Commission des affaires européennes

Réunion du 30 avril 2020 à 14h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Photo de Jean Bizet

Merci d'avoir abordé le débat sous cet angle.

Nous pouvons donner acte à nos rapporteurs de leur communication. Nous les invitons à continuer à s'investir sur le fond. C'est un sujet qui va nous occuper un certain temps.

La réunion est close à 11 heures 10.

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

La réunion est ouverte à 14 heures 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Madame l'Ambassadrice, merci d'avoir accepté notre sollicitation pour cet échange par audioconférence.

Notre commission avait prévu que certains de ses membres se rendent cette année en Hongrie, où vous êtes ambassadrice depuis 2018, afin de resserrer les liens à l'échelon parlementaire avec ce pays important, dont la relation à l'Union européenne s'est compliquée dans les années récentes.

En septembre 2018, le Parlement européen a en effet demandé au Conseil européen d'agir pour empêcher une violation des valeurs fondatrices de l'Union européenne par les autorités hongroises. Parmi les préoccupations soulevées par les députés figuraient l'indépendance de la justice, la liberté d'expression, la corruption, les droits des minorités, ainsi que la situation des migrants et des réfugiés.

Aujourd'hui, comme l'ensemble des autres pays de l'Union européenne et même du monde, la Hongrie est frappée par la pandémie de Covid-19. Vous pourrez sans doute nous préciser à quel degré. Pour en freiner la progression, de nombreux États membres, dont la Hongrie, mais aussi le nôtre, ont choisi de confiner leur population, ce qui constitue évidemment une brèche importante dans les valeurs fondatrices de l'Union européenne, au premier rang desquelles se trouvent la liberté et le respect des droits fondamentaux.

Cette brèche se justifie au nom de l'impératif de sécurité sanitaire, mais certains pourraient être tentés d'en abuser. C'est pourquoi notre commission a jugé utile d'exercer un suivi du respect de l'État de droit en Europe dans le contexte de la pandémie de Covid-19. Elle a chargé de ce travail notre collègue Philippe Bonnecarrère qui vous interrogera certainement de manière plus précise.

Pour ma part, je constate simplement que l'état d'urgence instauré en Hongrie a fait l'objet de critiques de la part de la Commission européenne et du Parlement européen, qui déplorent notamment qu'aucune date précise ne soit explicitement prévue pour y mettre fin et que cet état d'urgence fasse l'objet d'un contrôle insuffisant - ce que contestent les autorités hongroises.

Pouvez-vous nous dire ce qu'il en est vraiment ? Pouvez-vous aussi nous indiquer si une sortie du confinement se profile en Hongrie et si elle s'appuiera sur une application de traçage, comme en Norvège ou en République tchèque ?

Ces questions nous intéressent particulièrement puisque, dès lundi, le Sénat sera appelé à débattre, à l'invitation du Gouvernement, de la stratégie nationale de sortie progressive du confinement dans notre pays.

Voilà les grandes questions que je souhaitais vous soumettre d'emblée. Mes collègues vous interrogeront aussi certainement, mais je vous laisse pour l'instant la parole et vous remercie pour les premiers éléments que vous pourrez nous apporter.

Debut de section - Permalien
Pascale Andréani, ambassadrice de France en Hongrie

Je vous remercie de m'inviter à parler devant votre commission. C'est une bonne opportunité pour comprendre ce qui se passe ici.

Je me propose, en guise d'introduction, de donner quelques chiffres sur la situation épidémiologique en Hongrie, puis de parler des mesures de confinement et enfin d'examiner la question du cadre juridique de ce régime d'exception.

Quelques chiffres tout d'abord. La Hongrie est en retard en termes épidémiologiques sur le reste de l'Europe, en particulier l'Europe de l'Ouest, mais pas seulement. Cela explique l'absence de confinement généralisé obligatoire en Hongrie.

La population s'élève à 9,7 millions d'habitants. On compte aujourd'hui 2 775 personnes contaminées, avec 50 à 80 nouveaux cas par jour, 312 morts au moment où je parle, environ 1 000 personnes hospitalisées, dont 54 en réanimation et 10 000 en quarantaine, et environ 2 500 tests par jour.

Je reviens sur le retard relatif par rapport au reste de l'Europe, pour établir une comparaison avec la République tchèque, dont la population est à peu près équivalente. On y compte 7 500 personnes contaminées et 227 morts. Si la Hongrie est moins touchée en termes de contamination, son taux de mortalité est plus élevé. C'est d'ailleurs un élément que reconnaît le gouvernement.

Qu'en est-il du confinement ? La Hongrie a pris des mesures dès le 12 mars - trois jours avant d'enregistrer le premier décès - en matière de distanciation sociale et de restriction des déplacements sans obligation de confinement général. Ces mesures ressemblent beaucoup à celles adoptées ailleurs : interdiction des rassemblements importants de plus de 100 personnes, fermeture des universités, des écoles, limitation des horaires d'ouverture dans les restaurants et les commerces, fermeture de tous les établissements culturels et de loisirs, des bains - activité très importante pour la Hongrie -, des salles de sport, et interruption des liaisons internationales avec les pays fortement contaminés.

La limitation des sorties répond également à une conception souple, mais précise : seuls les déplacements dits « essentiels » ont été autorisés, comme l'activité professionnelle, les courses alimentaires, la fréquentation des pharmacies, les rendez-vous médicaux, l'accès aux magasins de bricolage, d'équipements agricoles, aux bureaux de tabac, aux stations-service et aux salons de coiffure. Les activités sportives individuelles, les promenades avec les personnes vivant sous le même toit, sans limitation de durée ni de distance, sont également autorisées. Un effort particulier a été fait à l'égard des personnes âgées de plus de 65 ans, qui ont bénéficié d'un créneau réservé dans les commerces de 9 heures à 12 heures.

Les amendes, en cas de violation de la mesure, vont de 5 000 à 500 000 forints, ce qui correspond à une somme comprise entre 15 et 1 500 euros.

Par ailleurs, des policiers et des militaires ont été déployés pour faire respecter le cadre légal, jusque dans les entreprises. Certains ont pu s'interroger, mais les magasins Auchan ont par exemple considéré ces mesures comme positives. Il ne s'agissait pas d'imposer quoi que ce soit, mais d'être présent en cas de troubles à l'ordre public. La présence policière dans les hôpitaux et dans les rues est assez discrète, mais des amendes sont également dressées.

Depuis quelque temps, les commerces jugés non essentiels commencent à ouvrir à nouveau, anticipant le déconfinement.

Les campagnes à la radio et à la télévision incitent toutefois à rester chez soi. Dans les villes, une compétence a été accordée aux maires pour prendre des mesures plus strictes, ce qui a été fait dans les grandes villes, notamment à Budapest, où le maire a institué le port du masque ou du foulard dans les transports et la fermeture des grands parcs durant le week-end. D'autres villes ont fait de même. Tout ceci repose sur une autodiscipline qui fonctionne bien.

On arrive maintenant comme partout à une deuxième étape. Ceci est parallèle au fait que M. Orbán a annoncé un pic de l'épidémie pour le 3 mai. Au même moment, il a annoncé un deuxième plan se traduisant par des mesures de déconfinement. Il l'annoncera solennellement le 3 mai, mais les décisions ont été prises hier en conseil des ministres.

La quasi-totalité des commerces vont rouvrir à partir de cette date. On a permis aux fleuristes d'être ouverts dès aujourd'hui en prévision de la fête des mères. Les bars, restaurants et hôtels vont pouvoir rouvrir leur terrasse extérieure.

Le déconfinement sera également marqué dans les lieux publics, et les épreuves écrites du bac vont avoir lieu comme prévu en mai, avec possibilité, pour ceux qui le préfèrent, d'attendre une session de rattrapage en septembre. Les écoles devraient cependant rester fermées.

Désormais, à Budapest comme en province, il sera obligatoire de porter le masque ou le foulard dans les marchés couverts, les transports, les commerces, en respectant 1,5 mètre de distance.

M. Orbán assume le fait qu'il passe à un certain déconfinement, alors même qu'il annonce un pic, en disant que le dispositif hospitalier est en mesure d'y faire face. Selon les chiffres d'Eurostat, on compte sept lits pour 1 000 habitants, ce qui est un peu au-dessus de la moyenne européenne, qui est à cinq, et 3,3 médecins pour 1 000 habitants, un peu en-dessous de la moyenne européenne. Il faut savoir que les effectifs médicaux sont toutefois notoirement insuffisants, avec des médecins généralement âgés.

Cela étant, le gouvernement annonce que ce dispositif sera prêt à absorber une éventuelle recrudescence des cas et prévoit aussi l'augmentation massive des tests.

Concernant le traçage, rien n'est annoncé en matière de surveillance électronique. Cela ne fait pas l'objet d'un débat. Lors d'une réunion des ministres de l'intérieur de l'Union européenne, il y a un ou deux jours, la Hongrie a pris la parole en expliquant qu'un tel dispositif devrait essentiellement servir à suivre les personnes placées en quarantaine.

M. Orbán bénéficie d'un fort soutien de l'opinion publique pour la manière dont il a géré la crise et 60 à 70 % des personnes sont favorables aux mesures de confinement qui ont été prises.

Quid du régime légal ? Tout ceci s'inscrit dans un régime légal d'exception appelé « état de danger », prévu par la Constitution, comme dans la majorité de nos pays. Six régimes d'exception sont prévus, l'état de danger étant le moins grave. Ils concernent les situations de guerre, d'attaques armées, de terrorisme.

Le gouvernement a obligation de proclamer l'état de danger et de l'appliquer en cas de « catastrophes naturelles ou d'accident industriel mettant en danger la vie et la propriété ».

Conformément à la Constitution, le gouvernement a proclamé l'état de danger le 11 mars par décret. Le premier décès est survenu le 15 mars. La loi d'habilitation, conformément à la Constitution, a été adoptée le 30 mars au titre de l'état d'urgence sanitaire.

La disposition qui a suscité le plus de critiques et de discussions concerne le délit de désinformation. La loi d'habilitation étend celui-ci et en renforce la sanction. Elle crée deux délits, dont un d'obstruction aux mesures de prévention de l'épidémie et l'autre de désinformation liée à l'épidémie.

Jusqu'ici, le délit de désinformation existant dans le code pénal était passible d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans. La définition plus large, qui vise surtout à sanctionner les désinformations sur les réseaux sociaux, sera punie d'une sanction d'un à cinq ans d'emprisonnement.

L'état de danger est maintenant en vigueur et permet au gouvernement d'adopter des législations d'exception, de suspendre les lois, d'y déroger et de prendre toute autre mesure extraordinaire ayant pour objet de lutter contre l'épidémie. Il existe trois limites à ces restrictions.

Tout d'abord, selon la Constitution, les mesures doivent être nécessaires et proportionnées. La deuxième limite est apportée par le contrôle de la Cour constitutionnelle. La loi d'habilitation a prévu une disposition particulière qui permet à la Cour d'exercer son contrôle pendant toute la période de l'état de danger. Un assouplissement des règles de procédure lui permet de statuer en visioconférence. La troisième limite réside dans le contrôle du Parlement. Le gouvernement n'a pas jugé bon de faire figurer une limitation de temps dans la loi d'habilitation, ce qui a été fortement critiqué, notamment par l'opposition, mais, selon la Constitution, le Parlement peut révoquer l'habilitation à tout moment. En outre, le gouvernement a obligation de tenir le Parlement informé pendant toute la période d'état de danger.

Il n'y a pas d'obstacle au fait que le Parlement siège, et c'est d'ailleurs le cas. Il n'a pas été opposé de contraintes sanitaires aux parlementaires pour participer aux sessions. On les voit d'ailleurs à la télévision, avec ou sans masque.

Au total, l'état de danger a été mis en place dans le respect de la Constitution. Les dispositions de la loi d'habilitation n'ont pas été jugées contraires à la démocratie ni aux droits fondamentaux. La vice-présidente tchèque de la Commission européenne a dit hier, 29 avril, qu'elle ne jugeait pas nécessaire d'engager une infraction, à ce stade. Je la cite : « J'ai étudié très attentivement la loi hongroise instaurant l'état de danger. Lorsque nous lisons la loi, nous ne voyons pas de raison d'engager une procédure d'infraction par rapport au droit européen. »

Voilà pour le cadre légal. Néanmoins, la plus grande vigilance s'impose, et je voudrais signaler deux points d'attention particuliers. Le premier concerne la liberté de la presse. Ce délit étendu en matière de désinformation crée une grande crainte chez les journalistes qui savent leurs propos observés à la loupe.

On doit à la vérité de dire que le risque ne s'est pas vérifié jusqu'à présent. Selon le parquet, il existe aujourd'hui 78 cas de désinformation, 30 suivis par le parquet et trois pour lesquels les auteurs ont été poursuivis, avec renvoi devant le juge. Aucun journaliste ne figure parmi les personnes poursuivies. Il s'agit d'escroquerie sur internet, de faux chiffres de décès, de fausses annonces, comme celle prétendant que le gouvernement avait décidé un confinement obligatoire à Budapest.

Cela étant, il existe des restrictions aux libertés de la presse, et l'accès aux autorités publiques est très difficile.

En premier lieu, du fait de l'épidémie de Covid-19, le gouvernement ne fait plus de conférences de presse hebdomadaires, qui permettaient aux journalistes de poser directement leurs questions. Il a été décidé que, compte tenu de l'épidémie, les journalistes devraient désormais envoyer leurs questions à l'avance. Les journalistes se plaignent aussi de ne plus avoir accès au groupe opérationnel, une task force dirigée par un médecin-chef qui parle sur toutes les chaînes de télévision et rend compte de l'évolution de la maladie. De fait, le personnel médical est peu disposé à témoigner compte tenu du délit de désinformation, et la presse ne cache pas que le ministre compétent a donné instruction aux directeurs d'hôpitaux de ne pas s'exprimer. C'est un point sur lequel il faut donc rester vigilant.

Le second point d'attention concerne les collectivités territoriales. Des élections ont eu lieu en octobre dernier. Le Fidesz est resté majoritaire dans le pays, mais dix grandes villes, dont Budapest, sont passées à l'opposition.

Le contexte politique est assez sensible. Certaines décisions gouvernementales font l'objet de critiques depuis le début de l'état de danger. Les collectivités ne sont pas consultées, alors qu'elles pourraient l'être.

En matière financière, le gouvernement a adopté un grand programme de soutien à l'économie, qui représente environ 20 % du PIB, en décidant qu'il serait notamment financé par la moitié des crédits alloués aux partis politiques, mais aussi par une partie des ressources financières des collectivités territoriales - en l'occurrence la vignette automobile.

Des participations sont demandées aux collectivités, pour l'instant sans réelle concertation. Leurs compétences ont été accrues dans le cadre de la gestion de la crise, mais sans qu'on leur en donne vraiment les moyens, notamment en termes de gestion des personnes en quarantaine à domicile.

Les collectivités sont également coresponsables de la fourniture d'équipements de protection aux établissements de santé. Certaines inquiétudes se font jour, le gouvernement ayant à un moment envisagé, dans le cadre de la crise, de faire contrôler les mesures prises par les collectivités territoriales par un comité largement dépendant du gouvernement. Cette mesure ayant suscité des critiques, le gouvernement a retiré son projet de loi. Les collectivités locales arrêtent donc aujourd'hui leurs mesures sans contrôle du gouvernement.

Je ne veux pas terminer sans dire un mot de l'Europe. M. Orbán est très silencieux sur ce sujet dans sa communication. Il a beaucoup insisté sur le rôle de l'Est dans l'aide qu'il a reçue pour lutter contre la maladie et sur les 87 millions de masques livrés à ce jour par la Chine.

Quand il s'exprime sur l'Europe, c'est surtout pour dire qu'elle ne fait pas assez. Toutefois, la Hongrie s'est ralliée à la déclaration des treize États membres, initiée par la France, adoptée le 2 avril, qui a reconnu et soutenu le rôle de la Commission européenne pour superviser le respect de l'État de droit et des droits fondamentaux. Je souligne que les Hongrois se sont ralliés à cette déclaration, alors que les Tchèques et les Slovaques ne s'y sont pas joints.

Naturellement, la Hongrie participe pleinement à toutes les réunions de concertation et de coordination européenne. J'ai déjà cité la réunion des ministres de l'intérieur du 28 avril, au cours de laquelle les Hongrois ont pris la parole, notamment à propos du traçage.

Je conclurai en disant que M. Orbán, en matière européenne, s'est probablement fixé une « ligne rouge intérieure ». Contrairement à ce qu'on lit parfois, plus de 70 % des Hongrois sont attachés à l'Union européenne et veulent y rester. M. Orbán le sait très bien. Il en tient compte. C'est donc là une limite qu'il s'impose dans son rapport aux institutions et valeurs européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Madame l'Ambassadrice, nous connaissons votre conscience européenne, et savons l'importance que vous attachez à la construction européenne, comme nombre d'entre nous.

Permettez-moi de revenir sur le sujet des libertés publiques. Je ne suis pas spécialiste de la Hongrie, mais sa position apparaît ambiguë. En effet, ce pays semble très défavorable à l'idée européenne, en particulier en matière de libertés. On parle même « d'illibéralisme » à propos de la doctrine conceptualisée par le Président Orbán. L'état de danger suscite donc immédiatement l'inquiétude.

Selon le discours officiel hongrois, tout est normal et conforme à la Constitution et le contrôle parlementaire continue à s'exercer. Le président du Parlement hongrois a expliqué qu'il constituait un modèle et continuait à se réunir, contrairement à beaucoup d'autres. Il a insisté sur le fait que l'opposition pouvait régulièrement poser des questions et qu'elle recevait une réponse. On est donc là dans la plus merveilleuse des démocraties !

Que faut-il en penser ? Sommes-nous face à des contrôles formels et à un système remarquablement bien organisé ? Quant au Conseil constitutionnel, que dire du mode de désignation de ses membres ?

Je comprends la nécessité de respecter le langage diplomatique, mais quelle est, derrière toutes ces garanties, la réalité de la vie démocratique, de l'exercice des libertés, du contrôle du Conseil constitutionnel et du Parlement ? Tout ceci apparaît relativement fictif. Personne ne prendra la responsabilité de mettre fin à l'état de danger afin de ne pas porter atteinte à l'autorité de M. Orbán.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Comme président du groupe d'amitié France-Hongrie du Sénat, je suis désolé que cette épidémie ait, au dernier moment, entraîné l'annulation de notre déplacement en Hongrie.

Je souhaiterais revenir sur ce que vient de dire Philippe Bonnecarrère : quelle est la valeur réelle du contrôle par le Parlement de ces mesures « nécessaires et proportionnées » ?

Par ailleurs, M. Orbán s'est toujours montré très strict en matière de contrôle des entrées par les frontières Schengen. Qu'en est-il des autres lieux de passage ? Les contrôles se déroulent-ils correctement ou constate-t-on beaucoup de zèle, comme dans d'autres pays ?

Vous l'avez dit, M. Orbán joue beaucoup avec l'Europe. Il sait l'importance qu'attache la majorité des Hongrois à l'Union européenne et n'a jamais osé dépasser la limite.

Enfin, s'agissant des collectivités territoriales, disposez-vous d'informations concernant les transferts de compétences sans moyens supplémentaires ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Madame l'Ambassadrice, vous l'avez dit, M. Orbán estime que le pays est capable d'absorber un pic épidémique. Or, on sait que c'est le nombre de lits de réanimation qui fait la différence, ainsi que la possibilité pour le pays de pouvoir exporter ses patients vers les autres pays.

Disposez-vous d'un état de la capacité réelle de la Hongrie à absorber ses éventuels malades ? Des pourparlers ont-ils déjà été engagés avec les pays européens limitrophes ou plus éloignés pour exporter les malades les plus graves ?

Debut de section - Permalien
Pascale Andréani, ambassadrice de France en Hongrie

S'agissant de la question de l'effectivité du contrôle, le Fidesz détient la majorité des deux tiers au Parlement. C'est ce que répondent d'ailleurs les Hongrois aux critiques qui leur sont adressées, invoquant le jeu de la démocratie.

Quant à la Cour constitutionnelle, elle est composée de juges indépendants aux termes de la Constitution, une révision constitutionnelle ayant porté leur mandat de neuf à douze ans. Ils sont élus par le Parlement, à la majorité des deux tiers. Vous pouvez donc en tirer les conséquences. Personne ne peut contester que le président de la Cour constitutionnelle, excellent juriste, est proche du gouvernement. Il ne s'en cache d'ailleurs pas. De fait, on compte des proches du gouvernement dans les deux organes qui assurent le contrôle.

La Constitution prévoit tous ces contrôles. Elle a été soumise, au moment de sa révision, comme c'est maintenant le cas dans tous nos pays, à la Commission de Venise du Conseil de l'Europe, cette dernière ayant critiqué notamment la procédure accélérée retenue pour la révision mais sans rien trouver à redire à l'état d'exception ni à l'état de danger. Les Hongrois s'estiment donc dans leur bon droit en appliquant la Constitution.

Le gouvernement Orbán veille toujours à ne pas franchir la ligne rouge. D'ailleurs, la vice-présidente tchèque de la Commission européenne a estimé qu'on ne pouvait poursuivre le gouvernement Orbán à propos de la loi instaurant l'état de danger, alors qu'elle attaque le gouvernement polonais qui vient de prendre des dispositions jugées non conformes au droit européen.

Je ne veux pas faire ici de comparaison facile, mais M. Orbán, qui est un homme très intelligent et extrêmement prudent, sait parfaitement jouer avec les règles européennes, comme l'a bien souligné le sénateur Kern.

Concernant les contrôles aux frontières, la Hongrie applique les règles de Schengen. Comme je l'ai dit, il n'y a presque plus de liaisons aériennes. Le pays facilite le passage bilatéral des frontières voisines, comme beaucoup d'autres. Les Hongrois se sont mis d'accord avec les Slovaques et les Roumains pour permettre le transit des personnes qui passent par des corridors de nuit. Le fret est également permis, à condition que les chauffeurs passent moins de 24 heures dans le pays. Les contrôles à l'entrée sont nombreux, et le passage aux frontières ne se fait qu'en voiture.

Même s'il existe une liaison aérienne avec Bâle-Mulhouse, elle est annulée une fois sur deux. Il n'y a plus un seul vol Air France ou Easy Jet. Le problème du contrôle des aéroports ne se pose donc pas vraiment.

Étant donné l'état de danger et l'épidémie, la Hongrie a annoncé qu'elle refuserait dorénavant l'entrée des migrants, même pour les envoyer dans le camp de Röszke, à la frontière avec la Serbie, et écarterait toute demande d'asile.

Concernant les collectivités territoriales, les maires, y compris ceux appartenant au Fidesz, ne se privent pas de s'exprimer ; c'est ce qu'a fait par exemple le maire de Székesfehérvár, très dynamique et proche du ministre des affaires étrangères hongrois. Il a été fortement critique sur le volet financier et a également exprimé son insatisfaction lorsqu'il a été question que le gouvernement contrôle toutes les mesures prises par les mairies.

Une polémique est née il y a quelques jours à propos des établissements de santé et des EHPAD, secteur où les compétences des municipalités ont été renforcées. On a prétendu que le maire de Budapest n'avait pas prévu suffisamment de médecins dans les EHPAD ni commandé assez d'équipements. Celui-ci a bien entendu répondu pour s'en défendre.

Le gouvernement souffle un peu le chaud et le froid sur les relations avec les collectivités territoriales. Il a marqué sa volonté de coopérer, tout en critiquant leur mauvaise gestion.

Les maires le savent bien, et le gouvernement, étant donné l'état de danger, peut décider de taxer les municipalités comme il souhaite. Reste à savoir comment on sortira de l'état de danger. La Constitution dit très clairement que les mesures exceptionnelles devront tomber - mais cela pose la question du contrôle, tant de la Cour constitutionnelle que du Parlement.

S'agissant de la médecine, avec 70 000 lits et environ mille personnes hospitalisées, la marge est grande. Au début de l'épidémie, le gouvernement a demandé de laisser 50 % des lits vacants pour faire de la place aux futurs malades du coronavirus. Cela a pu paraître excessif et les critiques n'ont pas manqué. Les malades qui n'étaient pas obligés d'avoir un traitement à l'hôpital devaient le suivre chez eux, sous contrôle hospitalier. Au moins 30 000 lits ont donc été réaffectés aux malades du coronavirus.

Il n'y a pas, à ma connaissance, de pourparlers avec les pays limitrophes pour qu'ils accueillent des malades hongrois atteints du coronavirus. Le discours et la politique sont au contraire de s'assurer que les choses pourront se faire en Hongrie.

J'ai évoqué les tests, dont le nombre n'est pas très important, comparé aux pays voisins d'Europe centrale. Concernant les masques, on en compte 87 millions. On ne sait combien sont produits en Hongrie. Au début de la crise, le gouvernement affirmait que 25 000 masques par jour étaient produits dans les prisons.

La Chine serait en pourparlers pour offrir une chaîne de production automatisée qui permettrait d'en produire plus d'un million par jour. Il est cependant facile d'en trouver. Les supermarchés et les maires en distribuent. On dénombre par ailleurs environ 5 000 respirateurs.

Rien ne permet donc de dire aujourd'hui qu'il existerait une difficulté en termes de dispositif hospitalier, mais beaucoup de critiques étaient déjà formulées à l'encontre de ce système avant la crise. Je ne peux prévoir ce qui se passera si la situation s'aggrave dans les mois qui viennent.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Il y a trois ans, j'ai eu l'occasion de visiter deux hôpitaux. J'ai constaté qu'ils manquaient d'équipements. Cela a-t-il changé ?

Debut de section - Permalien
Pascale Andréani, ambassadrice de France en Hongrie

Je n'ai pas visité d'hôpitaux, et les médias nous montrent généralement des salles très modernes. M. Orbán, qui visite des hôpitaux tous les jours, a été photographié à côté d'un médecin qui ne portait pas un masque aussi sophistiqué que le sien, et chacun a pu voir l'aspect délabré des murs. Il est vrai que le gouvernement n'a pas réalisé de gros investissements en matière de santé jusqu'ici.

M. Bonnecarrère a insisté sur le côté « illibéral » du régime hongrois. M. Orbán lui-même revendique une démocratie « illibérale », même s'il emploie de moins en moins le terme qui est mal compris et dont on ne voit pas toujours très bien ce qu'il veut dire.

Selon la science politique, il s'agit d'un régime avec une pluralité de partis, une liberté de suffrage en même temps que des pratiques politiques autoritaires, un certain contrôle de la presse et une moindre liberté d'expression de l'opposition, qui ne sont pas communs dans nos démocraties occidentales.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Ce système a toutes les apparences d'une démocratie moderne et classique, mais vous indiquez qu'il peut être considéré comme autoritaire. Cette ambiguïté est permanente.

Ce que vous avez dit sur le traçage me préoccupe. Cette pandémie est une occasion idéale pour le chef du gouvernement hongrois d'asseoir son autorité. Il a tout intérêt à agir « à la polonaise », voire à lancer une géolocalisation pure et simple. Or, sur ce sujet, la Hongrie paraît plus prudente vis-à-vis des libertés publiques que la France. Où est la vérité ? M. Orbán n'est jamais là où on l'attend ! Comment interpréter cela vu de l'extérieur ?

Debut de section - Permalien
Pascale Andréani, ambassadrice de France en Hongrie

C'est en cela qu'on s'aperçoit qu'on est dans un contexte très différent. Pour beaucoup de pays, et pas seulement la Hongrie, le système de démocratie libérale ne fonctionne pas bien.

En matière de traçage, je pense que le Président hongrois n'a pas envie de porter atteinte de cette manière aux libertés individuelles. Pour l'instant, il n'en a d'ailleurs pas besoin. La population est très disciplinée, et l'épidémie est pour l'instant maîtrisée - en tout cas bien moins importante que dans d'autres pays.

Le gouvernement a considéré plus utile de libérer des lits d'hôpital, de s'assurer de la présence de masques, d'imposer très tôt des restrictions de circulation et de demander aux gens d'être disciplinés. La surveillance électronique ne constitue donc pas un sujet.

On diabolise souvent M. Orbán, dont la pratique du régime est très différente de la nôtre. Votre question souligne toute la difficulté qu'il y a à comprendre comment cela fonctionne ici. M. Orbán, quant à lui, considère la Hongrie comme une démocratie et estime qu'il respecte les libertés individuelles. Cela vous étonne, mais les Hongrois et le gouvernement vous répondraient qu'il ne faut pas poser la question en ces termes. C'est pour cela qu'il est intéressant de venir en Hongrie, pour comprendre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Il me reste à vous remercier très sincèrement, Madame l'Ambassadrice, de vous être livrée à cet exercice avec beaucoup d'honnêteté intellectuelle et de précisions.

Nous avons hâte, le jour où nous serons revenus à une situation normale, de nous rendre en Hongrie comme d'ailleurs en Pologne, où nous sommes très attendus.

Debut de section - Permalien
Pascale Andréani, ambassadrice de France en Hongrie

Vous êtes en effet attendus !

La réunion est close à 16 heures.