J'ai le plaisir d'accueillir M. Jean-Marc Sornin, président et co-fondateur d'Abyssa, au nom de notre collègue Michel Canévet, président de notre mission d'information, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence.
Notre mission d'information a démarré ses travaux voilà deux mois et nous ne pouvions bien sûr pas faire l'impasse sur l'audition d'Abyssa, entreprise implantée à Anglet et à Nouméa, spécialisée dans l'exploration des grands fonds marins jusqu'à 6 000 mètres de profondeur, grâce à des véhicules sous-marins autonomes. Abyssa propose des services de cartographie et de localisation à des autorités publiques et à des industriels souhaitant acquérir une meilleure connaissance de la richesse et des contraintes environnementales de ce milieu très particulier et très contraignant.
Nous avons jusqu'à présent auditionné des scientifiques, plutôt prudents, et des ONG, assez inquiètes, ce qui est bien compréhensible : les conséquences d'une éventuelle exploitation des fonds marins, si tel était le but ultime de l'exploration, sont en effet mal connues. Or nous savons que ce milieu joue un rôle régulateur essentiel dans les grands équilibres planétaires.
Votre regard, monsieur Sornin, sur les technologies disponibles, les contraintes environnementales, mais aussi sur l'équilibre économique de l'exploration et sur les politiques publiques mises en oeuvre nous sera très utile.
Je précise que cette audition est captée et diffusée sur le site internet du Sénat.
Nous sommes heureux de vous recevoir. Nous souhaitons connaître votre point de vue sur la stratégie globale de la France en matière minière. Le plan France 2030 prévoit des moyens assez importants, mais sont-ils en adéquation avec l'ambition forte de la France de se positionner dans ce secteur ? Une stratégie militaire a également été annoncée il y a peu.
Plus précisément, nous aimerions faire le point sur les questions de cartographie. L'Unesco, dans le cadre du One Ocean Summit, a annoncé un bel objectif, la cartographie de 80 % des fonds marins. Cela vous paraît-il réalisable ? Comment les Français peuvent-ils se positionner en la matière ?
Nous ne pouvions pas vous accueillir sans vous entendre sur les territoires ultramarins, que vous connaissez bien. Nous souhaitons que vous partagiez avec nous votre expérience en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. Quel regard portez-vous sur l'action française dans la zone économique exclusive (ZEE) nationale et dans la zone internationale, sous l'égide de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), notamment dans la zone de Clarion-Clipperton ?
Enfin, quel pourrait être le modèle français pour bâtir des champions dans ce secteur ? Quelles difficultés rencontrez-vous ? De quel soutien avez-vous besoin pour développer une entreprise française à la hauteur des défis industriels qu'il faut aujourd'hui relever ?
Je vous remercie d'associer les entreprises à vos réflexions. Je répondrai une à une aux questions que vous m'avez adressées.
Pour commencer, permettez-moi d'apporter une précision afin d'éviter toute confusion. Vous souhaitez m'interroger sur la « stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins ». Or, depuis 2015, il s'agit de la « stratégie nationale relative à l'exploration et à l'exploitation minières des grands fonds ». Je tiens beaucoup à cette précision, car je fais une différence entre l'exploration océanographique et la prospection minière.
Dans quelle mesure Abyssa a-t-elle été associée à la définition de cette stratégie ?
Abyssa est adhérente au Cluster maritime français et participe au groupe de travail consacré aux grands fonds marins. À ce titre, nous avons d'abord été audités par Jean-Louis Levet, puis associés à ses travaux, qui sont le fruit d'un processus de concertation. En tant qu'entreprise, nous avons donc été écoutés.
Les financements annoncés dans le cadre du plan France 2030 nous paraissent-ils à la hauteur des enjeux ?
Il est difficile de répondre précisément à cette question, car, sauf erreur de ma part, les montants et les modalités d'attribution ne sont pas encore totalement précisés. Par exemple, le groupe de travail Levet était parvenu à une estimation de 300 millions d'euros pour un démonstrateur technique/évaluateur d'impacts. À l'époque, c'est-à-dire avant l'annonce du plan France 2030, les financements reposaient sur le plan d'investissement d'avenir n°4, via Bpifrance. Les modalités étaient proches de celles d'un concours, donc sans assurance de financement, et les taux étaient limités à 25 %. Cela nous a fait dire malicieusement que la stratégie nationale devait être financée à 75 % par les entreprises. De ce fait, un certain nombre d'industriels ont décidé de ne pas poursuivre. Le plan France 2030 prévoit de nouveaux objectifs complémentaires et une dotation de 300 millions d'euros. Toutefois, les crédits des deux plans ne seront pas strictement cumulés, le montant global étant plutôt de l'ordre de 500 millions d'euros, soit une « cote mal taillée », comme vous avez eu l'occasion de le dire vous-même, Monsieur le rapporteur.
Ce montant est malgré tout considérable. Jamais un tel budget n'a été consacré à l'exploration des grands fonds marins en France. Est-il suffisant ? On parle de 200 millions d'euros pour des développements en R&D : c'est nécessaire pour que la France reste dans le peloton de tête des fournisseurs de matériels océanographiques. On parle également d'une centaine de millions d'euros pour approfondir la connaissance des grands fonds de notre ZEE. Cette somme est en revanche insuffisante pour disposer d'une connaissance complète et détaillée. Il faudra donc faire des choix en termes de localisation et de précision des informations souhaitées.
Par ailleurs, le plan France 2030 a été présenté comme un plan de relance à destination du secteur industriel privé, en complément du programme prioritaire de recherche (PPR), dont le montant est de l'ordre de 50 millions d'euros, mais aussi, en toute logique, en complément de travaux confiés aux organismes d'État, le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) et la marine nationale. Est-ce qu'on va, là aussi, avoir une « cote mal taillée » ? Nous manquons d'informations. Il est donc difficile de répondre précisément à la question de savoir si les financements annoncés sont à la hauteur des enjeux. En tous les cas, toutes les entreprises saluent ce plan, car elles n'avaient jusqu'à présent jamais bénéficié de soutien de ce type.
La France est-elle une grande puissance océanographique ou prend-elle actuellement du retard en matière d'exploration des fonds marins ?
De nouveau, je ferai une distinction entre l'exploration océanographique et scientifique et l'exploration ou la prospection minière, car la France occupe une place différente dans ces deux secteurs.
En ce qui concerne l'exploration océanographique, la France, avec ses instituts de recherche - l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD) - et ses universités est très bien située à l'échelon international. La recherche française dans ce domaine est de très bon niveau. Pour autant, ces organismes d'État ne seront pas en mesure de réaliser la totalité des opérations de reconnaissance de base des fonds marins français de notre ZEE. Est-ce d'ailleurs leur rôle ? La question se pose.
La France prend du retard sur la connaissance de son territoire, sans doute du fait de l'étendue colossale de la ZEE - 11 millions de kilomètres carrés -, mais peut-être aussi par négligence, par manque d'intérêt et par défaillance de la commande publique. Cette partie du territoire français est totalement méconnue ! On n'imaginerait pas disposer à terre d'une telle surface totalement méconnue. À part Abyssa, aucune entreprise française de services ne se positionne pour effectuer cette cartographie. Il est donc nécessaire de soutenir une ou des entreprises susceptibles d'être des champions français dans ce domaine.
En ce qui concerne la prospection minière sous-marine, les actions ciblées sont anciennes, rares et mal connues. Dans ce secteur, la France a pris du retard par rapport à d'autres pays, comme la Chine et la Russie. En Europe, c'est la Norvège qui est la plus avancée, non seulement en termes de connaissances acquises, mais aussi de projets de prospection minière et de développement de matériel technique et scientifique. Il faut que la France renforce ses capacités. C'est typiquement l'un des défis du plan France 2030.
Quel est aujourd'hui l'état de la cartographie des fonds marins ? Quelles sont les zones cartographiées par Abyssa et quel est le degré de résolution de ces cartographies ?
Abyssa a été créée en 2019 et a subi de plein fouet la Covid, dès son décollage, tout d'abord parce que la prospection commerciale internationale a été bloquée, nos clients étant dispersés dans le monde, ensuite du fait de la faiblesse des économies de nos clients, notamment les petits États insulaires dont l'économie est devenue exsangue. Aujourd'hui, nous avons toutefois des projets. Les premières opérations en mer sont prévues cet été en Méditerranée pour I'Office français de la biodiversité (OFB).
En général, la connaissance des territoires sous-marins est très insuffisante. On parle même, dans le cadre du projet pour l'OFB, de « no data zones » !
Alors que, historiquement, les opérations de cartographie bathymétrique classique ont permis sur les zones envisagées un maillage hectométrique avec nos véhicules sous-marins, nous prévoyons une précision d'ordre métrique.
Quels sont les principaux avantages des véhicules sous-marins autonomes développés par Abyssa par rapport aux navires de surface ? D'autres outils doivent-ils être mis au point pour améliorer cette cartographie ?
Abyssa est une société de services qui utilise des véhicules sous-marins et des outils de cartographie, elle n'est pas une société de développement. Nous nous situons en amont et en aval des développements, c'est-à-dire que nous définissons des cahiers des charges pour nos fournisseurs, en fonction de nos objectifs de cartographie, puis nous utilisons les engins et les outils qu'ils ont développés. Notre rôle est de recueillir et de traiter les données, même si nous travaillons avec nos fournisseurs sur des projets collaboratifs.
La précision des résultats obtenus dépend de la distance entre le fond et l'appareil qui effectue la mesure. Plus la profondeur augmente, plus la précision diminue. L'avantage des véhicules sous-marins autonomes, c'est qu'ils peuvent naviguer à une distance des fonds quasiment constante. La précision reste donc la même, quelle que soit la profondeur. C'est une avancée considérable pour la qualité des données. En outre, le concept de flotte de véhicules coordonnés, qui nous a permis d'être lauréats du concours mondial d'innovation et de déposer trois brevets, augmente considérablement l'efficience des campagnes d'exploration océanographiques.
Aujourd'hui, il faut essentiellement développer la capacité de plonger à des profondeurs de 6 000 mètres et concevoir des capteurs et des outils de mesure dans le domaine de la caractérisation de la géodiversité et de la biodiversité. On pourrait même aller jusqu'à prévoir des navires océanographiques. Aujourd'hui, dans certaines zones, y compris dans la ZEE française, les navires que nous utilisons ne battent pas pavillon français.
Gardons bien en tête ce qui a été rappelé par Jean-Marc Daniel de l'Ifremer lors de son audition au Sénat : quand on parle d'un très bas taux de connaissance des fonds marins - moins de 20 % -, on parle surtout du relief, c'est-à-dire de la bathymétrie. On connaît encore moins bien les caractéristiques générales océanographiques, biologiques et géologiques. Il est donc nécessaire de développer des capteurs capables de descendre en grande profondeur.
L'objectif de l'Unesco de cartographier 80 % des fonds marins d'ici à 2030 est-il réaliste ? Abyssa est-elle associée à ce projet ?
Nous ne sommes pas - pas encore ! - associés à ce projet, car nous ne travaillons que sur commande de nos clients. Ce projet est doté de 4,5 milliards d'euros, soit 570 millions d'euros par an jusqu'en 2030. Ce montant est considérable, mais il nous apparaît tout de même faible, compte tenu de l'ambition et de l'étendue du projet, même avec une automatisation des process d'acquisition et de traitement des données. Les modalités de financement des organismes d'État et des entreprises spécialisées étant pour l'instant méconnues, il m'est difficile de dire si l'objectif sera atteint en si peu de temps. Des moyens de surface avec une précision sur la bathymétrie assez faible dans les zones de grandes profondeurs seront peut-être suffisants pour de premières explorations générales.
Qu'a permis d'apprendre l'étude réalisée par Abyssa en Polynésie française en 2019-2020 sur les encroûtements cobaltifères de la zone ?
Cette étude était régulée par la Convention relative à une étude préalable de cadrage pour une stratégie d'exploration des grands fonds marins. Il était clair qu'il s'agissait de cadrer la manière dont les explorations pouvaient être menées sur le territoire de la ZEE de Polynésie. Cette convention s'est inscrite dans la suite logique des conclusions d'une expertise collégiale effectuée par l'IRD et du rapport qu'il avait produit en 2016, dans lequel il recommandait de réaliser des campagnes d'exploration et de produire des connaissances nécessitant le développement de technologies adaptées, notamment en ce qui concerne les encroûtements cobaltifères. L'objectif était donc de développer les outils et les méthodologies permettant à la Polynésie française de programmer des campagnes d'exploration pour inventorier les ressources géologiques et biologiques des grands fonds, puis d'en effectuer une analyse comparative en termes de potentiel minier et de sensibilité écologique.
Il est apparu que les encroûtements polymétalliques des monts sous-marins de Polynésie française sont riches en métaux d'intérêt. La localisation et les potentialités minières de ces encroûtements sont encore mal connues. La stratégie d'exploration des monts sous-marins doit commencer par un site démonstrateur, une sorte de zone de test, basé en Polynésie française, mais à vocation internationale, ce territoire ayant une position centrale par rapport à tous les États insulaires situés autour de lui.
Cette stratégie doit lier techniques conventionnelles et innovantes, car les méthodes conventionnelles de caractérisation des fonds présentent des limites en termes de qualification précise des encroûtements. Les méthodes innovantes en cours de développement par des entreprises françaises permettront, après validation, de qualifier plus efficacement les conditions environnementales et la qualité des gisements. C'est pour atteindre ces objectifs en Polynésie que nous avons créé la société Abyssa Polynésie. Pour nous, la Polynésie est une base pour ensuite accéder à toute la région du Pacifique centre, par exemple aux îles Cook ou à la zone de Clarion-Clipperton.
Quelles sont les actions menées par Abyssa en Nouvelle-Calédonie ? Où en est le projet de création d'un observatoire franco-japonais des fonds marins, qui doit être basé à Nouméa ?
Nous avons créé au début de l'année 2021 Abyssa Nouvelle-Calédonie, qui nous positionne vers le Pacifique Ouest. Je rappelle que la Nouvelle-Calédonie est le seul territoire d'outre-mer à avoir reçu le label « Territoire d'innovation » et qu'Abyssa est l'un des porteurs de projets retenus, notamment pour la création d'une base de déploiement pour les explorations océanographiques dans cette zone.
Nous travaillons en priorité deux dossiers, en lien avec des partenaires locaux, dont la Direction de l'industrie, des mines et de l'énergie de Nouvelle-Calédonie (DIMENC) et l'Ifremer. Nous réalisons une campagne exploratoire dans le parc naturel de la mer de Corail, les objectifs étant de procéder à l'inventaire des patrimoines géologiques et biologiques des monts sous-marins du Sud de la Grande Terre et, le cas échéant, de retrouver l'épave d'un sous-marin japonais torpillé en 1943. Nous menons avec les mêmes interlocuteurs et l'entreprise calédonienne Island Robotics un programme de recherche des sources possibles d'hydrogène naturel en mer. La Nouvelle-Calédonie est dotée de roches mantelliques - des péridotites - qui ont la capacité, sous l'effet de l'eau, de piéger du C02 et d'émettre de l'hydrogène.
Le projet de création d'un observatoire sous-marin profond franco-japonais est en cours d'étude. Aujourd'hui, il s'agit de définir les techniques qui vont être mises en oeuvre, vraisemblablement des lignes de mouillages équipées de divers capteurs du sommet au pied du ou des monts sous-marins retenus.
Quels sont nos projets dans la zone internationale ?
Dans le cadre du plan de relance et du soutien aux emplois de recherche et développement, Abyssa et l'Ifremer ont débuté en janvier 2022 un contrat de recherche collaborative sur la dorsale médio-Atlantique. Il s'agit d'un projet de cartographie des habitats et de modélisation prédictive en environnement marin profond. Nous avons de ce fait créé un emploi et embauché une personne.
D'un point de vue commercial, Abyssa a deux types de cibles internationales, d'une part les ZEE des États insulaires ou côtiers, lesquels sont nombreux à se préoccuper de leur patrimoine sous-marin, des éventuelles ressources biologiques ou minérales et surtout des sensibilités environnementales, d'autre part les zones concédées par l'AIFM dans les eaux internationales, dont la zone de Clarion-Clipperton pour plusieurs concessionnaires.
Quelles pourraient être les conditions d'une éventuelle exploitation des grands fonds marins ?
Je précise de nouveau qu'Abyssa est une société de services effectuant des cartographies sous-marines. Nous ne sommes pas opérateurs d'exploitation de ressources. Pour autant, nous avons des contacts, notamment avec les groupes de travail du Cluster maritime et de la DeepSea Mining Alliance des industriels allemands.
Quels progrès technologiques est-il nécessaire de réaliser pour rendre possible une éventuelle exploitation des fonds marins ?
Le secteur industriel est très soucieux de respecter les sensibilités environnementales, vraissemblablement pour des raisons éthiques, mais aussi pour des raisons d'acceptabilité de leurs projets. Il est absolument nécessaire d'associer et de consulter toutes les parties prenantes.
Les industriels français que nous côtoyons sont dans une démarche de développement par étape, par cliquet, afin d'ajuster les technologies aux contraintes environnementales. Les technologies sont en constante évolution et dépendent étroitement des résultats des campagnes d'exploration océanographique. J'insiste sur le fait qu'il y a une relation très étroite entre la rapidité de connaissance des fonds et les prises de décision des politiques et des industriels. Les décisions doivent être étayées par des arguments forts. Pour cela, il faut avoir la connaissance océanographique des sites. Le secteur industriel français est dans cet état d'esprit, balloté entre le souhait de participer au développement économique des territoires marins et celui de respecter le développement durable.
Quelles sont les conditions pour que le modèle économique de l'exploitation des fonds marins soit rentable ? Je n'ai pas d'avis sur cette question, qui est hors de nos compétences.
Enfin, Abyssa travaille-t-elle au développement d'outils permettant une exploitation des fonds garantissant une préservation de l'environnement marin ? Nous y travaillons non pas de manière directe, mais en oeuvrant pour une meilleure connaissance des sensibilités environnementales et en faisant l'acquisition des données indispensables aux futures études d'impact.
Alors qu'il va être possible d'acquérir de plus en plus de données - l'Ifremer va bientôt mettre en service Ulyx, un nouveau robot sous-marin -, avez-vous les compétences nécessaires pour les traiter, sachant qu'elles sont de plus en plus complexes ? Pensez-vous que nous avons en France les compétences pour développer du traitement automatisé de données afin de faciliter la modélisation des fonds marins ?
Les fournisseurs de matériels d'acquisition des données sont aussi concepteurs de solutions de traitement des données ou travaillent avec des sociétés qui traitent ces données.
Pour notre part, nous avons un partenariat avec l'Institut de physique du globe, qui développe des algorithmes pour le traitement de données.
Cette question sera cruciale lorsque nous utiliserons notre flotte et lorsque nous ferons des acquisitions simultanées.
Le véritable problème sera l'interprétation des données. Nous avons de nombreux géologues et géophysiciens. En revanche, nous manquons de connaissances en biologie. C'est pour cela que nous avons embauché un jeune chercheur en biologie marine et en biologie des grands fonds. En taxonomie, en identification des faunes marines, nous avons des problèmes de compétences. Nous aurons dans ce domaine des difficultés à interpréter les données qui auront été recueillies.
Vous avez évoqué Ulyx. C'est un outil formidable, doté d'une autonomie telle qu'il est capable de revenir lorsqu'il repère une anomalie ou une zone d'intérêt et d'être stationnaire, ce qui n'est pas fréquent pour un robot autonome sous-marin. La France est donc bien équipée, même si le matériel peut encore être considéré comme du prototype.
Quelles sont les conditions pour que le modèle économique français de l'exploration des fonds marins soit performant ? On vous sent un peu seul dans ce secteur. Peu d'entreprises françaises se positionnent sur ce marché. Que proposer pour que des entreprises telles que la vôtre puissent être créées et se développer ?
Vous avez évoqué la commande publique, mais certains aspects dépassent les capacités des territoires d'outre-mer. Selon vous, de quelle manière notre mission pourrait-elle vous accompagner ?
Enfin, qui sont aujourd'hui vos principaux concurrents, y compris sur le marché français ?
Nous sommes effectivement seuls dans le secteur de la cartographie, mais nous faisons partie d'un écosystème assez fourni, qui comprend notamment les industriels qui fabriquent les engins.
Nous répondons à deux types de besoins : ceux des industriels qui font de l'exploitation et ceux des collectivités locales qui ont besoin de répondre à des questions. À titre d'exemple, un petit État insulaire se voit proposer par un minier 500 millions de dollars pour l'exploitation d'un carré de son territoire. Si cet État refuse ce qui représente l'équivalent de la moitié de son PIB, cela revient pour lui à refuser la possibilité de construire des écoles, des routes ; s'il accepte, il brade l'environnement. Il y a donc un besoin de connaissances très en amont.
Les décisions, je l'ai dit, doivent être étayées par des informations de qualité. Si nous sommes seuls à apporter des réponses, nous sommes malgré tout entourés.
Abyssa prend aujourd'hui la place qu'aurait dû occuper CGG, sans toutefois avoir sa réputation et ses capacités. Nous avons des concurrents norvégiens, qui sont très forts, mais aussi des concurrents issus du monde parapétrolier. Pour l'instant, ils restent tapis, car les marchés ne sont pas ouverts.
Mes chers collègues, j'ai le plaisir d'accueillir les représentants de deux Pôles mer français : le Pôle mer Bretagne Atlantique et le Pôle mer Méditerranée. M. Patrick Poupon est directeur du Pôle mer Bretagne Atlantique ; M. Frédéric Renaudeau est conseiller défense, plan de relance, compétences et formations au sein du même pôle ; M. Guy Herrouin est chargé de mission stratégie et fonds marins au Pôle mer Méditerranée.
Notre mission d'information sur les grands fonds marins estime essentiel d'auditionner l'ensemble des parties prenantes, afin de parvenir à une vision équilibrée. Nous comptons sur vous pour nous dire ce que vous pensez de la stratégie française pour les grands fonds marins, récemment relancée par le Gouvernement. Elle comporte plusieurs volets : stratégie minière, plan France 2030 et, depuis février dernier, stratégie propre au ministère des armées.
Les entreprises françaises sont-elles prêtes à répondre aux défis technologiques, économiques et environnementaux de l'exploration maritime profonde ? Quels sont les enjeux pour vos bassins économiques respectifs ?
Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous souhaitons aujourd'hui entendre les entreprises et le monde industriel. Il s'agit de savoir comment la France se positionne dans la course mondiale vers les fonds marins, que l'on pourrait comparer à l'ancienne course aux étoiles. Le monde économique a besoin d'assises et de perspectives solides pour investir, se développer et participer à cette course. Nous vous avons adressé des questions écrites ; elles seront la colonne vertébrale de nos échanges.
Le Pôle mer Bretagne Atlantique et le Pôle mer Méditerranée sont des pôles de compétitivité lancés sur l'initiative de l'État, il y a quinze ans. Nous sommes indépendants, mais notre travail est parfaitement coordonné et nous parlons d'une seule voix ; nos écosystèmes régionaux sont différents, mais nous travaillons aussi en dehors de nos régions de prédilection. Nous réunissons 1 000 adhérents, dont 500 PME et TPE. Sont aussi présents des grands groupes et des laboratoires de recherche, adossés à des universités ou des instituts. C'est la force d'innovation de notre travail que de rassembler ces trois types d'acteurs : grands groupes, académiques et PME.
Les deux pôles se concentrent sur l'émergence de projets innovants : 900 ont déjà été labellisés, pour un montant de 2,5 milliards d'euros. Les pôles accompagnent la maturation et le financement privé et public de ces projets. Nous travaillons dans six domaines stratégiques, dont le premier vous concerne particulièrement, celui des ressources énergétiques et minières. Nous travaillons aussi sur la défense, la sûreté et la sécurité maritimes, les questions navales et nautiques, les ressources biologiques maritimes - pêche, aquaculture, biotechnologies - et les ports. Le premier axe a d'abord été examiné sous l'angle sur deep sea mining, mais il devient transverse et embrasse les autres domaines stratégiques.
Depuis plus de dix ans, les Pôles mer ont inscrit dans leur feuille de route les aspects miniers des grands fonds, en complément de la partie énergétique, et ont été associés à la stratégie grands fonds marins. Nous avons participé à un groupe de travail « synergie grands fonds marins » mis en place par le Cluster maritime français (CMF) depuis 2012-2013 ; à ce titre, nous avons participé au comité pour les métaux stratégiques et à des échanges internationaux avec l'Allemagne, par l'intermédiaire du cluster DeepSea Mining Alliance (DSMA). Dès 2012-2013, nous avons établi une cartographie des acteurs potentiels de ce domaine, comme les acteurs en ingénierie ou en robotique.
Nous suivons les travaux de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM). En 2015, nous avons suivi les campagnes de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) - je suis un ancien de l'Institut et j'ai été embauché, il y a quarante an, à ce titre, puisque je dirigeai un groupement d'intérêt public (GIP) sur l'exploitation minière des grands fonds. Nous avons participé à l'identification du tissu industriel et aux campagnes dans la zone économique exclusive (ZEE) de Wallis-et-Futuna pour l'exploitation des sulfures polymétalliques.
Enfin, nous avons participé au concours mondial d'innovation de 2013 à 2017, présidé par l'ancienne présidente d'Areva, Mme Anne Lauvergeon, qui avait pour objectif de stimuler l'innovation dans huit domaines, dont celui des richesses marines. Nous avons accompagné deux projets : premièrement, le projet Melodi (Magnetic and Electromagnetic Ore Detection) sur l'exploration, porté par M. Sornin, que vous venez d'auditionner, et qui était alors président-directeur général de Créocéan, avec pour partenaire Naval Group et Eca Group, projet s'intéressant aux outils d'exploration électromagnétique, pour un montant de 4,5 millions d'euros ; deuxièmement, le projet Fonasurf, pour « du fond à la surface », de conception d'un système complet pour l'exploitation minière en eaux profondes, orienté sur les sulfures polymétalliques, projet dirigé par Technip, acteur bien connu dans le domaine du gaz naturel au Moyen-Orient, avec Naval Group, pour un montant de 3 millions d'euros. Ces deux projets, labellisés, étudiaient des briques technologiques nécessaires à l'exploitation des ressources minérales, de 2015 à 2018. Les résultats étaient là, mais la troisième phase, qui impliquait une augmentation du capital des entreprises, n'a pas été poursuivie, car la stratégie minière grands fonds n'était pas très affirmée. Malgré le Comité interministériel de la mer (CIMer) de 2015, ces deux projets ne se sont pas concrétisés, par manque de confiance dans les perspectives à venir.
Plus récemment, nous avons suivi avec beaucoup d'intérêt les travaux de M. Jean-Louis Levet. Nous avons aussi organisé l'année dernière un webinaire avec le CMF, afin de présenter aux entreprises les perspectives du rapport de M. Levet et de mieux les mobiliser quand des appels à projets seront publiés.
Nous sommes bien lancés, l'aventure n'est pas nouvelle. Lors de la phase 3 des pôles de compétitivité, en 2012-2013, nous avons décidé d'intégrer cette notion de grands fonds marins dans notre feuille de route stratégique.
conseiller défense, plan de relance, compétences et formations, au Pôle mer Bretagne Atlantique. - Concernant le plan France 2030, nous avons répondu aux sollicitations du secrétariat général de la mer (SGMer). Nous avons ainsi consolidé une cartographie d'acteurs industriels impliqués, intéressés et concernés, répartis en cinq catégories : les dronistes, à savoir principalement les opérateurs et constructeurs de drones et robots sous-marins ; les équipementiers de la détection, qui travaillent par exemple avec l'optique ou l'électromagnétisme ; les acteurs de la navigation et du management de mission, pour que les drones puissent voler ensemble, grâce, par exemple, à l'intelligence artificielle ; le recueil et le traitement des données, à bord des engins ou par transmission à des bases arrière ; et enfin l'ingénierie. Cette cartographie montre que le tissu national est riche, avec 94 acteurs identifiés et impliqués.
Quels seront les processus pour fédérer les innovations et les expérimentations, autour des appels à projets, de la commande publique ou des appels à manifestation d'intérêt ? Le domaine des fonds marins regroupe de nombreux sujets, et nous avons proposé au SGMer de porter un appel à manifestation d'intérêt dédié à cette thématique.
Notre mission est aussi d'informer les entreprises adhérentes et de répondre à leurs questions, pour qu'elles soient prêtes à répondre aux appels à projets en temps et en heure. Voilà qui constitue une grande part de nos travaux.
Concernant la stratégie de maîtrise des fonds marins du ministère des armées, nous avons adressé notre cartographie d'entreprises au ministère et nous avons participé au Forum innovation défense (FID) de novembre dernier. Cette stratégie a fait l'objet de publications et nous avons participé au rapport du groupe de travail, très riche en cas d'usage et en technologies. Ce rapport est une mine d'informations sur les technologies duales - le ministère des armées s'adossera au Plan France 2030 - et il permet d'orienter la conception des projets pour nos entreprises adhérentes.
Les deux Pôles mer sont conventionnés avec le ministère des armées ; nous travaillons avec l'Agence innovation défense (AID) pour l'animation territoriale, en réalisant du sourcing de compétences et en diffusant l'information vers les acteurs. Nous entretenons donc un lien privilégié avec le ministère pour relayer la stratégie d'innovation du ministère.
Nos adhérents, au regard de la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins et du plan France 2030, manquent de visibilité. Les questions sont nombreuses. Va-t-on commencer par l'exploration puis passer à l'exploitation, ou les deux stratégies seront-elles menées en parallèle ? S'agira-t-il de missions expérimentales ou de missions de recherche et de développement plus en amont ? S'agira-t-il de commandes publiques ou de subventions ? Quel sera le rôle du Conseil d'orientation de la recherche et de l'innovation de la filière des industriels de la mer (Corimer) pour nous accompagner, étant donné que le processus actuel est complexe ? Enfin, les perspectives industrielles sont très incertaines, ce qui implique des risques économiques très importants.
Le Corimer a été cité comme passage obligé pour les thématiques sur les fonds marins. Cependant, le conseil d'orientation est un goulot d'étranglement pour l'innovation : créé pour les industriels de la mer, il n'embrasse pas du tout la partie sur les fonds marins. Le chantier sur les navires est déjà énorme, et le Corimer n'a pas fait ses preuves en matière de green ship ou smart ship. Nous ne voulons pas complexifier. La filière des industriels de la mer n'est pas suffisamment installée et nous ne voulons surtout pas que le Corimer soit obligatoirement associé aux processus de financement ; il faudrait travailler directement avec le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et les guichets de financement tels que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), la Banque publique d'investissement (Bpifrance), l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou la Banque des territoires.
Notre connaissance des grands fonds marins est très faible et peu précise, mais la somme de 300 millions d'euros du plan France 2030 semble assez bien dimensionnée pour couvrir les connaissances sur les aspects géologiques, les écosystèmes et les ressources biologiques.
Par ailleurs, 300 millions d'euros sont prévus pour l'aspect minier. Les contextes géologiques des ressources sont très différents. Nous comptons trois grandes catégories. Premièrement, les nodules polymétalliques, situés notamment dans le Pacifique Nord, en zone internationale dépendant de l'AIFM, se trouvent à 5 000 mètres de profondeur et sont faciles d'accès, car situés en superficie de sédiments ; ils sont assez bien connus. Deuxièmement, les encroûtements cobaltifères, notamment en Polynésie, sont connus, mais nous sommes incapables de mesurer les ressources ; situés sur les replats des atolls à 2 000 mètres de profondeur, les métaux sont attenants à la roche, ce qui exige un décroûtage. Troisièmement, le long des dorsales, dans les zones qui ne sont plus actives, se trouvent des dépôts d'amas sulfurés, qui se présentent sous forme de montagnes sous-marines à une profondeur de 2 500 ou 3 000 mètres de profondeur. Ces amas sont riches et les métaux doivent aussi être pris dans la roche.
Mener de front l'exploitation de ces trois types de ressources très différentes me semble très coûteux. Il faudrait sûrement faire un choix. Certaines ressources sont situées dans la zone internationale de l'AIFM, d'autres dans la ZEE française, par exemple à Wallis-et-Futuna, ou en Polynésie. Il faudrait certainement réaliser des études technico-économiques, fondées sur des missions d'exploration, pour déterminer les priorités, en fonction des métaux, des localisations et des enjeux internationaux. En matière d'exploitation minière, il est possible de réaliser des explorations régionales avec des drones pour définir des potentialités de ressources. Cependant, il faut ensuite réaliser une prospection minière beaucoup plus précise pour savoir s'il y a un gisement et pour connaître sa teneur et son épaisseur. Les montants alloués sont donc corrects, si l'on fait des choix, fondés sur des études techniques, économiques et stratégiques.
En matière de potentiel industriel pour la mise en oeuvre de cette stratégie française, l'écosystème français ne part pas de rien. Des entreprises oeuvrent dans le domaine parapétrolier, de la défense ou du programme Extraplac d'extension raisonnée du plateau continental. Parmi la centaine d'acteurs identifiés, aucun acteur industriel intégrateur et fédérateur n'émerge. Les clusters sont centrés sur le lobbying, les Pôles mer sur l'innovation, l'Ifremer sur la fourniture des informations régionales et la connaissance des milieux marins. Il faudrait un chef de file industriel.
L'idée du ministère des armées de créer un pôle d'excellence pour fédérer les ressources en compétences, les besoins de formation et la recherche est très intéressante. Le modèle est celui du pôle d'excellence cyber, qui a permis de donner une impulsion à un écosystème. Si nous nous engageons sur cette voie, il faudra définir le périmètre pertinent. Il ne peut se limiter à la seule défense, car le sujet est dual, à la fois civil et militaire. Lors du One Ocean Summit, l'idée d'un jumeau numérique de l'océan a été évoquée. Les questions d'observation et de mesure sont prégnantes. Dans un périmètre élargi, cette idée aurait du sens.
La question des emplois est assez difficile. Le domaine de l'exploration est porteur de nombreuses innovations, qu'il faudra ensuite industrialiser. Les créations d'emplois peuvent être très importantes - quelques centaines ou milliers d'emplois en dix ans.
Concernant l'exploitation, je prendrai un exemple fondé sur les nodules polymétalliques, mais qui serait équivalent pour d'autres types de gisement. Un chantier d'exploitation en haute mer représente 2 milliards d'euros d'investissement et des coûts opérationnels annuels de 500 à 700 millions d'euros. Il faut aussi tenir compte de toute la chaîne d'exploitation : transport vers les sites de transformation des métaux, traitement spécifique de ces métaux par rapport aux métaux terrestres. Un tel chantier fournirait en nickel la moitié de la production de la Nouvelle-Calédonie. Les volumes sont très importants.
Il n'est pas réaliste économiquement d'envisager de petits chantiers, car les investissements sont trop lourds : une exploitation à petite échelle n'est pas possible, sauf pour les projets pilotes, notamment pour tester les impacts sur les écosystèmes profonds, qui sont très fragiles, peu résilients, très sensibles. Concevoir des systèmes qui préservent l'environnement est donc essentiel. Cela est possible ; il faut par exemple concevoir des systèmes qui bloquent le bruit ou l'échappement de sédiments. Nous savons réduire les impacts dans les ports et les milieux côtiers, mais il faut transposer nos savoir-faire dans les grandes profondeurs.
Concernant l'état de préparation du tissu industriel, les entreprises sont prêtes pour l'exploration, moins pour l'exploitation. En matière d'exploration, la dronisation de l'espace maritime - voyez l'exemple des câbles sous-marins, de l'éolien en mer, des mesures maritimes et de la défense - stimule l'écosystème industriel. Nous constatons de belles innovations en matière de miniaturisation, d'autonomie, de positionnement dans l'espace des drones, de production d'énergie et de gestion et de transmission de l'information en temps réel. Nous aurons aussi besoin d'une flotte de navires spécialisée et d'une flotte de transport, avec une indépendance nationale minimale. En matière d'exploitation, tout va dépendre des scénarios choisis. Nous ne disposons pas en France d'une entreprise spécialisée dans le domaine minier. Quant à la formation, il s'agira surtout d'adapter certaines formations, par exemple pour la mise en oeuvre des drones.
Je dresse un parallèle avec la création, sur l'initiative des Pôles mer, d'un master spécialisé dans les énergies marines. Nous avons ainsi formé des chefs de projet, disposant d'une bonne vision globale du sujet. Une telle dynamique est nécessaire pour les fonds marins, en intégrant la dimension environnementale. Dès que la mise en oeuvre opérationnelle de la stratégie sera décidée, il faudra mobiliser les universités et les écoles d'ingénieurs pour créer des masters spécialisés à un niveau bac+6.
Un effort de labellisation des formations sera aussi nécessaire. Nous préparons ce travail au sein des Pôles mer.
Il existe de possibles collaborations internationales, par exemple pour construire des briques technologiques. Des échanges ont eu lieu avec l'Allemagne et la Norvège. La Chine et le Japon investissent beaucoup dans le domaine des fonds marins.
Sous maîtrise d'ouvrage de l'État, il serait pertinent de rassembler des compétences dans des groupes techniques ou technico-économiques. Il ne faudrait pas développer des sujets qui se révéleraient ensuite non prioritaires.
Il est par ailleurs nécessaire de préserver les écosystèmes profonds et de respecter l'ensemble des règles définies en la matière par l'AIFM.
Nous devrons définir des métaux prioritaires. La transition énergétique s'accompagne d'un besoin fort en métaux rares. Une éolienne en mer requiert 2 tonnes de terres rares et le recyclage ne suffira pas. Même le nickel et le cuivre, compte tenu de l'ensemble des réseaux qu'il faudra développer, feront l'objet d'une demande croissante.
La mine maritime, elle, est mobile, ce qui constitue un avantage. Une exploitation des fonds pourrait vraisemblablement être rentable, à condition de respecter les écosystèmes et de bien cibler les gisements. La ressource industrielle existe, le point faible, c'est le domaine minier. La France n'a qu'une société minière, Eramet, qui était très intéressée par le gisement de Wallis-et-Futuna - malheureusement le permis n'a pas été accordé.
Une mutualisation des investissements en amont est nécessaire. À court et moyen termes, le Deep Sea Mining, seul, ne semble pouvoir être rentable. Il faut travailler avec l'ensemble des secteurs, par exemple celui des câbliers et celui de la défense. Peut-être aurons-nous de bonnes surprises : nous espérons découvrir des micro-organismes intéressants dans la colonne d'eau, qui pourront être exploités directement ou indirectement, grâce à des molécules de synthèse. La colonne d'eau, essentielle en matière de préservation de l'environnement, présente elle aussi un intérêt très important en matière d'innovation et d'industrie.
Les trois initiatives actuelles semblent converger. En matière d'innovation, il faut non pas cloisonner, mais faire travailler ensemble toutes les filières. Plutôt que de travailler avec deux fois 300 millions d'euros, il vaudrait mieux travailler avec 600 millions d'euros.
En matière de traitement métallique spécifique, connaissons-nous les protocoles à mettre en place et les impacts sur l'environnement des traitements et des produits chimiques utilisés ? Les conséquences et pollutions seront-elles plus grandes que pour l'exploitation terrestre ?
Les principes sont les mêmes que pour les minerais terrestres, mais il faut faire des traitements particuliers. Une filiale d'Eramet a réalisé les tests. En matière de pollution, nous ne constatons pas de différences majeures ; l'hydrométallurgie utilise des acides, comme pour les mines de nickel en Nouvelle-Calédonie. Il n'y a pas de différence de fond, mais des recherches sont nécessaires pour optimiser les procédés.
Il est question de constituer un pôle d'excellence sur les grands fonds marins ; or cette thématique est vaste, verticale et intégrée. Les applications et les technologies, elles, sont très transversales, ce qui peut aussi constituer un avantage, car certaines filières sont très matures. Comment concilier cette verticalité et l'horizontalité des applications, qui est aussi un avantage, car certaines technologies sont déjà très matures ?
Par ailleurs, comment susciter des vocations maritimes ? Comment susciter une appétence chez les jeunes pour qu'ils aiment l'eau salée ? Médiations, entertainment, séries Netflix... comment envisagez-vous ces aspects de communication, vulgarisation et motivation ?
Une fois le cadre fixé, la structuration suivra naturellement. Il faut avant tout une volonté politique.
Concernant la motivation des jeunes, nous ne rencontrons que peu de difficultés. Aujourd'hui, l'espace maritime est valorisé. Cependant, il existe un point sensible : l'impact environnemental du deep sea mining. Mener des recherches est essentiel, pour bien comprendre la colonne d'eau et les écosystèmes marins et pour bien communiquer et informer. Nous ne pourrons exploiter qu'à condition de limiter notre impact. Sans quoi, nous n'attirerons pas les jeunes et nous devrons faire face à un problème d'acceptabilité de la part des populations, dont les ONG se feront le relais.
Cependant, ces métiers attirent. Si le domaine de la pêche rencontre des difficultés de recrutement, tous les nouveaux métiers attirent. Voyez le transport maritime à la voile ; les écoles d'ingénieurs font le plein.
Vous dites que l'exploitation des fonds marins serait rentable. Est-ce par rapport à l'exploitation terrestre ou par rapport à une problématique de souveraineté ?
La question est très difficile, car les cours des matières premières varient considérablement. Il est très difficile de disposer de données prospectives fiables. Par ailleurs, quand on ouvre une mine, c'est pour vingt ans. Il faut pouvoir se projeter sur plusieurs décennies avec une marge économique importante, grâce à une connaissance solide des cours des matières premières sur le long terme. Des études sont nécessaires.
L'exploitation d'une mine sous-marine, si toutes les conditions sont réunies, semble intéressante et rentable par rapport aux mines terrestres, car la teneur des gisements terrestres diminue. Les minerais sous-marins sont dits polymétalliques, car ils contiennent plusieurs métaux et terres rares, ce qui est une plus-value importante. Mais il existe des risques : risque juridique dans les eaux internationales, risque technologique, car cette exploitation sous-marine est nouvelle, ce qui impose de prendre en compte des aléas et des risques nouveaux.
Les ressources terrestres, aujourd'hui, sont insuffisantes ; l'exploitation maritime semble donc indispensable. Ne pas y aller serait une très grande erreur. Cependant, la rentabilité sera au rendez-vous si l'on innove, car exploiter avec les moyens actuels ne peut être rentable : l'innovation est bien, dans ce domaine, un levier de développement économique.
Vous avez dit que l'État doit avoir une parole forte. Il faudrait aussi un intégrateur et un fédérateur. Quel serait l'ADN idéal de cet intégrateur ? Qui donnerait l'impulsion, quelle en serait la composition ?
En France, nous disposons de tous les acteurs nécessaires à cette grande aventure, avec un petit point faible, celui du dernier maillon, celui de l'industriel et du transformateur des minerais.
Au niveau académique, l'Ifremer se distingue par sa connaissance de la colonne d'eau et ses travaux sur le deep sea mining. Il faudrait aussi mobiliser le domaine parapétrolier. Nous pourrions imaginer un glissement d'activité - la flotte est un bon exemple. Il ne faut pas trop tarder, pour conserver la dynamique. Il existe aussi un tissu d'entreprises très dynamique autour des drones, à l'image d'Abyssa, qui sait fédérer les compétences dans son domaine. Toutes les composantes sont présentes : la recherche, le domaine de l'exploration, le réseau de PME et d'ETI capables de relever ces défis. Toutefois, cela ne suffit pas. Ce pôle d'excellence pourrait être le creuset, le fédérateur de ces actions, les Pôles mer étant associés sous l'angle de l'innovation. Il faudrait associer les domaines civil et militaire.
Faudrait-il un grand opérateur étatique, en sus d'un pôle d'excellence ? Faut-il au contraire laisser le domaine privé s'exprimer ? Manque-t-il un maillon préopérationnel, public ou semi-public, pour accompagner le développement du secteur ?
Ce n'est pas la vocation, par exemple, d'un pôle d'excellence rassemblé autour de l'Ifremer. Le pôle d'excellence cyber a pu être un catalyseur de fédération et d'organisation du tissu industriel. Nous aurons besoin de commandes publiques, et un catalyseur permettrait aux entreprises de répondre aux appels d'offres. Dans sa structuration industrielle, certains acteurs peuvent déjà répondre, même s'ils ne peuvent répondre à tous les appels d'offres, à l'image d'iXblue. Il faut être pragmatique. Nous ne pouvons réorganiser le tissu industriel si facilement.
Nous sommes restés très franco-français : la piste européenne pourrait être explorée. Le modèle serait celui d'Airbus. Il faut aussi creuser cette piste. C'est une question de confiance. L'Europe saura peut-être se serrer les coudes.
Des discussions avec l'Allemagne ont déjà eu lieu, de très longue date.
Messieurs, je vous remercie pour vos réponses et la richesse de nos échanges.
Ces auditions ont fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 20.