur un vote. Je pense que si cette question concernait les hommes, l'amendement qui a été adopté n'aurait pas fait débat.
Madame Cohen, je vous rappelle que si nous avons beaucoup manié les scrutins publics, c'était souvent contre notre propre majorité !
Madame Gréaume, je ne pense pas qu'il y ait de contresens. Je rappelle que douze semaines de grossesse correspondent à quatorze semaines d'aménorrhée. À seize semaines d'aménorrhée, le développement du foetus est plus avancé...
Je suis d'accord avec Monsieur Amiel : chaque sénateur vote comme il l'entend, c'est sa liberté.
Madame Meunier, cette procédure n'est pas inédite : lors de l'examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, la ministre Marisol Touraine avait demandé une seconde délibération assortie d'un vote bloqué. On ne peut pas contester ce droit prévu par le règlement.
Madame Rossignol, j'ai songé à opposer l'article 45 de la Constitution à votre amendement, compte tenu de l'absence dans le texte initial de dispositions relatives à l'accès à l'IVG. À l'article 17 du projet de loi, il est toutefois fait mention des formulaires papier de déclaration d'IVG ; j'ai donc estimé que le lien, bien que très indirect, pouvait se défendre.
Madame Schillinger, je rappelle que j'étais favorable aux tests de grossesse, comme je suis favorable à la procréation médicalement assistée (PMA) et à la gestation pour autrui (GPA).
Madame Jasmin, j'estime en effet qu'il s'agit davantage d'une question d'accès aux soins que de délai. Le Royaume-Uni, l'Espagne et la Finlande autorisent l'IVG au-delà de douze semaines mais à des conditions restrictives puisque l'avortement doit encore être justifié par des raisons socio-économiques ou lorsque le danger est grand pour la mère et l'enfant. En France, je rappelle que l'on permet l'interruption médicale de grossesse (IMG) jusqu'au terme de la grossesse en cas de danger pour motif de santé de la mère ou de l'enfant ; nous allons donc, en réalité, beaucoup plus loin sur cet aspect.
J'en dirai plus en séance publique. Il convient à mon sens de faciliter l'accès à l'IVG plutôt que d'allonger le délai : si l'on passait à quatorze semaines, on dirait encore que ce n'est pas assez.
L'amendement A-1 est adopté.
La réunion est close à 15 h 50.