Monsieur le ministre, merci d'être présent pour la troisième fois devant notre commission. Nous vous entendons aujourd'hui sur deux thèmes importants : le projet de loi de programmation militaire (LPM) et la guerre en Ukraine et ses conséquences.
S'agissant de la LPM, le Président de la République en a donné les principales orientations lors de son discours du 20 janvier dernier. Mais de nombreuses interrogations subsistent. Sur le calendrier, tout d'abord : quand ce projet de loi sera-t-il présenté en conseil des ministres ? Que reste-t-il à arbitrer au cours des prochaines semaines ? Sur le fond, ensuite : le chef de l'État a annoncé une enveloppe de 400 milliards d'euros, à laquelle viendraient s'ajouter 13 milliards de ressources extrabudgétaires. Ces montants sont importants et bienvenus. Bien sûr, l'effort réel dépendra aussi de l'inflation. Mais surtout, ce niveau de dépense nous permettra-t-il de faire face à la montée des périls ?
Nous souhaitons, par ailleurs, que la LPM et son rapport annexé soient aussi précis que possible sur l'articulation entre le contexte stratégique, les contrats opérationnels des armées et les cibles en matière de capacités, de soutien, de préparation opérationnelle, de disponibilité, etc. Ces données sont absolument indispensables au Parlement, pour l'exercice de son pouvoir de contrôle, et la tendance ces dernières années est à une baisse de la qualité de l'information dont disposent les parlementaires. L'effort annoncé sur les domaines transversaux, tels que le spatial ou le cyber, est indispensable.
Enfin, la guerre d'Ukraine ne doit pas être notre unique boussole, mais elle pose néanmoins certaines questions quant à notre capacité à affronter un conflit de haute intensité. Nos armées ont été éreintées par trente ans de « dividendes de la paix ». Par rapport à certains de nos partenaires, nous voyons bien que nos volumes d'aide à l'Ukraine ne sont pas très extensibles. Le rapport récent de nos collègues Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini a montré qu'il fallait remonter en puissance dans le domaine des feux de longue portée, ainsi que sur les munitions, la logistique... non pas parce que nous risquerions d'être envahis demain matin, mais pour affronter la dégradation du contexte géopolitique dans toutes les régions du monde où la France est présente, et pour pouvoir rester un allié exemplaire au cas où la situation viendrait à se dégrader encore en Europe. Il y a aussi un enjeu de puissance : nous voyons bien que l'effort de défense considérable de la Pologne renforce rapidement son poids politique en Europe, en particulier en Europe de l'est.
Monsieur le ministre, nous souhaiterions enfin en savoir un peu plus sur le volet normatif de la LPM. J'imagine que cet aspect-là est bien avancé.
Mais avant d'aborder ces sujets, peut-être pourriez-vous nous dire un mot des annonces faites hier par le Président de la République lors de son discours sur l'avenir de notre relation avec l'Afrique. Le président a évoqué en particulier une transformation des bases des forces prépositionnées, dont les effectifs seraient diminués et qui seraient désormais cogérées avec nos partenaires africains : pouvez-vous nous en dire plus ? Nous sommes en effet très attentifs à ces implantations, qui assurent une présence permanente et ont déjà subi de sévères déflations au fil des années.
Je vous rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat.
Monsieur le ministre, vous avez la parole !
Monsieur le président, je vous remercie de m'accueillir. J'avais indiqué, dès ma prise de fonction, ma disponibilité pour le Parlement, et tout particulièrement pour le Sénat. L'exercice est large et redoutable, je ne pourrai pas tout traiter. J'aurai néanmoins l'occasion de revenir devant vous pour présenter formellement la LPM.
Le calendrier de la LPM est tenu. Le Président de la République en avait présenté les grands axes stratégiques lors d'un discours à Mont-de-Marsan. S'en est suivi un travail interministériel, toujours en cours, en lien avec les assemblées parlementaires. Je voudrais saluer les deux rapports de votre commission, l'un sur l'Ukraine, l'autre sur l'Indopacifique. Nous nous sommes inspirés des travaux de votre commission pour élaborer la maquette de la LPM. Le conseil des ministres devrait examiner le projet de loi fin mars/début avril et le texte devrait être transmis à l'Assemblée nationale puis au Sénat en mai/juin. Ce projet de loi n'existe pas encore juridiquement mais il est politiquement indispensable que les représentants de la nation puissent en débattre. Dans le cadre de ce travail préparatoire, nous ne souhaitions pas de Livre blanc. Trop souvent, ces Livres blancs ont servi à déguiser des diminutions de crédits budgétaires derrière des considérations stratégiques. Par ailleurs, le Président de la République ayant été reconduit dans son mandat de chef des armées par les Français et la situation internationale étant très tendue, il était logique de privilégier une méthode plus directe. Cela ne nous empêche pas pour autant de nous inspirer des travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Cette LPM a aussi pour particularité d'avoir été réalisée à partir des retours d'expérience sur l'Ukraine, sur la lutte contre le terrorisme en Afrique et sur les forces et fragilités de notre modèle d'armée. Elle a été élaborée en tenant compte des menaces réelles pesant sur la nation française. Les 413 milliards d'euros de crédits de cette LPM sont donc un mur que nous avons construit par le bas. Je voudrais souligner que nous ne pouvons pas nous comparer à l'Ukraine. À la différence de cet État, nous sommes une puissance dotée, membre de l'OTAN, à l'ouest de l'Europe. Ce serait un bais intellectuel de prendre comme modèle de référence pour nos armées la situation ukrainienne. Chaque situation sécuritaire a ses particularités. Il serait absurde de faire des projections sur le nombre de jours laissés à notre artillerie ou à nos chars dans le cas où serions à la place de l'Ukraine.
Par ailleurs, cette LPM a été construite à partir de plusieurs thématiques différentes. Ces thèmes rassemblent les sujets sur lesquels des évolutions et modernisations sont indispensables.
Le premier de ces enjeux est celui de la dissuasion nucléaire. Les décisions que nous prendrons compteront pour les générations futures. Cela est vrai pour les vecteurs, pour les têtes, ainsi que pour une partie des investissements réalisés aujourd'hui. Contrairement à certaines légendes, la dissuasion nucléaire ne capte pas l'essentiel des augmentations de cette LPM. Je conteste par ailleurs la notion de « ligne Maginot » s'agissant de la dissuasion. Dans l'esprit populaire, cette expression est associée à l'idée d'inefficacité. Or, la situation ukrainienne nous permet de constater que la dissuasion nucléaire est efficace. Elle ne suffit cependant pas à traiter toutes les menaces.
Nous devons aussi mener une réflexion stratégique sur nos alliances. Nous devons déterminer ce que nous devons et pouvons faire seuls, et ce que nous sommes prêts à partager. Cela concerne tout particulièrement les capacités industrielles, les instruments de planification, les alliances multilatérales et bilatérales, l'OTAN, sa coordination avec l'UE... Ces choix auront nécessairement un impact sur notre modèle d'armée. J'ai dénoncé à l'Assemblée nationale la remise en cause pure et simple de l'appartenance de la France à l'OTAN par certains partis politiques. Je rappelle que la France a fondé l'OTAN et que le général de Gaulle n'a pris de décision que sur le niveau d'intégration de la France à cette organisation. Je rends hommage au rapport du ministre Jean-Marc Todeschini et du sénateur Cédric Perrin, qui réaffirme la nécessité de l'appartenance à l'alliance. La France ne peut pas être dans un isolement stratégique.
L'enjeu du renseignement est primordial. J'assure la tutelle de trois services : la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD), la Direction du renseignement militaire (DRM) et la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). L'ensemble des efforts à accomplir pour le renseignement devra être largement revu à la hausse. Les crédits dédiés à ces trois services de renseignement augmenteront de 60 %. Pour la DGSE, cette hausse ne concerne pas seulement les projets immobiliers. Ce renforcement est clé, d'autant plus que nous sortons d'une longue période où l'essentiel de l'activité des services de renseignement était tourné vers la lutte antiterroriste.
Un retard inacceptable avait été pris sur les drones. Il ne s'agit pas tant aujourd'hui de rattraper ce retard que d'assurer un saut de génération technologique. Une somme de 5 milliards d'euros sera dédiée aux drones. Nous entendons également avancer sur l'enjeu des munitions rôdeuses.
L'importance de la défense sol-air est un des grands enseignements de la guerre en Ukraine. Or, ce secteur a été particulièrement concerné par les diminutions de crédits budgétaires des quinze dernières années. La défense sol-air est liée à notre dissuasion. Cela concerne toutes les couches, de la lutte anti-drones à la courte, moyenne ou longue portée. Un effort important sera accompli en la matière.
Le quatrième thème concerne les outre-mer. Le président de la République tient à présenter lui-même les objectifs de la LPM en la matière. Je pourrai ensuite vous en détailler les dispositions.
Le cinquième thème concerne le cyber. Cette thématique recouvre de nombreuses réalités différentes. Le logiciel installé dans une mairie ou dans un conseil départemental relève du cyber. Pour autant, le ministère des armées n'a pas à s'en charger et il conviendra de préciser dans la LPM les niveaux de subsidiarité. S'agissant du ministère des armées, nous devons progresser en matière cyber dans trois domaines. Le premier concerne l'attribution des attaques : ce n'est pas tout de repérer les attaques, il faut aussi être capable de déterminer qui nous a attaqués. Il s'agit de développer l'équivalent d'une « police judiciaire » en la matière. La cybercriminalité n'est pas l'attaque d'un service étranger. Attaquer un hôpital n'a pas les mêmes conséquences qu'attaquer une entreprise de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Le deuxième sujet a trait à notre capacité à entraver ces attaques. Il faut pouvoir y mettre fin. Enfin, le troisième volet concerne notre aptitude à contre-attaquer, en faisant valoir notre légitime défense. Les défis sont nombreux, notamment en matière de ressources humaines et de formation dans nos écoles. Aujourd'hui, les élèves sortant de Saint-Cyr et de Polytechnique n'ont pas reçu de formation en tant que telle sur la guerre électronique ou le cyber. Il est nécessaire de développer un savoir-faire français sur le sujet, face à la compétition mondiale qui se profile.
Le sixième thème est consacré dans cette LPM aux fonds marins. C'est un des retours d'expérience de la guerre en Ukraine. Il faut pouvoir protéger nos intérêts sous-marins, notamment s'agissant des câbles sous-marins ou encore des pipelines. Il faut mettre fin à certains dénis d'accès. Cela doit nous conduire à renforcer nos capacités en matière de guerre des mines mais aussi en matière de robots, notamment pour pouvoir descendre jusqu'à 6000 mètres.
Le septième thème est le spatial. Un retard important a pu être pris sur le sujet. Nous devons développer les moyens mis dans l'espace comme ceux installés sur Terre. Il faut déterminer ce que nous voulons faire depuis l'espace, vers l'espace et dans l'espace. Une copie ambitieuse sera présentée dans ce domaine le moment venu.
Le huitième thème a trait aux forces spéciales. Ces forces interarmées jouent un rôle clé dans pratiquement tous les contrats opérationnels, y compris la dissuasion nucléaire, et dans tous les scénarios. Nous avons dans ce domaine une richesse humaine formidable, avec un courage au combat qui force l'admiration. Nous avons encore trop de difficultés sur les équipements individuels, non par manque d'argent mais du fait de complexités administratives, ou encore sur la disponibilité des moyens de transport, tout particulièrement les hélicoptères.
Le neuvième thème porte sur les munitions, qu'elles soient complexes ou non complexes. Il faut que nous relocalisions des productions. J'ai ainsi annoncé la relocalisation d'une filière poudre avec l'entreprise Eurenco à Bergerac, notamment pour les obus. C'est la première traduction concrète de l'économie de guerre voulue par le Président de la République.
Enfin, le dixième thème concerne les services de soutien. Des efforts importants doivent être faits. Beaucoup reste à accomplir sur le service de santé des armées. Une feuille de route sera dédiée à ce sujet. Je souhaite une stratégie de long terme pour les hôpitaux militaires en province. J'aurai l'occasion de faire des annonces sur le sujet. Des actions seront prévues pour le service du commissariat des armées (SCA), pour le service de l'énergie opérationnelle (SEO), anciennement service des essences des armées (SEA), ou encore pour le service d'infrastructure de la Défense (SID).
J'en viens désormais aux moyens de la LPM. 413 milliards d'euros de dépenses militaires sont prévus, pour un besoin en ressources de 400 milliards d'euros. C'est la première fois que ces deux chiffres sont distingués. Auparavant, les crédits diminuant, un seul de ces deux chiffres était présenté. J'ai souhaité être précis et transparent. Depuis toujours, le ministère des armées a ses propres ressources extrabudgétaires. Ces ressources ne sont pas seulement constituées par les cessions immobilières. Le service de santé des armées est le premier contributeur aux ressources extrabudgétaires du ministère des armées. Plus de 3 milliards d'euros sont attendus de la tarification des actes médicaux. L'ensemble des ressources extrabudgétaires est évalué pour la période à 6 milliards d'euros, sur la base des critères de la LPM actuelle. Par ailleurs, je ne doute pas que les reports de charges constitueront un sujet d'attention pour votre commission. Les arbitrages ne sont pas encore totalement rendus sur ce sujet. Les marges frictionnelles dépendront quant à elles des retards des industriels de défense.
Les chroniques annuelles, c'est-à-dire le rythme d'augmentation pour atteindre les 413 milliards d'euros, sont en train d'être définies. J'ai donné mandat à la direction générale de l'armement (DGA) pour déterminer les échéances des autorisations d'engagement et des crédits de paiement des différents programmes. Un travail complexe est en cours d'instruction et je souhaite rendre hommage aux équipes de la DGA. Au regard des sommes importantes, l'enjeu est notamment de fiabiliser les délais ainsi que les prix. Dès lors que certains volumes augmentent, le contribuable est en droit d'attendre des réductions de coûts unitaires de la part des industriels de la BITD. Il s'agira ensuite d'opérer des ajustements en loi de finances initiale. Non seulement la LPM actuelle a été respectée à l'euro près, mais nous avons aussi ajouté des crédits en gestion pour faire face aux imprévus.
Je vous annonce, par ailleurs, que le Président de la République et la Première ministre m'ont autorisé à sortir de la LPM les dépenses liées à l'aide militaire à l'Ukraine, pour des raisons de sincérité budgétaire et de transparence démocratique envers nos concitoyens. Depuis 1960, les lois de programmation militaire existent pour définir le format de nos armées. L'aide à l'Ukraine se retrouvera donc dans l'annualité budgétaire. Nous devons aussi dire la vérité. Nous avons parfois fourni aux Ukrainiens du matériel finissant, qui devait être remplacé par du matériel de nouvelle génération. Quoiqu'il arrive, nous aurions donc fait ces acquisitions. Un rapport dédié sera consacré à l'aide à l'Ukraine et permettra de préciser finement toutes les traductions budgétaires de ce soutien.
Toutes les lignes de la LPM 2024-2030 augmenteront par rapport à la LPM 2019-2025, sauf la ligne consacrée aux provisions pour les opérations extérieures (OPEX). J'aurais pu évoquer aussi la politique de ressources humaines du ministère ou encore les réserves. Je pourrai développer ces sujets à une autre occasion.
Deux autres chantiers sont importants.
Le premier concerne la simplification, la déconcentration et la subsidiarité au sein du ministère des armées. Notre modèle d'armée n'a pas connu que des difficultés budgétaires depuis 20 ans. Nous devons accorder davantage de confiance à un chef de corps, à un commandant de base aérienne ou de base navale. Il faut déconcentrer beaucoup plus de décisions. Je découvre depuis ma prise de fonctions un ministère très jacobin sur certaines fonctions qui ne méritent pas de l'être. Inversement, il faut être jacobin sur les fonctions régaliennes. L'état-major des armées, la DGA et le secrétariat général pour l'administration (SGA) doivent me faire des propositions, que je vous présenterai en même temps que la LPM.
Le deuxième chantier porte sur l'économie de guerre. J'ai déjà évoqué le mandat confié à la DGA. Ce chantier doit concerner les stocks, les délais et les prix. J'ai par ailleurs nommé l'inspectrice générale pour l'armement Monique Legrand-Larroche pour une mission particulière sur les canons CAESAR. À l'exportation, ces canons devraient connaitre un certain succès dans les décennies à venir, en raison malheureusement du contexte. L'État devra accompagner l'entreprise Nexter. Laurent Collet-Billon, ancien délégué général pour l'armement, sera en charge des aspects industriels pour coordonner l'action sur les munitions, tout particulièrement s'agissant des missiles Mistral et des obus de 155mm.
La partie normative de la LPM est quasiment finalisée. Elle doit encore être examinée par le Conseil d'État. Il n'y aura pas de grande surprise sur les différents articles qui seront proposés. Je souhaite que soit inscrite formellement dans le texte la méthodologie de l'association du Parlement à l'élaboration de la LPM. Cela permettra de ne pas reproduire les incompréhensions vécues pour la LPM 2019-2025. Par ailleurs, je pense qu'il en va de l'acceptabilité sociale des 413 milliards d'euros. La défense nationale mérite un portage populaire de l'ensemble de la nation. Enfin, le rapport annexé à la LPM devra être précis et efficace et évitera le langage bavard et technocratique que les rapports annexés des dernières LPM ont trop souvent adopté.
Monsieur le ministre, je vous remercie pour la précision et la clarté de vos propos. Au titre du programme 144, je voudrais connaitre votre opinion sur les moyens de l'innovation. Quelles sont les possibilités d'évolution des enveloppes consacrées à l'innovation ?
Par ailleurs, avec mon co-rapporteur Yannick Vaugrenard, nous sommes très attentifs à la question de l'accès au financement des entreprises de la BITD et plus généralement à l'enjeu du financement de l'économie de guerre. Avec la guerre en Ukraine, la frilosité habituelle des établissements bancaires en la matière s'est un peu érodée. Néanmoins, plusieurs acteurs bancaires se montrent encore très réticents. Pourriez-vous nous indiquer si la LPM comprendra des dispositions pour répondre aux difficultés constatées sur ce sujet ?
Enfin, s'agissant du calendrier, vous avez évoqué les mois de mai et juin pour le dépôt de la LPM. N'est-il pas possible de disposer de dates plus précises ?
Monsieur le ministre, le déclenchement de la guerre en Ukraine mais également notre engagement en Afrique nous ont montré l'importance d'avoir des moyens souverains et efficaces en matière de renseignement afin de préserver notre autonomie de décision et, surtout, notre capacité d'anticipation des menaces. Ainsi que l'a annoncé le Président de la République, la loi de programmation militaire à venir devrait augmenter, je cite, « massivement » les crédits de renseignement, de près de 60 % au total, avec, entre autres le doublement du budget de la DRM et de la DRSD.
Les défis sont en effets nombreux. La LPM 2019-2025 comportait un objectif de 1 500 nouveaux emplois pour renforcer les effectifs de la cyberdéfense et du renseignement. Allons-nous significativement amplifier les recrutements ? Sous quels délais ? Cela supposera de renforcer les filières de formation et l'attractivité des carrières. La DGSE, et dans une moindre proportion la DRSD, sont engagées dans d'importants projets de modernisation de leurs sièges, de développement de leurs capacités cyber et d'accroissement de leur activité opérationnelle. Pour ce que vous pourrez nous en dire publiquement, quels seront les principaux axes d'effort de la prochaine LPM, sachant qu'anticiper est souvent extrêmement déterminant ?
Les industriels allemands ont désormais acté la percée des industries d'armement américaines avec la guerre en Ukraine. Certains industriels allemands se rapprochent d'industriels américains. Rheinmetall semble avoir franchi le pas et Airbus semble s'interroger sur cette question. Tous ces éléments renforcent malheureusement la divergence des intérêts franco-allemands. Franck Haun, le dirigeant de l'alliance KMW-Nexter Defense Systems (KNDS), aurait affirmé que le Système principal de combat terrestre (MGCS) ne verrait pas le jour avant 2045/2050. Les Allemands veulent désormais des chars Léopard 2A7A1 Trophy.
Ces questions sont lourdes de sens en termes de relations politiques mais surtout d'avenir de nos programmes de coopération en matière d'armements.
Qu'en est-il de l'avenir du MGCS si les États-Unis complètent les dons de chars à l'Ukraine par des chars Abrams ? J'aurai la même question sur l'avenir du système de combat aérien du futur (SCAF), si les États-Unis promeuvent le F35 en remplacement d'hypothétiques dons des Européens à l'Ukraine de F16 ?
Nous aurions pu penser que la guerre en Ukraine relancerait la coopération franco-allemande sur ces sujets. Il ne semble malheureusement pas que ce soit la direction suivie. Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont vous voyez cette coopération évoluer ? Quelle stratégie comptez-vous adopter ? Ne devrions-nous pas envisager sérieusement de produire rapidement les blindés EMBT de l'alliance KNDS ?
L'impact de l'inflation serait de 30 milliards d'euros sur les 413 milliards d'euros proposés en LPM. Mais les hausses de prix propres au secteur de la défense sont généralement supérieures à l'inflation. Ne faut-il pas dès lors revoir cette évaluation à la hausse ? Une trajectoire en euros constants ne serait-elle pas souhaitable pour sécuriser l'investissement ?
On entend dire que le programme Tigre Standard 3 serait abandonné, au profit d'un programme de modernisation moins ambitieux qui traiterait quelques obsolescences. Nous confirmez-vous cette information ? Quelles seraient les conséquences de cette décision, notamment pour le développement d'une solution française en substitution du Hellfire qui équipe actuellement le Tigre ? Je rappelle que les Allemands nous ont abandonnés sur ce sujet il y a quelques mois et que nous avons eu du mal à convaincre les Espagnols.
Le programme 178 est le coeur de la mission Défense portant sur la préparation et l'emploi de nos hommes. Vous comprendrez donc que nos demandes dans ce domaine soient précises. Nous devons faire la lumière sur les crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels (EPM) et leur consommation sur la période de programmation qui s'achève. Je redoutais une bosse de crédits prévus et non consommés comprise entre 900 millions d'euros non-inscrits sur les premières années de la LPM et 1 milliard. À cela s'est ajouté le surcoût induit par la livraison des 24 Rafale à la Grèce et à la Croatie et par la métropolisation des équipements des OPEX closes. L'enveloppe de crédits alloués à l'EPM sera-t-elle dimensionnée à bonne hauteur pour la prochaine période de programmation ?
La reconstitution des stocks de munitions est-elle également prévue, non à hauteur des contrats opérationnels dégradés que nous connaissons aujourd'hui mais bien à hauteur des enjeux d'une hypothèse d'engagement majeur ?
Vous avez précisé que les provisions pour les OPEX seront en diminution puisque l'opération Barkhane a été clôturée lors d'une annonce du Président de la République le 9 novembre. Qu'en est-il des engagements découlant de l'OTAN, notamment les missions de réassurance ? Un dispositif de nature à protéger l'enveloppe de la LPM pour la prochaine période budgétaire sera-t-il prévu ?
Enfin, s'agissant de la préparation opérationnelle, envisagez-vous un affichage annuel au-delà des standards OTAN ? Disposerons-nous chaque année des objectifs de rattrapage concernant ces normes OTAN ?
Sur les services de soutien dont l'excellence doit être saluée, nous nous inquiétons : le renforcement du Service de santé des armées, du Service du commissariat des armées, du Service interarmées des munitions et du service de l'énergie opérationnelle est indispensable. Vous nous avez déjà indiqué plusieurs éléments sur ce sujet.
Enfin, vous avez apporté devant notre commission un élément important avec la sortie de l'aide à l'Ukraine de la LPM. Cela vaut-il seulement pour le matériel cédé à l'Ukraine ou cela porte-t-il également sur l'entretien programmé du matériel ?
Dans ses voeux adressés à la Nation en décembre dernier, le Président de la République a mentionné des annonces à venir sur l'évolution du Service national universel (SNU). Dispositif hybride qui a représenté moins de 2000 journées de formation par des militaires l'année dernière, le SNU pourrait néanmoins être amené à avoir d'importantes conséquences pour les armées en cas de généralisation à l'ensemble d'une classe d'âge, qui représenterait 800 000 jeunes accueillis chaque année. Dans la programmation militaire actuellement en vigueur, notre commission avait introduit par amendement des précisions pour empêcher que le déploiement du SNU ne vienne empiéter sur la consolidation de nos armées.
Ma question est donc la suivante : la politique du service national universel, qui est aujourd'hui essentiellement civile, entrera-t-elle dans le champ de la prochaine loi de programmation militaire ? Avez-vous prévu des garde-fous pour que la trajectoire de redressement financier des armées ne soit pas menacée par le financement de cette politique ?
Par ailleurs, plus de quatre ans après l'entrée en vigueur de la loi de programmation militaire actuelle, que vous avez qualifiée de loi de « réparation », le nombre des effectifs au ministère des armées s'élève à 273 000 personnes environ. Ces effectifs correspondent bien à un redressement : 4 000 postes ont été créés dans le périmètre du ministère depuis 2019. Toutefois, il faut souligner que ce redressement est relatif. Il intervient après plusieurs décennies de déflation brutale depuis la professionnalisation des armées décidée en 1996. Cette période de déflation a été accentuée dans les années 2000 par la révision générale des politiques publiques (RGPP). En dépit de l'inversion de la trajectoire depuis 2015, le ministère des armées emploie aujourd'hui 5 000 personnes de moins qu'il y a dix ans.
Dès lors, la loi de programmation militaire de « transformation » que vous avez annoncée prévoira-t-elle d'augmenter les effectifs de nos forces armées ? Le cas échéant, quels sont les secteurs prioritaires dans lesquels le ministère doit selon vous étoffer ses ressources humaines ?
S'agissant de l'Afrique, je souhaiterais commencer par rappeler le rôle de nos différentes bases sur ce continent, toutes n'ayant pas les mêmes missions.
Nos forces prépositionnées sont présentes car des États souverains l'ont décidé à la suite d'accords de défense comportant des cahiers des charges bien définis. Cela est vrai pour le Sénégal, le Gabon, la Côte d'Ivoire, le Tchad, Djibouti, ou encore plus récemment pour le Niger, qui a récupéré une partie des infrastructures de l'opération Barkhane. La réflexion que le Président de la République m'a demandé de conduire concerne assez spécifiquement le Tchad, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et le Gabon. La base de Djibouti relève également d'un accord de défense mais cette base est très tournée vers l'Indopacifique. C'est la raison pour laquelle elle n'est pas intégrée à cette réflexion.
Toutes ces bases n'ont pas les mêmes missions. Celles au Gabon et au Sénégal ne comprennent aucun équipement d'intervention, les forces prépositionnées qui s'y trouvent n'assurant que des activités de formation. Il ne doit y avoir à Dakar que quelques véhicules de l'avant blindé (VAB). Dans d'autres bases, les fonctions de formation sont complétées par des fonctions d'intervention. C'est le cas pour Abidjan - Port Bouët, comme pour notre base au Tchad. Cette distinction est importante. Si l'on mélange les fonctions des bases, on ne peut pas comprendre pourquoi certaines regroupent 1000 effectifs et d'autres 450/500. Contrairement à certaines affirmations, les chiffres des effectifs n'ont pas diminué.
Nous mentirions aux Françaises et aux Français si nous ne constations pas collectivement que les forces armées sénégalaises, ivoiriennes ou gabonaises ne sont plus celles d'il y a 20 ans. Les efforts de montée en puissance de ces armées ont été prodigieux. Je tiens à leur rendre hommage. Le sujet est désormais de correspondre aux attentes de nos partenaires. Au gré de ses rencontres et de ses discussions, le Président de la République a estimé qu'il était temps de mettre à jour notre présence. S'en suit désormais un dialogue, qui n'est pas le même suivant les États puisque le degré d'avancement des réflexions reste disparate.
Il n'y aura aucune fermeture de base. Nous nous dirigeons vers une ouverture de ces emprises aux partenaires africains concernés. L'objectif est de former davantage, soit en termes d'unités constituées (officier, sous-officier, état-major, hommes du rang), soit en termes de qualité de formation - je pense notamment aux formations des forces spéciales. Nos formations doivent répondre à des besoins nouveaux. Ainsi, l'armée de Côte d'Ivoire faisant face de plus en plus au terrorisme, celle-ci a besoin de centres de reconditionnement pour ses soldats, sur le modèle de nos maisons Athos.
Notre plan d'action sera sur-mesure et pourrait se traduire par une diminution du nombre de nos soldats dans ces emprises puisque l'objectif est bien de renforcer les partenariats entre soldats français et étrangers. Je ne peux pas donner aujourd'hui de quantum puisque le travail prendra encore du temps. Il s'agit selon moi d'une opportunité historique pour l'armée française car nous accompagnons une montée en puissance d'États amis, qui ont décidé - à la différence d'autres États...- de lutter contre le terrorisme. Il ne s'agit donc pas d'un recul de la France dans ces pays mais bien au contraire d'une manière d'être présente différemment, dans le cadre d'un partenariat renforcé.
Enfin, je rappelle que ces accords sont passés avec des États souverains et que notre présence ou notre départ répondent à leur volonté. Les caricatures sont nombreuses sur ce sujet. Certains commentateurs nous reprochent d'avoir quitté le Burkina Faso. Même à l'égard de pouvoirs illégitimes issus de coups d'État, nous ne pouvons pas fouler au pied la souveraineté de ces pays. J'aurai l'occasion de revenir devant votre commission pour vous présenter l'état d'avancement de ces discussions. Nous avons une occasion historique de maintenir une présence militaire toujours aussi affirmée, en lui faisant prendre un visage différent, qui donne droit à des formations de meilleure qualité. Cette réorganisation traduit par ailleurs bien la stratégie de nos armées, qui doivent pouvoir davantage se projeter depuis l'hexagone.
Qu'en est-il de la base aérienne de N'Djamena et des forces prépositionnées au Tchad ?
Le Tchad est le pays pour lequel je n'ai pas encore démarré de discussions. Ma priorité était la Côte d'Ivoire et la base de Port Bouët. Vous avez raison de souligner l'importance du Tchad, cet État étant cerné par des pays dont la situation sécuritaire est pour le moins préoccupante. Nous y avons des forces importantes, avec des capacités d'intervention.
S'agissant de l'innovation, la LPM 2019-2025 prévoyait 1 milliard d'euros par an pour l'innovation en propre de la DGA ; ce sera 1,42 milliard d'euros par an pour la LPM 2024-2030 (sans oublier l'innovation réalisée par les autres services du ministère des armées). Par ailleurs, j'ai demandé à ce que la BITD prenne davantage de risques sur sa part propre de financement de l'innovation. Les canons CAESAR sont un exemple d'innovation portée par l'entreprise Nexter, contre l'avis du ministère de l'époque.
Je ne sais pas vous répondre quant à la nécessité de dispositions législatives dédiées pour le financement de la BITD. Néanmoins, il y a bien un combat à mener au niveau européen s'agissant de la taxonomie. Il faut aussi faire appel à un financement patriotique. De trop nombreuses PME de la BITD se voient refuser des financements bancaires au seul prétexte qu'il s'agit d'armements. Il faut faire émerger ce thème dans le débat public pour sensibiliser la place bancaire. Certaines initiatives de fonds d'investissement sont en cours de création et je déplore que de grandes entreprises de la BITD ne répondent pas présent.
S'agissant du calendrier de la LPM, je suis votre serviteur et je serai au banc au moment nécessaire.
Généralement, les LPM sont votées pour pouvoir être promulguées avant le 14 juillet.
C'est en effet le cas, pour la force du symbole, pour les LPM récentes. Mais on trouve tous les cas de figure. Certaines LPM se sont même conclues alors que les discussions de la loi de finances avaient déjà commencé. Le Gouvernement sera à la disposition du Parlement.
S'agissant du renseignement, je souligne à nouveau le caractère historique du doublement des crédits consacrés à la DRM et à la DRSD. L'enjeu à l'avenir ne sera pas tant en matière budgétaire qu'en matière de ressources humaines. Nous avons besoin de fidéliser nos agents. C'est spécialement vrai pour la DGSE, et tout particulièrement pour les métiers du cyber. La jeune génération est heureuse de faire ses premières armes au sein de la DGSE mais finit rapidement par rejoindre le secteur privé, attirée par ses offres matérielles. J'aurai des propositions à faire sur ce sujet. Les moyens techniques sont aussi en augmentation : des éléments liés au spatial ou encore aux drones concerneront les services de renseignement. Une grande partie des investissements cyber sont aussi dédiés à ces services. J'aurai l'occasion de présenter devant la délégation parlementaire au renseignement des éléments plus précis.
S'agissant de nos relations avec l'Allemagne, celles-ci n'ont guère changé comparées à ce qu'Alain Peyrefitte rapportait de ses échanges en 1962 dans C'était de Gaulle sur l'OTAN et sur les liens entre l'Allemagne et les États-Unis. Il faut faire preuve de patience sur ce sujet et je ne retirerai pas une ligne de l'échange entre le général de Gaulle et son ministre de l'information. Par ailleurs, il faut rappeler que ce que veulent le chancelier allemand et ses ministres ne correspond pas toujours à ce que veulent les industriels. Ce n'est pas propre à l'Allemagne. De surcroit, les industriels allemands ne sont pas toujours d'accord entre eux et ces désaccords sont plus marqués qu'en France. Il y a des différends internes à l'appareil industriel allemand. Enfin, certaines entreprises allemandes sont déjà des sous-traitants d'industries américaines, ce n'est pas nouveau. C'est notamment le cas pour Rheinmetall.
Nous avons besoin de ces coopérations militaires en matière d'armements, notamment pour amoindrir la facture pour le contribuable français. La rénovation du char Leclerc ne sera pas viable plusieurs décennies. Il faudra donc bien une solution sur ce sujet, sans oublier d'y intégrer les aspects propres aux drones ainsi que ceux liés aux sauts technologiques.
Il faut par ailleurs continuer à diversifier nos partenariats. C'est la raison pour laquelle je m'entretiens très souvent avec mes homologues italien et britannique, notamment s'agissant de l'entreprise MBDA. Il ne faut s'interdire aucune coopération. Concernant le SCAF, je note que certains pays européens se rapprochent désormais de nous, après avoir regardé vers d'autres coopérations. Nous devons rester ouverts, sachant que quoiqu'il arrive, nous aurons besoin d'un nouveau modèle d'avions et d'un nouveau modèle de chars.
S'agissant de l'inflation, nous nous sommes reposés sur les projections de Bercy pour bâtir les perspectives de la LPM. Un impact de l'inflation évalué à 30 milliards d'euros me parait conforme. Je constate qu'on s'intéresse à l'inflation quand celle-ci est haute et qu'on ne s'y intéressait pas quand elle était basse. Nous avons retenu des critères très dégradés et très pessimistes, pour lesquels j'ai bon espoir qu'il y ait des renversements de tendance dans les cinq années à venir. L'annualité budgétaire nous permettra d'opérer des ajustements, à la hausse comme à la baisse.
S'agissant de l'hélicoptère Tigre, beaucoup d'éléments circulent, qui sont souvent inexacts. Ce modèle d'hélicoptère continuera de voler jusqu'en 2035/2040. J'ai demandé aux armées de déterminer si le Tigre standard 3 correspond bien à nos attentes en matière technologique - disposera-t-on d'un hélicoptère déjà dépassé au moment de sa mise en service ? - et en matière de soutenabilité économique - pourra-t-on l'exporter ? Je ne réinterroge donc pas le principe du Tigre standard 3 mais le modèle tel qu'il existe aujourd'hui. J'ai demandé à la DGA, en lien avec les industriels, de mettre à jour ce programme si besoin était.
Les efforts doivent être poursuivis s'agissant des services de soutien. Personne ne comprendrait que la « réparation », mise au coeur de la LPM 2019-2025, s'achève maintenant. Pour l'entretien programmé du matériel, la LPM actuelle prévoyait 35 milliards d'euros. La proposition de la nouvelle LPM est à 49 milliards d'euros. L'augmentation, de 40 %, est spectaculaire. Néanmoins, cela doit se traduire par des effets réels, et non pas par une augmentation des coûts du maintien en condition opérationnelle (MCO). Cela fera partie du dialogue avec la BITD.
Il ne doit y avoir nulle inquiétude sur les OPEX. Les recalibrages sont en cours. Néanmoins, nul ne sait ce que les renforts sur le flanc oriental de l'OTAN donneront dans les mois et années à venir. Il en est de même pour les missions intérieures. Une petite provision est prévue à ce titre pour les Jeux olympiques de 2024.
S'agissant des munitions, beaucoup de commandes sont déjà réalisées. Pour les munitions de 155mm, 5000 ont été commandées en juillet 2022. Pour les missiles moyenne portée (MMP), 200 commandes anticipées ont été passées en décembre 2022. 100 missiles anti-aériens Mistral ont été commandés en décembre 2022. Une commande anticipée commune avec l'Italie a été réalisée pour plus de 200 missiles ASTER en décembre 2022. S'agissant des commandes à venir, 16 000 unités de munitions de 155 mm seront commandées en mars 2023 et trois commandes globales, pour un volume annuel de 15 000 unités de 155 mmm, de MMP et de Mistral, seront aussi passées en mars 2023. Cela montre bien que nous n'attendons pas la prochaine LPM pour intégrer les retours d'expérience de la guerre en Ukraine.
J'ai indiqué que le soutien à l'Ukraine serait sorti de la LPM. Cela concerne essentiellement les cessions de matériels puisque les moyens de maintien en condition opérationnelle (MCO) sont pris sur le fonds de soutien exceptionnel à l'Ukraine de 200 millions d'euros.
Concernant le service national universel (SNU), tous les arbitrages n'ont pas encore été rendus par le Président de la République. Je rappelle qu'il ne s'agit pas d'un service militaire. Il n'y a donc pas de raison que la LPM comprenne des éléments sur ce sujet. Néanmoins, certains projets qui concernent le ministère des armées pourraient se greffer au SNU. Des réflexions sont ainsi en cours pour des phases de volontariat, servant de passerelles vers les réserves. C'est la raison pour laquelle des provisions pour ces projets sont prévues dans la LPM.
Le tableau relatif aux ressources humaines de la LPM, tel qu'il existe, sera reconduit puisque les objectifs n'ont pas été atteints. 4500 à 5000 ETP n'ont pas été pourvus, non pas par difficulté à embaucher mais par difficulté à fidéliser. Le véritable pivot des ressources humaines est constitué par la réserve. Pour deux militaires d'active, il y aura un militaire de réserve. Cela aura un impact historique sur le format des armées. Il faut chercher à fidéliser ces réservistes qui se sentent parfois inutiles car trop peu convoqués. Il faut également les équiper et les entrainer.
Monsieur le ministre, vous nous avez exposé la situation en Afrique. Dans un article du 20 février, le journal Le Monde titrait « Les États-Unis engagent une stratégie pour évincer les mercenaires du groupe Wagner d'Afrique ». La France est-elle considérée comme un partenaire dans cette démarche ? Dans une récente interview, vous évoquiez l'équilibre à trouver entre d'une part la rusticité et la masse et d'autre part le niveau de sophistication technologique. Comment trouver cet équilibre ? Quelles sont les remontées du terrain à ce sujet ?
Actuellement, un exercice interarmées majeur se déroule dans le sud de la France : la séquence 1 de l'exercice Orion 2023. D'une ampleur inédite depuis trois décennies, ces grandes manoeuvres mettent en action 7000 militaires français et étrangers. Cet exercice multinational contribue à préparer nos forces mais aussi nos alliés à un combat de haute intensité dont l'actualité vient nous rappeler la constante probabilité. Sachant que depuis le 24 février 2022 l'Europe a su parler d'une seule voix et que l'OTAN a retrouvé sa légitimé sécuritaire, comment cet évènement peut-il mettre en évidence la nécessité de disposer en Europe d'un pilier de défense OTAN ? Ce pilier sera d'autant plus fort qu'il reposera aussi sur un dispositif militaro-industriel européen.
J'ai bien noté la réponse rassurante - à défaut d'être complétement satisfaisante - de l'ambassadeur d'Allemagne en France, lors de son audition, sur les raisons de l'acquisition par son pays de matériels américains. Il expliquait que l'Allemagne avait besoin de s'équiper rapidement et qu'il convenait d'acheter du matériel sur étagère. À terme, leurs acquisitions se feraient néanmoins en partenariat avec les Européens, avec le SCAF ou le char de combat du futur. J'entends les inquiétudes exprimées par notre collègue Cédric Perrin. Il faut rappeler que si les centres de gravité militaires et industriels de l'OTAN se situent bien en Amérique, force est de constater que les conflits sont bien trop souvent en Europe. Aussi, comment s'inscrit l'OTAN dans l'organisation de cet exercice Orion 2023 ? Quelle est l'implication de l'Allemagne dans ce dispositif ? Peut-être conviendrait-il de réorienter cet exercice, défini en 2021, soit avant l'invasion de l'Ukraine, à un moment où l'OTAN était encore jugée en état de mort cérébrale et où l'Allemagne n'avait pas encore débloqué 100 milliards d'euros pour ses équipements militaires à venir.
Je ne vous parlerai pas aujourd'hui de nos attentes s'agissant des forces de souveraineté et de la stratégie indopacifique, dont j'ai eu l'occasion de déplorer l'indigence à plusieurs reprises. Je souhaiterais vous interroger sur l'Ukraine et sur les livraisons d'armes. Concrètement, combien de véhicules AMX-10 RC avons-nous livré, sachant que cet équipement ne permet pas d'utiliser des obus aux standards de l'OTAN ? S'agissant des systèmes de défense anti-aériens, a-t-on d'autres perspectives de livraison pour protéger les infrastructures et les populations civiles ? D'après ce que nous avait indiqué le chef d'état-major de l'armée de l'air, nous avons 12 Mirage 2000 C actuellement stockés et prêts à être vendus. Envisagez-vous de les céder à l'Ukraine ou tout au moins de former les pilotes au cas où une telle décision serait prise ?
Pourriez-vous nous faire un point d'étape concernant l'intégration de la Finlande et de la Suède à l'OTAN ?
Sur les trois sujets que sont la LPM, le rôle de la France en Afrique, et notre stratégie Indopacifique, le Parlement n'est pas assez associé en amont à vos décisions. Je sais que vous êtes attaché, en tant que gaulliste, à la notion de « domaine réservé ». Rien n'interdit néanmoins une lecture moderniste de cette notion.
Je voudrais moi aussi vous exhorter à aller plus vite s'agissant du soutien à l'Ukraine.
Le président Cambon a évoqué le nouveau pôle d'influence polonais. Il est essentiel de nous impliquer davantage au sein de l'OTAN, tant vis-à-vis des pays d'Europe centrale et orientale que des États baltes. Nous avons un rôle extrêmement important à jouer. Est-il vrai que notre armée de l'air serait prête à aller former des pilotes ukrainiens à Varsovie ?
Vous avez mentionné la nécessité d'un portage populaire pour l'acceptabilité des 413 milliards d'euros d'effort de défense. J'aimerais en savoir davantage sur l'importance, au sein de la réserve, de la réserve citoyenne. Celle-ci me parait absolument indispensable, de même que les journées défense et citoyenneté. Ces dernières avaient été supprimées pour les Français de l'étranger mais leur rétablissement a été récemment annoncé. Où en est-on aujourd'hui ?
Je voudrais évoquer l'enjeu de la fidélisation de nos forces. Quel effort sera consacré au plan famille au sein de la LPM ? Cela rassurerait nos militaires de savoir que nous avançons sur ces sujets. Certes, les réserves peuvent être un moyen très utile pour renforcer nos armées - j'avais d'ailleurs écrit avec Jean-Marie Bockel un rapport sur ce sujet. Mais avant tout, il faut améliorer les conditions de vie et d'accompagnement des familles de militaires pour assurer leur fidélisation.
Un dictateur n'est pas sensible aux paroles, il n'est sensible qu'aux actes et à la résistance. Quel est votre sentiment s'agissant de la conduite psychologique de cette guerre ? Je trouve regrettable l'attitude des Américains et des Allemands qui ont déclaré qu'ils ne livreraient pas certains types d'armes ou de matériels. La France, en revanche, a eu raison d'affirmer que rien n'était exclu.
Je voudrais aborder à nouveau la question de l'OTAN. Aujourd'hui, tous les membres de l'alliance atlantique considèrent que le parapluie américain les protégera. Comment expliquer à nos concitoyens que la sécurité et la stabilité en Europe dépendent de l'alliance atlantique ? Selon moi, il faut prendre une initiative sur ce sujet. Ce n'est pas à travers le SNU que ce message pourra être passé.
S'agissant de l'équilibre à trouver entre masse, rusticité et sophistication technologique, je souhaiterais vous citer l'exemple des drones Shahed iraniens. Ces drones, qui coûtent une dizaine de milliers d'euros par pièce, peuvent être détruits par un missile de défense sol-air coûtant plusieurs centaines de milliers d'euros, voire un million d'euros. Cette remontée de terrain démontre l'importance, en complément de la masse, du paramètre des coûts. C'est un paramètre à prendre en compte pour rendre sincère notre arsenal. Le terme de drones recouvre des réalités bien différentes, du petit drone « jetable » jusqu'au drone armé et réutilisable. Le rapport annexé à la LPM devra préciser lesquels de ces drones relèvent de notre arsenal fixe et lesquels sont des munitions.
L'exercice Orion a certes été décidé en 2021 mais sa planification a largement été révisée depuis février 2022. J'aurai l'occasion avec les chefs d'état-major des armées de vous présenter son bilan. Il s'agit du plus grand exercice interarmées français depuis des décennies. Il est capital pour tester la capacité en grandeur nature de notre modèle. Nos alliés de l'OTAN sont non seulement informés mais également associés, certains pays jouant même un rôle dans l'exercice. Nous en tirerons un certain nombre d'enseignements, que nous partagerons avec nos alliés, et tout particulièrement avec le commandant suprême des forces alliés en Europe (SACEUR).
En découvrant l'existence d'Orion à la télévision, j'ai été frappé de l'écart entre la puissance de cet exercice militaire et l'absence d'implication réelle de nos concitoyens. Ne serait-il pas nécessaire d'associer la sécurité civile pour qu'il y ait une participation active de la population ?
Cet exercice est quasiment historique. L'État civil (préfectures, sécurité civile, forces de sécurité intérieure, collectivités territoriales) est largement associé dans les départements concernés. Cet exercice se suffit néanmoins à lui-même pour tester notre modèle d'armée : « qui embrasse trop, mal étreint ». Si nous réalisions un exercice trop large, nous ne pourrions pas en tirer les conclusions opérationnelles pour les armées. Il n'en demeure pas moins que le renforcement de la résilience de l'ensemble de la nation, outre-mer compris, est indispensable. Les élus locaux ont un rôle majeur à jouer. C'est la raison pour laquelle j'entends instaurer un devoir d'information à l'égard des correspondants défense au sein des conseils municipaux. La réserve citoyenne pourra également contribuer à consolider cette résilience.
S'agissant de l'OTAN, plus on se déplace vers l'est de l'Europe, plus la peur est présente au sein de l'opinion. Si l'opinion publique française est inquiète, elle n'a pas peur comme c'est le cas au centre et à l'est de l'Europe. Inconsciemment, notre population a intégré notre dissuasion nucléaire. Les Allemands achètent un avion de chasse américain car cela leur permet de transporter une bombe américaine, ce que ne permet pas un avion de chasse français.
Concernant notre stratégie pour l'Indopacifique, je vous trouve sévère, M. Folliot. Il y a dix ou quinze ans, des exercices comme Pitch Black ou le déploiement de notre sous-marin nucléaire d'attaque Émeraude n'auraient pas pu avoir lieu. Vous avez raison de souligner que les ambitions sont fortes et que les moyens sont parfois trop timides. Mais le terme d' « indigence » que vous avez employé me parait très dur compte tenu des efforts de nos forces armées.
Je ne communique pas sur le nombre de véhicules AMX-10 RC livrés à l'Ukraine. Les chiffres qui ont circulé sont faux. Notre partenaire ukrainien nous attend de manière très pressante sur deux sujets : l'artillerie, avec les lance-roquettes unitaires et les canons CAESAR (matériel nouveau, entretien du matériel déjà livré, obus, carburant et formation) ; la défense sol air (nombre de missiles pour armer les dispositifs Crotale). Les Ukrainiens sont satisfaits du matériel livré : tous les tirs de Crotale sont des tirs d'interception réussis. L'urgence pour mon homologue italien et moi-même est de mettre la pression sur MBDA et Thalès pour que le dispositif SAMP-T (système sol air moyenne portée/terrestre) soit livré le plus vite possible. Ce dispositif est en effet indispensable tant par sa couverture qu'en raison de son efficacité.
Par ailleurs, des discussions se poursuivent sur les avions. Comme l'a indiqué le Président de la République, il n'y a pas de tabou. Des difficultés se posent en matière logistique, de formation, ou encore d'entretien mécanique. L'accès aux munitions est aujourd'hui un défi pour l'ensemble de l'Occident, BITD américaine comprise. La capacité d'endurance de l'armée ukrainienne dépendra de son aptitude à durer sur les volets des munitions et de l'entretien du matériel.
Il est en effet capital que l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN se fasse, conjointement, le plus rapidement possible.
S'agissant du manque d'association en amont du Parlement, j'essaie de faire de mon mieux. Concernant l'Afrique, il était normal que la primeur de nos réflexions revienne aux dirigeants africains. Je vous rendrai compte, pays par pays, de l'avancement des discussions. Je n'en suis qu'au début de ma tournée de visites. Par ailleurs, dans le cadre de la diplomatie parlementaire, il serait utile de multiplier les rencontres avec les parlements des États africains concernés. Les échanges doivent se faire à trois niveaux : entre chefs d'état-major, entre diplomates et entre parlements. À nous tous, nous pourrons bâtir une stratégie innovante. Plus globalement, plus il y aura de débats sur des enjeux géopolitiques à Paris, mieux ce sera.
J'ai lu avec intérêt votre rapport sur l'Indopacifique. Je partage beaucoup de vos propositions, y compris celle d'un découpage en trois ou quatre blocs pour disposer de sous-stratégies. Je trouve en revanche que nous pourrions aller plus loin sur les sujets de formation, de réchauffement climatique ou encore sur notre investissement dans les organisations du Pacifique Sud.
Il faut en effet lancer des initiatives de pédagogie sur l'OTAN et sur le rôle de la France dans l'organisation. Par antiaméricanisme primaire, certains font dire n'importe quoi à la pensée gaulliste, et notamment à la décision de 1966 de retrait de la France du commandement intégré de l'organisation. Je rappelle par ailleurs que la réintégration décidée par le Président Sarkozy en 2007 n'a pas concerné la planification nucléaire, nous assurant ainsi de conserver notre autonomie sur la dissuasion. Plus globalement, il faut également souligner que la France est le troisième contributeur financier et le deuxième contributeur militaire à l'OTAN. Chaque année, chaque pays fait une promesse de mise à disposition de moyens militaires à l'organisation. Entre ce que nous promettons et ce que nous réalisons, la France est le deuxième contributeur net derrière les États-Unis. Ce chiffre n'est pas assez connu !
En outre, je rappelle que dans l'organigramme de l'alliance atlantique se trouvent des Françaises et des Français qui comptent : la présidente de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, ou encore le commandant suprême allié pour la transformation (SACT). La France est par ailleurs nation-cadre en Roumanie. Notre position est singulière, nous sommes jaloux de notre autonomie stratégique. Il faut être au clair sur ce que nous sommes en droit d'attendre ou non de l'OTAN. Nous devons aussi répondre à certains de nos partenaires qui souhaitent que l'OTAN s'intéresse davantage au Pacifique qu'à l'Atlantique nord. C'est l'un des sujets sur lesquels les parlements pourraient être amenés à travailler.
J'aurai l'occasion de revenir sur la réserve citoyenne lors de ma présentation de l'ensemble des stratégies pour les réserves. Il faut renforcer la réserver citoyenne tout en faisant preuve d'une certaine sobriété, certaines distributions de galons ayant posé problème.
Je présenterai le plan famille, qui est en effet clé pour assurer la fidélisation de nos forces. Le ministère des armées est avec le ministère de l'intérieur celui où les mutations sont les plus nombreuses. Une approche par catégories de grades est nécessaire, les mesures à prendre étant différentes selon que les militaires se trouvent en casernement ou non.
Sur la conduite psychologique de la guerre, il ne faut pas céder aux modes médiatiques. Je m'en suis agacé publiquement. Les médias ont concentré leur attention sur la défense sol-air en décembre puis sur les chars en janvier, avant soudainement de ne la porter qu'aux avions en février. Je prends le pari que le mois de mars sera consacré aux obus... Pour garder le soutien de notre opinion publique, et pour tenir collectivement, nous devons conserver une forme de sobriété et de discrétion. Il faut avoir le calme des vieilles troupes !
Les propos du Président de la République sur la mort cérébrale de l'OTAN ne doivent pas être dissociés de leur contexte. La menace russe n'était à l'époque pas la même et cette déclaration avait été faite à l'aune des difficultés rencontrées avec notre allié turc en Méditerranée.
Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour les précisions que vous nous avez apportées. Nous sommes impatients d'entrer dans le vif du sujet de la LPM. Vous avez souligné, comme plusieurs de mes collègues, l'importance de l'opinion publique. Dans quelques États européens, le soutien des populations à l'aide à l'Ukraine semble s'éroder. Le Parlement pourrait être davantage associé à ces questions par des débats. Ceux-ci ont le mérite d'apporter un éclairage et de porter la parole de ceux que nous représentons auprès du Gouvernement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 40.