Commission des affaires économiques

Réunion du 12 mai 2021 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Photo de Sophie Primas

J'ai été récemment saisie d'une demande de notre collègue Alain Cadec tendant à créer une section d'études « Pêche et produits de la mer », au sein du groupe d'études « Agriculture et Alimentation ». Cette structure pérenne de réflexion serait consacrée à la pêche marine et à l'aquaculture marine dans leurs divers aspects, dans un contexte d'incertitude avec le Brexit et les changements dans la politique commune de la pêche. Alain Cadec dispose d'une très bonne connaissance de ces dossiers en tant qu'ancien président de la commission pêche au Parlement européen. Je rappelle que plus de 13 500 emplois de marins sont liés à la pêche française, c'est un enjeu important pour notre commission.

Ainsi que le prévoit la procédure de création d'une section d'études, j'ai recueilli l'avis de notre collègue Laurent Duplomb, président du groupe d'études « Agriculture et alimentation » auquel serait rattachée cette section. Il revient désormais à la commission des affaires économiques de se prononcer sur cette demande. En cas d'approbation, le Bureau du Sénat prendra acte de la création de la section d'études, qui sera appelée à se reconstituer très prochainement.

La proposition de création de la section d'études a été adoptée.

La réunion est close à 11 h 50.

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Après avoir entendu Madame Barbara Pompili, nous auditionnons aujourd'hui Madame Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du logement auprès de la ministre de la transition écologique, sur le projet de loi portant sur la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets, dit « Climat et résilience »

Nous allons nous focaliser sur le titre IV « Se loger » du projet de loi, soit presque 60 articles, et les articles 39 à 55 qui sont presque entièrement délégués au fond à notre commission. Ce volet comprend deux sujets principaux : la rénovation énergétique des bâtiments et la lutte contre l'artificialisation des sols.

Notre commission et notre assemblée entament l'examen de ce projet de loi dans un esprit constructif avec deux critères : efficacité et ambition. Premièrement, les dispositions proposées par le Gouvernement et enrichies par l'Assemblée nationale sont-elles à même d'avoir un effet réel en faveur du climat ou s'agit-il plutôt d'annonces, voire sont-elles contre-productives ? Sont-elles opérationnelles, c'est-à-dire conçues pour favoriser une prise en main rapide par les ménages, collectivités et acteurs économiques, en particulier les bailleurs ? Deuxièmement, ces mesures sont-elles à la hauteur de l'ambition de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) d'atteindre la neutralité carbone en 2050 ?

Dans le domaine de la construction, les défis sont grands. Le logement représente 27 % des émissions des gaz à effet de serre de notre pays.

En matière d'artificialisation, j'animais la semaine passée dans les Yvelines une réunion avec une quarantaine de maires en présence du Président Gérard Larcher et de plusieurs de mes collègues sénateurs sur la loi SRU. Beaucoup ont souligné les grandes difficultés soulevées par l'objectif de zéro artificialisation nette pour accueillir de nouvelles populations et développer l'activité économique de leur territoire, même s'ils sont conscients qu'un effort supplémentaire doit être réalisé.

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Wargon, ministre déléguée à la ministre de la transition écologique, chargée du logement

Merci beaucoup Madame la présidente. Je souhaite vous remercier pour l'organisation de cette audition afin de débattre de ce projet de loi « Climat et résilience ».

Je suis en effet en charge du titre « Se loger » du projet de loi, et notamment des articles 39 à 45 et 47 à 55 qui relèvent du champ de mon ministère. Ce projet de loi est le fruit d'un processus démocratique inédit voulu par le Président de la République, celui de la Convention citoyenne pour le climat. Je souhaite saluer le travail des 150 citoyens tirés au sort qui ont travaillé pendant près d'un an sur 149 mesures structurantes, majoritairement reprises dans ce projet de loi.

C'est un texte qui porte des ambitions majeures très ancrées dans le quotidien de nos concitoyens. Ce projet de loi s'inscrit dans la continuité de l'action menée par le Gouvernement depuis 2017 en faveur de la préservation du climat et de l'environnement. Il doit s'appréhender dans une dynamique d'ensemble en complément de nombreux textes déjà adoptés depuis le début de la législature : les lois hydrocarbures, Egalim, ELAN, « Énergie-climat » et « anti-gaspillage pour une économie circulaire ». S'y ajoutent des mesures prises en dehors du cadre législatif avec la fin de projets qui ne sont plus compatibles avec nos attentes : EuropaCity, Notre-Dame-des-Landes, la Montagne d'or en Guyane ; nos quatre dernières centrales à charbon qui sont en cours de fermeture et la centrale nucléaire de Fessenheim qui est fermée.

Enfin, nous consacrons un tiers du Plan de relance à la transition écologique pour un montant sans précédent de 30 milliards d'euros. Aucun gouvernement n'a jamais investi autant de moyens sur une période si courte pour ce secteur. Dans le champ de mon ministère, nous consacrons près de 7 milliards d'euros à la rénovation des bâtiments tous sujets confondus et à la construction durable. C'est l'ensemble de toutes ces mesures qui nous permettront d'atteindre nos objectifs : ceux de l'accord de Paris transcrits en France dans la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) et ceux en cours de fixation au niveau communautaire.

Sur le volet rénovation énergétique inclus dans les mesures du titre IV « Se loger » du projet de loi qui sont au coeur de l'action écologique de mon ministère, nous poursuivons le développement d'une politique publique extrêmement ambitieuse. Je souhaite souligner les progrès effectués sur cette question centrale de la rénovation énergétique durant ces trois dernières années. Ces sujets n'avaient finalement pas été traités dans la loi ELAN et ont été introduits par les parlementaires dans la loi « Énergie-climat » à force de compromis. Seize mois plus tard, un chapitre entier du projet de loi leur sera dédié.

La question de l'habitat devient centrale dans la lutte contre le réchauffement climatique, à l'image de l'intérêt grandissant de nos concitoyens pour la rénovation. « MaPrimeRénov' », lancée le 1er janvier 2020, a connu un véritable succès malgré la crise sanitaire, avec 220 000 demandes déposées l'année dernière. En 2021, alors que « MaPrimeRénov' » n'était accessible qu'à la moitié des Français l'année précédente, elle est devenue accessible à tous avec un barème plus favorable pour les ménages les plus modestes. 270 000 demandes ont déjà été déposées depuis le début de cette année, soit quatre fois plus de dossiers prévus en 2021 qu'en 2020. C'est une dynamique extrêmement forte, soutenue par une prise de conscience écologique de nos concitoyens, mais aussi par une demande de confort dans le logement, renforcée par la crise sanitaire.

Nous prenons également de nombreuses mesures structurantes dans cette loi en faveur de la rénovation énergétique. Le principe d'une programmation pluriannuelle de la rénovation énergétique y a été inscrit dans l'article 39 bis C, et sera adossé à la loi pluriannuelle de l'énergie à partir de 2023. Nous consolidons également un référentiel ambitieux pour le diagnostic de performance énergétique (DPE) qui devient l'élément d'information, de confiance et d'évaluation de la rénovation énergétique en prenant appui sur ce que les Français connaissent. Ce DPE consolidé, applicable au 1er juillet 2021, sera désormais notre boussole pour évaluer la performance énergétique d'un logement.

S'agissant des travaux de rénovation à mener, nous avons distingué la situation des propriétaires bailleurs et celle des propriétaires occupants. Les propriétaires bailleurs sont des acteurs économiques et portent la responsabilité de mettre en location un logement suffisamment performant énergétiquement. Ainsi vient le critère de décence : l'article 42 prévoit l'interdiction effective des locations de « passoires thermiques » en 2025 pour les étiquettes G, en 2028 pour les étiquettes F, qui permettra la rénovation de 1,8 million de logements concernés en six ans. Cette mesure est importante, elle fixe un calendrier clair. Elle engage l'ensemble des parties prenantes dans la massification des travaux de rénovation. Nous consacrons également dans le Plan de relance 500 millions d'euros à la rénovation des logements sociaux afin que, dans ce calendrier, plus aucun logement social ne soit classé F ou G en France.

L'examen du texte à l'Assemblée nationale a permis de poursuivre cette trajectoire d'interdiction pour les logements E pour 2034. Cette dernière étape qui concerne plus de 2,5 millions de logements supplémentaires donne une perspective de long terme et encourage les propriétaires bailleurs des logements F ou G, et E à engager des rénovations suffisamment ambitieuses. À plus court terme, en 2023, un premier signal sera envoyé aux propriétaires bailleurs avec l'interdiction d'augmenter les loyers des logements F et G, ce qui permettra de protéger les locataires de la précarité énergétique.

Le propriétaire occupant devra être accompagné et convaincu d'effectuer des travaux de rénovation. Il est essentiel de l'aider dans ce parcours, plutôt que de le lui imposer. C'est le sens de la mission que le Gouvernement a confié à Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des dépôts et consignations, dont plusieurs propositions ont été inscrites dans le projet de loi lors de l'examen en séance publique à l'Assemblée nationale.

Nous avons ainsi fixé un cadre pour véritablement qualifier et massifier l'accompagnement à la rénovation énergétique, dans la continuité de la mise en place du service public de la rénovation énergétique dont nous précisons les bases. Les accompagnateurs seront des professionnels qualifiés, à l'écoute, qui pourront prendre en charge de bout en bout le parcours de travaux des ménages, et les encourageront dans des rénovations performantes. Sur le volet du financement du reste à charge, le Gouvernement s'est engagé à apporter la garantie publique pour les prêts avance mutation : les banques avanceront le reste à charge des travaux et le récupéreront lors de la vente du logement. Le fonds de garantie pour la rénovation énergétique doit permettre à ce type de prêt de décoller, notamment pour les ménages modestes, ou pour les ménages plus âgés qui ont un accès plus difficile aux crédits classiques.

Au-delà de ces mesures, le chapitre relatif à la rénovation porte d'autres dispositions essentielles pour favoriser le dépassement de travaux : l'obligation à partir de 2022 de réaliser un audit énergétique lors de la vente d'une maison individuelle classée F ou G, et en 2025 pour les maisons classées E, et l'obligation de déclencher un DPE et un plan pluriannuel de travaux pour les copropriétés.

Sur le volet de la lutte contre l'artificialisation des sols, nous entamons un changement de paradigme en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire. Réduire le rythme d'artificialisation des sols est nécessaire afin de préserver la capacité de stockage de carbone dans le sol et de réduire les émissions de gaz à effet de serre indirectes liées à l'augmentation des distances et des déplacements, et également afin de préserver nos terres agricoles et notre biodiversité. Il s'agit d'un enjeu d'aménagement majeur, avec pour objectif de concilier la qualité du cadre de vie, la préservation de la nature en ville, le maintien de services de proximité et le développement de nos territoires.

Nous inscrivons pour la première fois dans la loi l'objectif « Zéro artificialisation nette » en 2050, avec une trajectoire claire de réduction de 50 % du rythme d'artificialisation des sols pour les dix prochaines années dans les articles 47 et 48. Pour cela, nous nous appuyons sur les territoires et sur les documents de planification existants qui traduisent déjà cette stratégie, en établissant un mécanisme pragmatique. Dans les dix prochaines années, nous réduirons de moitié la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Nous laissons le temps aux collectivités de s'adapter à ces nouvelles destinations, celles des surfaces artificialisées, afin d'assurer le déploiement concret et effectif de la transition écologique dans les territoires.

Ce chapitre répond à l'ensemble des demandes législatives formulées par les membres de la Convention citoyenne. Je souhaite souligner le travail effectué, à l'Assemblée nationale, de l'ensemble des parties prenantes, notamment les élus locaux, afin de maintenir l'ambition et la lisibilité des mesures de ce chapitre. Cette partie du texte a extrêmement mobilisé les parlementaires avec 1 000 amendements en commission et autant en séance.

Le travail mené à l'Assemblée nationale a permis d'avancer sur l'enjeu de territorialisation. Tous les territoires n'ont pas les mêmes besoins ni les mêmes trajectoires. Nous devons tenir compte des efforts passés sur la réduction de l'artificialisation et des enjeux spécifiques des territoires ruraux. Le niveau régional a été retenu car il est l'échelon adéquat pour territorialiser les objectifs des bassins de vie des communes et des intercommunalités.

Ce projet de loi cadre l'exercice de cette responsabilité et enrichit la boîte à outils des collectivités pour qu'elles réussissent à réduire effectivement de 50 % le rythme d'artificialisation des sols sur leur territoire. Je pense à la création d'observatoires de l'habitat et du foncier au niveau intercommunal, mais aussi à l'adaptation du calendrier d'évaluation des documents d'urbanisme.

Ce projet de loi favorise aussi l'identification de zones préférentielles de renaturation. Je pense également aux mesures encourageant la densification qui sont proposées à la main des maires pour favoriser les opérations vertueuses là où elles sont les plus pertinentes : la transformation de bureaux en logements, la construction de logements à proximité des transports en commun, la construction d'étages supplémentaires pour les bâtiments existants.

Enfin, l'article 52 met fin à tout nouveau projet de centres commerciaux qui engendrerait une artificialisation des sols en dehors de cas de dérogations circonscrites. Ces projets seront ainsi conduits à s'implanter sur des zones déjà artificialisées, ce qui est un changement majeur pour les entrées de ville et pour la préservation des commerces de proximité.

L'examen du texte à l'Assemblée nationale a permis d'encadrer davantage le développement d'activités logistiques en les inscrivant dans des stratégies territoriales, et en complétant les documents d'aménagement artisanal commercial d'un volet dédié. Enfin, le projet de loi dote les élus locaux de moyens d'intervenir pour favoriser le recyclage des zones d'activités en obsolescence, en leur permettant après inventaire d'ordonner leur remise à niveau.

Le Titre IV du projet de loi « Climat et résilience » est concret, ambitieux et riche.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Blanc

Madame la ministre, je souhaite évoquer les « injonctions contradictoires » qui illustrent cette mandature. La loi ELAN enjoignait en 2018 à construire davantage et à libérer du foncier, et le projet de loi climat et résilience en 2021 demande de diviser par deux toute construction nouvelle.

Vous connaissez la crise du logement que traverse notre pays et vous avez fixé des objectifs ambitieux de construction de logements. Vous n'ignorez pas non plus les conséquences de la hausse du prix du foncier tant sur l'offre que sur le budget des ménages. Or, ce projet de loi entend fixer, dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), un objectif de réduction de consommation d'espace qui s'imposera aux maires et aux EPCI sur dix ans. La consommation devra donc diminuer de 50 % au moins dans toutes les régions françaises. En tout état de cause, ce sont 14 000 hectares chaque année qui seront retirés du foncier disponible, soit l'équivalent de 140 000 ménages pour qui le terrain ne sera plus constructible chaque année, ou 110 000 logements qui ne seront plus construits chaque année. Ces calculs n'ont pourtant pas été effectués dans le projet de loi. L'étude d'impact économique qui tient en quatorze lignes à l'article 49, sans aucun chiffre, est insuffisante.

Il est erroné de croire que le recyclage foncier, déjà artificialisé, suffira à combler les besoins et assurer le développement. Comment trouver du foncier dans des zones étendues déjà denses, déjà soumises à l'impact cumulé des lois SRU, littoral, montagne, et maintenant tenues de réduire encore leur consommation d'espace ? Si certains territoires au grand passé industriel comptent de nombreuses friches, ce n'est pas le cas de tous. Par ailleurs, le coût de la réhabilitation de ces territoires est souvent rédhibitoire. Le fonds « friches » du Plan de relance permettra de réhabiliter au mieux 150 hectares par an, ce qui est largement insuffisant. Le Gouvernement entend-il pérenniser tout cela, voire l'étendre ?

Les débats à l'Assemblée nationale se sont portés sur la territorialisation des objectifs. Les sénateurs préfèrent la décentralisation des objectifs. Le projet de loi semble oublier que les collectivités ont déjà mené des efforts considérables depuis vingt ans pour moderniser leurs documents d'urbanisme, les verdir, les rendre plus sobres, le tout dans le respect des compétences décentralisées. L'urbanisme est déjà la compétence des communes et des EPCI. Les trois quarts des SCOT ont déjà des objectifs de réduction de consommation d'espace d'au moins 35 %, voire 50 % pour la moitié d'entre eux. Ainsi, le rythme d'artificialisation baisse dès à présent même si l'urbanisme est une politique du temps long et que les territoires sont dans cet effort collectif. L'Assemblée nationale a fait un pas dans ce sens. Nous pensons au Sénat qu'il convient d'agir en responsabilité ascendante plutôt qu'en obligation descendante. Nous estimons ces SRADDET trop contraignants pour tous les échelons inférieurs (SCOT, PLU, PLUi).

Les mesures du projet de loi qui devraient entraîner de considérables transferts financiers vont modifier les bases fiscales des collectivités via la taxe foncière et grever les budgets des communes. La filière de la construction devra multiplier les études préalables et l'impact sera toujours plus marqué pour les ménages : un terrain constructible qui devient non constructible peut perdre une grande partie de sa valeur ; le prix du foncier constructible risque d'exploser. Aucune étude d'impact n'est produite dans le projet de loi. Certains spécialistes du secteur ont évoqué lors de leur audition un possible retour des Gilets jaunes si ces mesures venaient en application : les conséquences peuvent être vertigineuses pour nos territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Beaucoup d'acteurs économiques ont relevé la volonté de massification énergétique du Gouvernement dans ce projet de loi. Ils ont également estimé la difficulté de sa mise en oeuvre prévue dans le projet de loi adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, son manque de lisibilité, et sa trop grande complexité qui pourrait être néfaste pour l'application des mesures qu'il prévoit.

Dans le domaine de la rénovation énergétique des bâtiments évoquée dans les articles 39 à 45 quinquies du projet de loi, je souhaite évoquer la lisibilité de la loi, son ambition par rapport à l'objectif du label Bâtiment basse consommation (BBC) en 2050, et son financement.

Le texte de loi est complexe dans l'articulation technique et temporelle des outils et dans leur finalité. Des propositions de clarification seront faites par le Sénat pour les citoyens et les professionnels concernant les diagnostics de performance individuelle ou collective, l'audit énergétique, le diagnostic technique global, le projet de plan pluriannuel des travaux et le carnet d'information du logement. De même, les différents termes - « performante », « globale » et « complète » - donnés à la rénovation énergétique, sont également un exemple de complexité.

L'ambition de la loi permet-elle réellement d'atteindre l'objectif d'un bâtiment « décarbonisé » en 2050 ? Atteindre la classe C est insuffisant pour plusieurs acteurs du secteur. Il faut viser au-delà et une perspective au-delà de 2034 pourrait être fixée.

Le projet de loi pose clairement la question de l'autonomie des collectivités territoriales. L'article 43 prévoit un strict encadrement par l'État du service public de la performance énergétique de l'habitat. Quelles sont les perspectives du Gouvernement sur ce sujet ? Les collectivités auront-elles les moyens de le porter ? Les « accompagnateurs Sichel » seront-ils gratuits pour les ménages et financés par les certificats d'économie d'énergie (C2E) ? Le prêt avance mutation sera-t-il à taux zéro ? Les aides seront-elles conditionnées à une rénovation globale, c'est-à-dire la mise en extinction ou une réforme profonde de « MaPrimeRénov' », ou continuera-t-on à aider les ménages dans une logique geste par geste et à garantir ainsi une forme d'universalité ? Peut-on aider les copropriétaires à épargner en organisant la portabilité du fonds travaux ? Enfin, pourquoi n'imposer que des interdictions aux propriétaires bailleurs et ne pas les accompagner en leur permettant de déduire plus largement leurs travaux de rénovation ?

A contrario, un grand nombre de logements sont en copropriété où les principales mesures de rénovation des murs, du toit, du chauffage, et parfois des volets, sont de leur ressort. Doit-on pénaliser un propriétaire de bonne foi qui n'aura pas pu se mettre en règle, faute de réalisation des travaux ? Se pose également la question du financement et du réalisme des obligations demandées que la loi va créer.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

J'aurai trois questions, Madame la ministre. La lutte aux C2E est un sujet majeur qui n'est abordé que sur la base de la législation par ordonnance dans le projet de loi. Ne faudrait-il pas faire davantage pour assainir, mais également simplifier l'écosystème des C2E, et si oui, comment ?

L'article 15 ter du projet de loi imposerait aux collectivités territoriales l'achat de matériaux « biosourcés » pour la construction et la rénovation à hauteur de 25 % d'ici 2028. Cette obligation paraît élevée au regard des capacités financières des collectivités, du degré de maturité de la filière biosourcée, mais aussi des exigences prévues par la réglementation environnementale RE2020. Pensez-vous qu'il faille modifier ou supprimer cette disposition ? Au Sénat, nous sommes très attachés à l'écobilan et au bilan carbone : la provenance extérieure de matériaux « biosourcés » n'est pas souhaitable.

L'article 46 quater prévoit d'interdire le financement de toute opération d'économie d'énergie produisant une hausse d'émission de gaz à effet de serre. Le Gouvernement a-t-il bien mesuré la portée de ce dispositif ? Doit-on attendre que le remplacement des chaudières à gaz par de plus performantes ne soit plus éligible à certains dispositifs de soutien ?

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

Concernant l'artificialisation, je souhaite revenir sur la conciliation des politiques publiques. Beaucoup d'élus locaux nous ont fait part de leur inquiétude quant à l'impact cumulé des législations sur leur politique locale, en particulier dans les communes soumises aux obligations de mixité sociale de la loi SRU. Nous savons qu'un certain nombre d'entre elles peinent à atteindre les objectifs SRU en dépit de leurs efforts de création par réhabilitation ou construction nouvelle. Ces élus nous indiquent que les principaux gisements de réhabilitation ou de foncier artificialisé ont déjà été mobilisés lors des premières périodes de réalisation de la loi SRU. Ils craignent donc que les objectifs de réduction de moitié de l'artificialisation nouvelle proposés par le projet de loi les condamnent à rester ou à devenir carencés avec les sanctions que cela entraîne.

Le projet de loi « 4D » semble prévoir de modifier les dispositions de la loi SRU. Dans ce cadre, serait-il pertinent d'adapter spécifiquement la loi SRU aux obligations de consommation d'espace ? Par exemple, faudrait-il exclure du décompte de l'artificialisation les opérations de construction de logement social, ou faudrait-il dispenser les zones où le foncier est plus rare des obligations SRU, ou revoir les seuils d'application, dans un esprit de conciliation et d'efficacité de la politique publique ?

Dernier point, le texte issu de l'Assemblée nationale prévoit une zone tendue à coefficient de biotope. Chaque terrain devra donc être en partie végétalisé ou en pleine terre, ce qui pourrait induire de la raréfaction ou le renchérissement du foncier dans ces zones tendues rendant encore plus difficile l'accès au logement des ménages les moins aisés.

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Wargon, ministre

La question posée par le sénateur Blanc concerne les injonctions contradictoires qui existeraient dans les différentes législations existantes et à venir. Je ne le pense pas. Il y a des solutions aux questions posées. Il est vrai que les politiques du logement et de lutte contre l'artificialisation que je porte posent des ambitions qui doivent être conciliées : une ambition forte de construction de logements, sociaux en particulier, et une ambition de réduction de la consommation des terres naturelles et agricoles et donc de lutte contre l'artificialisation. Les deux ne sont pas incompatibles. Nous devons trouver un modèle de construction durable. Il est difficile aujourd'hui de construire et de rendre les projets de construction acceptables. Nous avons besoin de trouver le bon équilibre entre d'un côté la nature, l'espace, la végétalisation et la prise en compte du cadre de vie et, de l'autre, le besoin de construction. La réponse est dans un ensemble de politiques publiques que sont la durabilité des normes de construction et notre approche sur l'urbanisme et l'aménagement.

Beaucoup de collectivités ont déjà adopté dans leurs documents d'urbanisme des règles de consommation d'espace plus économes. Beaucoup de PLU et de PLUi portent déjà des règles de réduction de l'artificialisation. La contrepartie est de construire avec plus de densité là où c'est possible. Aujourd'hui, là où le PLU ou le PLUi permettent une construction jusqu'à R+5, les constructions se limitent à R+3. C'est la raison de la perte de logements, particulièrement dans le collectif et les zones tendues. En reconstruisant à R+5 de manière plus durable conformément au PLU ou au PLUi, nous pourrons concilier un objectif de réduction de consommation de terres naturelles et un objectif de logements.

La lutte contre l'artificialisation fait aussi référence à la renaturation à l'intérieur des villes et à l'accès à la nature qui est nécessaire pour le cadre de vie. C'est en effet une contrainte ajoutée à une contrainte déjà existante. Mais c'est une contrainte qui s'impose car l'artificialisation est à la fois négative pour la biodiversité et la réduction des gaz à effet de serre.

L'objectif de zéro artificialisation nette n'est pas à atteindre immédiatement, mais d'ici 2050. La première période ne prévoit qu'une baisse de 50 %. Nous sommes en deçà des demandes de la Convention citoyenne.

Sur la territorialisation, les SRADDET tiennent leurs objectifs avec une réduction de l'artificialisation de 50 % d'ici 2030 dans neuf régions sur treize dont l'Occitanie d'ici 2040. Mais je partage le souci de la territorialisation au niveau infrarégional. La réduction de l'artificialisation n'est pas tenue d'être uniformément réduite de 50 % sur chaque commune ou intercommunalité. Les efforts déjà effectués dans certains territoires doivent être pris en compte. L'artificialisation peut répondre à des besoins essentiels, l'activité économique en particulier. Alors que c'est une ressource que nous considérions comme inépuisable, gratuite et sans valeur environnementale, nous devons la traiter comme précieuse et rare dorénavant.

Le fonds « friches » fonctionne parfaitement avec 300 000 euros dédiés et un réabondement envisagé. Il a déjà permis d'identifier 2 000 hectares en six mois qui vont permettre la construction de 20 000 logements supplémentaires. L'accès au logement abordable se fait par la construction neuve, mais également par la mobilisation de logements vacants et la réhabilitation d'anciens immeubles, particulièrement dans les villes de taille moyenne.

Concernant la rénovation, où la volonté de massification du Gouvernement a été soulignée et encouragée, les aides financières sont principalement rassemblées dans « MaPrimeRénov' » qui doit être l'aide de référence pour les ménages.

Dans le domaine du diagnostic qui est la caractéristique de base du logement, nous avons fait un travail partenarial très important pour ajouter les gaz à effet de serre au DPE, et pour l'améliorer et le rendre visible. La nouvelle étiquette énergétique aura une indication sur le coût mensuel ou annuel d'une consommation moyenne. L'audit est le cheminement pour parvenir à la rénovation la plus performante d'un logement.

Sur les concepts, je suis très attachée au concept de la « rénovation performante » que nous avons redéfini. La rénovation « globale » doit être performante et réalisée rapidement. La rénovation « complète » est en effet la moins indispensable.

Concernant notre stratégie, j'ai interrogé mon administration pour savoir si des rénovations performantes nous permettent d'être au rendez-vous de nos objectifs climatiques. La réponse est oui. Une note d'analyse ministérielle a récemment indiqué que si des rénovations performantes sont réalisées (saut de deux classes et niveaux A, B ou C atteints) dans la SNBC, les objectifs seront atteints à l'horizon 2030 et 2050. Cela nécessite impérativement un investissement. J'ai beaucoup plaidé pour une augmentation du budget de la rénovation énergétique des ménages qui sera attribuée aux propriétaires occupants et aux propriétaires bailleurs au 1er juillet 2021. « MaPrimeRénov' » s'ouvre donc naturellement aux propriétaires bailleurs. L'avancée de ce texte est de prévoir une programmation, qui sera renvoyée à la loi de programmation énergie 2023 afin de donner de la visibilité et de l'inscrire dans le temps. Cette politique publique ne peut pas varier avec des aides et des politiques publiques différentes. C'est ce qui a été fait dans le Plan de relance avec « MaPrimeRénov' » boostée pour les exercices 2021, 2022 et les crédits avancés pour 2023.

L'interdiction des locations des « passoires thermiques » en 2025 pour les étiquettes G, en 2028 pour les étiquettes F, et en 2034 pour les étiquettes E, votée par l'Assemblée nationale, a provoqué des inquiétudes assez fortes chez les professionnels de l'immobilier et les propriétaires. Il ne me semble pas nécessaire d'aller au-delà et de s'en tenir à ses objectifs. Ajouter les étiquettes E pour 2034 est déjà un acte fort.

L'autonomie des collectivités locales n'est pas modifiée par rapport à la loi de 2015. Ce service public est organisé par les régions avec les départements et les EPCI. Un programme de contractualisation a été proposé avec des C2E pour financer les guichets, et permettre que les financements soient portés par les collectivités qui le souhaitent et par l'État. La montée en charge est importante aujourd'hui : les conseillers des espaces info-énergie sont beaucoup sollicités et doivent être renforcés. Cela reste à la main des régions qui contractualisent avec les départements, les métropoles ou les EPCI.

Notre volonté sur l'accompagnement prévu par le rapport Sichel est qu'il soit en partie gratuit. Il doit être totalement libre et neutre. Je ne suis pas favorable à conditionner les aides à la rénovation globale. Nous devons pouvoir continuer à aider les Français à rénover leur logement, en les incitant à le faire de façon globale. Mais une rénovation totale est toujours difficilement envisageable en une seule fois.

Le vote de l'Assemblée nationale d'un coefficient de biotope en zone tendue est simplement une possibilité offerte aux collectivités locales dans les PLU de demander de laisser une part d'un terrain en pleine terre.

La modification de la loi SRU est prévue dans le projet de loi présenté par Jacqueline Gourault et sera présentée au Sénat au mois de juillet. Pour l'instant, il ne convient pas d'exempter de la lutte contre l'artificialisation telle ou telle cause, même les plus nobles : le logement, social ou non, l'activité économique ou les projets structurants. Sinon, le principe de base sera amoindri pour des exceptions pourvu qu'elles soient justifiées. En revanche, les trajectoires SRU sont retravaillées pour plus de souplesse afin que les objectifs soient atteignables.

La lutte contre la fraude aux C2E est indispensable. Nous avons prévu de légiférer par ordonnance du fait de la complexité du sujet qui va nécessiter des articles longs. Nous avons renforcé fortement les contrôles dans la période récente avec davantage d'agents dans le pôle national des C2E et une meilleure interconnexion des contrôles spécifiques aux C2E et à ceux de la DGCCRF. Le démarchage téléphonique a été interdit dans la loi ASAP et la réduction des aides à un euro permet de limiter les fraudes.

L'obligation inscrite dans l'article 15 ter d'avoir systématiquement recours à des matériaux « biosourcés » est en effet excessive et nous sommes prêts à retravailler ce sujet. L'article 46 quater permet de limiter l'aide de toute opération d'économie d'énergie produisant une hausse d'émission de gaz à effet de serre. Nous sommes dans une logique cohérente avec nos objectifs climatiques, qui permet de regarder à la fois la consommation et les émissions, et qui vise des opérations industrielles.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Madame la ministre, suite au vote du texte de loi en première lecture à l'Assemblée nationale, les représentants des associations de défense du patrimoine sont opposés au développement des éoliennes et sont très dubitatifs sur les travaux de rénovation énergétique qui risquent de nuire à l'aspect architectural du patrimoine ancien et régional.

Enfin, les architectes s'interrogent sur leur rôle avec la création des « accompagnateurs Rénov' » issus du rapport Sichel.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Redon-Sarrazy

Madame la ministre, dans un rapport d'information rendu ce jour, mes collègues Anne-Catherine Loisier, Jean-Baptiste Blanc et moi-même nous interrogeons sur la pertinence de la définition de l'artificialisation. Elle nous paraît difficilement appréhendable par les élus, leurs documents d'urbanisme et les acteurs de l'aménagement. Le critère appelé « d'atteinte à la fonction des sols » apparaît dans une dimension plus scientifique qu'opérationnelle. Cette définition a évolué à tous les stades du projet de loi, de l'avant-projet à la séance de l'Assemblée nationale, et ne semble contenter personne. Ne faudrait-il pas viser l'efficacité avec une définition plus parlante et qu'elle puisse évoluer lors de son examen au Sénat ?

Le renvoi au décret d'une nomenclature d'établissement des sols apparaît comme un manque de transparence vis-à-vis du parlement. Elle aura pourtant un impact particulièrement important sur la façon dont les projets des collectivités seront comptabilisés. Ainsi, est-il pertinent pour un maire de lancer aujourd'hui un projet de parc en centre-ville si jamais la nomenclature considère demain que les parcs urbains deviennent des sols artificialisés ?

Plus généralement, il nous semble que cette définition est porteuse de contradictions. Nous craignons que l'utilisation du terme « artificialisation » au lieu de « consommation d'espace » ne décourage les densifications. Le remplissage des « dents creuses », défendu par votre Gouvernement dans la loi ELAN, sera dorénavant considéré comme de l'artificialisation. Il permet pourtant d'optimiser de l'espace déjà urbanisé. L'artificialisation découle également d'opérations vertueuses, notamment la densification, voire d'opérations nécessaires comme les équipements publics indispensables, mais incompatibles avec le voisinage. Comment entendez-vous résoudre ces différentes contradictions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Madame la ministre, l'objectif de « zéro artificialisation nette réduite » va augmenter les prix du foncier et rendre plus difficiles les opérations de logement social. Ne serait-il pas plus judicieux, lorsque des terrains ont bénéficié d'aides publiques, de réserver pour le logement social une partie du foncier dégagé ? Je crains qu'à terme, il soit difficile de disposer de foncier disponible et de foncier abordable pour la construction de logement social qui s'impose, tout en faisant reculer l'artificialisation.

Le rapport Sichel n'est pas assez ambitieux concernant les copropriétés. Les organismes de foncier solidaire (OFS) pourraient avoir la possibilité d'être tiers financeur et de disposer d'un contrat global de réhabilitation pour les copropriétés qui ne seraient pas portées individuellement par chacun des copropriétaires, mais par une structure collective adossée à la copropriété, permettant aussi la transmission du bien avec une partie de la charge étalée dans le temps. Les systèmes classiques de tiers financeur ne sont pas suffisamment opérationnels. La fédération des Coop'HLM a établi des propositions sur le sujet.

Dans les mécanismes mis en place pour lutter contre le logement indigne et insalubre, les processus judiciaires et de recours ne peuvent être portés exclusivement par les locataires qui sont souvent vulnérables, lors du renouvellement du bail en particulier. Les dispositifs doivent donc être améliorés pour rendre opérationnelle l'intervention des collectivités locales en particulier, ou d'autres tiers, pour assurer le respect d'obligation de performance énergétique. Une graduation pourrait également être mise en place avant la suspension du paiement du loyer, de même qu'une réduction du loyer par le juge en cas de non-réalisation des travaux. Il faut durcir les capacités d'intervention de tiers externes d'intérêt public afin d'être plus efficace dans la lutte contre l'habitat insalubre.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylviane Noël

Madame la ministre, nous partageons tous l'objectif de la lutte contre l'artificialisation des sols, mais je m'interroge sur la méthode employée. Nous n'avons d'ailleurs pas attendu la loi pour le faire. Dans mon département de Haute-Savoie, nous avons divisé par plus de 2,5 la consommation foncière ces dix dernières années, en dépit d'une croissance démographique annuelle de 1,5 %.

La mise en oeuvre d'un tel dispositif ne peut être galvaudée et je m'étonne que des notions aussi essentielles que l'artificialisation nette et les modalités de compensation afférentes soient reportées à la rédaction de futurs décrets et ordonnances et ne soient pas discutées à l'occasion du débat parlementaire. Le Parlement ne peut se contenter de légiférer sur des sujets aussi importants en établissant des chèques en blanc au Gouvernement qui ne nous permettent pas de mesurer l'exacte portée des dispositions législatives.

Je souhaite être le porte-parole des inquiétudes fondées des élus locaux s'agissant des dommages collatéraux de cette mesure sur différents territoires. Nous pouvons en effet redouter qu'avec un tel dispositif, les territoires ruraux et périurbains ne deviennent à terme les cautions environnementales du développement des grandes métropoles. Dans des zones tendues comme les territoires de montagne et touristiques, déjà soumises à de très nombreuses contraintes réglementaires telles que les lois « Montagne » et « Littoral » qui limitent fortement l'urbanisation, l'application de telles mesures se révélera très difficile pour répondre aux nombreuses injonctions de l'État, telles que les objectifs de construction de logements sociaux ou la réalisation d'aires d'accueil des gens du voyage. Les élus ressentent une véritable schizophrénie en matière d'urbanisme.

Je vous alerte également sur les conséquences de l'inflation des prix du foncier et du logement dans des zones déjà sous tension. Nous devons veiller à ce qu'une mesure inventée par la convention citoyenne ne vienne pas réveiller les fractures territoriales exacerbées lors de la crise des Gilets jaunes.

Le Gouvernement a-t-il réfléchi sur les conséquences de ce dispositif sur le financement des recettes des collectivités locales qui sont aujourd'hui encore largement assises sur le foncier ?

Debut de section - PermalienPhoto de Micheline Jacques

Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que les mesures d'adaptation pour l'outre-mer prévoient une extension des dispositions prévues à l'article 40, y compris aux bailleurs sociaux ultra-marins où l'enjeu de rénovation énergétique est important du fait d'un parc de logement vieillissant plus rapidement en raison des conditions climatiques ? Il est important d'adapter les normes DPE aux réalités locales.

De par leur éloignement, les territoires d'outre-mer restent soumis aux normes européennes et doivent importer leurs matériaux du continent européen avec un impact carbone très important. Alors que ces matériaux sont disponibles dans des pays limitrophes, il serait judicieux de favoriser le développement de filières innovantes localement, et parallèlement de décentraliser la certification afin de disposer d'équivalences pour la norme CE, sans devoir aller et revenir de métropole.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Madame la ministre, des propositions sont faites aux collectivités par des bureaux d'études indépendants du Gouvernement pour se doter d'un référentiel relatif à la résilience et à la transition qui permettrait de viser la sobriété énergétique. L'aménagement, le logement et l'urbanisme sont concernés par ces démarches. Quels outils envisagez-vous mettre à disposition des collectivités ?

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Renaud-Garabedian

Madame la ministre, le projet de loi énonce de nombreuses exigences quant à la classe énergétique des logements, et prévoit une suppression à moyen terme des logements classés E, F et G. Pouvez-vous revenir sur le plan de rénovation, les modalités concrètes de transformation et indiquer l'évaluation des dépenses incombant aux propriétaires et aux locataires ? Ces exigences énergétiques portent aujourd'hui sur le logement et les particuliers. Une évolution est-elle prévue dans d'autres secteurs d'activité comme l'hôtellerie ?

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Wargon, ministre

L'adaptation des enjeux de ce projet de loi aux questions de défense du patrimoine est essentielle. Les obligations s'appliquent à tout type de bâtiment, mais les réponses sont différentes selon qu'il s'agisse de maisons individuelles ou de logements collectifs. Dans les deux cas, nous travaillons avec les différentes filières sur la mise en place de matériaux innovants, par le biais des crédits de mon ministère et ceux du plan d'investissement d'avenir. Les travaux sur l'isolation extérieure restent impossibles sur les bâtiments patrimoniaux. L'installation de panneaux photovoltaïques est également parfois impossible à moins d'user de techniques spécifiques dont disposent certaines entreprises françaises. Un important travail est donc à réaliser avec les filières industrielles concernant l'adaptation aux différents types de bâtiments. Je rappelle qu'en copropriété, il existe une obligation de moyens, mais pas d'obligation de résultats pour les propriétaires sur la mise en location. La loi prévoit déjà qu'un propriétaire doit solliciter l'accord de sa copropriété pour effectuer des travaux. En cas de refus, le propriétaire ne peut pas être sanctionné. Rénovation du patrimoine et isolation thermique doivent être conciliées avec souplesse.

Les architectes ont toute leur place dans la nouvelle profession « d'accompagnateur Rénov' ». Ces professionnels seront consultés et impliqués dans le processus de mise en place de cet accompagnement et de son financement.

Concernant la réduction de l'artificialisation, nous avons accepté lors des débats à l'Assemblée nationale que la première période de dix ans soit toujours calculée en consommation d'espaces naturels agricoles et forestiers et qu'elle s'effectue selon des notions connues dans les documents d'urbanisme. Un parc urbain aura vocation à compter en renaturation, ce qui n'est pas le cas actuellement. Sur la définition de l'artificialisation, le texte de loi a gagné en précision lors des travaux à l'Assemblée nationale en visant les différentes fonctions du sol qui renvoient à un décret d'application.

Il est important d'examiner précisément la destination des terrains qui bénéficient d'aides publiques pour la dépollution ou la lutte contre les friches. Dans certains cas, ces terrains ne sont pas adaptés à accueillir du logement. Une règle selon laquelle il faut systématiquement faire du logement n'est pas envisageable. Entre la loi SRU et les servitudes de mixité sociale, il existe assez souvent une obligation de construire des logements sociaux.

Nous progressons dans l'accompagnement des copropriétés. Dans un esprit de progrès, « MaPrimeRénov' » est dorénavant directement versée à une copropriété. Je suis tout à fait prête à intégrer les OFS dans le processus.

Il faut renforcer la lutte contre l'habitat insalubre et indigne. Une ordonnance sur la simplification et la réconciliation des différentes polices a été prise à l'initiative de mon collègue Julien Denormandie. Nous pouvons aller plus loin avec des mesures d'amélioration dans la lutte contre l'habitat insalubre et indigne. C'est un sujet important.

Les débats sur l'artificialisation foncière et le développement économique, qui renvoient au débat général, doivent aussi avoir lieu à l'échelle des territoires, des régions, des SCOT et des PLUi. L'impact sur les recettes des collectivités se pose également sur la construction de logements. Nous devons y travailler ensemble d'ici à la prochaine loi de finances et faire en sorte que nos assiettes fiscales soient cohérentes avec nos objectifs de politiques publiques.

Des adaptations seront prises pour l'outre-mer dont la situation est évidemment spécifique. Des délais supplémentaires seront accordés. Des filières de matériaux « biosourcés » localement et plus adaptées aux besoins de l'outre-mer sont prévues dans le plan logement outre-mer.

La loi prévoit un observatoire national de l'artificialisation et des observatoires locaux qui seront soutenus par le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Une base de données nationale sera établie. Les collectivités auront vocation à être accompagnées.

Des interdictions de location sont prévues pour les logements classés G, F et E, mais elles ne s'appliquent pas aux lieux occupés par les propriétaires. La pénalisation pour les propriétaires existe déjà par l'occupation de lieux mal isolés. L'incitation à rénover est donc largement suffisante.

Deux tiers des dossiers pour « MaPrimeRénov' » sont déposés par des ménages modestes ou très modestes. Les restes à charges sont diminués jusqu'à 10 % pour les ménages les plus modestes pour des opérations lourdes allant de 20 000 à 40 000 euros. Nous devons poursuivre dans ce sens : le prêt avance mutation sera accordé à des taux extrêmement bas et son remboursement sera différé à la cession du bien. Cela permettra aux bénéficiaires de profiter de la prise de valeur du bien au moment de sa vente. Toutes ces aides sont ouvertes au petit tertiaire. Le débat reste ouvert pour l'hôtellerie.

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

La sortie des logements les plus énergivores du parc locatif ne manquera pas de faire peser sur les bailleurs sociaux une obligation de mise aux normes des logements sociaux de ce type. Quel soutien l'État est-il prêt à accorder à ces acteurs essentiels du logement social ? Le soutien de l'État est d'autant plus nécessaire alors que la hausse du prix des matériaux atteint 30 % et que la capacité d'autofinancement de ce secteur a déjà été fortement sollicitée pour la mise en oeuvre de la réduction du loyer de solidarité.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Je suis heureuse d'apprendre que l'ordonnance sur la simplification et la réconciliation des différentes polices a été prise alors que nous avons établi avec Dominique Estrosi Sassone un rapport sur le logement insalubre où nous demandions une simplification dans l'intervention des polices en ce domaine.

Qu'est devenu l'observatoire de la consommation des espaces agricoles prévu dans la loi de modernisation de l'agriculture de Stéphane Le Foll de 2013 ? S'il existe encore, quelle est l'articulation prévue avec les nouveaux observatoires prévus ?

J'ai bien compris votre volonté de corriger les injonctions contradictoires de l'État et des politiques publiques au niveau territorial. Dans ce cas, l'État doit accentuer la déconcentration et redonner des pouvoirs aux préfets et veiller à ce qu'ils ne soient pas désavoués par des agences nationales dans leurs arbitrages et leurs décisions.

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Wargon, ministre

La rénovation énergétique doit s'appliquer au parc social et l'interdiction de la mise en location des logements classés G en 2025 et classés F en 2028 s'applique évidemment au parc social. Il ne devra y avoir aucun logement social sorti du parc locatif pour absence de mise aux normes. Les bailleurs sociaux n'ont pas attendu pour mener de vastes plans de rénovation de logements sociaux. La majeure partie d'entre eux a prévu de supprimer les logements « passoires thermiques » avant l'échéance prévue.

Il existe également des programmes spécifiques en bassins miniers avec un important investissement financier de l'État pour la rénovation des logements qui s'y trouvent. Une enveloppe de 500 millions d'euros est spécifiquement dédiée à la rénovation du parc social dans le Plan de relance. Les bailleurs sociaux ont jusqu'au 1er juin 2021 pour faire connaître leurs demandes. Un accompagnement des bailleurs est donc engagé au-delà de tout ce qui a été fait précédemment, tel que l'accord avec le groupe Action logement ou les titres participatifs de la Caisse des dépôts et consignations.

L'ordonnance sur la simplification et la réconciliation des différentes polices a été prise le 16 septembre 2020 avec un décret d'application au 24 décembre 2020.

L'Observatoire de la consommation des espaces agricoles existe et est piloté par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation. Les travaux seront mis en coordination avec ceux du Cerema.

La concentration est mise en application. Il existe dans notre domaine une commission nationale SRU qui donne un avis sur la carence de logements sociaux, mais la décision finale revient aux préfets de département.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Blanc

Suite à l'audition des acteurs conventionnels avec mes collègues Christian Redon-Sarrazy et Anne-Catherine Loisier, nous vous confirmons que nous ne partageons pas votre définition de l'artificialisation, ni votre vision de l'efficacité des SRADDET sur la territorialisation.

Vous avez indiqué ne pas souhaiter entrer dans le champ des dérogations. Toutefois, lors du vote à l'Assemblée nationale, vous avez accepté une dérogation pour les zones de revitalisation rurale (ZRR). Quelles seront les conséquences de votre accord et appelle-t-il d'autres dérogations ?

Debut de section - Permalien
Emmanuelle Wargon, ministre

Aucune dérogation n'a été acceptée favorablement par le Gouvernement lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Il s'agit de deux sujets distincts. Je ne suis pas favorable à sortir un objet quel qu'il soit - logements, projets économiques ou de réindustrialisation - de l'enveloppe d'artificialisation. En revanche, pour la territorialisation de l'enveloppe, j'ai accepté d'ajouter la prise en compte des zones de revitalisation rurale (ZRR). Il ne s'agit pas d'une dérogation, mais d'une prise en compte politique de la diversité des territoires et des besoins de ruralité. La territorialisation ne doit pas aider que des zones à forte densité et urbanisées, mais également les territoires ruraux.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Je reste dubitative sur le zonage alors que certaines communes rurales ne sont pas en ZRR. Mais nous aurons ce débat en séance. Je vous remercie, madame la ministre, ainsi que tous mes collègues qui ont participé à cette réunion.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures.